Sommaire
Secrétaires :
MM. Alain Dufaut, Jean-Paul Virapoullé.
3. Gestion de la dette sociale. – Adoption d’un projet de loi organique en procédure accélérée (Texte de la commission)
Discussion générale : MM. François Baroin, ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'État ; Alain Vasselle, rapporteur général de la commission des affaires sociales ; Jean-Jacques Jégou, rapporteur pour avis de la commission des finances.
Mme Éliane Assassi, MM. Bernard Cazeau, Aymeri de Montesquiou.
M. le ministre.
Mme Marie-Thérèse Hermange, MM. Jean Arthuis, Jacky Le Menn.
M. Henri de Raincourt, ministre chargé des relations avec le Parlement.
Clôture de la discussion générale.
Motion no 1 de Mme Christiane Demontès. – Mme Christiane Demontès, MM. le rapporteur général, Henri de Raincourt, ministre. – Rejet par scrutin public.
Motion no 3 de M. Guy Fischer. – MM. Guy Fischer, le rapporteur général, Henri de Raincourt, ministre. – Rejet par scrutin public.
M. Guy Fischer.
Amendements identiques nos 2 de M. Bernard Cazeau et 4 de M. Guy Fischer. – MM. Bernard Cazeau, Guy Fischer, le rapporteur général, Henri de Raincourt, ministre. – Rejet des deux amendements.
Amendement no 5 de M. Guy Fischer. – MM. Guy Fischer, le rapporteur général, Henri de Raincourt, ministre ; Jean Arthuis. – Rejet.
Adoption de l'article.
M. Jacky Le Menn.
Adoption de l'article.
Articles 2 bis, 3 et 4. – Adoption
MM. Bernard Cazeau, Jean Arthuis.
Adoption, par scrutin public, du projet de loi organique.
compte rendu intégral
Présidence de M. Roger Romani
vice-président
Secrétaires :
M. Alain Dufaut,
M. Jean-Paul Virapoullé.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Dépôt d'un rapport
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. Raphaël Hadas-Lebel, président de la commission dite de la copie privée, le rapport d’activité pour 2008-2009 de cette commission, établi en application de l’article L. 311-5 du code de la propriété intellectuelle.
Acte est donné du dépôt de ce rapport.
Il a été transmis à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication et sera disponible au bureau de la distribution.
3
Gestion de la dette sociale
Adoption d’un projet de loi organique en procédure accélérée
(Texte de la commission)
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion en procédure accélérée du projet de loi organique relatif à la gestion de la dette sociale (projet n° 672, texte de la commission n° 691, rapport n° 690 et avis n° 694).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre.
M. François Baroin, ministre du budget, des comptes publics et de la réforme de l'État. Monsieur le président, madame la vice-présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur général de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi organique relatif à la gestion de la dette sociale que j’ai l’honneur de vous présenter aujourd’hui me permet de vous exposer la stratégie globale du Gouvernement relative à la dette sociale.
Il s’agit d’une question importante, pour ne pas dire essentielle, dans un contexte où la réduction de la dette et des déficits publics est un impératif absolu.
La dette sociale accumulée au sein de l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale, l’ACOSS, devrait représenter, en 2011, 80 milliards d’euros qu’il convient désormais de traiter. Ce projet de loi organique, adopté en conseil des ministres le 13 juillet dernier, et que j’ai présenté devant la commission des affaires sociales de votre assemblée le 1er septembre, constitue un jalon essentiel du schéma global de financement de la dette sociale.
Le système de sécurité sociale est au cœur de notre cohésion nationale : cette évidence mérite d’être rappelée. L’enjeu actuel de la réforme des retraites en est l’exemple même. Il est absolument indispensable de pallier les difficultés du système de sécurité sociale. À défaut, nous prenons le risque de transmettre aux générations futures un héritage bien trop lourd à porter.
Nous ne pouvons pas demander à nos enfants de payer demain nos dettes d’aujourd’hui. Il s’agit non pas d’une abstraction facile, mais d’une réalité possible : voulez-vous voir vos propres enfants vivre moins bien à cause de notre incapacité à maîtriser les déficits de la sécurité sociale ? Cela serait injuste, irresponsable et, en définitive, porterait atteinte au pacte intergénérationnel.
Dans le même temps, il nous faut prendre garde à ne pas nuire à la reprise de la croissance. Nous devons donc concilier ces deux impératifs de manière intelligente, en toute responsabilité. L’exercice ne sera pas aisé, mais il est plus que nécessaire.
Pour approfondir cette question, j’ai tenu à réunir la commission de la dette sociale, dans laquelle toutes les forces politiques des deux chambres du Parlement sont représentées, car je suis convaincu que la représentation nationale doit jouer un rôle important dans ce débat. Lors des trois réunions qui se sont tenues au printemps dernier, ses membres ont pu exprimer leur point de vue concernant les décisions à prendre.
Je tiens à saluer les sept sénateurs membres de cette commission et à les remercier pour la qualité et la franchise de leurs interventions. Il s’agit d’Alain Vasselle, rapporteur général de la commission des affaires sociales, de Jean-Jacques Jégou, rapporteur pour avis de la commission des finances, ainsi que d’André Lardeux, de Sylvie Desmarescaux, de Guy Fischer, de Jacky Le Menn et d’Yvon Collin.
Ces débats ont démontré qu’un certain nombre de pistes étaient exclues : le maintien de la dette au sein de l’ACOSS, la reprise de dette par l’État – j’y reviendrai –, la création d’une seconde caisse d’amortissement de la dette sociale, ou CADES.
Quant à l’allongement de la durée de vie de la CADES, le Gouvernement a bien compris que cela ne pouvait qu’être une solution d’appoint. Vous avez demandé que, au-delà de la dette pour la période de 2009 à 2011, le Gouvernement apporte des réponses structurelles à la question de la dette sociale. Soyez assurés, mesdames, messieurs les sénateurs, que je partage pleinement vos préoccupations : le schéma de reprise de la dette sociale que je vais vous exposer vise à y répondre.
Le schéma sera mis en œuvre, pour une large part, dans le cadre du projet de loi de finances et du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2011, mais il me semble important que vous en ayez d’ores et déjà connaissance de manière à pouvoir examiner le présent texte, qui conditionne le schéma de reprise.
Ce projet de loi organique, qui est composé de quatre articles, porte uniquement sur l’allongement de la durée de vie de la CADES. Par ailleurs, il répond à un certain nombre d’observations formulées par la Cour des comptes.
Notre objectif, je le répète, est de permettre à la CADES de reprendre les quelque 80 milliards d’euros de dette à venir d’ici à la fin de l’année 2011, ainsi que les déficits futurs de la branche vieillesse. Pour cela, nous avons retenu trois moyens distincts : l’affectation de nouvelles recettes à la CADES, l’allongement de la durée de vie de la Caisse et la mobilisation du Fonds de réserve pour les retraites, le FRR.
Nous voulons tout d’abord octroyer à la CADES de nouvelles recettes, à hauteur de 3,2 milliards d’euros par an, ce qui lui permettra de reprendre 34 milliards d’euros de dette.
Cette somme correspond aux déficits structurels des années 2009 et 2010 du régime général et du Fonds de solidarité vieillesse, le FSV, ainsi qu’au déficit prévisionnel pour 2011 de l’assurance maladie. Comme ces déficits sont structurels, nous avons souhaité, dans un souci d’équité intergénérationnelle, que seules les générations actuelles d’actifs et de retraités en supportent le poids.
Comme vous le savez, la réduction des niches fiscales et sociales constitue un axe majeur de notre stratégie en matière de finances publiques. Le Gouvernement souhaite, plutôt que de procéder à une hausse des impôts, tirer les nouvelles recettes affectées à la CADES majoritairement des gains obtenus grâce à cette réduction.
Je sais qu’au sein de la commission de la dette sociale, beaucoup défendaient l’idée de majorer la contribution au remboursement de la dette sociale, la CRDS. Ce n’est pas le choix du Gouvernement.
Trois mesures viendront donc financer la CADES.
La première consiste à réduire l’exonération de taxe sur les conventions d’assurance dont bénéficient les contrats d’assurance maladie dits « solidaires et responsables », tout en leur maintenant un avantage fiscal pour tenir compte de leurs spécificités : la taxe s’appliquera au taux de 3,5 % au lieu du taux normal de 7 % ; la CADES disposera ainsi de 1,1 milliard d’euros supplémentaires chaque année à ce titre. L’avantage fiscal est divisé par deux, mais il n’est pas supprimé ; les complémentaires santé bénéficieront toujours d’une exonération équivalente de 1,1 milliard d’euros.
La deuxième mesure consiste à taxer forfaitairement les sommes placées dans la réserve de capitalisation des sociétés du secteur de l’assurance. Les sommes en réserve, qui n’ont jamais supporté l’impôt sur les sociétés, feront l’objet d’une imposition au taux de 10 %. Corrélativement, les reprises futures sur cette réserve ne seront pas imposables.
La taxation pourra être étalée sur deux ans afin de limiter l’impact sur le résultat des entreprises concernées. Elle rapportera au moins 1,4 milliard d’euros sur les deux années 2011 et 2012.
La troisième mesure, enfin, consiste à appliquer les prélèvements sociaux aux compartiments « euros » des contrats d’assurance vie multisupport au fur et à mesure des encaissements plutôt qu’au moment du dénouement du contrat, à l’instar des règles qui sont en vigueur pour les contrats d’assurance vie uniquement en euros. Cela représente 1,6 milliard d’euros de recettes nouvelles pour la CADES en 2011.
Grâce à ces trois mesures, la CADES disposera donc de plus de 3,2 milliards d’euros sur 2011 et 2012, puis ces ressources décroîtront progressivement avec le temps.
Compte tenu de la dynamique décroissante du rendement des deux dernières mesures, je vous propose, afin de respecter la nouvelle contrainte organique, de prévoir dans la loi de financement de la sécurité sociale un mécanisme permettant de garantir les ressources de la CADES sur le long terme, une sorte de « clause de garantie de ressources ».
Sur ce point, soyons clairs : il n’y a ni ambiguïté ni intention cachée. En aucun cas, le Gouvernement n’envisage d’augmenter les impôts, ni aujourd’hui ni demain.
M. Guy Fischer. Nous ne le croyons pas !
M. François Baroin, ministre. Notre stratégie, c’est la réduction des niches sociales et fiscales, et pas autre chose. Cette stratégie s’inscrit dans la durée ; le Gouvernement fera un pas sans précédent en demandant dès cet automne, dans les textes financiers que je défendrai devant vous, la suppression de 10 milliards d’euros de niches.
Cet effort de réduction des niches fiscales et sociales est un travail de longue haleine. Il permettra de financer la CADES en 2013 et les années suivantes, en trouvant, avec votre concours, monsieur le président de la commission des finances, d’autres niches à réduire ou à supprimer ! C’est bien, excusez-moi de le dire ainsi, ce qui nous différencie de la gauche, qui n’a qu’un seul projet : augmenter les impôts pour régler la question des retraites, de la CADES et du budget.
M. Guy Fischer. C’est un mensonge !
M. François Baroin, ministre. Nous aurons d’autres rendez-vous dans des temps de respiration démocratique très forte, c’est-à-dire dans quelques mois. Mais pendant cet intervalle, le choix est clair, net et sans bavure et le Gouvernement est déterminé à le concrétiser dans la durée.
En qualité de ministre des comptes publics, j’ai l’obligation constitutionnelle de préserver l’équilibre et la pérennité de la CADES. Nous devons en effet garantir à la Caisse la possibilité d’emprunter au meilleur coût. À cette fin, il faut qu’elle dispose d’une assurance sur sa capacité à mobiliser des recettes suffisantes. C’est pourquoi je vous proposerai, lors de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale, d’adopter une clause de garantie de ressources.
Notre priorité est de poursuivre la réduction des niches fiscales et sociales, et nous tiendrons le cap ! Jusqu’à présent, le Gouvernement atteint ses objectifs, vous pourrez le constater dans quelques jours. Nous avons toutes les raisons d’avoir confiance dans le succès de cette démarche.
M. le rapporteur général de la commission des affaires sociales a présenté deux amendements qui ont été adoptés par la commission.
Le premier concerne la « clause de garantie de ressources » et le second la mise en œuvre d’une « clause de retour à bonne fortune ».
Monsieur le rapporteur général, monsieur le rapporteur pour avis, je connais l’attachement de nombre vous, toutes sensibilités confondues, à limiter l’allongement de la durée de vie de la CADES. Vous me l’avez clairement exprimé lors des réunions de la commission de la dette sociale. Pour cette raison, je vous proposerai non pas de revenir sur ces deux amendements, mais de voter, dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2011, un dispositif complémentaire, comme le souhaitait d’ailleurs M. le rapporteur général de la commission des affaires sociales lorsqu’il a déposé ces amendements.
Pour améliorer la situation de la CADES, nous voulons ensuite allonger sa durée de vie de quatre ans, la portant ainsi à 2025, ce qui permettra de reprendre 34 milliards d’euros de dette.
Cette somme correspond au montant de la dette de crise des années 2009 et 2010. Il est avéré que la dette sociale de 2009 et 2010 résulte, pour partie, d’un « choc de recettes » lié à la crise économique. Aucune personne sérieuse ne peut contester cette réalité économique et budgétaire.
Ce choc de recettes nous a conduits à opter pour un prolongement de la durée de vie de la CADES. Il nous a en effet semblé important de ne pas casser la reprise, donc d’étaler dans le temps le remboursement de la dette née de cette crise sans précédent. Pour répondre à cette situation exceptionnelle, nous vous proposons une dérogation au principe de non-allongement de la durée de vie de la CADES.
