compte rendu intégral
Présidence de Mme Monique Papon
vice-présidente
Secrétaires :
M. Jean-Pierre Godefroy,
M. Marc Massion.
1
Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Prise illégale d’intérêts des élus locaux
Adoption d'une proposition de loi
(Texte de la commission)
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi visant à réformer le champ des poursuites de la prise illégale d’intérêts des élus locaux, présentée par M. Bernard Saugey (proposition n° 268, texte de la commission n° 520, rapport n° 519).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Bernard Saugey, auteur de la proposition de loi.
M. Bernard Saugey, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je serai bref, laissant le soin à mes collègues Anne-Marie Escoffier et Pierre-Yves Collombat de compléter mes propos. Je me contenterai donc d’évoquer quelques idées-force.
Tout d’abord, ce qui nous pose problème dans la définition actuelle du délit de prise illégale d’intérêt, c’est la notion d’« intérêt quelconque », qui nous semble trop générale. Contrairement à ce que d’aucuns peuvent penser, cette proposition de loi est destinée non à protéger les élus, mais à faire en sorte que les élus honnêtes ne soient pas importunés, et que les élus voyous – ils ne sont pas nombreux, mais ils peuvent toujours exister – puissent être condamnés. Notre objectif est donc d’améliorer la loi afin de mieux réprimer la recherche d’un intérêt personnel.
Je tiens ensuite à rappeler que cette proposition de loi a deux pères spirituels. Si je l’ai présentée en mon nom propre, afin qu’elle puisse être examinée dans le cadre de l’ordre du jour réservé au groupe de l’UMP, je veux y associer mon collègue et ami Pierre-Yves Collombat. En effet, c’est ensemble, lors de la discussion de la loi du 12 mai 2009 de simplification et de clarification du droit et d’allégement des procédures, que nous avons eu l’idée de ce texte ; mais il nous a paru préférable de déposer une proposition de loi indépendante, afin d’éviter l’écueil du cavalier législatif.
J’insiste également sur le fait que nous sommes très attachés au maintien de la répression du délit de prise illégale d’intérêt, contrairement à ce que d’aucuns peuvent penser.
Je voudrais aussi reprendre un exemple désormais fameux, déjà maintes fois évoqué, que j’ai d’ailleurs rappelé devant la commission des lois : c’est l’histoire d’un maire qui, comme à l’accoutumée, fait adopter par son conseil municipal une subvention pour le club de sports de sa commune. Sauf que son petit-fils joue au football dans ce club… Eh bien, mes chers collègues, un magistrat qui prendrait la loi au pied de la lettre – ils sont rares, mais ils existent ! – pourrait condamner ce maire pour prise illégale d’intérêt, alors même que ce dernier n’a pas touché un centime d’euro !
À en croire certains, le sujet ne serait pas essentiel, en raison du faible nombre de cas. Je ne partage pas ce point de vue. Je rappellerai en effet que, sur les trois dernières années, quarante-quatre cas ont été recensés en 2005, cinquante et un en 2006, et quarante-neuf en 2007, et qu’ils se sont soldés par treize peines d’emprisonnement avec sursis, vingt et une peines d’amende et seulement cinq dispenses de peine.
Je m’inscris également en faux contre l’idée répandue selon laquelle il suffirait, pour protéger un élu, de ne pas le faire participer aux votes relatifs à l’organisme ou à l’association dont il est par ailleurs membre. En effet, cette pratique ne permet pas d’écarter toute menace.
Je souligne d’ailleurs que ce sont les poursuites, et les harcèlements moraux qui s’ensuivent, qui posent problème, plus que les condamnations.
À présent, nous devons faire preuve d’un véritable courage politique.
J’ai cru savoir que la Chancellerie avait eu quelques réticences à l’égard de ce texte.
M. Bernard Saugey. À l’heure où l’on gouverne avec les médias et les sondages – c’est un peu la maladie du siècle ! –, la loi Fauchon du 10 juillet 2000 n’aurait sans doute jamais pu être adoptée. Pourtant, vous qui êtes en contact régulier avec les élus locaux, mes chers collègues, vous savez combien cette loi Fauchon est appréciée. (M. Alain Fouché acquiesce.) Et, de la façon dont elle a été utilisée, elle n’a donné lieu à aucun débordement.
