M. le président. La parole est à M. Bernard Vera.
M. Bernard Vera. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l’article 34-1 de la Constitution, directement issu de la révision constitutionnelle de juillet 2008, nous vaut aujourd’hui de débattre d’une proposition de résolution, dont la portée normative est par nature limitée.
En effet, son adoption n’emporte aucune obligation pour le Gouvernement et l’affichage purement politique de l’exercice est donc affirmé.
Une telle démarche présente d’ailleurs, quant à la question posée, un caractère assez particulier.
Car le texte proposé, non seulement n’incite pas le Gouvernement à mettre en œuvre la « clause de revoyure », élément essentiel de la loi de finances pour 2010, mais de plus, il le dédouane par avance de ne pas avoir tenu ses engagements !
Le groupe CRC-SPG avait exprimé, à l’automne dernier, les plus grandes réserves sur la réforme des finances locales, notamment sur la suppression de la taxe professionnelle et la mise en œuvre d’une contribution économique territoriale dont le rendement attendu était sensiblement plus faible.
La proposition de résolution nous présente cette « réforme » comme le fruit d’une longue concertation avec l’ensemble des élus locaux et de leurs associations. Il suffit de lire nombre de bulletins municipaux et de revues d’associations d’élus et de voir les initiatives menées par les conseils généraux confrontés aux transferts de charges, pour mesurer chaque jour la qualité de cette concertation.
Bien des inquiétudes se sont d’ailleurs manifestées devant les modes de calcul des nouvelles ressources des collectivités locales, nombre de communes et d’intercommunalités, certains départements et certaines régions se trouvant écrêtés, alors même que la situation de leurs finances ou celle de leurs habitants ne le justifiaient pas a priori.
Ainsi, pour ne donner qu’un exemple de la réforme des finances locales, une région comme la Réunion, faiblement dotée à l’origine de taxe professionnelle, se retrouve écrêtée, tant au titre du budget départemental qu’au titre du budget régional, par accroissement mécanique de la « richesse » supposée de la collectivité par intégration des impôts « ménages ».
Nous avions proposé lors de la discussion d’un récent collectif budgétaire, compte tenu de la situation sociale difficile de la population et du faible pourcentage de revenus imposables, de prévoir que les départements et collectivités d’outre-mer ne soient pas concernés par l’écrêtement de leurs ressources au titre du fonds national de garantie. Quelle contradiction, en effet, que de voir des collectivités bénéficiant, de manière normale et naturelle, d’une dotation globale de fonctionnement bonifiée se retrouver avec une amputation de leurs maigres ressources fiscales ! Et les exemples fourmillent, dans l’ensemble des collectivités, des effets pour le moins pervers de cette suppression de la taxe professionnelle.
Tel est le premier problème que pose cette réforme des finances locales, décidément mal partie.
Cela dit, les collectivités qui « bénéficieront » du concours du fonds de garantie ne sont pas mieux loties, et la raison en est simple : la dotation versée par le fonds de garantie sera maintenue en euros courants et le pouvoir d’achat de la dotation est appelé à se réduire, année après année, parce qu’elle ne prendra pas en compte la progression de ce qui aurait constitué les bases de taxe professionnelle.
Permettez-moi, mes chers collègues, de trouver quelques éléments de contradiction dans la manière dont la proposition de résolution appréhende la « clause de revoyure ».
La suppression de la taxe professionnelle s’accompagne de l’absence, relevée d’ailleurs dans le rapport Durieux, des outils de péréquation. C’est le cas notamment du devenir des fonds départementaux ou du Fonds de solidarité des communes de la région d’Île-de-France, dont les moyens étaient fournis par écrêtement de la taxe professionnelle des établissements exceptionnels et des communes les plus largement pourvues en bases d’imposition.
Le problème, c’est que le devenir de la péréquation ne peut passer par une seule démarche horizontale organisant la solidarité entre collectivités prétendument riches et collectivités présumées plus pauvres, et ce, alors même que la matière fiscale continue de procéder de l’activité économique… Surtout dans un contexte où le Gouvernement annonce, avant même la discussion du projet de loi de finances pour 2011, le gel des dotations budgétaires aux collectivités locales ! On ne sait toujours pas si la suppression de la taxe professionnelle est bénéfique pour l’emploi, mais on décide tout de même de mettre les élus devant le fait accompli et on les invite à se serrer la ceinture.