La prorogation de la durée de vie de la CADES est d’ailleurs relativement courte. Il permet d’étaler sur quinze ans au lieu de onze le remboursement de la « dette de crise ». Cela reste cohérent avec l’horizon de vie des générations qui ont collectivement bénéficié des prestations pendant les années concernées par la dette.
Enfin, nous entendons améliorer la situation de la CADES en mobilisant les actifs financiers et la recette du Fonds de réserve pour les retraites en vue de la reprise exclusive de la dette « vieillesse » de 2011 à 2018. Par dette « vieillesse », j’entends celle de la Caisse nationale d’assurance vieillesse, la CNAV, et celle du Fonds de solidarité vieillesse. Pour 2011, elle est estimée à environ 10 milliards d’euros.
Si nous souhaitons vivement remédier aux déficits passés, ce n’est pas notre seul objectif. En effet, nous devons aussi traiter les dettes futures jusqu’à la montée en puissance de la réforme des retraites en 2018. Dans ce cadre, la mobilisation du FRR permettra l’amortissement par la CADES, dans la limite de 62 milliards d’euros, des déficits « vieillesse » du régime général et du FSV, qui seront cumulés sur la période de montée en charge de la réforme des retraites, soit 2011 à 2018.
Plus précisément, deux leviers seront utilisés. Le premier est le transfert à la CADES de la part aujourd’hui affectée au FRR du prélèvement de 2 % sur les revenus du capital, soit un rendement de 1,5 milliard d’euros en 2011. Le second est la mobilisation des actifs du Fonds de réserve des retraites au profit de la CADES. Le PLFSS pour 2011 prévoit le versement par le FRR de 2,1 milliards d’euros chaque année à la CADES de 2011 à 2024. Le schéma retenu n’est donc en aucune façon celui d’une liquidation rapide du FRR. Au contraire, le Fonds continuera à gérer ses actifs jusqu’en 2024, tout en assurant des versements annuels à la CADES.
M. Guy Fischer. C’est un siphonage !
M. François Baroin, ministre. Au total, ce sont près de 130 milliards d’euros de dettes qui seront repris par la CADES.
J’en viens à la présentation des articles.
L’article 1er modifie l’article 4 bis de l’ordonnance n° 96-50 du 24 janvier 1996 relative au remboursement de la dette sociale. Il prévoit d’allonger la durée de vie de la CADES de quatre ans, par exception à l’ordonnance de 1996.
De manière concrète, nous vous proposons cette mesure exceptionnelle afin de remédier à une situation elle-même exceptionnelle. Il ne s’agit en aucun cas de remettre en cause le principe de non-allongement de la durée de vie de la CADES. Et s’il fallait allonger encore cette durée de vie, il conviendrait alors de modifier une nouvelle fois la loi organique.
Les articles 2 et suivants visent à répondre à des observations formulées par la Cour des comptes. Ils permettront de lever la réserve relative à la CADES, dès la certification des comptes de 2010 de l’État.
Ces observations portent notamment sur la gouvernance de la CADES. La commission des affaires sociales, et je l’en remercie, a adopté l’amendement du Gouvernement consistant à renforcer la place des partenaires sociaux au sein du conseil d’administration de la caisse. Il s’agit d’affirmer sans ambiguïté l’appartenance de la CADES à la sphère sociale.
Les observations de la Cour des comptes portaient aussi sur la transparence des informations transmises au Parlement. Cette transparence sera améliorée, notamment par la mise en œuvre, dans le PLFSS, d’un tableau patrimonial qui retracera la situation de l’ensemble des actifs et passifs des organismes entrant dans le champ de la loi de financement de la sécurité sociale.
Toujours pour améliorer la transparence, la commission des affaires sociales a adopté deux amendements relatifs à l’objectif national de dépenses d’assurance maladie, l’ONDAM. Nous y sommes favorables, parce qu’ils améliorent votre information et votre contrôle sur la construction et l’exécution de l’ONDAM.
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons connu la pire crise économique depuis la Seconde Guerre mondiale. Mais quelle que soit l’ampleur des difficultés, notre devoir est d’agir de façon responsable pour préserver et renforcer notre pacte social, afin que la facture de nos déficits n’échoie pas aux générations futures.
Cette nécessité absolue constitue l’esprit de cette loi organique et préside à l’allongement de la durée de vie de la CADES. C’est également l’esprit qui a animé le Gouvernement dans son choix des dispositifs qu’il vous présente afin d’assainir nos finances publiques. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général de la commission des affaires sociales.
M. Alain Vasselle, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je reviendrai, et je vous prie de m’en excuser, sur certains points évoqués à l’instant par M. le ministre, dans un exposé au demeurant fort complet, afin de permettre au Sénat d’avoir une vision précise de la position de la commission des affaires sociales.
Le sujet de la dette sociale qui nous réunit aujourd’hui n’est certes pas nouveau, mais avec la crise, il a pris une ampleur inédite, particulièrement préoccupante. Or, si ces nouveaux ordres de grandeur nous dépassent, ils ne doivent certainement pas devenir une habitude. Notre priorité doit donc être et demeurer – je le dis d’emblée et je le répéterai au cours des prochaines semaines – la réduction rapide et importante de nos déficits sociaux.
En effet, depuis deux ans, les déficits sociaux se sont envolés pour atteindre des niveaux records. Les déficits cumulés du régime général et du Fonds de solidarité vieillesse se sont ainsi élevés à 23,5 milliards d’euros en 2009 et devraient osciller autour de 30 milliards en 2010 et en 2011 : c’est du jamais vu !
Jusqu’à présent, ces déficits sont portés par l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale, que nous avons autorisée, dans la dernière loi de financement de la sécurité sociale, vous vous en souvenez, à recourir à des ressources financières de court terme dans la limite de 65 milliards d’euros, soit plus que le double de l’exercice précédent. Nous avions voté cette disposition sans grand enthousiasme.
J’avais proposé, avec l’appui de la majorité des membres de la commission des affaires sociales, de transférer, dès 2009, 20 milliards d’euros à la CADES, moyennant une très légère augmentation de la CRDS de 0,15 %. M. Éric Woerth, alors ministre du budget, s’était opposé à cette proposition, considérant qu’une telle disposition porterait atteinte au pouvoir d’achat, ralentirait la consommation, freinerait notre économie, ce qui n’était pas souhaitable en temps de crise. M. Baroin a rappelé tout à l’heure l’exercice d’équilibre auquel le Gouvernement s’est plié pour essayer de concilier la nécessité d’éponger la dette et de protéger le pouvoir d’achat de nos concitoyens.
M. Woerth avait réussi à nous convaincre en laissant entendre qu’il créerait une commission ad hoc. C’est ainsi qu’est née la commission de la dette sociale, dont je ne rappellerai pas, après M. Baroin, la composition.
Cette commission s’est réunie à trois reprises. C’est au cours de la dernière réunion, le 30 juin, que le ministre, qui n’avait jusqu’alors rien laissé filtrer de ses projets, a dévoilé les solutions que le Gouvernement envisageait pour régler le problème du financement de la dette par la CADES.
M. Guy Fischer. Il nous a mis devant le fait accompli !
M. Alain Vasselle, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Pas moins de quatre textes différents comprennent des éléments relatifs au traitement de la dette sociale : le présent projet de loi organique, le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2011, le projet de loi de finances pour 2011 et le projet de loi portant réforme des retraites, qui est nécessaire pour assurer l’équilibre du dispositif. Nous avons donc de nombreuses heures et journées de travail devant nous !
Monsieur le ministre, je n’ignore pas que les arbitrages n’ont pas encore tous été rendus. Je crois d’ailleurs savoir, par une indiscrétion, que vous vous absenterez avant la fin de notre discussion afin de participer à une importante réunion d’arbitrage.
M. Guy Fischer. Ah oui !
M. Alain Vasselle, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Mais admettez qu’il est difficile pour le Parlement d’avoir une juste vision de l’équilibre du dispositif sans connaître toutes les dispositions qui figureront dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale et dans le projet de loi de finances et en ignorant la teneur exacte de la future loi portant réforme des retraites. Nous vous faisons a priori confiance, mais nous devons également faire confiance à la majorité des deux assemblées, en espérant qu’elles suivront le Gouvernement et que le projet ne sera pas déséquilibré par le coup de canif porté par un amendement parlementaire !
La reprise de dette pourrait atteindre 130 milliards d’euros. Cela équivaut au montant de la dette transférée, depuis sa création, à la CADES, qui doit encore amortir près de 90 milliards d’euros. Ces 130 milliards d’euros comprennent le déficit du régime général, celui du FSV pour 2009 et 2010, le déficit prévisionnel de l’assurance maladie pour 2011 et les déficits prévisionnels de l’assurance vieillesse et du Fonds de solidarité vieillesse jusqu’en 2018.
Le Gouvernement considère que cette dette comporte trois parties : la dette de crise, évaluée à 34 milliards d’euros ; la dette structurelle, également évaluée à 34 milliards d’euros pour les exercices 2009, 2010 et 2011 ; enfin, les déficits de l’assurance vieillesse de 2011 à 2018, soit 62 milliards d’euros.
C’est sur la base de cette répartition que vous nous présentez, monsieur le ministre, le plan de financement du Gouvernement.
Tout d’abord, vous jouez sur la durée de vie de la CADES. Le Sénat s’est toujours opposé à un allongement de la durée de vie de la CADES, qui reviendrait à reporter le poids de la dette sur les générations futures. Vous proposez un allongement de quatre ans, limitant en quelque sorte les dégâts, si je puis m’exprimer ainsi, ce qui nous amène à 2025.
Ensuite, pour financer la dette structurelle de 34 milliards d’euros, vous affectez à la CADES 3,2 milliards d’euros de recettes nouvelles. Il ne s’agit donc pas de recettes de poche. Elles seront issues d’un prélèvement sur les assurances qui ne nous paraît pas satisfaisant : j’y reviendrai dans quelques instants.
Enfin, pour financer les déficits de l’assurance vieillesse, vous mobilisez dès à présent les actifs du FRR, soit une trentaine de milliards d’euros, ainsi que la recette qui l’alimente, à hauteur de 1,5 milliard d’euros.
Monsieur le ministre, permettez-moi de réitérer la question que je vous avais posée en commission des affaires sociales, car vous ne disposiez pas alors de tous les éléments pour me répondre. Comment expliquez-vous qu’il faille prélever chaque année 2 milliards d’euros sur les actifs du FRR pour financer la moitié des 62 milliards d’euros qui seront transférés à la CADES jusqu’en 2024 et qu’il suffise de prélever chaque année 1,5 milliard d’euros sur les recettes du Fonds pour financer les 31 milliards d’euros restants ? L’explication est sans doute très technique et j’espère que vous nous la donnerez sinon aujourd’hui, du moins avant la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Le présent projet de loi organique est nécessaire pour une question de principe. Il s’agit en effet de lever le verrou posé par le législateur dans la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale.
En 2005, M. Warsmann, membre de la commission des lois de l’Assemblée nationale, a fait adopter un amendement disposant que toute nouvelle dette transférée à la CADES devrait être accompagnée des recettes équivalentes. Cela rendait impossible tout allongement de la durée de vie de la CADES, et ce afin d’empêcher un report de la dette sur les générations futures.
Le présent projet de loi ne remet fort heureusement pas en cause ce principe. Nous ne l’aurions d’ailleurs pas accepté. Nous devons plus que jamais cesser de reporter nos déficits sur nos enfants et petits-enfants. J’ai la faiblesse de penser que l’unanimité de la commission sur ce sujet a contraint le Gouvernement à limiter la remise en cause de cette règle et je m’en félicite.
L’article 1er du présent texte prévoit donc une dérogation au principe mais, vous l’avez indiqué, monsieur le ministre, limitée à la seule loi de financement pour 2011. En outre, cette dérogation ne devra pas entraîner un allongement de plus de quatre ans de la durée de vie de la CADES. Il s’agit d’atténuer par ce biais le coût de la reprise de la dette accumulée de 80 milliards d’ici à la fin de 2011. Sans un allongement de la durée de vie de la caisse, il aurait au moins fallu doubler les recettes qu’il est aujourd’hui prévu d’affecter à la CADES.
Outre cette dérogation, l’article 1er permet le transfert d’actifs du FRR, sur lequel je ne reviens pas. La précision apportée dans le texte ne semble pas vraiment utile même s’il n’est pas interdit de penser que, dans certaines circonstances, un tel transfert pourrait se révéler nécessaire. À ce titre, il doit donc être prévu dans le présent texte.
L’article 2, quant à lui, vise à améliorer l’information du Parlement, en prévoyant que ce dernier approuve chaque année la situation patrimoniale de l’ensemble des organismes entrant dans le champ de la loi de financement de la sécurité sociale, y compris la CADES ou le FRR.
L’article 2 permet aussi au Gouvernement de lever une réserve récurrente de la Cour des comptes sur le positionnement ambigu de la CADES entre la sphère sociale et celle de l’État. Un amendement du Gouvernement sur la composition du conseil d’administration de la CADES, adopté en commission, vient renforcer encore l’ancrage de la CADES dans le périmètre des finances sociales. Nous ne pouvons que nous en féliciter, et remercier le Gouvernement de cette initiative.
Sur ces deux articles, comme sur le reste du projet de loi organique, la commission n’a pas relevé de difficulté technique particulière. Néanmoins, et vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, elle a adopté deux amendements dont l’objet est de prendre en compte deux des propositions du rapport du groupe de travail sur le pilotage des dépenses de l’ONDAM, présidé par Raoul Briet, et dont j’ai eu l’honneur de faire partie. Ces propositions, qui ont fait l’unanimité lors de la présentation du rapport devant la Conférence des finances publiques, présidée par Nicolas Sarkozy, en juin dernier, visent à compléter le texte organique sur la présentation et le contenu des lois de financement de la sécurité sociale.