Pour l’ensemble de ces raisons, nous devrions tous accepter de voter cette proposition de loi.
Cerise sur le gâteau, je note que la chambre criminelle de la Cour de cassation a, par une interprétation stricte de la loi pénale, récemment confirmé la condamnation d’un maire, d’un maire-adjoint et d’un conseiller municipal pour avoir participé à la décision d’attribution de subventions à des associations municipales qu’ils présidaient ès qualités, bien qu’ils n’en aient tiré aucun profit personnel et qu’il n’en soit résulté aucun préjudice pour la collectivité. Je vous renvoie, mes chers collègues, à la lecture de l’arrêt de la chambre criminelle de la Cour de cassation du 22 octobre 2008.
C’est donc bien la généralité des termes du texte d’incrimination, qui repose sur la notion d’ « intérêt quelconque », qui conduit à placer sous le coup de la loi pénale des comportements pourtant strictement conformes à l’intérêt général.
Nous proposons par conséquent de substituer aux mots « un intérêt quelconque » l’expression « un intérêt personnel distinct de l’intérêt général ». Ainsi, les honnêtes élus, qui sont légions, ne seront pas importunés, mais ceux qui voudront tricher seront embêtés.
J’ajoute enfin que, lorsque j’ai contacté Mme le garde des sceaux pour obtenir des précisions sur les réticences qui pouvaient exister à la Chancellerie, elle m’a tout d’abord dit qu’elle n’était pas au courant, avant de me rappeler pour me préciser qu’elle soutiendrait cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, de l’Union centriste, du RDSE et du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Anne-Marie Escoffier, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi que j’ai l’honneur de rapporter devant vous ce matin s’inscrit dans une actualité brûlante qui nous fait toucher du doigt l’impérieuse nécessité de mesurer les conséquences de la jurisprudence la plus récente sur le délit de prise illégale d’intérêt. Une actualité qui donne raison à l’initiative prise par notre collègue Bernard Saugey de vouloir mieux définir le délit de prise illégale d’intérêt, prévu par l’article 432-12 du code pénal.
Nombreux sont les élus, les fonctionnaires, toutes les personnes exerçant une fonction publique, à s’émouvoir des conséquences que pourrait emporter la jurisprudence de la Cour de cassation, dans son arrêt du 22 octobre 2008 Ville de Bagneux, si elle devait être appliquée brutalement et sans discernement à des comportements qui n’auraient jamais eu l’intention de violer la loi.
Cette proposition de loi, loin de vouloir affaiblir le droit et protéger les élus et agents publics, vise donc tout au contraire à « sanctuariser » le devoir de probité, valeur fondamentale de notre République, à laquelle chacun de nous, citoyen comme élu, est viscéralement attaché. Elle veut concilier deux impératifs garants de notre vie démocratique : la neutralité qui s’impose à tout agent public et la sécurité juridique qui lui est due en contrepartie.
Tel était d’ailleurs l’objectif du délit de prise illégale d’intérêt, un délit qui s’inscrit dans un vieux principe déjà connu du droit romain, repris dans deux ordonnances de Saint-Louis et de Charles VI, puis dans le code pénal de 1810. Seul son nom en a été modifié, puisqu’au délit d’ « ingérence » s’est substitué celui de « prise illégale d’intérêt ». Quel que soit ce nom, il a toujours tendu à conforter la neutralité des personnes exerçant une fonction publique, qui se voient interdire la prise d’intérêts dans les affaires placées sous leur surveillance.
Aux termes de l’article 432-12 du code pénal, le délit n’est constitué qu’autant que les justiciables, en raison de leurs fonctions, ont pris, reçu ou conservé, « directement ou indirectement, un intérêt quelconque dans une entreprise ou une opération dont [ils ont], au moment de l’acte, en tout ou partie, la charge d’assurer la surveillance, l’administration, la liquidation ou le paiement ».
Les mots utilisés pour caractériser le délit portent en eux toute l’ambiguïté que dénonce la proposition de loi.
La surveillance peut aller jusqu’à être interprétée comme une simple association au processus de décision et se réduire à de simples pouvoirs de préparation ou de proposition de décisions prises par d’autres, comme l’a jugé la chambre criminelle de la Cour de cassation par un arrêt du 14 juin 2000.
