Mme Odette Terrade. … du fait des méandres administratifs. En effet, une large majorité d’entre elles n’auraient aucune activité. Selon Mme le rapporteur, « une partie des auto-entreprises n’a fait que se substituer à des créations d’entreprises individuelles qui auraient de toute façon eu lieu ».
La LME se heurte donc aux difficultés économiques que les politiques gouvernementales n’ont pas résolues par ailleurs. Elle n’a su produire que des acteurs économiques de papier, sans activité, a mis à mal le principe d’égalité devant l’impôt et a encouragé le développement de très petites entreprises d’opportunité, sans résoudre aucunement le problème de la création d’entreprise.
Nous avions dénoncé les effets pervers du statut d’auto-entrepreneur, qui risque d’encourager le travail au noir et de fausser la réalité en cachant certains salariés sous le masque de travailleurs indépendants. Le Gouvernement avalise ici les situations difficiles, de plus en plus courantes, dans lesquelles les salariés mal payés se trouvent contraints d’exercer une deuxième activité.
Outre ce bilan économique et social négatif, le régime de l’auto-entreprise suscite des inquiétudes légitimes parmi les professionnels du secteur artisanal.
Toutes ces critiques se font également entendre jusque dans les rangs de la majorité. Lors de l’examen du projet de loi de finances rectificative pour 2009, le président de la commission des finances du Sénat a ainsi souligné le risque de voir, d’un côté, progresser l’économie clandestine et, de l’autre, des auto-entrepreneurs renoncer à leur activité. Sur le terrain, expliquait-il, les artisans, qui sont soumis, eux, à des contraintes particulières, peuvent légitimement s’inquiéter d’une concurrence peu loyale. La critique générale du statut instauré par la loi LME et son bilan négatif devraient inciter le Gouvernement à en tirer les conséquences et à revenir sur les dispositions votées.
Le dernier thème examiné par le groupe de travail sur l’application de la LME est l’urbanisme commercial.
Nous avons, il y a peu de temps, évoqué cette question à propos de la situation urbanistique déplorable des entrées de villes. Disons-le clairement : la majorité a voté un texte instaurant une véritable déréglementation des implantations commerciales. En particulier, le plus grand flou règne sur la situation des équipements dont la surface est inférieure à mille mètres carrés. il ne faut pas s’en étonner, car ce risque était en germe dans la loi.
Nous souhaitons donc, comme Mme le rapporteur, que le Gouvernement mette en place un outil d’observation des équipements commerciaux.
Nous restons, quant à nous, très circonspects sur cette réforme de l’urbanisme commercial, en raison notamment de son effet néfaste sur l’organisation de nos villes et sur la pérennité du petit commerce de proximité.
Monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, aucun des quatre domaines retenus pour faire l’objet de ce débat ne présente un bilan positif. On aurait pu en sélectionner d’autres et arriver, sans grand suspense, à la même conclusion : il n’est qu’à voir la colère des salariés de l’INSEE et de RFI, ou la situation du logement social après la banalisation du livret A.
Les différentes politiques menées par le Gouvernement, les multiples lois qu’il a fait voter pour les promouvoir, que ce soient la loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, la loi pour le développement de la concurrence au service du consommateur ou la loi de modernisation de l’économie, ont été génératrices de plus d’inégalité, de pauvreté et de précarité.
Aujourd’hui, au travers de ce débat, nous faisons le constat d’un double échec, non seulement de ce qui nous était annoncé comme une grande réforme, mais aussi, plus globalement, de la politique économique engagée par le Gouvernement. Pour notre part, nous le regrettons vivement ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Claude Biwer.
M. Claude Biwer. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, en ce temps de morosité économique, la France a besoin de créer des emplois, donc d’encourager la création d’entreprises. Les Français attendent – peut-être à tort, d’ailleurs – que l’État défende leur pouvoir de consommer moins cher et qu’il cherche à concilier, dans le secteur de la distribution, un certain équilibre entre fournisseurs et distributeurs. La loi de modernisation de l’économie avait pour objectif d’apporter des réponses sur ces sujets. Je formulerai à son propos une appréciation en demi-teinte.
