M. Jean Desessard. Par cet amendement, nous proposons de donner à ce projet de loi un intitulé plus en adéquation avec la réalité du texte.
En effet, l’essentiel du projet de loi porte sur la création d’un nouveau réseau de transports, plus précisément un métro automatique. Dans son discours prononcé à la Cité de l’architecture et du patrimoine, en avril 2009, le Président de la République voyait dans le Grand Paris un projet de civilisation respectueux de l’environnement, un projet de lutte contre les inégalités sociales.
Aujourd’hui, ce projet apparaît, à l’image du reste des réformes sarkozystes, d’ailleurs, comme une publicité mensongère, un projet au rabais, conduit sans véritable concertation avec les élus locaux, sans véritable solution de financement ; il se résume en un point : la réalisation d’un métro automatique reliant des pôles économiques entre eux.
Qu’en est-il de la réduction des inégalités sociales quand on prévoit un mode de transport qui ne relie pas les zones habitat-travail ? Qu’en est-il du respect de l’environnement lorsque l’on prévoit d’ériger des bâtiments et un réseau de transports sur l’une des dernières zones agricoles proches de Paris, à savoir le plateau de Saclay ? Qu’en est-il de l’économie solidaire lorsque l’on prévoit de construire des gares commerciales à vocation spéculative pour payer les tunneliers qui vont creuser, creuser et encore creuser pendant douze ans ?
Mme Nicole Bricq. Comme les Shadocks !
M. Jean Desessard. Pour l’ensemble de ces raisons, nous vous proposons de modifier l’intitulé du projet de loi, afin qu’il soit en accord avec le contenu du texte.
À ceux qui parlent d’un Grand huit, je réponds qu’il n’y a pas de huit, ni petit, ni grand. En réalité, ce ne sont que deux zéros accolés : un zéro environnemental et un zéro social !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Pierre Fourcade, rapporteur. En général, j’éprouve une grande sympathie pour M. Desessard, parce que je trouve qu’il égaye aimablement nos débats qui, parfois, traînent un peu en longueur. Mais, dans le cas présent, je me demande si notre collègue est conscient que, en présentant un tel amendement, il fait injure aux travaux de la commission spéciale. Je rappelle que celle-ci a débattu plus de trente heures de ce projet de loi, a consacré huit heures uniquement à l’élaboration d’une nouvelle rédaction, a auditionné une cinquantaine de personnes, s’est rendue aussi bien à Londres qu’à Saclay.
Un tel amendement n’est pas raisonnable, et, tout ce qui est excessif étant insignifiant, j’émettrai un avis défavorable !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Christian Blanc, secrétaire d'État. Je tiens à rendre hommage au travail de la commission spéciale. Cet amendement n’a aucun sens ; aussi, le Gouvernement émet également un avis défavorable.
M. le président. La parole est à M. Philippe Dallier, pour explication de vote.
M. Philippe Dallier. Mon explication de vote sur cet amendement vaudra explication de vote sur l’ensemble du texte.
Monsieur le secrétaire d’État, je voterai votre projet de loi, en dépit de toutes les réserves qu’il m’inspire et que j’ai exprimées.
De fait, le projet de métro automatique permettra d’atteindre l’un des buts, sinon le but essentiel, que vous vous êtes fixés, à savoir redynamiser la région capitale, qui en a bien besoin.
Cela étant, je serais assez enclin à voter l’amendement de M. Desessard, sans pour autant avoir le sentiment de faire injure au travail de la commission, monsieur le rapporteur.
M. Jean-Pierre Fourcade, rapporteur. Si, c’est injurier le travail du rapporteur !
M. Philippe Dallier. Absolument pas !
M. Jean-Pierre Fourcade, rapporteur. Nous ne sommes pas au cirque ! Nous sommes au Sénat de la République ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme Nicole Bricq. M. Dallier n’a rien d’un clown !