Notons d’ailleurs que la proposition de résolution met en évidence, dans son exposé des motifs, que, la nouvelle répartition des compétences entre collectivités n’étant pas aboutie, on ne saurait fixer définitivement les conditions de la péréquation des ressources !
L’impression demeure donc que la suppression de la taxe professionnelle pose, in fine, bien plus de problèmes qu’elle n’en a vraiment résolu !
Dans ces conditions, comment interpréter une situation qui conduit la majorité de notre assemblée à se déjuger et à recommander de reporter à une date ultérieure l’examen des « correctifs » d’une réforme aussi mal engagée ?
Les simulations étaient-elles insuffisantes, à l’été 2009, au moment de la suppression de la taxe professionnelle ? Ne savait-on pas, entre février et novembre 2009, que cette suppression allait entraîner la disparition des fonds départementaux de péréquation, dont les ressources sont pourtant essentielles aux petites communes rurales et aux établissements publics de coopération intercommunale pour mener à bien leur politique d’aménagement et d’équipement ?
Ignorait-on que la suppression de la taxe professionnelle allait poser un problème majeur aux communes de la région d’Île-de-France, où les inégalités sociales et territoriales sont si accusées que la suppression du moindre outil de péréquation est un facteur d’aggravation de ces inégalités ?
Il est évident que ces risques et ces conséquences étaient connus et que, de fait, seul importait, pour le Gouvernement comme pour sa majorité parlementaire, de supprimer la taxe professionnelle afin de faire droit à une revendication du MEDEF.
La disparition de la taxe professionnelle a un double défaut.
Le premier, c’est que cette mesure diminue gravement la capacité d’innovation politique et budgétaire des collectivités locales.
En rigidifiant une bonne partie des ressources fiscales de chaque échelon de collectivités, la suppression de la taxe professionnelle réduit les marges de manœuvre dont disposent les assemblées locales élues pour mener des politiques de développement correspondant aux attentes des habitants.
Cette pseudo-réforme conduit à confiner l’action publique locale dans les seules dépenses obligatoires, dépenses découlant pour une part croissante, comme chacun le sait, des transferts de l’État non compensés. Le fait que la proposition de résolution fasse état de la situation dramatique de nombreux départements en quasi-cessation de paiement suffit à le prouver.
Le second défaut de la réforme, c’est que la suppression de la taxe professionnelle n’a qu’un effet réduit sur le niveau de la fiscalité des entreprises en France. S’il est vrai que cette taxe était unique en Europe, elle ne faisait toutefois que compléter un cadre fiscal globalement allégé pour les entreprises, dans un pays où le rendement de l’impôt sur les sociétés est particulièrement faible au regard d’autres pays. Et c’est affaire non pas de taux, mais sans doute d’assiette.
Alors, reposons la question : supprimer la taxe professionnelle, est-ce bon pour l’emploi et l’investissement, est-ce suffisant pour modifier les stratégies d’entreprise sur ces points précis ?
Les chiffres trimestriels du chômage nous indiquent que nous approchons des 2,8 millions de chômeurs de catégorie 1. Pôle emploi vient de rendre publique une enquête sur l’emploi salarié qui indique notamment que l’industrie, présentée comme principale bénéficiaire de la réforme, a encore supprimé 32 400 postes de travail au premier trimestre et que ces suppressions n’ont été que partiellement compensées par le recours à l’intérim, redevenu variable d’ajustement des coûts de production !
Et, pour compléter l’enquête de Pôle emploi, la faible croissance économique enregistrée depuis le début de l’année suffirait sans doute à montrer que les mauvaises habitudes de gestion des entreprises n’ont pas varié d’un millimètre, taxe professionnelle ou pas. Cela réduit la proposition de résolution à une opération de diversion : faire croire aux élus locaux qu’on entend leurs inquiétudes, alors que, dès octobre 2010, nombre de villes auront à mener leur débat d’orientation budgétaire sans disposer d’éléments fiables.
C’est donc une initiative directement politique qu’ont prise en commun les présidents des groupes UMP et Union centriste. Mais elle a au moins deux défauts. L’un, nous l’avons souligné, c’est qu’elle dédouane par avance le Gouvernement de ne pas avoir tenu ses engagements, c’est-à-dire de ne pas avoir présenté avant le 31 juillet 2010 un texte d’adaptation des conditions de mise en œuvre de la réforme des finances locales. Un texte que le droit d’initiative parlementaire devrait d’ailleurs, à notre sens, permettre de soumettre au débat sans tarder ! L’autre, c’est qu’elle néglige l’aspiration des élus à la clarté et à la levée des incertitudes sur l’avenir, en repoussant la clause de revoyure.
