M. le président. La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la loi de finances pour 2010 a donné naissance, dans les conditions déplorables que nous connaissons, à la contribution économique territoriale, censée remplacer la taxe professionnelle.
Cette nouvelle contribution devait, selon les dires de ses promoteurs, maintenir un lien étroit entre les collectivités et les entreprises, sans porter atteinte à la compétitivité ni à l’activité de ces dernières.
Issue des engagements du Président de la République, sur la base de promesses faites au MEDEF, cette réforme suscita un tel enthousiasme qu’elle engendra même la réticence de la majorité du Sénat et de la commission des finances ! Nous redoutions alors que ne se mettent en place toutes les conditions d’un appauvrissement des collectivités et d’une perte de leur autonomie fiscale, en violation de toutes les lois de décentralisation appliquées depuis 1982. Les faits, madame la ministre, continuent de nous donner raison.
On nous avait promis que la suppression de la taxe professionnelle ne porterait en aucun cas atteinte à la capacité financière des collectivités d’assurer leurs prérogatives. On nous avait également promis que l’État se porterait garant en cas de déficience budgétaire locale, et ce en dépit des déficits budgétaires de l’État lui-même. On nous avait enfin promis que la réforme allait entraîner une diminution des délocalisations et une hausse de l’activité des entreprises sur l’ensemble de nos territoires. En vain ! Que de promesses non tenues !
Toutefois, la clause de revoyure adoptée sur l’initiative de notre rapporteur général, et plus largement du Sénat, devait permettre de dresser un premier bilan, et présenter les financements de substitution qu’attendent toujours les collectivités.
Conformément à l’article 76 de la loi de finances pour 2010, le Gouvernement devait transmettre au Parlement, avant le 1er juin dernier, un rapport comportant des simulations détaillées des recettes de chaque catégorie de collectivités, une estimation de leur variation à court, moyen et long termes, ainsi que de l’évolution des prélèvements locaux sur les entreprises et les ménages. Ce document était attendu par tous les élus locaux avec une impatience doublée d’une angoisse légitime. L’avenir de l’autonomie financière des collectivités est bel et bien en jeu !
Or nous sommes le 28 juin et nous attendons toujours ! Comme l’a dit mon excellent collègue Jacques Mézard au cours de la dernière séance de questions d’actualité, le récent rapport Durieux, officiellement remis par le Gouvernement aux deux assemblées, mais qui ne contient pas les simulations promises, pourtant essentielles, ne saurait prétendre se substituer à un tel rapport.
Il est d’ailleurs très significatif, mes chers collègues, que les auteurs de la présente proposition de résolution relèvent eux-mêmes l’insuffisance et les lacunes du rapport Durieux, puisqu’ils appellent de leurs vœux la remise de simulations, précisions et adaptations non seulement complémentaires, mais aussi actualisées et détaillées, en vue de procéder à leur adoption avant la fin de l’année ! N’est-ce pas reconnaître par la litote que le rapport Durieux n’est qu’un écran de fumée destiné à aveugler le Parlement. Les sénateurs du RDSE ne sont pas dupes.
Surtout, notre débat est symptomatique des conditions déplorables dans lesquelles s’est opérée la suppression de la taxe professionnelle. Le plaidoyer pro domo des auteurs du texte ne nous trompe pas : il y a véritablement urgence à sauvegarder l’équilibre bien fragile des finances locales.
Les perspectives financières sont ainsi particulièrement inquiétantes. Le montant de la dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle est d’ores et déjà beaucoup plus important que prévu. Le rapport Durieux, pourtant mal calibré, l’estime déjà à plus de 2,5 milliards d’euros, soit près de 2 milliards de plus que les évaluations du Parlement de décembre dernier, lorsque nous avions mis en garde le Gouvernement contre les effets de la récession économique sur la future cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises.
