Mme Élisabeth Lamure, rapporteur du groupe de travail constitué par la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, dans la perspective du débat organisé aujourd’hui à la demande de nos collègues du groupe socialiste, le bureau de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire a créé, le 23 septembre 2009, un groupe de travail chargé de faire le point sur l’application de la loi de modernisation de l’économie. C’est en tant que rapporteur des travaux de ce groupe que j’ai l’honneur de m’adresser à vous.
Je tiens tout d’abord à remercier M. Jean-Paul Emorine, président de la commission de l’économie, de son initiative. En effet, faire précéder un débat organisé dans le cadre de la semaine sénatoriale de contrôle de l’action du Gouvernement et d’évaluation des politiques publiques de la mise en place d’un groupe de travail spécifique constitue, à mon sens, une innovation fructueuse. Cela permet de rassembler de nombreux éléments d’analyse pour alimenter le débat. Cette démarche, qui s’inscrit pleinement dans l’esprit de la révision constitutionnelle de 2008, donne donc plus de force et de portée au travail de contrôle parlementaire et mériterait d’être reconduite à l’avenir.
Je précise que le groupe de travail de la commission n’a évidemment pas évalué l’application des 175 articles de la LME, ce qui aurait été une tâche irréaliste compte tenu du peu de temps dont il a disposé. Dans un souci d’efficacité, il a préféré concentrer son attention sur quatre thèmes relevant du champ de compétence propre de la commission de l’économie : la réduction des délais de paiement, la réforme des relations commerciales, la mise en place du régime de l’auto-entrepreneur et la réforme de l’urbanisme commercial.
Sur l’application de ces quatre réformes clefs introduites par la LME, j’ai souhaité, en tant que rapporteur, dresser un bilan réaliste et objectif, fidèle au contenu des auditions conduites. Je reconnais volontiers que ce bilan survient peut-être un peu tôt, car nous ne disposons pas encore de retours d’information exhaustifs. Néanmoins, les données disponibles permettent déjà d’établir un certain nombre de constats intéressants, laissant apparaître, d’un thème à l’autre, un bilan contrasté de l’application de la LME.
J’aborderai tout d’abord la question des délais de paiement. Je rappelle que l’article 21 de la LME plafonne à quarante-cinq jours fin de mois ou soixante jours calendaires, à compter de la date d’émission de la facture, le délai de paiement convenu entre les parties.
Aussi incomplet soit-il, le bilan de l’application de cette disposition est particulièrement encourageant. Les premières études montrent une évolution très positive des délais de paiement. Selon l’étude lancée en 2009 par la Fédération des industries mécaniques, la FIM, les délais client ont été réduits en moyenne de dix-sept jours.
Trente-neuf accords dérogatoires ont été signés, portant sur environ 20 % de l’économie française. Ces accords permettent une transition en douceur pour certains secteurs dans lesquels les délais sont traditionnellement longs, à l’exemple du BTP. Une difficulté se pose cependant dans le secteur du livre, dont les spécificités justifient une exception permanente. L’Assemblée nationale a adopté en ce sens, le 1er décembre dernier, une proposition de loi que le Sénat examinera jeudi prochain.
Au-delà de ce bilan très positif, il est nécessaire d’assurer l’application de la loi et de clarifier l’interprétation de divers points. Ainsi, certaines pratiques doivent être surveillées : plusieurs personnalités rencontrées par le groupe de travail ont évoqué des demandes d’avantages financiers sous forme de remises ou encore l’application extensive ou erronée d’accords dérogatoires. Une clarification apparaît également nécessaire sur l’application de la loi à l’international. Tant en matière de contrôle que d’interprétation, la DGCCRF et la Commission d’examen des pratiques commerciales, la CEPC, ont un rôle essentiel à jouer.
J’en viens à la réforme des relations commerciales, objet des articles 92 et 93 de la LME.
Si les conditions générales de vente demeurent le socle de la négociation commerciale, les conditions particulières de vente sont désormais autorisées sans justification. Le fournisseur et le distributeur doivent signer une convention unique indiquant leurs obligations respectives, les marges arrière entrant dans ce cadre. S’agissant des sanctions, tout « déséquilibre significatif » dans la convention unique est assimilé à un abus.