La réduction des délais de paiement était assurément nécessaire. Elle aura permis de donner un peu de souplesse aux entreprises en termes de trésorerie. Il faut souhaiter que le nombre d’accords dérogatoires, qui couvrent 20 % de l’économie française, diminue significativement, sans quoi la portée de la règle serait anéantie par le poids des exceptions. En outre, il semble indispensable que les pratiques de « commercialisation » de la réduction des délais sous la forme de ristournes soient fermement sanctionnées. Nul ne doit pouvoir régulièrement bénéficier d’un avantage financier au seul motif qu’il se conforme à la loi.
Le régime de l’auto-entrepreneur constitue par ailleurs un apport majeur, sur lequel je souhaiterais insister aujourd’hui.
D’un point de vue purement quantitatif, son succès est indéniable, sans doute parce qu’il apporte des réponses adéquates à des problèmes identifiés. Outre la réduction du « travail au noir », la simplicité des déclarations et du régime applicable à ce nouveau statut est un progrès substantiel : le créateur d’entreprise n’aura peut-être plus à emprunter ce labyrinthe administratif, institutionnel, juridique et fiscal, dans lequel s’égarent tant de porteurs de projet.
Je souhaite donc que le succès quantitatif du nouveau régime soit l’occasion de soulever une réflexion de fond sur la simplification des démarches des entreprises, notamment au moment de leur création, afin de les rendre plus en phase avec le rythme des entrepreneurs.
Je note dans le très bon rapport de Mme Lamure que les chambres consulaires voient ce nouveau statut d’un mauvais œil. Il a en effet engendré une baisse importante – de 30 % – des inscriptions au répertoire des métiers et, parallèlement, du nombre des participants aux prestations qu’elles proposent.
Cependant, il ne faut pas, me semble-t-il, se focaliser sur les accusations de « concurrence déloyale » portées contre les auto-entrepreneurs. Les chambres consulaires, plutôt que de céder à la défiance, devraient plutôt prendre ce nouveau statut comme une opportunité pour elles de s’ouvrir et de coopérer. Ainsi, les chambres de commerce et d’industrie et les chambres de métiers et de l’artisanat pourraient proposer leurs prestations – quitte à les adapter – à ce nouveau type d’entrepreneurs, en vue de les accompagner dans la professionnalisation.
En ce sens, il serait souhaitable que le statut soit éventuellement limité au temps de la création d’entreprise et du démarrage de l’activité, c'est-à-dire environ deux ans après l’inscription. C’est d’ailleurs ce que j’avais proposé dans un amendement lors de l'examen du texte.
Les premiers mois d’application de la LME ont au moins ce mérite de soulever, de manière générale, l’appétit des entrepreneurs pour des régimes et des démarches simples, pour une liberté accrue.
Il est primordial d’accorder une importance majeure à cette préoccupation : aujourd’hui, la tendance aux « parcours fléchés » de la création d’entreprise comme les délais d’instruction extrêmement longs pour les demandes d’aide publique en la matière, du type FISAC, par exemple, alourdissent la marche de notre économie et déroutent nombre d’entrepreneurs. Peut-être devrait-on envisager un relèvement du plafond de chiffre d’affaires pour l’obtention du statut d’auto-entrepreneur ?
En ce qui concerne l’urbanisme commercial, l’objectif du Gouvernement était clair : mettre en place de nouvelles règles du jeu dans la grande distribution pour augmenter la concurrence et défendre le pouvoir d’achat ; en d’autres termes, favoriser l’implantation du hard discount afin de concurrencer les grandes surfaces déjà implantées.
Les dispositions relatives au rôle des commissions départementales d’aménagement commercial ne semblent pas suffisantes, mais les instruments d’évaluation à cet égard n’existent toujours pas.
Quant à l’absence d’un urbanisme commercial réellement cohérent, elle relève d’une problématique à part entière. De ce point de vue, la proposition de loi relative à l’amélioration des qualités urbaines, architecturales et paysagères des entrées de villes, votée récemment par le Sénat, constitue l’ébauche d’une première réponse.
