M. Claude Jeannerot. Monsieur le président, je peux comprendre la réaction de mes collègues, car, lors de l’examen de la motion référendaire, je suis déjà intervenu assez longuement sur cette question du conseiller territorial.
Mais il est d’autant plus nécessaire d’y revenir, monsieur le ministre, que vous en avez fait le cœur de votre réforme. Par conséquent, il faut marteler les arguments qui, tous, convergent vers une analyse unique.
Après tout, monsieur le ministre, où sont la simplification, la clarification ? Nous les cherchons vainement... Mais revenons aux leitmotive de votre démarche.
Au moment même où, dans la loi, vous posez le principe du retrait de la clause générale de compétence, n’était-il pas nécessaire, élémentaire même, de revisiter d’abord les compétences des collectivités ? Étrange logique que celle qui consiste à remettre à plus tard ce qui devrait constituer le fondement de vos choix !
Simplification, clarification, dites-vous. Je crois, au contraire, que vous allez institutionnaliser la confusion ; mes collègues l’ont dit éloquemment. Vous allez immanquablement rétrécir les régions sur des logiques « cantonalistes », alors qu’elles devraient aujourd’hui développer des logiques stratégiques.
En même temps, monsieur le ministre, vous qui connaissez pourtant la réalité départementale, vous allez éloigner les élus départementaux de ce qui fait la spécificité de leur collectivité, à savoir cette proximité qui leur permet de construire des solidarités non seulement sociales, mais aussi territoriales.
Pour illustrer mon propos, permettez-moi de prendre en exemple mon département.
Sur les trente-cinq cantons qu’il compte, dix-sept, soit quasiment la moitié, ont une superficie trois fois plus grande que le département des Hauts-de-Seine. C’est une proportion parlante ! Comment assurer, demain, une vraie proximité ? Sauf à considérer la France à l’aune de Neuilly-sur-Seine, où sont – je vous le demande ! – la simplification, la clarification ?
Voilà quelques jours, monsieur le ministre, j’ai tenu dans mon département une conférence de presse pour sensibiliser l’opinion aux risques de cette réforme. J’étais entouré non seulement de tous les membres de ma majorité, mais aussi de la majorité des membres de mon opposition ainsi que du président de l’Association des maires ruraux du Doubs, que vous connaissez, et de la présidente de l’Association des maires de mon département. Monsieur le ministre, cette quasi-unanimité devrait vraiment vous troubler !
En résumé, je reprends à mon compte cette phrase que j’ai relevée voilà quelques jours dans Le Monde : « En reportant à plus tard la réflexion sur la répartition des compétences des uns et des autres – qui devrait être le socle de l’ensemble –, le Gouvernement a signifié à tout le monde qu’il se soucie comme d’une guigne du fond de la réforme et de sa cohérence. » Singulier manque de hauteur de vues pour qui prétend inventer la France du XXIe siècle ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Miquel, sur l’article.
M. Gérard Miquel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette réforme est un contresens historique. (La voix de l’orateur est couverte par le brouhaha des conversations sur les travées de l’UMP.)
M. Bernard Piras. Un peu de silence ! Cela ne vous intéresse pas ?
M. René-Pierre Signé. Ils n’ont qu’à s’inscrire, s’ils veulent parler !
M. Gérard Miquel. Mes chers collègues de la majorité, le temps vous semble long et vous trouvez que nous intervenons souvent. Mais si vous croyez très fort à cette réforme, inscrivez-vous et défendez-la ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Guy Fischer. Ils ne le veulent pas, car cette réforme leur fait honte !
M. Gérard Miquel. Cette réforme est un contresens historique car, après trois décennies de décentralisation, vous vous apprêtez à mettre à mal tous les efforts que nous avons accomplis au service de nos concitoyens dans toutes nos collectivités. Monsieur le ministre, ayez le courage de dire la vérité !
