Mme la présidente. La parole est à M. Yves Détraigne.
M. Yves Détraigne. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, on ne peut pas, d’un côté, dénoncer la désaffection du politique et, de l’autre, rendre l’exercice des mandats parfois impossible ; de même, il est évidemment intolérable que des élus profitent de leurs fonctions pour s’octroyer des avantages personnels.
C’est tout l’enjeu du présent débat, un enjeu qui soulève la question de la nature même de la démocratie, en particulier locale, de sa déontologie et des conditions de sa concrétisation.
Le débat n’est pas nouveau, puisque c’était déjà exactement la problématique de la loi du 10 juillet 2000 tendant à préciser la définition des délits non intentionnels, dite « loi Fauchon », du nom de notre collègue de l’Union centriste.
Bernard Saugey l’a indiqué tout à l’heure, et j’ai écouté attentivement M. le secrétaire d’État à l’instant : que n’a-t-on pas dit à l’époque de la discussion de cette loi Fauchon !
M. Bernard Saugey. C’est sûr !
M. Yves Détraigne. Il s’agissait d’une autoamnistie des élus qui voulaient se protéger, etc. Il est vrai que, voilà une dizaine ou une douzaine d’années, avant que la proposition de loi Fauchon ne soit examinée, nous en étions arrivés à des excès absolument insupportables ! Mais tout le monde, ou presque, convient aujourd’hui que nous sommes parvenus à un certain équilibre. Je ne doute pas que la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui, dont j’attribuerai la paternité non seulement à Bernard Saugey, mais également, si j’ai été bien attentif, à Pierre-Yves Collombat, ne remettra pas en cause cet équilibre.
En dix ans, la loi Fauchon est devenue un stabilisateur de la vie démocratique locale parce qu’elle a su établir un équilibre satisfaisant entre responsabilité politique et responsabilité pénale des élus.
C’est donc la même question qui nous est posée aujourd’hui : une question d’équilibre.
La proposition de loi dont nous abordons la discussion, en recadrant la prise illégale d’intérêt, rétablit un équilibre qui a été rompu entre nécessaire sanction de la prise illégale d’intérêt et exercice normal des mandats. Je crois que cela s’imposait !
Le premier alinéa de l’article 432-12 du code pénal, je le rappelle, définit ce délit – c’est une définition un peu longue et rébarbative, je le reconnais – comme « le fait, par une personne dépositaire de l'autorité publique ou chargée d'une mission de service public ou par une personne investie d'un mandat électif public, de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l'acte, en tout ou partie, la charge d'assurer la surveillance, l'administration, la liquidation ou le paiement ». En clair, on cherche la marge de manœuvre de l’élu : quand peut-il intervenir sans prendre de risque ?
Or, l’interprétation faite de ce texte par le juge est devenue parfois très problématique. Parce qu’ils présidaient des associations ayant bénéficié de subventions communales, des élus municipaux ont été condamnés pour prise illégale d’intérêt, alors qu’ils n’en avaient pas retiré le moindre profit à titre individuel. Anne-Marie Escoffier l’a d’ailleurs parfaitement illustré par les exemples qu’elle a cités.
Cette jurisprudence ne tombe pas du ciel. Elle tient, je crois, au caractère particulièrement flou de l’un des termes clefs du texte de la loi, celui d’ « intérêt quelconque ».
Il faut avoir un « intérêt quelconque » dans une entreprise ou une opération pour que le délit soit constitué. Dans ces conditions, il n’y a rien d’étonnant, en réalité, à ce que le juge ait pu interpréter l’intérêt sanctionné comme, d’une part, indépendant de la recherche d’un gain ou de tout autre avantage personnel et, d’autre part, comme non nécessairement en contradiction avec l’intérêt communal !
Seulement, voilà : cette interprétation place les élus locaux dans une situation particulièrement délicate dans la mesure où il leur incombe souvent de représenter ès qualités leur collectivité dans des organismes extérieurs qui concourent à l’action publique locale. On en arrive à une situation de blocage, une logique de l’absurde qui, poussée à l’extrême, conduit les élus à encourir une sanction pénale par la seule nature des fonctions dont ils sont investis.
Il y a donc bien incompatibilité entre l’exercice normal du mandat et la « répression » organisée par l’article 432-12, rupture de l’équilibre entre administration territoriale et sanction pénale.
