Mme Valérie Létard, secrétaire d’État en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat. Monsieur le sénateur, je vous prie de bien vouloir excuser le ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l’État, Éric Woerth, qui, en déplacement à Berlin, ne pouvait être présent pour vous répondre.

Les difficultés des contribuables investisseurs en résidence de tourisme dans le cadre du « dispositif Demessine » sont réelles en cas de défaillance du gestionnaire. De nombreuses mesures ont été prises afin d’y répondre.

Concernant l’impôt sur le revenu, comme vous le savez, le bénéfice des réductions d’impôt au titre des investissements locatifs réalisés dans le secteur du tourisme est subordonné à un engagement du contribuable de louer le logement de manière effective et continue pendant au moins neuf ans à l’exploitant de la résidence de tourisme. En cas de non-respect de l’engagement de location, la réduction d’impôt pratiquée fait l’objet d’une reprise au titre de l’année de la rupture de l’engagement ou de la cession du logement.

Cela étant, il est admis que la période de vacance entre l’ancien et le nouvel exploitant du logement puisse, dans certains cas limitativement énumérés de défaillance de l’exploitant précédent, être supérieure à un mois, sans toutefois pouvoir excéder douze mois.

En outre, trois nouveaux aménagements, apportés au dispositif Demessine par le Parlement dans le cadre de la loi de finances pour 2010, ont permis des avancées substantielles dans l’amélioration de la situation des investisseurs.

Ainsi, comme vous le savez, l’article 23 permet l’étalement sur trois ans de la reprise de la réduction d’impôt, sous certaines conditions.

Quant à l’article 86, il prévoit que l’indexation d’une part minoritaire du loyer sur le chiffre d’affaires de la résidence ne fait pas obstacle à l’imposition des revenus locatifs dans la catégorie des revenus fonciers, et donc au bénéfice de la réduction d’impôt Demessine. Cette part d’indexation du loyer sur le chiffre d’affaires doit demeurer « minoritaire » : il appartiendra aux parties de fixer plus précisément, dans le cadre légal ainsi défini, cette part variable, par opposition à la part fixe, qui devra en tout état de cause rester majoritaire.

Enfin, l’article 87 introduit une nouvelle exception à la remise en cause de la réduction d’impôt lorsque les copropriétaires, le cas échéant réunis en société, substituent au gestionnaire défaillant de la résidence de tourisme une ou un ensemble d’entreprises qui assurent les mêmes prestations sur la période de location restant à courir, conformément aux prescriptions légales. Cette faculté leur est ouverte à la double condition que la candidature d’un autre gestionnaire n’ait pu être retenue après un délai d’un an et qu’ils regroupent au moins 50 % des appartements de la résidence.

Ce délai légal de carence d’un an ne saurait être réduit, car il convient de donner toutes ses chances à la reprise de la gestion professionnalisée de la résidence de tourisme par un nouveau gestionnaire, dans l’esprit de la loi Demessine, avant d’envisager une « gestion directe » par les propriétaires eux-mêmes.

Ces nouvelles dispositions feront l’objet de commentaires détaillés dans une instruction administrative, qui sera elle-même soumise, avant sa publication au Bulletin officiel des impôts, à une large consultation.

Enfin, je tiens à préciser que le Gouvernement n’est pas favorable à la proposition d’offrir la possibilité de basculer sur un autre régime d’imposition, en l’occurrence celui des bénéfices industriels et commerciaux, tout en gardant le bénéfice de la réduction d’impôt. En effet, cela permettrait aux bailleurs de profiter d’un cumul d’avantages fiscaux et les autoriserait en outre à donner eux-mêmes leur logement en location, alors que la mise en location par l’intermédiaire d’un exploitant est l’un des principes de base du dispositif Demessine, qui repose sur la professionnalisation de l’accueil touristique, gage de qualité.

Au total, vous en conviendrez, monsieur le sénateur, l’ensemble de ces dispositions, légales comme doctrinales, témoigne de l’attention portée par le Gouvernement à la situation des particuliers qui, ayant investi dans ces résidences de tourisme, sont victimes de la défaillance de leur gestionnaire.

M. le président. La parole est à M. Thierry Repentin.

M. Thierry Repentin. Madame la secrétaire d’État, M. Woerth est bien évidemment excusé, d’autant que son absence nous donne le plaisir de vous entendre, dans cet hémicycle que vous connaissez bien.

