M. le président. La parole à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Puisque cette motion d’irrecevabilité s’appuie sur une analyse juridique et sur des notions de droit, je vais tâcher de répondre brièvement à M. Foucaud sur le même plan.
En ce qui concerne l’autonomie des collectivités, il me semble, cher collègue, que vous confondez le principe d’autonomie financière et le principe d’autonomie fiscale. Seul le principe d’autonomie financière est inscrit dans la Constitution.
M. Edmond Hervé. C’est vrai !
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. On peut le déplorer – je suis d’ailleurs de ceux qui, à l’époque, l’ont regretté –, mais tel est l’état du droit. Par conséquent, vous ne pouvez pas vous appuyer sur cet argument pour invoquer l’irrecevabilité du texte. (Exclamations sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
Au demeurant, le Conseil constitutionnel sera, comme toujours, l’observateur exigeant et, bien sûr, impartial de nos débats. C’est à lui qu’appartiendra la responsabilité d’examiner cette question, vers la période des fêtes de Noël, comme chaque année.
Vous avez ensuite fait référence au principe de l’égalité devant l’impôt. Le principe d’égalité que retient notre droit public impose de traiter de manière identique des situations identiques, mais permet, voire enjoint d’appréhender de manière distincte des situations différentes.
En réalité, l’égalité, telle qu’elle est interprétée par la jurisprudence, est plus proportionnelle qu’arithmétique. En tout cas, elle ne s’apparente en rien à l’égalitarisme.
En outre, comme chacun sait, il est de jurisprudence constante que des considérations tirées de l’intérêt général justifient, dans une certaine mesure, appréciée par le juge constitutionnel, des différences de traitement entre des situations a priori équivalentes.
Je pense donc que les motifs de droit que vous invoquez sont inopérants. C’est pourquoi, sans avoir à entrer plus avant dans cette argumentation, je soutiens que la motion d’irrecevabilité doit être rejetée.
M. le président. La parole est M. le ministre.
M. Éric Woerth, ministre. Vous paraissez vous enquérir, monsieur Foucaud, du devenir de la décentralisation. (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)
La décentralisation sera, après l’adoption de ce projet de loi de finances et du texte relatif à la réorganisation des collectivités locales, plus épanouie, consolidée et clarifiée.
Elle sera d’abord consolidée parce que le principe constitutionnel d’autonomie financière, et non pas fiscale, sera évidemment respecté, comme l’a indiqué M. le rapporteur. On ne peut pas réduire l’autonomie des collectivités à un simple travail sur le taux des impôts. Du reste, en Allemagne fédérale, où le système repose largement sur le principe d’autonomie des collectivités, les recettes financières de celles-ci viennent directement de l’État. S’il existe bien une autonomie politique, il n’y a pas d’autonomie fiscale au sens qu’on lui donne en France.
La décentralisation sera ensuite renforcée par la réforme de la taxe professionnelle, dont vous souhaiteriez que nous ne discutions pas. Cette réforme renforcera l’autonomie des collectivités, mais également la justice entre collectivités. La péréquation sera plus forte, l’impôt sera fondé sur une base plus juste et plus économique.
Il est curieux de considérer que la taxe professionnelle était une sorte de ressource garantie. Il n’y avait en réalité rien de moins garanti que la taxe professionnelle ! Combien d’élus ont déploré le départ d’une entreprise ! Combien d’élus ont enregistré dans leurs comptes une chute massive des ressources fiscales parce que des entreprises ont quitté leur territoire, faisant du même coup s’évanouir les recettes de taxe professionnelle correspondantes !
Le projet de loi vise à remplacer le système actuel par un autre. Celui que nous proposons, et dont nous allons débattre pendant quelques heures, est un système qui consolide la décentralisation.
La décentralisation est également clarifiée grâce à ce que propose le Gouvernement dans le cadre d’une réforme des collectivités locales qui a déjà été largement discutée, soumise au débat et à la critique. Des pôles clairement établis – région, département, intercommunalité, commune – seront dotés de compétences bien définies, assurant une meilleure lisibilité de l’architecture d’ensemble pour le citoyen et remédiant à une opacité administrative et politique souvent dénoncée.
Par ailleurs, on ne peut se contenter de répéter inlassablement les mêmes contre-vérités, comme celle qui consiste à évoquer une sorte d’âge d’or de la compensation. Ainsi que je l’ai déjà indiqué, jadis, la compensation de l’APA, en particulier, n’était pas intégrale !