Le premier amendement prévoit que l’annexe B du PLFSS devra contenir les prévisions quadriennales à même de fournir une information plus précise sur les perspectives d’évolution de l’ONDAM et sur les hypothèses retenues pour établir sa progression.
Le second amendement tend à renforcer l’annexe 7, consacrée à l’ONDAM, qui se révèle toujours insuffisante, et souvent indigente, nous n’avons eu de cesse de le dénoncer au cours des dernières années. Il nous paraît donc impératif qu’elle contienne désormais des éléments précis sur l’exécution de l’ONDAM pour l’exercice clos et pour l’exercice en cours, et qu’elle justifie les modalités d’élaboration de l’objectif pour l’année à venir.
J’en viens maintenant à l’interrogation majeure soulevée par ce projet de loi, liée au plan de financement proposé par le Gouvernement.
Il est clair, M. le ministre l’a lui-même reconnu, que les trois recettes portant sur le secteur des assurances, censées rapporter 3,2 milliards d’euros en 2011, n’offrent pas les garanties de stabilité et de dynamisme nécessaires. La taxation des réserves de capitalisation des sociétés d’assurance est une « mesure à un coup », même si le Gouvernement envisage de répartir son produit sur les exercices 2011 et 2012.
L’anticipation des prélèvements sociaux sur les compartiments euros des contrats d’assurance vie rapportera 1,4 milliard d’euros en 2011, mais beaucoup moins ensuite, car la recette va naturellement s’effriter, sans compter les éventuels arbitrages auxquels procéderont nos concitoyens. Seule la taxation des contrats d’assurance santé responsables aura une certaine pérennité, mais cette mesure soulève d’autres questions, que j’ai déjà eu l’occasion d’évoquer devant la commission des affaires sociales, et sur laquelle nous reviendrons lors de la discussion du PLFSS.
Ce constat, auquel j’ajoute les propos des différentes personnalités que notre commission a entendues voilà quelques jours, nous a conduits à décider d’inscrire une clause de garantie dans la loi organique.
Cette clause signifie que les lois de financement devront, quoi qu’il arrive, assurer le respect de la règle organique d’affectation des recettes nécessaires au remboursement des dettes sociales reprises. Si les recettes affectées par le Gouvernement ne permettent pas le respect de cette règle, la loi de financement devra prévoir le moyen de combler la différence, par exemple par une augmentation automatique de la contribution pour le remboursement de la dette sociale, la CRDS, à défaut d’autres recettes. Si l’on décidait par exemple de rogner sur d’autres niches fiscales, le recours à la CRDS deviendrait inutile.
La commission des affaires sociales considère qu’il est impératif que la loi de financement pour 2011 garantisse le niveau de recettes nécessaire à la reprise des dettes qu’elle prévoira, et que cette garantie s’étende à toute la durée d’amortissement de la dette ainsi reprise. Chaque année, ensuite, les lois de financement successives vérifieront et assureront la réalité de cette garantie. Cette clause est pour nous essentielle, et je remercie le Gouvernement de l’avoir acceptée.
M. le ministre a par ailleurs indiqué qu’il ne remettrait pas en cause le second amendement que j’ai proposé, qui prévoit une clause de retour à bonne fortune. En effet, si la situation économique s’améliore, il nous appartiendra de nous imposer une plus grande rigueur en anticipant la date de fin de vie de la CADES. Je n’ai de cesse de l’affirmer devant la commission de la dette sociale : il me paraît impératif de nous engager, auprès de nos concitoyens, à nous désendetter le plus rapidement possible.
Mes chers collègues, si nous n’y prenons garde, la dette sociale pourrait devenir une « drogue dure ». Nous devons tout faire pour rompre cette dépendance au déficit, que la commission des affaires sociales du Sénat a toujours déplorée. Nous luttons contre toutes les formes de dépendances dans le cadre de l’assurance maladie, faisons de même pour la dette ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Jean-Jacques Jégou, rapporteur pour avis de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010, nous savions que nous devrions prendre cet automne des mesures concernant la gestion de la dette de la sécurité sociale. Ce que nous ignorions alors, c’est que nous devrions nous résoudre à repousser la date d’extinction de la fameuse CADES et à anticiper l’entrée en jeu du Fonds de réserve pour les retraites dès 2012.
L’année dernière, je dénonçais en séance publique l’attentisme du Gouvernement et notre manque de responsabilité collective envers les générations futures. Toutefois, je dois reconnaître que l’impact de la crise a profondément « pipé les dés », et que les mesures proposées aujourd’hui par le Gouvernement sont malheureusement, pour une partie d’entre elles, inévitables.
La reprise de la dette de la sécurité sociale et du Fonds de solidarité vieillesse se révèle cette année particulièrement complexe, compte tenu des montants de transfert envisagés en 2011, puis entre 2012 et 2018. Sur cette période, la CADES devrait reprendre 130 milliards d’euros, soit un montant de déficits quasi équivalent au montant des déficits transférés en quatorze ans, depuis la création de la CADES en 1996.
L’importance des déficits transférés soulève de nombreuses difficultés, au point de susciter un débat sur l’opportunité d’une reprise de la dette par l’État ou par une caisse spécifique, M. le ministre y a d’ailleurs fait allusion tout à l’heure. L’ampleur des déficits ne permet pas le refinancement de la dette par la seule augmentation des ressources de la CADES : il faudrait en effet 0,7 point supplémentaire de CRDS pour reprendre 80 milliards d’euros sans allonger la durée de vie de la Caisse, soit plus d’un doublement du taux actuel ! Je reconnais que, dans le contexte actuel, ce n’est soutenable. Ces questions compliquent le maintien du dogme présidentiel de non-augmentation des impôts, alors même qu’une vaste campagne de réduction des niches fiscales et sociales est envisagée.
Au total, la reprise de dette proposée cette année nécessite au moins l’adoption de trois textes législatifs, dont un de valeur organique, afin de permettre la prorogation exceptionnelle de la durée de vie de la CADES.
Le schéma financier du Gouvernement repose ainsi sur la mobilisation de trois leviers afin d’éviter une hausse trop brutale des prélèvements obligatoires. Comme l’a indiqué M. Alain Vasselle, ce schéma comprend, d’une part, l’allongement de la durée de vie de la Caisse et, d’autre part, l’augmentation de ses ressources grâce à la réduction de certaines niches fiscales et sociales et, à partir de 2012, par l’affectation du produit de la liquidation progressive des actifs du FRR et au transfert de la ressource de celui-ci à la Caisse.
Quelle appréciation porter sur cette proposition ? D’un point de vue technique, le présent projet de loi organique n’ouvre que des possibilités qui devront être confirmées lors de l’examen des projets de loi de financement de la sécurité sociale et du projet de loi de finances pour 2011.
Le principal sujet d’inquiétude concerne la nature des ressources affectées à la CADES, qui s’éloignent des fondamentaux ayant présidé à la création de celle-ci. En effet, comme l’année dernière, le Gouvernement n’a pas souhaité procéder à une augmentation de la CRDS. Je le regrette, car cette contribution a le mérite de matérialiser pour chacun d’entre nous le remboursement de ses dépenses passées de protection sociale.
Trois questions peuvent donc être posées : ces mesures sont-elles opportunes et pertinentes sur le fond ; sont-elles de nature à garantir le financement du remboursement de la dette sociale ; le produit de la réduction des niches ne devrait-il pas être affecté à la réduction des déficits de l’État ?
La commission des finances s’interroge sur les mesures constitutives du panier de recettes.
En ce qui concerne la suppression de l’exonération de la taxe spéciale sur les contrats d’assurance dont bénéficient aujourd’hui les contrats complémentaires santé dits « solidaires et responsables » et la création d’une taxation à un taux intermédiaire de 3,5 %, pour un rendement attendu de 1,1 milliard d’euros, deux observations s’imposent.
Première observation : même si le dispositif demeure incitatif pour les complémentaires, grâce à un taux d’imposition encore attractif, il existe néanmoins un risque de répercussion de cette charge nouvelle sur les assurés ; cette répercussion a d’ailleurs été annoncée. J’ajoute que ce secteur a déjà vu son régime fiscal s’alourdir ces dernières années. En 2009, notamment, la contribution des complémentaires santé au Fonds de financement de la couverture maladie universelle complémentaire, ou Fonds CMU-c, a déjà plus que doublé, passant de 2,5 % à 5,9 %.
M. Guy Fischer. C’est vrai !
M. Jean-Jacques Jégou, rapporteur pour avis. Par ailleurs, l’impact de cette mesure sur des dispositifs connexes – la couverture maladie universelle complémentaire et l’aide à l’acquisition d’une complémentaire santé – devra également être analysé avec attention.
L’assujettissement annuel aux prélèvements sociaux de la partie euros des contrats d’assurance vie multisupport soulève des difficultés techniques, la mesure tendant à nier le caractère global de ce type contrat et la nature incertaine des plus-values. Monsieur le ministre, peut-être aurons-nous l’occasion, lors de la discussion du projet de loi de finances par exemple, de démontrer la pérennité de cette disposition. Si tel devait ne pas être le cas, nous nous heurterions à des difficultés.
Cette mesure, dont le rendement attendu est d’environ 1,6 milliard d’euros, pourrait conduire au prélèvement de cotisations sur le rendement « euros » du contrat, y compris en l’absence in fine de produit, si la performance des unités de compte est mauvaise. En l’occurrence, nous sommes tributaires d’un marché boursier assez fluctuant, soumis à un mouvement de yo-yo !
En ce qui concerne, enfin, la création d’une taxe de sortie sur les sommes de la réserve de capitalisation des sociétés d’assurance, il convient de s’assurer que cette mesure, qui devrait rapporter 1,4 milliard d’euros, ne remet pas en cause l’engagement prudentiel de solvabilité envers les assurés. Si une telle taxe était mise en œuvre, les assureurs font valoir qu’il faudrait en tirer les conséquences en matière d’application des nouvelles règles issues de la transposition de la directive « Solvabilité II ». En effet, la réserve de capitalisation est comptabilisée dans la catégorie des quasi-fonds propres en l’état actuel des règles prudentielles issues de la directive « Solvabilité I ». En revanche, il est possible qu’elle ne soit pas entièrement intégrée dans la marge de solvabilité dans le cadre de la directive de « Solvabilité II ». Il appartiendra donc à la France de définir le rôle de cette réserve et sa qualification ou non de quasi-fonds propres.
Seconde observation : il faut s’interroger sur l’adéquation du niveau des nouvelles recettes aux besoins de la CADES pour assurer le refinancement de 130 milliards d’euros de déficit d’ici à 2025. Trois incertitudes doivent être mises en avant.
La première incertitude tient au fait que l’exposition au risque de taux de la CADES devrait s’intensifier à moyen terme pour deux raisons : d’une part, compte tenu du niveau actuel particulièrement bas des taux d’intérêt, une remontée de ces derniers paraît vraisemblable, sinon inéluctable, ce qui entraînera une augmentation du coût du portage de la dette ; d’autre part, cette augmentation risque d’être d’autant plus sensible que la reprise de dette actuellement envisagée induit un changement d’échelle pour la CADES. Je le répète : 130 milliards d’euros devraient lui être transférés, dont 68 milliards dès 2011. Or, il convient de noter que l’exposition au risque de taux s’intensifie juste après les reprises de dettes, compte tenu de l’importance des refinancements à court terme mis en place pour effectuer ces reprises.
L’augmentation sensible du coût de portage de la dette dans les années à venir pourrait ainsi contribuer à remettre en cause le niveau de ressources actuellement calculé par la CADES pour refinancer, d’ici à 2025, l’ensemble des déficits repris. Je rappelle à nos collègues de la commission des affaires sociales et à ceux de la commission des finances ici présents l’incertitude dont nous a fait part le M. Patrice Ract-Madoux sur la perspective d’une extinction de la dette en 2025, ou aux alentours de cette date, en fonction de la situation.
La seconde incertitude prend la forme d’une interrogation sur les conditions de liquidation des actifs du FRR. Le Gouvernement souhaite que la vente des actifs soit progressive, à raison de 2,1 milliards d’euros par an entre 2012 et 2024.
Si l’on peut considérer que cette somme n’est pas suffisamment conséquente pour modifier le comportement des marchés et leur anticipation, il convient toutefois de noter que l’objectif de résultat qui serait fixé – le versement de 2,1 milliards d’euros par an à la CADES – représente une contrainte plus ou moins forte en fonction de l’évolution des marchés, mais aussi du simple fait qu’il sera mécaniquement plus difficile d’atteindre ce « rendement » en fin de période.
Mme Nicole Bricq. C’est scandaleux !
M. Guy Fischer. On vend les bijoux de famille !
M. Jean-Jacques Jégou, rapporteur pour avis. Enfin, une troisième incertitude réside dans la structure du panier de recettes, qui ressemble en fait à un « panier percé ». Pour remplir de manière satisfaisante sa mission, la CADES doit pouvoir bénéficier, ainsi que l’a souligné M. le rapporteur général de la commission des affaires sociales, de recettes pérennes et dynamiques,…
M. Alain Vasselle, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Tout à fait !
M. Jean-Jacques Jégou, rapporteur pour avis. … à l’image de la CRDS et de la CSG, dont une fraction est depuis 2009 affectée à la Caisse. On en mesure aujourd’hui les conséquences.
