Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le ministre, la suppression de la taxe professionnelle et la réforme actuelle réunies contredisent vos propos sur l’organisation décentralisée de la République.
M. Longuet affirmait également à l’époque : « Nous aurions pu retenir au contraire quatre niveaux de territoires : la commune, le département, la région et l’intercommunalité. En faisant le choix de n’en retenir que trois, le Gouvernement nous rappelle simplement que, au-delà du devoir évident des collectivités locales, et particulièrement des 36 000 communes, de travailler ensemble, de constituer ensemble des réponses collectives face à des besoins immédiats comme l’intercommunalité rurale, les agglomérations et les communautés urbaines, il n’y a qu’une seule unité terminale qui permette la proximité pour le citoyen : la commune ».
Aujourd’hui, M. Longuet pense que le projet ne va pas assez loin quant aux métropoles et à leurs pouvoirs !
En vérité, il est difficile de le nier, certaines des dispositions de votre projet posent des problèmes au regard de la Constitution confirmée, en ce domaine, en 2008, c’est-à-dire postérieurement à l’élection présidentielle. Autrement dit, vous ne pouvez nous objecter qu’elles figurent dans le programme du candidat élu Président de la République depuis, dans la mesure où la révision constitutionnelle de 2008 n’en a pas décidé ainsi.
En effet, l’article 72 de la Constitution, notamment, n’est pas respecté sur plusieurs points. Cet article, malgré les explications gênées et excessivement complexes du comité de réforme des collectivités territoriales présidé par M. Balladur, pose sans ambiguïté le principe de la compétence générale des collectivités territoriales que sont la commune, le département et la région.
Cette clause de compétence générale est consubstantielle à la libre administration. En un mot, pas de démocratie locale sans compétence générale.
Supprimer la compétence générale, c’est réduire la capacité d’action des élus, au regard des citoyens qui les ont élus, c’est donc réduire la capacité des citoyens à agir sur la réalité de leur quotidien.
L’argumentation du comité Balladur sur ce point est surprenante. Il constate que la Constitution établit clairement par trois raisonnements la compétence générale. Premièrement, la compétence générale distingue une collectivité d’un établissement public. Deuxièmement, la Constitution établit clairement le lien entre libre administration et conseil élu pouvant exercer ses compétences. Troisièmement, la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 pose clairement que chaque collectivité locale a vocation à gérer ses propres affaires.
Or, de manière surprenante, le comité a estimé qu’« en l’absence de toute jurisprudence constitutionnelle tranchant clairement la question, il était raisonnable de penser que la modification, voire la suppression de la clause de compétence générale était possible ». Comprenne qui pourra…
Le comité Balladur, le Gouvernement et la majorité exercent un droit dont ils ne disposent pas : interpréter la Constitution à leur guise !
En fait, votre projet tend à changer profondément la conception des institutions telles qu’elles résultent de notre loi fondamentale.
Il en est ainsi de la création des conseillers territoriaux, déjà si souvent critiquée depuis le début de cette discussion. Chacun devine que leur instauration préfigure la fin du département. En outre, ils mettent à mal trois principes constitutionnels lourds : le fait que chaque collectivité dispose d’une assemblée propre élue, le principe de parité et le principe d’une représentation pluraliste. Nous aurons l’occasion de revenir sur ces questions avec la motion d’irrecevabilité.
Le mode de scrutin, qui, certes, n’est pas discuté aujourd’hui – c’est un comble ! – mais qui sera bien présent dans nos décisions, met à mal ces deux principes.
Il est donc logique que nos concitoyens soient consultés sur ce changement. Rappelons-nous, c’est lui, le peuple souverain, qui, il y a bien longtemps, par la force de son engagement, a forgé les institutions démocratiques de notre pays. Croyez-vous un seul instant qu’il puisse être mis à l’écart du débat qui s’ouvre ?
Pour nous, la consultation populaire est nécessaire sur les réformes institutionnelles, c’est une exigence démocratique. Il est évident qu’elle s’impose ici, comme elle aurait dû s’imposer lors de la révision constitutionnelle de 2008.
Le Président de la République n’y a pas eu recours alors, comme il ne juge pas nécessaire a priori de le faire pour la réforme territoriale.
Votre peur de la démocratie est très surprenante, alors que toute votre argumentation, monsieur le ministre, tente de nous convaincre que nos concitoyens attendent avec impatience cette réforme !