C’est d’une réforme mal négociée, dont les effets ne sont pas probants, sauf pour le déficit de l’État et l’amélioration de la rentabilité des entreprises, et qui cause bien des tourments aux élus locaux que cette proposition de résolution nous invite finalement à accepter les termes. C’est pourquoi le groupe CRC-SPG ne la votera pas. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Nicole Bricq. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Nicolas About.
M. Nicolas About. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, pour la première fois, le Sénat examine aujourd’hui une proposition de résolution présentée en application de l’article 34-1 de la Constitution.
Pour comprendre le sens de cette initiative commune des groupes UMP et Union centriste, il faut, je crois, revenir un instant sur les étapes qui ont jalonné la réforme de la taxe professionnelle.
La première étape, c’est bien sûr l’annonce par le Président de la République, en février 2009, de la suppression de cet impôt.
La suppression de la taxe professionnelle était nécessaire. Depuis sa création, trop de réformes successives avaient altéré l’intérêt de ce qui était pourtant une excellente réalisation. En 2009, cet impôt pesait sur les équipements et biens mobiliers des entreprises. Les investissements productifs étaient donc taxés avant même qu’ils n’aient produit le moindre euro de richesse. Cela signifie qu’hier, plus une entreprise investissait, plus le montant de la taxe professionnelle qu’elle acquittait était important.
L’insuffisance de l’investissement français, le vaste mouvement de désindustrialisation de nos territoires et la multiplication des délocalisations justifiaient donc, par logique économique, la suppression urgente de ce prélèvement.
Au-delà de sa justification logique, la disparition de cet impôt s’imposait également par nécessité : l’amélioration de la compétitivité française exige que l’on réduise les charges qui pèsent sur les entreprises et la réforme de la taxe professionnelle était l’un des derniers leviers fiscaux que le législateur pouvait tenter d’actionner en ce sens.
Pourtant, cette réforme, dans sa forme initiale, était inacceptable : elle menaçait l’autonomie fiscale et financière des collectivités et ne leur garantissait pas des ressources stables, dynamiques et prévisibles.
L’Assemblée nationale a amélioré le texte, notamment en instaurant un lien fiscal direct entre entreprises et collectivités et en affectant 20 % du produit de cette cotisation au bloc communal.
Compte tenu de son importance et de sa complexité, le groupe Union centriste et le Sénat ont refusé d’examiner cette réforme à l’emporte-pièce. Il a donc été décidé de découpler l’examen de l’article 2 en deux volets.
Grâce au temps de réflexion que cet examen en deux temps a permis de dégager, et grâce au remarquable travail accompli par la commission des finances du Sénat, l’architecture de la réforme et la répartition des ressources entre niveaux de collectivités ont été profondément revues et améliorées.
Restait un problème de taille : il nous était demandé de bouleverser la fiscalité locale sans qu’il soit possible de mesurer dans le détail toutes les conséquences de la réforme, notamment le montant des recettes que percevrait chaque catégorie de collectivités.
Le délai prévu par la Constitution pour examiner et adopter le projet de loi de finances rendait impossible l’élaboration de simulations détaillées sur la base du dispositif proposé par la commission des finances. Lors de l’examen du second volet de la réforme, notre groupe a donc défendu deux clauses de revoyure.
La première d’entre elles interviendra en 2011, lorsque les collectivités territoriales auront pu constater concrètement les conséquences de la réforme. Comme l’a souligné le Président de la République devant les maires qu’il a reçus le 20 novembre 2009, il importe de mesurer l’effet des réformes votées par le Parlement non seulement avant, mais surtout après leur mise en œuvre effective.
La seconde clause de revoyure que nous avons tenu à inscrire à l’article 76 de la loi de finances aura lieu après la réforme des compétences des collectivités, pour adapter les ressources de chaque niveau en conséquence.
Une troisième clause de revoyure, également nécessaire à nos yeux, a été introduite dans la loi de finances pour adapter le dispositif de répartition des ressources dès 2010, au vu de simulations détaillées.
Or, mes chers collègues, le premier de ces rendez-vous était fixé au 1er juin, afin que la loi adapte une première fois le dispositif avant le 31 juillet prochain.
