M. Yvon Collin. Tout comme les amendements que nous avons défendus hier et qui ont rencontré un succès d’estime, mais pas d’adhésion véritable, l’amendement no 569 rectifié vise à combler l’une des grandes lacunes de ce texte, à savoir la question du cumul du mandat de conseiller territorial avec d’autres mandats. Il a notamment pour objet de prohiber le cumul de ce mandat avec la présidence d’un EPCI, quelle que soit la taille de celui-ci.
On nous répondra sans doute une fois encore que cet amendement, au même titre que l’amendement no 505 rectifié bis, n’a pas sa place dans ce texte et qu’il serait mieux placé dans le projet de loi relatif à l’élection des conseillers territoriaux et au renforcement de la démocratie locale. Il s’agit là d’un argument spécieux, à l’image de l’ensemble de cette réforme, qui consiste à saucissonner les discussions pour mieux noyer le poisson – c’est du moins notre sentiment – mais qui n’apporte aucune réponse de fond sur la question que nous avons soulevée et dont la pertinence est reconnue au-delà des seuls cosignataires de ces deux amendements.
D’aucuns soutiennent qu’il faut laisser le peuple souverain trancher pour décider de la pertinence du cumul de façon générale. J’observe que l’appréciation portée globalement sur les hommes politiques n’a jamais été aussi mauvaise dans l’opinion et que l’image d’élus surchargés mais ne décidant finalement de rien est largement répandue. J’ajoute que le peuple souverain pourrait un jour manifester de façon véhémente, dans les urnes, sa colère contre ces mêmes élus.
Il nous paraît donc plus sage de précéder la sanction en créant dès à présent des garde-fous propices à priver d’arguments les poujadistes de tous bords qui vitupèrent en se contentant d’appeler à « sortir les sortants ».
La prohibition du cumul des mandats de conseiller territorial avec la présidence d’un EPCI s’inscrit dans la logique que nous avons déjà défendue. L’intercommunalité est d’autant plus appelée à se développer que le Gouvernement veut la rendre plus systématique, incontournable. Elle exige donc une implication à plein temps de ceux qui la dirigent.
Dans un climat de complexification des normes et de contraintes financières toujours plus dures, nous ne concevons pas que le président d’un EPCI puisse décemment défendre le fait qu’il est dans la meilleure situation pour gérer trois, voire quatre agendas : celui du conseil municipal dont il est nécessairement issu, celui de l’EPCI, celui du conseil général et celui du conseil régional.
Le Gouvernement a souligné que le conseiller territorial serait un élu « efficace » de par sa double appartenance départementale et régionale.
Puisque le présent projet de loi vise à simplifier l’architecture territoriale, allons au bout de la démarche en supprimant cette possibilité de cumul, ainsi que nous le proposons avec l’amendement no 569 rectifié.
L’amendement no 505 rectifié bis procède du même esprit en fixant le seuil de l’interdiction du cumul aux EPCI de 50 000 habitants et plus.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Monsieur Collin, je vous confirme que, selon nous, ces deux amendements ont davantage leur place dans le projet de loi n° 61, qui sera débattu prochainement.
La question du cumul des fonctions de président d’EPCI et de conseiller territorial se pose effectivement, tout comme se pose, par exemple, celle du cumul des mandats de sénateur et de président de conseil général. Autrement dit, si nous commençons à limiter les possibilités de cumul, cela peut nous entraîner assez loin. Nous devons donc prendre beaucoup de précautions.
Dès lors, monsieur Collin, je vous propose de débattre de cette question ultérieurement et j’émets un avis défavorable sur ces deux amendements, à moins que vous n’acceptiez de les retirer.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Monsieur Collin, les amendements nos 569 rectifié et 505 rectifié bis sont-ils maintenus ?
M. Yvon Collin. Compte tenu du succès remporté par les amendements de même nature que nous avons présentés hier, je retire ces deux-ci, monsieur le président, mais nous ne manquerons pas, le moment venu, de les présenter de nouveau.
M. le président. Les amendements nos 569 rectifié et 505 rectifié bis sont retirés.
Chapitre III
Le conseil économique, social et environnemental régional
Article 4
L’article L. 4241-1 du code général des collectivités territoriales est ainsi modifié :
1° Après le sixième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« 6° Aux orientations générales dans le domaine de l’environnement. » ;
2° L’avant-dernier alinéa est complété par les mots : « ou intéressant l’environnement dans la région. »
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, sur l’article.