Alors que le bilan en ce qui concerne les délais de paiement est très positif, il est beaucoup plus nuancé pour ce qui est des relations commerciales. J’aurais même tendance à dire que les relations commerciales ne se sont pas du tout améliorées.
M. Daniel Raoul. Exactement !
Mme Élisabeth Lamure, rapporteur. Les résultats en la matière restent assez difficiles à apprécier. Les marges arrière ont été effectivement réduites : elles sont passées de 32 % à 11 % des prix entre 2008 et 2009, selon les données communiquées par le Gouvernement et confirmées tant par les distributeurs que par la FIM.
L’impact de la LME sur les prix reste cependant difficile à appréhender. Si la baisse des prix des produits de grande consommation a atteint 0,65 % au premier semestre de 2009, l’effet propre de la LME est difficile à mesurer.
Au-delà de ces quelques éléments, les auditions menées par le groupe de travail ont montré que les relations commerciales n’ont pas été réellement améliorées.
Ainsi, les relations entre fournisseurs et distributeurs restent fortement déséquilibrées. Fournisseurs et distributeurs divergent quant à l’interprétation de la loi et des règles en matière de négociabilité des tarifs,...
M. Daniel Raoul. Oui !
Mme Élisabeth Lamure, rapporteur. ... de nombreux abus ont été constatés, comme l’exclusion a priori des conditions générales de vente, la demande de financement de missions relevant des distributeurs, la demande de remises pour compenser la fin des marges arrière.
Une réelle difficulté porte sur l’application de la date du 1er mars prochain pour la conclusion de la convention unique. Nombre de distributeurs ont en effet engagé des renégociations de cette convention.
Face à cette situation, seuls les contrôles et une interprétation unique de la loi doivent permettre d’assurer le respect de la LME et un rééquilibrage des relations commerciales.
Devant les abus, les pouvoirs publics ont d’ailleurs pris leurs responsabilités : la DGCCRF a mené de nombreux contrôles en 2009 sur les conventions uniques. Sur 400 conventions contrôlées, la quasi-totalité comprenait au moins une disposition significativement déséquilibrée. Cela a abouti à l’assignation devant les tribunaux de commerce de neuf enseignes de la grande distribution.
En tant qu’exégète de la loi et observateur des relations commerciales, la CEPC a également un rôle essentiel à jouer afin d’améliorer l’application de la LME.
En matière de relations commerciales, je réaffirme donc que le bilan est nuancé, pour ne pas dire qu’il n’est guère positif, et que le contrôle effectif des pratiques ainsi que, hélas, la répression doivent permettre d’améliorer la situation et de rééquilibrer les relations entre fournisseurs et distributeurs.
Sur la mise en œuvre du régime de l’auto-entreprise, je ferai quatre constats.
Premièrement, le calendrier prévu a été tenu. La réforme est entrée en vigueur au 1er janvier 2009, avant de s’étendre progressivement à une gamme de plus en plus large de publics. Ce succès s’explique par l’adoption rapide des textes d’application. Il s’explique aussi par la forte mobilisation des institutions chargées d’accompagner les auto-entrepreneurs, qu’il s’agisse de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale, l’ACOSS, du régime social des indépendants, le RSI, de la Caisse interprofessionnelle de prévoyance et d’assurance vieillesse, la CIPAV, ou de l’Agence pour la création d’entreprise. Il faut saluer le travail réalisé, car, si le régime micro-social facilite grandement la vie des créateurs d’entreprise, il crée en contrepartie une charge de gestion assez lourde pour tous ces organismes.
Deuxièmement, ce nouveau régime a exercé un effet positif sur la création d’entreprise. Les chiffres ont été largement médiatisés : 528 000 entreprises ont été créées au cours des onze premiers mois de l’année 2009, contre 327 000 en 2008. Sans remettre en cause le dynamisme de la réforme, je souligne cependant que les chiffres annoncés doivent être interprétés avec nuance et trois bémols me semblent mériter d’être apportés.