Force est de constater que l’adoption de la présente proposition de loi rétablira l’équilibre rompu. En redéfinissant plus précisément la prise illégale d’intérêt comme relevant d’« un intérêt personnel distinct de l’intérêt général », elle exclut du champ de la répression les élus siégeant ès qualités comme représentants de leur collectivité au sein d’instances extérieures dans la mesure où ils n’y prennent pas d’intérêt personnel distinct de l’intérêt général.
C’est donc un texte court, certes – il est rare que nous examinions des textes aussi brefs ! –, mais que je crois efficace et qui répondra parfaitement à un problème concret.
Le groupe de l’Union centriste le votera sans hésiter. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.
M. Pierre-Yves Collombat. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, Bernard Saugey et notre rapporteur, que je remercie, ont parfaitement exposé l’objet de cette proposition de loi : clarifier en la précisant la notion d’intérêt délictueux afin de sécuriser l’action de ceux auxquels a été confiée la gestion des affaires publiques, sans baisser la garde s’agissant de leurs éventuels manquements au devoir de probité.
Je me bornerai donc à revenir sur quelques points qui me semblent essentiels et qui expliquent l’adhésion totale de mon groupe au texte qui nous est soumis.
Premier point, le délit de « prise illégale d’intérêt » concerne une catégorie bien particulière de personnes, les « dépositaire[s] de l’autorité publique ou chargée[s] d’une mission de service public » ou « investie[s] d’un mandat électif public ». Peu de nos concitoyens, donc, y sont exposés, ce qui invalide a priori toutes les objections à la proposition de loi au nom de « l’égalité des citoyens devant la loi », l’un des tantras habituellement récités dès lors qu’il est question de la responsabilité des élus. En l’espèce, la question est d’assurer non pas un traitement égal à des égaux, mais des traitements inégaux à des personnes que leur position place dans des situations inégales.
D’où mon deuxième point : inséparable de la fonction, le délit de prise illégale d’intérêt, en bonne logique, ne devrait pas pouvoir être apprécié in abstracto, sans tenir compte des conditions d’exercice réelles de ladite fonction.
Or, qu’impose la fonction des élus ? Assurer la surveillance toujours, le fonctionnement parfois, d’organismes directement liés à la collectivité qu’ils gèrent et qu’ils représentent ès qualités dans ces organismes : établissements publics, associations, sociétés d’économie mixte, offices d’HLM… Les élus n’ont donc le choix qu’entre deux chefs d’accusation potentiels alternatifs : le défaut de surveillance, en cas de dérive des organismes dont ils sont censés assurer la surveillance, ou la prise illégale d’intérêt.
Tout cela pouvait passer pour simple jeu de l’esprit, sans conséquence pratique, jusqu’à l’arrêt Ville de Bagneux, déjà évoqué. Comme cela a été rappelé, dans cette affaire, quatre élus municipaux de la commune de Bagneux – le maire, deux adjoints et un conseiller municipal, ce qui montre que la question concerne tous les élus et ne peut être réglé par le simple biais d’une démultiplication des délégations –, quatre élus, donc, ont été condamnés pour prise illégale d’intérêt pour leur participation aux délibérations et aux votes attributifs de subventions à diverses associations. Parmi celles-ci, les associations municipales et intercommunales qu’ils présidaient ès qualités, sans indemnité particulière et en vertu des statuts mêmes des organismes.
Je conseille donc aux élus d’apprendre par cœur et de se réciter tous les matins le dernier attendu de l’arrêt : « [...] l’intérêt matériel ou moral, direct ou indirect, pris par des élus municipaux en participant au vote des subventions bénéficiant aux associations qu’ils président entre dans les prévisions de l’article 432-12 du code pénal ; qu’il n’importe que ces élus n’en aient retiré un quelconque profit et que l’intérêt pris ou conservé ne soit pas en contradiction avec l’intérêt communal » !
Si cela ne s’appelle pas marcher sur la tête, je voudrais bien que l’on m’explique ce dont il s’agit ! L’arrêt Ville de Bagneux concerne seulement les associations, mais il pourrait s’appliquer, à la virgule près, à tout organisme extérieur d’une collectivité, voire aux EPCI dont elle est membre.
Ainsi, lors du vote de la dotation de compensation de l’impôt économique transféré ou de la dotation de solidarité communautaire, tous les membres du conseil communautaire, par définition intéressés en tant que délégués communaux, pourraient être inculpés pour prise illégale d’intérêt ! Cet arrêt pourrait également s’appliquer aux conseillers généraux votant une subvention relative à leur commune, voire, si l’on pousse le raisonnement jusqu’au bout, le budget du département, condition de l’octroi de subventions communales.