L’augmentation de la CRDS étant, semble-t-il, exclue à court terme, …
M. Guy Fischer. Pas avant 2012 !
M. Jean-Jacques Jégou, rapporteur pour avis. … le Gouvernement proposera dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale ou dans le projet de loi de finances – nous connaîtrons cette année une espèce de dualité entre les deux textes – les trois mesures de recettes alternatives, que j’ai évoquées, qui permettront d’attribuer à la Caisse une somme annuelle de 3,2 milliards d’euros en 2011 et en 2012.
Aucune des mesures présentées ne possédant les mêmes caractéristiques que la CRDS en termes de pérennité et de dynamisme, le Gouvernement admet, comme l’a dit M. le rapporteur général de la commission des affaires sociales, qu’il sera nécessaire de revoir le schéma financier dès 2013…
Mme Nicole Bricq. Ah !
M. Guy Fischer. Voilà la vérité !
Mme Nicole Bricq. Se passerait-il quelque chose en 2012 ? (Sourires.)
M. Jean-Jacques Jégou, rapporteur pour avis. Il semblerait… (Nouveaux sourires.)
La lettre que M. le ministre du budget nous avait adressée a été reprise par la presse et a fait, si je puis dire, couler un peu d’encre…
Aucune des mesures présentées ne possédant les mêmes caractéristiques que la CRDS en termes de pérennité et de dynamisme, disais-je, le Gouvernement admet qu’il sera nécessaire de revoir le schéma financier dès 2013, si ce panier de recettes est adopté par le Parlement.
En effet, l’exit tax proposée sur la réserve de capitalisation n’aura pas d’impact au-delà de 2012 : c’est ce que l’on appelle « un fusil à un coup » ! Nous sommes pratiquement sûrs que l’assujettissement annuel aux prélèvements sociaux des compartiments en euros des contrats d’assurance vie multisupport devrait connaître un rendement décroissant à partir de 2012. Quant à la taxe spéciale sur les conventions d’assurance, la TSCA, à taux réduit sur les contrats complémentaires santé, si cette recette est effectivement pérenne, comme l’a rappelé M. le rapporteur général de la commission des affaires sociales, son rendement sera au mieux constant.
Mme Isabelle Debré, vice-présidente de la commission des affaires sociales. Eh oui !
M. Jean-Jacques Jégou, rapporteur pour avis. Aujourd'hui, il y a déjà un pourcentage non négligeable de personnes assurées. Les contrats solidaires et responsables sont largement répandus et ne peuvent se développer davantage. Au pire, ils pourraient même être décroissants, si la mesure entraîne une perte d’assiette consécutive à un renoncement à une couverture complémentaire pour les personnes les plus modestes.
M. Alain Vasselle, rapporteur général de la commission des affaires sociales. C’est un risque !
M. Jean-Jacques Jégou, rapporteur pour avis. La « fragilité » des recettes qui sont proposées est-elle acceptable ?
Si, comme on peut le craindre, les mesures ne répondent pas aux exigences de pérennité et de dynamisme souhaitées, il faudrait alors recourir à l’ordonnance du 24 janvier 1996, qui prévoit un mécanisme de correction en cas d’insuffisance des ressources. La commission des affaires sociales a proposé de renforcer cette contrainte en l’élevant au rang organique. Nous soutenons, bien évidemment, cette proposition et nous sommes également favorables à l’instauration d’une clause de retour à bonne fortune, qui a été acceptée par le Gouvernement.
La nature des recettes proposées est-elle de nature à entamer la confiance des investisseurs dans la CADES ? Je ne le pense pas, le statut de la Caisse, qui est un établissement public administratif, constituant une bonne protection. Cela a été confirmé par les membres de l’agence de notation qui ont été reçus par nos collègues de la commission des affaires sociales.
J’en viens à l’opportunité d’affecter 3,2 milliards d’euros de recettes nouvelles au refinancement de la dette sociale. Permettez à un membre de la commission des finances de s’interroger sur ce point, sur lequel nous reviendrons lors de la discussion du projet de loi de finances.
M. Jean Arthuis. Bien sûr !
M. Jean-Jacques Jégou, rapporteur pour avis. Le Gouvernement a fait de la réduction des niches sociales et fiscales son objectif pour 2011. Le rendement des différentes mesures qui seront proposées au cours de l’automne devrait avoisiner 10 milliards d’euros en 2011. Sur ce total, 6,9 milliards ont d’ores et déjà été fléchés en faveur de la sécurité sociale : 3,7 milliards d’euros sont alloués au financement de la réforme des retraites et 3,2 milliards d’euros sont affectés au financement du remboursement d’une partie de la dette sociale. Seuls 3,1 milliards d’euros pourront donc être consacrés à la réduction du déficit de l’État, ce que d’aucuns ont pu critiquer, compte tenu de l’importance de l’effort que nous devons consentir pour réduire le déficit.
Toutefois, face à l’impossibilité pour l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale de continuer à garantir le financement d’une partie de la dette sociale, l’affectation des 3,2 milliards d’euros au budget de l’État ne pourrait être envisagée qu’à la seule condition de relever le taux de la CRDS pour financer la dette sociale transférée à la CADES.
M. Guy Fischer. Et la CSG viendra après ! Vous vendez la mèche !
M. Jean-Jacques Jégou, rapporteur pour avis. Je laisse ce sujet à votre sagacité, monsieur Fischer !
Ce schéma n’est pas envisagé à l’heure actuelle, compte tenu de la volonté du Gouvernement de stabiliser plus ou moins la pression fiscale.
Au demeurant, les déficits de la sécurité sociale et la dette sociale étant respectivement une composante des déficits publics et de la dette publique, il y a peu d’intérêt à privilégier par principe telle ou telle composante.
De façon plus générale, je souhaite souligner que les mesures proposées, aussi nécessaires soient-elles, ne constituent pas des réponses structurelles à la question de la dette sociale.
Les déficits de la branche maladie à compter de 2012 ne sont pas traités. Or, les projections pluriannuelles présentées dans le dernier PLFSS soulignent l’importance des déficits de cette branche : ces derniers devraient s’élever à 12,5 milliards d’euros en 2012 et 11,6 milliards en 2013.
Le transfert des déficits à la CADES ne constitue pas une réponse optimale dans la mesure où il n’a aucun effet sur la dynamique de la dette et représente un risque de report de charges sur les générations futures, dont il est par ailleurs souvent fait état. (Mme Nicole Bricq s’exclame.)
L’enrayement de la dynamique de la dette appelle des changements de fond : la réforme des retraites devrait certes alléger la contrainte financière, mais il convient de souligner les charges futures annoncées au titre de la maladie et de la dépendance, compte tenu du vieillissement de la population.
M. Guy Fischer. On n’en parle pas !
M. Jean-Jacques Jégou, rapporteur pour avis. À ce titre, je me demande si l’enjeu ne sera pas encore plus important à partir de 2013.
Compte tenu de l’ampleur du transfert de déficit proposé, l’enjeu principal ne réside, en effet, pas seulement dans le choix du schéma de financement tel qu’il pourra être arrêté à l’automne pour les années 2011 et 2012. À partir de 2013, trois nouvelles questions se poseront.
La première a trait à la révision du panier de recettes, si celui-ci est voté cette année, compte tenu de ses faiblesses intrinsèques.
La deuxième concerne le début de la liquidation progressive des actifs du Fonds de réserve pour les retraites.
La troisième a trait à l’éventuel impact d’une remontée des taux d’intérêt sur le calendrier d’amortissement de la dette sociale. Eu égard à l’ampleur des transferts envisagés, une augmentation des taux pourrait, à elle seule, requérir un réexamen du montant des ressources affectées à la CADES, si l’on ne souhaite pas déroger une nouvelle fois aux contraintes organiques de non-prorogation de la durée de vie de la Caisse.
En conclusion, la commission des finances a donné un avis favorable à l’adoption de l’article 1er du présent projet loi organique dans la rédaction proposée par la commission des affaires sociales. Ce texte ouvre des possibilités. Il nous appartiendra, lors de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale et du projet de loi de finances, d’apprécier pleinement la pertinence du compromis proposé par le Gouvernement, d’évaluer le degré de bricolage ou de provisoire qu’il est possible d’accepter compte tenu de la situation actuelle de nos finances publiques.
M. Alain Vasselle, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Il est impossible de bricoler !
Mme Isabelle Debré, vice-présidente de la commission des affaires sociales. Le bricolage ne relève pas de la compétence législative !
M. Jean-Jacques Jégou, rapporteur pour avis. Cette dernière requiert, en effet, un délicat arbitrage entre le soutien à la reprise de la croissance économique et le nécessaire assainissement de nos déficits. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi organique soumis cet après-midi à notre assemblée n’est pas, selon nous, à la hauteur des enjeux qui se posent. Ces enjeux ne sont pas mineurs puisqu’il ne s’agit ni plus ni moins que de résorber la dette grevant actuellement les comptes sociaux et de permettre, si l’on s’en donne les moyens, à la sécurité sociale de renouer avec l’équilibre.
Avant d’en venir aux principales raisons qui vont motiver notre opposition à l’ensemble du texte, et qui se concentrent sur l’article 1er, je voudrais saluer – une fois n’est pas coutume – l’adoption par la commission des affaires sociales, à l’unanimité de ses membres, de l’amendement du Gouvernement devenu article 2 bis. (M. le ministre fait un signe d’assentiment.)
Cet article modifie la composition du conseil d’administration de la CADES en prévoyant la participation des partenaires sociaux.
Mme Isabelle Debré, vice-présidente de la commission des affaires sociales. Très bien !
Mme Éliane Assassi. Cette disposition, qui satisfait une demande récurrente de la Cour des comptes, constitue d’abord et avant tout un acte fort. Cela mérite d’être relevé, en particulier dans le contexte actuel, même si, je le souligne, on aurait pu choisir un autre vecteur qu’une loi organique.
J’ai d’ailleurs été étonnée d’apprendre que la commission des affaires sociales avait auditionné une agence de notation alors qu’elle n’avait pas reçu les organisations syndicales.
M. Guy Fischer. Ce n’est pas normal, c’est du parti pris !
Mme Éliane Assassi. Il nous semble pourtant qu’elles ont beaucoup à dire et elles auraient sans doute pu formuler quelques propositions intéressantes !
Cela dit, nous n’en tenons pas rigueur au rapporteur général,…
M. Alain Vasselle, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Je vous en remercie !
Mme Isabelle Debré, vice-présidente de la commission des affaires sociales. C’est louche !
Mme Éliane Assassi. Il n’y a jamais rien de louche avec moi, madame Debré, vous devriez le savoir ! Je disais donc que nous n’en tenons pas rigueur au rapporteur général, car il a eu connaissance des propositions concrètes de financement du Gouvernement presque en même temps que la presse.
Comment le blâmer de ne pas avoir auditionné les organisations syndicales alors que le Gouvernement, qui devrait être exemplaire en matière de dialogue social, a tout simplement choisi de ne plus réunir la Conférence des finances publiques depuis qu’il a créé la Conférence de la dette publique. La différence entre ces deux organismes n’est pourtant pas uniquement de nature sémantique, loin s’en faut, puisque la Conférence de la dette n’intègre pas les organisations syndicales. Certes, quelques personnalités syndicales y sont présentes, mais au titre d’autres mandats.
Et puis surtout, les missions des deux organismes sont radicalement différentes. En effet, si la Conférence des finances publiques a pour objet de réfléchir globalement sur les finances publiques ou sociales en traitant notamment des prélèvements et des solidarités, la Conférence de la dette publique n’aborde cette question que sous le seul angle de la réduction des dépenses, réduction qui constitue d’ailleurs, jusqu’à aujourd’hui, l’essentiel de votre politique en matière sociale.
Monsieur le ministre, si vous aviez été plus attentifs aux déclarations des partenaires sociaux, notamment des organisations syndicales, vous auriez sans doute pu vous rendre compte à quel point ce projet de loi organique est insuffisant. J’en veux pour preuve votre décision de transférer la dette sociale pour 2011 à la CADES, comme si cette dette était inéluctable ! Un tel renoncement est étonnant de la part d’un Gouvernement qui, dès lors qu’il s’agit de taxer les salariés, rechigne rarement, comme le confirme votre projet portant réforme des retraites. C’est bien simple : avec vous, ce sont toujours les mêmes qui doivent payer.
Le rapport annuel de la Cour des comptes, qui vient d’être rendu public, est à cet égard très intéressant. On y apprend par exemple que les documents qui servent à l’élaboration des lois de financement de la sécurité sociale pourraient être plus précis, et c’est peu dire… Ainsi, selon le PLFSS pour 2010, les niches sociales priveraient les comptes sociaux de 42 milliards d’euros, ce qui est déjà considérable. Mais la Cour des comptes estime pour sa part que le montant total serait plus proche de 62 milliards d’euros. Devant une telle différence, de 20 milliards d’euros, nous ne pouvons que nous interroger sur la sincérité des comptes qui nous sont présentés. L’actuel président de la Cour des comptes indique, dans une interview à la presse économique, que : « les coûts pour les finances publiques des niches sociales sont bien supérieurs à ceux figurant dans les précédentes lois de financement de la sécurité sociale ».
Vous me rétorquerez sans doute que vous avez fait des efforts, notamment avec la création du forfait social, la hausse des cotisations sur les stock-options et les parachutes dorés. Certes, mais ces quelques efforts ne compensent pas les mesures d’allègements et autres exonérations que vous avez prises depuis 2007. Le résultat est simple. Si l’on place sur la balance le total des recettes et des dépenses, il manque au moins un milliard d’euros : une perte sèche peu acceptable dans la situation actuelle.