Les éléments de réponse que vous venez de fournir ont au moins le mérite d’apporter des éclaircissements à des investisseurs qui, aujourd’hui, ne savent plus à quel saint se vouer.

Vous l’avez bien compris, la volonté de l’investisseur n’est pas en cause : c’est la défaillance du promoteur ou du gestionnaire qui empêche la location du bien, quelquefois même l’achèvement du chantier.

Plus largement, comme je l’ai indiqué à M. Woerth lors de l’examen du projet de loi de finances rectificative, il me semble qu’il devrait être procédé à un bilan de l’application du dispositif. En effet, on continue à recourir à cette forme d’investissements défiscalisés dans des endroits où, hélas ! il est douteux que la clientèle soit au rendez-vous : si elle l’était, il y aurait vraisemblablement moins de défaillances chez les promoteurs et les gestionnaires eux-mêmes ! Or, le dispositif pèse sur le budget de notre pays, c’est-à-dire sur la solidarité nationale.

J’espère donc qu’un bilan sera réalisé pour que, le cas échéant, ce type d’investissement puisse être reconfiguré.

décision d’eutelsat de confier à une fusée chinoise le lancement de son satellite de télécommunications

M. le président. La parole est à M. Michel Boutant, auteur de la question n° 709, transmise à Mme la ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche.

M. Michel Boutant. Madame la secrétaire d’État, en mars dernier, l’opérateur européen de satellites EUTELSAT a confirmé le choix d’une fusée chinoise Long March pour le lancement de son satellite de télécommunications W3B.

Cette décision pose des problèmes d’ordre commercial, puisqu’elle favorise l’essor d’un concurrent du lanceur européen Arianespace ; d’ordre stratégique, puisque le spatial est un domaine de souveraineté qu’il s’agit de conforter tout en développant et en protégeant les acquis technologiques ; et, finalement, d’ordre social, puisque Arianespace fait vivre la filiale spatiale française, source de milliers d’emplois.

Dans ce contexte, je souhaiterais connaître, d’une part, quelle a été la position de l’État actionnaire lors de la prise de décision d’EUTELSAT que je viens d’évoquer, d’autre part, quelles sont les mesures envisagées pour soutenir, développer et protéger l’industrie spatiale française et européenne, en particulier dans le domaine des lanceurs.

M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d’État.

Mme Valérie Létard, secrétaire d’État en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat. Monsieur le sénateur, EUTELSAT a en effet annoncé en mars 2009 le choix de la fusée chinoise Long March pour le lancement du satellite W3B. Auparavant, EUTELSAT avait confié vingt-quatre de ses quarante lancements à Arianespace.

EUTELSAT est depuis 2001 une société anonyme, désormais cotée à la Bourse de Paris. Avant de choisir un fournisseur, elle s’appuie sur un certain nombre de critères. Il est ainsi tout à fait compréhensible qu’elle diversifie ses fournisseurs de services de lancement, ne serait-ce que par crainte de voir ses satellites durablement cloués au sol en cas d’accident et d’interruption prolongée conséquente d’un lanceur.

Il semble aussi que l’entreprise ait décidé de confier le lancement du satellite W3B à une fusée Long March parce que ce lanceur serait, selon les informations disponibles, moins cher qu’Ariane.

Il convient de préciser que la décision d’EUTELSAT ne met nullement en péril l’équilibre économique d’Arianespace, dont le succès commercial est réel. En témoignent un carnet de commandes particulièrement fourni et le fait que la société a pu doubler le prix des lancements en trois ans. Sept lancements d’Ariane ont eu lieu en 2009, et autant sont programmés en 2010.

La décision d’EUTELSAT témoigne également de la vitalité de l’industrie spatiale européenne, vitalité rendue possible par la politique européenne d’autonomie technologique en matière spatiale.

Cette politique a amené les États européens et l’Agence spatiale européenne à lancer des programmes de développement de technologies européennes indépendantes des technologies réglementées américaines, ce qui a permis d’augmenter la compétitivité et la maturité de l’industrie européenne, garantes de la souveraineté européenne dans ce domaine stratégique. À titre d’exemple, EUTELSAT a fait fabriquer trente-neuf de ses quarante satellites par les industriels européens Astrium et Thales Alenia Space.