Mme Nicole Bricq. Ça, c’est vrai !
M. Éric Woerth, ministre. Tout ce qui relève des transferts de prestations, de personnels et d’équipements est parfaitement compensé. Mais les collectivités ont mis en place, à un moment donné, des politiques plus ambitieuses que ce qu’elles étaient au moment du transfert par l’État. D’où, parfois, c’est vrai, un certain hiatus ! (Protestations sur les travées du groupe CRC-SPG.) C’est la réalité !
Nous reconnaissons qu’un problème existe concernant le transfert des prestations sociales, dont le coût a augmenté plus vite que le reste des compétences transférées. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle le Gouvernement a prolongé le fonds de mobilisation départementale pour l'insertion : 500 millions d’euros viennent ainsi compléter la stricte compensation du coût du RMI pour les départements.
Enfin, concernant la taxe carbone, le Premier ministre a proposé, lors du congrès des maires de France, de créer un fonds auprès de l’ADEME afin de compenser le coût de cette taxe pour les collectivités et leur permettre d’élargir et renforcer leurs investissements dans ce domaine.
Pour toutes ces raisons et pour beaucoup d’autres, notamment celles qu’a énoncées le rapporteur général, je demande au Sénat de rejeter cette motion d’irrecevabilité.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote.
Mme Nicole Bricq. Le groupe socialiste votera la motion d’irrecevabilité présentée par nos collègues du groupe CRC-SPG.
Je rappelle, monsieur le rapporteur général, la mise en garde que vous nous adressez dans votre rapport écrit lorsque vous nous expliquez que le souci de la commission des finances est d’encadrer la mise entre parenthèses de la règle d’autonomie financière, afin de sécuriser la réforme. Mais de cela, en vertu de votre théorie du « un temps, deux mouvements », nous n’avons pas encore eu l’occasion de discuter.
Vous l’indiquez explicitement, le texte tel qu’il nous arrive de l’Assemblée nationale « est une “entorse” au principe d’autonomie financière prévu par la loi organique du 29 juillet 2004, prise en application de l’article 72-2 de la Constitution ».
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Pas du tout !
Mme Nicole Bricq. Pour convaincre vos collègues de la majorité qui sont d’accord avec la disparition de la taxe professionnelle, mais qui restent réticents devant l’ensemble du dispositif, vous leur dites : dans un premier temps, supprimons la taxe, puis reportons à plus tard l’examen du deuxième volet. Voilà votre théorie du « un temps, deux mouvements » !
Par une espèce de gesticulation intellectuelle, vous dites être obligé de proposer une préfiguration de ce que pourraient être la répartition et la compensation en 2011. C’est donc bien qu’il y a un risque d’inconstitutionnalité ! Vous ne l’avez pas rappelé dans votre intervention orale, mais vous l’écrivez noir sur blanc à la page 11 de votre rapport…
M. le président. La parole est à Mme Marie-France Beaufils, pour explication de vote.
Mme Marie-France Beaufils. Je m’appuierai, moi aussi, sur le rapport de M. Marini.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. C’est un succès d’édition ! (Sourires.)
Mme Marie-France Beaufils. Il contient en effet des éléments intéressants dans ce domaine,…
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Quel hommage !
Mme Marie-France Beaufils. … notamment des éléments chiffrés. Ainsi, il montre que le produit de la taxe professionnelle était de 32,4 milliards d’euros en 2009 et que les deux nouvelles contributions sur l’activité économique ne devraient rapporter que 15,8 milliards d’euros.
Certes, d’autres impôts devraient ensuite venir compléter ce produit, mais nous ne savons pas encore lesquels. On nous dit que nous verrons dans un deuxième temps la façon dont on pourra apporter des contributions, en particulier aux communes et aux intercommunalités.
Nous ne savons pas non plus très bien si l’on va rester à une part de 20 % de cotisation complémentaire – j’utilise la formulation du projet de loi en l’état – réservée aux communes et aux intercommunalités, comme le propose l’Assemblée nationale, ou si ce taux va évoluer.
Bref, en l’état, le projet de loi n’apporte aucune précision sur la façon dont les collectivités territoriales pourront demain préparer leur budget.
Ce projet de loi de finances tel qu’il nous est présenté ne garantit donc pas plus l’autonomie financière que l’autonomie fiscale des collectivités territoriales. Or ce sont bien ces deux principes qui sont en cause aujourd’hui. Dès lors que M. le rapporteur général nous propose de revoir au cours du premier semestre de 2010 l’ensemble des éléments qui concerneront l’application de ces nouvelles impositions, c’est bien qu’il y a une difficulté !