Notre groupe tout au contraire – il a déposé des amendements en ce sens, amendements que la commission a immédiatement rejetés – considère que les regroupements de collectivités et les modifications interterritoriales, dans la mesure où ils ont obligatoirement des conséquences sur les services rendus à la population, à la démocratie et à l’élection par nos concitoyens de leurs représentants à tous les échelons, doivent faire l’objet d’une consultation des assemblées élues des collectivités concernées – ce que vous refusez – et de la population concernée dans les territoires !
Il est donc logique que nous proposions une consultation populaire sur la réforme que vous voulez vous-mêmes comme structurante de la future organisation territoriale de notre pays.
C’est la raison pour laquelle nous soutenons cette motion référendaire. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Nicolas About.
M. Nicolas About. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, la Constitution, modifiée par la réforme de 2003, prévoit en son article 24 que le Sénat « assure la représentation des collectivités territoriales de la République ».
Dans la logique de cette mission, l’article 39 souligne que « les projets de loi ayant pour principal objet l’organisation des collectivités territoriales sont soumis en premier lieu au Sénat ».
En observant le titre et le contenu du projet de loi de réforme des collectivités territoriales, je ne peux m’empêcher d’être perplexe : cette réforme est sans doute le texte consubstantiel à notre mandat de représentants des collectivités, et les sénateurs de l’opposition souhaiteraient que l’on s’en dessaisisse pour un référendum ?
Monsieur Bel, Madame Borvo Cohen-Seat, chers collègues de l’opposition, votre motion référendaire sur le projet de loi est un acte solennel prévu par la Constitution, qui connaît d’ailleurs des précédents. Je trouve simplement assez déplacé de l’utiliser précisément sur ce texte relatif aux collectivités territoriales, alors même que la norme suprême nous confie la mission de représenter les collectivités territoriales.
M. David Assouline. Vous vous le rappelez quand vous voulez !
M. Nicolas About. Pour autant, je voudrais au moins tenter de comprendre l’opportunité de votre motion, et le fondement de votre démarche. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. David Assouline. Ne vous donnez pas ce mal !
M. Nicolas About. Peut-être voyez-vous dans la motion référendaire une opportunité politique.
Cette opportunité pouvait se comprendre pour le projet de loi portant changement de statut de La Poste,…
M. David Assouline. Vous ne disiez pas la même chose à ce moment-là !
Mme Éliane Assassi. Mieux vaut tard que jamais !
M. Nicolas About. … alors que la votation citoyenne avait déjà déformé la question de l’ouverture du capital à l’État et la caisse des dépôts…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce qui est curieux, c’est que vous refusez toute consultation populaire ! C’est malhonnête !
M. Nicolas About. … en une formule bien plus simple et populaire : « Êtes-vous pour ou contre la privatisation de La Poste ? ». (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce n’est pas vrai !
M. Nicolas About. Cette fois, il n’y a pas eu de manœuvre fallacieuse de ce type, qui aurait pu consister à recueillir l’avis de l’opinion publique sur une question du genre : « Êtes-vous pour ou contre la suppression des collectivités territoriales ? ». (Mêmes mouvements.)
Vous n’avez pas osé tout de même !
En fait, le sujet de la réforme des collectivités locales recueille une opinion plutôt favorable auprès du public, notamment les sujets relatifs à la simplification du « mille-feuille territorial ».
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est de la propagande !
M. Nicolas About. Je ne peux donc me résoudre à croire que cette motion, quitte à aller à l’encontre de l’esprit même de la Constitution, découlerait d’un quelconque opportunisme politique.
Le référendum serait-il alors l’expression de l’abdication des parlementaires de gauche sur le sujet de l’évolution de l’organisation des collectivités territoriales ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. N’importe quoi !
M. Nicolas About. Je ne le pense pas non plus. La gauche fut au contraire – et je veux croire qu’il en est encore ainsi – un bâtisseur de la décentralisation, avec les lois Deferre de 1982 et 1983.
La gauche avait marqué un bel essai en créant les établissements publics régionaux. Elle l’avait même transformé en faisant des régions des collectivités territoriales quelques années après.
La gauche est l’instigatrice de grandes réformes de l’intercommunalité, avec la loi relative à l’administration territoriale de la République, ou loi ATR, de 1992 et la loi Chevènement de 1999.