Quant à l’« intérêt quelconque », il peut être de nature matérielle ou morale, direct ou indirect, indépendant même de la recherche d’un gain ou de tout autre avantage personnel, et sans contradiction nécessaire avec l’intérêt communal.
Il faut bien admettre que, en élargissant ainsi la notion d’intérêt quelconque, le juge considère que « l’infraction est constituée, même s’il n’en résulte ni profit pour les auteurs ni préjudice pour la collectivité », l’élément moral du délit résultant de ce que l’acte a été accompli sciemment, sans qu’il y ait forcément intention frauduleuse.
On mesure dès lors l’épée de Damoclès au-dessus de la tête de ces agents publics soumis au quotidien à des processus de décision entrant pleinement dans le champ de cet article 432-12 du code pénal, d’autant que les sanctions ont été aggravées dans le nouveau code pénal qui, au-delà des cinq ans d’emprisonnement et des 75 000 euros d’amende, prévoit des peines complémentaires dès lors qu’il y a manquement au devoir de probité.
S’ajoutent ainsi une interdiction des droits civiques, civils et de famille pour une durée maximale de cinq ans, une interdiction d’exercer une fonction publique ou une activité professionnelle ou sociale dans le même cadre que celui qui a donné lieu à infraction, et ce à titre définitif ou pour cinq ans, la confiscation des sommes ou objets irrégulièrement reçus ou détenus, une incapacité électorale de cinq ans telle qu’introduite par la loi du 19 janvier 1995 dans l’article L. 7 du code électoral.
Certes, il faut bien admettre que, statistiquement parlant – Bernard Saugey l’a rappelé tout à l’heure –, le nombre des condamnations n’est pas excessif, puisqu’il s’établit à environ cinquante condamnations par an sur les trois dernières années de référence : quarante-quatre en 2005, dont quatorze à l’encontre d’élus ; cinquante et un en 2006, dont dix-neuf à l’encontre d’élus ; quarante-neuf en 2007, dont dix à l’encontre d’élus.
Il faut ajouter que, avec pragmatisme, le législateur a prévu des atténuations, mais pour les seules communes de 3 500 habitants ou moins, sous réserve que, dans tous les cas, l’ensemble des décisions soient prises en toute transparence.
Il n’en reste pas moins que, en dépit de cet assouplissement, la rigueur des sanctions même atténuées a des conséquences lourdes sur les agents publics, marqués par un soupçon indélébile aux conséquences très importantes, y compris sur le plan psychologique.
Enfin, il n’aura échappé à personne que le Conseil constitutionnel, dans sa toute récente décision du 11 juin 2010, a déclaré contraire à la Constitution l’article L. 7 du code électoral relatif à l’interdiction d’inscription sur la liste électorale, décision qui vient conforter la position de l’auteur de la proposition de loi et celle de votre rapporteur.
Le contenu de cette proposition de loi avait été présenté dans un amendement par notre collègue Pierre-Yves Collombat lors de l’examen de la loi de simplification et de clarification du droit et d’allégement des procédures du 12 mai 2009 ; mais, cette disposition, considérée comme inopportune dans ce texte, n’avait pas été retenue. Bernard Saugey l’a expliqué et a rappelé que la présente proposition de loi, même si elle émane de lui, a été élaborée en parfait accord avec Pierre-Yves Collombat.
Cette double démarche, tant de M. Collombat que de M. Saugey, montre à l’évidence l’intérêt du texte qui nous est soumis.
Derrière cette proposition de loi, il y a le devoir exigeant, impératif de concilier en pratique deux points de vue : celui de la loi et celui du juge avec l’interprétation extensive qu’il fait de ladite loi. C’est un devoir exigeant, impératif, si l’on veut éviter un blocage inévitable de toute action administrative.
Monsieur le secrétaire d’État, les élus que nous sommes tous ici savent ce que veut dire « prendre ses responsabilités ».
Je suis conseiller général, membre de la commission d’appel d’offres relative aux transports scolaires. Je délibère donc pour choisir les transporteurs qui assurent le transport des élèves. Heureusement que mes petits-enfants ne bénéficient pas de ce transport, sinon…
Je demande et j’obtiens, toujours en qualité de conseiller général, des subventions pour les associations et les clubs sportifs de mon canton. Heureusement, encore une fois, que mes petits-enfants ne jouent ni au football ni au basket dans les clubs de mon canton ; sinon, je serais prise en défaut et coupable de prise illégale d’intérêt.
