Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Georges Tron, secrétaire d'État. Monsieur Domeizel, je répondrai volontiers à votre question. J’ai cru comprendre, mais peut-être ai-je mal saisi le sens de vos propos, que vous reprochiez à l’actuelle majorité de n’avoir rien fait pour le rétablissement des comptes au cours de ces huit dernières années. Visez-vous le fonds de réserve pour les retraites ou les retraites en général ?
M. Claude Domeizel. Vous n’avez conduit aucune action efficace !
M. Georges Tron, secrétaire d'État. La situation des retraites que nous connaissons, monsieur le sénateur, pourrait être deux fois plus mauvaise. Pardonnez-moi de vous dire, monsieur le sénateur, que si elle ne l’est pas, c’est parce que nous avons fait ce que vous n’avez jamais fait ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
C’est pourquoi je ne comprends pas votre argumentation selon laquelle vous nous reprochez notre soi-disant inefficacité, alors même que vous contestez les réformes que nous avons engagées en 1993, en 2003 et en 2007 ! (Nouveaux applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est facile !
M. Georges Tron, secrétaire d'État. Vous ne pouvez pas nous reprocher à la fois de ne pas avoir agi et d’avoir mal agi ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Monsieur le sénateur, depuis que je m’intéresse au dossier des retraites, j’ai entendu beaucoup de choses. En 1989, le parti socialiste nous expliquait qu’il fallait rédiger un rapport. Dix ans plus tard était publié le rapport Charpin. Puis, vous avez installé le Conseil d’orientation des retraites, ce qui ne vous empêche pas, maintenant, de critiquer le caractère dramatisant, selon vous, de ses conclusions. (M. Claude Domeizel proteste.) En 1999, vous avez créé le fonds de réserve pour les retraites, ce qui signifie bien que vous anticipiez et mesuriez les difficultés à venir.
En revanche, comme Éric Woerth l’a très bien dit tout à l’heure, le parti socialiste n’a jamais porté la moindre réforme !
Mme Raymonde Le Texier. C’est la raison pour laquelle nous gagnons les élections !
M. Georges Tron, secrétaire d'État. Dieu sait si j’essaie d’être courtois et mesuré, mais j’admets difficilement que le parti socialiste fasse peser sur nous la responsabilité de la situation actuelle et du déficit, alors même que nous engageons, pour la quatrième fois, une réforme des retraites, et que lui n’a strictement rien fait ! C’est tout de même le monde à l’envers ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Je craignais d’avoir mal compris vos propos. Ce n’est pas le cas ! Avec tout le respect que je vous dois, monsieur Domeizel, permettez-moi de vous dire que votre remarque est particulièrement inopportune.
Cela étant dit, essayons de prendre un peu de recul. À quoi servait le fonds de réserve pour les retraites tel qu’il a été mis en place ? L’objectif était de le faire monter en puissance afin de répondre au choc programmé des années 2020. Que s’est-il passé depuis lors ? Comme le COR l’a montré, nous anticipons un déficit du régime des retraites dans vingt ans. Ce n’est pas nous qui le disons, telle est la réalité. Dès lors, est-il totalement illogique, mesdames, messieurs les sénateurs, d’utiliser un outil, qui a été justement mis en place pour aider à passer ce cap difficile, lequel survient avec une avance d’environ quinze à vingt ans par rapport à l’échéance qui avait été retenue ?
Pour répondre plus précisément à votre question, monsieur le sénateur, je tiens à vous préciser que le fonds de réserve ne sera pas dissous. Il continuera d’exister, avec sa capacité de gestion. Ainsi, il mettra l’ensemble des actifs dont il dispose à la disposition de la CADES et, puisque cette dernière amortit elle-même sa dette sur une longue période, le fonds de réserve gérera ses actifs pour le compte de la CADES.
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Agnès Labarre.
Mme Marie-Agnès Labarre. Monsieur le secrétaire d'État, je reviens sur la question des retraites dans la fonction publique.