La politique spatiale européenne d’autonomie technologique permet ainsi aux constructeurs européens d’accéder à un marché plus large. À l’instar d’autres industriels européens, Thales Alenia Space, constructeur du satellite W3B, a la maîtrise de ses technologies et propose des satellites « ITAR-free », qui peuvent être utilisés par l’ensemble des opérateurs et mis en orbite par tous les lanceurs.

Je vous confirme par ailleurs, monsieur le sénateur, que l’État est particulièrement attentif au développement de l’industrie spatiale française et européenne. Ce soutien plein et entier s’est ainsi manifesté tout au long de la présidence française de l’Union européenne, au second semestre 2008, et a pris corps à l’occasion du conseil ministériel de La Haye, en novembre dernier, où plus de 10 milliards d’euros ont été investis dans la filière spatiale européenne, dont 2,3 milliards d’euros pour la France.

Enfin, dans le cadre de l’emprunt national, l’espace constitue, avec l’aéronautique, une action qui devrait être financée à hauteur de 2 milliards d’euros. Dans son discours du 14 décembre 2009, le Président de la République a rappelé l’importance de l’engagement des travaux préparatoires pour la génération de lanceur à venir Ariane 6.

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Nomination de membres d’un organisme extraparlementaire

M. le président. Je rappelle que la commission des affaires sociales a proposé des candidatures pour un organisme extraparlementaire.

La présidence n’a reçu aucune opposition dans le délai d’une heure prévu par l’article 9 du règlement.

En conséquence, ces candidatures sont ratifiées et je proclame M. Jacky Le Menn, en qualité de titulaire, et M. Gilbert Barbier, en qualité de suppléant, membres du Comité national de l’organisation sanitaire et sociale.

Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures dix, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)

PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher

M. le président. La séance est reprise.

7

 
Dossier législatif : projet de loi de réforme des collectivités territoriales
Motion tendant à demander un référendum

Réforme des collectivités territoriales

Discussion d’un projet de loi

(Texte de la commission)

M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi de réforme des collectivités territoriales (projet de loi n° 60, texte de la commission n° 170, rapport n° 169, avis n° 198).

Dépôt d’une motion référendaire

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi de réforme des collectivités territoriales
Discussion générale (début)

M. le président. J’informe le Sénat qu’en application de l’article 11 de la Constitution et de l’article 67 du règlement M. Jean-Pierre Bel, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et plusieurs de leurs collègues présentent une motion tendant à proposer au Président de la République de soumettre au référendum le projet de loi de réforme des collectivités territoriales.

En application de l’article 67, alinéa 1, du règlement, cette motion doit être signée par au moins trente sénateurs dont la présence est constatée par appel nominal.

Il va donc être procédé à l’appel nominal des signataires.

Huissier, veuillez procéder à l’appel nominal.

(L’appel nominal a lieu.)

M. le président. Acte est donné du dépôt de cette motion.

Ont déposé cette motion : M. Jean-Pierre Bel, Mmes Nicole Borvo Cohen-Seat et Michèle André, M. Jean-Etienne Antoinette, Mme Éliane Assassi, MM. David Assouline, Bertrand Auban et Jean-Michel Baylet, Mme Marie-France Beaufils, MM. Claude Bérit-Débat, Jacques Berthou et Jean Besson, Mme Maryvonne Blondin, M. Yannick Bodin, Mme Nicole Bonnefoy, M. Yannick Botrel, Mme Alima Boumediene-Thiery, M. Martial Bourquin, Mme Bernadette Bourzai, M. Michel Boutant, Mme Nicole Bricq, M. Jean-Pierre Caffet, Mme Claire-Lise Campion, M. Jean-Louis Carrère, Mmes Françoise Cartron et Monique Cerisier-ben Guiga, MM. Yves Chastan, Gérard Collomb, Yves Daudigny et Marc Daunis, Mmes Annie David, Michelle Demessine et Christiane Demontès, M. Claude Domeizel, Mme Josette Durrieu, MM. Jean-Luc Fichet, Guy Fischer, François Fortassin, Thierry Foucaud, Bernard Frimat et Jean-Pierre Godefroy, Mme Brigitte Gonthier-Maurin, MM. Claude Haut et Edmond Hervé, Mme Odette Herviaux, M. Robert Hue, Mme Annie Jarraud-Vergnolle, M. Claude Jeannerot, Mmes Bariza Khiari et Marie-Agnès Labarre, MM. Serge Lagauche, Jacky Le Menn, Jean-Jacques Lozach et François Marc, Mme Josiane Mathon-Poinat, MM. Rachel Mazuir, Jean-Pierre Michel, Gérard Miquel et Jean-Jacques Mirassou, Mme Renée Nicoux, MM. Jean-Marc Pastor, François Patriat, Jean-Claude Peyronnet, Bernard Piras, Roland Povinelli, Daniel Raoul, Marcel Rainaud, François Rebsamen et Daniel Reiner, Mme Patricia Schillinger, MM. Michel Sergent et Jean-Pierre Sueur, Mme Odette Terrade, MM. René Teulade, Bernard Vera et Richard Yung.