Telles sont les raisons pour lesquelles on ne peut que soutenir la motion défendue par Thierry Foucaud.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Je remercie Mme Bricq et Mme Beaufils d’être des lectrices attentives de mon rapport.
Mme Nicole Bricq. C’est normal !
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. J’y précise simplement que l’on ne peut pas se borner à ne traiter qu’un aspect du projet de loi de finances. On ne peut pas décider de ne voir que l’aspect agréable en faveur des entreprises sans aborder le sujet difficile de la contrepartie à trouver pour les collectivités territoriales.
Mme Nicole Bricq. Vous ne l’abordez pas !
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Pour cela, ma chère collègue, il faut entrer dans le vif du sujet, d’abord en rejetant cette motion, puis en commençant l’examen des articles.
Mon rapport s’attache simplement à faire remarquer que, en stricte conformité avec la loi organique relative aux lois de finances, il doit y avoir un temps, le projet de loi de finances, et deux mouvements, la première et la seconde parties dudit projet de loi. Seule la première partie a des conséquences sur le solde de l’année à venir. La seconde partie, quant à elle, comporte des mesures à effets différés ; en l’occurrence, il s’agit de mesures qui ne se traduiront concrètement qu’à compter du 1er janvier 2011.
Il n’en reste pas moins que ces mesures seront bien intégrées au corpus de la loi et devront être aussi précises que possible, notamment pour servir de base à une indispensable concertation au cours de l’année 2010 et aux non moins indispensables simulations à venir, afin de pouvoir déboucher sur la validation ou la modification de tel ou tel élément du dispositif.
Il me semble que la méthode que nous avons choisie est la plus conforme à notre droit parlementaire. Dès lors, j’avoue ne pas bien comprendre les objections que vous formulez. Mais nous aurons l’occasion de reparler de ces sujets si la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité est rejetée, comme je le souhaite.
M. le président. Je mets aux voix, par scrutin public, la motion n° I-135, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité et dont l’adoption entraînerait le rejet du projet de loi de finances.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 88 :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 326 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 164 |
Pour l’adoption | 139 |
Contre | 187 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par Mme Bricq, M. Marc, Mme M. André, MM. Angels, Auban, Demerliat, Frécon, Haut, Hervé, Krattinger, Masseret, Massion, Miquel, Rebsamen, Sergent, Todeschini, Collomb et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, d'une motion n°I-136.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi de finances pour 2010 adopté par l'Assemblée nationale (n° 100, 2009-2010).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Gérard Collomb, auteur de la motion.
M. Gérard Collomb. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est inhabituel d’opposer une question préalable à un projet de loi de finances. Mais il est vrai que, aujourd’hui, les circonstances ne sont pas habituelles.
M. le rapporteur général vient de nous le rappeler, ce débat va se dérouler en deux parties : l’une agréable – encore que je nuancerai cette affirmation à la fin de mon propos – pour les entreprises ; l’autre particulièrement désagréable pour les collectivités locales.
Faut-il que la rupture soit profonde pour que trois anciens Premiers ministres aient jugé bon de s’exprimer !
Lorsque Jean-Pierre Raffarin affirme que « l’actuelle proposition n’est ni claire, ni juste, ni conforme à nos convictions d’élus enracinées », il émet une opinion que la grande majorité des élus locaux partagent.
Pour Édouard Balladur, « nous ne sommes pas dans le bon temps ».
M. Roland du Luart. C’est vrai !
M. Gérard Collomb. « On ne peut pas, explique-t-il, faire une véritable réforme fiscale avant de savoir quelles sont les compétences de chacun des niveaux de collectivités territoriales, département, commune, région. Il faut d’abord fixer la règle du jeu entre elles avant de savoir comment on va leur affecter ce qui va remplacer la taxe professionnelle. »
Quant à Alain Juppé, qui connaît tout de même d ‘assez près la façon dont fonctionnent les collectivités locales et, en particulier, les communautés urbaines, il a déclaré : « La réforme de la taxe professionnelle, en l’état, me paraît difficilement acceptable. »
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. En l’état !
M. Albéric de Montgolfier. Eh oui !
M. Gérard Collomb. Oui, monsieur le rapporteur général, en l’état, mais je ne suis pas sûr que la communauté urbaine de Bordeaux retrouve ses capacités actuelles après l’examen de ce texte par le Sénat. Un peu plus peut-être, mais sans doute pas la totalité !