J’en viens à présent à la disposition qui concerne les relations commerciales, l’une des plus importantes de la LME dans la mesure où elle avait pour objectif de favoriser un environnement plus concurrentiel propre à redonner du pouvoir d’achat aux consommateurs.
Ma conviction n’a pas changé par rapport à ce que j’avais déclaré lors de la discussion générale du texte : quelle que soit la sophistication des dispositions législatives – conditions générales ou particulières de vente, sanction des abus dans les relations commerciales –, à partir du moment où les fournisseurs négocient avec cinq centrales d’achat hyperpuissantes, les relations sont structurellement déséquilibrées. Comme je l’avais souligné, « certaines dérives, bien connues, risquent de se poursuivre, le cas échéant, d’ailleurs, sous d’autres formes ».
Le président de la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale a lui-même reconnu récemment que la LME était contournée par des méthodes inacceptables, appliquées dans les relations entre distributeurs et agriculteurs. En ce sens, la portée de cette loi ne me semble pas de nature aujourd’hui à régler la question sur le fond.
Certes, l’assignation devant les tribunaux de neuf enseignes de la grande distribution pour des pratiques abusives est une action forte de l’État. Les griefs ne manquant pas, espérons que le zèle des pouvoirs publics en la matière perdurera.
Je tiens d’ailleurs à saluer l’action de la Commission d’examen des pratiques commerciales et la mise en place, au sien de la DGCCRF, des « brigades LME ». Je suis même favorable à la création d’une commission d’enquête parlementaire qui pourrait œuvrer aux côtés de ces instances pour faire toute la lumière sur les pratiques au sein du secteur. Disant cela, je ne fais que rappeler l’objet d’une proposition de loi que j’avais déjà déposée en 2004.
L’essai n’a pas été transformé, mais je compte sur vous, monsieur le secrétaire d'État, pour apporter, dans le domaine de la création d’entreprise, un peu d’air au fonctionnement de notre économie. Comprenez mon scepticisme sur le sujet des relations commerciales : peut-on promettre aux Français de consommer plus et moins cher sans détériorer l’équilibre de la chaîne commerciale ? Le coût de la politique du pouvoir d’achat ne saurait en effet être supporté par les seuls fournisseurs de base, à savoir les agriculteurs, artisans ou industriels, au risque de fragiliser les deux grands secteurs de notre économie. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Bariza Khiari.
Mme Bariza Khiari. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la loi de modernisation de l’économie avait été une véritable épreuve parlementaire pour tous les groupes politiques. Nous avions travaillé sérieusement, procédant à plus d’une centaine d’auditions sur plusieurs mois, sous la houlette du président de la commission spéciale, Gérard Larcher. Mais le texte a été débattu dans l’urgence, et dans des conditions difficiles. Alors que le projet de loi comptait, au départ, une trentaine d’articles, nous en avions, à l’arrivée, plus de cent vingt, de nature fort disparate.
Dix-huit mois nous séparent de ce vote et de l’entrée en vigueur des plus importantes dispositions de ce texte. Un premier bilan était indispensable. À cet égard, les travaux du groupe de travail d’évaluation de la LME ont été conduits, sous la direction de Mme Élisabeth Lamure, dans la sérénité nécessaire au contrôle parlementaire ; soyez-en, madame le rapporteur, très sincèrement et très chaleureusement remerciée.
Le rapport délivré est fidèle aux auditions qui ont été menées. Des recommandations importantes ont été faites, et c’est avec honnêteté que les dysfonctionnements de la LME y ont été consignés.
Ce travail d’évaluation, fait à la demande du groupe socialiste par notre collègue Nicole Bricq, est d’autant plus nécessaire que le premier bilan gouvernemental de la loi, datant de juillet dernier, manquait sérieusement de nuances.
Toutefois, le groupe socialiste n’a pas souhaité voter en faveur du rapport tant les objectifs initiaux de la loi, « créer des emplois et faire baisser les prix », ont manqué au rendez-vous.
Je tenais, quoi qu’il en soit, à remercier Mme Lamure de la manière dont elle a dirigé ce groupe de travail et à saluer le rapport qui en est résulté.