Un an après, le Premier ministre Lionel Jospin défendait, dans le cadre des orientations pour une nouvelle étape de la décentralisation, l’élection des délégués communautaires au suffrage universel.
M. David Assouline. Eh oui !
M. Nicolas About. Monsieur Mauroy, vous disiez hier vouloir aller de l’avant et non reculer. Vous affirmiez : « Nous participerons au débat avec la conviction et l’ardeur qui nous animaient en 1981. »
Alors, pourquoi cette motion aujourd’hui ? Pourquoi vouloir un référendum ?
M. Jean-Pierre Bel. Parce qu’on ne peut pas reculer !
M. Nicolas About. Pourquoi sacrifier une question aussi complexe que celle qui nous est présentée dans ces trente-neuf articles à une réponse aussi manichéenne que le « pour ou contre » que nous impose le référendum ?
M. Claude Domeizel. Pourquoi le refuser ?
M. Nicolas About. Le tableau français de la réforme des collectivités locales mérite une gamme de nuances un peu plus diversifiée.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous nous prenez pour des idiots ?
M. Nicolas About. La troisième justification possible à votre motion pourrait être la suivante : peut-être nos concitoyens seraient-ils plus légitimes que le Sénat et l’Assemblée nationale pour se prononcer sur le sujet particulier de la réforme des collectivités locales.
M. David Assouline. Non, pas plus !
M. Nicolas About. Vous semblez convaincus, en soulignant dans la motion que « le Gouvernement entreprend une profonde réorganisation administrative locale qui soulève des questions fondamentales, constitutionnelles et politiques, que seul le peuple souverain doit trancher ».
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. On interprète toujours ce que pense le peuple !
M. Nicolas About. Madame Borvo Cohen-Seat, je suis troublé par une telle méconnaissance de notre système.
Je ne crois pas une seule seconde à votre argument, pour deux raisons chères à notre tradition démocratique. D’une part, et c’était là mon premier propos, c’est aller contre l’esprit et la lettre de la Constitution que de vouloir dessaisir le Sénat de ce débat.
Faisons au moins honneur à la Constitution, qui fait de notre chambre le représentant des collectivités locales ! Qui mieux que le Sénat, composé d’une très grande majorité d’élus locaux, peut se prononcer sur ce texte ?
La création des conseillers territoriaux, l’organisation des collectivités, la création des métropoles, la démocratie locale avec l’élection au suffrage universel direct des délégués communautaires méritent, au contraire, toute notre attention et une approche constructive. C’est l’avenir de nos territoires qui se joue. Et vous souhaiteriez vous en défausser ?
D’autre part, j’estime que le recours au référendum doit rester une procédure législative exceptionnelle.
Elle est exceptionnelle, avant tout parce que notre tradition républicaine est fondée sur la démocratie représentative, …
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Aujourd'hui, c’est douteux !
M. Nicolas About. … qui fait que nous, parlementaires, avons la légitimité et la responsabilité de proposer, discuter, amender et voter la loi, tout simplement.
Votre velléité de démocratie populaire (Vives protestations sur les travées du groupe socialiste) n’est donc pas crédible, et me semble plutôt ne constituer qu’une triste échappatoire à des débats pourtant fondamentaux. Je n’ose même pas penser qu’il s’agirait là d’une manœuvre d’obstruction parlementaire. Je ne me permettrai pas, bien sûr, ce procès d’intention.
Mes chers collègues, bien sûr, les membres du groupe de l’Union centriste, comme beaucoup de sénateurs de la majorité et de l’opposition, ont des réticences (Rires sur les travées du groupe socialiste), et non des moindres, sur un certain nombre de sujets. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.) Mais oui, mes chers collègues ! Mais notre groupe a aussi, et peut-être à la différence de vous, des propositions à soumettre. (Nouvelles exclamations et rires sur les mêmes travées.)
Nous voulons, et cela ne semble pas être votre cas, le débat parlementaire.
M. David Assouline. On ne le croit pas !
M. Nicolas About. Et nous l’espérons serein et constructif et nous souhaitons qu’il s’instaure le plus vite possible au sein de cet hémicycle.
M. David Assouline. Vous ne m’avez pas convaincu !
M. Nicolas About. Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, nous rejetons catégoriquement la motion référendaire qui nous est présentée. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. François-Noël Buffet.