N’y a-t-il pas aussi quelque hypocrisie à croire que, parce que l’on ne prendra pas part aux délibérations de l’exécutif ou que l’on quittera momentanément la salle des délibérations pour ne participer ni aux débats ni au vote, on sera à l’abri d’une potentielle prise illégale d’intérêt ?
Chacun, à la commission des lois, s’est accordé à reconnaître, d’abord l’absolue nécessité de maintenir la répression du délit de prise illégale d’intérêt – nous y insistons – mais aussi, en contrepartie, la tout aussi nécessaire obligation de clarifier la notion d’ « intérêt quelconque ». Chacune et chacun a pu illustrer d’exemples vécus sur son territoire les excès auxquels pourrait conduire une application immodeste de la loi.
C’est pourquoi la commission, à l’unanimité, a voulu concentrer la répression sur les comportements relevant des manquements à la probité. Le texte retenu, intransigeant sur le respect du critère incontournable et essentiel de probité, se veut doublement protecteur de la neutralité de l’agent public en réprimant les actes qui s’en écarteraient et en stigmatisant le risque délictuel.
Monsieur le secrétaire d’État, les élus, dépositaires de l’autorité publique, les personnes chargées d’une mission de service public ou encore les personnes investies d’un mandat électif public se veulent, et sont dans leur grande majorité – il suffit de revenir au nombre de condamnations évoqué tout à l’heure –, exemplaires. Apportons-leur la preuve de la confiance que nous leur faisons. Disons-leur à toutes et à tous notre volonté de les aider à faire fonctionner harmonieusement nos institutions, notre volonté de ne pas paralyser l’action administrative, surtout à un moment où se multiplient les structures locales, où se développe l’intercommunalité et où les associations sont plus que jamais nécessaires.
La proposition de loi de Bernard Saugey a été considérée par l’ensemble des membres de la commission comme un texte d’équilibre et de bon sens, un texte raisonnable. Seul son intitulé a été modifié pour mieux identifier les bénéficiaires de ces dispositions. Sous réserve de cette modification, le texte a été adopté à l’unanimité par la commission : mes chers collègues, je vous propose de suivre son avis. (Applaudissements.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État à la justice. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d’abord d’avoir une attention particulière pour Mme Escoffier qui inaugure aujourd’hui la fonction de rapporteur, et qui le fait si bien d’ailleurs qu’elle rend ma tâche ardue. (Sourires.)
Avant d’exprimer la position du Gouvernement sur ce texte, je me dois de vous expliquer les raisons pour lesquelles il y a matière à débat et pourquoi j’étais porteur, devant la commission des lois le 2 juin dernier, d’un certain nombre de questions et de rappels utiles.
L’échange que nous avons eu il y a trois semaines en commission des lois a été, pour moi, particulièrement éclairant et fructueux, y compris d’ailleurs sur des points controversés. On peut avoir une analyse différente, mais il était important que j’entende votre point de vue, étayé notamment par la jurisprudence. Nous avons aujourd'hui la démonstration que ces auditions de membres du Gouvernement devant la commission des lois et le dialogue qui s’y instaure – même si, je le sais, la commission des lois a une grande capacité à se suffire à elle-même tant les talents y sont nombreux et riches – ont leur utilité, et, pour ma part, je ne regrette pas d’y être venu le 2 juin dernier.
Cet échange en commission vaut, me semble-t-il, tous les coups de téléphone ou les échanges de couloir, si intéressants soient-ils par ailleurs, car on peut toujours interpréter ou contester ces derniers.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. À condition que les ministres écoutent ce que dit la commission : cela arrive quelquefois ! (Sourires.)
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. C’est ce que je voulais dire : je n’ai pas été si longtemps parlementaire, y compris sénateur, pour rien ! Cela crée une culture, un état d’esprit, un respect.
M. Jean-Jacques Hyest. Nous savons que c’est ce que vous faites !
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. Notre discussion en commission, disais-je, a été d’un grand intérêt. Il en est d’ailleurs résulté des échanges au niveau des services de la Chancellerie et du Premier ministre, la prise en compte d’un certain nombre d’arguments et, enfin, la position que j’exprimerai tout à l’heure.