M. le président. Veuillez poursuivre, monsieur Dallier.
M. Philippe Dallier. Permettez-moi simplement, monsieur le rapporteur, d’exprimer mon point de vue.
D’ailleurs, si la mémoire ne me fait pas défaut – et je ne pense pas qu’elle me fasse défaut –, nous nous sommes demandé, au commencement de nos travaux, s’il ne conviendrait pas de modifier l’intitulé du projet de loi dans la mesure où ce texte ne recouvre pas à lui seul tout le Grand Paris. J’ai toujours partagé ce point de vue, dont j’ai tenté, au cours des débats, de vous démonter la justesse, et les réponses de M. le secrétaire d’État ne m’ont pas fait changer d’avis.
Nous devons nous assurer que le Grand Paris permet d’assurer la cohérence tant urbaine que sociale. Or si, à la fin de cette discussion, nous avons bien un réseau de transport et des contrats de développement territorial, je crains qu’il n’en soit pas de même pour la cohérence de l’ensemble. En particulier, même si j’approuve le projet de métro automatique, je m’interroge sur les modalités de partage des ressources fiscales que celui-ci générera.
J’aurai de même certaines craintes concernant le logement. L’objectif a été fixé de construire chaque année 70 000 logements en redonnant au préfet de région certains pouvoirs. Cet objectif sera-t-il atteint ? La mixité sociale sera-t-elle assurée ? Je l’espère, mais je n’ai aucune garantie à cet égard.
Pourtant, l’élaboration de ce projet du Grand Paris aurait dû être l’occasion de traiter toutes ces questions, notamment celle de la gouvernance, que nous n’avons abordée qu’à travers celle de la « Société du Grand Paris ». Certes, nous avons enregistré quelques avancées, mais beaucoup d’interrogations subsistent. En revanche, s’agissant de la gouvernance des collectivités locales, nous n’avons fait aucun progrès. J’espère que nous avancerons à l’avenir.
Le projet du Grand Paris ne se concrétisera que lorsque nous aurons traité l’ensemble de ces problèmes.
Que nous siégions à la droite ou à la gauche de cet hémicycle, j’ai le sentiment que nous cherchons tous à atteindre le même objectif. C’est ce qui nous rassemble. En revanche, nous divergeons probablement sur les moyens à mettre en œuvre et sur la question de savoir au bénéfice de qui ils seront mis en œuvre.
Alors, monsieur le rapporteur, la modification de l’intitulé de ce projet de loi ne me choquerait pas et ne ferait aucunement injure ni à vous ni à la commission, aux travaux de laquelle nous sommes nombreux, ici, à avoir participé.
Je terminerai en citant Bertolt Brecht : « La provocation est une manière de remettre la réalité sur ses pieds. » Peut-être suis-je parfois excessif, mais, si je suis provocateur, c’est pour susciter une prise de conscience collective.
Si nous voulons résorber la fracture sociale que nous constatons entre les territoires situés dans l’espace du Grand Paris, nous ne pouvons pas laisser perdurer la situation actuelle. Oui, cet enjeu me tient à cœur, mais c’est parce que l’avenir de la République en dépend ! (Mmes Nicole Borvo Cohen-Seat et Dominique Voynet applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Yannick Bodin, pour explication de vote.
M. Yannick Bodin. Cet amendement de M. Desessard a une qualité essentielle : il nous ramène à la vérité vraie, c'est-à-dire à la perception qu’ont la plupart des Franciliens de ce Grand Paris qui nous a été présenté comme le projet du xxie siècle.
Ce projet concerne-t-il toute la région d’Île-de-France ? À l’évidence, non ! Élu de Seine-et-Marne, je dois bien dire que l’enjeu du Grand Paris m’échappe totalement, comme il échappe à de nombreux Franciliens.