Le fait que des élus, siégeant ès qualités au conseil d’administration de la régie départementale des transports, sans rémunération, poursuivis pour leur participation à la commission d’appel d’offres où ladite régie soumissionnait, puissent se voir demander par un juge d’instruction si leurs enfants bénéficiaient du transport scolaire départemental montre qu’aucun délire n’est exclu.
La manière la plus simple de s’en prémunir, celle choisie par cette proposition de loi, est de préciser ce qu’il faut entendre par « prise illégale d’intérêt » : non pas la satisfaction d’un « intérêt quelconque », mais celle d’un « intérêt personnel distinct de l’intérêt général ».
Troisième point, cette modification, qui concerne exclusivement l’article 432-12 du code pénal, laisse inchangée toute la section 3, chapitre II, titre III, livre IV, relative au « manquement aux devoirs de probité » du code pénal. Sont également inchangés les articles 432-10, 432-11, 432-13 et 432-15, qui portent respectivement sur la concussion, le trafic d’influence, le pantouflage, la soustraction et le détournement de biens.
Au sein de l’article 432-12, cette modification ne concerne pas les cas où existe un intérêt personnel propre, même légitime, de l’élu, question abordée par les alinéas 2 à 5. Ces alinéas ne s’appliquent d’ailleurs qu’aux élus municipaux des communes de moins de 3 500 habitants. Il y aurait pourtant beaucoup à dire. Mais nous n’en dirons rien !
J’en ai moi-même fait l’expérience en tant que maire d’une commune de moins de 3 500 habitants. Devenu sénateur, j’avais l’intention de louer des locaux municipaux pour faire un bureau. J’ai alors sollicité l’avis du service central de prévention de la corruption sur ce point. Il m’a été déconseillé de réaliser ce projet, et j’ai évidemment suivi l’avis de ce service dont le rôle est essentiel. Malgré la présence d’un intérêt légitime, si l’on s’en réfère à la procédure, cela était impossible.
Quatrièmement, il serait assez étrange de refuser cette modification de bon sens proposée ici, alors que des pratiques autrement plus attentatoires à la moralité publique prospèrent sans susciter d’émoi particulier : si l’ancien employé d’une entreprise spécialisée dans la gestion des services d’eau, d’assainissement ou d’ordures ménagères, devenu maire, ne peut pas participer à l’instruction des affaires relatives à l’association qu’il préside ès qualités, il peut parfaitement, en toute légalité, concéder ces services municipaux, en respectant le formalisme de l’appel à concurrence, à son ancien employeur. On pourrait appeler cela du « pantouflage à l’envers », le pantouflage proprement dit étant réprimé, ou plutôt limité, par l’article 432-13 du code pénal.
Je rappelle ce paradoxe déjà souligné en 2000 par le rapport du service central de prévention de la corruption : « Comment, malgré un cadre juridique si rigoureux, un sentiment de suspicion peut-il se faire jour ? Comment le “pantouflage” en vient-il à être stigmatisé même lorsqu’il ne constitue pas une infraction ? ». « Même lorsqu’il ne constitue pas une infraction » : l’expression parle d’elle-même ! Je conseille donc la lecture de ce rapport aux âmes particulièrement chatouilleuses sur le chapitre de la moralité publique, ou plus exactement des « émotions médiatiques ».
Cinquièmement, pour apprécier l’effet pratique et humain de la législation, on ne peut se contenter de dire que la répression du délit de prise illégale d’intérêt est « mesurée ». C’est le seul point sur lequel je ne suis pas entièrement d’accord avec notre rapporteur.
D’abord, les statistiques fournies par la Chancellerie sont pour l’essentiel antérieures à l’arrêt Ville de Bagneux, qui change entièrement la donne.
M. Bernard Saugey. C’est vrai !
M. Pierre-Yves Collombat. Ensuite, plus que la lourdeur des peines principales et complémentaires dont on peut raisonnablement penser qu’elles ne concerneront que des prévenus ayant manqué à leur devoir de probité, c’est paradoxalement la légèreté de bon nombre des peines prononcées qui interrogent.
