M. Éric Woerth, ministre. Ainsi, les deux tiers du coût de la prestation ont été laissés à la charge de ces collectivités. Et je ne fais pas là d’archéologie politique : cela ne remonte pas à si longtemps !
M. Gérard Longuet. Mais, à ce moment-là, on ne les a pas entendus !
M. Éric Woerth, ministre. Je tiens à apporter cette précision, car c’est très bien de nous donner des leçons en matière de compensation et de monter systématiquement sur ses grands chevaux dès qu’il est question de ces sujets, mais la réalité est là. Quand le gouvernement socialiste a lui-même transféré des compétences lourdes aux départements, il n’en a, en aucun cas, assumé la compensation ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Enfin, monsieur Massion, vos propos sur notre politique ont réellement été sans nuance. Vous me faites penser à Hibernatus ! (Rires sur les travées de l’UMP.) J’ai l’impression que vous avez totalement oublié qu’il y avait une crise ! Nous sommes donc responsables d’à peu près tout et avons probablement présenté le plus mauvais budget de l’histoire de ce pays. Comme vous semblez vous réveiller tout d’un coup, je me permets de vous informer : ce pays, comme le monde entier, affronte une crise et cela joue sur nos finances publiques !
Quand vous dites que les budgets étaient meilleurs de votre temps, j’imagine que vous faites référence aux budgets du gouvernement de M. Jospin. Ils étaient sûrement meilleurs, mais il y avait tout de même, en l’absence de crise, une différence de 6 points en termes de niveau de croissance… Ça aide tout de même pour bâtir un budget ! (Sourires sur les mêmes travées.) D’ailleurs, je vous l’avoue, je pense que notre budget serait bien meilleur que le vôtre si nous avions un tel niveau de croissance !
Enfin, monsieur Muller, vous dénoncez la taxe carbone. Vous êtes certainement favorable à l’imposition sur la pollution, à la taxe verte, à l’imposition écologique, mais, pour vous, ce ne sont que des taxes d’apparat, des taxes de tribune ! On en parle, on dénonce, on condamne, mais on ne fait rien, parce que, dès qu’on entre dans le concret, c’est évidemment beaucoup plus difficile !
Pour notre part, nous assumons la taxe carbone que nous avons créée, tout comme le fait que cette taxe n’est pas définitive dans sa forme. La meilleure des taxes carbone, ce serait une taxe qui s’appliquerait aussi aux frontières, négociée sur le plan international.
Mme Nicole Bricq. Il ne s’agit pas des mêmes taxes !
M. Éric Woerth, ministre. Nous pouvons donc faire mieux. Toutefois, nous commençons à donner un signal à la société française et, à titre personnel, j’en suis fier : je suis fier d’appartenir à un gouvernement qui a mis une telle taxe en place ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Christine Lagarde, ministre. Monsieur le président, monsieur le rapporteur général de la commission des finances, monsieur le président de la commission des finances, mesdames, messieurs les sénateurs, je concentrerai mon propos sur les questions touchant particulièrement à la taxe professionnelle et à la taxe carbone et je conclurai avec un bref comparatif sur un certain nombre de données macroéconomiques.
S’agissant de la taxe professionnelle, j’ai entendu Mme Bricq nous reprocher de n’avoir pas bougé d’un iota. Je vous ferai observer, madame la sénatrice, qu’entre le projet que nous avons soumis à l’Assemblée nationale et le projet tel qu’il vous est transmis, le Gouvernement a « bougé ». Je voudrais vous en donner quelques exemples, que j’ai d’ailleurs évoqués dans ma première intervention.
Nous avons d’abord accepté le principe du découplage, qui correspondait à une demande très forte des élus. Ensuite, nous avons modifié de manière importante le schéma de répartition des ressources fiscales.
Par ailleurs, je vous rappelle que notre projet initial prévoyait dans le cadre, non pas des dotations et des subventions, mais des transferts fiscaux, un transfert de TIPP. Au cours de la concertation qui a présidé à l’élaboration de ce projet, nous avons bien compris que cette solution n’était pas véritablement souhaitable.