Les principaux objectifs de cette loi, générer de la croissance, de l’emploi et du pouvoir d’achat, n’ont donc pas été atteints. Cela ne constitue en rien une surprise pour nous : nous l’avions dit, répété, martelé !
En revanche, lors des débats, le groupe socialiste avait soutenu l’objectif de réduction des délais de paiement. C’est le point positif relevé à juste titre par notre rapporteur. Des difficultés liées à la compétitivité de nos entreprises demeurent en matière d’application des délais de paiement à l’international. Par ailleurs, l’application des accords dérogatoires temporaires peut parfois être fastidieuse. Il n’en demeure pas moins que, dans sa globalité, cette mesure était attendue et bien venue.
J’avais, à l’occasion de nos débats, évoqué la situation particulière des librairies et souligné l’inadaptation de cette mesure au monde de l’édition, en particulier, mais aussi à certains autres secteurs de l’économie. Le secteur du livre devrait prochainement bénéficier d’une mesure dérogatoire permanente, fidèle à l’esprit de l’exception culturelle française, et je m’en réjouis. Je m’interroge toutefois sur le sort des trente-sept autres branches professionnelles dont le régime dérogatoire est temporaire.
La dérogation permanente prévue pour le livre par la proposition de loi de M. Hervé Gaymard doit-elle relever de l’exception ? Pour Mme le rapporteur, « afin de ne pas nuire à la portée de la LME, aucune autre dérogation à la loi ne doit être accordée ». Je pense, au contraire, qu’il est important que la réglementation s’adapte aux spécificités des secteurs économiques, qui ne sont pas uniformes et nous examinerons avec attention l’analyse de la DGCCRF consacrée aux délais de paiement dans les secteurs concernés par l’accord dérogatoire.
Si, au regard de ce bilan d’étape, d’autres dérogations doivent être prolongées, il me semble qu’il serait néfaste de les écarter d’emblée, par pur esprit de système.
Le crédit interentreprises s’était fortement développé, se substituant pratiquement au crédit bancaire. Les sommes en jeu étaient considérables. Au moment de l’examen du projet de loi de modernisation de l’économie, l’Observatoire des délais de paiement les chiffrait à 600 milliards d’euros, ce qui représentait un « mode de financement privé » à intérêt zéro dont le montant est égal à quatre fois celui qui est prodigué par les institutions bancaires.
Ces chiffres nous permettent de mesurer l’ampleur du problème, car la longueur des délais de paiement révèle un déséquilibre du rapport de force entre parties prenantes ou, pour le dire autrement, des comportements abusifs. Il faut donc continuer dans cette voie et se féliciter qu’un tel effort ait été engagé, même si les obstacles et résistances demeurent nombreux.
Il me semble également urgent de s’attaquer aux contreparties abusives exigées lors des accords de réduction des délais de paiement. Ces pratiques risquent d’être, au final, contre-productives si elles conduisent à faire peser de nouvelles contraintes sur ceux qui bénéficient de la réduction des délais de paiement.
En effet, certains distributeurs demandent, contournant ainsi l’esprit de la loi et ses objectifs, des remises en échange de l’application des dispositions relatives aux délais de paiement. Le rapport, bien qu’il fasse état de ces pratiques, a néanmoins tendance à les nuancer.
D’après une enquête de la Fédération des industries mécaniques, 70 % des entreprises du secteur ont fait l’objet de pratiques abusives. La proportion n’est pas anecdotique. Ces pratiques abusives ont été recensées par l’Observatoire des délais de paiement et, en la matière, l’action des brigades LME de la DGCCRF est essentielle, mais les capacités d’intervention de celle-ci sont sapées par la mise en œuvre de la RGPP : la réorganisation des services de l’État, couplée à la réduction des effectifs, aboutit, dans cette administration comme dans toutes les autres, à une limitation de l’action de contrôle de l’État, laissant le champ libre aux pratiques illicites, au détriment des TPE-PME et des consommateurs.
L’action de la DGCCRF, qui a assigné plusieurs enseignes dernièrement, est à saluer. Toutefois, pour que cette mise en garde ne se résume pas à un coup d’épée dans l’eau, il est primordial que ce service de l’État bénéficie des ressources nécessaires et que la moulinette de la RGPP ne réduise pas à néant le nécessaire rééquilibrage des relations commerciales.
