Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.
M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, jusque-là nous n’avons pas réussi à nous convaincre les uns les autres, ni des dangers que le changement de statut de La Poste fait courir au service public, selon nous, ni des merveilles à en attendre, selon vous. Pourtant, nous sommes apparemment tous d’accord sur un point, rappelé d’ailleurs clairement par l’article 2 : le groupe public La Poste remplit des missions de service public.
« Remplir des missions de service public » signifie que La Poste a des obligations qu’un opérateur dont l’ensemble des activités s’exercent dans le cadre concurrentiel ne remplirait pas, parce qu’elles lui feraient perdre de l’argent. L’exercice du monopole par l’établissement public La Poste a donc permis pendant longtemps de financer ces obligations de service public.
Dès lors que l’essentiel de son activité s’exerce dans le cadre concurrentiel, se pose le problème du financement de ce qu’il faut bien appeler le « surcoût de service public » mis à sa charge. Celui-ci n’a pas été résolu de manière satisfaisante jusqu’à ce jour.
Bienvenu hier, un dispositif pérenne et suffisant de ce financement, avec le changement de statut et la disparition de ce qui restait de monopole, est devenu nécessaire.
Tel est l’objet des amendements que nous présenterons. Les premiers visent à consacrer le principe de l’obligation du financement intégral et pérenne des missions de service public de La Poste. Les autres tendent à décliner les modalités de ce financement s’agissant du « service universel postal » et de la présence postale sur l’ensemble du territoire national. À cet égard, deux choses sont indispensables : d’une part, donner une existence réelle et non virtuelle au fonds postal national de péréquation territoriale en le sortant des comptes de La Poste ; d’autre part, lui assurer des ressources réelles et non virtuelles comme aujourd’hui.
L’équivalent d’exonérations fiscales n’est pas une ressource, c’est d’abord un signal envoyé à Bruxelles pour ne pas être accusé de bénéficier d’avantages concurrentiels.
Quelle que soit sa position quant au statut souhaitable pour La Poste, chacun ici peut partager cette analyse et, si son souci de pérenniser la présence postale sur l’ensemble de notre territoire est sincère, soutenir nos propositions, ou d’autres du même type si elles sont meilleures, de localisation du fonds postal national de péréquation territoriale ou de recettes pour abonder celui-ci. Il faut absolument en finir avec le bricolage actuel. Les élus ruraux ne comprendraient pas que le Sénat ne réponde pas à leur attente.
Mes chers collègues, avec cet article 2 sonne un peu l’heure de vérité. Graver dans le marbre les missions de service public de La Poste en lui refusant les moyens identifiables et pérennes de les remplir serait pure hypocrisie. C’est dans cette catégorie que je range les propositions qui s’obstinent à gager le fonds de péréquation sur des exonérations fiscales, fragiles et difficilement identifiables, fussent-elles supérieures à celles d’aujourd’hui.
Mme Bariza Khiari. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Georges Patient.
M. Georges Patient. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la question des missions de service public de La Poste se pose aussi avec une très grande acuité dans les outre-mer du fait de leur configuration géographique, de leur situation économique, d’un marché restreint et de leur éloignement par rapport au territoire métropolitain. C’est un fait reconnu. C’est d’ailleurs pourquoi les départements d’outre-mer ont été inscrits en tant que « zones prioritaires » au titre de la mission d’aménagement du territoire de La Poste. Pourtant, la situation de La Poste est loin d’être satisfaisante au regard des différents critères listés.
Hier, en réponse aux différentes interventions sur la motion référendaire, M. Estrosi a cité la Guyane pour illustrer son souci d’élargir le maillage territorial de La Poste dans toutes les zones du territoire français, surtout dans les zones les plus isolées, comme celles qui se situent à la frontière amazonienne.
La Guyane se singularise, il est vrai, par sa configuration géographique : un territoire continental immense avec beaucoup de zones enclavées, accessibles soit par le fleuve, soit par avion.
En dépit des déclarations de M. le ministre, force est de constater que la Guyane accuse un sérieux retard structurel en matière postale. Les chiffres sont parlants et saisissants : environ un bureau de poste pour 7 000 habitants, contre un pour 4 000 habitants en métropole.
Depuis plusieurs années, La Poste tient en Guyane un discours fondé sur l’ouverture à la concurrence, les directives européennes, la mondialisation et les réorganisations nécessaires liées à cet environnement. Sa logique d’intervention ou d’implantation est celle de n’importe quelle entreprise qui vise la rentabilité financière.