Ces remarques importantes étant faites, je me permettrai de reprendre un certain nombre de réserves que j’ai exprimées en commission parce qu’elles font partie du débat. Ce débat n’est pas aussi tranché qu’il y paraît, j’en conviens volontiers, mais admettez-le également.
Tout d’abord, la modification proposée consistant à remplacer « un intérêt quelconque » par « un intérêt personnel distinct de l’intérêt général » nous semblait juridiquement inutile.
Ce n’est d’ailleurs pas une position nouvelle de la Chancellerie, laquelle avait déjà émis des réserves identiques concernant la proposition similaire de M. Pierre-Yves Collombat. Comme vous l’avez indiqué, monsieur Saugey, nous avions déjà eu ce débat.
L’article 432-12 du code pénal a repris la rédaction de l’article 175 de l’ancien code pénal relatif au délit d’ingérence, devenu en 1994 le délit de prise illégale d’intérêts. Les termes inchangés « quelque intérêt que ce soit » sont devenus une notion clairement connue de tous les professionnels, et la loi pénale, il est vrai, gagne aussi à être stabilisée au moment où l’on critique ses incessants changements. Il y va d’une sécurité juridique que tous les praticiens appellent de leurs vœux.
Vous répondez à cela que, compte tenu d’un certain nombre de décisions faisant aussi partie de la jurisprudence que vous avez d’ailleurs rappelée, madame le rapporteur, cette sécurité n’est peut-être pas suffisamment importante, notamment du point de vue des élus : je peux l’entendre.
Je vous suggère de vous référer à la jurisprudence de la Cour de cassation, qui n’est tout de même pas rien : la prise illégale d’intérêt ne sanctionne qu’un comportement d’ingérence et en aucun cas l’objectif poursuivi ou le résultat escompté par l’auteur des faits ; en conséquence, la modification sur ce point précis n’apporte pas de valeur ajoutée. Mais j’ai compris que là n’était pas votre souci principal.
Je ne développerai pas longuement l’argument de la paralysie de l’action publique en raison d’une mise en cause systématique des élus puisque vous avez repris l’un et l’autre le même argument que moi sur le faible nombre de condamnations,…
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Oui !
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. … même si nous arrivons à une conclusion opposée – mais nous finirons par nous rejoindre… –, vous pour dire que le phénomène peut finalement être traité sereinement, nous pour dire que l’on ne doit pas tant craindre l’état actuel de la jurisprudence.
M. Alain Fouché. Elle a évolué !
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. Mais ces arguments peuvent être interprétés dans les deux sens. (M. Alain Fouché fait un signe d’assentiment.)
S’agissant du risque de voir les élus locaux déserter les instances décisionnelles des associations parapubliques subventionnées – le risque existe en effet –, je rappelle que l’article L. 1524-5 du code général des collectivités territoriales instaure une présomption de désintéressement au profit de l’élu. Les élus locaux représentant une collectivité territoriale au conseil d’administration ou de surveillance d’une société d’économie mixte locale – c’est mon cas, et depuis longtemps – peuvent ainsi prendre part au vote de l’assemblée délibérante sans pour autant être considérés comme intéressés à l’affaire. C’est tout de même une sécurité importante pour éviter le danger mis en avant.
Cependant, je reconnais en vous écoutant – car j’écoute aussi ! – qu’il existe, malgré ce que je viens de dire, une réelle insécurité juridique liée à certaines décisions parfois difficiles à comprendre, décisions qui, à l’évidence, affaiblissent l’argument réel que je viens de développer.
Au fond, nous sommes dans une situation plus complexe que nous ne pouvions le penser au départ. Vous devez être à l’écoute des éléments que je peux vous apporter afin que votre démarche soit solide et puisse s’inscrire dans la durée ; pour ma part, au nom du Gouvernement, je dois savoir entendre les inquiétudes réelles que vous mettez en avant et qui justifient le dépôt de cette proposition de loi.