Mme Nicole Bricq. C’est raté !
M. Nicolas About. Dès le 3 juin, par la voix de notre collègue Yves Détraigne, le groupe Union centriste s’étonnait que le rapport qui devait être transmis au Parlement avant le 1er juin ne l’ait pas été, et interrogeait le Gouvernement sur ce point. Ses questions sont malheureusement restées sans réponse.
La première d’entre elles concernait évidemment le calendrier de révision de la réforme que le Gouvernement entend mettre en œuvre ; c’est précisément l’objet de cette proposition de résolution.
La deuxième portait sur l’insuffisance des dispositifs de péréquation, soulignée par le rapport Durieux – qui a finalement été présenté en commission des finances la semaine dernière –, et sur les améliorations que le Gouvernement entend apporter aux mécanismes de péréquation prévus dans la loi de finances pour 2010.
La troisième question, plus large mais tout aussi importante, portait sur les mesures que compte prendre le Gouvernement pour permettre aux collectivités locales de continuer, par leurs investissements, à jouer leur rôle de soutien à l’économie française.
Il y a urgence à apporter des réponses à ces interrogations, car on peut craindre que le gel des dotations, ajouté aux incertitudes qui pèsent sur l’évolution de la fiscalité locale, ne pousse les élus à adopter une position d’attente.
Aujourd’hui, nombre d’élus locaux nous demandent dans quelles conditions ils pourront préparer leur budget l’année prochaine, sachant que la compensation n’a été prévue que pour 2010.
Telles sont, mes chers collègues, les principales raisons qui motivent à nos yeux cette proposition de résolution.
Cette initiative commune est aussi l’occasion de rappeler à cette tribune que les collectivités ne détiennent que 11 % de la dette publique, tout en assurant 73 % de l’investissement public. Elles ne sont pas les premières responsables de la situation des finances publiques de notre pays, même si elles y contribuent peut-être.
Elle nous offre également l’occasion d’attirer votre attention, madame la ministre, sur la nécessaire évolution de la dotation globale de fonctionnement, la DGF. En effet, cette dotation, pour laquelle il subsiste un élément forfaitaire datant de 1992, est une injustice, notamment entre les départements ruraux. C’est la raison pour laquelle nous avons tenu à ce que les clauses de revoyure permettent d’améliorer sa vocation péréquatrice.
Madame la ministre, nous serons très attentifs aux réponses que vous nous apporterez à ce sujet.
La semaine dernière, lors des questions cribles thématiques portant sur la crise financière européenne, notre collègue François Zocchetto a regretté que les hypothèses retenues dans le programme de stabilité transmis par la France à Bruxelles en février dernier ne soient pas aussi crédibles que nous pourrions le souhaiter.
Pis encore, il a déploré qu’elles ne soient pas cohérentes avec les hypothèses figurant dans la programmation annexée au projet de loi de finances pour 2010.
Or les simulations du rapport Durieux ont été bâties sur les hypothèses de croissance économique très audacieuses que la France a transmises à la Commission européenne. Il eût pourtant semblé logique que les simulations prévues à l’article 76 de la loi de finances pour 2010 reposent sur les prévisions établies dans cette même loi de finances. Cela nous semblait si évident que nous n’avons pas pris le soin de le préciser ; nous avons eu tort !
Je souhaite donc vous interroger, madame la ministre, sur la crédibilité de ces hypothèses de croissance. Vous le savez, cette question est de la plus haute importance pour nos collectivités territoriales, car le produit de la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises en dépendra.
Pour que les choses soient très claires et pour éviter toute confusion, nous indiquons aujourd’hui expressément, dans cette proposition de résolution, que les simulations prévues à l’alinéa 9 devront évidemment reposer sur des hypothèses macroéconomiques crédibles et cohérentes avec la plus récente loi de finances. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq.
Mme Nicole Bricq. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, alors même que nous commencerons ce soir l’examen, en deuxième lecture, du projet de loi de réforme des collectivités territoriales, nous ignorons encore le sort final qui sera réservé au conseiller territorial, mesure phare du Gouvernement, et le mode de scrutin qui sera retenu. Nous ne savons pas non plus ce qu’il adviendra des dispositions relatives aux champs respectifs des compétences des collectivités locales telles qu’elles ont été adoptées par l'Assemblée nationale.