Il va donc sans dire qu’aucune des quatre missions de service public figurant dans ce texte, à savoir le service universel postal, le service public du transport et de distribution de la presse, la mission d’accessibilité bancaire et la mission d’aménagement du territoire, n’est remplie dans ce département. Je vais le démontrer à travers quelques exemples.
Le service universel postal et le service public du transport et de distribution de la presse, qui sont des services de base, déjà en difficulté, tendent à s’affaiblir de plus en plus en raison de la mutualisation forcée et non logique des moyens, de l’ouverture de relais-poste en lieu et place d’agences postales. Tous ces changements ne font que détériorer un service qui est loin d’être de qualité.
La mutualisation de communes éloignées conduit à accepter une offre postale de moindre niveau et oblige de fait les administrés à effectuer de nombreux kilomètres sur les routes et les fleuves. Ce sont les usagers qui sont les premières victimes de cette politique : beaucoup de files d’attente, un courrier à J+8, et encore… En conséquence, la grogne monte, et de plus en plus d’habitants dénoncent ces insuffisances de La Poste, comme ce fut le cas récemment en matière de distribution postale à Apatou, commune enclavée le long du fleuve Maroni.
Concernant la mission d’accessibilité bancaire, la Banque postale reste souvent, pour les plus démunis, la seule banque où ouvrir un compte. Je rappelle que les prestataires de minima sociaux sont pour la plupart détenteurs d’un compte à La Poste.
Cependant, des questions se posent actuellement quant à la pérennisation de la Banque postale en raison de la mutualisation, une fois de plus très fréquente, de certaines activités avec les Antilles, voire la métropole.
Au centre financier de la Guyane, c’est le cas pour le traitement des dossiers financiers, qui dure plusieurs semaines.
En outre, il n’y a toujours pas de réelle accessibilité bancaire, et les problèmes relatifs à l’alimentation de fonds sont récurrents. Cette situation a d’ailleurs déclenché un mouvement de contestation en septembre dernier à Apatou, commune du fleuve Maroni.
J’en viens, enfin, à la mission d’aménagement du territoire, une mission qui prend tout son sens dans les zones fragilisées connaissant des problèmes d’isolement, d’enclavement.
En Guyane, pour les raisons que j’ai énoncées précédemment, cette mission est particulièrement importante. En effet, le nombre insuffisant de « points poste » par rapport à la configuration géographique rend difficiles les conditions de travail des agents, qui parcourent de nombreux kilomètres en voiture, à pied ou en pirogue. Récemment, deux facteurs âgés de quarante ans sont décédés d’une crise cardiaque, dont l’un durant son service. Sans émettre de conclusions hâtives, on peut toutefois s’interroger sur ces événements.
Aussi, je suis certain que la privatisation de La Poste, avec son corollaire, la recherche de la rentabilité financière, ne fera qu’aggraver une situation qui est déjà très fragile et pénalisera une fois de plus les ultramarins. Nous connaissons l’attachement fort des populations d’outre-mer à l’un des derniers services publics garantissant à chacun, quelle que soit sa situation sociale ou géographique, un accès égalitaire à un bureau de poste, à la distribution du courrier ou encore à l’accessibilité bancaire.
Alors, au nom des principes d’égalité et d’équité, principes figurant dans la loi d’orientation pour l’aménagement et le développement du territoire de 1995, et tout particulièrement des principes « d’unité de la nation, de solidarité entre citoyens et d’intégration des populations », nous devons être certains que La Poste continuera à assurer ses missions de service public sur l’ensemble du territoire français et que l’État se portera garant de leur financement.
C’est le sens des amendements que je vous proposerai. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Claude Biwer.
M. Claude Biwer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cet article est au moins aussi important que l’article 1er puisqu’il traite des quatre missions de service public de La Poste, à savoir le service universel postal, le service public du transport et de la distribution de la presse regroupé avec le service universel au sein du service public des envois postaux, la mission d’accessibilité bancaire et, bien sûr, la mission d’aménagement du territoire.
Comme l’a souligné notre rapporteur, Pierre Hérisson, La Poste constitue un acteur majeur de l’aménagement du territoire par son réseau de points de contact et, de ce fait même, joue un rôle social indispensable en milieu rural.
Les élus des collectivités territoriales souhaitaient, à juste titre, que soient inscrites très clairement dans la loi de véritables garanties sur le maintien des missions de service public de La Poste. Je pense que le présent article sera en mesure de leur donner satisfaction.