Tout aussi inquiétants sont les contours des mécanismes de péréquation, pourtant prévus par la loi de finances pour 2010. Nous percevons depuis maintenant plusieurs semaines les vives inquiétudes des élus locaux concernant leurs prochains exercices budgétaires. À cette heure, les dispositifs de péréquation régionale et départementale, ainsi que le cadre de la péréquation entre les communes et les intercommunalités ne sont toujours pas opérationnels. Quand le seront-ils ? Quel sort sera réservé aux ressources prévues, notamment celles des Fonds départementaux de péréquation de la taxe professionnelle ?
Madame la ministre, nous percevons aujourd’hui les conséquences funestes d’une réforme mal préparée, mal calibrée et mal mise en œuvre. Nos collectivités se retrouvent étouffées : ne pouvant agir rapidement sur les frais de fonctionnement, elles sont contraintes de geler un nombre conséquent d’investissements indispensables au bon fonctionnement des services publics locaux et, au-delà, de notre économie. Ainsi, ce qui aura été gagné d’un côté par la suppression de la taxe professionnelle, les entreprises le perdront de l’autre par la baisse des investissements et des commandes publics locaux. Quelle belle victoire à la Pyrrhus, surtout lorsque l’on sait que 72 % de l’investissement public provient des collectivités !
Madame la ministre, vous n’ignorez sans doute pas que notre Haute Assemblée examine, dès ce soir, en deuxième lecture, le projet de loi de réforme des collectivités territoriales. À l’incertitude financière s’ajoute donc aussi l’incertitude institutionnelle, puisque nul ne connaît aujourd’hui le traitement qui sera réservé aux collectivités. Quid des financements croisés ? Quid des possibilités de subventions aux plus petites communes ? Quid de l’autonomie fiscale des départements face aux métropoles ?
Comment, madame la ministre, envisagez-vous de faire évoluer le FNGIR, le Fonds national de garantie individuelle des ressources ? Considérez-vous que ce fonds doive être gelé plusieurs années, en attendant les simulations concernant le bloc communal, ce qui aggraverait, de notre point de vue, la perte d’autonomie des collectivités locales ?
Au demeurant, comment continuer de parler d’autonomie financière des collectivités, alors que les départements ne sont autonomes que pour 12 % de leurs ressources globales, et les régions pour moins de 10 % ? Que vous ont donc fait les collectivités, madame la ministre, pour mériter un tel traitement ?
Dans ces conditions et pour toutes ces raisons, les radicaux de gauche et la grande majorité des membres du RDSE voteront contre cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Charles Guené.
M. Charles Guené. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis le 1er janvier 2010, les entreprises bénéficient de la suppression de la taxe professionnelle, qui pesait anormalement sur leurs investissements. Elles sont soumises aux nouveaux impôts créés en remplacement et, en particulier, à la contribution économique territoriale et à l’IFER, l’imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux.
Les collectivités territoriales ne percevront directement ces nouvelles ressources qu’à compter de 2011. En 2010, elles reçoivent de l’État une « compensation relais », qui garantit le maintien de leurs ressources liées à la taxe professionnelle. Par ailleurs, comme l’a rappelé M. le rapporteur général, le système actuel proroge cette garantie dans le temps.
Le Sénat a introduit une plus grande souplesse et une plus grande cohérence dans la mise en œuvre de la réforme, grâce à l’instauration de plusieurs clauses de rendez-vous législatifs, désormais inscrites à l’article 76 de la loi de finances pour 2010.
Dans sa volonté de permettre au Parlement de remplir parfaitement son rôle de législateur, mais aussi de garant de la ressource des collectivités locales, la Haute Assemblée avait souhaité que les éléments de simulation et d’études d’impact fussent donnés suffisamment en amont, afin qu’un texte, destiné à prévoir les nécessaires inclinaisons, puisse intervenir avant fin juillet. Le cas échéant, le projet de loi de finances aurait permis d’en conforter les termes.