Tout d’abord, il existe une majorité d’auto-entreprises dormantes puisque les deux tiers d’entre elles n’avaient toujours pas déclaré de chiffre d’affaires au troisième trimestre de 2009. Sans doute aurez-vous des précisions à nous fournir sur ce point, monsieur le secrétaire d'État.
Mme Élisabeth Lamure, rapporteur. Ensuite, pour des raisons liées au circuit de recueil des statistiques, les chiffres des créations d’auto-entreprises sont certainement légèrement surestimés. Il faudra attendre que l’INSEE et l’ACOSS consolident leurs données pour connaître exactement l’ampleur de cette surestimation, ce qui prendra probablement quelques mois.
Mme Élisabeth Lamure, rapporteur. Enfin, les auto-entreprises se substituent en partie aux entreprises individuelles classiques, dont les créations ont fortement baissé en 2009. Il faut tenir compte d’un effet de vases communicants entre les différents régimes de l’entreprise individuelle au profit de l’auto-entreprise.
Troisièmement, le succès de l’auto-entreprise s’appuie sur une véritable demande sociale. Les auto-entrepreneurs plébiscitent ainsi le fait que l’auto-entreprise permet de compléter les revenus grâce aux possibilités de cumul entre salariat, retraite et activité indépendante. D’après les sondages à notre disposition, environ une auto-entreprise sur deux aurait été créée pour exploiter ces possibilités de cumul.
L’auto-entreprise est également plébiscitée parce qu’elle permet de tester un projet sans risque financier. C’est ce qu’affirment les deux tiers des auto-entrepreneurs. La moitié d’entre eux reconnaissent même qu’ils n’auraient pas créé leur entreprise sans ce régime.
En outre, au-delà de son caractère rassurant et simple, le régime de l’auto-entreprise est bien accueilli pour une raison quasiment sociétale, à savoir qu’il institue concrètement un « droit à entreprendre ». L’auto-entreprise est en effet le symbole et le moyen d’une certaine autonomie individuelle dans la vie professionnelle. Elle ouvre réellement à tous la liberté d’entreprendre.
Quatrièmement, enfin, un an après ses débuts, l’auto-entreprise suscite encore un certain nombre de questions, sinon d’inquiétudes. Il ne faut ni les nier ni les exagérer, mais il convient de rester attentif pour effectuer les corrections qui pourraient s’avérer utiles.
Ces questions portent principalement sur deux points. Le premier concerne les accusations portées par les organisations représentant les entreprises de l’artisanat sur le thème de la concurrence déloyale. Le second a trait à la concurrence qui pourrait se développer entre le salariat et la sous-traitance auto-entrepreneuriale, des salariés étant de plus en plus remplacés par des sous-traitants auto-entrepreneurs ; une telle substitution est illégale dans un certain nombre de cas et il convient de rappeler que la forme juridique normale d’une relation de subordination est le contrat de travail.
Au-delà des craintes relatives à ces abus, la sous-traitance est une pratique tout à fait licite et l’on peut très bien envisager que les entreprises utilisent en toute légalité le régime de l’auto-entreprise pour externaliser vers des sous-traitants des tâches jusqu’alors réalisées en interne.
Pour l’instant, il n’y a pas de données claires montrant qu’un tel processus soit massivement en cours, mais c’est une question qu’il faut suivre de près.
Pour terminer sur l’auto-entreprise, je me permettrai de formuler trois recommandations.
D’abord, le Gouvernement doit fournir très vite un rapport économique et social sur les auto-entrepreneurs afin que l’on sache vraiment qui ils sont, ce qu’ils font, combien d’emplois et quelle valeur ajoutée sont réellement créés, quel est l’impact sur le monde de l’artisanat, sur les comptes sociaux et sur les pratiques de gestion de la main-d’œuvre des entreprises.
Mme Nicole Bricq. Très bien !
Mme Élisabeth Lamure, rapporteur. Ensuite, il faut renforcer l’information sur le caractère illégal et les risques des pratiques visant à donner de manière abusive à une relation salariale la forme d’une relation commerciale de sous-traitance.
Mme Nicole Bricq. Très bien !