Que penser des dispenses de peines, sinon qu’elles sanctionnent quelqu’un d’honnête ? C’est évidemment de ces élus dont nous parlons, les autres personnes poursuivies n’ayant que ce qu’elles méritent. Vous nous avez dit en commission des lois, monsieur le secrétaire d’État, que les condamnations étaient peu fréquentes : elles sont légères et parfois justifiées, avez-vous déclaré. Quel aveu ! Si ces condamnations sont « parfois » justifiées, c’est que souvent elles ne le sont pas ! (Sourires.)
M. Pierre-Yves Collombat. Cela figure dans le rapport. Je ne me permettrais pas d’inventer !
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. On est toujours trahi par les écrits ! (Nouveaux sourires.)
M. Pierre-Yves Collombat. Mme le rapporteur a replacé notre réflexion dans une continuité historique remontant à Saint-Louis et à Charles VI, l’inoubliable auteur d’une ordonnance sur le blasphème dont je vous recommande la lecture. Charles VI fut d’abord « le bien aimé » avant de sombrer dans une folie meurtrière et de devenir « Charles le fol ». (Sourires.)
J’y vois comme un signe, s’agissant de la sous-section relative à la prise illégale d’intérêt de notre code pénal ! (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Vial.
M. Jean-Pierre Vial. Madame le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, toute personne doit répondre de ses actes et de leurs conséquences, autant sur le plan civil que sur le plan pénal.
Non seulement cette règle de droit commun n’échappe pas à la personne investie de l’autorité publique, qu’elle soit fonctionnaire, élue ou officier ministériel, mais son application en est fréquemment élargie, voire durcie, en vertu d’un principe très simple selon lequel le porteur de cette autorité publique doit être un garant de l’autorité qu’il représente ou de la fonction qu’il assume.
Le droit administratif a construit dans le temps, sur la base d’une jurisprudence et d’une doctrine solides, la notion de la faute détachable ou non du service et de ses conséquences. Sur le plan pénal, le simple fait de commettre une infraction en étant investi de l’autorité publique entraîne le durcissement de la sanction, voire de la qualification pénale, allant jusqu’à criminaliser des faits qui n’auraient reçu qu’une qualification délictuelle au regard du droit commun.
Les domaines d’activité de plus en plus variés et complexes relevant du champ public et du champ privé, notamment dans le domaine économique, ont conduit l’autorité publique et le législateur à mettre en place des contrôles de déontologie de plus en plus rigoureux.
Ces principes et cette rigueur doivent être une règle et une exigence. Mais cette exigence de droit ne peut aller sans la précision de la règle et de son caractère normatif, et cela d’autant plus qu’en matière pénale on s’éloigne du caractère intentionnel des faits pour n’en retenir que le seul caractère matériel.
Il y a quelques années déjà, Mme Chandernagor, en sa qualité non pas de romancière, mais de rapporteur du Conseil d’État sur l’activité législative, soulignait les risques du nombre croissant de textes législatifs et de l’insécurité juridique qui en résultait.
Combien de fois des magistrats n’ont-ils pas soulevé les difficultés qui en résultaient pour eux, allant même jusqu’à considérer que, dans bien des cas, la difficulté ne résidait pas tant dans l’appréciation des faits qui leur étaient soumis que dans la bonne application des textes, compte tenu de leur nombre, de leur diversité, voire de leur complexité ?
Les élus locaux qui, ne l’oublions pas, sont la plupart du temps des élus de petites communes disposant de services administratifs très réduits, voire inexistants, sont amenés à représenter ès qualités la collectivité et l’assemblée dont ils émanent, au sein de ce que l’on appelle communément « les organismes extérieurs », qu’ils soient de droit public ou de droit privé. Ces établissements publics ou associations parapubliques concourent à l’action publique locale en remplissant des missions d’intérêt public ou d’intérêt général irremplaçables.
Dans notre droit positif, la prise illégale d’intérêt se définit comme un manquement au devoir de probité de la part de toute personne exerçant des fonctions publiques. Or, l’absence de qualification précise de la notion d’intérêt a conduit la jurisprudence la plus récente – elle résulte d’un arrêt de la Cour de cassation de 2008 – à s’éloigner de cette définition.
Ainsi, dans un des considérants de l’arrêt précédemment évoqué, la chambre criminelle indique que l’infraction est constituée même s’il n’en résulte ni profit pour les auteurs ni préjudice pour la collectivité, comme cela a été longuement développé. Dès lors, la Cour considère que « la prise illégale d’intérêt se consomme par le seul abus de sa fonction, indépendamment de la recherche d’un gain ou d’un avantage personnel ».