On pouvait espérer que le Grand Paris serait un projet pour l’Île-de-France, qu’il serait l’occasion de s’attaquer aux véritables problèmes de notre région et qui, malheureusement, font aussi sa spécificité, en particulier l’immense fracture sociale qui sépare ceux qui perçoivent les salaires les plus élevés, ceux qui ont les revenus les plus hauts et les personnes en situation de grande souffrance. Car nous avons toutes ces différentes populations, en Île-de-France.
On pouvait espérer que ce projet du Grand Paris porterait une véritable ambition en matière d’emploi, d’éducation, de formation et de logement.
En fin de compte, il apparaît clairement, surtout pour ceux qui vivent à plus de cinquante kilomètres de Paris, que ce projet du Grand Paris se résume à la création d’un nouveau métro automatique. C’est pourquoi je suis prêt à voter l’amendement de Jean Desessard.
Néanmoins, j’adresserai à mon collègue un petit reproche, car la rédaction de son amendement est sans doute incomplète et encore trop éloignée de la réalité. Si j’osais, je présenterais un sous-amendement visant à compléter l’intitulé, qui se lirait alors ainsi : « Projet de loi portant création d’un nouveau métro automatique et d’une Silicon Valley ». (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo, pour explication de vote.
M. Yves Pozzo di Borgo. J’ai beaucoup apprécié le rapport de Philippe Dallier, qui m’a largement guidé dans ma réflexion sur le projet du Grand Paris. Néanmoins, certains termes du débat m’échappent.
Si je ne me trompe pas, deux conceptions différentes du Grand Paris ont pris corps à la suite de nos discussions en commission spéciale et en séance : nos collègues de gauche voudraient nous persuader qu’il s’agit non pas d’un projet national et européen, mais d’un projet régional ; quant à nous, nous affirmons qu’il s’agit non pas d’un projet régional, mais bien d’un projet national et européen.
Preuve que nous avons raison, les élus des deux régions normandes, tant ceux de droite que ceux de gauche, se sont beaucoup intéressés à ce projet, car ils ont pris conscience de la possibilité pour leurs territoires respectifs de devenir la façade maritime du Grand Paris. Ils ont bien compris que ce projet était non pas un simple projet régional, mais un vrai projet national !
Cela explique les amendements que j’ai défendus.
Pareillement, quand M. Desessard dépose un amendement visant à modifier l’intitulé du projet de loi pour réduire celui-ci au seul métro automatique, il veut à nouveau nous entraîner dans ce débat entre projet régional et projet national. Eh bien, je le redis à nos collègues socialistes, communistes et Verts : ce projet est un projet national ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Là où M. Dallier a raison, c’est que ce texte sur le Grand Paris en annonce d’autres : je ne suis pas pour le Grand Paris, point ; je suis pour le Grand Paris, virgule ! (Sourires.)
M. Jean-Pierre Caffet. M. Pozzo di Borgo est bien informé ! (Sourires.)
M. Yves Pozzo di Borgo. Chaque Président de la République a eu ses grands travaux.
M. Yves Pozzo di Borgo. C’est à Valéry Giscard d’Estaing que revient l’aménagement du musée d’Orsay et le lancement du TGV, même si ces deux projets ont abouti sous la présidence de François Mitterrand – ce dernier, resté quatorze ans au pouvoir, aura d’ailleurs procédé à beaucoup d’inaugurations. Jacques Chirac, pour sa part, a fait édifier le musée du quai Branly.
Quant aux grands travaux de Nicolas Sarkozy,…
M. Jean Desessard. Ce sera un grand tunnel ! (Rires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Yves Pozzo di Borgo. … premier Président de la République à être originaire de la région parisienne, c’est le projet du Grand Paris, que Christian Blanc défend aujourd’hui devant nous.