Le projet présenté par le Gouvernement comporte d’importantes attaques contre les trois fonctions publiques. Pourtant, nous savons tous que le versement des pensions des fonctionnaires relève non pas du régime général de retraite, mais des comptes publics. Autrement dit, les mesures que vous proposez visent plus à satisfaire les marchés financiers et les agences de notation, qui exigent de la France qu’elle réduise son déficit public, qu’à permettre le retour à l’équilibre des comptes sociaux.
Monsieur le secrétaire d'État, vous nous avez dit qu’il s’agissait là d’une mesure d’équité entre les salariés du secteur public et ceux du secteur privé, comme si l’équité devait toujours avoir pour conséquence la réduction des droits !
Dans vos déclarations, nous retenons, concernant les fonctionnaires, trois mesures graves : l’extinction, à compter de 2012, du dispositif de départ anticipé sans condition d’âge pour les parents de trois enfants ayant quinze ans de service ; l’alignement, en dix ans, du taux de cotisation du secteur public, actuellement de 7,85 %, sur celui du privé, soit 10,55 % ; la réduction progressive du droit à un départ anticipé pour les fonctionnaires qui relèvent des catégories actives, comme les militaires, les sapeurs-pompiers et les policiers.
Sans entrer dans le détail, je souhaite toutefois vous interroger, monsieur le secrétaire d'État, sur votre volonté d’augmenter les cotisations sociales des fonctionnaires.
En effet, selon vous, les cotisations sociales des fonctionnaires seraient inférieures à celles auxquelles sont assujettis les salariés du privé. Or, actuellement, le taux de cotisation des agents de la fonction publique est fixé à 7,85 %, alors que, pour les salariés du secteur privé, le taux des cotisations sociales dédiées à la branche vieillesse de la sécurité sociale est de 6,75 %.
Le taux de 10 % qu’on a coutume de citer intègre, en réalité, les cotisations dédiées aux retraites complémentaires du secteur privé. Les fonctionnaires, quant à eux, ne disposent pas d’un tel mécanisme. Il n’existe que le régime additionnel créé en 2005, mais celui-ci ne peut pas être réellement qualifié de régime complémentaire de retraite de la fonction publique.
Compte tenu de tous ces éléments, pourquoi avez-vous décidé de baisser le pouvoir d’achat des fonctionnaires en augmentant leurs cotisations sociales ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Georges Tron, secrétaire d'État. Madame le sénateur, je vais tenter de ne pas me répéter.
Autant on peut contester les termes de cette réforme, autant on ne peut dénier au Gouvernement d’avoir été guidé dans sa réflexion par le principe d’équité. Les Français, quelles que soient leurs opinions, savent bien qu’il existe plusieurs différences entre les régimes du secteur public et du secteur privé. Tout à l’heure, j’en ai détaillé quatre.
Dans le secteur privé, les retraites sont calculées sur les vingt-cinq meilleures années, tandis que, dans la fonction publique, elles le sont sur les six derniers mois. Nous avons fait le choix de ne pas modifier ces modalités de calcul, préférant nous attacher à d’autres aspects.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Les primes ne sont pas prises en compte pour le calcul de la retraite !
M. Georges Tron, secrétaire d'État. Vous avez raison, madame Borvo Cohen-Seat, en ce qui concerne les primes. C’est bien pourquoi j’ai indiqué qu’il fallait tendre vers une harmonisation pour pouvoir établir de justes comparaisons.
J’en reviens à la question de Mme Labarre. Nous avons tenu le raisonnement suivant : les rémunérations et les pensions moyennes servies par les secteurs public et privé représentent des masses à peu près équivalentes (Mme Agnès Labarre proteste.), même si, à l’intérieur de ces masses, et M. Domeizel connaît bien le sujet, sans rentrer dans le détail, les différences sont réelles, s’agissant notamment de la fonction publique territoriale et de la fonction publique hospitalière.
En revanche, la différence essentielle entre secteur privé et secteur public tient au taux de cotisation, autrement dit au coût d’acquisition : le taux est de 7,85 % dans le secteur public, inférieur de trois points environ à celui du secteur privé.