Force est de le constater, nous avons péché par optimisme. Y a-t-il eu manœuvre pour empêcher le rendez-vous ? Notre but est-il désormais hors d’atteinte ? Le processus est-il pour autant altéré ou dénaturé ? Là sont les véritables questions, au-delà des effets de manche ou d’une certaine volonté de nuire au bon fonctionnement de la démocratie, voire de pénaliser les collectivités locales en usant de quelques arguties sans intérêt véritable.
De quoi est-il question ?
Notre majorité a tenu à ce que cette réforme très complexe soit assortie de clauses de rendez-vous inscrites dans le temps, afin que les effets de la loi soient bien mesurés, et les corrections effectuées : dès les simulations faites, c’est-à-dire après l’application de la première partie de celle-ci, à la mi-2010 ; puis, l’année suivante, après la mise en œuvre de la deuxième partie ; enfin, autant que de besoin lorsque les transferts de compétences prévus par la réforme seront connus et étudiés.
Notre majorité l’a voulue, alors que d’autres se sont contentés de contester la réforme. Elle y demeure aujourd’hui plus que jamais attachée, à l’instar de l’ensemble des élus de la République, qui ont d’ailleurs pu constater, dès après la première année de sa mise en œuvre, où était la vérité et où se situait la désinformation.
Où en sommes-nous ? L’article 76 prévoit que la loi précise et adapte le dispositif de répartition et met en place les mécanismes de péréquation fondés sur les écarts de potentialité de charges, et cela sur la base d’études et de rapports.
Si le Gouvernement s’est entouré des compétences nécessaires, avec la mission Durieux, il a produit ces données avec un léger retard d’environ dix jours, encore que ces éléments matériels fussent pour la plupart à notre disposition, et en ligne, dès le 1er juin. Et je sais que, dans cet hémicycle, chacun de nous a mis à profit ces dix jours de décalage pour étudier tous ces rapports par le menu et dans le détail... (Sourires.)
Il n’en reste pas moins que, techniquement, le processus n’était pas complet, puisque le Comité des finances locales, consulté 1er juin, n’a rendu qu’un avis partiel et a souhaité en formuler un autre, plus élaboré, pour le 6 juillet prochain.
Par ailleurs, les simulations n’ont pu être réalisées que sur les bases de la comptabilité publique, puisque les entreprises avaient jusqu’au 15 juin pour déposer leurs déclarations. Dès lors, les éléments réels ne pourront être collationnés que postérieurement, tandis que les simulations en découlant ne pourront guère être disponibles avant la fin du mois de juillet.
Accessoirement, je rappelle que le rapport des parlementaires en mission, également attendu tant par le Comité des finances locales que par le Parlement, devrait être remis le 30 juin.
Il n’en reste pas moins que l’ensemble des observateurs et des experts sont parvenus à la conclusion qu’il ne fallait pas remettre en cause la répartition globale des ressources dans la mesure où l’équilibre trouvé répond aux objectifs et rend inutile une modification générale. Surtout, l’ensemble des élus ont pris en compte les données générales de la garantie consentie ; il serait donc dangereux et très perturbant de revenir une nouvelle fois sur ce schéma.
De fait, il convient non pas de réviser entièrement la loi, mais de procéder à un examen des problèmes identifiés.
La première clause de revoyure doit donc concerner les grandes lignes d’urgence, qui sont d’ores et déjà repérées : il importe d’établir au plus tôt un nouveau concept de potentiel fiscal et foncier, sans lequel aucune réforme de péréquation ne sera possible pour le bloc communal. Cela nécessite du temps et de l’expertise.
Les systèmes de péréquation pour les départements et les régions doivent être révisés, ainsi que certaines impositions forfaitaires sur les entreprises de réseaux, et le cadre de la péréquation du bloc communal reste vivement attendu.
Bien sûr, les élus doivent être rassurés sur le sort des fonds départementaux de péréquation de la taxe professionnelle et du fonds de solidarité des communes de la région d’Île-de-France.