De la même manière, nous avions prévu que le Fonds national de garantie individuelle des ressources, mis en place pour chacune des catégories de collectivités territoriales, subirait une diminution de 5 % sur une période de vingt ans, pour arriver à extinction au terme de cette période. Or nous l’avons rendu pérenne.
Par conséquent, nous avons procédé à quatre modifications fondamentales.
Madame Bricq, je vous ai également entendu dire, ainsi que M. Jean-Michel Baylet, que la réforme de la taxe professionnelle était une sorte de recentralisation. Ce n’est pas le cas et quelques chiffres me permettront de le démontrer.
Aujourd’hui, comme on le fait souvent remarquer dans les réunions du Comité des finances locales, l’État est le plus gros contributeur à la taxe professionnelle. Sur les 30 milliards d’euros perçus dans ce cadre, il paie un peu plus de 11 milliards d’euros au titre du plafonnement sur la valeur ajoutée et d’un certain nombre de dégrèvements intervenus au fil de l’eau. De ce point de vue, on peut parler, peut-être pas de centralisation, mais en tous cas de concentration entre les mains de l’État du pouvoir de redistribution d’une partie de la taxe professionnelle.
La réforme visant à mettre en place la contribution économique territoriale, que nous proposons, permettra de renforcer le lien direct entre l’entreprise et le territoire puisque, dans le cadre du paiement d’une taxe par l’entreprise au territoire, il n’y aura pas d’intervention supplémentaire de ce filtre « ré-allocateur » de l’État.
Par ailleurs – et je réponds à plusieurs d’entre vous, notamment à M. Baylet –, il me semble que le principe d’autonomie prévu par l’article 72-2 de la Constitution est parfaitement respecté. Je dirai même que cela ne fait pas l’ombre d’un doute !
D’ailleurs, je vais vous donner, pour chacun des niveaux de collectivités territoriales, les taux d’autonomie financière calculés avant et après la réforme de la taxe professionnelle. Pour les communes, on obtient 62 % avant et 61,7 % après ; pour les départements, 66 % avant et 62,9 % après ; pour les régions, 51,6 % avant et 49,7 % après. Effectivement, il existe un petit écart au niveau des régions, mais, franchement, pour les deux autres niveaux de collectivités territoriales, nous sommes dans l’épaisseur du trait.
Toujours selon M. Baylet, la considérable dotation de l’État devrait susciter les doutes les plus extrêmes parce qu’on ne peut accorder de crédit à la parole de l’État. Je vous rappelle que cette dotation, fixée à 3,9 milliards d’euros dans le texte d’origine, a été ramenée à 3,7 milliards d’euros à l’issue du débat à l’Assemblée nationale. En outre, si nous avions été « au taquet » de l’article 72-2 de la Constitution, nous aurions pu monter jusqu’à 9,3. Nous nous situons donc dans un ratio extrêmement raisonnable et j’attire votre attention, mesdames, messieurs les sénateurs, sur le fait que le Conseil d’État, quand il a examiné le texte, a été particulièrement sensible à ce point précis.
Certains d’entre vous, en particulier M. Angels, ont indiqué que, pour favoriser l’investissement, il aurait fallu concentrer les allégements de taxe professionnelle sur le secteur industriel. Je voudrais vous rappeler que c’est précisément ce secteur que nous avons ciblé, à telle enseigne que nous excluons de l’assiette les équipements et les biens mobiliers, qui pèsent évidemment beaucoup plus lourd dans l’industrie que dans les services.
Le secteur industriel est même tellement gagnant à l’issue de l’exercice qu’il engrange 40 % des gains résultant de la réforme de la taxe professionnelle. Si l’on rapporte ces 40 % de gains à la part de l’industrie dans le PIB, qui avoisine 14 %, la discrimination positive en faveur de ce secteur devient évidente.
Cette discrimination positive a été renforcée par le comité qui a travaillé avec nous sur la taxe professionnelle, au travers d’un abaissement de 15 % des valeurs locatives foncières des établissements industriels, ce qui aboutit à une nouvelle diminution de l’assiette.
Nous avons donc réellement pris en compte l’objectif consistant à favoriser l’industrie.