Je vous indique que cette motion sera envoyée à la commission des lois.

La discussion de cette motion aura lieu, conformément à l’article 67, alinéa 2, du règlement, « dès la première séance publique suivant son dépôt », c’est-à-dire demain mercredi 20 janvier, à quatorze heures trente.

Conformément au droit commun défini à l’article 29 ter du règlement, la discussion générale sera organisée sur deux heures, les inscriptions de parole devant être faites au service de la séance avant demain, onze heures.

Discussion générale

Motion tendant à demander un référendum
Dossier législatif : projet de loi de réforme des collectivités territoriales
Discussion générale (interruption de la discussion)

M. le président. Nous passons à la discussion générale du projet de loi de réforme des collectivités territoriales.

La parole est à M. le ministre. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)

M. Jean-Pierre Michel. Le Premier ministre n’est même pas présent !

M. Brice Hortefeux, ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, alors que nous nous apprêtons à entamer nos travaux sur le projet de loi de réforme des collectivités territoriales, je souhaiterais partager avec vous le double sentiment qui m’anime au moment de prendre la parole devant vous.

J’éprouve un sentiment de solennité, tout d’abord, car, une nouvelle fois, notre pays a rendez-vous avec son histoire institutionnelle. L’organisation territoriale de la France puise ses racines dans une histoire forgée au cours des siècles.

M. Jean-Louis Carrère. La centralisation !

M. Brice Hortefeux, ministre. Au fil du temps, notre pays a su dégager un modèle original d’administration locale. Rester fidèles à cet héritage tout en adaptant notre organisation territoriale aux défis de notre temps : telle est aujourd’hui notre responsabilité.

Un sentiment de fierté m’anime également. Nous engageons ce débat au Sénat, dans cet hémicycle où bat le cœur de la République des territoires. L’histoire de la Haute Assemblée, son mode d’élection comme la qualité de ses travaux,…

M. Jean-Louis Carrère. On commence par les violons !

M. Brice Hortefeux, ministre. … tout concourt à faire du Sénat le premier représentant des collectivités territoriales au sein de nos institutions républicaines, ainsi que l’affirme notre Constitution.

M. Jean-Pierre Michel. Le Premier ministre ne s’est même pas déplacé !

M. Brice Hortefeux, ministre. Vos travaux, j’en suis sûr, en porteront une nouvelle fois témoignage.

Je suis donc heureux de vous exposer, aux côtés du ministre de l’espace rural et de l’aménagement du territoire, Michel Mercier, l’ambition renouvelée que le Gouvernement vous propose de partager pour notre République décentralisée.

M. Jean-Louis Carrère. Recentralisée !

M. Brice Hortefeux, ministre. Notre ambition est en effet d’engager avec vous une profonde réforme territoriale, près de trente après les premières lois de décentralisation.

Longtemps, la centralisation a dominé l’histoire politique et administrative de notre pays.

M. Jean-Louis Carrère. Vous voulez y revenir !

M. Brice Hortefeux, ministre. Ce fut d’abord le lent et patient effort de la monarchie pour réduire les féodalités et installer un État fort, indépendant et centralisé. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

De la Révolution, nous avons hérité les institutions qui allaient dessiner pour plusieurs siècles l’administration locale. C’est aussi à ce moment charnière que sont apparues les lignes de partage qui ont longtemps marqué la vie politique : Jacobins contre Girondins, partisans de départements aux contours géométriques contre défenseurs des réalités géographiques, Mirabeau contre Sieyès.