Non seulement les effets de cette jurisprudence n’auraient plus aucun lien avec la notion de probité à préserver mais entraîneraient de lourdes conséquences à l’égard d’élus qui refuseraient à l’avenir d’assumer des décisions, des responsabilités ou des représentations dans des structures extérieures qu’ils considéreraient comme susceptibles de les exposer à ce risque.
Mes chers collègues, nous faisons tous partie d’assemblées délibérantes. Nous siégeons pour beaucoup dans des commissions permanentes. Qui, dans cet hémicycle, n’a pas été témoin – je vais peser mes mots – d’échanges au cours desquels l’un lève la main en demandant au président de ne pas figurer au procès-verbal, et ou l’autre, inattentif, parlant à son collègue, se voit rappeler son statut de président de l’OPAC et la nécessité de se faire porter hors procès-verbal ? Combien de fois n’a-t-on pas entendu : « tu es président du CAL-PACT ou de l’ADIL, et peut-être faudrait-il que cette décision ne te concerne pas » ? (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est très juste !
M. Jean-Pierre Vial. Certaines fois, nous devons nous demander si, après l’exclusion de tous ceux qui pourraient être concernés par le procès-verbal, le quorum est encore assuré…Est-ce là une application rigoureuse du droit ? Aujourd’hui, par l’exemple du droit, de sa rigueur et des exemples tirés de la vie quotidienne, nous sommes amenés, en qualité de législateur, à prendre notre responsabilité.
Je suis très sensible, monsieur le secrétaire d’État, à l’évolution qui a eu lieu, entre l’état d’esprit dans lequel vous sembliez être le 2 juin dernier en commission et la conclusion à laquelle vous êtes parvenu à l’instant, en vous en remettant à la sagesse du Sénat. C’est que nous attendions, sans en être parfaitement assurés avant que vous n’en prononciez la formule.
Afin d’encadrer au mieux l’action publique locale et d’empêcher des dysfonctionnements voire une paralysie, la présente proposition de loi vise à définir plus précisément la notion de prise illégale d’intérêt.
À travers cette proposition de loi, notre collègue Bernard Saugey, dont je tiens à saluer l’initiative, a su concilier deux impératifs, qui l’un et l’autre garantissent la force et la vitalité de notre vie démocratique : la neutralité à laquelle doit se soumettre tout agent public et la sécurité juridique qui lui est due en contrepartie.
Avec la nouvelle rédaction proposée, la poursuite d’un intérêt moral sera toujours sanctionnée au même titre que la recherche de profits matériels ou financiers. En effet, ce texte qui est soumis à notre examen vise non à amoindrir la responsabilité des élus et fonctionnaires ou à assouplir les sanctions, mais à protéger l’action des élus en préservant leur neutralité dans l’exercice de leurs fonctions publiques et en réprimant la recherche de l’intérêt particulier.
Par ailleurs, la commission, mesurant les difficultés d’application des dispositions du code pénal, a souhaité lui donner un éclairage plus juste en concentrant la répression sur les comportements relevant de manquements à la probité.
En adoptant ce texte, notre commission s’est voulue intransigeante sur le respect du critère de probité. Ainsi, afin de protéger doublement la neutralité de l’agent public, il est prévu, d’une part, de réprimer les actes qui s’en écartent et, d’autre part, d’indiquer à l’intéressé la mesure du risque délictuel.
Je tiens à souligner l’excellent travail et l’extrême qualité de l’approche de notre rapporteur, Anne-Marie Escoffier, sur l’initiative de laquelle notre commission a souhaité modifier l’intitulé de la proposition de loi. Comme vous l’avez indiqué, ma chère collègue, « cette proposition vise à clarifier la notion d’intérêt et à lever les incertitudes pesant, pour les agents publics, sur la compatibilité avec la loi pénale des actes qu’ils sont appelés à commettre ès qualités ».
De plus, en ne restreignant pas les destinataires de ce texte aux seuls élus locaux, le titre de la présente proposition de loi est désormais en conformité avec l’objet du dispositif que les membres du groupe UMP et moi-même souhaitons adopter.
En effet, l’article 432-12 du code pénal concerne non seulement les élus, mais également les fonctionnaires et, plus largement, les dépositaires de l’autorité publique ou chargés d’une mission de service public, qui peuvent être des agents de droit privé comme les officiers ministériels.
Nous nous réjouissons que ce texte ait fait l’objet d’une approche juridique rigoureuse ayant été adoptée à l’unanimité par la commission des lois.