M. Biwer a, lui aussi, évoqué la question des dotations budgétaires de l’État. Je confirme qu’elles sont bien limitées, représentant 3,7 milliards d’euros. Par ailleurs, je rappelle que le Premier ministre a fait, lors de son intervention devant le congrès des maires de France, un certain nombre d’ouvertures sur la question, envisageant éventuellement des transferts fiscaux plus importants afin de réduire encore cette dotation budgétaire.
M. Massion, qui était effectivement très en forme (Sourires.), comme l’a remarqué Eric Woerth, a affirmé que les décisions concernant la taxe professionnelle et la taxe carbone avaient été prises sans concertation et sans tenir compte des avis formulés par les experts.
Au sujet de la taxe carbone, permettez-moi de remarquer que certains candidats avaient signé le pacte écologique de Nicolas Hulot et s’étaient engagés à mettre en place cette taxe. Le Président de la République, lui, le fait !
Mme Nicole Bricq. Évidemment, il est le seul à avoir été élu !
Mme Christine Lagarde, ministre. C’est une promesse qu’il tient. Il nous revient maintenant d’en apprécier les mérites et d’en discuter les termes !
S’agissant de la taxe professionnelle, je ne vais pas revenir sur les propos que j’ai tenus au début de la discussion générale. Toutefois, je veux rappeler que nous avons mené une concertation très longue et extensive. J’ai été auditionnée huit fois ; j’ai reçu l’ensemble des représentants des collectivités territoriales à trois reprises en séance plénière ; nous avons travaillé les textes, sur un plan technique, pendant des centaines et des centaines d’heures ; nous avions bien pris, comme M. le Premier ministre l’avait demandé, la décision d’élaborer le projet en concertation.
C’est pour cette raison, du reste, qu’il a été considérablement retravaillé à l’Assemblée nationale et qu’il sera à nouveau retravaillé au Sénat, ce que votre commission des finances a d’ailleurs commencé à faire. C’est bien dans cet esprit-là, parce qu’il s’agit d’une réforme en profondeur, que nous avons décidé de traiter cette question, et non en apportant un produit tout cuit, tout préparé.
S’agissant du montant de la taxe carbone, il est vrai que le rapport des experts parlait d’un montant de 32 euros par tonne et que certains pays fixent la taxe carbone à un niveau beaucoup plus élevé.
Pourquoi avons-nous retenu un montant de 17 euros ? Il ne s’agit évidemment pas de se faire plaisir ! Ce taux, qui correspond à peu près à la moyenne entre le point le plus haut et le point le plus bas des cotations sur le marché, est tout à fait acceptable pour un impôt qui est particulièrement moderne parce que, comme l’indiquait justement M. le rapporteur général, il ne pèse pas sur les ménages.
Je voudrais répondre à M. Patient sur les exonérations de taxe professionnelle en zone franche d’activité. Dans un premier temps, l’ensemble des entreprises implantées dans les zones franches – zones franches urbaines, zones de revitalisation rurale et zones franches d’activité – bénéficiaient de l’exonération de la part foncière. En revanche, elles étaient soumises à la cotisation sur la valeur ajoutée. Après passage du texte à l'Assemblée nationale, les entreprises sont désormais exonérées des deux.
Nous proposerons, en outre, au cours du débat, un mécanisme de crédit d’impôt afin de garantir que l’aide relative à la taxe professionnelle existante sera intégralement maintenue au titre des zones franches d’activité et des zones franches urbaines.
Monsieur Muller, puisque vous estimez que les grands groupes seront les uniques bénéficiaires de la réforme, permettez-moi de vous donner quelques chiffres. Pour les entreprises dont le chiffre d’affaires est inférieur à 1 million d’euros, la réduction de la taxation par rapport à la taxe professionnelle est de 49 % ; entre 1 et 3 millions d’euros, le gain est de 61 % ; de 3 millions à 7,6 millions d’euros, il est de 26 % et de 14 % au-delà de 7,6 millions d’euros. En moyenne, la réduction est de 23 %.