Il ajoute : « Pour ne prendre que l’exemple de la communauté urbaine de Bordeaux, elle y perdrait une grande part de ses ressources fiscales propres, et donc de l’autonomie que lui garantit la Constitution. » Ainsi, lui aussi fait la confusion que vous pointiez tout à l'heure ! « Et on ne sait pas, poursuit-il, comment évoluerait dans le temps la compensation que lui attribuerait l’État. »
Mes chers collègues, nous savons tous ici que les gouvernements, quelle que soit leur couleur politique, ont tendance, lorsqu’ils fixent des compensations, à les oublier au fur et à mesure que les années passent. Nous avons eu l’occasion d’en discuter très longuement, n’est-ce pas, cher collègue Alain Lambert, au sein de l’Association des communautés urbaines de France, et nous savons très bien ce qu’il en est.
Une profonde inquiétude s’est exprimée au sein de toutes les associations d’élus locaux, et encore à l’occasion du congrès de l’AMF qui vient de se dérouler, au sujet de la suppression de la taxe professionnelle, des deux nouvelles taxes que vous créez et de leur répartition entre les uns et les autres.
M. Philippe Laurent, président de la commission des finances de l’AMF, écrit ainsi : « La réforme de la taxe professionnelle constitue un recul considérable de l’autonomie locale, qui aura d’immenses conséquences dans les années à venir avec un recul important des capacités financières et donc d’investissement public du secteur public local. Le projet de loi de finances pour 2010 marque une profonde rupture. Clairement, le pouvoir central sacrifie l’investissement des collectivités locales après avoir réclamé leur soutien pour le plan de relance. »
Mes chers collègues, ce n’est pas par positionnement idéologique que nous nous exprimons ainsi. Nous savons que les élus, qu’ils soient de droite, du centre ou de gauche, partagent tous, aujourd’hui, la même inquiétude.
D’ailleurs, le fait que M. le rapporteur général de la commission des finances ait proposé, avec l’accord du Gouvernement, de scinder ce débat en deux parties – la première sur la fiscalité des entreprises, la seconde sur les implications de ces mesures pour les collectivités locales – montre, s’il en était besoin, que le malaise est profond.
Quant à nous, nous craignons que la potion ne soit particulièrement amère, après avoir goûté dans un premier temps les délices que nous valent les félicitations de certains de nos amis entrepreneurs – mais pas de tous, madame la ministre, et j’y reviendrai.
S’agit-il simplement de la suppression de la taxe professionnelle ou de la révision de ses bases ? Non ! Rappelons que cet impôt institué en 1975, et à propos duquel chacun se plaît aujourd’hui à rappeler que François Mitterrand l’avait qualifié d’« imbécile », a subi de nombreuses réformes. Dès 1976, l’écrêtement de la base et le plafonnement de la cotisation sont décidés ; en 1983, la part salaires passe de 20 % à 18 % ; de 1999 à 2003, cette part est supprimée ; en 1991, un plafonnement à 3,5 % de la valeur ajoutée est appliqué… Au total, depuis trente ans, la taxe professionnelle a subi près de soixante-dix modifications législatives !
M. Albéric de Montgolfier. Soixante-huit !
M. Gérard Collomb. Pourquoi la réforme radicale que vous nous présentez aujourd'hui suscite-t-elle une telle bronca ? C’est que, à travers elle, vous bouleversez l’architecture des rapports entre l’économie, les collectivités locales et l’État ; des collectivités locales, monsieur le rapporteur général, qui seront condamnées à s’affronter entre elles sans qu’aucune catégorie ne soit pleinement satisfaite.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. C’est un procès d’intention, une vision politicienne !
Mme Nicole Bricq. C’est la réalité !
M. Gérard Collomb. Votre réforme, madame la ministre, va entraîner pour toutes les collectivités locales une perte d’autonomie fiscale, avec une cotisation complémentaire dont le taux sera fixé au niveau national et une cotisation locale d’activité étroitement plafonnée et totalement liée par l’évolution des taxes ménages.
Surtout, votre réforme va aller totalement à l’encontre du développement économique. Dans les évaluations qui ont été réalisées par l’Association des maires de grandes villes de France, conjointement avec l’Association des communautés urbaines de France, on s’aperçoit que ce sont les villes les plus industrialisées qui vont perdre le plus.