M. Jean Desessard. À chacun ses ambitions !
M. Yannick Bodin. Dans deux ans, Sarkozy sera parti ! Il n’inaugurera pas son tunnel ! (Exclamations ironiques sur les mêmes travées.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Pour notre part, nous ne soutiendrons pas l’amendement de Jean Desessard. Si notre collègue veut signifier que ce projet de loi ne répond pas aux attentes et aux besoins de l’Île-de-France, il a raison. Mais ce projet de loi vise bien plus qu’à créer un nouveau métro automatique ; c’est un grand projet libéral de restructuration de la région d’Île-de-France, évidemment sous-tendu par un enjeu national auquel nous ne souscrivons absolument pas.
Nos débats ont amplement démontré que l’État, par le biais de la « Société du Grand Paris », foulant aux pieds la démocratie dans son expression tant locale que nationale, disposera de pouvoirs exorbitants pour réaménager le territoire régional et restructurer complètement son économie, avec la création des pôles économiques. Sans doute, d’ailleurs, ces actions seront-elles conduites au détriment de la diversité économique de la région, au détriment des projets structurants en matière de logement et d’habitat, et au détriment des populations.
Ce projet grandiose s’inscrit dans le long temps. J’ignore si le Président de la République le mènera jusqu’à son terme, mais je ne l’espère pas. Toujours est-il que la question du financement demeure entière à ce jour, ce qui laisse augurer de longues discussions futures.
Ce qui est certain, c’est que ce projet, dont la réalisation s’étendra sur de nombreuses années, restructurera complètement la région d’Île-de-France et repoussera les populations les plus modestes toujours plus loin de Paris.
De ce point de vue, il se rapproche d’autres projets : hier, Haussmann, aujourd’hui, des projets européens que vous n’avez de cesse de vanter. Je pense entre autres au Grand Londres, dont on peut constater les effets : une spéculation effrénée, des populations chassées de plus en plus loin, la casse de la diversité économique locale au profit de grands groupes financiers qui n’attendent que la manne de l’État pour conquérir des marchés.
Il ne serait pas conforme à la réalité de laisser croire que le présent projet de loi ne vise que la création d’un métro automatique.
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.
M. Jean Desessard. Monsieur le rapporteur, jusqu’à maintenant, sous votre impulsion, nous avons débattu d’une manière intéressante et respectueuse : il ne s’agit pas de se laisser aller à une heure de la fin de nos travaux !
Vous avez déclaré que ne pas être d’accord avec ce projet politique, c’est faire injure à la commission spéciale, qui a beaucoup travaillé sur le sujet.
Dois-je rappeler, monsieur le rapporteur, que le Sénat a beaucoup travaillé sur le contrat première embauche, le CPE ? Une fois voté, après plusieurs semaines de discussion, le Gouvernement a purement et simplement retiré le texte. N’était-ce pas faire injure à la commission et au Parlement dans son ensemble ?
Dois-je rappeler, aussi, que les amendements que nous avons déposés, voilà quelques années, afin de créer un droit au logement opposable avaient tous été repoussés ? Puis, des tentes ont été installées sur les quais du canal Saint-Martin et M. Borloo est venu alors nous proposer… un projet de loi visant à instituer le droit au logement opposable ! N’était-ce pas faire injure au travail accompli ?
Alors, attention, chers collègues : ce n’est pas parce que l’on est en désaccord sur un projet de loi pour des raisons politiques que l’on ne respecte pas le travail dont il a fait l’objet.
Monsieur le rapporteur, vous avez procédé à de nombreuses auditions et vous avez réalisé un excellent travail. Mais nous ne sommes pas d’accord pour autant !
Monsieur Pozzo di Borgo, sans doute vais-je vous surprendre, mais l’écologiste que je suis n’est pas opposé aux grandes réalisations, mais par là j’exclus évidemment tous les « grands travaux pour rien ». Or le projet qui nous est soumis n’est pas une grande réalisation. On n’a pas tenu compte des avis des dix architectes. On envisage la construction d’un métro souterrain. Cela nous rappelle le xixe siècle, époque à laquelle le métro souterrain représentait effectivement la modernité.