M. Jean Desessard. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je me permets de vous faire part de l’étonnement de Mme Voynet quant au rejet, pour cause de non-conformité à l’article 40 de la Constitution, d’un amendement qu’elle avait déposé sur l’article 4 de ce texte.
Cet amendement visait simplement à conforter la reconnaissance des conseils de développement. Si les conseils économiques et sociaux régionaux – demain, les conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux – ont trouvé leur place au sein des instances régionales, il semble en effet utile de renforcer ces conseils de développement qui, au niveau local, jouent un rôle tout aussi important pour le développement économique, la solidarité, les transports, la protection des ressources et de l’environnement.
Ces conseils de développement ont été mis en place sur l’initiative de nombreuses intercommunalités de plus de 50 000 habitants, en application de la loi d’orientation pour l’aménagement et le développement durable du territoire.
Afin d’accroître leur efficacité et de remédier à leur statut relativement fragile, Mme Voynet avait proposé, dans son amendement, que la loi reconnaisse davantage leur existence auprès des agglomérations, sans pour autant leur donner une forme institutionnelle rigide. Cette ambition semblait avoir été partagée par les travaux préparatoires du Grenelle… Mais il est vrai qu’entre-temps la « magie » du Grenelle n’a finalement produit qu’une potion plutôt aigre ! (Sourires.)
C’est pourquoi, sans céder à une polémique inutile, Mme Voynet regrette que cet amendement ait été rejeté, sans autre forme de procès, sur le fondement de l’article 40 de la Constitution.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 157, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
... - L'article L. 4134-2 du code général des collectivités territoriales est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Ce décret tient compte de la nécessaire représentation des acteurs dont l'activité a un impact important sur les questions, sociales et environnementales intéressant le territoire de la région, telles que l'emploi, les transports, le logement, notamment social, le cadre de vie et le développement de la région. »
La parole est à Mme Odette Terrade.
Mme Odette Terrade. Cet amendement concerne la représentation des acteurs du logement social au sein des conseils économiques et sociaux régionaux.
Lors des débats qui ont conduit à l’adoption de la loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion, comme au cours de la discussion du « Grenelle II », nous avons vu que les questions d’urbanisme et de logement, en particulier celles qui concernent la répartition des logements de différents types ainsi que l’application des normes relatives à la construction et au respect de l’environnement, avaient un impact très important sur l’économie de nos territoires. Certains de mes collègues ont même mis en avant le potentiel commercial important que représentent les nouvelles dispositions du « Grenelle II ».
De même, en matière de politique des transports, les choix effectués en termes de liaisons entre agglomérations, de fréquence et horaires déterminent souvent l’attractivité d’un territoire pour les entreprises et les habitants.
Enfin, il est évident que le rôle de la politique de l’emploi est déterminant.
Or les conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux, en tant qu’organes consultatifs, ont trois rôles majeurs à jouer : conseiller les représentants de la Nation dans leurs choix ; favoriser, à travers leur composition, le dialogue entre les catégories socioprofessionnelles ; enfin, contribuer à informer les assemblées politiques.
Les rapports rendus par le Conseil économique, social et environnemental servent souvent de base à nos travaux. Quand nous devons analyser et faire un choix dans notre travail de législateur, ces rapports constituent des sources précieuses d’informations, que l’on espère aussi complètes que possible.
Nous avons donc intérêt à ce que les conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux soient composés de personnes impliquées dans ces domaines, et dotées d’une connaissance intime du terrain. C’est le cas des acteurs du logement social, par exemple, et des associations qui agissent dans le domaine de l’insertion sociale.
Or, l’article L. 4134-2 du code général des collectivités territoriales se contente de prévoir que « la composition des conseils économiques et sociaux régionaux, les conditions de nomination de leurs membres ainsi que la date de leur installation dans leur nouvelle composition sont fixées par un décret en Conseil d’État ».
C’est pourquoi nous estimons nécessaire la présence, entre autres, des acteurs du logement social au sein de ces conseils économiques, sociaux et environnementaux, ainsi que sur la prise en compte des acteurs de terrain en matière de logement, d’emploi et de transports.