Mmes Marie-France Beaufils et Nicole Bricq. Bien sûr !
M. Gérard Collomb. Au hit-parade figurent les villes de Fos-sur-Mer, Dunkerque et Montbéliard, qui vont perdre l’équivalent de près de 69 % de leurs recettes propres,…
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. C’est une question de péréquation !
M. Gérard Collomb. … tandis que la communauté urbaine Nice Côte d’Azur bénéficiera d’une augmentation de 23 %.
Mes propres services ont procédé à des estimations pour l’agglomération lyonnaise. Vous nous avez en effet assuré, madame la ministre, qu’il y aurait une discussion entre les techniciens des communautés urbaines ou des communautés d’agglomération et vos services : je suis prêt confronter nos données.
Aujourd’hui, les recettes tirées de la taxe professionnelle dans l’agglomération lyonnaise s’élèvent à 523 millions d’euros. En l’état actuel de la réforme, c’est-à-dire avec les 20 % de la cotisation complémentaire, la recette s’établira à 229 millions d’euros. Les taxes économiques nouvelles rapporteront 29 millions d’euros, les impôts ménages passeront à 125 millions d’euros, et la compensation nouvelle de l’État représentera 139 millions d’euros.
Quel sera, de façon plus détaillée, l’évolution du tissu économique lyonnais ? L’industrie, qui représentait auparavant 38,2 % de l’impôt économique, va passer à 26 %. Les industries de la construction resteront stables, variant de 3,2 % à 3,4 %. La part des services va augmenter de 55,5 % à 59,1 % et celle des professions libérales de 3,1 % à 11,4 %.
J’ai rencontré, avant de participer à ce débat, le consultant d’une importante société de conseil aux entreprises. Il estimait que les entreprises de services avaient beaucoup à perdre dans cette réforme. Pour autant, les autres vont-elles y gagner ? Je ne le crois pas, madame la ministre.
Je prendrai l’exemple de la Vallée de la chimie, dans l’agglomération lyonnaise, avec la raffinerie de Feyzin et les industries pétrochimiques alentour. Tous ces établissements industriels sont évidemment sources de nuisances pour les habitants des communes avoisinantes, mais, grâce au lien existant entre l’activité économique et la recette fiscale, ceux-ci bénéficient en contrepartie de divers équipements collectifs, sportifs, culturels, etc. Demain, ils auront les nuisances, mais sans les recettes.
À l’époque de l’explosion de l’usine AZF, j’ai été l’un des rares maires de France à soutenir qu’il ne fallait pas rayer d’un trait de plume toutes les activités chimiques de notre territoire. Avec votre réforme, que va-t-il se passer ? Les habitants vont s’opposer au maintien des industries lourdes, extrêmement polluantes, si elles ne rapportent plus rien. Et nous ne pourrons plus transformer ce secteur en le positionnant dans le domaine des « clean-tech » au sein du pôle de compétitivité Axelera.
Vous faites une erreur fondamentale, madame la ministre, monsieur le ministre, en pénalisant les villes, les agglomérations dans lesquelles se trouvent ces industries lourdes. Vous allez les inciter à changer de cap et, en fait, à désindustrialiser notre pays. Personne ne voudra plus de ces entreprises !
Parallèlement, un certain nombre d’entreprises de services, qui verront leurs impôts augmenter, se délocaliseront.
Ainsi, vous n’aurez rien fait pour préserver le tissu industriel de notre pays, vous aurez au contraire accentué la désindustrialisation, et vous aurez condamné de petites entreprises travaillant dans les services, qui constituent une part importante de notre tissu économique.
Plutôt que de revoir les effets néfastes de cette réforme dans six mois, mieux vaut ne pas examiner un texte qui ne peut pas être adopté en l’état.
S’il s’agit d’engager une réforme que vous jugez essentielle pour l’avenir du pays, mieux vaut s’assurer qu’elle est bonne avant qu’après. C’est pourquoi, mes chers collègues, je vous demande d’adopter la motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Je vous ai écouté avec attention, monsieur Collomb, défendre la motion tendant à opposer la question préalable et je suis très surpris que vous, sénateur, conseilliez au Sénat de ne pas délibérer sur le texte.
M. Henri de Raincourt, ministre chargé des relations avec le Parlement. Il y a effectivement de quoi être surpris !
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Je note cependant au passage que les chiffres que vous avez cités s’appuient sur la version initiale du Gouvernement et non sur la version révisée par l’Assemblée nationale.