Serions-nous en mesure de voter un nouveau texte avant la fin du mois de juillet ? Aucune personne de bonne foi, ici, ne se risquerait à l’affirmer. J’irai plus loin : j’entends déjà les vociférations qui monteraient ici et, surtout, là (L’orateur désigne la partie gauche de l’hémicycle.)…
M. Gérard Longuet. C’est bien vu !
Mme Nicole Bricq. Ce que vous dites là n’est guère élégant ! Il n’est pas dans nos habitudes de vociférer !
M. Charles Guené. … devant cette hâte suspecte et totalement aberrante à vouloir légiférer en si peu de temps sur un sujet aussi complexe et aussi important pour nos collectivités locales…
En réalité, quel était l’objectif de ceux qui, soucieux de la bonne élaboration de la loi, ont voulu cette clause de revoyure ? Nous avons souhaité un temps de réflexion, d’échange sérieux et de débat sur les simulations réalisées, sur l’approche nouvelle des notions de potentiel financier et sur les paramètres d’une péréquation repensée.
À titre personnel, et sans vouloir paraphraser un homme illustre, je pense que les élus de France attendent autre chose que de nous voir nous agiter comme des cabris dans l’hémicycle en criant : « Clause de revoyure ! Clause de revoyure ! »
Mme Nicole Bricq. Ce sont les élus de la majorité qui ont demandé cette clause de revoyure ! Vous avez la mémoire courte !
M. Charles Guené. Ils veulent une discussion de fond sur l’aménagement du territoire, sur le partage de ressources à travers une nouvelle forme de péréquation fondée à la fois sur l’ensemble des éléments de richesse, mais aussi sur la réalité des charges, des effets de centralité, pour que nos concitoyens puissent bénéficier équitablement des services au public, en tout point du territoire. Pour ce faire, il nous faut du temps et il nous faudra travailler.
À cet égard, il est absolument nécessaire que nous puissions disposer, dès la rentrée, des lignes directrices proposées par le Gouvernement, afin de nous y pencher, et cela de manière distincte du projet de loi de finances, au sein d’ateliers auxquels chacun sera appelé à participer assidûment pour être force de proposition, ainsi que nous le propose la commission des finances.
En outre, et c’est essentiel, la modification profonde que la réforme entraînera pour les ressources des collectivités locales – passage de l’autonomie fiscale à l’autonomie financière – ouvre la voie à une nouvelle gouvernance des finances publiques.
Les collectivités locales doivent intégrer cet état de fait dans une réflexion nouvelle et responsable de partage de la ressource, et non plus dans un mouvement constant et facile de défiance envers l’État.
En clair, cela signifie, pour la partie qui nous concerne ici, que la péréquation attendue va exiger de nous du discernement, de l’initiative et des choix clairs. Il s’agit cette fois d’une péréquation horizontale, qui contraint les collectivités à s’entendre entre elles sur les modalités d’un partage du flux des richesses, selon des règles à inventer et à arrêter.
Dans ce débat, l’État n’est que le garant de l’intérêt général et il serait dramatique que le Sénat ne parvienne pas à trouver lui-même le juste équilibre et s’en remette à d’autres.
Les élus locaux, dont nous sommes les représentants, pourraient alors légitimement s’interroger sur notre rôle et notre compétence. Cependant, je ne doute pas que chacun ici aura compris maintenant ce que signifie cette clause de revoyure. Elle mérite plus qu’un débat formel ; elle n’est pas un instant « t » dont la limite aurait été dépassée, mais elle ouvre au contraire un espace temps beaucoup plus large pour un débat de fond sur le sujet essentiel de la ressource locale et de son emploi.
Le groupe UMP se félicite que le Sénat se soit saisi du suivi de la réforme de la taxe professionnelle grâce à ses parlementaires en mission et grâce également à sa commission des finances, qui a organisé une série d’auditions et de tables rondes auxquelles ont participé à la fois des représentants des entreprises et des collectivités locales.
Les conclusions de ces rapports pourront être discutées au cours du débat d’orientation sur les finances publiques pour 2011, prévu le 8 juillet dans notre hémicycle.