Autrement dit, affirmer que les grands groupes – par hypothèse, ceux qui réalisent plus de 7,6 millions de chiffres d’affaire par an – sont les principaux bénéficiaires revient à distordre quelque peu la réalité.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais conclure mon propos par quelques indications d’ordre macroéconomiques.
Selon certains intervenants, la comparaison avec d’autres pays n’a pas de quoi nous inciter à pavoiser. Pour en juger, je vous invite tout simplement à regarder quelques chiffres.
En 2009, la France connaîtra une croissance négative de 2,2 %, contre 4,1 % – soit un recul presque deux fois plus important – pour l’ensemble de la zone euro et 5 % pour la seule Allemagne.
En termes d’emploi, nous avons également les meilleurs résultats. D’après les chiffres de la Commission européenne, le nombre de chômeurs a augmenté de 21 %. Après les bons chiffres du début des années quatre-vingt, le taux de chômage avait été au plus bas en mai 2007. Dans la zone euro, la hausse moyenne est de 32 % et de 123 % aux États-Unis. Je vous fais grâce du taux espagnol, encore bien pire !
En ce qui concerne la dette publique, chère à M. Fourcade,…
M. Jean-Pierre Fourcade. Chère, non ! Je trouve surtout qu’elle coûte cher ! (Sourires.)
Mme Christine Lagarde, ministre. Effectivement et, dans ce sens-là, elle nous est chère à tous ! (Nouveaux sourires.)
Quoi qu'il en soit, l’augmentation du rapport dette publique/PIB depuis 2007, date à laquelle nous avons pris nos fonctions, a été, selon les chiffres du FMI, de 19 % en France, contre 30 % en Allemagne, 32 % aux États-Unis, 38 % au Royaume-Uni. Même si ce rapport est en soi assez élevé, du même ordre que celui de l’Allemagne, il reste que son accroissement est sensiblement moins brutal que dans les pays susmentionnés.
Ces résultats ne nous empêcheront pas, cher Alain Lambert, de nous concentrer sur des objectifs précis, en particulier sur la diminution du déficit, notamment du déficit structurel. Nous allons d’ailleurs commencer dès 2010, avec un objectif de diminution du déficit structurel de 0,34 %, étant entendu que le plan de relance sera encore à l’œuvre, puis de 1 % les années suivantes, afin d’atteindre la barre des 3 % en 2014. La Commission européenne estimait au printemps dernier que nous pourrions atteindre ce résultat en 2012, avant de s’apercevoir qu’avec la crise aucun pays n’y arriverait. Nous négocions donc actuellement avec la Commission pour repousser l’échéance d’une année. Éric Woerth et moi-même estimons en effet que ce sera très difficile d’y parvenir dans les délais fixés.
Nous souhaitons évidemment travailler en bonne intelligence avec la Commission et nos partenaires économiques, tant il est vrai que c’est l’Union qui a fait notre force pendant la crise. En tout état de cause, l’évolution de la croissance déterminera la manière et le calendrier selon lesquels nous rétablirons ces équilibres indispensables. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. Jean-Pierre Fourcade. Très bien !
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
Exception d’irrecevabilité
M. le président. Je suis saisi, par Mme Borvo Cohen-Seat, M. Foucaud, Mme Beaufils et M. Vera, d'une motion n°I-135.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi de finances pour 2010, adopté par l'Assemblée nationale (n° 100, 2009-2010).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Thierry Foucaud, auteur de la motion.
M. Thierry Foucaud. Madame la ministre, vous ne pouvez pas dire que le projet de loi de finances pour 2010 garantit la libre administration des collectivités territoriales en leur assurant la libre disposition de leurs ressources. Comme nous l’avons dit lors de la discussion générale, ce texte réduit le droit des élus locaux à lever l’impôt, qui est une composante essentielle de l’autonomie financière des collectivités territoriales, à la portion congrue.
La seule faculté qui sera laissée aux élus locaux sera, en effet, de déterminer les taux d’imposition à la cotisation locale d’activité, soit un élément de ressources nettement plus faible que l’actuelle taxe professionnelle.