M. Bernard Piras. Il n’a pas de courage !
M. Gérard Miquel. Quelle est la vérité ? Vous voulez que s’évaporent les communes dans les communautés de communes et les métropoles, ce que prévoyait le texte initial, et les conseils généraux dans les régions !
Cette suppression des conseils généraux dont on parle…
M. Bruno Sido. Il n’y a que vous pour y croire !
M. Gérard Miquel. … viendra probablement très vite, car vous les aurez asphyxiés financièrement.
Mais, monsieur le ministre, pour le plan de relance, vous avez été très satisfait de trouver aux côtés du Gouvernement les collectivités, qui ont fait des efforts d’investissement considérables. Les départements, notamment, ont consenti de nombreux efforts.
Nous allons détruire un lieu de solidarité sociale et territoriale indispensable à nos concitoyens, ce lieu où nous faisons aujourd’hui la péréquation en direction des zones les plus reculées de nos territoires, des petites communes, des petits territoires à faible densité de population.
Cette réforme, si elle était adoptée, marquerait un recul de la démocratie de proximité, à laquelle les Français sont très attachés, vous le savez, et éloignerait l’élu du citoyen. De nombreux orateurs, y compris ceux qui m’ont précédé, ont mentionné tous les dégâts qu’engendrerait votre réforme dans la représentativité des territoires ruraux.
Cette réforme vise aussi à brouiller l’image de deux assemblées qui ont pourtant des compétences très différentes, cela pour mieux justifier leur fusion. Nous serons dans l’impossibilité de faire fonctionner les régions.
La région Midi-Pyrénées, qui compte huit départements, est plus grande que la Belgique. Nous aurions une assemblée composée de cent quatre-vingts, voire deux cents élus conseillers territoriaux. Ils auront en même temps la charge des conseils généraux. Croyez-moi, cela ne durera pas très longtemps. Au bout du compte, j’en suis convaincu, les conseils généraux disparaîtront.
Qui aura le pouvoir ? Ces élus seront peu nombreux dans certains départements. C’est la technostructure régionale qui reprendra la main, comme le faisait la technostructure nationale avant la décentralisation qu’elle n’a jamais acceptée !
Nous aurions été mieux inspirés de faire le bilan de cette décentralisation et de voir où nous en étions de l’exercice des diverses compétences. En effet, il existe deux catégories de compétences. M. Michel Mercier connaît bien ce sujet, puisqu’il est président d’un conseil général.
Monsieur le ministre, vous savez bien que nous avons des compétences de plein exercice : les routes, les collèges, les transports scolaires. Pour celles-là, nous décidons, en fonction de nos moyens, de réaliser des investissements, de mettre en place des services.
Mais nous avons d’autres compétences pour lesquelles nous ne maîtrisons rien, par exemple les compétences sociales. En effet, le tarif des prestations telles que le revenu minimum d’insertion, l’allocation personnalisée d’autonomie ou encore l’allocation de parent isolé est fixé à l’échelon national. D’ailleurs, c’est heureux ; sinon nous aurions une France à deux vitesses ! Mais les conseils généraux paient.
Au Sénat, nous serions sans doute bien placés pour voter une loi imposant à l’État une compensation à l’euro près pour toutes les compétences transférées quand les décisions tarifaires se prennent à l’échelon national. On nous avait dit que cela se ferait, mais nous en sommes très loin ! Tous les présidents de conseil général et tous les conseillers généraux le savent bien !
S’agissant des sapeurs-pompiers, par exemple, une négociation est en cours au plus haut niveau. Sera bientôt créé, m’a-t-on dit, le grade de général de sapeurs-pompiers. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Ça manquait !
M. Gérard Miquel. Certes, c’est une avancée que l’on peut saluer. Mais, lorsque les sapeurs-pompiers négocient un certain nombre d’avantages, souvent mérités, la décision est prise à l’échelon national. Et qui paie ? Les conseils généraux ! Dans ces deux catégories de compétences, nous devons faire le ménage et nous y sommes prêts.