Mme Élisabeth Lamure, rapporteur. Enfin, il faut développer un accompagnement et une formation des auto-entrepreneurs. À cet égard, je me réjouis qu’une des préconisations de mon rapport soit déjà devenue une réalité.
M. Charles Revet. Très bien !
Mme Élisabeth Lamure, rapporteur. Grâce à votre initiative, monsieur le secrétaire d’État, deux mesures doivent entrer en vigueur dès le 1er avril prochain : d’une part, l’attestation de qualification professionnelle avant toute création d’entreprise dans le domaine artisanal ; d’autre part, l’obligation d’inscription au répertoire des métiers pour les auto-entrepreneurs ayant une activité artisanale à titre principal. Ces mesures permettront aux auto-entrepreneurs les plus dynamiques de passer à un statut à la fois plus favorable au développement économique et plus égalitaire.
En outre, je tiens à saluer l’annonce de la création cette année, en toute cohérence avec le régime de l’auto-entrepreneur, de l’entreprise individuelle à responsabilité limitée, qui permettra de protéger le patrimoine personnel des artisans en cas de faillite. Cette réforme est attendue depuis plus de vingt ans par l’artisanat et je me félicite, monsieur le secrétaire d’État, que vous ayez su entendre cette demande.
J’en viens, enfin, à la question de l’urbanisme commercial.
Mon premier constat porte sur le rôle des commissions départementales d’aménagement commercial, les CDAC : leur mission n’est pas claire. Quatre points cristallisent les critiques.
Premièrement, leur composition et leurs règles de décision. La présence d’une personnalité qualifiée en matière de consommation ne va pas de soi dès lors que l’impact économique du projet n’a pas à entrer en ligne de compte. De même, placer la voix des personnalités qualifiées, qui sont nommées, sur le même pied que celle des élus locaux est discutable.
Deuxièmement, le rôle et les critères de décision des CDAC ne sont pas aussi bien définis que ceux des anciennes commissions départementales d’équipement commercial, les CDEC. Il n’y a pas de critères ni de normes partagés pour définir les exigences minimales à respecter en matière de développement durable et d’aménagement du territoire. Les CDAC risquent ainsi de ne plus se prononcer que pour dire « oui ».
Troisièmement, la notion de seuil de saisine perdure alors que ce n’est peut-être pas l’outil adéquat pour appréhender l’impact du commerce sur les territoires. Notre regretté collègue député Jean-Paul Charié proposait de remplacer le critère de la surface par celui de l’envergure des commerces. C’est une idée qui mérite d’être creusée.
Quatrièmement, les équipements commerciaux effectivement construits ne sont pas tenus d’être conformes aux projets qui ont été préalablement présentés et validés par les CDAC, de sorte que les décisions des CDAC risquent de rester lettre morte.
Mon deuxième constat relatif à la réforme de l’urbanisme commercial porte sur l’absence d’outil statistique permettant d’évaluer l’impact de la libéralisation des implantations commerciales. On ne sait pas comment évolue la carte commerciale, ce qui donne lieu à des rumeurs alarmistes évoquant une multiplication des installations d’équipements dont il est impossible de vérifier la réalité. On ne sait pas non plus quel est l’impact sur la concurrence et sur les prix. Nous avons donc besoin d’un outil de mesure adapté pour appréhender les effets de la réforme.
Je précise toutefois que la réforme de l’urbanisme commercial est une réforme structurelle et qu’il ne faut sans doute pas s’attendre à ce qu’elle produise des effets significatifs en peu de temps ; plusieurs années seront nécessaires pour qu’on observe une évolution notable de la cartographie commerciale.
Enfin, et c’est mon troisième constat, l’intégration de l’urbanisme commercial à l’urbanisme reste inachevée. En effet, la réforme de l’urbanisme commercial par la LME était transitoire : un texte sur ce thème devait être adopté très promptement. Les outils créés par la LME ne sont donc pas opérationnels et beaucoup de questions restent en suspens : que peut comporter exactement le document d’aménagement commercial d’un SCOT ? Les prescriptions et le zonage du volet commercial d’un SCOT s’imposent-ils aux PLU et, au-delà, aux autorisations d’urbanisme ? Quels sont les liens entre le volet commercial d’un SCOT et les CDAC ? Le Grenelle II comporte une avancée importante dans ce domaine mais ne peut remplacer une réforme d’ensemble cohérente.