On dit souvent que les écologistes veulent le retour à la grotte et à la bougie. Avec ce projet, on nous propose le retour au tunnel et au bogie !
Comment concevoir qu’un tunnel de 130 kilomètres de long puisse représenter le transport collectif du xxie siècle ? Ce n’est pas vrai ! Pour chacun d’entre nous, écologiste ou pas, un déplacement agréable se fait en surface. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
C’est à croire qu’il vous a manqué de ces cafétérias créatrices dont vous vantez les performances… Peut-être n’avez-vous pas assez rencontré, discuté, communiqué ; peut-être ne vous êtes-vous pas assez réunis, dans des cafétérias ou ailleurs, pour envisager un projet réellement novateur. Car enfin, comment peut-on penser que le Grand Paris se résume à un tunnel de 130 kilomètres ? Comment peut-on seulement imaginer que les voyageurs auront plaisir à s’engouffrer dans un tunnel pour parcourir 130 kilomètres dans le noir ?
Et comment peut-on croire que les gares commerciales, qui serviront à payer les tunneliers, ne seront pas l’occasion d’opérations spéculatives ? Comment ne pas prévoir que le prix du terrain va s’accroître, chassant toute activité agricole ?
Monsieur le rapporteur, vous avez le droit de croire à ce projet, mais laissez-nous penser qu’il n’est ni réalisable ni crédible.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 236.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Vote sur l'ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi, je donne la parole à Mme Françoise Laborde, pour explication de vote.
Mme Françoise Laborde. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le Grand Paris, entendu comme un projet permettant un développement économique mieux organisé et un développement stratégique de la région parisienne, aurait à n’en pas douter un effet d’entraînement bénéfique pour tout le reste du pays.
Un Grand Paris est une belle et excellente idée, tout le monde en convient ici, à gauche comme à droite, élus de l’Île-de-France ou élus de la province. Et pourtant, nous serons nombreux sur ces travées à ne pas apporter nos voix à ce projet de loi.
Mme Nicole Bricq. Bravo !
Mme Françoise Laborde. La région parisienne enregistre une croissance de 2 %, alors que les autres grandes capitales sont à 4 %. Dans un monde de plus en plus ouvert, où la concurrence est vive, il est urgent de donner à Paris et à sa périphérie les moyens de conserver une attractivité qui les maintienne au tout premier rang, celui des régions les plus dynamiques de la planète.
Pour y parvenir, le Gouvernement a fait le choix de s’en remettre à la création d’un établissement public à caractère industriel et commercial dénommé « Société du Grand Paris », chargé de développer un réseau de transport d’intérêt national et de favoriser le développement économique et urbain autour des gares de ce réseau.
On peut regretter que, pour lancer ce grand chantier qui va durer de très nombreuses années, le Gouvernement utilise une fois encore la procédure accélérée, au détriment de la qualité du débat parlementaire. Nous aurions souhaité disposer du délai nécessaire pour engager une réflexion approfondie sur les enjeux stratégiques et économiques portés par ce texte d’intérêt national.
Quant aux consultations des principaux acteurs concernés, qui auraient dû précéder l’élaboration d’un tel texte, elles ont été réduites au service minimum ! Les élus franciliens n’ont eu de cesse de vous le répéter : ils ne comprennent pas pourquoi les collectivités locales n’ont eu que quelques semaines pour donner leur avis sur un texte qui engage leur territoire pour plusieurs décennies.
Ce semblant de dialogue avec les collectivités de l’Île-de-France se traduit fort logiquement par une mise à l’écart des collectivités dans la prise en charge du Grand Paris.