Monsieur le ministre, vous qui gérez un département important dans notre pays et qui connaissez bien les collectivités territoriales, je ne voudrais pas, parce que vous avez porté ce projet et fait adopter la loi, que vous soyez considéré, à l’avenir, comme le fossoyeur de la décentralisation. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Yannick Bodin, sur l’article. (Plusieurs sénateurs de l’UMP quittent l’hémicycle.)
M. Yannick Bodin. Monsieur le président, dois-je intervenir tout de suite ou attendre le départ – ou le retour – du groupe UMP ? (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
Restez donc, mes chers collègues ! On parle de l’avenir de la France, cela peut vous intéresser !
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ces derniers jours, et plus particulièrement cet après-midi, nous avons quelque peu le sentiment, il faut bien l’avouer, d’assister à un débat surréaliste.
En fin de compte, la question qui nous est posée par le Gouvernement sur ce sujet est très simple : êtes-vous favorables à la création du conseiller territorial ? Chacun se demande alors, de façon tout à fait légitime : qu’est-ce qu’un conseiller territorial ? Le Gouvernement nous répond : votez, et on vous le dira après !
Nous avons alors échafaudé toute une série d’hypothèses, à propos desquelles le Gouvernement, jusqu’à présent, ne nous a absolument pas tranquillisés.
Monsieur le ministre, on aurait pu penser, puisque vous avez daigné – j’insiste sur ce mot – répondre à M. About, ce que vous n’avez pas eu l’obligeance de faire pour l’opposition, que nous en saurions un peu plus sur le mode de scrutin. Mais nous avons simplement appris que les conseillers territoriaux seraient élus dans des « super cantons », au scrutin uninominal, qu’il y aurait une dose de proportionnelle et qu’il serait tenu compte de la parité. Aucune réponse précise et concrète n’a été apportée !
J’en veux pour preuve les propos des intervenants appartenant au même groupe que M. About : ils ont rappelé leur inquiétude sur cette question – n’est-ce pas, madame Gourault ? (Mme Jacqueline Gourault acquiesce.) -– en se demandant si les engagements – mais lesquels ?– seraient tenus.
Mme Jacqueline Gourault. Ceux qui figurent dans l’article !
M. Yannick Bodin. M. About, quant à lui, a l’air tranquillisé ! Je l’ai aperçu hier soir sur France 3 Paris-Île-de-France, embarquant sur la péniche de Mme Pécresse, à qui il a fait la bise avant de partir vers les élections régionales.
M. Guy Fischer. Il a obtenu une place éligible !
M. Yannick Bodin. Voilà au moins un homme heureux ! Sans doute a-t-il les réponses que vous n’avez pas ! Je suis sûr que même M. Maurey ne les a pas non plus, ce qui est tout de même bien dommage !
M. Guy Fischer. M. Maurey aura autre chose !
M. Yannick Bodin. Dans ces conditions, vous comprendrez, monsieur le ministre, que nous soyons, pour notre part, un peu plus inquiets.
J’évoquerai également un autre aspect, qui a déjà été abordé, puisque nous en sommes réduits aux hypothèses et aux supputations.
Hier soir – il convient d’insister sur ce point –, le Président de la République n’a abordé qu’à une seule occasion cette réforme, et durant vingt secondes seulement, bien qu’il la considère, paraît-il, comme très importante. Il s’est félicité du résultat du référendum organisé à la Martinique et à la Guyane, affirmant au passage – chacun l’a noté – que cela préfigurait la réforme territoriale qu’il proposait. Nous nous dirigeons donc vers une assemblée unique !
Devinez, mes chers collègues, entre le conseil général et le conseil régional, quelle structure sera amenée à disparaître, dans l’esprit de M. Sarkozy ? Je suppose que ce sera plutôt le département ! Si seulement il s’agissait de mettre en place une nouvelle structure régionale forte, dans le cadre de l’Europe et du monde ! Au contraire, vous voulez l’affaiblir : ses capacités financières seront amoindries, car elle subira de plein fouet le contrecoup de la réforme sur le plan fiscal ; ses compétences seront remises en cause ; enfin, la tutelle de l’État sera renforcée !