Du Consulat et de l’Empire, et de la volonté d’ordre, de rapidité et d’efficacité dans l’action, nous avons hérité le corps préfectoral, l’une de ces « masses de granit jetées sur le sol de France », selon la formule du Premier consul,…

M. Brice Hortefeux, ministre. … qui constitue encore aujourd’hui, après bien des évolutions, un pilier de l’organisation institutionnelle de notre pays.

Tout au long du xixe siècle et durant une bonne partie du xxe siècle, la France resta marquée du sceau de la centralisation et même de l’uniformité, toutes deux vécues comme des garanties pour l’unité de la nation.

Peu à peu, pourtant, il y eut la lente progression des libertés locales, qui cependant ne se fit jamais de manière linéaire. Je pense à la monarchie de Juillet, je pense aux deux grandes lois du début de la IIIe République, celle de 1871 sur les départements et celle de 1884 sur les communes.

Il fallut donc attendre 1946 pour que les collectivités territoriales se trouvent consacrées dans la Constitution, tant et si bien qu’à la naissance de la Ve République les collectivités locales étaient encore très proches de celles qui furent créées à la mort de l’Ancien Régime. En deux siècles, notre organisation territoriale n’avait finalement que peu évolué.

Le général de Gaulle le premier eut la conviction qu’il fallait moderniser l’action territoriale. Chacun garde en mémoire la formule du discours de Lyon du 24 mars 1968  sur la réforme régionale : « L’effort multiséculaire de centralisation, qui fut longtemps nécessaire pour maintenir son unité malgré les divergences des provinces qui lui étaient successivement rattachées, ne s’impose plus désormais. » Sans doute avait-il eu raison trop tôt !

Le septennat du président Valéry Giscard d’Estaing prépara l’évolution des esprits. Pourtant, l’histoire retient que c’est le président Mitterrand qui, en 1982, enclencha de manière décisive le mouvement de décentralisation de notre pays avec les lois Defferre.

Un sénateur socialiste. Hypocrisie !

M. Brice Hortefeux, ministre. Le Président Nicolas Sarkozy l’a d’ailleurs rappelé dans son discours de Saint-Dizier, le 20 octobre 2009 : « Il y a trente ans, beaucoup d’élus de l’opposition de l’époque ont regretté de ne pas avoir voté les lois historiques de 1982. » Je le cite devant le Premier ministre Pierre Mauroy. (Exclamations véhémentes sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

C’est néanmoins la droite qui, quelques années plus tard, s’efforça avec la loi d’orientation de 1995 de tirer les conséquences de la décentralisation sur l’aménagement du territoire, Charles Pasqua s’en souvient.

M. Jean-Louis Carrère. C’est donc vous les décentralisateurs !

M. Brice Hortefeux, ministre. C’est la gauche qui, en 1999, contribuera effectivement à amplifier le mouvement de l’intercommunalité, véritable « révolution silencieuse » et complément pragmatique à l’émiettement communal qui est une caractéristique de notre pays. Encore doit-on à la vérité de reconnaître que tout le monde n’y était pas favorable à l’époque. Je le dis devant le ministre d’État Jean-Pierre Chevènement.

Mais ce sont la droite et le centre qui, en 2003, ont modifié l’article 1er de la Constitution pour proclamer solennellement : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. […] Son organisation est décentralisée. »

M. Jean-Louis Carrère. C’était une « raffarinade » !

M. Brice Hortefeux, ministre. Ce sont la droite et le centre, encore, qui ont inscrit la région dans la Constitution. Ce sont la droite et le centre, enfin, qui ont affirmé dans notre loi fondamentale les principes de subsidiarité et d’autonomie financière, avec Jean-Pierre Raffarin.

M. Jean-Louis Carrère. Il n’est pas là, d’ailleurs ! Il fait la tête !

M. Brice Hortefeux, ministre. La vérité, c’est que, au terme de ces trois décennies, la décentralisation n’est plus de droite, n’est plus de gauche, n’est plus du centre : c’est le patrimoine commun des républicains. (Très bien ! sur les travées de l’UMP.)