M. François-Noël Buffet. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, nos collègues de l’opposition ont décidé cet après-midi de déposer une motion référendaire sur le projet de loi que nous examinons depuis hier, dans le souci, en tous les cas tel qu’affiché, au nom de grands principes, de consulter la population française sur l’opportunité de réformer ou, plus exactement, de réorganiser nos collectivités territoriales.
L’organisation d’un référendum est un acte solennel. C’est une procédure importante, qui est d’ailleurs peu utilisée, même si elle existe depuis le début de la Ve République.
En l’occurrence, il me semble que le souci de consulter la population vise peut-être d’autres fins que celles qui ont été affichées jusqu’à présent à cette tribune. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
De deux choses l’une : soit nous sommes confrontés à l’utilisation d’un procédé dilatoire, au nombre de tous les moyens de procédure que nous donne le Parlement pour tenter de gagner du temps, …
MM. David Assouline et Claude Domeizel. Non !
M. François-Noël Buffet. … de bloquer les choses, d’alimenter sans fin un débat toujours renouvelé au travers des différentes interventions n’apportant pas d’éléments nouveaux,…
M. Yannick Bodin. C’est notre droit !
M. François-Noël Buffet. … soit il s’agit pour vous, après avoir tenté de susciter une certaine peur auprès des élus locaux ou de la population dans nos départements et nos collectivités, en leur tenant des propos souvent dénués de tout fondement et en dispensant un ensemble de contre-vérités, d’essayer par cette procédure de les rencontrer et d’espérer une sorte de réussite politique qui viendrait redorer votre blason aujourd’hui en difficulté.
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Très bien !
M. François-Noël Buffet. Telle est, me semble-t-il, la réalité des choses et tel est bien l’espoir que vous nourrissez. Car, si l’on se réfère à certains sondages réalisés l’automne dernier – l’on pense ce que l’on veut des sondages, mais ils donnent tout de même une photo instantanée de l’état de l’opinion –, on constate que près de 80 % de nos concitoyens étaient favorables à une clarification, à une simplification de notre organisation territoriale. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. David Assouline. Votre réforme rend les choses plus confuses !
M. François-Noël Buffet. C’est là une vérité qui sans doute vous dérange.
À moins que votre souhait de recourir à la procédure du référendum ne résulte de la volonté de protéger le pouvoir sur lequel vous êtes assis et que vous avez eu localement, ce que je peux comprendre, mais qui, en tous les cas, ne correspond pas à la volonté démocratique que vous affichez.
Sur le fond, vous pensez que ce texte remet en cause un grand nombre de principes, …
M. Jean-François Voguet. C’est vrai !
M. François-Noël Buffet. … en engageant une recentralisation alors que nous étions dans une logique de décentralisation,…
M. Jean-François Voguet. Eh oui !
M. François-Noël Buffet. … par une fusion annoncée des départements et régions (Eh oui ! sur les travées du groupe socialiste), par une diminution des compétences exercées par les collectivités, (Eh oui ! sur les mêmes travées), par une difficulté de mise en application de la parité. (Eh oui ! sur les mêmes travées.)
J’ai même entendu dire tout à l’heure que la conséquence première de la réforme serait d’augmenter la pression fiscale des concitoyens. (Hélas ! sur les travées du groupe socialiste.)
Vous n’avez pas attendu la loi, me semble-t-il, pour avoir recours à ce moyen de façon prégnante dans les régions de France. Cela a été démontré partout, et nous savons que vous êtes assez professionnels dans la pratique de ce sport. (M. Paul Blanc applaudit.)
Alors ne venez pas aujourd’hui énoncer de fausses vérités !
Alors que nous souhaitons réorganiser nos collectivités territoriales, personne ne peut dire que la recentralisation soit au cœur des débats et personne ne peut objectivement affirmer que la fusion entre les départements et la région soit un objectif annoncé de la réforme. (M. Jean-Pierre Bel proteste.)
Non, monsieur le président du groupe socialiste, cela n’est pas la vérité.
M. Jean-Pierre Bel. Écoutez Copé !
M. François-Noël Buffet. Que l’on veuille simplifier, spécialiser les compétences pour certains niveaux de collectivités afin de rendre les choses plus claires pour l’ensemble de nos élus, cela me paraît d’une grande nécessité, et ne changera en rien la capacité de nos collectivités à agir sur le terrain et à continuer à répondre aux attentes de la population.