Mes chers collègues, avant d’appuyer ma démonstration par d’autres arguments, permettez-moi de faire une citation :
« Le processus de décentralisation, initié dans les années soixante-dix avec notamment l’allégement des tutelles et la globalisation des concours financiers de l’État aux collectivités territoriales, puis relancé et consacré, de manière irréversible, par les lois Defferre de 1982 et 1983, a été, à l’évidence, bénéfique pour notre pays.
« Oxygène de la République, la décentralisation a libéré les initiatives et les énergies locales.
« Elle a, par ailleurs, accru l’efficience de l’action publique grâce aux bienfaits de la gestion de proximité. C’est ainsi, par exemple, que pour l’entretien et la construction des collèges et des lycées, les départements et les régions ont fait plus, mieux et plus vite que l’État.
« De même, c’est la saine et sage gestion financière des collectivités locales qui, en dégageant des excédents budgétaires, a permis à la France d’être dans les “clous de Maastricht” et de se qualifier pour l’euro.
« Enfin, la décentralisation a contribué, même si des progrès restent à accomplir, à donner corps et âme à la démocratie locale à un moment où les inquiétudes suscitées par l’inéluctable mondialisation exacerbent notre besoin d’enracinement.
« Pourtant, force est de constater, vingt ans après les lois Defferre, que la décentralisation, en dépit de son bilan globalement positif, apparaît comme “à bout de souffle”, “au milieu du gué” et surtout “à la croisée des chemins”. »
Ces phrases ne sont pas le fruit d’une réflexion menée par notre groupe, mais sont extraites de l’exposé des motifs – dont chacun ici, j’en suis sûr, se souvient – d’une proposition de loi constitutionnelle déposée il y a quelques années par le président Poncelet. Notons d’ailleurs que cette dernière a été retirée de la liste des textes en attente, au seul motif de l’insertion de ses principales dispositions dans la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 relative à l’organisation décentralisée de la République.
Le projet de loi constitutionnelle en question avait d’ailleurs été largement réécrit à l’occasion du débat parlementaire puisque ce sont les termes de la proposition de loi sénatoriale qui sont devenus l’essentiel du texte finalement adopté.
De fait, nous sommes aujourd’hui dans une situation originale.
En 2003, M. Raffarin, Premier ministre, et M. Poncelet, président du Sénat, ainsi que la plupart des membres de la majorité sénatoriale encore présents aujourd'hui, adhéraient aux propos que je viens de vous lire. Sept ans plus tard, ils jettent aux orties leurs convictions et s’apprêtent à voter sans trop broncher – hormis une petite « fronde » menée par voie de presse – un projet de loi de finances qui encadre tellement les finances des collectivités territoriales que le sens même de la décentralisation se perd dans les sables de la « rupture démocratique » menée par M. Sarkozy et ses partisans.
Que deviendra la coopération intercommunale quand la suppression de la taxe professionnelle aura conduit à réduire la compensation attribuée par le conseil communautaire à chacune des communes membres ?
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Pourquoi « réduire » ?
M. Thierry Foucaud. Sans parler des effets désastreux que cette réforme aura sur les dotations de solidarité communautaires,…
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Elle n’aura aucun effet !
M. Thierry Foucaud. … qui constituaient jusqu’ici la meilleure traduction du partage des fruits du développement économique de chaque territoire communautaire !
Que devient la décentralisation quand les régions perdent quasiment tout pouvoir de fixation de l’impôt et ne disposent plus – car c’est bien ce qui va se passer – que des ressources dédiées par le partage d’une cotisation complémentaire, assise sur la valeur ajoutée, dont l’affectation ne sera décidée qu’au plus haut niveau, par le pouvoir législatif ?
Que devient la décentralisation quand les départements sont placés dans la même situation, alors même qu’ils font déjà, depuis plusieurs années, l’expérience pour le moins douloureuse des transferts de charges non compensés, comme nous le constatons avec le revenu de solidarité active ou encore l’allocation personnalisée d’autonomie ?
Relevons quelques-unes des prises de position affichées à l’époque de la discussion de la loi constitutionnelle.