Par ailleurs, le déficit augmente à une vitesse toujours plus élevée. Comme l’écrit le journaliste Rémy Janin : « Alors que, depuis plusieurs années, la dégradation des comptes était peu ou prou équivalente à 10 milliards d’euros chaque année, l’année 2009 marque une aggravation dans la mesure où le déficit cumulé passe de 11,9 milliards d’euros en 2008 à 25 milliards en 2009 ». Autrement dit, votre politique et la crise économique aggravent la situation. Car, mes chers collègues, la crise économique est passée par là et les 34 milliards d’euros qu’elle a coûté à la sécurité sociale – c’est-à-dire à nos concitoyens – devraient expliquer la situation actuelle. Or, la crise est le révélateur de l’inefficacité de votre politique sociale puisque vous vous êtes montrés dans l’incapacité d’impulser une véritable politique de l’emploi permettant d’empêcher les destructions massives de ces derniers mois.
En réalité, nous le savons, la sécurité sociale souffre d’un problème récurrent de financement, sciemment organisé, ai-je envie de dire ! Permettez-moi de reprendre à mon compte une déclaration de Nicolas Sarkozy sur les retraites,…
M. Guy Fischer. Nous avons de bonnes références !
Mme Éliane Assassi. … puisque ce qui vaut pour les retraites vaut également pour l’ensemble de notre système de protection sociale : « Tous les chiffres sont sur la table […] nous ne pouvons plus différer les décisions ». On ne saurait mieux dire ! Mais si l’on rapproche ces déclarations du présent projet de loi organique, l’on a un peu l’impression que vous avez du mal à passer de la parole aux actes.
Pourtant, les données sont connues. Selon la Commission européenne, la part des salaires dans la valeur ajoutée a chuté en France de 9,3 % entre 1983 et 2006 – soit l’équivalent de près de 100 milliards d’euros par an qui profitent au capital plutôt qu’au travail – tandis que sur la même période, la part des dividendes versés aux actionnaires grimpait de 3,2 % à 8,5 % du PIB et de 5 % à 25 % de la valeur ajoutée. À cela s’ajoutent les exonérations de cotisations sociales qui agissent comme de véritables trappes à précarité, tirant les salaires vers le bas alors que les exemptions d’assiettes sont accordées, quant à elles, sans aucune contrepartie.
Ces mesures, qui tendent toutes à diminuer le coût du travail, font aujourd’hui débat, notamment en comparaison de leur efficacité quantitative et qualitative en matière d’emploi.
En réalité, les exonérations générales de cotisation ne garantissent pas le maintien de l’emploi. Pire, elles participent à précariser l’emploi et creusent donc, elles aussi, les déficits sociaux.
Lorsque l’on se penche sur cette situation, l’on s’aperçoit que ce sont non pas les cotisations sociales qui augmentent le coût du travail, mais bel et bien les appétits des actionnaires, et ce contrairement à ce que le MEDEF voudrait nous laisser croire.
Entre 1993 et 2009, le volume des cotisations sociales a augmenté de 19 %. Or, dans le même temps, les revenus financiers des entreprises et des banques ont progressé de 143 % ! Mais, surtout, la part des produits financiers dans la valeur ajoutée des entreprises est désormais près de deux fois supérieure – 29 % contre 15 % – à celle des cotisations sociales.
C’est donc bien la financiarisation à outrance de notre économie qui plonge dans le rouge notre protection sociale, et non, contrairement à ce que vous voudriez, là encore, faire accroire, les droits sociaux qui seraient devenus trop lourds à porter. Tout au contraire, ces droits contribuent à la réussite des entreprises de notre pays puisque, faut-il le rappeler, la productivité des salariés français est l’une des meilleures au monde.
Mme Isabelle Debré, vice-présidente de la commission des affaires sociales. C’est vrai !
Mme Éliane Assassi. Face à ce constat, le groupe CRC-SPG est convaincu que les mesures que vous proposez ne sont pas suffisantes. Nous ne sommes d’ailleurs pas les seuls à le penser, puisque le président de la Cour des comptes estime qu’il faudrait réduire de 15 milliards d’euros les niches sociales ! Or, monsieur le ministre, vous vous contentez de proposer une réduction de 10 milliards d’euros, niches sociales et fiscales confondues.
Nous considérons qu’une meilleure répartition des richesses entre travail et capital, combinée au développement de l’emploi qualifié et rémunéré à sa juste valeur, permettra de répondre efficacement à l’enjeu du financement de notre modèle de protection sociale et préservera cet acquis à la fois précieux et libérateur.
En tout état de cause, j’indique d’ores et déjà que nous voterons contre ce projet de loi, mon collègue Guy Fischer vous exposera plus longuement tout à l'heure les raisons de notre opposition en défendant une motion tendant à opposer la question préalable. Quoi qu’il en soit, nous demandons qu’il soit procédé à un vote par scrutin public.
M. le président. Je vous rappelle, ma chère collègue, que le scrutin public est de droit pour le vote des projets de loi organique. Vous avez donc déjà satisfaction.
La parole est à M. Bernard Cazeau.
M. Bernard Cazeau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues : un texte majeur déposé au cœur de l’été, un ordre du jour du Sénat rapidement ajusté, une session extraordinaire, une procédure accélérée... tout laisse à penser qu’il y a urgence ! Et en effet, il y a urgence !
D’abord, il y a urgence sur le plan comptable. L’Agence centrale des organismes de sécurité sociale souffre d’une hypertrophie qui la rend particulièrement vulnérable à toute volatilité des taux d’intérêt sur les marchés financiers et, de ce fait, elle n’a plus guère la possibilité d’accumuler de nouveaux déficits.
Ensuite, il y a urgence sur le plan financier. La situation générale des finances publiques françaises inquiète au plus haut point les investisseurs internationaux, et, après avoir laissé flotter nos comptes pendant plus de cinq ans dans l’insouciance généralisée – M. le rapporteur pour avis en a fait état tout à l'heure –, il nous faut désormais donner des gages de maîtrise.
Ces évidences ne doivent pas masquer les raisons profondes qui vous conduisent aujourd’hui, monsieur le ministre, à proposer à la hâte une potion très amère qui combine reprise de la dette sociale, fiscalité nouvelle et pillage du Fonds de réserve pour les retraites en prévision des déficits futurs de l’assurance vieillesse.
Cette précipitation dans le calendrier et cette dureté dans les choix ne sont ni plus ni moins que le résultat de l’indécision passée et de la passivité des années écoulées. Nous saurons gré à M. le ministre d’assumer avec pragmatisme l’incurie de ses prédécesseurs, …
Mme Isabelle Debré, vice-présidente de la commission des affaires sociales. Vous êtes un peu dur !
M. Bernard Cazeau. … ce qui l’oblige à être un peu « l’homme des hausses d’impôt », pour reprendre son expression, sur laquelle il est d’ailleurs quelque peu revenu !
Nous n’oublierons pas pour autant la surdité permanente du Gouvernement aux recommandations formulées, dans cette enceinte, depuis près d’une décennie, notamment par les élus du groupe socialiste.
Désormais, que va-t-il se passer ? La dette sociale va s’alourdir, les impôts vont augmenter, ainsi que l’ont souligné nos collègues députés, le Fonds de réserve pour les retraites sera…
Mme Nicole Bricq. Siphonné !
M. Bernard Cazeau. … dénaturé !
Tout d’abord, vous créez les conditions d’un allongement de la durée de vie de la CADES. En d’autres termes, vous amorcez l’étalement dans les années à venir du remboursement des dépenses sociales d’hier et d’aujourd’hui.
L’orthodoxie financière veut que l’on s’endette pour investir, et c’est ce que je fais dans mon département. Mais, en France, en matière sociale, voilà neuf ans que nous nous endettons pour assumer des dépenses courantes. Pour illustrer mon propos, je prendrai l’exemple de la coûteuse campagne de vaccination contre la grippe A/H1N1, qui sera encore payée par le contribuable de 2025 !
L’allongement de la durée de la vie n’a pas de prix, me direz-vous ! Certes, et c’est une raison supplémentaire pour en supporter le coût en temps réel et cesser d’hypothéquer l’avenir !
Monsieur le rapporteur général, il n’est pas bon d’avoir raison trop tôt, …
M. Alain Vasselle, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Ah !
M. Bernard Cazeau. … mais il est heureux d’avoir raison un jour !
M. Bernard Cazeau. En 2007 à l’occasion de la parution d’un rapport d’information de la Mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale, la MECSS, sur l’évaluation de la dette sociale, que nous avons cosigné, nos deux groupes politiques étant parvenus à un consensus, …
Mme Isabelle Debré, vice-présidente de la commission des affaires sociales. Une fois n’est pas coutume !
M. Bernard Cazeau. … nous considérions qu’il était indispensable d’enrayer la mécanique structurelle de l’accumulation des déficits.
M. Alain Vasselle, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Je ne le conteste pas !
M. Bernard Cazeau. Le Gouvernement avait alors raillé notre pessimisme – vous aviez feint de ne pas vous en apercevoir – et notre incapacité à comprendre le formidable vent de croissance économique qui attendait le pays et viendrait éponger l’ardoise. La croissance devait revenir, et il ne fallait pas s’inquiéter…
Depuis, c’est l’inverse qui se produit : le niveau annuel moyen du déficit du régime général a été multiplié par deux, car le déficit de crise est venu amplifier le déficit structurel qui caractérise la sécurité sociale depuis huit ans.
Une chose est sûre : avec l’allongement de la durée de vie de la CADES, l’horizon de l’extinction de la dette sociale s’éloigne de nouveau et avec lui, ce qui est grave, la crédibilité de notre système de protection sociale. Et dire, monsieur le ministre, que l’ordonnance de création de la CADES prévoyait initialement l’extinction de celle-ci en 2009 ! Sous peu, nous serons renvoyés à 2025 ! La parole de votre majorité en ressort notoirement affaiblie.
En 2005, la main sur le cœur, vous durcissiez les règles de gestion de la CADES pour prévenir l’allongement de sa durée de vie. Cinq ans plus tard, placé au pied du mur, vous dérogez à vos propres principes !
Il est assez déconcertant de constater que ceux qui, hier encore, prétendaient apporter des limites à l’élargissement incessant des missions de la CADES s’apprêtent aujourd'hui à augmenter de 150 % le montant de la dette qu’elle doit amortir, en ajoutant 130 milliards d’euros aux 90 milliards d’euros actuels.
Distinguons rapidement les deux composantes de cette somme.
La première est une composante réalisée ou en passe de l’être : ce sont les 68 milliards d’euros de déficit cumulé du régime général entre 2009 et 2011, soit une moyenne annuelle de plus de 22 milliards d’euros, le double de la hausse enregistrée au cours de la période antérieure. Voilà la situation calamiteuse dans laquelle nous sommes ! Qu’il semble lointain le temps où les comptes sociaux étaient en équilibre… voilà maintenant près de dix ans, sous le gouvernement de Lionel Jospin !
M. Alain Vasselle, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Cela n’a pas duré longtemps !
M. Bernard Cazeau. Mais ce fut au moins le cas pendant deux ans, en 2000 et en 2001 !
La seconde est une composante anticipée : ce sont les 62 milliards d’euros de déficit à venir de la branche vieillesse et du Fonds de solidarité vieillesse sur la période 2011-2018.
Cette prévision résonne d’ailleurs comme l’aveu d’un double échec : celui de la loi Fillon, en 2003, et celui de la future loi Woerth, qui ne résoudra rien à court terme.
Bref, le texte que vous nous soumettez n’est ni plus ni moins que l’acte de condamnation de votre politique de gestion de la sécurité sociale depuis huit ans, politique qui se résume en trois mots : déficit, dette, dérive. À nos yeux, les dispositions que vous vous apprêtez à nous faire voter ne sont rien d’autre qu’une dérobade.
En outre, dans les textes qui nous seront soumis ultérieurement, vous prévoyez d’augmenter les impôts afin de faire face à l’obligation légale d’amortissement des dettes transférées à la CADES. Monsieur le ministre, appelons les choses par leur nom : la réduction de certaines niches fiscales n’est ni plus ni moins qu’une hausse déguisée de certains impôts !
Mme Nicole Bricq. Mais cela ne suffit pas !
M. Bernard Cazeau. Certes, nous n’en contestons pas la nécessité quantitative tant il y a urgence, mais nous nous interrogeons sur la cohérence, les conséquences et la fiabilité d’une telle action.
Parlons d’abord de la cohérence : singulière attitude que celle qui consiste à réduire le rendement de l’assurance vie pour un gouvernement dont le cœur de la politique économique consistait jusqu’alors à promouvoir l’épargne familiale et la constitution de patrimoines individuels pour se protéger des aléas de l’existence ! N’a-t-on pas lu et entendu qu’il fallait accroître le recours aux assurances individuelles en matière de santé, de retraite ou de dépendance ? Où se trouve la logique de vos choix ?
Parlons ensuite des conséquences : les récentes déclarations des assureurs au sujet de la nouvelle taxation des contrats d’assurance complémentaire santé responsables laissent à penser que les assurés paieront l’addition au travers d’une hausse des tarifs, comme l’a souligné Mme Éliane Assassi.
Mme Raymonde Le Texier. Évidemment !
M. Bernard Cazeau. Nous en avons déjà fait l’expérience dans le passé !
Parlons enfin de la fiabilité : de l’avis de nombreux experts, et ainsi que l’ont démontré certains de nos collègues de la majorité, les recettes que vous escomptez ne sont dans leur ensemble pas pérennes. Les deux tiers des prélèvements nouveaux que vous instaurez n’ont pas de rendement garanti au-delà d’un an.