M. Jean-Louis Carrère. Cela va devenir un patrimoine historique, puisque vous allez y mettre un terme !

M. Brice Hortefeux, ministre. La décentralisation était absolument nécessaire. Elle a contribué à la vitalité démocratique de notre pays, renforcé les libertés locales, libéré les énergies et consacré une nouvelle forme de gestion publique, plus proche des citoyens. Chacun mesure combien la France a changé depuis une trentaine d’années. Personne aujourd’hui ne songe à revenir sur cet acquis fondamental. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Plusieurs sénateurs socialistes. Si, vous !

M. Brice Hortefeux, ministre. Pour autant, doit-on s’interdire d’en relever certaines faiblesses ? La décentralisation serait-elle à ce point fragile, ou le débat politique à ce point appauvri que toute tentative pour en dresser un bilan honnête et lucide soit condamnée à être caricaturée comme une tentative de recentralisation ?

Je crois au contraire que la force d’une institution se mesure précisément à sa capacité d’adaptation.

M. Jean-Louis Carrère. Votre atavisme est fort !

M. Brice Hortefeux, ministre. Nous vous avons vu et entendu, monsieur Carrère, je vous remercie ! (Vives protestations sur les travées du groupe socialiste.)

M. Jean-Louis Carrère. Ce n’est pas vous le chef, ici ! Attention !

M. Brice Hortefeux, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, depuis plusieurs années déjà, les travaux se sont multipliés pour attirer l’attention des décideurs publics et des citoyens sur la nécessité d’engager une réforme de notre organisation territoriale. Dois-je rappeler dans cet hémicycle l’impressionnante liste des rapports publics sur le sujet ? Outre le rapport du comité pour la réforme des collectivités locales présidé par M. Balladur,…

M. Jean-Louis Carrère. Oh, le pauvre… !

M. Brice Hortefeux, ministre. … je pense aux rapports Mauroy, Pébereau, Richard, Fouquet, Valletoux, Lambert, Attali, Warsmann, Belot ou Saint-Étienne, sans oublier les publications de la Cour des comptes sous la présidence de Philippe Séguin.

Certes, je le reconnais volontiers, tous n’ont pas proposé les mêmes remèdes,…

M. Jean-Pierre Sueur. Personne n’a proposé la création de conseillers territoriaux !

M. Brice Hortefeux, ministre. … mais tous ont convergé de manière saisissante sur le diagnostic. Tous, sans exception, ont souligné la fragmentation de notre paysage institutionnel, qui a vu s’empiler au fil du temps un grand nombre de structures sans que l’on cherche vraiment à réorganiser.

Tous, sans exception, ont souligné l’enchevêtrement des compétences : l’ambition initiale d’une répartition par blocs a progressivement cédé le pas à un partage de la plupart des compétences entre plusieurs niveaux de collectivités territoriales, ou entre elles et l’État.

Tous, enfin, ont relevé l’obsolescence de la fiscalité locale, les insuffisances du système de péréquation, les excès de la pratique des financements croisés. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

Bref, tous ces rapports ont dessiné le portrait d’une décentralisation vivante et féconde, mais pénalisée par une trop grande complexité qui ne facilite pas l’accès des citoyens à la démocratie locale et décourage les bonnes volontés. Un seul mandat, vous le savez bien, ne suffit parfois plus à un maire pour faire aboutir les projets qui ont pourtant contribué à le faire élire. (Marques d’approbation sur les travées de l’UMP.)

Mesdames, messieurs les sénateurs, chacun sait bien que toute réforme territoriale est difficile. Mais le pire service que nous pourrions rendre aujourd’hui à la décentralisation, ce serait d’ignorer ces travaux et de ne rien entreprendre. C’est en réformant notre organisation territoriale que nous conforterons la décentralisation et les libertés locales. C’est en ne faisant rien que nous les affaiblirons.

Après beaucoup d’études, de rapports, de débats, le moment est venu d’agir. Le Président de la République en est convaincu. (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.) Le Gouvernement vous y invite, et c’est à vous, naturellement, de décider.

Que proposons-nous ?

Il y a d’abord les solutions que le Gouvernement a souhaité écarter.

Toute préparation d’une réforme charrie son cortège d’idées tranchées, voire définitives, qui tiennent pour peu les réalités humaines, géographiques et culturelles forgées par l’histoire.