Ils souhaitaient également obtenir des garanties sur le volume et la pérennité du fonds postal national de péréquation territoriale qui concourt à l’aménagement du territoire et, bien entendu, sur le maintien d’un maximum de bureaux de poste ou de points de contact en milieu rural.
À cet effet, le groupe de l’Union centriste a proposé que la loi fixe très clairement le nombre minimum de points de contact de La Poste à son niveau actuel, c’est-à-dire à 17 000, et réaffirme l’engagement de l’État dans le maintien de la présence postale territoriale.
Je remercie M. le rapporteur d’avoir été sensible à notre demande en acceptant de défendre un article additionnel après l’article 2 – l’article 2 bis nouveau – prévoyant que le réseau de La Poste devra compter au moins 17 000 points de contact, tout en précisant cette notion. Ainsi, le contrat pluriannuel de présence territoriale devra élaborer des règles concernant notamment les horaires d’ouverture et la gamme de services postaux et financiers qui seront offerts à la population.
M. le rapporteur est allé encore plus loin puisqu’il défend un article additionnel visant à ce que La Poste apporte 65 millions d’euros supplémentaires au fonds postal national de péréquation territoriale, ce qui devrait permettre à cette entreprise de financer de manière plus satisfaisante sa mission d’aménagement du territoire.
Nous savons que ces financements avaient pour contrepartie le non-paiement de la taxe professionnelle, mais nous entendons bien que la suppression progressive de celle-ci ne remette pas en cause l’engagement de ces 65 millions d'euros, qui demeurent pour nous le garant de la présence postale sur l’ensemble de notre territoire.
J’aimerais être rassuré sur ce point, monsieur le ministre.
Dans mon département, nous avions pensé que le milieu périurbain risquait d’être encore plus pénalisé que le monde rural, et nous avions souhaité y conserver un certain nombre de bureaux de poste. Nous avons été rappelés à l’ordre et, finalement, nous sommes satisfaits de ce qui est en train de se passer.
Pour ma part, je crois donc sincèrement que, après avoir approuvé l’article 1er de ce projet de loi en renforçant le caractère public de l’entreprise La Poste, puis en approuvant l’article 2 et les articles additionnels qui en précisent la mission territoriale, le Sénat aura fait œuvre utile et répondu aux principales préoccupations qui se sont fait jour depuis le dépôt de ce texte.
C’est donc un acte de confiance que j’évoque en cet instant, en espérant que nous retrouverons la sérénité utile pour préparer ensemble véritablement l’avenir de La Poste. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Gérard Longuet. Très bien !
M. Pierre Hérisson, rapporteur. Bravo, monsieur Biwer !
M. le président. La parole est à M. Martial Bourquin.
M. Martial Bourquin. Monsieur le président, soyez assuré que nous n’avons nullement l’intention de perturber une séance du Sénat qui a toute son importance. Nous voulons travailler et non pas « pourrir la semaine » du Gouvernement, comme quelqu’un l’a dit. (Exclamations.) Ce n’était certes pas vous, monsieur le ministre, mais on dit que le Gouvernement est un…
Mes chers collègues, l’article 2 de ce projet de loi est essentiel pour plusieurs raisons.
Nous connaissons des mutations sociologiques, économiques et écologiques décisives. Dans ce contexte, la continuité des services publics sur l’ensemble du territoire, y compris dans les lieux les plus démunis, mérite une attention particulière.
Je voudrais attirer l’attention du Sénat sur la situation de nos concitoyens. L’exclusion, la solitude se développent, de nombreuses familles monoparentales sont en difficulté. Nous assistons à une envolée de la pauvreté et de la précarité : le rapport du Secours catholique est à cet égard extrêmement inquiétant. Ne sous-estimons pas cette situation, car elle risque de nous revenir comme un boomerang !
Les services publics, en particulier La Poste, restent souvent le seul lien social pour certaines personnes. Si nous ne prêtions pas attention à ces questions dans ce projet de loi, nous serions inévitablement amenés à nous interroger sur notre qualité de parlementaires.
Face à la concurrence qui se prépare aujourd'hui, deux attitudes seront possibles : soit on l’affrontera en modernisant La Poste, soit on recherchera la rentabilité à tout prix, en transformant La Poste en une société privée classique où la rentabilité financière sera l’alpha et l’oméga de toute action et de toute stratégie. Dans ce dernier cas, les coûts seront volontairement réduits, les effectifs seront systématiquement baissés, le maximum de bureaux de poste de plein exercice sera fermé, certaines activités abandonnées, et La Poste se coupera inévitablement d’une grande partie de la population.