Monsieur le secrétaire d'État, si un dernier doute subsistait dans votre esprit, il concernait, ai-je cru comprendre, non pas la rigueur morale et juridique, pas plus que le bien-fondé du texte qui nous est soumis, mais la pesanteur qui pourrait en résulter, disons le clairement, dans les médias. Pourtant, Dieu sait si des événements récents, que je ne citerai pas, ont montré à quel point notre société, y compris notre jeunesse, a besoin de normes, de valeurs, de clarté ! En la matière, notre société ne doit-elle pas, elle aussi, progresser en comptant sur les médias ? En effet, ce n’est pas en restant dans le flou juridique que l’on se fait respecter de ces derniers ! Au contraire, nous devons montrer aux médias que la règle est aussi respectueuse de vertu et qu’ils doivent non pas toujours dénigrer ce que fait la chose publique, mais en être le porte-parole.
Pour ma part, je suis fier d’être un élu de la République et des valeurs qu’elle représente. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, de l’Union centriste, du RDSE et du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, il me semble utile de dire d’emblée que la proposition de loi sur laquelle nous sommes invités à nous prononcer n’a pas pour objet de revenir sur l’incrimination, qui est nécessaire.
Les élus qui manquent à leur devoir de probité doivent être sanctionnés, et la loi pénale doit garantir aux citoyens le respect de ce devoir. Toute confusion entre l’intérêt propre d’un élu et l’intérêt public doit donc être lourdement sanctionnée.
Toutefois, pour que la loi pénale joue pleinement son rôle de garde-fou, elle doit être parfaitement intelligible. Or force est de constater que, avec l’interprétation que lui donne actuellement la chambre criminelle de la Cour de cassation, cet objectif est loin d’être atteint.
L’article 432-12 du code pénal sanctionne « le fait, par une personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public ou par une personne investie d’un mandat électif public, de prendre, recevoir ou conserver, directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans une entreprise ou dans une opération dont elle a, au moment de l’acte, en tout ou partie, la charge d’assurer la surveillance, l’administration, la liquidation ou le paiement ».
Pour préciser le champ d’application de cet article, la chambre criminelle a, au fil de sa jurisprudence, donné une interprétation toujours plus extensive de la notion d’« intérêt quelconque ».
Sanctionnant d’abord la prise d’un intérêt personnel, l’article 432-12 du code pénal sanctionne actuellement les élus « agissant dans l’intérêt communal en dehors de tout intérêt personnel apparent ».
Au mépris du principe d’interprétation stricte de la loi pénale, la Cour de cassation a donc choisi de donner une interprétation de plus en plus extensive à la notion d’ « intérêt quelconque ».
Comme l’a relevé un analyste, « où s’arrête le soupçon lorsqu’il n’est nul besoin d’établir l’intention ni le profit ? »
En glissant de l’intérêt personnel à l’intérêt moral, la chambre criminelle empêche toute délimitation précise du délit dont peuvent se rendre coupables les élus.
Les premières victimes de cette dérive jurisprudentielle ont été des élus municipaux de la ville de Bagneux, condamnés pour avoir participé au vote de subventions à des associations qu’ils présidaient.
Ainsi, aux termes de l’arrêt de la Cour de cassation d’octobre 2008, qui confirme l’arrêt de la cour d’appel de Versailles condamnant ces élus, « l’intérêt, matériel ou moral, direct ou indirect, pris par des élus municipaux en participant au vote des subventions bénéficiant aux associations qu’ils président entre dans les prévisions de l’article 432-12 du code pénal ; qu’il n’importe que ces élus n’en aient retiré un quelconque profit et que l’intérêt pris ou conservé ne soit pas en contradiction avec l’intérêt communal ».
Les élus ont pourtant fait valoir qu’ils n’avaient pris aucun intérêt distinct de l’intérêt général dans la mesure où les associations servaient des objectifs d’intérêt communal et qu’ils n’avaient perçu aucune rémunération. Toutefois, cet argumentaire n’a pas convaincu la chambre criminelle. Il est donc pour le moins choquant que, en l’absence de tout profit personnel, les élus soient quand même condamnés.
La jurisprudence actuelle représente une épée de Damoclès au-dessus de la tête de chaque élu. Il est donc temps de rendre à l’article 432-12 du code pénal son véritable sens. C’est la raison pour laquelle nous voterons cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et au banc de la commission. – M. Yves Détraigne applaudit également.)