Or la commission des finances vient de recevoir aujourd’hui même la majeure partie des simulations complémentaires qui nous manquaient. Le Parlement devrait ainsi pouvoir disposer de toutes les simulations nécessaires pour préparer la clause de revoyure.
Le groupe UMP se réjouit de la transmission de ces nouvelles simulations. Elles devraient éclairer notre Haute Assemblée, en complément du rapport que j’ai eu l’honneur de préparer en collaboration avec trois députés et nos collègues Alain Chatillon et François-Noël Buffet, rapport qui sera publié dans deux jours.
Dans une lettre communiquée vendredi dernier, le Gouvernement nous a confirmé qu’un autre débat sera organisé à la rentrée et que les ajustements interviendront à l’automne dans le cadre du projet de loi de finances pour 2011.
Le Sénat continuera à assurer, en 2011 et les années suivantes, le suivi de la réforme de la taxe professionnelle, pour que soient respectées les autres clauses de revoyure. Aussi, la majorité du groupe UMP, à l’exception de quelques collègues que je n’ai probablement pas su convaincre, votera bien sûr cette proposition de résolution dont il est à l’origine, avec le groupe Union centriste. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Michèle André.
Mme Michèle André. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous étudions aujourd’hui la proposition de résolution de la majorité sénatoriale qui acte l’abandon de la clause de revoyure qu’elle avait pourtant décidé de mettre en œuvre lors de l’examen de la loi de finances pour 2010. Que notre collègue Charles Guené se rassure : nous ne vociférerons pas pour autant ; nous travaillerons en toute tranquillité, ainsi que nous avons l’habitude de le faire !
Comme l’a dit Nicole Bricq, les socialistes pressentaient la difficulté qu’il y aurait à tenir les délais annoncés, tant cette clause semblait être un alibi politique à l’intention de certains de nos collègues de la majorité qui peinaient à adhérer à ce projet de réforme de la taxe professionnelle. Le 1er juin est passé et le rapport attendu n’était pas au rendez-vous.
Ce n’est pas la « récupération » du rapport Durieux, présenté le 17 juin comme celui qui était initialement attendu, qui nous a leurrés. C’est aujourd’hui la proposition de résolution de la majorité qui nous confirme l’incapacité de mener à bien les simulations demandées et l’abandon pur et simple du projet de loi qui devait découler des propositions de ce rapport.
Si j’ai bien compris ses propos, notre collègue Charles Guené nous a expliqué que, au fond, rien ne pressait et qu’il convenait d’attendre l’examen, cet automne, du projet de loi de finances pour 2011, et même peut-être davantage.
Je souhaiterais reprendre rapidement les éléments que nous, sénateurs socialistes, avec d’autres collègues, étions en droit d’attendre pour nous permettre de nous prononcer en toute connaissance de cause sur les mécanismes de péréquation à mettre en œuvre. Je m’attacherai plus particulièrement à leurs conséquences sur les départements.
Ces mécanismes sont nécessaires pour garantir aux collectivités locales et aux départements des recettes prévisibles, porteuses de dynamique, à même de leur permettre de continuer à jouer leur rôle de moteur dans l’économie de notre pays.
Les collectivités locales sont les investisseurs de ce pays, « des parieurs d’avenir ». Asphyxier, comme on le fait aujourd’hui, leurs capacités budgétaires futures, les enfermer inéluctablement dans un rôle de guichet d’État, c’est les pousser dès maintenant à freiner leurs actions et leurs investissements.
Pourtant, nous savons combien l’État a pu compter sur les communautés, les départements et les régions pour mettre en œuvre son plan de relance.
Le mécanisme des propositions de résolution ne permettant pas au Parlement d’amender un texte, je me contenterai de poser quelques questions.
Qui dit ou a dit que les départements demandent une attention particulière ?