Fallait-il, par souci d’équité, remonter ce taux à 10,55 % ? Nous avons répondu par l’affirmative, d’autant plus qu’il faut faire de justes comparaisons et mettre en regard le régime intégré de la fonction publique avec l’addition du régime de base et des régimes complémentaires du secteur privé. C’est ce calcul qui permet d’arriver respectivement aux taux de 7,85 % et de 10,55 %, qui justifient la mesure de hausse que nous avons prise.
Cela dit, nous avons considéré que cette hausse devait être très progressive. C’est ce qui nous a conduits à la programmer sur dix ans, soit une augmentation de l’ordre de 0,27 % par an. Comme je vous l’ai indiqué tout à l’heure, cela représentera, pendant cette période, une contribution supplémentaire mensuelle de 6 euros pour un fonctionnaire moyen, soit 4 euros pour un fonctionnaire de catégorie C, 5 euros pour un fonctionnaire de catégorie B et 7 euros pour un fonctionnaire de catégorie A.
Mme la présidente. La parole est à Mme Jacqueline Alquier.
Mme Jacqueline Alquier. Monsieur le secrétaire d'État, je veux aborder la question des retraites agricoles.
Le rapport de la MECSS, malgré son sérieux, ne la traite pas directement, et c’est bien regrettable. Pour votre part, monsieur le secrétaire d'État, vous l’avez esquivée lors de l’examen du projet de loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche.
Les agriculteurs et leurs conjoints représentent la catégorie sociale qui bénéficie, si l’on peut dire, des plus petites pensions de retraite, un très grand nombre d’entre eux percevant un montant inférieur à 85 % du SMIC malgré une carrière complète. Pourtant, monsieur le secrétaire d'État, vous refusez systématiquement les propositions que nous vous présentons pour remédier à cette situation ! L’extension de l’octroi du minimum vieillesse que vous envisagez n’est pas suffisante.
À cet égard, je ne m’appesantirai pas sur la situation proprement scandaleuse des veuves, lesquelles touchent des pensions parfois inférieures à 400 euros par mois !
Vous avez abondé le fonds de solidarité et procédé aux adaptations nécessaires pour en faciliter l’accès. L’application de la mesure mérite d’être surveillée : allez-vous ponctionner la tirelire du fonds de réserve pour les retraites ?
En ce qui concerne les chefs d’exploitation, la situation de ces derniers est aggravée par le niveau élevé de l’assiette minimale de cotisation pour la retraite complémentaire obligatoire. La grande majorité d’entre eux surcotisent.
S’agissant des conjoints et des aides familiaux, vous vous êtes opposé, en janvier dernier, à la proposition socialiste visant à étendre la retraite complémentaire obligatoire à leur profit, mais nous avons été agréablement surpris de découvrir, ce matin, parmi les propositions formulées par M. le ministre Éric Woerth, que le Gouvernement prônait maintenant cette mesure !
Dans le contexte de crise sans précédent auquel est confronté le monde agricole, le montant des pensions de retraite de la plupart des agriculteurs et de leurs familles n’est pas acceptable.
Selon un sondage récent réalisé pour Libération par Viavoice, 81,5 % des agriculteurs sont pour le maintien de l’âge de départ à la retraite à 60 ans ; c’est logique, parce qu’ayant souvent commencé à travailler très tôt, ils ont la plupart du temps déjà atteint, voire dépassé à cet âge, la durée minimale de cotisation. Vous ne semblez pas en tenir compte.
Face à cette situation brièvement décrite, mais ô combien alarmante, nous attendons des propositions réalistes pour assurer un niveau de pension de retraite décent à ceux qui nous nourrissent, offrent un poumon vert à nos villes et entretiennent les espaces ruraux, propositions qui, pour être acceptables, devront aussi tenir compte de la pénibilité de leur travail. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Georges Tron, secrétaire d'État. Madame le sénateur, je vous remercie de me donner l’occasion de m’exprimer sur ce sujet important qui, contrairement à ce que vous avez indiqué – mais je comprends votre argumentation –, n’a pas fait l’objet d’un revers de main de la part du Gouvernement.