M. le président. L'amendement n° 447, présenté par MM. Peyronnet, Sueur, Bel et Anziani, Mme Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat, C. Gautier, Krattinger, Mauroy et Povinelli, Mme Alquier, MM. Andreoni, Bérit-Débat et Berthou, Mme Blondin, MM. Bodin, Botrel et Boutant, Mmes Bourzai et Bricq, MM. Caffet et Chastan, Mme Cartron, MM. Courteau, Daunis et Daudigny, Mme Durrieu, MM. Fichet et Jeannerot, Mme Ghali, MM. Guérini et Guillaume, Mmes Khiari et Klès, MM. Lagauche, Marc, Le Menn, Lozach, Madec, Mazuir, Miquel, Mirassou, Patriat, Percheron, Rebsamen, Ries, Sergent, Signé, Teulade et les membres du groupe Socialiste et apparentés, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
... - L'article L. 4134-2 du code général des collectivités territoriales est complété par un deuxième alinéa ainsi rédigé :
« Ce décret tient compte de la nécessaire représentation des acteurs dont l'activité a un impact important sur les questions économiques, industrielles, sociales et environnementales intéressant le territoire de la région, telles que l'emploi, les transports, le logement, notamment social, le cadre de vie et le développement de la région. »
La parole est à M. Jean-Claude Peyronnet.
M. Jean-Claude Peyronnet. Cet amendement a en fait le même objet que l’amendement n° 157, qui vient d’être défendu par Mme Terrade. Il s’agit de préciser les principes qui devraient guider la rédaction du décret ayant pour objet de fixer la composition des conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux, afin d’y faire apparaître les questions qui seront traitées prioritairement par les collectivités territoriales et qui auront une réelle incidence sur l’économie et l’industrie, notamment dans les domaines de compétence des collectivités que sont les transports, le logement et le cadre de vie.
Le problème majeur reste le logement social, dont les représentants ne sont que très peu pris en compte au sein des conseils économiques et sociaux actuels. Il semble donc nécessaire de valoriser leur rôle dans le décret qui fixera la composition de ces conseils.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Ces deux amendements tendent à préciser la nature des activités des acteurs représentés au sein des conseils économiques, sociaux et environnementaux régionaux : il s’agirait notamment de l’emploi, des transports, du logement, en particulier du logement social, du cadre de vie et du développement de la région.
De tels amendements entrent cependant en conflit avec la discussion engagée sur le projet de loi portant engagement national pour l’environnement, dit « Grenelle II », qui apporte des précisions sur ce point dans son article 100, ainsi qu’avec celle qui s’engagera sur la composition et le fonctionnement du Conseil économique et social. Il convient, en conséquence, de renvoyer ce débat à l’examen de ces deux textes.
En conséquence, la commission sollicite le retrait de ces amendements. À défaut, elle émettra un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L'amendement n° 666, présenté par MM. Bernard-Reymond, Alduy, Milon et Laménie, est ainsi libellé :
Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
... - Après l'article L. 5211-10 du code général des collectivités territoriales sont insérées les dispositions suivantes :
« Paragraphe 4 : Conseils économiques, sociaux et environnementaux.
« Art. L. 5211-10-1. - Chaque communauté de communes ou d'agglomération peut se doter d'un « Conseil économique social et environnemental » composé de représentants des chambres consulaires, des syndicats patronaux et salariés représentatifs, d'associations et de personnalités qualifiées.
« Il est chargé de donner des avis, et de faire des propositions relatifs à la prospective ainsi qu'aux questions économiques, sociales et environnementales.
« La fonction de conseiller est bénévole. »
Cet amendement n'est pas soutenu.
Je mets aux voix l'article 4.
(L'article 4 est adopté.)
Division additionnelle après l'article 4
M. le président. L'amendement n° 124, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Après l'article 4, insérer une division additionnelle et son intitulé ainsi rédigé :
Chapitre ...
Renforcement de la démocratie locale au sein des territoires intercommunaux
La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Partant du constat selon lequel la réforme des collectivités locales que nous propose le Gouvernement se traduit notamment par un grave recul de la démocratie locale, nous ne pouvons que refuser cette logique et proposer des mesures qui visent à sauvegarder les acquis de la décentralisation.