Mme Nicole Bricq. Si !
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Quoi qu'il en soit, si le texte vous semble critiquable, s’il ne vous satisfait pas, attendez au moins, pour vous faire une opinion définitive, de connaître le résultat de nos propres délibérations. À moins que vous ne considériez que le bicamérisme est vide de sens et qu’il appartient à la seule Assemblée nationale de régler cette question !
M. Gérard Longuet. Judicieuse remarque !
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. L’honneur d’un sénateur, c’est d’aller au bout de ses responsabilités, qu’il soit dans la majorité ou dans l’opposition. Je respecterai votre explication de vote au terme de nos débats, mais ne nous demandez pas d’emblée de ne pas entrer dans la discussion de ce texte !
Oui, il y a lieu d’opérer des ajustements, et nous nous en expliquerons. La commission des finances, pour ce qui la concerne, a déjà adopté un certain nombre d’amendements sur la première partie du projet de loi de finances. Elle va consacrer toute la matinée de demain à en examiner d’autres, notamment ceux qui émanent de votre groupe.
Il va de soi, cher collègue, que nous devons prendre le temps nécessaire. Si nous votions la question préalable, ce serait un couperet beaucoup trop brutal, qui frustrerait la plupart d’entre nous, motivés pour faire évoluer le texte, mais aussi pour expliquer notre position, pour témoigner, pour préparer l’avenir.
Comme vous l’avez dit très justement, la taxe professionnelle, créée en 1975 quand Jean-Pierre Fourcade était ministre des finances, n’a cessé, depuis, d’être réformée. Croyez-le bien, les deux cotisations que nous allons créer cette année pourront, elles aussi, être réformées. Alors, autant être à l’origine du dispositif et déposer des petites graines là où il le faut, même si elles ne germent pas tout de suite ! Voilà ce que nous vous proposons de faire, et en première partie et en seconde partie.
Le fonctionnement normal du bicamérisme appelle naturellement, mes chers collègues, le rejet de cette motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Christine Lagarde, ministre. Monsieur le sénateur, à la suite de M. le rapporteur général, je vous invite à participer à tous les débats que nous allons avoir – aujourd’hui, demain, samedi, voire dimanche (Murmures.) –, car nous sommes tous très désireux d’enrichir encore ce projet de loi de finances.
Je tiens à vous rassurer sur certains des éléments chiffrés, monsieur Collomb. En ce qui concerne la communauté urbaine de Bordeaux, comme d’ailleurs l’ensemble des collectivités territoriales de la Gironde, le tableau des simulations que nous avons effectuées, après le passage du texte à l’Assemblée nationale, est « carré » : on y trouve exactement les mêmes soldes pour les mêmes montants.
On peut discuter du panier des transferts de fiscalité, du volume de la dotation budgétaire, du montant de la cotisation complémentaire, lequel descendrait éventuellement vers le niveau communal. Toutes ces questions seront précisément au cœur des débats que, je l’espère, ici, et avec vous, puisque manifestement cette question vous intéresse. Mais rassurez-vous, en l’état actuel du texte, il n’y a pas de manque à gagner de quelque sorte que ce soit.
J’ai assisté hier au congrès annuel des maires de France, en présence d’Alain Juppé, avec qui j’ai d’ailleurs pu m’entretenir. J’ai écouté les interrogations des maires et j’y ai répondu, mais je tiens à dire que le tableau présenté hier par M. Philippe Laurent était inexact. Ainsi, le montant de la taxe foncière n’y figurait pas. Curieux, non ? Or on ne peut pas retomber sur ses pieds si l’on ne prend pas en compte la taxe foncière. Le dispositif plus moderne, plus équilibré et plus dynamique que nous prévoyons en remplacement de la taxe professionnelle repose sur un panier comprenant notamment l’intégralité de la taxe d’habitation pour ce qui concerne le bloc communal, un complément de taxe foncière, ainsi qu’un certain nombre d’autres impôts, tel l’IFER, l’imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux.
Présenter des chiffres en faisant l’impasse sur un élément du calcul me paraît malhonnête.
J’ai entendu dire que nous ferions un hold-up sur la taxe professionnelle. En l’espèce, il me semble plutôt que certains font un hold-up sur les interrogations des élus pour les transformer en contestations de la réforme, réforme dont, à nouveau, je vous invite, mesdames, messieurs les sénateurs, à débattre au cours des jours à venir. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)