Franchement, si telle est la fonction dévolue aux conseillers territoriaux, mieux eût valu qu’elle n’existât point !
Nous avons consacré dans la Constitution, voilà quelques années, le principe selon lequel la France est une République décentralisée. Aujourd’hui, nous assistons à une entreprise de recentralisation. La situation étant parfaitement claire, il est inutile de recourir à des termes compliqués : le projet que vous nous présentez est, tout simplement, antirépublicain. À ce titre, nous ne pouvons l’accepter ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à Mme Christiane Demontès, sur l’article.
Mme Christiane Demontès. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, à mon tour, j’exprimerai les plus vives réserves sur ce projet de loi, s’agissant notamment de la création du conseiller territorial. Cela a été dit, c’est un mauvais coup porté non seulement à la décentralisation, mais aussi à l’ensemble des collectivités territoriales – communes, départements et régions –, et à la parité.
J’évoquerai tout d’abord la décentralisation.
Monsieur le ministre, comment penser une seconde que l’élection du conseiller territorial permettra la poursuite d’un fonctionnement régional en faveur de l’aménagement du territoire, du développement économique, des transports et de la formation professionnelle initiale et continue ?
Comment penser une seconde que l’élection du conseiller territorial permettra la poursuite d’un fonctionnement départemental – que vous connaissez bien, monsieur le ministre – au service des solidarités et de la protection maternelle, infantile et de la jeunesse, laquelle, nous le savons bien, a particulièrement besoin d’être protégée ?
Tous ces sujets font l’objet du processus de décentralisation engagé au cours de ces trente dernières années, qui vise à rapprocher le pouvoir du citoyen. Comment le conseiller territorial, écartelé entre le conseil régional et le conseil général, lesquels, comme je viens de le rappeler, ont des compétences essentielles pour la vie quotidienne de nos concitoyens, pourra-t-il traiter en connaissance de cause tous les domaines que je viens d’évoquer et trouver, en outre, le temps indispensable pour aller à la rencontre de nos concitoyens ?
Ce texte porte également un mauvais coup aux régions, sous prétexte que celles-ci sont, dans la grande majorité des cas, gouvernées par des majorités de gauche. Comment ne pas y voir la volonté cachée de porter tort au travail accompli depuis plusieurs années par les conseils régionaux, et ce pour des raisons strictement électoralistes ? Ceux-ci se sont investis dans leurs compétences sans arrière-pensée, qu’il s’agisse des transports régionaux ou de la formation professionnelle initiale et continue, pour ne citer que deux compétences essentielles transférées par le législateur.
Comment ne pas penser que les régions deviendront des fédérations de cantons, perdant ainsi leur capacité à penser globalement ?
Cela a déjà été dit, ce projet de loi porte en outre un mauvais coup à la parité, c'est-à-dire à la démocratie. Un pas de géant avait été franchi en 1999 avec l’inscription dans la Constitution d’une nécessaire parité dans les scrutins électoraux, tout particulièrement pour les élections municipales, régionales, sénatoriales et, dans un certain nombre de départements, cantonales.
La parité – je défie quiconque de me prouver le contraire – apporte par ailleurs une approche politique élargie, celle que nos concitoyens attendent.
Monsieur le ministre, pour ces trois raisons, la création du conseiller territorial relève pour le moins de l’improvisation, au pire – j’ose à peine y songer ! – d’une attaque en règle contre les collectivités territoriales, lesquelles, face au Gouvernement, constituent aujourd’hui de véritables contre-pouvoirs.
Le conseiller territorial, qui fait l’objet de l’article 1er de ce projet de loi, est le chiffon rouge de l’ensemble du texte. Il faut donc, mes chers collègues, voter dès maintenant contre cet article, c'est-à-dire, symboliquement, contre la création du conseiller territorial. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Mauroy, sur l’article.