M. David Assouline. Mais si !
M. François Patriat. Avec quels moyens ?
M. François-Noël Buffet. Certes, le projet a peut-être, pour vous, le défaut de pointer clairement la responsabilité de l’augmentation de la pression fiscale, ce qui vous obligera, le moment venu, à rendre des comptes aux électeurs lorsqu’ils seront appelés à se prononcer.
M. Gérard Longuet. Eh oui !
M. François-Noël Buffet. C’est sans doute cela qui vous pose des difficultés. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
Les propos que vient de tenir M. About sont parfaitement justes : le Sénat tire sa légitimité des collectivités territoriales et leur représentation. Dans ce débat, nous sommes effectivement, comme le dirait le président Larcher, dans notre cœur de métier. C’est notre responsabilité première que de travailler sur l’organisation de notre territoire.
M. David Assouline. Le Grand Paris, par exemple !
M. François-Noël Buffet. C’est bien pour cela, vous le savez tous – j’enfonce une porte ouverte – que le texte est examiné en premier lieu par notre assemblée.
C’est faire bien peu confiance à l’ensemble des élus qui siègent dans cette enceinte et se méfier de leur capacité de travailler sereinement à la réorganisation de nos collectivités locales, c’est faire peu de cas des débats qui ont eu lieu dans les commissions que de vouloir dessaisir ainsi notre assemblée de cette réforme. Or, le président de la commission des lois, ainsi que le rapporteur ici présent peuvent témoigner de la qualité des échanges qui ont eu lieu, entre des membres passionnés, désireux de faire avancer ce dossier.
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Oui !
M. François-Noël Buffet. Au demeurant, n’omettons pas de dire que nous sommes d’accord sur bien des points de ce projet de loi, même si le débat n’est pas fermé. En effet, tant en matière de parité que sur d’autres sujets particuliers, le temps doit être donné à la réflexion pour trouver la solution la mieux adaptée.
Dans ces conditions, sur un sujet aussi complexe, comportant diverses possibilités de légiférer, concernant des domaines à la fois technique et politique, le fait d’organiser un référendum et de demander à la population de se déclarer pour ou contre, c’est vouloir tenter le diable, en tous les cas, avoir la ferme volonté de faire capoter le projet. Ce n’est pas la nôtre ! (M. David Assouline s’exclame.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Le peuple, c’est le diable !
M. François-Noël Buffet. Oui, c’est tenter le diable, parce que, sachez, mes chers collègues, que nos concitoyens voudraient peut-être aller encore plus loin que le projet sur lequel nous sommes en train de travailler.
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Tout à fait !
M. François-Noël Buffet. En toute hypothèse, le groupe UMP soutiendra fortement ce projet de loi et votera fermement contre la motion référendaire qui nous est présentée. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Madame la présidente, messieurs les ministres, mes chers collègues, le grand avantage de la proposition de notre ami Jean-Pierre Bel, c’est de nous inciter à revenir sur le terrain.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Et de faire causer !
M. Jean-Pierre Sueur. Les citoyens, la nation, le peuple sont vraiment étrangers, me semble-t-il, au débat qui a lieu dans cet hémicycle et à l’embrouillamini que vous nous proposez, vous le savez bien.
Il n’est plus question du chômage. Il faut parler de l’identité nationale. Il n’est plus question des difficultés des gens et de la nécessité où nous sommes de mobiliser les collectivités locales pour faire face à la crise, à la misère, à la précarité. Non, dans cette enceinte, nous parlons abstraitement, comme l’illustrent les propos tenus, notamment par M. About ou M. Buffet.
À vous entendre, monsieur Buffet, 80 % des Français soutiennent ce texte. Ne voyons-nous pas d’ailleurs les pétitions s’accumuler dans les mairies, les conseils généraux, réclamant un conseiller territorial ? (Exclamations sur les travées de l’UMP.) Ne sommes-nous pas assaillis, chacune et chacun d’entre nous, par des manifestations et des délégations venant nous dire : « Mais enfin, le conseiller territorial n’est pas encore voté ? Vous n’entendez pas nos attentes ! Le peuple, à 80 %, veut un conseiller territorial ! ». (Rires et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mais si les Français le veulent à 80 %, pourquoi n’organisez-vous pas un référendum ? Il serait historique, …
M. Nicolas About. Superbe !
M. Jean-Pierre Sueur. … avec 80 % des Français se levant pour réclamer un conseiller territorial !
Or tout le monde voit bien que vous êtes dans le faux, dans l’artifice ! Personne ne croit vos affirmations. Vous n’y croyez pas vous-mêmes, et comme cela se voit, il y a un grand malaise.