Du fait de la place prépondérante accordée à l’État au sein du conseil de surveillance de la Société du Grand Paris, on tient soigneusement à distance les élus franciliens. Alors que des pans entiers de leur territoire vont être réaménagés, ils seront dépossédés d’un grand nombre de leurs prérogatives en matière d’urbanisme et de transports. Une recentralisation découlera nécessairement d’un tel schéma de gouvernance. Drôle de conception de l’organisation décentralisée de la République, qui est pourtant inscrite dans la Constitution…
Le nouvel EPIC cumulera de façon autoritaire à la fois les compétences de maître d’ouvrage, d’aménageur et d’opérateur foncier, alors que, dans le même temps, il faut le rappeler, l’histoire de l’aménagement de l’Île-de-France est marquée par un désengagement progressif de l’État.
Et pourtant, ce sont bien les responsables locaux qui ont clairement identifié les priorités, en se fondant sur les attentes des usagers : la rénovation des lignes du RER, le désengorgement de la ligne 13, la prolongation d’Eole, la création de la rocade Arc Express, par exemple.
Il conviendrait d’intégrer d’autres dimensions de l’action publique pour donner davantage de cohérence au Grand Paris.
Cependant, même si l’on faisait abstraction du schéma de gouvernance, ce texte permettra-t-il de répondre à la question la plus fondamentale, celle de savoir comment relever le défi de la fracture sociale au sein de ce territoire ?
Comment prétendre donner de l’attractivité à une région sans anticiper davantage sur les questions de l’emploi, du logement et de l’environnement ?
Ce texte manque cruellement de souffle démocratique, mais aussi d’ambition pour la population francilienne. Bien en deçà de nos espérances, il réduit la belle idée du Grand Paris à sa seule dimension technocratique.
C’est pourquoi les parlementaires que nous sommes ne devraient pas se faire les complices de son adoption. Vous l’aurez compris, mes chers collègues, ce projet de loi, même après les modifications apportées par notre Haute Assemblée, ne sera voté par aucun sénateur radical de gauche. Il en ira de même pour la très grande majorité des sénateurs de mon groupe. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Ma collègue Nicole Borvo Cohen-Seat ayant déjà évoqué certains arguments de fond, je m’efforcerai de synthétiser les raisons pour lesquelles les élus de mon groupe s’opposent à ce texte.
Tout d’abord, monsieur le secrétaire d’État, nous l’avons déjà souligné, mais il convient de le répéter avec force, les Franciliens, par leur vote aux élections régionales, ont désavoué votre politique et, partant, le projet du Grand Paris.
À l’évidence, et nos intéressants et longs débats en commission spéciale comme en séance publique ne nous ont malheureusement pas apporté la preuve contraire, vous ignorez purement et simplement le vote des Franciliens et les représentants du peuple élus démocratiquement.
Vous avez fait le choix de remettre en cause le projet Arc Express, projet pourtant concerté avec les populations et qui répond à de véritables besoins, ce qui illustre particulièrement bien votre refus d’honorer les contrats de plan. Nous ne pouvons l’accepter.
Par ailleurs, confier des compétences politiques à des structures technocratiques – la Société du Grand Paris ou l’établissement public de Paris-Saclay – revient à dévitaliser les collectivités territoriales. Nous sommes opposés à une telle démarche qui, nous l’avons rappelé à maintes reprises, va dans le sens de votre réforme des collectivités territoriales.
Contrairement au plan de mobilisation de la région, la double boucle ne répondra pas aux besoins immédiats des 11 millions de Franciliens, qui ne manquent pas d’insister sur la nécessité d’améliorer les transports en Île-de-France. Pour répondre à ces besoins, peut-être faut-il un Grand huit, mais il faut surtout élaborer un maillage cohérent et créer de nouveaux segments au sein du réseau existant.
J’en viens au financement de ce projet, qui nous semble plutôt aléatoire. Outre une dotation en capital de quatre milliards d’euros, ce financement reposera principalement sur un recours à l’emprunt dont le remboursement se fera via la valorisation des terrains. C’est un pari sur un développement économique hypothétique. Le développement économique ne peut être décrété par un projet de loi, ni même par Nicolas Sarkozy…
On nous a parlé de l’ère de l’après-Kyoto, mais, pour réunir les fonds escomptés, il faudrait de la croissance et du développement urbain autour des gares, ainsi que dans l’interstice entre le réseau du Grand huit et le cœur de la métropole. Qui peut dire aujourd’hui ce qu’il en sera réellement ? L’État tiendra-t-il ses promesses, à l’heure où l’on ne cesse de répéter qu’il est en déficit ?