Si l’on veut rester fidèle aux règles de la loi organique, il faut pallier, par d’autres impôts, les carences éventuelles des nouvelles taxes qui sont envisagées. C’est tout le sens de la clause de garantie que M. le rapporteur général de la commission des affaires sociales a proposé d’inscrire dans la loi, faisant ainsi preuve d’une grande sagesse et d’un sens aigu de l’anticipation, clause de garantie que vous avez d’ailleurs acceptée, monsieur le ministre.
Certains signes ne trompent pas. Devant tant d’incertitudes, pour évoquer ces nouvelles recettes, le directeur de la CADES a préféré parler devant nous de « points de CRDS » plutôt que de milliards d’euros, comme pour mieux marquer le caractère substituable de ces diverses catégories de prélèvements.
Bref, les impôts augmenteront bel et bien, sous une forme ou sous une autre !
Mmes Raymonde Le Texier et Nicole Bricq. Bien sûr !
M. Bernard Cazeau. On s’apprête à mobiliser les actifs et les ressources du Fonds de réserve pour les retraites non pas pour préparer le tournant démographique de 2020, comme cela devait être le cas, mais pour assurer le financement immédiat des déficits de l’assurance vieillesse à compter de 2011.
Quel paradoxe de constater que ce fonds, profitable, mais que vous avez tant décrié, que vous avez contribué à affaiblir depuis 2002, constituera le ballon d’oxygène indispensable à la réalisation de votre projet de réforme des retraites !
Cette main basse sur l’un des actifs publics les mieux gérés n’est rien d’autre qu’une fuite en avant doublée d’une opération politicienne.
Mme Raymonde Le Texier. Très bien !
M. Bernard Cazeau. On nous parle de réforme structurelle des retraites, on prétend vouloir solidifier le système, mais on prend prétexte de la conjoncture pour détourner de cet objectif une recette garantie et gagée. C’est à n’y rien comprendre ! La vérité, c’est plutôt qu’il est commode de profiter des économies réalisées depuis 1999 pour traverser la période difficile que nous connaissons.
Mme Raymonde Le Texier. Absolument !
M. Bernard Cazeau. Pour la cigale que vous êtes, la convoitise s’est muée en prédation !
Une fois encore, les générations actives sont trahies par cette invention puisqu’il est question de profiter immédiatement du milliard et demi d’euros de recettes annuelles du Fonds plutôt que de le laisser fructifier en prévision des départs à la retraite de la décennie 2020.
Mme Nicole Bricq. C’est honteux !
M. Bernard Cazeau. Nous reviendrons sans nul doute sur ce coup de force lors du débat sur le projet de loi portant réforme des retraites.
Monsieur le ministre, vous l’aurez compris : nous admettons vos motivations, mais nous n’excusons pas la situation.
Certes, et personne ne le nie, il y a la crise, qui a entraîné un effondrement des recettes. Mais il y a surtout une décennie d’échecs, de rendez-vous manqués, de laxisme budgétaire et d’irresponsabilité que nous ne pouvons passer sous silence et que nous avons d’ailleurs dénoncés lors de l’examen du projet de loi de finances.
Où sont les bénéfices des réformes Mattéi, Douste Blazy, Bertrand et Bachelot en matière d'assurance maladie ? Quels sont les résultats de la réforme des retraites de 2003 ?
La vérité est cruelle mais incontournable : ces politiques nous ont conduits au désastre,…
M. Jean Arthuis. La retraite à 60 ans !
M. Bernard Cazeau. … car elles ont en permanence considéré le déficit comme une porte de sortie, comme une échappatoire.
M. Jean Arthuis. La retraite à 60 ans !
M. Bernard Cazeau. Pour des motifs essentiellement électoraux, elles ont menti aux Français sur le prix véritable de notre système collectif de santé et de retraite.
Lors de la discussion du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2011, nous verrons si vous prenez la mesure de la situation et si vous envisagez, enfin, des mesures susceptibles de garantir l'avenir de la protection sociale. Au vu du texte que vous nous soumettez, il semble bien que tel ne sera pas le cas puisque vous vous apprêtez à cacher la poussière sous le tapis ! (M. le rapporteur général s’exclame.)
Une fois encore, nous ne pourrons que regretter que le calendrier électoral l'emporte à la fois sur les grands choix de gestion et sur la responsabilité politique. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme le rapporteur général de la commission des affaires sociales, M. Alain Vasselle, l'a souligné : l'heure de vérité est arrivée. Il estime en effet à raison qu’ « il importe à la fois plus que jamais de préserver la crédibilité du processus de remboursement de la dette sociale tout en s'interdisant d'en reporter trop massivement le poids sur les générations suivantes ».
M. Alain Vasselle, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Très bien !
M. Aymeri de Montesquiou. C'est le cœur du problème. La dégradation exponentielle de nos finances publiques est extrêmement inquiétante. Une crise économique et financière mondiale sans précédent a, du fait de l'augmentation du chômage, considérablement creusé des déficits qui préexistaient sur le plan structurel.
Comme l'a constaté Michel Pébereau dans son rapport sur la dette publique publié en 2005, « le choix de la facilité, depuis 25 ans, est la principale explication du niveau très préoccupant de notre dette publique. […] Le travers collectif [est] d’interpeller l'État pour apporter une réponse financière à chaque difficulté », ce qui conduit à une accumulation déraisonnable des dépenses.
La gestion de la dette sociale est un sujet très technique et complexe, mais également éminemment politique. La dette sociale est une « composante dynamique de la dette publique », comme le souligne à juste titre M. Jean-Jacques Jégou, et ce dynamisme est très inquiétant. En 1999, la dette sociale représentait 5,6% de la dette publique, soit 45,3 milliards d’euros rapportés à une dette de 804,6 milliards d’euros. Ce taux est passé à 10,5% en 2009, soit 155,8 milliards d’euros rapportés à une dette de 1 489 milliards d’euros.
La question sera traitée dans quatre textes différents : le présent projet de loi organique, le projet de loi de financement de la sécurité sociale, le projet de loi de finances et, pour partie, le projet de loi portant réforme des retraites.
Ce projet de loi organique, qui revêt donc une certaine solennité, est examiné en urgence, aujourd’hui procédure accélérée, mais aussi, je le crains, avec une urgence qui confine à la précipitation. Je ne pendrai qu’un exemple : la commission a procédé le matin à l’audition des personnes compétentes et, l’après-midi même, à l’examen du rapport !
M. Guy Fischer. C’est exact !
M. Aymeri de Montesquiou. C'est tout à fait anormal, surtout lorsqu’il s’agit de questions qui ont une telle incidence sur les finances publiques.
Le Gouvernement a identifié trois composantes de la dette – la dette de crise, la dette structurelle et les déficits d'assurance vieillesse – et il apporte une réponse différente pour chaque composante.
En définitive, ce projet de loi n'est organique que parce qu’il vise à lever le verrou qui interdisait d’allonger l’existence de la CADES, créée en 1996, et dont le mandat devait expirer en 2009.
L'article 1er du texte prévoit un allongement de la durée de vie de la CADES de quatre ans, de 2021 à 2025, afin de résorber la dette de crise, estimée à 34 milliards d'euros. Je souhaite que la clause de retour à bonne fortune proposée par M. le rapporteur général de la commission des affaires sociales entre en vigueur.
Pour répondre à la dette structurelle, le Gouvernement prévoit des ressources nouvelles dégagées par la suppression de certaines niches fiscales et sociales et par la taxation des compagnies d'assurances. Ces ressources devraient également s’élever à 34 milliards d'euros. Toutefois, ce panier étant constitué en partie de recettes ponctuelles et de recettes « à un coup », nous ne pouvons éluder la question de la pérennité des ressources.
Enfin, pour financer les déficits de l'assurance vieillesse, on mobilise le Fonds de réserve pour les retraites avant même sa création, ce qui me paraît pour le moins aléatoire.
Toutes ces mesures sont dispersées dans plusieurs textes budgétaires, dont les plus importants n'ont pas encore été élaborés, ce qui rend très difficile une vision globale de la réforme.
L’augmentation de la CRDS constituerait quant à elle une solution pérenne et qui nous permettrait de faire face au remboursement d'une dette sociale qui est de notre fait, et dont nos enfants ne sont pas responsables. C'est la solution que préconise M. Alain Vasselle depuis maintenant plusieurs années, et j’y suis favorable, …
M. Alain Vasselle, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Merci !
M. Aymeri de Montesquiou. …car tôt ou tard, il faudra faire face à la réalité et, malheureusement, augmenter les prélèvements obligatoires pour réduire notre dette.
En ce qui concerne la méthode, il faut supprimer le recours à l'ACOSS, qui a pour mission de financer les découverts de trésorerie et non d'amortir la dette accumulée, cette dernière mission relevant de la CADES.
En conclusion, comme je l’ai souvent indiqué du haut de cette tribune, il faut dire la vérité aux Français ! La crise mondiale a fait enfin prendre conscience à nos concitoyens, et à certains parlementaires, de la gravité de la situation de nos finances publiques et de l’urgence d’y remédier afin de ne pas faire porter la charge de nos dettes aux prochaines générations.
Je partage là encore l'analyse de Michel Pébereau qui considère que seule une large information de l'opinion publique pourrait mettre fin à la mauvaise habitude d’interpeller l'État dans l’espoir d’obtenir un secours financier, et faire enfin prévaloir l'intérêt général.
Bien que regrettant la disharmonie de la solution proposée et souhaitant une vision globale et cohérente de la résorption de notre dette publique, je ne peux, malgré tout, que soutenir un texte qui vise à réduire notre dette sociale devenue abyssale. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. François Baroin, ministre. Je demande aux orateurs qui ne sont pas encore intervenus dans la discussion générale de bien vouloir m’excuser, mais je dois participer – je les avais informés de cette obligation – à une importante réunion d’arbitrage. Je ne pourrai donc ni entendre leur propos ni, a fortiori, leur répondre en personne. M. Henri de Raincourt se chargera d’apporter des éléments de réponse à leurs interventions.
M. le rapporteur général de la commission des affaires sociales m’a demandé de lui expliquer comment le Fonds de réserve pour les retraites pourra reprendre une dette de 62 milliards d’euros par deux transferts en provenance du FRR : 2,1 milliards d’euros d’un côté et 1,5 milliard d’euros de l’autre.
Ce projet n’est pas « l’enfant trouvé » de la résorption de la dette sociale. Avant d’être validé, il a été examiné par le directeur et par le conseil d’administration de la CADES : il n’y a aucun tour de passe-passe.
D’un point de vue technique, il sera procédé à un transfert annuel de 2,1 milliards d’euros du FRR vers la CADES jusqu’en 2024, pour un montant d’une trentaine de milliards d’euros. Par ailleurs, un prélèvement de 1,5 milliard d’euros sur le patrimoine du FRR sera également affecté à la CADES chaque année, pour un peu plus de 20 milliards d’euros. Les 62 milliards d’euros dus au titre de la dette sur les retraites seront repris en sept ans, ce qui, du point de vue de la règle organique, correspond à un versement de 54 milliards d’euros fait aujourd’hui. Il ne s’agit donc pas, monsieur Cazeau, de cacher la poussière sous le tapis !
M. Guy Fischer. Oh !
M. François Baroin, ministre. En termes de méthode, je ne vois pas comment j’aurais pu travailler dans une plus grande transparence avec la représentation nationale, qu’il s’agisse de la définition de nos travaux communs au sein de la commission de la dette sociale, de la fixation du calendrier partagé ou de la rédaction de l’exposé des objectifs. Toutes les informations ont été transmises sous forme « scripturale », comme certains d’entre vous l’ont rappelé non sans malice. Néanmoins, cette responsabilité collective nous appartient.
M. Vasselle regrette le caractère « court-termiste », si je puis m’exprimer ainsi, du financement de la CADES. Je ne partage pas cette analyse. Garantir pour 2011 et 2012 les éléments qui permettent à la CADES de résorber la dette de crise ne ressemble en rien à une politique de court-terme. C’est au contraire tirer un trait sur une période douloureuse, qui a laissé des cicatrices dans nos finances publiques, en particulier dans nos comptes sociaux. Il s’agit donc d’une perspective au long cours qui nous permettra, en quelques années, d’absorber les deux exercices déficitaires exceptionnels, au sens fort du terme, qui ont provoqué l’effondrement des recettes de la CADES.
Par ailleurs, nous poursuivons la politique de réduction des niches fiscales. On reproche souvent au Gouvernement son manque de sincérité lorsqu’il prétend ne pas augmenter les impôts alors que, dans le même temps, il réduit de 10 milliards d’euros les allègements fiscaux consentis au titre des niches sociales.
Comme j’ai déjà eu l’occasion de l’indiquer, et je continuerai à le faire dans les semaines à venir, je considère qu’il y a une grande différence entre une augmentation des impôts et une réduction des avantages fiscaux. Cette inversion des valeurs est curieuse. Certains considèrent que l’État devrait garantir pour l’éternité des exonérations qui constituent pourtant une dépense pour lui, même si elle prend une forme fiscale, différente de l’octroi d’une subvention ou d’une intervention.
Il faut reconnaître que nous avons parfois « arrosé le sable », mal maîtrisé le développement de ce qui devient des guichets et coûte des milliards d’euros. Tous les secteurs doivent être revisités à l’aune de la nouvelle trajectoire prise en matière de finances publiques, des stigmates budgétaires dus à la crise et de l’objectif intangible de réduire de deux points notre déficit dès l’année prochaine. Cela devrait nous permettre de revenir en 2013 au niveau de déficit que nous connaissions avant la crise. Il faut d’ailleurs inscrire cette trajectoire dans la durée, nous projeter au-delà de 2013 et nous fixer un objectif d’équilibre budgétaire.