M. François-Noël Buffet et Mme Catherine Troendle. Pas du tout !
M. Jean-Pierre Sueur. Mais c’est très clair, mes chers collègues !
Nous avons besoin de régions fortes, face aux enjeux sur le plan tant européen que mondial. Les présidents de région présents dans cette enceinte, notamment François Patriat, se battent pour renforcer l’université, l’innovation, la science, l’aménagement du territoire, le rayonnement international de nos régions. Il faut donner à ces dernières le maximum d’atouts et d’efficacité pour leur permettre de faire face à la difficile compétition dans laquelle elles sont engagées.
M. Gérard Longuet. Verbiage !
M. Jean-Pierre Sueur. Comme l’a dit M. Fortassin, il suffit de lire les textes votés sur la taxe professionnelle pour voir à quel point les régions, privées de marge fiscale, sont maintenant à l’étroit, avec des budgets contraints.
Lors du débat sur les renouvellements des conseils généraux et des conseils régionaux, un intervenant a déclaré : « Nous nous engageons à ne pas augmenter les impôts ».
M. Nicolas About. Très bien !
M. Jean-Pierre Sueur. Bel engagement, magnifique, …
M. Nicolas About. Il sera tenu !
M. Jean-Pierre Sueur. … puisque les régions n’auront même plus le moyen de décider de la fiscalité !
Vous alimentez la confusion en ôtant tout pouvoir fiscal aux régions tandis que vous dites dans le même temps : Vive la décentralisation !
M. Gérard Longuet a publié, dans le journal Les Échos, un article très intéressant auquel je tiens à rendre hommage, certaines remarques suscitant la réflexion.
M. André Dulait. Ah ! Très bien !
M. François Trucy. In cauda venenum !
M. Jean-Pierre Sueur. En particulier, mon cher collègue, à propos des régions et des départements, vous écrivez : « Si on avait utilisé la moitié des sommes consacrées aux giratoires à soutenir les nouvelles technologies, on serait peut-être champions mondiaux dans certains secteurs. »
Je comprends bien ce que vous voulez dire : la France compte un grand nombre de carrefours giratoires,...
M. Brice Hortefeux, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales. C’est vrai !
M. Jean-Pierre Sueur. … et l’on devrait consacrer les moyens à la technologie plutôt qu’aux carrefours giratoires.
Seulement, monsieur le ministre, vous nous proposez d’élire les conseillers régionaux sur une base cantonale, autrement dit de créer de gros cantons. Pensez-vous vraiment que c’est ce qui va faire bouger les régions, leur donner une force et une vitalité nouvelles ?
Ne pensez-vous pas que tel ou tel conseiller territorial, attaché à défendre son territoire, son secteur, son pays, sera tenté, lui aussi, de réclamer la création d’un giratoire au président de son exécutif ?
M. Gérard Longuet. C’est une compétence départementale, et non régionale ! C’est pour cette raison qu’il faut un texte clarifiant les compétences : le giratoire relève du département, la recherche de la région !
M. Jean-Pierre Sueur. Ce texte n’existe pas, monsieur Longuet !
M. Gérard Longuet. Il viendra : ne soyez pas impatient !
M. Jean-Pierre Sueur. Avec votre système, en « départementalisant » les régions, en les « cantonalisant », vous allez instaurer la République des giratoires…
M. Pierre-Yves Collombat. Des gros giratoires ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
M. Gérard Longuet. C’est mieux que la République des girouettes ! (Sourires sur les travées de l’UMP.)
M. Jean-Pierre Sueur. Comme vous, nous voulons, des régions vraiment puissantes, pas pour construire des giratoires, mais pour promouvoir le développement technologique, scientifique, économique et universitaire : voilà la différence entre vous et nous ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.) Or cela ne sera pas possible tant que l’on entretiendra la confusion avec les départements, qui, eux, ont une mission de proximité, une vocation sociale ô combien nécessaire et éminente.
Il y a quelques années, M. Raffarin nous avait présenté le projet de loi dont il a été question comme un texte de nature à promouvoir la régionalisation. Résultat : ce fut un projet très départementaliste.