En effet, les articles 92 et 93 de la LME visaient à accorder plus de liberté aux partenaires pour négocier, en contrepartie d’un renforcement du contrôle et des comportements abusifs. Or il apparaît que, dix-huit mois après l’application de la loi, cette réforme des relations commerciales se révèle être un marché de dupes pour le consommateur : certes, la pratique des fameuses marges arrière a diminué, mais, en rayon, le prix des produits suit encore une tendance haussière.
La crise du lait est une parfaite illustration d’un mécanisme défaillant : entre septembre 2007 et septembre 2009, le prix du lait payé à l’éleveur a diminué de manière significative, tandis que le consommateur achète sa bouteille de lait plus cher. Pourquoi, monsieur le secrétaire d’État, le lien entre le prix agricole et le prix en rayon ne jouerait-il jamais à la baisse ?
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
Mme Bariza Khiari. Évidemment, les grandes enseignes se félicitent d’une prétendue baisse moyenne de 2 % à 3 % de leurs prix. Cependant, les résultats des enquêtes statistiques et de celles qui ont été menées par les associations de consommateurs aboutissent à des conclusions bien plus nuancées et même divergentes : de l’avis même de vos services, la très faible baisse des prix constatés, de l’ordre de 0,65 %, n’est pas assez significative et ne saurait être imputable à la LME dans une période de crise.
Par ailleurs, dans leur grande majorité, les personnes auditionnées par le groupe de travail ont regretté la persistance du rapport de force entre les acteurs économiques et l’absence d’améliorations dans les relations commerciales ; cela a été justement évoqué par notre rapporteur. Autrement dit, les relations commerciales sont encore, dans moult secteurs de l’économie, une épreuve pour de nombreux fournisseurs, contraints, sous la pression des distributeurs, de compresser leurs marges, et ce au détriment de leurs salariés.
En la matière, la DGCCRF n’a pas pour mission de contrôler les marges et ne peut intervenir à ce niveau-là. Mais ses pouvoirs de contrôle et d’instruction des plaintes et les missions de la Commission d’examen des pratiques commerciales, la CEPC, sont essentiels. Le rôle de l’État régulateur est la pierre angulaire de la qualité des relations entre les différents partenaires économiques.
Pour le moment, force est de constater que le rééquilibrage entre fournisseurs et distributeurs – soit l’un des objectifs majeurs de la LME – n’a pas été atteint et que la moralisation des pratiques, si fortement annoncée, n’a pas encore eu lieu. À ce titre, la réduction des effectifs de la DGCCRF est de très mauvais augure.
Pour ce qui est de l’urbanisme commercial, cette réforme devait permettre « la mise en place de nouvelles règles du jeu dans la grande distribution pour augmenter la concurrence et défendre le pouvoir d’achat ». Là encore, le lien que vous établissez entre concurrence, dérégulation et pouvoir d’achat se révèle inopérant. Certes, l’urbanisme commercial n’est plus régi par des considérations strictement commerciales, incompatibles avec le droit européen. À cette heure, et en l’absence d’outils statistiques fiables, il apparaît seulement que l’assouplissement des règles d’autorisation d’installation n’a pas modifié – mais sans doute est-il encore trop tôt pour le mesurer – la structure oligopolistique de la grande distribution. On note surtout qu’elle n’a pas eu d’incidence prouvée, tangible et notable sur les prix.
Quant à l’inscription de l’urbanisme commercial dans le cadre du droit commun de l’urbanisme, il s’agit d’une réforme qui est « au milieu du gué », selon l’expression de notre rapporteur. La possibilité pour les SCOT de définir des zones d’aménagement commercial est encore balbutiante. Le rôle, la composition et les règles d’intervention et de décision des CDAC ne sont clairs pour personne. Ils ne sont, de toute évidence, pas adaptés à leurs missions.