Comme vous l’avez rappelé à juste titre, la pension minimale mensuelle servie aux agriculteurs, de 400 euros, est bien inférieure au minimum vieillesse, qui s’élève à 709 euros. Mais, pour des raisons techniques, les agriculteurs n’ont pas accès à ce dernier. Il convenait de remédier à ce problème bien réel.
En 2009, le Gouvernement a fixé à 400 euros mensuels la pension minimum versée aux agriculteurs, pour un coût global de 90 millions d’euros : 230 000 personnes étaient concernées. En 2010, il revalorise les pensions de réversion, pour un coût de 40 millions d’euros : 100 000 personnes bénéficient directement de cette mesure.
Malgré tout, force est de constater, in fine, qu’il faut aller plus loin. C’est pourquoi, sous l’impulsion de M. Bruno Le Maire et de M. Éric Woerth, le Gouvernement a décidé, dans le cadre de la présente réforme, de prendre des dispositions de nature à répondre à deux difficultés qui subsistent en matière de retraite agricole.
En premier lieu, nous facilitons l’obtention par des femmes exploitantes agricoles du bénéfice de la revalorisation du minimum de pension agricole, avec un assouplissement général des conditions d’accès à ce dispositif.
En second lieu – je l’ai souligné voilà quelques instants et Éric Woerth a lui-même évoqué cette question dans son intervention à la tribune –, nous modulons les règles d’attribution du minimum vieillesse afin que les agriculteurs ayant peu cotisé puissent avoir accès au minimum vieillesse, c’est-à-dire à un revenu de 709 euros au titre de la retraite pour une personne seule. Ainsi, les terres agricoles et le corps de ferme seront exclus du recours sur succession, compte tenu de la spécificité de ces biens, afin d’inciter les agriculteurs à demander le minimum vieillesse.
Madame Alquier, je puis vous assurer que la question que vous avez soulevée est bien prise en compte dans le cadre de la réforme des retraites. Comme vous l’avez rappelé à juste raison, et je m’associe à vos propos, chacun ici est bien conscient de tout ce que nous devons aux agriculteurs et des difficultés auxquelles ils sont confrontés.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le secrétaire d’État, nous avons bien compris que le Gouvernement n’a pas bougé d’un pouce depuis l’annonce de la réforme des retraites.
Vous êtes resté attaché à vos dogmes : excluant toute référence à l’emploi ou à la productivité, vous retenez un seul paramètre, celui de la durée de la vie, et une seule catégorie de privilégiés, c'est-à-dire une partie des salariés de la fonction publique, voire les salariés bénéficiant d’un abattement de 10 % sur leur impôt sur le revenu.
Néanmoins, en ces temps où les inégalités et les injustices sont considérables et vivement ressenties par nos concitoyens, comment allez-vous justifier que ceux qui supportent la plus grande part du coût de votre réforme soient ceux qui travaillent le plus tôt, le plus longtemps, qui exercent les métiers les plus durs, ainsi que les personnes en situation fragile, victimes de votre politique de précarisation de l’emploi, en majorité des femmes ?
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Georges Tron, secrétaire d'État. Madame le sénateur, je vais m’efforcer de vous apporter une réponse pleine de nuances, bien que ce soit en l’occurrence un exercice malaisé.
Vous m’interrogez sur les personnes qui ont les carrières les plus difficiles, soit parce qu’elles ont commencé à travailler très tôt, soit parce qu’elles exercent des métiers très durs.
Je ne répéterai pas ce que j’ai dit à la tribune tout à l’heure. La loi de 2003 n’a pas été proposée, me semble-t-il, par un gouvernement d’inspiration différente de celle du gouvernement actuel. Or, je suis désolé de le rappeler, c’est bien cette loi, conduite par notre majorité, qui a instauré le dispositif des carrières longues, lequel permet à des salariés ayant commencé à travailler à quatorze, quinze ou seize ans de partir plus tôt à la retraite.