Mais ce dont nous sommes sûrs, c’est que ces collectivités sont d’ores et déjà contraintes à l’austérité, sous le double effet de la perte d’autonomie fiscale, actée par la loi de finances de 2010, et du gel en valeur des dotations financières qui nous est annoncé pour l’année à venir.
Si l’on y ajoute l’absence de lisibilité eu égard à la perte de la taxe professionnelle, à la méconnaissance du produit réel des impôts de remplacement, singulièrement la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises et l’imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux, et à l’incertitude pesant sur la réévaluation des bases, les menaces sont lourdes.
M. Jean-Pierre Bel. Très lourdes !
Mme Nicole Bricq. La péréquation, grande oubliée de la loi de finances, reste à quai, alors que la Cour des comptes a rappelé les inégalités criantes préexistant à la réforme, inégalités gelées par le mode de compensation retenu par le Gouvernement dans la loi de finances de 2010. Mais ne confondons pas compensation et péréquation !
Compte tenu du cumul des inégalités territoriales et sociales, la péréquation est particulièrement nécessaire en Île-de-France. Je rappelle que le Fonds de solidarité des communes de la région d’Île-de-France, qui est le seul mécanisme de péréquation horizontale entre les communes dites riches et les communes dites pauvres, a disparu avec la taxe professionnelle, et aucune clause de revoyure n’a été prévue.
La suppression de la taxe professionnelle était bien l’acte I fondateur du projet du Gouvernement à l’encontre des collectivités territoriales. Le pari du Gouvernement est limpide : les collectivités seront forcées de s’ajuster au nouveau cadre financier dans lequel elles évolueront désormais, et la crise n’aura été qu’une justification a posteriori de ce schéma.
M. Jean-Pierre Bel. Exactement !
Mme Nicole Bricq. Et pourtant, que n’avait-on entendu, du côté du Gouvernement, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2010 ! Et, du côté de la majorité, que n’avait-on inscrit dans le texte à l’article 76 !
Nous devions disposer, avant le 1er juin 2010, d’un rapport présentant des simulations détaillées des recettes et, avant le 31 juillet, la fameuse clause de revoyure réclamée par nombre d’entre vous, chers collègues de la majorité, la loi devait préciser le dispositif de répartition des ressources des collectivités territoriales et mettre en place des mécanismes de péréquation.
Dès le 2 juin, le groupe socialiste a dénoncé le non-respect de ce double engagement gouvernemental, et François Baroin, ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'État, a confirmé l’enterrement de la clause de revoyure en répondant, le 17 juin dernier, à une question d’actualité au Gouvernement posée par notre collègue du Cantal, Jacques Mézard, membre du groupe du RDSE, que la revoyure se déroulerait « au fil de l’évolution de la préparation budgétaire ».
Mme Françoise Laborde. Cela revient à ne rien dire !
Mme Nicole Bricq. De fait, cette clause était officiellement enterrée par cette déclaration !
Mme Françoise Laborde. En effet !
Mme Nicole Bricq. Il nous faut en conclure que le Gouvernement entend poursuivre en 2011 la compensation sur le même rythme – à la veille, en 2012, d’une échéance électorale majeure ! – au prix habituel d’une impasse budgétaire d’un montant de 5,3 milliards d’euros, alors même qu’il annonce faire la chasse aux déficits ! On continuera donc d’emprunter sur les marchés financiers pour financer une réforme censée, ainsi que vous n’avez eu de cesse de le répéter, madame la ministre, doper la compétitivité des entreprises. Même le Président de la République a affirmé que la suppression de la taxe professionnelle allait faire cesser le mouvement des délocalisations. On sait ce qu’il en est de ces discours prononcés à la tribune ! Nous attendons toujours la preuve de l’intérêt de cette mesure !
Dès lors, la proposition de résolution que vous nous soumettez, chers collègues de l’UMP et de l’Union centriste, apparaît – il faut bien le dire – comme un simulacre de cette revoyure tant voulue par une partie de la majorité. Du reste, je ne vois pas le chef des frondeurs de la majorité occuper sa place habituelle ! Pourtant, il devrait être parmi nous ! Car, si nous avons bien compris, cette revoyure était le prix à payer pour que les frondeurs votent le texte. M. Raffarin n’avait-il pas utilisé le terme de « période probatoire » jusqu’à la remise de ce fameux rapport ?...
Simulacre, dis-je, car il s’agit ici d’acter le report de toute discussion sur le fond, et nous ne sommes même pas assurés d’avoir cette discussion lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2011 !