En effet, la volonté affichée dans ce projet de loi est le regroupement sous toutes ses formes, qu’il s’agisse de communes, d’EPCI ou de départements. Ces agglomérats que ce texte prépare, organise et même impose quasiment entraîneront fatalement dans notre pays une perte en termes de démocratie de proximité. Ces regroupements devraient en effet répondre concrètement à des besoins locaux ; or, en l’espèce, ce ne sera pas nécessairement le cas : ils ne seront pas décidés librement par ceux qui se regroupent, mais imposés indirectement par l’État, par le biais d’incitations financières ou de pouvoirs confiés aux préfets.
Tout ce qui éloigne les lieux de prise de décision des citoyens auxquels les décisions s’appliquent ne peut que conduire à moins de démocratie, et donc à moins de pertinence, surtout quand on sait que l’objectif final est d’appliquer la RGPP aux collectivités locales, c’est-à-dire de gérer des collectivités humaines comme des entreprises ou des parts de marché, selon une logique de rentabilité, de mise en concurrence.
Ainsi, tout est cohérent dans le modèle de société que nous dessine ce gouvernement : l’État organise le dépeçage des services publics locaux pour mieux en confier des pans entiers au secteur privé. Par ailleurs, la France transpose peu à peu, en catimini de surcroît, la directive européenne dite « services », pour ouvrir encore plus à la concurrence toute une série de besoins que vous considérez comme autant de « marchés ».
Nous pensons au contraire que la gouvernance au plus près des administrés est un acquis primordial et que le modèle français du « service public » doit être conservé, tant au niveau national qu’au niveau local.
C’est la raison pour laquelle nous entendons défendre et renforcer la démocratie locale au sein des territoires intercommunaux à travers plusieurs axes qui seront détaillés dans les amendements à venir.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Comme d’autres qui vont suivre, cet amendement intervient dans les champs du droit électoral et du fonctionnement des assemblées locales, qui ont fait l’objet d’un projet de loi spécifique, n° 61, lequel porte notamment sur le renforcement de la démocratie locale et les conditions d’exercice des mandats locaux. Les questions soulevées par le présent amendement pourront être débattues dans le cadre du prochain examen de ce projet de loi.
En conséquence, la commission sollicite le retrait de cet amendement. À défaut, elle émettra un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il n’y a plus de principes dans la loi !
Articles additionnels après l'article 4
M. le président. L'amendement n° 125, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Après l'article 4, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le droit de vote et d'éligibilité aux élections locales est accordé aux étrangers ressortissants de l'Union européenne résidant en France et aux étrangers non ressortissants de l'Union européenne résidant régulièrement en France depuis au moins cinq ans.
La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Sans me lancer ici dans l’historique de la revendication sur le droit de vote des étrangers, qui a fait l’objet de promesses électorales suivies d’abandons ou de reculades, je voudrais rappeler quelques faits.
Depuis plusieurs années, des campagnes symboliques sont menées en faveur de ce droit, notamment les « votations citoyennes » organisées par la Ligue des droits de l’homme. De nombreuses communes ont également ouvert à tous les étrangers en situation régulière depuis une période déterminée leurs référendums d’initiative communale. C’est le cas, dans mon département, des villes de Stains, de L’Ile-Saint-Denis ou de La Courneuve.
De même, à la suite de la commune de Saint-Denis, plusieurs villes ont organisé, à partir de 2006, des référendums d’initiative locale sur le droit de vote et d’éligibilité des résidents étrangers, en ouvrant le droit de vote à ces derniers. Les résultats de ces consultations ont été systématiquement positifs.
Par ailleurs, depuis vingt ans, sont régulièrement publiés des sondages qui montrent que les Français sont majoritairement favorables à la reconnaissance du droit de vote des étrangers.
Quant à nous, sénateurs du groupe CRC-SPG, nous ne comptons plus les propositions de loi, questions, interventions et amendements dont l’objet était de demander l’instauration du droit de vote des étrangers.
Dernièrement, la réforme constitutionnelle, les différentes lois sur l’immigration et le découpage des circonscriptions ont aussi donné l’occasion de relancer le débat, malheureusement sans succès.