M. Pierre Mauroy. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ai bien souvent eu l’occasion, au cours de ces vingt dernières années, de faire connaître mes idées, celles de mes amis et du parti auquel j’appartiens.
Bien souvent, nous avons été, vous dans la majorité et nous dans l’opposition, sur des positions différentes mais qui étaient clairement définies. Nous savions exactement où nous voulions aller de même que vous saviez jusqu’où nous pourrions aller et où nous ne voulions pas aller…
Cet article, comme le titre même de conseiller territorial, est, cela vient d’être dit, un chiffon rouge, mais aussi un marqueur. En effet, il est évident que vous ne voulez pas avancer. Au fond, vous voulez à peine discuter, vos idées étant arrêtées. Pour notre part, nous avons également quelques idées arrêtées, mais ce sont celles que nous avons portées, avec beaucoup d’entre vous, pendant plus de vingt ans : elles portent sur la décentralisation et les grands changements opérés dans la République. Aujourd’hui, on a l’impression que vous ne voulez plus poursuivre dans ce sens ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Finalement, c’est cela qui importe ! À cet égard, je regrette que certains de nos collègues soient partis. N’ayant pas pressenti que nous sommes sans doute à un moment crucial, à la fois pour les collectivités territoriales, les élus et la République, il leur devient insupportable de nous écouter ! (Mêmes mouvements.)
Dans ces conditions, mes chers collègues, je n’ai pas envie d’entrer dans les détails, de revenir sur tel ou tel point, parfaitement explicité par mes collègues, d’autant que je me suis exprimé bien souvent, parmi vous, mais aussi dans la presse. Tout simplement, je fais le constat que vous ne voulez pas avancer, que ce que vous acceptez n’émane pas de cette enceinte ni même de l’Assemblée nationale.
J’ai connu la même situation au sein du comité Balladur ! Durant un mois, nous avons pu penser que notre travail pourrait déboucher sur quelques résultats. Ensuite sont venues des instructions, dont vous pouvez certainement, mes chers collègues, deviner la provenance ! (Protestations sur les travées de l’UMP. – Rires sur les travées du groupe socialiste.) Nous avons compris qu’une volonté de rupture était à l’œuvre. J’ai alors fait part de mon opposition absolument totale, qui concernait justement la création du conseiller territorial.
Or, sur ce sujet, capital puisqu’il met en cause la République, les élus et les territoires, vous ne voulez rien entendre ! Dans ces conditions, c’est le peuple qui se prononcera ! Et j’appelle tous les élus, tous ceux qui ont voulu la décentralisation, à se rassembler lors des élections régionales pour vous faire savoir, au-delà de nous, ce qu’en pensent les Français. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
C’est cela, l’État ! Puisque l’arbitrage n’est pas possible dans cette assemblée, eh bien, c’est le peuple qui décidera s’il veut continuer la décentralisation, s’il veut continuer à respecter les élus, les territoires et s’il veut continuer à préparer l’avenir, non pas avec cet OVNI qu’est le conseiller territorial dont on ne sait même pas selon quel mode de scrutin il sera élu, dont on ne sait pas davantage sur quel territoire il exercera ses compétences – lesquelles ne sont d'ailleurs pas précisément définies –, dont on ne sait rien,…
M. Éric Doligé. Mais si ! Nous, on le sait !
M. Pierre Mauroy. … sinon votre détermination à le créer ! Nous n’en voulons pas et nous le dirons au cours d’une campagne menée avec les élus, dans les territoires, auprès du peuple ! Car ce rassemblement aura lieu lors des élections régionales ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à Mme Bernadette Bourzai, sur l’article.
Mme Bernadette Bourzai. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’idée de créer le mandat de conseiller territorial illustre parfaitement, de mon point de vue, l’incompréhension profonde du Gouvernement à l’égard des défis qui se posent quotidiennement à notre pays et à nos concitoyens.
Ces défis renvoient à des valeurs : la démocratie, la parité, l’égalité, l’efficacité de l’action publique, la décentralisation et la crédibilité institutionnelle de l’État. Pour chacune de ces valeurs, la création du mandat de conseiller territorial marquera un net recul et l’annonce de la casse de la démocratie locale.