Vous me reprochez de présenter une réforme qui néglige une situation dérogatoire que nous avons nous-mêmes instituée. Cela me rappelle l’intervention de M. Domeizel qui, voilà quelques instants, nous reprochait l’inefficacité de mesures que nous sommes les seuls à avoir su prendre. Je suis sensible à la critique, mais à la condition d’y trouver quelque chose qui nous permette d’avancer ensemble.
Pour dire les choses très simplement, nous ne demandons pas le même effort à tout le monde. Nous prenons en compte l’usure des salariés en permettant à ceux qui ont une vie professionnelle plus dure de partir à la retraite plus tôt.
La loi de 2003 visait, je l’ai rappelé, les salariés ayant commencé de travailler dès quatorze, quinze ou seize ans. Le dispositif qui est prévu dans le projet de réforme de 2010 pour les carrières longues s’appliquera tout naturellement aux salariés qui ont débuté à dix-sept ans. Ce nouveau dispositif, qui vient compléter celui de la loi de 2003, concernera 50 000 personnes en 2011 et près 100 000 personnes en 2015.
Et si nous prenons en compte les carrières longues, c’est parce qu’il faut le faire. Je l’ai indiqué à plusieurs reprises, je le répète en cet instant : nous voulons faire une réforme marquée du sceau de l’équité. Or comment pourrions-nous conduire une réforme juste si nous pénalisons les personnes qui ont commencé à travailler très tôt ?
Mme la présidente. La parole est à Mme Raymonde Le Texier.
Mme Raymonde Le Texier. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, je tenais à féliciter les deux rapporteurs – ils ne m’entendront pas, puisqu’ils participent en cet instant à une émission réalisée par Public-Sénat – qui ont consacré de nombreuses semaines à étudier la réforme des retraites. Ils ont rédigé un rapport très intéressant, qui comporte certaines hypothèses que j’aurais aimé examiner tranquillement avec eux. Je regrette donc que ce débat ait été parasité par l’annonce faite ce matin par le Gouvernement.
Je souhaite revenir sur un point particulier du rapport, qui a déjà été évoqué par plusieurs intervenants et auquel M. le secrétaire d’État a partiellement répondu, qui concerne la politique de l’emploi.
On ne peut conduire une véritable réforme des retraites sans réformer en profondeur le marché du travail. Aujourd’hui, la productivité française repose essentiellement sur la fraction de la population âgée de 24 à 54 ans. Ce segment d’autant plus pressurisé qu’il est réduit, ce qui conduit à une dégradation des conditions de travail de l’ensemble des salariés. Mais là n’est pas le propos.
Pendant ce temps, le chômage de masse, qui se traduit par l’exclusion des jeunes, des seniors et des femmes du marché de l’emploi, a des conséquences dramatiques sur les finances de notre protection sociale, l’avenir de notre système de retraite et la cohésion de notre société.
Aujourd’hui, entre l’âge moyen de cessation d’activité, soit un peu moins de 58 ans et demi, et l’âge de liquidation de la retraite, soit 61 ans et demi, les salariés subissent trois années de galère entre ASSEDIC, longue maladie, invalidité, voire préretraite pour les plus chanceux.
Au demeurant, pour la plupart des salariés, les parcours professionnels sont rudes : l’entrée sur le marché du travail est une véritable épreuve pour les plus jeunes ; l’exclusion dès 55 ans est vécue comme un rejet par les plus âgés et, entre les deux, les carrières se déroulent sous le signe de la précarité, de l’emploi fractionné et sous la pression du chômage.
Aujourd’hui, 4,4 millions de personnes en capacité de travailler pointent aux ASSEDIC, sont réduites au RSA ou survivent à peine avec des contrats à temps très partiels. Le taux d’emploi des 16-24 ans ne dépasse pas 32,2 % et celui des 55-64 ans plafonne à 38 %.