C’est l’Assemblée des départements de France, dont c’est légitimement le rôle. Dès janvier, elle a formulé une demande d’audience auprès du Premier ministre en raison des graves difficultés financières auxquelles sont déjà confrontés de nombreux départements, souvent ruraux, où les actions sociales sont prédominantes. La crise a accru ces difficultés, au détriment des populations fragiles qui, de fait, ne peuvent constituer des bases de finances locales solides.
C’est ainsi : la France est multiple et présente des départements aux visages différents, qui doivent pourtant appliquer partout les mêmes contraintes imposées par la loi.
La clause de revoyure de décembre laissait espérer non pas un redressement immédiat des finances des départements par le jeu de la solidarité territoriale, mais au moins une prise en compte de cette situation et l’assurance, en quelque sorte, que la réforme de la taxe professionnelle ne viendrait pas assombrir encore davantage l’horizon.
La Cour des comptes, en novembre dernier, faisait ce constat : « Ce sont souvent les départements les plus pauvres, ceux qui disposent des recettes fiscales les moins dynamiques, qui doivent en même temps faire face aux charges les plus importantes. » La Cour concluait ainsi : « L’État doit veiller à plus intégrer le principe de péréquation, inscrit à l’article 72-2 de la Constitution. »
Les socialistes souscrivent à ces réflexions et demandent au Gouvernement que les collectivités locales puissent retrouver une visibilité quant à leurs ressources, laquelle passe notamment par une péréquation véritablement efficace et un financement intégral des compétences transférées.
Le rapport Jamet, quant à lui, rendu en avril, dresse le même constat d’une mauvaise structuration des finances des départements due à leur rôle de support social. Il préconise notamment qu’une forme d’aide d’urgence soit allouée par l’État aux départements les plus fragiles. Le discours gouvernemental à l’issue de la seconde conférence des déficits me laisse malheureusement augurer du contraire : c’est un monologue aux incantations constitutionnelles qui rejettent la responsabilité des uns sur les autres.
Les élus socialistes comme les auteurs des rapports, tous plaident en faveur d’une plus grande péréquation.
Qu’apporte de plus le rapport Durieux, remis le 17 juin ?
Rien, car les hypothèses d’évolution des recettes retenues entre 2010 et 2015, voire les données réunies, sont sujettes à caution et les auteurs eux-mêmes indiquent que des « limites méthodologiques » à ce rapport peuvent en affecter la compréhension. J’avoue que j’allais presque me réjouir en lisant, comme cela est indiqué dans le rapport, que la progression des finances des départements allait dépasser 20 % en cinq ans – 21,07 % dans mon propre département. Mais voir que les droits de mutations à titre onéreux allaient s’accroître de 19,05 % ou la contribution à la valeur ajoutée des entreprises bondir de 24,23 % dans mes terres m’a confirmé que les hypothèses retenues ou les données enregistrées étaient bien éloignées de la réalité de la crise que nous vivons actuellement.
Qu’apporte donc le rapport Durieux ?
Rien, car les propositions formulées sur la nécessaire péréquation ne sont à mon sens qu’incantatoires.
Rien, car il ne fournit, comme l’a confirmé M. le rapporteur général, aucune réponse aux demandes de simulations formulées par la commission des finances du Sénat.
Rien, car il n’analyse pas la faisabilité d’une évolution distincte des bases de la taxe foncière due par les ménages de celle qui est due par les entreprises.
Rien, enfin, car vu par ses auteurs comme une étape avant le rapport final, il ne peut satisfaire notre attente collective d’une véritable base solide de travail pour la clause de revoyure.
Que nous proposent les auteurs du texte dont nous débattons aujourd’hui ?
À mon sens, ils nous demandent d’accepter ce que certains membres de la majorité de cette assemblée n’avaient pu accepter en décembre dernier. Ainsi, notre collègue Jean-Pierre Raffarin pressentait sans doute les difficultés à trouver des solutions viables de substitution de la taxe professionnelle, si importante pour les recettes des collectivités locales.