Dans ces conditions, je formulerai deux recommandations.
D’une part, il faut mettre en place dans les plus brefs délais un outil d’observation des équipements commerciaux permettant d’établir un bilan objectif de la LME.
D’autre part, il faut élaborer rapidement un texte sur l’urbanisme commercial, c’est-à-dire non pas un texte sur le commerce, mais un texte sur l’urbanisme. En effet, si l’urbanisme commercial était jusqu’à présent avant tout affaire de commerce, il devra à l’avenir être avant tout affaire d’urbanisme.
À ce sujet, je me réfère aux éléments extrêmement intéressants contenus dans les travaux de Jean-Paul Charié ou dans la contribution du Club des SCOT, dont je retiens trois suggestions très simples.
Selon la première, il conviendrait de préciser et de renforcer le pouvoir d’encadrement de l’activité commerciale par le SCOT et le PLU.
La deuxième suggestion est de donner aux élus locaux la capacité de contrôler les changements d’activité commerciale.
La troisième consiste à faire du permis de construire le seul instrument d’autorisation de construction de nouveaux commerces. Il serait délivré, bien sûr, après conformité aux règles d’urbanisme des PLU, eux-mêmes conformes aux SCOT, qui intègrent les fameux DAC, les documents d’aménagement commercial.
Il s’agit là, sinon de propositions, du moins de pistes à étudier, qui préfigurent en quelque sorte une réforme de l’urbanisme
Voilà, monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les principales conclusions du groupe de travail sur l’application de la LME, ainsi que quelques conclusions personnelles. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Odette Terrade.
Mme Odette Terrade. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le bilan sur quelques thèmes de la loi de modernisation de l’économie montre encore une fois que la relance de la concurrence comme levier de la croissance, la déréglementation des activités économiques, les exonérations fiscales et sociales, pourtant chères à ce gouvernement, sont inopérantes pour garantir la vitalité économique de notre pays et créer des emplois.
La LME n’a pas su enrayer la flambée du chômage ni l’apathie de l’activité économique, notamment celle du secteur industriel. Ce bilan négatif est le résultat plus global des politiques conduites par les gouvernements de droite depuis de trop nombreuses années.
Les mauvais résultats de l’économie française et les conséquences sociales dramatiques qui en découlent ne s’expliquent pas seulement par la loi de modernisation de l’économie ; celle-ci constitue un exemple parmi d’autres de l’incapacité des politiques gouvernementales à éviter les crises sociales et économiques que traverse notre pays et à les gérer.
L’organisation d’un débat parlementaire sur le bilan, même partiel, de la LME est donc une bonne chose s’il permet au Gouvernement de tirer les conséquences de cet échec.
Le champ des thèmes retenus est assez restreint au regard de celui de la loi, qui est immense, il est vrai. Quoi qu'il en soit, je regrette que l’on n’ait pas choisi d’évoquer la question du crédit à la consommation, crédit nécessaire à nos concitoyens aux revenus les plus modestes, d’autant plus que, dans cette période de crise, le Gouvernement n’a pas su tenir ses promesses d’augmentation du pouvoir d’achat.
Ici, se pose la question des crédits permanents, dits revolving, dont il semble si difficile de s’extraire et qui aggravent encore la situation de personnes en grande précarité. Selon la Banque de France, « dans 70 % des dossiers, […] la part des personnes en situation de surendettement dont les revenus sont inférieurs ou égaux au SMIC est en augmentation ». Cette question aurait mérité toute notre attention.
J’en viens maintenant à l’analyse des domaines soumis au bilan.
Le titre de la première partie du rapport est prometteur puisqu’il évoque « un premier bilan très positif de la réforme des délais de paiement ». Cependant, le ton optimiste de notre rapporteur ne résiste pas au contenu même de l’examen au fond, ainsi que Mme Lamure vient de l’expliquer.