Voici, par exemple, ce qu’on peut lire dans le compte rendu de l’audition par la commission des trois ministres de l’époque en charge du dossier, MM. Perben et Devedjian et Mme Girardin :
« M. Jean Arthuis, président de la commission des finances, s’est pour sa part interrogé sur la signification du premier alinéa du texte proposé pour insérer un article 72-2 dans la Constitution, observant qu’il semblait affirmer l’autonomie de dépenses des collectivités territoriales, et faire de la libre disposition de ressources la seule garantie de leur libre administration. Il a donc appelé à une clarification.
« En outre, il s’est associé à l’interrogation de M. Bernard Frimat concernant l’interprétation des notions d’autonomie financière et de part déterminante des ressources propres. Il a en effet refusé que des ressources provenant d’une autre collectivité territoriale puissent être considérées comme des ressources propres.
« S’agissant de la péréquation, il a estimé nécessaire de ne pas seulement mentionner les inégalités de ressources, mais également les inégalités de charges. »
De même, lors du débat sur le texte en séance publique, notre collègue Jean-Pierre Fourcade déclarait :
« L’histoire des cinq dernières années est démonstrative : la majorité d’alors a fortement réduit le domaine de responsabilité des élus locaux […] et la jurisprudence du Conseil constitutionnel a laissé faire, qu’il s’agisse du remplacement d’impôts locaux par des dotations budgétaires ou bien des prélèvements multiples sur les recettes fiscales de certaines collectivités.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Eh oui, il y a beaucoup de pailles et de poutres ! (Sourires.)
M. Thierry Foucaud. « Il faut donc élever une barrière : tel est l’objet de l’article 6, dont, pour l’essentiel, j’approuve les dispositions.
« Cette barrière, mes chers collègues, doit être solide, car la pente naturelle des administrations centrales de l’État est de refuser le maintien du lien entre l’élu local et les citoyens qui paient l’impôt, comme elle les conduit à refuser de réformer la fiscalité locale et à remplacer les impôts locaux par des dotations budgétaires. »
Il n’est que de voir comment le RSA ou l’APA sont compensés aux collectivités territoriales pour mesurer combien tout cela a été suivi d’effet ! Mais je vous fais grâce d’une autre citation de M. Fourcade à ce propos.
Tous ces débats furent, en quelque sorte, conclus à Versailles lors de la réunion du Congrès où le Premier ministre d’alors, Jean-Pierre Raffarin, aujourd’hui revenu parmi nous pour nous faire bénéficier de son expérience et de son expertise, indiquait notamment : « Le premier principe est celui d’autonomie financière : les collectivités “disposent librement de leurs ressources, dans les conditions fixées par la loi”.
« Le deuxième, très important, est celui de juste compensation : les transferts seront financés loyalement. Chaque transfert de compétence s’accompagnera du transfert des moyens humains et financiers correspondants. Nous voulons sincèrement rétablir la confiance entre l’État et les collectivités. Le juge constitutionnel empêchera les décentralisations de charges qui n’auront pas été préalablement financées.
« Troisième principe : l’autonomie fiscale. La part des ressources propres des collectivités dans le total de leurs ressources devra être “déterminante”.
« En privilégiant le transfert des recettes fiscales sur celui des dotations, nous responsabiliserons les élus, qui pourront rendre des comptes aux contribuables sur les dépenses financées par l’argent public. Des élus dotés d’une liberté d’initiative, mais qui rendent des comptes aux électeurs, voilà notre conception de la décentralisation. »
Nous sommes aujourd’hui dans un autre cas de figure. Nous sommes face à un projet de loi qui, pour être un projet de loi de finances, n’a évidemment pas la même portée qu’un texte de nature constitutionnelle et comporte des dispositions beaucoup plus précises. Or celles-ci mettent à mal à la fois l’organisation décentralisée de la République et le principe d’autonomie des collectivités locales, deux concepts pleinement constitutionnels.
La répartition de la cotisation complémentaire assise sur la valeur ajoutée prioritairement en faveur des départements et des régions ne marque-t-elle pas le remplacement d’une recette fiscale antérieure par une simple dotation budgétaire qui se révélera très vite insuffisante et ne tardera pas à être aussi « normée » que les autres ?
Que signifie l’encadrement des dotations de compensation de la fiscalité directe locale, tel qu’il est par l’article 16, par rapport à la libre fixation des ressources et au droit de lever l’impôt ?