Une telle organisation du marché du travail multiplie les inégalités. Voilà pourquoi, tant que des efforts importants ne seront pas consentis pour améliorer le taux d’emploi, tant que des politiques ciblées ne s’attaqueront pas efficacement à la question de l’activité des seniors, des jeunes et des femmes, le passage à 41 ans de cotisation aura surtout pour effet d’allonger la durée passée au chômage et de réduire le montant des pensions.
Mais tel est peut-être le but recherché, car il est facile de réduire le déficit des ASSEDIC en réduisant la période d’indemnisation des chômeurs et en obligeant ces derniers à accepter le deuxième emploi proposé, même s’il est éloigné de leur domicile. Nous connaissons ces dispositions par cœur pour les avoir vu voter dans cette même enceinte.
Appauvrissement du niveau de vie des retraités, creusement des inégalités, mise à mal de la solidarité intergénérationnelle, telles sont les conséquences d’une façon d’aborder l’avenir des retraites, fondée sur une simple logique financière.
Or réformer les retraites, c’est impulser un changement de société. Pour que ce changement soit un progrès partagé par tous et équitable pour chacun, c’est une véritable politique de l’emploi qu’il faut mettre en œuvre.
Les travaux de la MECSS et ceux du COR montrent bien qu’un simple colmatage du déficit courant par le biais de mesures financières ne constitue pas une réponse pérenne.
Monsieur le secrétaire d’État, quelles dispositions envisagez-vous de prendre, en matière d’emploi, pour que l’avenir des retraites ne se résume pas à un sacrifice des valeurs qui fondent notre protection sociale ?
Vous avez partiellement répondu tout à l’heure au problème de l’emploi des seniors en évoquant, d’abord, l’aspect mécanique du règlement de la situation, puis son aspect classique, c'est-à-dire l’incitation à l’embauche par la baisse des charges sociales.
Je souhaite que vous me répondiez sur la question catastrophique de l’entrée tardive des jeunes sur le marché du travail.
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Georges Tron, secrétaire d'État. Madame Le Texier, je crains de vous décevoir. Aussi vais-je chercher quelques excuses afin que vous ne portiez pas un jugement trop sévère sur ma réponse.
Je n’ai pas la prétention, et d’ailleurs nul ne peut l’avoir, de traiter tous les sujets à l’occasion d’un débat sur les retraites. L’emploi est une question en elle-même très importante, qui s’inscrit dans un champ beaucoup plus vaste.
Votre intervention m’inspire quelques observations.
Premièrement, comme je l’ai indiqué à la tribune, nous avons parfaitement conscience que la situation de l’emploi est au cœur du problème. C’est à partir de paramètres adossés sur la situation réelle de l’emploi et calés sur la politique de l’emploi que le COR a, selon un scénario tour à tour optimiste, moyen et pessimiste, réalisé ses projections et déterminé les montants des déficits à venir. Notre réflexion est donc liée en permanence à la question de l’emploi.
Deuxièmement, vous avez dressé un tableau global et sans doute un peu noir de la situation. Permettez au secrétaire d’État à la fonction publique que je suis de formuler deux observations.
En premier lieu, dans la fonction publique, 80 % des agents sont titulaires. Ils ne sont donc pas soumis à la même « pression du chômage », pour reprendre votre expression, que d’autres salariés.
En second lieu, le Gouvernement travaille sur des mesures visant à remédier à la précarité de la situation de certains agents non-titulaires dans la fonction publique. Ces mesures seront présentées dans un projet de loi qui pourrait être déposé en fin d’année.
Troisièmement, la politique de l’emploi ne doit pas être sectorisée. Soyons clairs : il ne s’agit pas de laisser tomber une partie de la population, active mais non employée, c'est-à-dire les seniors, afin d’en cibler une autre, les jeunes.
Nous avons pris des mesures pour les jeunes qui entrent assez tardivement sur le marché de l’emploi. Afin d’éviter un décrochage de ceux qui suivent des études longues, nous n’avons pas retenu le principe de l’allongement de la durée des cotisations. Au-delà des effets de la réforme de 2003, ce dispositif aurait pénalisé les jeunes se trouvant dans cette situation.