Que faut-il attendre de cette procédure nouvelle introduite par la réforme constitutionnelle de 2008 ? Pas grand-chose ! En effet, elle ne donne lieu ni à examen en commission ni à amendements.
Par simulacre, nous entendons un nouvel écran de fumée, qui acte le non-respect de l’engagement pris devant et par le Parlement.
Le Gouvernement est sans solution, mais l’on s’interroge sur sa volonté à en rechercher une !
Madame la ministre, lors de votre audition devant la commission des finances élargie, le 22 juin dernier, vos propos étaient éclairants : le plus souvent, pour répondre aux questions qui vous étaient posées, vous vous en êtes remise à la mission de nos collègues sénateurs et députés, lesquels, je le souligne au passage, appartiennent tous au groupe de l’UMP. Ce faisant, vous vous êtes, une fois encore, défaussée sur les parlementaires, tout en leur balisant la voie unique, celle de la restriction et de l’austérité.
Si l’on savait en décembre dernier, lors de la discussion du projet de loi de finances pour 2010, que l’on ne disposerait pas à temps de chiffres précis pour réaliser des simulations sérieuses, pourquoi avoir promis ce rapport ? Ces contretemps étaient largement prévisibles d’autant que les entreprises elles-mêmes ont eu des difficultés à faire leur déclaration s’interrogeant sur ce que l’on entendait par « périmètre de la valeur ajoutée ».
Bien au-delà des frondeurs dont il fallait obtenir l’assentiment, il s’agissait, l’an passé, pour le Gouvernement, de rassurer le corps électoral des sénateurs et, plus largement, les élus locaux soutenant la majorité. Je ne suis d’ailleurs pas sûre qu’il y soit parvenu ! Dans nos départements, nous avons, les uns et les autres, constaté que les élus de gauche avaient très vite compris la situation et, dans le même temps, nous avons vu les yeux des élus de droite se dessiller au fur et à mesure des annonces.
En clair, c’était une manœuvre, et nous avons eu raison de la dénoncer très tôt.
Le Gouvernement a finalement remis, le 17 juin dernier, un rapport, qui ne fait que reprendre celui de Bruno Durieux. D’ailleurs, il ne contient pas les résultats des analyses et des simulations demandées par les commissions des finances des deux assemblées, notamment par les membres du groupe socialiste du Sénat.
Ces simulations ont finalement été envoyées le 25 juin, c'est-à-dire vendredi dernier – afin de respecter l’obligation prévue dans le règlement intérieur, comme me l’a rappelé le président de mon groupe, de communiquer des simulations au plus tard la veille de l’examen d’une proposition de résolution ! –, et ont été reçues hier, dimanche 27, comme en témoigne le tampon de la commission des finances.
Mme Michèle André. Ce n’est pas sérieux !
Mme Nicole Bricq. Autant dire qu’aucune réunion de la commission des finances n’était prévue hier ! Mais même si tel avait été le cas, nous n’aurions pas eu le temps nécessaire de les analyser ! En nous faisant parvenir ces simulations à la dernière minute, le Gouvernement n’a pas voulu se mettre en faute.
Mais j’en reviens aux simulations réelles, qui sont indispensables pour évaluer l’efficacité des dispositifs de péréquation potentiels.
Vous connaissez, chers collègues de la majorité, l’attachement du groupe socialiste à vouloir traiter globalement la fiscalité locale, notamment en introduisant les revenus dans l’assiette de la taxe d’habitation. Vous ne pourrez pas nous reprocher, comme l’a fait notamment trop souvent le président du groupe UMP, de ne pas faire de propositions. Sur quelles bases pourrions-nous les formuler ? Précisément, nous ne connaissons pas l’effet base, le Gouvernement s’étant aussi engagé à une révision des bases.
Le 22 juin dernier, devant la commission des finances, vous nous avez d’ailleurs confirmé, madame la ministre, votre volonté de développer l’idée avancée par M. Woerth, alors ministre du budget, de procéder à une révision des bases échelonnée dans le temps, c'est-à-dire, au fil de l’eau, comme l’on dit, en commençant par celles des entreprises.
Le groupe socialiste a, pour sa part, toujours été contre cette méthode, car il craint une nouvelle injustice au détriment des ménages : la fiscalité locale, loin d’être simplifiée, sera plus complexe encore si l’on saucissonne la révision des bases.