L’État exsangue, qui prône l’austérité, peut-il ainsi se permettre de compenser une perte annuelle globale de plus de 5 milliards d’euros ? Je ne suis pas la seule à en douter. La réponse avancée est le gel des dotations. L’enveloppe fermée des concours financiers de l’État aux collectivités locales, dans laquelle on a traité cette compensation, sera une contrainte difficilement contournable et un goulet d’étranglement pour les finances des départements et des régions.
L’État a eu beau jeu, lors de la rencontre accordée le 1er juin dernier aux départements, de faire les quatre propositions suivantes.
Première proposition : le dépôt d’un projet de loi sur le cinquième risque à la fin de l’année, laissant penser qu’un allégement pouvait être attendu en ce qui concerne le financement de l’allocation personnalisée d’autonomie, l’APA, et des maisons départementales des personnes âgées, les MDPH.
Deuxième proposition : la création, en septembre prochain, d’une mission d’appui placée sous la direction du secrétaire d’État aux collectivités territoriales, dont je salue la présence parmi nous. Mais une mission pour quoi faire : une mise sous tutelle ? On peut se poser la question.
Troisième proposition : l’instauration d’un moratoire sur les normes réglementaires qui leur sont imposées et dont on ne peut que souhaiter qu’elles se réduisent et non pas ²qu’elles cessent seulement de progresser.
Quatrième proposition : l’installation de groupes de travail sur les propositions Jamet. Le rapport est là ; il a le mérite de la clarté. Il reste désormais à en tirer les conséquences.
Mon sentiment sur la proposition de résolution est simple : le Gouvernement a pris la responsabilité de supprimer la taxe professionnelle sans prendre la mesure des conséquences de cette suppression sur les recettes des collectivités. Ce n’est pas faute, et pas seulement pour les sénateurs qui siègent à gauche de cet hémicycle, d’avoir attiré son attention sur ce point !
Il me revient en mémoire cette phrase de Marc Massion. Lors de la discussion du projet de loi de finances, notre collègue déclarait ceci : « C’est une réforme qui est née d’un caprice à l’Élysée, qui n’a grandi que dans les couloirs de Bercy, mais ce sont bien demain nos territoires qui en mourront. »
Je crains que la méditation de cette phrase ne se fasse dans la douleur. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Alain Chatillon.
M. Alain Chatillon. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, à la fin de l’année dernière, le projet de réforme des collectivités territoriales et le projet de loi de finances pour 2010 ont donné lieu à de passionnants débats, nous nous en souvenons tous.
À titre personnel, si j’ai accepté la suppression de la taxe professionnelle et les nouvelles règles qui régissent désormais les finances locales, c’est en me fondant sur l’engagement d’une clause de revoyure, fixée au 1er juin 2010, selon l’article 76 de la loi de finances pour 2010 publiée le 30 décembre 2009. Un délai de six mois apparaissait en effet nécessaire pour valider, par des simulations précises, les conséquences de cette réforme sur le budget de nos collectivités territoriales et pour prévoir les adaptations nécessaires.
Or, aujourd’hui, et non sans surprise, nous apprenons que le débat sur la clause de revoyure est reporté à l’automne prochain, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2011.
Cela est contraire aux engagements initialement pris et que, personnellement j’entends respecter en ma qualité, comme vous tous, mes chers collègues, de représentant des collectivités territoriales.
Le rapport Durieux, qui évalue les effets de la réforme de la taxe professionnelle sur la fiscalité des collectivités locales et sur les entreprises, a été remis au Gouvernement au mois de mai. Il convient de souligner qu’il a été réalisé à législation constante et que, depuis sa parution, nous avons appris le gel des concours et des dotations de l’État aux collectivités locales. Ce gel s’accompagne d’un retour à la stricte orthodoxie budgétaire de la part de l’État avec une politique de réduction des déficits publics, décision qui, selon nombre d’économistes, risque de mettre à mal la croissance et de se traduire par une possible récession dans les deux prochaines années.
Les projections contenues dans ce rapport ne peuvent être, pour certaines d’entre elles, considérées comme fiables, parce que trop lointaines.