Certes, aucun système électoral n’est parfait mais la coexistence actuelle des scrutins départementaux et régionaux permet d’assurer la proximité de l’élu et des citoyens, pour le scrutin départemental, et de représenter les différents courants politiques, pour le scrutin régional.
Or, d’après ce que nous comprenons de vos intentions, sous réserve d’une meilleure connaissance de la négociation menée sur l’amendement du groupe de l’Union centriste, et dont il aurait fallu discuter avant de nous proposer la création du conseiller territorial, vous voulez faire disparaître le scrutin à la proportionnelle, qui est le mieux à même de garantir la parité, et faire élire les conseillers territoriaux sur la base de cantons élargis.
Outre le fait que le conseiller territorial sera, par définition, un cumulard puisqu’il aura à siéger dans deux assemblées différentes et à voter deux budgets, cette création portera un coup très sévère à la proximité. Il n’y a donc rien à gagner à échanger deux modes de scrutins complémentaires et lisibles contre un mode de scrutin que vous avez choisi d'ailleurs de ne pas présenter en même temps que la création du nouveau mandat.
J’ai même compris qu’il s’agirait d’utiliser le prétexte de l’introduction d’une dose de proportionnelle pour faire siéger des candidats auxquels il manquerait des voix, c’est-à-dire des « battus-élus » ou des « élus-battus » – choisissez l’ordre que vous préférez ! Après les « reçus-collés » de l’histoire des études universitaires, nous aurons désormais des « battus-élus » ! Quelle étrange tournure d’esprit il nous faudrait pour soutenir une telle proposition qui, par ailleurs, affaiblit considérablement la parité !
Là encore, les propositions de rafistolages que l’on a pu entendre, loin d’améliorer la situation, l’aggravent.
M. le secrétaire d’État avait évoqué la possibilité que les suppléantes – car c’est le cas le plus fréquent depuis la pseudo-parité instaurée pour les élections cantonales – puissent siéger dans des conseils d’administration à la place des titulaires. C’est une idée curieuse : quand on détient un mandat, c’est pour l’exercer soi-même, et pleinement. Du moins est-ce ma conception.
Cette proposition constitue une reconnaissance du fait que le conseiller territorial, dépourvu, en l’occurrence, du statut d’élu, n’aura pas le temps d’assumer son double mandat de conseiller général et de conseiller régional, sauf à être doté du don d’ubiquité, à ma connaissance peu répandu.
Cette proposition visait donc à donner un peu de consistance à la suppléance. Pourquoi ? Tout simplement pour tenter de faire croire que, dès lors qu’il y a parité entre titulaire et suppléant, il y aurait parité tout court. Avoir une grande majorité d’élus masculins et une grande majorité de suppléantes, ce serait cela, la parité ! En fait, c’est le machisme institutionnalisé ! (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste.)
Par ailleurs, votre projet porte aussi atteinte à l’égalité du suffrage. Avec le cumul, la charge de travail de représentation de l’élu va doubler. Savez-vous combien il y a de délégations ou de représentations officielles à pourvoir dans une assemblée locale ? Pas moins de 250 pour le conseil général de Corrèze et plus de 300 pour le conseil régional du Limousin, sans compter les invitations quotidiennes !
Comment voulez-vous que des élus puissent, entre Marseille et Briançon, par exemple, être présents dans les conseils d’administration et dans tous les lieux où la représentation des collectivités est indispensable à la vie quotidienne des citoyens ? Pour avoir pratiqué l’exercice pendant sept ans, je peux vous dire que je ne souhaite cela à personne, pas même à mon pire ennemi politique ! En effet, on n’a ni le temps ni le recul nécessaires pour assumer des compétences qui relèvent effectivement de la vie quotidienne de nos concitoyens.