Ainsi, on peut s’interroger sur la nécessité d’une telle réforme puisque, sans y être encore soumis, un grand nombre d’acteurs économiques l’auraient anticipée.
Au regard des données disponibles, notamment de celles délivrées par l’Observatoire des délais de paiement, on constate une baisse relative des délais de paiement. De plus, on a assisté à la signature d’un grand nombre d’accords dérogatoires.
Or la LME se dispense totalement de régler la question de l’après-dérogation. Le législateur a posé une règle, assortie d’une limite temporelle – le 1er janvier 2012 – en ce qui concerne la possibilité de dérogation au plafond, en reportant à plus tard les problèmes posés par la spécificité de certains secteurs.
La proposition de loi relative aux délais de paiement des fournisseurs dans le secteur du livre, par exemple, qui sera examinée cette semaine par le Sénat, montre à quel point les problématiques sont pointues. Il reste que cette tendance à légiférer en faisant de la règle l’exception pose un problème tant elle porte atteinte à la clarté du régime juridique applicable aux différents contrats.
Je reviendrai plus particulièrement sur deux questions abordées par le rapport.
En premier lieu, la réduction des délais de paiement avait été initialement prévue pour améliorer les conditions de trésoreries des entreprises. Cet objectif n’a été que partiellement atteint. Cela s’explique notamment par l’impact différent de la loi sur la réduction des délais de paiement des fournisseurs et des délais de paiement des clients.
Cet échec de la réforme est d’autant plus regrettable que la question de la trésorerie des entreprises est un élément fondamental de leur vitalité et que les politiques gouvernementales n’ont pas su régler les difficultés récurrentes rencontrées par les petites et moyennes entreprises dans leurs relations avec les établissements bancaires.
Or, pour un tiers environ des chefs d’entreprise, c’est encore et toujours l’accès au crédit bancaire qui est source de difficultés et menace le développement de l’activité ainsi que, souvent, le maintien des emplois et la survie même de l’entreprise.
En second lieu, le rapport pose la question de « la compatibilité de certains avis avec l’esprit de la LME ». En effet, la CEPC indique, tout comme la DGCCRF, que, « si l’obligation légale d’ordre public n’a pas à donner mécaniquement lieu à une compensation au premier euro, elle ne l’interdit pas », ajoutant que « la question des délais de paiement peut toujours être prise en compte dans les négociations commerciales ».
Votre critique, madame le rapporteur, est selon nous injustifiée. Les instances visées font une juste interprétation de la législation telle qu’elle a été voulue par la majorité. Nous avions, nous, dénoncé les pratiques abusives qui pouvaient naître de la réglementation sur les délais de paiement, quand la même loi étendait la libre négociabilité des conditions générales de vente et instaurait la discrimination tarifaire.
S’ils étaient prévisibles, les comportements abusifs dont le rapport fait état sont néanmoins inquiétants de par leur contenu même et de par leur ampleur. Cela pose évidemment la question des moyens de contrôle en termes de personnels, mais également en termes d’effectivité du contrôle, tant les pressions peuvent être grandes sur les acteurs économiques les plus faibles.
Cela nous amène tout naturellement à la deuxième partie du rapport relative à « l’impact limité de la loi LME sur les relations commerciales ». Dans ce domaine, l’échec est patent.
Nous avions pointé du doigt les dangers de la réglementation prévue par le projet de loi de modernisation de l’économie. En effet, la législation a fait table rase des quelques garde-fous qui subsistaient encore dans le code de commerce, notamment dans son article L. 441-6, pour tenter d’encadrer le grave déséquilibre de la relation commerciale entre fournisseur, centrale d’achat ou distributeur.
Il aurait été illusoire de croire que la loi de modernisation de l’économie pouvait encadrer les marges arrière, tout en prônant la libre négociation des conditions générales de vente et en autorisant la revente à perte.
En consacrant, dans les relations commerciales, l’opacité ou la discrimination tarifaire, la législation n’avait pas su lever l’inquiétude chez les professionnels, sauf chez les grands distributeurs, qui se félicitaient d’un dispositif taillé sur mesure pour eux.