La semaine dernière, j’ai rencontré mes homologues allemand et britannique et force est de constater que nous sommes désormais tous engagés dans une logique d’équilibre budgétaire. Des choix sont donc nécessaires. C’est pourquoi le Gouvernement propose aujourd’hui au Sénat d’assurer le financement de la CADES, et à l’Assemblée nationale d’en faire autant en matière de retraites. Dans quelque temps, il reviendra devant vous avec le projet de loi de programmation des finances publiques, avec le projet de loi de financement de la sécurité sociale et avec le projet de loi de finances pour 2011. Ensuite, nous complèterons le dispositif. Je souhaite bien évidemment que nous continuions à travailler avec assiduité à la réduction des niches fiscales.
Avec quelque 130 milliards d’euros de dette reprise par la CADES – principalement 75 milliards d’euros d’un côté et 45 milliards d’euros de l’autre –, et compte tenu des perspectives, le Gouvernement peut ne pas opter pour une augmentation des impôts. Nous souhaitons prendre appui sur la réduction des niches fiscales, qui étaient perçues comme des acquis sociaux ou fiscaux alors qu’elles ne constituent que des exonérations temporaires visant à « booster » tel secteur économique particulier. Il n’est pas question, je le répète, d’augmenter les prélèvements.
Je suis persuadé qu’une augmentation de la CRDS aurait pu faire l’objet d’un consensus, tant Sénat qu’à l’Assemblée nationale. Mais le Gouvernement ne fait pas ce choix. D’autres solutions vous seront proposées afin d’atteindre l’objectif, partagé, de résorption de la dette sociale.
M. Jean-Jacques Jégou m’a interrogé sur la question de la couverture maladie complémentaire et de la taxe spéciale sur les contrats d’assurance. Les organismes de protection complémentaire sont en bonne santé financière. Les compagnies d’assurance devraient être en mesure d’assumer la contribution supplémentaire qui leur sera demandée. Les avantages fiscaux sont réduits, certes, mais ils subsistent. Malgré le contexte de sortie de crise, je suis persuadé que les assureurs pourront s’inscrire dans une logique de partage des responsabilités en accompagnant l’amélioration de la situation des finances publiques.
Le Gouvernement, je n’ai de cesse de le répéter, a choisi de ne pas augmenter les impôts. Il est possible que les prestataires d’assurance s’inscrivent dans une logique inverse. Je considère qu’il existe une grande différence entre un contribuable et un usager du service public, entre un administré et un attributaire de prestations de service public…
M. Guy Fischer. C’est évident !
M. François Baroin, ministre. … une grande différence aussi entre ce qui relève de l’accompagnement de démarches privées et de choix d’intérêt général. Nous ne parviendrons sans doute jamais à nous accorder sur ce sujet, ni sur le plan local, ni à l’échelon national.
Vous faites le choix de la facilité en proposant de recourir au levier fiscal pour réduire les déficits en matière de retraite et pour financer la CADES.
Pour notre part, nous choisissons un chemin plus exigeant, plus rigoureux et méthodique, plus précis et adapté à l’évolution de la situation. Il convient en effet de travailler d’abord et avant tout sur la dépense. Ensuite, le système économique lui-même s’organisera.
Concernant les réserves de capitalisation, monsieur Jégou, les échanges techniques sont en cours entre les services de l’État et les assureurs. Bien évidemment, une adaptation aux nouvelles contraintes de Solvabilité II interviendra, contraintes que vous avez évoquées à juste titre concernant l’évolution du système de protection faisant l’objet d’un consensus européen.
Monsieur Cazeau, je vous ai écouté avec attention. Les sourires que vous avez pu apercevoir sur le banc du Gouvernement ne résultaient pas directement de vos propos. Ils provenaient simplement de la constatation que j’avais déjà faite tout à l’heure de la facilité avec laquelle vous vous laissez entraîner – permettez-moi de vous le dire avec tout le respect que je vous dois – à une certaine démagogie. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.) Selon vous, le Gouvernement, qu’il s’agisse des retraites, de la CADES ou de la loi de finances ne présenterait que des projets non cohérents avec l’évolution de nos finances publiques.
M. Bernard Cazeau. MM. Jégou et Vasselle sont donc démagos ?
M. François Baroin, ministre. Pour ma part, j’attends de connaître la position des socialistes sur les retraites… Sans doute cela viendra-t-il un jour ! Pour le moment, je n’ai relevé qu’incohérences et contradictions. Étant de culture parlementaire, j’attends avec respect les contrepropositions que vous pourriez formuler dans le cadre de la discussion budgétaire, ce qui vous donnerait l’occasion d’assumer vos responsabilités.
Je ne comprends pas la ligne de la Rue de Solférino. Qui a raison ? M. Strauss-Kahn ? M. Hollande, qui souhaite une augmentation de la fiscalité ? Mme Royal, qui nous dit qu’on va raser gratis ? Mme Aubry, qui tente, tant bien que mal, de trouver une synthèse ?
Mme Raymonde Le Texier. Et ça, ce n’est pas de la démagogie ?
M. Guy Fischer. C’est de la provocation !
M. Bernard Cazeau. Regardez votre propre famille politique !
M. François Baroin, ministre. Nous sommes désormais dans un temps de responsabilité partagée. Le Gouvernement prend ses responsabilités, prenez les vôtres ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Marie-Thérèse Hermange.
Mme Marie-Thérèse Hermange. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au nom du groupe UMP, je tiens à saluer une nouvelle fois le travail approfondi de notre collègue rapporteur général Alain Vasselle.
Oui, notre pays se trouve dans une bien mauvaise situation au regard de ses comptes sociaux. Fin 2010, les déficits cumulés du régime général et du Fonds de solidarité vieillesse atteindront 53 milliards d’euros. Cet état d’endettement fait peser les déficits sur les générations futures et, à terme, met en péril notre système de sécurité sociale.
Une telle dégradation de nos finances publiques n’est pas irréversible, mais nous devons prendre dès maintenant des mesures crédibles et durables, structurelles, comme vient de le dire M. le ministre, en faveur de leur redressement, pour éviter qu’elles ne le deviennent.
C’est pourquoi notre majorité juge nécessaire d’agir au plus vite en faveur d’un retour à l’équilibre des comptes sociaux. Selon notre groupe, il convient d’approuver le projet de loi organique qui est soumis aujourd’hui à notre examen, ainsi que l’ensemble des autres dispositifs que le Gouvernement prévoit de mettre en œuvre pour redresser nos comptes sociaux.
Dans son plan de financement, le Gouvernement prévoit de résorber la dette sociale en agissant au moyen de trois leviers : premièrement, l’allongement de la durée de vie de la CADES ; deuxièmement, la mobilisation des actifs et recettes du Fonds de réserve pour les retraites ; troisièmement, l’affectation de 3,2 milliards d’euros de recettes nouvelles pour contenir la dette structurelle.
Comme nous l’a rappelé M. le ministre, ce choix est motivé par des questions d’« équité intergénérationnelle et de justice sociale », afin de « faire supporter par les générations actuelles d’actifs et de retraités le poids des déficits structurels ».
Je reviendrai uniquement sur les deux premiers points, le troisième devant faire l’objet d’un débat lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale.
Concernant le premier point, à savoir l’allongement de la durée de vie de la CADES, le projet de loi organique déroge exceptionnellement au principe posé par la loi organique relative aux lois de financement de la sécurité sociale du 2 août 2005, qui interdit de transférer de nouvelles dettes à la CADES sans lui affecter parallèlement les ressources nécessaires.
Comme l’a souligné M. Alain Vasselle, cette mesure est non seulement « nécessaire pour une question de principe », mais surtout « ne remet pas en cause ce principe », car elle est limitée le plus possible dans le temps.
La dérogation prévue par l’article 1er du projet de loi organique est ainsi autorisée jusqu’en 2025. Espérons qu’elle ne perdurera pas au-delà de cette date !
Ces quatre années d’allongement permettront de reprendre un peu plus de 30 milliards d’euros de dette, et ce sans accroissement des recettes affectées à la CADES. Autrement, il aurait fallu prévoir un doublement de ces recettes et, donc, une augmentation substantielle du taux de CRDS.
Le projet de loi prévoit, ensuite, le transfert à la CADES des actifs et recettes du Fonds de réserve pour les retraites. Rappelons que Lionel Jospin, lorsqu’il a créé ce fonds en 2000, exprimait sa « volonté d’affirmer et de garantir la solidarité entre générations ». C’est bien dans cet esprit que le Gouvernement a jugé ce transfert nécessaire au regard de notre situation d’endettement, amplifiée par la crise.
Fidèles à notre esprit de responsabilité, pragmatiques face aux risques de faillite qu’encourt notre système social, nous regardons la réalité en face. Et cette réalité, mes chers collègues, c’est que le déficit actuel de la branche vieillesse est d’ores et déjà celui qui était prévu pour 2030. C’est pourquoi nous soutenons cette mesure, qui permettra de financer les déficits de l’assurance vieillesse jusqu’en 2018.
Par ailleurs, la majorité approuve l’article 2 du projet de loi organique, qui vise à améliorer l’information du Parlement. Nous sommes favorables à l’examen par les deux assemblées de la situation patrimoniale des organismes chargés du financement de la sécurité sociale. Outre le tableau d’équilibre que nous approuvons dès à présent, nous aurons l’occasion d’étudier le tableau patrimonial – Marc Laménie soulignait ce point en commission des affaires sociales –, qui retracera la situation de l’ensemble des actifs et passifs de ces organismes. Nous ne pouvons que nous réjouir de cette disposition, qui améliore l’information des parlementaires.
Enfin, nous soutenons l’initiative de M. le rapporteur général visant à donner à la représentation nationale un meilleur éclairage sur l’élaboration de l’Objectif national des dépenses de l’assurance maladie.
Pour l’ensemble de ces raisons, le groupe UMP, dans sa majorité, votera ce projet de loi organique relatif à la gestion de la dette sociale. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Jean Arthuis.
M. Jean Arthuis. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le groupe de l’Union centriste tient à remercier le Gouvernement de nous proposer des dispositions tendant à assurer le financement de la dette sociale. Le texte que nous examinons signe sans doute la fin de l’attentisme qui a prévalu jusqu’à présent.
L’exercice auquel nous nous livrons, les propos du ministre, ceux du rapporteur général de la commission des affaires sociales et du rapporteur pour avis de la commission des finances nous ont parfaitement éclairés sur le caractère aussi grave que pathétique de la situation de nos finances sociales.
Nous assistons en effet à une sorte de montée inexorable des déficits. On avait cru en 1996, lors de la mise en place de la CADES, que ceux-ci étaient liés à la grave crise de 1993 et donc exceptionnels. Or nous sommes aujourd’hui confrontés à une progression qui paraît presque inexorable. À la vérité, il s’agit d’un grave sujet de solidarité intergénérationnelle. Si l’on peut admettre que l’on s’endette pour investir, qui peut prétendre que le déficit social soit finançable par le recours à l’emprunt ?
Puis-je rappeler que la CADES s’est vu transférer, depuis sa création jusqu’à aujourd’hui, un peu plus de 130 milliards d’euros de dettes et qu’elle est parvenue à en rembourser un peu plus du tiers. Aujourd’hui, à titre prévisionnel, pour la période 2011-2018, nous lui affectons de nouveau 130 milliards d’euros, en espérant que les déficits des régimes de retraite réformés n’engendreront, de 2012 à 2018, que 62 milliards d’euros de déficit.
Dès lors, nous voyons se profiler le spectre d’une sorte de dette perpétuelle. Le mécanisme imaginé par le Gouvernement prévoit, d’une part, d’adosser la dette sociale sur le Fonds de réserve pour les retraites, consommant ainsi par anticipation les crédits dont nous aurons besoin à l’échéance 2020, lorsque se produira le choc démographique, et, d’autre part, d’attribuer à la CADES quatre années de vie supplémentaire, afin de prendre le temps d’éponger la dette et, je l’espère, de la faire disparaître.
Je ne reviendrai pas sur les mécanismes qui ont été amplement décrits à cette tribune. Au demeurant, il nous apparaît que ce projet de loi organique n’est pas à la hauteur des enjeux. Je l’ai dit, la consommation anticipée, étalée sur les quinze années qui viennent, du capital accumulé par le Fonds de réserve pour les retraites, lequel, par ailleurs, n’a été financé que par du déficit public, ne permettra pas de faire face au choc démographique qui se profile à l’horizon 2020.
Par ailleurs – première interrogation –, qui peut imaginer que, à compter de 2013, la branche santé et la branche famille seront équilibrées et n’auront pas besoin de recourir de nouveau à l’endettement ?
Deuxième interrogation : que penser de l’annonce de certaines concessions concernant la réforme des retraites, lesquelles devraient se traduire par un supplément de charges de l’ordre de 1 milliard d’euros ? Cette somme viendra par conséquent s’ajouter au déficit prévisionnel du régime des retraites de 2013 à 2018.
La taxation des réserves de capitalisation des sociétés d’assurance n’aura d’effet qu’en 2011, si le Gouvernement décide d’utiliser ce prélèvement intégralement à cette date. Peut-être celui-ci sera-t-il étalé sur 2011 et 2012. Toutefois, il n’y aura rien pour 2013, sauf à accroître ce prélèvement.
De même, les prélèvements sociaux sur les contrats d’assurance-vie multi-supports sont censés engendrer un sursaut de ressources. Convenons que le système est assez complexe, car le terme de « multi-supports » implique une référence à la valeur d’actifs boursiers. Or nous ne sommes pas sûrs que les plus-values soient telles qu’elles entraînent, chaque année, le paiement d’un impôt. Par ailleurs, on le voit bien, si on anticipe la perception de cette ressource, celle qui était en vigueur jusqu’à maintenant ne va pas tarder à s’étioler. Par conséquent se posera immanquablement le problème du financement de l’amortissement de la CADES à compter de 2013.