C’est malheureusement ce qui se passe déjà dans toute l’Europe. La singularité française, avec son EPIC, c’est justement de faire rimer modernisation et maillage du territoire. Nous devons faire en sorte de répondre à cette mise en concurrence en se servant de l’aménagement du territoire comme d’une force et non pas comme d’une faiblesse. Or je crains que la direction actuelle de La Poste ne considère plutôt l’aménagement du territoire comme un handicap…
Ainsi, en pleine crise financière, la Banque postale avait une occasion unique de dire qu’elle n’était pas une banque comme les autres, qu’elle n’avait pas trempé dans cette bulle spéculative et qu’il était possible d’y placer son argent en toute sécurité. Une telle campagne n’a pas eu lieu parce que c’était considéré comme ringard !
C’est pourquoi, tout au long du débat, nous allons proposer des amendements pour éviter toute restriction du service postal et défendre la continuité du service public en toutes circonstances. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE. –Mme Nathalie Goulet applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Thierry Repentin.
M. Thierry Repentin. Chacun a désormais bien compris que le Gouvernement prend le prétexte de la directive européenne du 20 février 2008 pour changer le statut de La Poste. Il a été abondamment démontré ces derniers jours que le processus d’ouverture progressive à la concurrence du secteur postal n’implique nullement le changement de statut de La Poste, qui, de personne morale de droit public, va devenir une société anonyme puisque l’article 1er a été adopté. Dès lors, on peut légitimement se demander si ce n’est pas le premier pas vers une privatisation qui ne dit pas son nom, du moins pas encore.
La majorité tente de justifier sa démarche en invoquant une condition nécessaire à la concurrence. Disons-le une nouvelle fois – mais il vaut mieux se répéter que se contredire –, la concurrence ne rend nullement nécessaire le changement de statut de La Poste, cet établissement dont la mission de cohésion et de service sur nos territoires va bien au-delà de l’aspect purement financier et devrait justifier l’engagement des pouvoirs publics.
Acheminer le courrier, délivrer un service bancaire universel et assurer une présence sur l’ensemble des territoires ruraux, de montagne, mais aussi dans les zones urbaines sensibles, c’est une mission qu’aucune entreprise privée ne souhaitera remplir, qui ne représentera aucune valeur ajoutée. Est-ce bien là ce que nous voulons pour La Poste ?
L’article 2 cherche à sauvegarder l’essentiel des missions de service public. C’est déjà un aveu ! Le statut de société anonyme est donc clairement une menace pour l’avenir de La Poste et pour le service postal en général. La Poste se trouvera en effet opposée à des concurrents qui se positionneront sur les secteurs d’activités offrant la plus forte valeur ajoutée.
Bien sûr, les missions de service public de La Poste restent un dernier rempart face à des dérives prévisibles ; mais pour combien de temps ?
Ne cherchez pas à nous faire croire que ce changement de statut ne s’accompagnera pas, à terme, de mesures de réorganisation et d’adaptation, comme la fermeture de bureaux de poste, voire des réductions d’effectifs, puisque c’est déjà le cas !
C’est sans doute pour cette raison, mes chers collègues, que le conseil général de la Savoie a récemment rejeté à l’unanimité le changement de statut de La Poste et s’est prononcé pour le maintien des services publics quels que soient les territoires.
Ce conseil général, que vous connaissez bien, est présidé par un personnage illustre, Hervé Gaymard, ancien ministre de l’économie. Dans ses rangs, on compte Michel Bouvard, député ô combien important, membre de la Caisse des dépôts et consignations, ainsi que notre collègue Jean-Pierre Vial, qui siège dans cet hémicycle sur les travées de l’UMP.
M. Thierry Repentin. Les élus de ce département ont voté en faveur du maintien du service tel qu’il existe, car ils connaissent bien les effets, dans les territoires de montagne, de la dernière modification de La Poste, dont ils avaient d’ailleurs dénoncé les risques. Notre ancien collègue Pierre-Yvon Trémel s’était ainsi battu ici pour que la présence du service public de La Poste soit effectivement assurée dans tous les territoires.