C’est un étrange objet politique que ce droit de vote des étrangers. Tout homme ou femme politique briguant les plus hautes fonctions se doit d’y être favorable, mais s’empresse, aussitôt qu’il y est parvenu, de dire qu’il serait prématuré de l’appliquer. Les derniers en date à avoir joué ce jeu de dupes sont Éric Besson et Nicolas Sarkozy, qui se sont prononcés pour, avant de faire machine arrière, invoquant des arguments aussi faciles que fallacieux.
Et c’est ainsi que, depuis trente ans, « c’est trop tôt » !
Parmi les étrangers résidant en France depuis cette époque, malheureusement certains sont morts, d’autres sont devenus parents, puis grands-parents : tous ont vu différentes époques, différents gouvernements, mais pour tous ceux qui ne sont pas devenus administrativement français, il est toujours trop tôt.
Aujourd’hui, nous examinons un projet de loi qui est censé révolutionner l’organisation territoriale et la démocratie locale. La question du droit de vote des étrangers y a parfaitement sa place.
Invoquer une énième fois l’épouvantail du Front national, comme ce fut le cas dans les vingt dernières années, n’aurait aucun sens. Prétendre encore qu’une telle mesure est prématurée friserait l’indécence. Mettre en garde contre ce qui résulterait du vote des étrangers en situation légale établis en France depuis plus de cinq ans reviendrait en fait à reprendre à son compte le discours xénophobe.
Il s’agit aujourd’hui de prendre une fois pour toutes une décision et de clore un débat qui a commencé il y a plus de trente ans, et même il y a plus de deux siècles puisque la première Constitution à avoir reconnu le droit de vote des résidants étrangers est celle de 1793.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Même avis que tout à l’heure : cet amendement relève du droit électoral, matière qui, s’agissant de la réforme territoriale, relève du projet de loi n° 61.
La commission demande le retrait de l’amendement. À défaut, elle émettra un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Alain Marleix, secrétaire d'État. Le Gouvernement émet, bien entendu, un avis défavorable, car cet amendement est inconstitutionnel. L’article 3 de notre loi fondamentale dispose en effet : « Sont électeurs, dans les conditions déterminées par la loi, tous les nationaux français majeurs des deux sexes, jouissant de leurs droits civils et politiques. »
La seule dérogation autorisée par la Constitution est prévue à l’article 88-3, qui confère le droit de vote et d’éligibilité aux élections municipales aux seuls citoyens de l’Union européenne résidant en France.
Sur le fond, la position du Gouvernement est connue et très claire. Je citerai parmi les déclarations les plus récentes, celle de M. le Premier ministre : « Si nous sommes un pays d’intégration, ce n’est pas pour offrir aux étrangers des demi-droits électoraux mais pour les inviter à acquérir, s’ils le souhaitent, des droits entiers en rejoignant pleinement notre communauté nationale », c’est-à-dire en prenant la nationalité française, tout simplement.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Peyronnet, pour explication de vote.
M. Jean-Claude Peyronnet. Il s’agit là d’une disposition de portée générale et je comprends qu’on puisse avoir techniquement du mal à l’intégrer dans ce projet de loi.
Toutefois, les arguments présentés par M. le secrétaire d’État sont quand même extraordinaires ! Il nous explique, dans une période où l’acquisition de la nationalité française est de plus en plus difficile, où l’on verrouille de tous les côtés, qu’un étranger pourra voter uniquement lorsqu’il l’aura obtenue !
M. Jean-Claude Peyronnet. Demandez donc à M. Besson comment les choses se passent ! Bientôt, cela deviendra totalement impossible !
Nous, nous voterons cet amendement. Il serait temps que les hommes politiques, en particulier ceux qui sont aux commandes, mettent leurs actes en conformité avec leurs propos, car tous se déclarent prêts à accepter le vote des étrangers,…
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Non, pas moi !
M. Christian Cointat. Pas du tout !
M. Jean-Claude Peyronnet. … avec des conditions de résidence antérieure, pour les élections locales. Il ne s’agit évidemment pas d’ouvrir les vannes de façon inconsidérée !
En tout cas, selon certains sondages, la population ne semble pas complètement hostile – c’est le moins que l’on puisse dire – à cette évolution.
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour explication de vote.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le secrétaire d’État, votre réponse ne me satisfait pas, vous vous en doutez, et elle ne m’a pas convaincue. Je dirai même qu’elle illustre le malaise dans lequel le Gouvernement s’est installé à ce sujet.