À cet égard, je regrette le sort qui a été réservé à la proposition de loi de notre collègue Sueur sur les entrées de villes. Ce texte, vidé de son contenu lors de son examen en commission, prévoyait notamment, à l’origine, que les entrées de ville ne devaient pas être défigurées par l’implantation de bâtiments commerciaux uniformes et à l’architecture parfois tapageuse, sans respect pour le paysage urbain et la tradition architecturale locale. C’est pourquoi le groupe socialiste soutient les recommandations du rapport concernant la mise en place d’un outil d’observation des équipements commerciaux et l’élaboration d’un texte spécifique sur l’urbanisme commercial.
Pour conclure, j’aimerais évoquer, monsieur le secrétaire d’État, deux aspects de la LME qui, à défaut d’avoir fait l’objet d’une évaluation de notre groupe de travail, intéressent de près l’élue parisienne que je suis : les soldes flottants et l’indice des loyers commerciaux, l’ILC
La LME a ouvert le droit, pour les commerces, d’ajouter deux autres périodes de soldes. Ce dispositif, davantage taillé sur mesure pour les grandes enseignes, porte un préjudice important au commerce indépendant et contribue à jeter un doute sur la sincérité des prix. De soldes privés en soldes officiels, de promotions en ristournes, d’affaires à faire en démarques, les consommateurs ne connaissent plus le juste prix des produits. Les commerçants indépendants, qui n’ont pas les mêmes marges et volumes de vente que les grandes enseignes, ne peuvent plus suivre cette course aux rabais permanents. (Très bien ! sur les travées socialistes.)
Le second aspect est relatif aux loyers des baux commerciaux. Il suffit de se promener dans certaines rues pour constater la fermeture, parfois sans reprise, de nombreux commerces, acteurs de la vitalité économique, mais aussi de la sociabilité de nos villes. Effet de la crise ? Peut-être… Résultat de la hausse démentielle des loyers commerciaux ? À coup sûr ! (Très bien ! sur les mêmes travées.) Pour résister à la pression locative dans le parc immobilier, le Parlement avait, en 2006, modifié l’indexation des loyers, mais cette mesure n’est pas obligatoire. Pour l’heure, son application relève de la bonne volonté des bailleurs.
D’après les informations de la fédération Procos, organisme chargé d’évaluer l’application de l’ILC, près de 90 % des commerçants indépendants de nos centres-villes ont encore des baux indexés sur l’indice du coût de la construction. Monsieur le secrétaire d’État, je souhaiterais connaître votre position concernant cette mesure. Il semblerait souhaitable, d’après plusieurs fédérations professionnelles que nous avons interrogées, de remplacer cet indice, dont l’évolution est trop aléatoire, par l’indice des loyers commerciaux. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le groupe socialiste a souhaité l’organisation d’un débat sur l’application de la loi de modernisation de l’économie un an et demi après son adoption. Cette initiative est, à l’évidence, bienvenue. Je crois savoir, en effet, que nous sommes nombreux à avoir été saisis sur les conséquences de certaines des dispositions de cette loi.
Parmi les innovations que comportait la LME, le statut de l’auto-entrepreneur a rencontré un certain succès avec la création de 263 000 auto-entreprises déclarées. On constate cependant que seulement 47 500 d’entre elles ont réalisé un chiffre d’affaires. La durée pendant laquelle une entreprise peut rester dormante étant de trente-six mois, il serait intéressant de faire un nouveau bilan dans plusieurs mois, afin de mesurer la vraie pertinence du dispositif.
En attendant, il semblerait, d’après les acteurs de terrain, que l’auto-entreprise pose un problème de distorsion de concurrence en défaveur de l’artisanat. Les conclusions du groupe de travail mis en place au mois de mai 2009 par le Gouvernement pour éclaircir ce point n’ont pas convaincu les organisations professionnelles, s’agissant, en particulier, du problème de l’équité des cotisations sociales acquittées par les petites structures économiques. En effet, les auto-entrepreneurs retirent un avantage fiscal de leur régime par rapport aux artisans soumis à un autre cadre juridique.
Cette question, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, mériterait sans doute une expertise indépendante.
Je souhaiterais également revenir sur un autre grand volet de la loi du 4 août 2008, celui qui concerne l’encadrement des marges arrière.