M. Pierre Hérisson, rapporteur. Il n’y a pas de problème, elle le sera toujours !
M. Thierry Repentin. Sénateur d’un département de montagne, je mesure d’ores et déjà les difficultés et les retraits du service postal dans notre territoire.
Élu d’un canton situé en zone urbaine sensible, je veux témoigner du fait que, à la suite de deux agressions dans une agence de La Poste, les employés ont fait valoir leur droit de retrait. Voilà un an que nous discutons avec cette entreprise, afin que la mission de service public soit assurée. Peut-être allons-nous déboucher sur une solution dans les jours qui viennent. Cela fera néanmoins un an de discussions... Mais qu’en sera-t-il lorsque nous aurons en face de nous une entreprise privée ?
M. Roland Courteau. C’est la question !
M. Thierry Repentin. Qui assurera sur le long terme l’accessibilité aux services bancaires, notamment dans les zones urbaines sensibles, où les gens privés de compte chèques n’ont plus comme seul recours que le livret A, service aujourd’hui gratuit et obligatoire pour toute personne qui le demande, disposition que l’on ne retrouve d’ailleurs pas dans le projet de loi, notamment à l’article 2 ?
Voilà ce que je voulais vous dire sur la base d’une expérience de territoire et non d’une approche dogmatique, monsieur le ministre, mes chers collègues. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Bel, sur l'article.
M. Jean-Pierre Bel. J’ai apprécié les interventions précédentes, et je voudrais en particulier m’inscrire dans la lignée des propos de Mme Des Esgaulx, qui a mis en avant les nécessités de service public. Au travers d’exemples que nous pouvons les uns et les autres puiser dans nos territoires, nous pourrons mieux apprécier, me semble-t-il, ce que devrait être le service public de La Poste.
Je pense avoir été l’un des seuls présidents d’une commission départementale de présence postale à avoir démissionné de ses fonctions, comme s’est également empressé de le faire mon successeur lorsque cette commission a été remise en place. Pourquoi ?
Je suis élu du département de l’Ariège, un département qui présente certaines spécificités, pas uniquement rurales d’ailleurs. Le service public de La Poste est actuellement marqué par un certain nombre de dysfonctionnements sur lesquels, au moment où nous allons essayer de préciser, par nos amendements, les missions de service public de La Poste, nous souhaitons des éclaircissements.
Si les élus de ce département, au-delà de tous les clivages et de toutes les sensibilités politiques, ont considéré que la situation n’était plus tenable, c’est parce qu’ils rencontraient des difficultés, qui, à défaut d’être exceptionnelles, sont bien réelles.
Il s’agit, premièrement, du déclassement des bureaux de poste. Voilà cinq ans, mon département comptait quatre-vingt-cinq bureaux de poste de plein exercice ; aujourd’hui, il en reste une douzaine. Il s’ensuit la mise en place d’agences postales communales ou, quand c’est impossible, de points de contact ; je vous laisse apprécier cette dégringolade considérable, qui a un impact tout à fait significatif dans un département comme le mien !
Mais le plus grave, c’est la raison pour laquelle on en arrive là, parce qu’il faut toujours justifier la fermeture d’un bureau de poste et la demande d’ouverture d’une agence postale communale pour laquelle on doit faire appel aux collectivités.
C’est assez simple. On commence par diminuer l’amplitude horaire du bureau de poste : les gens, ne connaissant pas les jours d’ouverture du bureau de poste, ont alors quelques difficultés à utiliser ce service.
Je prendrai l’exemple du canton de Quérigut, l’un des plus petits de France, me semble-t-il, avec celui de Barcelonnette dans les Alpes de Haute-Provence. Situé en Ariège, non loin des départements de l’Aude et des Pyrénées-Orientales, ce canton de Quérigut est totalement enclavé en zone de montagne. Pendant douze ans, j’ai été maire d’une petite commune de ce canton, qui se situe à environ trois quarts d’heure ou une heure d’une ville un peu importante, que ce soit du côté de l’Ariège ou de l’Aude, à Quillan.
Aujourd’hui, les malheureux habitants – 500 au maximum, 450 l’hiver – qui continuent à vivre dans le pays du Donezan, situé dans le canton de Quérigut, ne peuvent profiter de ce qui tient lieu de bureau de poste qu’un jour et demi par semaine !
La Poste ne doit certes pas être le bouc émissaire de toutes les difficultés rencontrées, j’en conviens, et d’autres services publics sont également sources de problèmes. Mais cela signifie, en définitive, qu’il vaut mieux, à la limite, inciter les habitants à déménager dans un canton plus peuplé !