Nous avons également pris des mesures pour les seniors – vous les avez évoquées, madame Le Texier – et pour les femmes. Je les ai détaillées tout à l’heure, je n’y reviendrai donc pas.
En ce qui concerne les seniors, j’ai esquissé dans mon propos liminaire quelques-unes des pistes sur lesquelles nous travaillons, notamment le développement du tutorat adossé à la formation professionnelle.
Comme vous l’avez rappelé, le recul de l’âge légal de départ à la retraite aura un effet mécanique. Nous avons pu l’observer à l’étranger, mais aussi en France, dans le passé. Nous connaîtrons un déchargement des emplois des seniors.
On ne peut pas, dans un débat sur les retraites, insérer un débat fiscal, un débat sur l’emploi. Mais il est bien évident que le débat sur l’emploi sert de référent à celui que nous avons sur les retraites.
Mme la présidente. La parole est à M. René Teulade.
M. René Teulade. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je ne vais pas traiter en quelques minutes d’une question aussi importante que celle des retraites ; le débat a été ouvert et largement développé. Je formulerai simplement quelques remarques et idées-force destinées à nourrir un débat qui doit rester courtois et objectif.
Cette question des retraites, parce qu’elle interroge la vie, son sens, sa durée, est révélatrice de l’ensemble des choix de société qui sont devant nous, et je voudrais répéter vigoureusement que, au-delà des questions techniques et financières, il s’agit bien avant tout d’un enjeu politique et social.
Je souhaiterais aussi apporter une précision.
Monsieur le secrétaire d’État, vous avez cité à plusieurs reprises le COR, dont j’ai l’honneur de faire partie, en particulier avec Dominique Leclerc. Son rôle, que je tiens à repréciser, est de proposer des scénarii et de formuler des hypothèses économiques et sociales sur le court, le moyen et le long terme. Mais le COR n’a aucune décision politique à prendre, et il n’en prend pas. Et même lorsque l’on fait des projections pour 2050, nous sommes perplexes, car nous ne pouvons pas imaginer aujourd’hui quelle sera la situation économique, les flux migratoires, etc. Cela fait partie des études à mener.
Je voudrais vous faire part d’une deuxième idée afin de poursuivre notre réflexion. Vous avez dit tout à l’heure, monsieur le secrétaire d’État – et je partage votre opinion –, que nous étions en train de prendre des mesures « mesurées ». Mesurons-les bien !
Je souhaiterais que nous tournions le dos à tous les discours chagrins qui voudraient transformer notre discussion en une menace pour l’équilibre social.
Je dirai aussi que la fin de l’activité professionnelle n’est pas la fin de l’activité économique et sociale. D’ailleurs, aujourd’hui, 40 % des élus ont cessé leur activité professionnelle, et nos associations vivent très souvent grâce à leur participation. Alors arrêtons ce discours chagrin selon lequel l’allongement de l’espérance de vie serait une catastrophe, et prenons-le en compte dans cet équilibre des générations.
Je voudrais m’interroger, pour conclure, sur une question fondamentale que nous avons évoquée et dont dépendra la réussite de la réforme.
Certes, personne ne remet en cause le régime par répartition. On sait aussi que 38 % des seniors ont un emploi, et il est courant qu’un salarié sorte du marché du travail vers cinquante-sept ans et attende la retraite jusqu’à soixante ans. On dit toujours qu’il représente un coût pour l’entreprise, mais, durant ces années d’attente, il ne cotise plus, et ce sont les caisses de chômage qui assurent le versement des indemnités. C’est donc une perte importante pour les régimes sociaux. C’est également, et surtout, la disparition d’une expérience professionnelle dans l’entreprise.
En un mot, c’est un véritable gâchis économique et humain auquel vous avez essayé d’apporter des solutions, et nous devons y mettre un terme. Les mesures qui viennent d’être portées à notre connaissance depuis ce matin ne résolvent absolument pas ce problème de l’emploi des seniors, et votre volonté de repousser de soixante à soixante-deux ans l’âge d’ouverture des droits provoquera une nouvelle augmentation du chômage des seniors.