En commission, j’avais également évoqué un autre aspect qui vous avait fait « bondir » ; aussi, je formulerai différemment mon propos, car j’ai su d’autant mieux vous écouter que je comprends parfaitement votre sensibilité sur ces questions : la modification qui tend à définir un champ plus restreint que l’« intérêt quelconque » visé par la rédaction actuelle de l’article 432-12 du code pénal doit être comprise – et je ne dis pas : pourrait ne pas être comprise – par nos concitoyens. Nous avons donc, ensemble, dans ce contexte qui n’est pas des plus simples, un devoir d’explication, de pédagogie à l’égard de nos concitoyens et des médias, qui, évidemment, commenteront nos décisions.
M. Alain Fouché. Il suffira de prendre des exemples !
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. Il suffira peut-être de prendre des exemples, comme cela a été fait. Je connais les situations évoquées par Mme le rapporteur, et j’en tiens compte ; mais convenons que nous avons besoin de bien nous faire comprendre. Vous êtes des parlementaires suffisamment chevronnés et expérimentés pour savoir que ce n’est pas toujours facile, surtout dans le contexte actuel.
M. Bernard Saugey. On va s’en occuper !
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. Cette nouvelle définition d’un intérêt personnel et nécessairement distinct de l’intérêt général, en effet, risque d’être perçue comme floue.
Je veux également rappeler que l’infraction de prise illégale d’intérêt vise à garantir l’impartialité et la neutralité de l’élu. Elle n’est pas érigée aux seules fins de prévenir la vénalité des élus, elle a aussi pour objet d’assurer le devoir de probité de ces derniers – mais nous sommes là-dessus d’accord, puisque vous l’avez vous-mêmes rappelé tout à l’heure.
En outre, afin de faire échec à toute suspicion de partialité, la rédaction actuelle de l’article 432-12 du code pénal astreint les élus à un désintéressement absolu ; c’est également le point de vue que vous développez.
Je veux le répéter encore une fois, lorsque je suis arrivé devant votre commission, je n’avais encore jamais rencontré ni de près ni de loin les problèmes que vous évoquez. J’ai donc exposé le point de vue qui était alors le mien : pour échapper à la sanction, les élus doivent s’abstenir de toute présence directe ou indirecte à une réunion de l’assemblée locale au cours de laquelle est adoptée une délibération attribuant des subventions à des associations qu’ils peuvent présider. Néanmoins, j’ai compris en vous écoutant, en entendant les exemples que vous avez cités, que ce n’était pas là une sécurité absolue. (Mme le rapporteur acquiesce.)
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Effectivement !
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État. C’est ce qui m’a amené, dans le débat qui a eu lieu tant au sein de la Chancellerie qu’à l’échelon interministériel, à prendre en compte cette réalité.
En tous les cas, il est essentiel que la probité apparaisse clairement : c’est l’objectif auquel nous voulons évidemment tous parvenir à travers ce texte. Faisons donc, ensemble, un bon travail, un travail qui soit compris par nos concitoyens. Si je le dis, c’est non par crainte – je suis au-delà de cela ! –, mais parce que nous avons tous en mémoire le débat récent autour de la présomption en matière d’abus de biens sociaux : il arrive que nos discussions ne soient pas aussi bien comprises que nous l’aurions souhaité !
Si nous parvenons à un bon texte – et tous les éléments sont réunis pour qu’il en soit ainsi –, nous serons également confortés dans notre démarche européenne et internationale. En effet, il est bien évident que, sur ces objectifs de probité, de transparence, de clarté, etc., nous sommes aussi engagés dans un dialogue avec nos partenaires. Et il y va aussi de l’image de la France ; pour siéger souvent dans des instances européennes ou internationales, pour porter également notre modèle de droit – je l’ai fait encore voilà quelques jours –, je peux témoigner ici que c’est pour nous-mêmes un enjeu important.
Mesdames, messieurs les sénateurs, mes préoccupations, qui sont aussi celles du Gouvernement, expliquent la position que j’ai initialement présentée devant la commission. Ce n’était pas une position aberrante, ou irrespectueuse de votre travail, ni même déconnectée de la réalité : c’était une approche de la réalité. J’ai écouté votre propre approche de la réalité, et le dialogue s’est engagé.
Au vu de tous ces éléments, et alors que s’engage le débat sur cette proposition de loi, je veux vous indiquer que le Gouvernement s’en remettra à la sagesse du Sénat. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, de l’Union centriste, du RDSE et du groupe socialiste.)