Personne ne peut nier que le Président de la République se déclare favorable au droit de vote des étrangers dans les périodes électorales et que l’on assiste ensuite à des reculades, à l’occasion desquelles on nous oppose des arguments bien fragiles, voire fantaisistes.
Un premier argument consiste à dire que le droit de vote des étrangers ne serait pas souhaitable parce qu’il risquerait de susciter des réactions xénophobes. En fait d’argument, il s’agit plutôt d’un aveu de lâcheté politique. En effet, c’est le propre d’une décision politique que de susciter de vives réactions chez ceux qui y sont opposés.
Que les xénophobes soient contre le droit de vote des étrangers, après tout, rien de plus « normal » ! Quant aux autres citoyens, je ne vois pas pourquoi ils pourraient devenir soudainement xénophobes à la suite d’une telle réforme. A priori, avec de tels arguments, on ne gouvernerait plus ! Or, habituellement, le Gouvernement n’hésite pas à légiférer, même lorsque cela suscite de vives oppositions : nous en savons quelque chose.
J’ai déjà largement évoqué le deuxième argument : ce serait trop tôt. Mais cela fait trente ans que c’est trop tôt ! Trente ans, c’est une génération. La situation géopolitique et sociale de 1980 n’a plus rien à voir avec celle d’aujourd’hui, de multiples évolutions se sont produites, parfois avec une rapidité surprenante et de manière imprévisible. L’Europe s’est construite, la donne internationale a radicalement changé, les technologies de la communication ont explosé. Et le simple droit de vote d’une minorité de citoyens aux élections locales représenterait toujours un horizon indépassable ?... Ce n’est ni sérieux ni crédible !
Selon un troisième argument, le droit de vote des étrangers aux élections locales risquerait de créer une « sous-citoyenneté ». Je vous signale que les étrangers résidant en France de façon légale sont déjà des « sous-citoyens ». Ils sont, en effet, des étrangers de seconde catégorie puisque les étrangers communautaires, eux, peuvent voter. Certes, la réciprocité existe pour les étrangers européens, mais de quel droit devrions-nous sanctionner les étrangers venant de pays où cette réciprocité n’existe pas, surtout lorsqu’ils sont originaires de pays où le droit de vote n’existe pas, ou de façon purement formelle ?
Quatrième argument : le droit de vote des étrangers favoriserait le vote « communautaire ». Il s’agit là, à mon sens, d’un argument purement idéologique, certes dans l’air du temps, mais ne reposant sur aucune base sociologique solide. Les études les plus sérieuses sur le suffrage montrent que le vote est déterminé par un ensemble de facteurs sociaux tels que la profession, le capital économique, le capital culturel, qui sont bien plus déterminants qu’une appartenance « ethnique » supposée. Ne vous inquiétez pas : si nous donnions le droit de vote aux étrangers, certains voteraient à gauche, d’autres à droite et, malheureusement, beaucoup s’abstiendraient.
Enfin, un cinquième argument consiste à expliquer qu’il vaut mieux faciliter la naturalisation plutôt que d’octroyer le droit de vote. Cet argument peut être vite balayé puisque les conditions d’accès à la nationalité n’ont fait que se durcir ces dernières années, au point de devenir totalement ubuesques.
Je crois avoir passé en revue les arguments essentiels des opposants au droit de vote des étrangers. Malheureusement, il doit encore en exister d’autres, mais je pense que nous avons ici même démontré à maintes reprises qu’aucun n’était réellement sérieux. Dès lors, cessons de brandir le droit de vote des étrangers en période électorale dans le but de séduire quelques électeurs et passons à l’action ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et sur celles du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Christian Cointat, pour explication de vote.
M. Christian Cointat. Je ne voterai pas cet amendement, et ce pour plusieurs raisons.
Premièrement, comme l’a rappelé M. le secrétaire d’État, il n’est pas conforme à la Constitution. Il faut d’abord une réforme constitutionnelle si l’on veut aller dans cette direction.
Deuxièmement, je ne le voterai pas non plus parce que je suis très attaché au concept de nationalité, avec les droits que celle-ci confère. Pour moi, le droit de vote et d’éligibilité est lié à une nationalité ou une citoyenneté. On a réglé le problème de l’Union européenne par la création de cette notion de citoyenneté…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ah bon ?