Sur le fond, cette proposition de résolution se réfugie une fois encore dans l’incantation en réaffirmant « son attachement à ce que la “territorialisation” de la contribution sur la valeur ajoutée des entreprises ait pour corollaire une péréquation renforcée ». L’auteur de cet alinéa parle d’or !
Si la territorialisation est actée pour le bloc communal, elle ne l’est que très partiellement – à hauteur de 22 %, si je me souviens bien ! – pour les départements et les régions.
La mutualisation et l’ampleur de ce phénomène posent un problème à très court terme. Comment apprécier l’efficacité de tel ou tel dispositif ? Ainsi, par exemple, quels sont les effets comparés d’une mutualisation des ressources ou d’un prélèvement a posteriori ? En fonction des simulations, la position peut être différente. Or nous ne les connaissons pas !
Tous les dispositifs de péréquation ne pourront pas entrer en vigueur en 2011 ; j’en veux pour preuve la réponse qu’a apportée à la question de notre collègue Rachel Mazuir le Gouvernement en annonçant que le fonds de péréquation des droits d’enregistrement départementaux ne serait actionné qu’en 2012. Il n’y aura donc pas de péréquation pour 2011, et tout est à l’avenant !
Le Premier ministre a reçu les représentants des départements, qui sont confrontés à des difficultés financières et dont l’inquiétude ne cesse de grandir – à ce propos, j’entendais ce matin notre collègue député et président du conseil général de Seine-Saint-Denis ; avec l’âpreté qu’on lui connaît, il mène sur le terrain une bataille légitime, à laquelle je veux faire écho. Le Premier ministre a donc annoncé aux représentants des départements qu’un projet de loi serait déposé, avant la fin de l’année, sur le cinquième risque, ce qui nous laisse tout de même sceptiques quant à l’échéance de 2011. Pour résoudre les difficultés financières des départements, il est prévu de mettre en place un système contractuel, aux termes duquel les départements en difficulté recevraient des avances remboursables.
Ainsi, le Gouvernement entend régler un problème structurel, qui n’est pas de la responsabilité des départements, lesquels ne sont responsables ni de l’évolution de la démographie ni du marché de l’emploi, par une solution purement conjoncturelle, qui ne permettra pas d’encadrer la hausse inexorable des dépenses sociales.
Pour terminer, il faut souligner que la sous-évaluation, en loi de finances initiale, du coût de la compensation aux collectivités locales de la perte de la taxe professionnelle, mise en lumière par le Comité des finances locales dans son avis rendu le 1er juin dernier sur le rapport Durieux, vous a conduite, madame la ministre, à justifier l’écart de chiffrage constaté dans un courrier joint au rapport et adressé le 17 juin à la commission des finances.
En effet, l’estimation initiale, actée en loi de finances, de 800 millions d’euros a été révisée à la hausse, puisque la dotation de compensation atteint désormais 2,5 milliards d’euros.
Certes, vous vous êtes justifiée, madame la ministre, sur cette évolution. Mais faute avouée n’est pas pour autant pardonnable, car le Parlement ne connaît que trop la mauvaise habitude du ministère de l’économie et des finances de sous-évaluer une charge quand cela l’arrange ou de surévaluer la charge quand une mesure le dérange.
Dans le cas présent, votre intention politique était limpide : il fallait calmer les craintes des élus. Après avoir écouté ceux de la majorité comme ceux de l’opposition, je doute, madame la ministre, que vous ayez atteint votre but.
Nous reprendrons ce débat la semaine prochaine, lors du débat sur les orientations des finances publiques, lequel, pour la première fois, sera sanctionné par un vote. Nous le poursuivrons à l’automne, bien évidemment, lors de la discussion du projet de loi de finances, lequel devrait se caler, comme l’a justement rappelé notre collègue Nicolas About, sur le programme de stabilité transmis à Bruxelles.
Vous avez annoncé, madame la ministre, que vous opéreriez une révision de l’hypothèse de croissance retenue de 2,5 % pour 2011, qui est actuellement très surévaluée. Nous attendons vos propositions à cet égard.
La proposition de résolution dont nous débattons aujourd’hui se contente de reprendre les termes des clauses de revoyure, sans même rappeler au Gouvernement le non-respect de sa promesse. Il s’agit d’une nouvelle manœuvre, destinée, comme la première, à nous tromper. Nous ne la cautionnerons pas. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)