Quant à la logique de cluster qui sous-tend le texte, elle nous semble inefficace, puisqu’elle aboutit à une mise en concurrence des territoires en fonction de leur spécialisation.
Votre texte porte le projet d’une société que nous dénonçons, la société de la rentabilité, de la compétitivité et de la concurrence, dont les écueils sont pourtant connus depuis le déclenchement de la crise que nous traversons. À l’inverse, nous réaffirmons qu’une région solidaire passe nécessairement par une mutualisation des moyens et des ressources.
Avant de conclure, j’illustrerai également mon propos en citant les conclusions du rapport Lefèvre, dont vous avez sans doute entendu parler, monsieur le secrétaire d’État. Ce document, rédigé en février 2009 pour l’Institut pour la recherche et la Direction du développement territorial de la Caisse des dépôts et consignations, subordonnait la réussite de tout projet métropolitain à un certain nombre d’impératifs, parmi lesquels la nécessité d’élaborer un projet global, et non simplement un métro « classe affaires ». Mais, visiblement, vous vous éloignez de ces exigences.
Pour sortir de cette impasse, car vous ne pourrez pas mettre en œuvre un projet pour l’Île-de-France contre ses élus et contre sa population, il me semble que vous devriez revoir votre copie, au lieu d’essayer de passer en force avec ce texte dont les débats n’ont pas permis d’infléchir la logique.
Je conclurai mon propos en traçant deux pistes que nous considérons comme prioritaires : premièrement, remettre tous les acteurs politiques autour de la table – la région, les collectivités locales et l’État – ; deuxièmement, relancer l’Atelier international d’architecture, dont le travail avait suscité l’enthousiasme partagé des élus et des citoyens, afin d’affiner un projet commun, en pointant l’exigence de penser ensemble les quatre domaines d’action publique prioritaires que sont le logement, les transports, l’emploi et les équipements. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG - M. Jean Desessard applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Caffet.
M. Jean-Pierre Caffet. Tout d’abord, ce n’est pas faire injure à la commission spéciale, et encore moins à son rapporteur, que d’affirmer ce soir que nous ne voterons pas ce texte.
Même si nous sommes plusieurs, au sein du groupe socialiste, à reconnaître la qualité des travaux de cette commission, c’est le jeu de la démocratie de ne pas être convaincus par le texte qui en ressort. Il existe une majorité et une minorité, dans cet hémicycle comme au sein de la commission spéciale.
Sans donc faire le moins du monde injure au rapporteur, la conclusion que nous tirons de ce débat, c’est que le Grand Paris est une série d’occasions manquées.
Monsieur le secrétaire d’État, le Grand Paris n’appartient à personne. Vous n’êtes ni l’initiateur ni l’inventeur, pas plus que nous d’ailleurs, d’un processus qui a commencé il y a plusieurs années, et dont personne jusqu’ici n’avait songé à revendiquer la paternité, tant cette question est dépourvue d’intérêt. Une chose est certaine : le Grand Paris n’a pas débuté avec ce projet de loi. Si l’idée de départ était passionnante, et les travaux menés par les dix équipes d’architectes extrêmement prometteurs, tout cela accouche d’un projet de loi dont les dispositions constituent autant d’occasions manquées.
Mon temps de parole étant limité, je n’en développerai que trois.
La première est celle de la conviction. Votre stratégie économique ne nous a pas convaincus, monsieur le secrétaire d’État.
Mme Nicole Bricq. Vous n’avez pas cherché à nous convaincre !