Le montage juridique douteux de l’article 27 ne montre-t-il pas, que, encore une fois, la charge indûment transférée aux collectivités locales ne sera pas compensée intégralement ?
La création de la taxe carbone ne se traduit-elle pas par une nouvelle ponction obligatoire sur les ressources des collectivités locales ?
Au demeurant, l’encadrement des concours financiers de l’État aux collectivités locales, frappant à la fois dotations budgétaires et compensations fiscales, conduit à mettre en cause le principe de libre autonomie.
Nous avons indiqué que, dans le champ de la fiscalité, où les choses sont déjà fortement encadrées, la cotisation complémentaire échappait totalement au pouvoir des élus locaux de lever l’impôt.
De fait, l’article 2 du projet de loi, même dans la rédaction proposée par le rapporteur général, établit clairement que les règles de définition de la contribution complémentaire des entreprises ne seront plus fixées localement et que tout effort de développement économique local sera pratiquement sans effet sur la situation de ressources de la commune.
Ainsi, les efforts consentis par une collectivité pour attirer une entreprise ou lui offrir des possibilités d’extension de ses activités pourront fort bien se traduire par un accroissement du produit fiscal perçu par une autre collectivité, voire par toutes les autres collectivités !
Des ressources sur lesquelles les élus locaux auront moins de capacité de décision, des dépenses contraintes de plus en plus lourdes – ce qui explique que les départements les plus soumis au versement de l’APA du fait du vieillissement de leur population se retrouvent aujourd’hui en quasi-cessation de paiements –, voilà ce qui est au cœur de ce projet de loi de finances et qui fait de l’article 72-2 du texte constitutionnel une simple déclaration de principe.
À la vérité, ce rappel de quelques données de base pourrait suffire à conduire le Sénat à voter la présente motion et ainsi, à alléger quelque peu le travail parlementaire, singulièrement chargé ces temps-ci. Mais d’autres éléments nous paraissent mériter d’être avancés à l’appui de cette motion.
Ainsi, le principe d’égalité devant l’impôt, inscrit dans le bloc de constitutionnalité par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, est encore une fois battu en brèche. Où est, en effet, l’égalité devant l’impôt quand on crée une taxe carbone dont sont dispensés certains contribuables et pour laquelle certains autres peuvent obtenir une réparation plus élevée que les autres ?
Par exemple, un artisan acquittant la taxe carbone pourra imputer celle-ci sur sa nouvelle cotisation locale d’activité, alors qu’un salarié ne pourra pas bénéficier d’un tel traitement. Quant au remboursement forfaitaire, il est l’illustration parfaite de la disposition qui méconnaît la capacité contributive de chacun.
Une taxe inégalitaire et inégalement remboursée, voilà qui fait beaucoup !
De même, la persistance de dispositifs réservés, pudiquement qualifiés de « niches fiscales », qui ne concernent in fine qu’un nombre très réduit de personnes, comme nous le voyons avec les articles relatifs à l’ISF, montre clairement une nouvelle mise en cause du principe d’égalité.
Enfin, rappelons, même si c’est l’évidence, que la politique financière et fiscale du Gouvernement ne respecte pas ce fondement de la République : la loi se doit d’être l’expression de l’intérêt général.
Pour conclure, nous comptons sur vous, monsieur le président Arthuis, monsieur le rapporteur général, madame la ministre, monsieur le ministre, pour répondre sans détours à l’argument premier qui fonde cette motion : le présent projet de loi de finances met-il, oui ou non, en cause le principe constitutionnel d’autonomie financière des collectivités locales ?
Oserez-vous prétendre que non ? Je n’en doute pas, mais j’attends avec curiosité que vous m’expliquiez pourquoi, ainsi qu’aux milliers d’élus locaux de tous bords qui ont bien perçu l’exercice de recentralisation, de reconcentration devrais-je dire, autour d’une seule institution, d’un seul homme, le Président de la République.
La mise au pas financière des collectivités locales constitue bien une rupture : une rupture au profit de l’exécutif et de son chef, Nicolas Sarkozy. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)