Deuxièmement, si ces bureaux de poste sont déclassés, c’est en raison du traitement qu’ils subissent. Je connais de très nombreux exemples de situations ayant exaspéré les maires. Ainsi, dans des bureaux de poste de montagne, par exemple, on ne remplace plus les personnels en congé de maladie, et même plus les personnels en congé annuel !
M. Roland Courteau. C’est exact !
M. Jean-Pierre Bel. On multiplie les handicaps, et les difficultés deviennent extrêmement importantes, amenant à s’interroger sur la signification et la validité des termes « service public ». « Service public », cela veut dire que toute personne, quel que soit l’endroit où elle habite sur le territoire national de notre République, y compris dans le canton de Quérigut, a droit aux mêmes services que d’autres citoyens vivant dans un contexte plus favorable.
À cela s’ajoute le problème du courrier qui n’arrive plus, ou qui arrive très tard…
Nous travaillons maintenant, et ce depuis de nombreux mois, contre le service public, lequel subit une rétrogradation tout à fait inquiétante. Personne n’aurait compris dans mon département que, au moment où nous nous exprimons sur La Poste, je ne signale pas ce cas tout à fait particulier, malgré les efforts de certains responsables de la direction de La Poste pour apporter des solutions.
Nous devons veiller à redonner son véritable sens au service public. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE. –Mme Nathalie Goulet applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Michel Mercier, ministre de l'espace rural et de l'aménagement du territoire. Il n’est pas d’usage de répondre aux interventions sur l’article, mais je voudrais, par égard pour les membres du Sénat, apporter de brèves réponses aux interrogations que vous avez toutes et tous manifestées ce soir.
Douze orateurs se sont exprimés. Je ne reprendrai pas systématiquement ce qui a été dit puisque nous aurons l’occasion d’y revenir cette nuit et demain toute la journée ; mais je pense que, grâce à votre attachement au service public et aux missions d’aménagement du territoire, nous pourrons terminer cette affaire le plus tôt possible, et ce sera le mieux pour le service public.
M. Guy Fischer. Pas de pression ! (Sourires.)
M. Michel Mercier, ministre. Monsieur Fischer, il n’y a jamais aucune pression de ma part : avec moi, vous le savez, tout est proposé, rien n’est imposé ! (Sourires. – Applaudissements sur certaines travées de l’UMP.)
Mme Odette Terrade. Jusqu’à dimanche !
M. Gérard Cornu. C’est comme au Club Med !
M. Michel Mercier, ministre. Non, ce n’est pas le Club Med, c’est bien en dessous ! (Nouveaux sourires.)
Je rappellerai d’abord que rien n’imposait au Gouvernement de reprendre dans les articles 2, 2 bis et 2 ter des dispositions relatives aux missions de service public de La Poste. La loi du 2 juillet 1990, dans son article 6, a fixé ces missions. Le Gouvernement a choisi de les rappeler et de les conforter dans ce texte pour bien montrer que le changement de statut de La Poste n’obère pas ces missions de service public.
Je répondrai sur ce point à Mme Des Esgaulx et à M. Mirassou.
Madame Des Esgaulx, vous avez – cela ne m’étonne d’ailleurs pas – parfaitement rappelé les missions du service public. Vous êtes juriste et élue de la Gironde. C’est le « maître de Bordeaux », Léon Duguit, qui a fixé la conception matérielle du service public, laquelle a toujours été confirmée par le Tribunal des Conflits et le Conseil d’État.
Monsieur Mirassou, vous êtes élu de Toulouse,…
M. Jean-Pierre Bel. Là, c’est le doyen Haurioux !
M. Michel Mercier, ministre. … où professait effectivement le doyen Maurice Haurioux, qui a toujours privilégié la définition institutionnelle du service public sans prendre en compte les missions du service public. Dans notre pays, entre la définition matérielle et la définition institutionnelle, le choix est toujours allé vers la première, qui portait sur le contenu, et ce tant pour le service public que pour la Nation.
C’est ce choix que le Gouvernement continue de faire aujourd’hui. Le fait d’avoir confié à une société anonyme le soin d’assurer des missions de service public n’a rien de nouveau, et cela a été confirmé par le Conseil d’État à de multiples reprises, notamment en 1972, dans l’arrêt Société Unipain.
Il s’agit de poursuivre notre grande tradition du service public avec La Poste…