Aujourd'hui, en instaurant les conseillers territoriaux, vous allez en vérité affaiblir les régions de France, alors même que, sur les plans économique, scientifique, universitaire et technologique, nous avons besoin de les rendre beaucoup plus puissantes.
Monsieur le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales, quelque chose ne va pas : vous voulez à toute fin imposer ces conseillers territoriaux et vous refusez obstinément, vous et M. Marleix, de répondre à une question simple relativement à leur future répartition sur l'ensemble du territoire. Si vous tenez à présenter loyalement le dispositif, il faut fournir à nos concitoyens l’information à laquelle ils ont droit !
Ce matin, en commission des lois, nous avons proposé un amendement visant à fixer à quinze le nombre minimum des conseillers territoriaux par département. Il nous a été répondu que ce n’était pas le sujet.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois, et M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Que ce n’était pas le moment !
M. Pierre-Yves Collombat. Ce n’est jamais le moment !
M. Jean-Pierre Sueur. Il nous a donc été dit que ce n’était pas le moment.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ce n’est pas pareil !
M. Jean-Pierre Sueur. Au mois de décembre, lors de l'examen du projet de loi organisant la concomitance des renouvellements des conseils généraux et des conseils régionaux, ce n’était pas le moment non plus.
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Eh non !
M. Jean-Pierre Sueur. Selon cette logique, monsieur Longuet, la répartition des compétences sera examinée par la suite, car, pour l’instant, ce n’est pas le moment.
La fixation du nombre de conseillers territoriaux dans chaque département, ce n’est pas le moment.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Non, cela sera étudié ultérieurement : le projet de loi a déjà été déposé.
M. Jean-Pierre Sueur. J’entends bien, mais force est de constater que personne n’a le droit de déposer des amendements « électoraux » devant la commission des lois, à l’exception – on se demande pourquoi – de M. Nicolas About.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois, et M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Mais non !
M. Jean-Pierre Sueur. En tout cas, mon cher collègue, je vous félicite ! Vous avez obtenu satisfaction ; nous, non : il doit y avoir une raison, nous cherchons laquelle !
M. Nicolas About. Je m’en tiens aux principes !
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le ministre, il n’est pas honnête, j’emploie ce mot à dessein, de proposer des conseillers territoriaux dans toute la France et de ne jamais dire combien il y en aura dans chaque département et dans chaque région.
Mme Françoise Cartron. C’est vrai !
M. Jean-Pierre Sueur. Quand nous proposons quinze conseillers territoriaux par département, on nous rétorque : mais vous n’y pensez pas, on ne peut pas prendre un tel engagement, ce n’est pas l’heure !
Mais si un département compte effectivement quinze conseillers territoriaux, le département voisin, dans la même région, qui est dix fois plus peuplé, devrait en avoir cent cinquante. On est bien d’accord ?
M. Nicolas About. Pas forcément !
M. Jean-Pierre Sueur. Or M. le Président de la République l’a dit, l'objectif est de passer de 6 000 conseillers généraux et régionaux à 3 000. Par conséquent, s’il y a un plancher, il y a aussi un plafond : autrement dit, le principe d’égalité devant le vote est bafoué !
M. Gérard Longuet. Mais c’est le territoire que l’on défend !
M. Nicolas About. Absolument !
M. Jean-Pierre Sueur. Comment pourrait-on soutenir qu’un département dix fois plus peuplé qu’un autre n’aurait droit qu’au double de conseillers territoriaux ?
M. Adrien Gouteyron. Et aujourd'hui ?
M. Jean-Pierre Sueur. Ou alors, baissez le seuil minimal de conseillers territoriaux dans un département à huit, six, voire cinq !
Toujours est-il, monsieur le ministre, qu’à cette question, posée chaque jour par les élus dans nos départements, vous n’apportez aucune réponse. Or vous n’avez pas pu imaginer un tel dispositif sans procéder, au préalable, à des calculs et à des simulations pour vous faire une idée du nombre de conseillers territoriaux à prévoir dans chaque département et région.
Nous avons droit à être informés de la nature réelle et concrète de vos projets. J’attends donc avec confiance et intérêt les réponses précises que vous nous apporterez ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Vous les aurez en juin prochain !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Pourquoi vous répondre puisque vous demandez un référendum ?
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Jeannerot.