Aujourd’hui, le bilan de ces dispositions n’a rien d’étonnant. Selon les informations fournies par le ministère, les marges arrière auraient très fortement diminué. Si cela se vérifie, comment expliquer que la baisse des prix n’ait pas été au rendez-vous et que les fournisseurs ou producteurs n’aient pas vu leurs rémunérations augmenter ?
La crise traversée par le secteur laitier en particulier et par le monde agricole en général montre à quel point les relations entre producteurs, fournisseurs et distributeurs sont opaques et déséquilibrées.
M. Gérard Le Cam. C’est vrai !
Mme Odette Terrade. Pour un lait de grande marque, entre le prix de vente obtenu par le producteur et le prix d’achat acquitté par le consommateur dans les rayons, l’écart va en moyenne de 1 à 3 !
Alors que l’écart entre les prix agricoles et les prix en rayon ne cesse de se creuser depuis deux décennies, une lettre commune des consommateurs et des représentants des agriculteurs a été adressée voilà presque un an au ministre des finances et au ministre de l’agriculture, à qui revient la tutelle conjointe de l’Observatoire des prix et des marges, pour que toute la lumière soit enfin faite sur le processus de formation des prix alimentaires.
Force est de constater que l’opacité est toujours de mise ! Les prix alimentaires continuent d’augmenter, et le revenu agricole de diminuer.
La Commission des comptes de l’agriculture de la nation s’est réunie le 14 décembre pour examiner les comptes prévisionnels de l’agriculture française pour l’année 2009. Le revenu agricole moyen par actif connaît, déduction faite de l’inflation, une baisse de 34 % pour l’ensemble de la branche et de 32 % pour les exploitations professionnelles.
Face à cette situation, les consommateurs ne voient pas leur pouvoir d’achat augmenter, bien au contraire.
Un constat tout aussi négatif peut être dressé chez les autres fournisseurs : la loi de modernisation de l’économie a produit, sans surprise, les effets pervers que l’opposition avait vivement dénoncés lors de son examen. Pour la Confédération générale des petites et moyennes entreprises, avec cette déréglementation des relations commerciales, les « PME fournisseurs de la grande distribution sont donc plus que jamais victimes d’un rapport de force défavorable que la crise actuelle accentue ».
Les abus entraînés par une réglementation permissive en faveur des acteurs économiques les plus forts sont graves. Face à ces pratiques condamnables, Mme le rapporteur se veut rassurante, expliquant dans son rapport d’information que les « pouvoirs publics ont pris leurs responsabilités afin de faire respecter la LME » et que « les brigades LME mises en place au sein de la DGCCRF ont ainsi effectué de nombreux contrôles sur le terrain ».
Or ces contrôles sont mis à mal par celui-là même qui a donné la lourde mission de garantir un certain équilibre dans les relations commerciales : le Gouvernement. En effet, la mise en œuvre de la révision générale des politiques publiques met en péril les capacités d’intervention de cette administration de contrôle. La nouvelle localisation des services d’enquête dans les DIRECCTE – directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l’emploi –, qui sont en train d’être créées, induira à l’évidence une réduction de la proximité des enquêteurs vis-à-vis des opérateurs économiques et un tel éloignement sera préjudiciable à la bonne exécution de leurs missions.
Par ailleurs, la DGCCRF voit ses possibilités d’intervention limitées encore davantage du fait de la baisse massive de ses effectifs. Le plan de réduction des emplois touche plus particulièrement les petits départements, laissant le champ libre aux pratiques illicites des grandes enseignes. Les personnels de la DGCCRF nous ont écrit pour dénoncer cette remise en cause de l’exercice de l’ensemble de leurs missions, notamment des enquêtes utiles à la vérification du respect de la LME. Monsieur le secrétaire d'État, vous qui comptez sur eux pour agir en ce sens, quelle réponse allez-vous leur apporter ?
J’en viens maintenant à la question de la mise en œuvre du régime de l’auto-entrepreneur.
Il semblerait que l’on ait assisté à une création importante d’auto-entreprises sur le papier, des entités virtuelles en quelque sorte. Mais, en réalité, le chiffre serait gonflé artificiellement,…