Comme l’indique très justement notre collègue Élisabeth Lamure dans son précieux rapport d’information, la LME a, pour le moment, un impact très limité en matière de relations commerciales, ce qui est d’autant plus décevant que le texte avait suscité quelques espoirs. Je pense en particulier à ses dispositions, inscrites dans le code de commerce, relatives à la convention écrite précisant les obligations du distributeur en contrepartie des ristournes et remises consenties par le fournisseur par rapport aux conditions générales de vente ainsi qu’à l’indication, sur la facture des fournisseurs, des prix des « services distincts » proposés par le distributeur.
N’oublions pas qu’en contrepartie l’article 93 de la LME a renforcé les sanctions à l’encontre des comportements abusifs.
Le groupe de travail mis en place par la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire du Sénat n’a pas conclu avec certitude, dans son rapport, à un impact favorable de la LME sur les prix.
Toutefois, s’il est difficile d’apprécier l’évolution des relations commerciales depuis l’entrée en application de la loi, il faut noter qu’un recul des marges arrière, de 32 % à 11 %, entre 2008 et 2009 ainsi qu’une baisse des prix de 0,65% des produits de grande consommation au premier semestre de l’année 2009 ont été observés.
Cependant, ces quelques progrès ne suffisent pas à occulter la persistance du problème des relations commerciales entre les distributeurs et les fournisseurs, qui sont loin d’être complètement assainies. Le rapport de notre collègue fait même état d’un sentiment d’aggravation du déséquilibre des relations en défaveur des fournisseurs, en raison de la liberté de négociation qui a été introduite par la loi.
Un certain nombre de pratiques abusives ont ainsi été répertoriées et même sanctionnées par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes. La condamnation de neuf des principales enseignes devant les tribunaux de commerce est d’ailleurs bien le signe d’une mauvaise volonté de certains gros acheteurs à considérer, par exemple, les conditions générales de vente comme le point de départ de la négociation commerciale.
Que les services de l’État soient vigilants est une bonne chose, mais il faudra sans doute réfléchir une nouvelle fois à la façon de résoudre la question du rapport de force entre de puissantes centrales d’achat et les fournisseurs, notamment les plus petits d’entre eux. Je pense en particulier aux petits producteurs du secteur agricole, qui, dans de nombreuses filières, sont très pénalisés au stade des relations commerciales.
Au cours de l’été dernier, plusieurs syndicats ont exprimé leurs inquiétudes en bloquant des plateformes de supermarchés. Les agriculteurs ont ainsi manifesté leur « ras-le-bol », car ils ont le sentiment que les profits qu’ils pourraient tirer de leurs efforts de compétitivité sont, en réalité, transférés vers la grande distribution.
Mme Nathalie Goulet. C’est vrai !
M. Yvon Collin. Les grandes enseignes, qui se contentaient hier de marge de 15 %, demandent aujourd’hui au minimum 25 %.
En outre, elles profitent de la complexité du système de formation des prix ; elles contribuent d’ailleurs elles-mêmes à brouiller les règles en maintenant – volontairement, sans doute ! – une certaine opacité sur la formation des marges.
On a toutefois bien compris que le niveau des prix dépendait davantage du nombre d’intermédiaires et du degré de concurrence que, par exemple, du niveau des cours agricole, et c’est d’ailleurs ce qui explique l’exaspération bien légitime des agriculteurs, qui n’ont pas toujours les moyens de se regrouper pour affronter les puissantes centrales d’achat.
La loi de modernisation de l’économie a vu le jour en pleine récession et il est donc un peu difficile, monsieur le secrétaire d'État, de dresser un bilan des différents dispositifs adoptés à l’époque. Nous étions toutefois nombreux dans cet hémicycle à douter, dès le départ, de son opportunité et de son efficacité. S’agissant du volet des relations commerciales, on ne peut que regretter aujourd'hui que la situation n’ait guère évolué et que les objectifs n’aient pas encore été atteints.
Je souhaite donc, monsieur le secrétaire d'État, que le travail sur tous ces sujets fondamentaux pour la croissance et pour l’emploi en France soit poursuivi et j’estime que l’inscription de ce débat à l’ordre du jour est une excellente initiative. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Antoine Lefèvre.