C’est la raison pour laquelle je voterai contre cet article 1er, qui vise à créer le conseiller territorial. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Rappels au règlement
M. le président. La parole est à M. Gérard Longuet, pour un rappel au règlement. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Gérard Longuet. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la démocratie parlementaire, est naturellement l’occasion d’examiner le fond des textes qui nous sont soumis dans le cadre de notre travail de législateur.
M. Yannick Bodin. Il n’y a rien dedans !
M. Gérard Longuet. Mais c’est également le respect de la forme. C’est en effet la forme qui permet à une assemblée de travailler.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous êtes mal placé pour en parler !
M. Guy Fischer. Voilà le bâillon !
M. Gérard Longuet. Or, à cet instant, nous observons un mépris affiché des décisions prises collectivement en conférence des présidents. (Protestations sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste. – Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
En revenant, par des demandes de parole incessantes, sur une décision prise en commun lors de la conférence des présidents…
M. Guy Fischer. C’est un scandale que d’entendre cela !
M. Gérard Longuet. …– où, chers collègues du groupe socialiste, vous êtes représentés par l’un des vôtres de grand talent –, vous méconnaissez les conséquences des décisions auxquelles vous avez accepté de participer. En réorganisant une discussion générale sur chacun des articles,…
M. Yannick Bodin. La parole est libre !
M. Gérard Longuet. …vous faites preuve d’une attitude totalement désinvolte au regard des décisions collectives prises en conférence des présidents pour conduire ce débat !
M. Guy Fischer. C’est une honte d’entendre cela ! Voilà la démocratie ! Voilà comment on va bâillonner les collectivités territoriales !
M. Gérard Longuet. Nous ne voyons aucun inconvénient à approfondir ce débat sur le conseiller territorial. Mais j’imaginais que les centaines d’amendements que vous avez déposés sur ce texte vous donneraient l’occasion d’intervenir sur le fond.
M. Guy Fischer. Comptez sur nous ! On les défendra !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il y en a 300 qui viennent de vous !
M. Gérard Longuet. Pourtant, manifestement, ce temps ne vous suffit pas. À travers cette attitude, vous apportez de l’eau au moulin de ceux qui trouvent le règlement du Sénat trop libéral – ce qui n’est pas mon cas, je suis très libéral de conviction et de pratique – et vous travaillez contre l’esprit de respect mutuel qui caractérise notre vie parlementaire ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP. – Protestations sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est un scandale !
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour un rappel au règlement.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur Longuet, vous qui êtes président du groupe de l’UMP, vous me paraissez très mal placé pour nous faire la leçon ! (Protestations sur les travées de l’UMP.) La majorité n’a-t-elle pas voté un amendement qui venait avant la discussion de l’article 1er, censé créer les conseillers territoriaux ?
M. Alain Gournac. Cela nous regarde !
M. Nicolas About. Ça y est ! Ils sont créés !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. N’a-t-elle pas voté un amendement de M. About, venu se faire féliciter du marchandage qui lui a permis de figurer sur une liste UMP aux élections régionales ? (Protestations sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste. – Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. Nicolas About. Moi aussi, on veut me bâillonner ! (Sourires.)
M. Guy Fischer. C’est la vérité !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je vous adresse donc mes félicitations, monsieur About !
La majorité a voté, avec la complicité du Gouvernement, un amendement permettant de passer outre la discussion sur les conseillers territoriaux. La même majorité avait pourtant, toujours avec le soutien du Gouvernement, refusé tout article additionnel avant l’article 1er posant des principes relatifs au mode de scrutin des conseillers territoriaux. (Mme Dominique Voynet applaudit.)
Et voilà que M. Longuet nous fait la leçon le jour même où le Conseil d’État vient de faire droit au recours de notre groupe contre une décision de la majorité qui avait autorisé la suppression de la publicité à la télévision publique avant même le vote du Parlement ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
Franchement, c’est une honte, c’est un scandale ! Nous continuerons à exercer nos droits de parlementaires avec toutes les possibilités dont nous disposons encore …
M. Nicolas About. Nous vous faisons confiance !