« Supprimez les départements », nous ont conseillé les uns, jugeant qu’ils seraient « trop petits, trop uniformes ». « Fusionnez d’autorité les régions », nous ont incités les autres, estimant qu’elles seraient « trop exiguës, pas assez compétitives vis-à-vis de leurs homologues européennes ». « Réduisez drastiquement le nombre des communes », ont suggéré d’autres encore, prétendant que « plus de 36 000 communes, ce serait le mal français par excellence ». Ces idées fausses ont été écartées.

Il n’est pas question de supprimer les départements.

M. Guy Fischer. C’est ce que vous prétendez !

M. Brice Hortefeux, ministre. Il n’est pas question de regrouper d’autorité les régions. Il n’est pas question non plus que l’État impose des fusions de communes. Car on ne gouverne pas un pays par la contrainte, on ne peut imposer d’en haut des systèmes conçus à Paris. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)

Mesdames, messieurs les sénateurs, parce que « l’histoire de France n’est pas une page blanche sur laquelle on tire aveuglément un trait », comme l’a dit le Premier ministre dans son allocution au congrès des maires de France, le Gouvernement a souhaité se tenir à l’écart des solutions à l’emporte-pièce. Le Gouvernement, ne vous y trompez pas, ne propose pas de big bang territorial, mais il refuse tout autant le statu quo.

La voie que nous vous proposons d’emprunter est tout à la fois ambitieuse et pragmatique.

Vous avez déjà voté, à la fin de l’année dernière, le projet de loi organisant la concomitance des renouvellements des conseils généraux et des conseils régionaux,…

Plusieurs sénateurs socialistes. Ah ça, non !

M. Brice Hortefeux, ministre. … que le secrétaire d’État Alain Marleix présente aujourd’hui même à l’Assemblée nationale.

Ce projet de loi constitue le volet institutionnel de la réforme. Le Gouvernement y développe une vision pour notre organisation territoriale.

Nous proposons que, demain, notre organisation territoriale s’articule autour de deux pôles complémentaires, un pôle départements-région et un pôle communes-intercommunalité, comme l’avaient d’ailleurs proposé le comité pour la réforme des collectivités territoriales et la Cour des comptes.

Le premier pilier de la réforme, c’est donc l’émergence d’un pôle départements-région.

Parmi les débats dont notre pays a le secret, il en est un qui revient périodiquement : faut-il privilégier la région ou le département ?

D’un côté, le département, institution plus que biséculaire. Ses compétences n’ont cessé de croître au fil du temps, en particulier dans le domaine social. Il reste en outre un appui indispensable aux communes rurales. Qui peut nier qu’il dispose aujourd’hui d’une forte légitimité et que nos concitoyens lui marquent légitimement leur attachement ? (Absolument ! sur les travées de l’UMP.)

De l’autre côté, la région, la plus jeune de nos collectivités territoriales et, partant, sans doute la plus prometteuse. Dans un pays de tradition unitaire et centralisatrice, la reconnaissance du fait régional, longtemps défendue par des courants minoritaires, ne s’imposait pas comme une évidence. La consécration de la région fut donc tardive. Ce n’est qu’en 2003 que son existence fut gravée dans la Constitution.

Chacun s’accorde à considérer que la région a vocation à conduire des politiques structurantes, notamment dans le domaine économique, à mi-chemin entre l’État et l’échelon de proximité. Il faut continuer à conforter cette vocation, notamment sur le plan des compétences, mais il faut parallèlement refuser les chimères. Nous en sommes, je crois, tous convaincus, notre République n’empruntera jamais la voie du fédéralisme, une région française ne sera jamais un Land allemand ou une « communauté autonome » espagnole. L’observation attentive des évolutions en cours dans plusieurs pays européens devrait d’ailleurs nous inciter à une certaine circonscription… Excusez-moi, je voulais bien sûr dire circonspection ! (Sourires.)

Plusieurs sénateurs socialistes. Quel lapsus ! Il est obsédé par les circonscriptions, on dirait Marleix !

M. Brice Hortefeux, ministre. Alors, mesdames, messieurs les sénateurs, faut-il choisir ? Département ou région ? Région ou département ? Sommes-nous condamnés à un choix binaire ?

M. David Assouline. Ce n’est pas votre genre !