De même, cela a déjà été dit, on ne peut pas écarter un risque de taux, lequel, s’il venait à se manifester, serait naturellement tout à fait préjudiciable aux capacités d’amortissement de la dette sociale.
Concernant la taxe sur les conventions d’assurance des « contrats santé responsables », il s’agit de corriger une niche fiscale. En effet, un taux de 3,5 % leur serait institué, alors que le taux du régime commun est de 7 %. Toutefois, il faut espérer que l’institution de cette taxe ne portera pas atteinte aux conventions d’assurance conclues par les mutuelles, faute de quoi l’assiette viendrait à se rétrécir.
J’ai écouté attentivement François Baroin nous rappeler, avant qu’il ne soit contraint de prendre congé du Sénat, les termes de la politique conduite par le Gouvernement. Nous partageons sa volonté de réduire les déficits publics et de résorber progressivement ces niches fiscales qui sont autant d’atteintes au pacte républicain. Nombreuses, non seulement elles coûtent cher – 75 milliards d’euros –, mais encore elles créent de la complexité et suscitent des opérations d’optimisation fiscale qui, parfois, frisent l’abus de droit et le scandale. Si elles atteignent parfois leur objectif, tel n’est pas toujours le cas et, dès lors, elles entraînent un gâchis des fonds publics et créent une sorte d’inégalité des Français devant l’impôt. En outre, j’ai la conviction qu’elles perturbent considérablement la fixation des prix, l’avantage fiscal étant capté par le fournisseur.
Avec le Gouvernement, nous convenons qu’il faut réduire toutes ces niches fiscales, mais je voudrais être bien certain qu’il n’y aura pas de découplage entre l’annonce et les propositions qui seront soumises au Parlement.
Mme Christiane Demontès. Ça… !
M. Bernard Cazeau. Comptez là-dessus !
M. Jean Arthuis. À cet égard, monsieur le ministre, permettez-moi de vous dire que, dans la mesure où la CRDS a été créée pour amortir la dette sociale, ce n’est pas trahir l’exigence de solidarité intergénérationnelle que d’en augmenter quelque peu le taux.
Mes chers collègues, souvenez-vous-en, voilà un an, nous défendions ensemble, tant en commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur général, qu’en commission des finances, monsieur le rapporteur pour avis, l’idée d’une augmentation de 0,15 % du taux de la CRDS. Si nous avions obtenu gain de cause, il eût été possible d’affecter 20 milliards d’euros à la CADES plutôt que de les faire supporter, depuis lors, par l’ACOSS. Toujours est-il que le Gouvernement s’était opposé à cette suggestion, probablement, monsieur le ministre – j’en fais l’hypothèse – parce que celle-ci aurait eu pour conséquence d’entamer le bouclier fiscal. C’est la raison pour laquelle nous devrons ouvrir de nouveau le débat sur le bouclier fiscal au moment de l’examen du projet de loi de finances pour 2011.
M. Guy Fischer. Il faut le supprimer ! (Sourires.)
M. Jean Arthuis. Oui, il faut le supprimer, mon cher collègue, mais il faut le supprimer parce qu’il est injuste, parce qu’il s’applique non pas au revenu de référence, mais au revenu fiscal, c’est-à-dire après déduction d’un certain nombre d’abattements et de niches fiscales. Cela étant, monsieur Fischer, dans la mesure où c’était une mauvaise réponse au très mauvais impôt qu’était l’ISF, je compte sur vous pour demander la suppression tout à la fois du bouclier fiscal et de l’impôt de solidarité sur la fortune.
M. Guy Fischer. Bien sûr… (Sourires.)
M. Jean Arthuis. Et, pour accroître encore un peu les ressources budgétaires, je vous proposerai également d’instituer une tranche supplémentaire d’impôt sur le revenu à 45 % (Mme Catherine Procaccia applaudit.) et de revisiter le barème d’imposition des plus-values mobilières et immobilières, au nom de la justice fiscale.
Mme Raymonde Le Texier. Allons-y !
Mme Christiane Demontès. Chiche !
M. Jean Arthuis. Ainsi que l’ont souligné M. le rapporteur général et M. le rapporteur pour avis, nos procédures de discussion budgétaire ne nous permettent guère d’avoir une vision globale de la situation des finances publiques ; c’est pourquoi il conviendrait peut-être d’examiner les ressources procurées par les prélèvements obligatoires sociaux et fiscaux dans un article d’équilibre unique. Pour ne citer que cet exemple, il y a fort à parier que, cette année, nous discuterons de certains aspects de l’assurance vie dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale et de certains autres dans le cadre du projet de loi de finances.
Mes chers collègues, nous sommes là dans l’incohérence, et nous devons nous préparer à réviser nos procédures de discussion.
M. Guy Fischer. On est d’accord !
M. Jean Arthuis. Je le répète, nous aurons une vision plus complète des choses, nous serons plus en mesure d’apprécier la cohérence de ce que nous votons si le Gouvernement nous présente un article d’équilibre unique pour l’ensemble des prélèvements obligatoires.
Toujours est-il, monsieur le ministre, que le principal problème, c’est celui de la croissance, et la croissance, c’est la compétitivité !
M. Jean Arthuis. Tant que les branches santé et famille seront financées par des cotisations assises sur les salaires, ces cotisations s’apparenteront à des impôts de production et accéléreront les mouvements de délocalisation d’activités et d’emplois.
M. Jean-Paul Virapoullé. Tout à fait !
M. Jean Arthuis. Le débat sur la réforme à engager dans ce domaine n’a que trop tardé. Ce n’est qu’ainsi, monsieur le ministre, que nous pourrons lutter efficacement pour la sauvegarde de nos emplois, pour l’équilibre de nos finances publiques et donc pour la solidarité intergénérationnelle.
Pour conclure, j’indique que le groupe Union centriste votera ce projet de loi organique, qui introduit deux dispositions, à savoir l’adossement du fonds de réserves pour les retraites à la CADES et l’accroissement de la durée d’amortissement de la dette sociale dans la limite de quatre années.
Pour la suite, c’est lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale et du projet de loi de finances que nous devrons assumer nos responsabilités. Ce sera en quelque sorte l’heure de vérité. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jacky Le Menn.
M. Jacky Le Menn. Dans l’exposé des motifs du projet de loi organique relatif à la gestion de la dette sociale que vous nous soumettez aujourd’hui, monsieur le ministre, il est souligné que « le Gouvernement souhaite apporter cette année une solution durable à la dette sociale ». Il s’agit là d’un objectif que nous pouvons partager.
Jusqu’à un passé récent, le Gouvernement nous avait plutôt habitués à laisser dériver les comptes sociaux, sans prendre les mesures, notamment structurelles, nécessaires pour atténuer cette dette sociale. Ainsi, si la sécurité sociale n’avait pas été sévèrement handicapée par un déficit structurel de 10 milliards d’euros, elle aurait pu affronter dans des conditions différentes la situation de crise économique qui, hélas ! n’a pas épargné notre pays.
Quoi qu’il en soit, si l’objectif peut être partagé, les moyens proposés pour l’atteindre ne sauraient recueillir notre accord. Ce projet de loi organique, en effet, n’est pas à la hauteur des enjeux, comme l’a souligné Jean Arthuis, sans toutefois que notre collègue en tire les mêmes conclusions que nous, comme l’attestera son vote final.
L’objectif peut être partagé pour au moins trois raisons.
Première raison : le report de la charge de la dette sociale sur les générations futures – celles de nos enfants et de nos petits-enfants – est une démarche irresponsable que nous ne saurions cautionner.
Deuxième raison : on ne peut laisser des déficits conjoncturels se transformer en des déficits structurels, dont on déplore déjà suffisamment l’ampleur. Je pense bien sûr aux déficits conjoncturels provoqués par ce qu’il est convenu d’appeler « la crise ».
Troisième raison : il est inconcevable de continuer à faire jouer à l’ACOSS un rôle qui n’est pas le sien. Cet organisme, créé pour permettre la couverture d’un besoin de trésorerie courante, n’a pas pour mission de couvrir un déficit permanent des comptes sociaux.
La fragilité du financement même de l’ACOSS est avérée. Le président de la commission de surveillance de la Caisse des dépôts et consignations, son principal bailleur de fonds, a déjà attiré l’attention du prédécesseur de M. Baroin, M. Woerth, par un courrier en date du 23 octobre 2009, sur les tensions générées par les montages financiers impliquant la Caisse des dépôts qui sont prévus, certes d’une manière exceptionnelle, par l’ACOSS pour faire face à ses besoins. Cela ne peut plus continuer.
Cela dit, les moyens proposés par le Gouvernement pour atteindre l’objectif fixé ne sont pas acceptables, car ils ne permettront pas d’apporter des réponses adaptées et équitables aux enjeux en cause.
Le premier enjeu, qui est de ne pas faire supporter aux générations futures la dette sociale, n’est pas satisfait puisque l’une des propositions fortes de ce projet de loi organique consiste à permettre une prolongation de quatre ans de la durée de vie de la Caisse d’amortissement de la dette sociale.
Même si le Gouvernement nous dit qu’il s’agit là d’une dérogation tout à fait exceptionnelle, rien ne nous incline à croire que d’autres dérogations, tout aussi exceptionnelles, ne nous seront pas présentées dans l’avenir, que ce soit pour reprendre une nouvelle dette de crise ou, l’habitude étant prise, pour faire face à tout autre type de dette.
Le Gouvernement voudrait nous faire croire que cette prolongation est techniquement la seule solution possible. Nous ne sommes pas dupes : cette proposition, sous son apparence technique, masque en réalité une approche très politique, voire idéologique, à savoir préserver le dogme défendu par le Président de la République de ne pas recourir à la fiscalité.
Rappelons pour mémoire que, lors de sa création en 1996, la CADES, établissement public érigé pour apurer la dette cumulée du régime de sécurité sociale à la fin de 1996, ne devait durer que jusqu’en 2009. Par la suite, d’autres missions lui ayant été confiées – d’autres dettes devant être apurées –, sa durée de vie fut prolongée jusqu’en 2021.
Aujourd’hui, le Gouvernement nous propose de persévérer dans cette fuite en avant et repousse à 2025 l’achèvement de la mission de la CADES. Nous refusons cette proposition, contraire à l’objectif visé.
Le deuxième enjeu touche à une « gestion temporelle » équitable des retraites entre les générations. Là aussi, l’approche du Gouvernement et la nôtre divergent fondamentalement. En effet, le Gouvernement propose de sacrifier la gestion raisonnée des retraites pour les générations à venir sur l’autel de l’urgence d’aujourd’hui que constitue la dette sociale.
Ainsi, il s’en prend au Fonds de réserve pour les retraites. Il nous invite à transférer les actifs de ce fonds à la CADES, ce qui n’ira pas sans poser des problèmes juridiques et opérationnels concernant leur gestion, et à mobiliser les ressources de ce fonds comme ressources nouvelles pour la CADES afin de couvrir la fraction de la dette sociale liée à la branche vieillesse, soit 10 milliards d’euros, mais aussi à anticiper sur les dettes à venir de cette branche pour un montant qu’il fixe globalement à 62 milliards d’euros.
Le Gouvernement justifie cette proposition par des arguments pour le moins spécieux que nous ne saurions accepter.
Ce faisant, monsieur le ministre, le Gouvernement dénature la mission du Fonds de réserve pour les retraites créé par Lionel Jospin pour répondre au défi des retraites à servir aux générations à venir.
Ce fonds n’est pas une « cagnotte » dans laquelle on puiserait à la première difficulté. Vous le savez, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce fonds a pour mission de lisser le financement des retraites sur plusieurs générations. De manière condensée, on peut dire que le Fonds de réserve pour les retraites prélève sur les générations d’actifs 2000-2010 pour amortir les hausses de prélèvements sur les générations 2020-2040 par décaissements progressifs sur la période. Il faut absolument préserver cette mission.
Un comblement du besoin de financement actuel par un « siphonage » des réserves – déjà amoindries – de ce fonds constituerait une violation directe et grave de sa mission spécifique et une vraie injustice intergénérationnelle.
J’ajoute, en reprenant l’analyse du professeur Fabrice Lenseigne, maître de conférences à Sciences Po, qu’il s’agit d’une mauvaise gestion des ressources publiques, et ce pour plusieurs raisons. J’en retiendrai deux.
Premièrement, les rendements du FRR étant supérieurs aux taux auxquels l’État finance sa dette, nous liquiderions donc un capital qui rapporte plus que le coût du service de la dette pour financer une dette de fonctionnement.
Deuxièmement, le FRR participe au financement de l’économie réelle puisque son portefeuille est investi pour près de 50 % en actions.
Je rappelle enfin que la mission d’évaluation et de contrôle de la sécurité sociale du Sénat, que préside Alain Vasselle, s’est prononcée, 18 mai dernier, à l’unanimité, pour sa « sanctuarisation ». Ce fut aussi la position de la commission des affaires sociales.
Hélas, avec le projet de loi organique qui nous est soumis aujourd’hui, nous n’en prenons pas le chemin !
Le troisième enjeu est celui de l’action : la France ne peut pas s’offrir le luxe d’avoir, à côté du budget de l’État structurellement et lourdement déficitaire, un budget social qui serait lui-même lesté par une lourde dette, l’ensemble contribuant à hypothéquer dangereusement l’avenir de notre pays, ce que nous ne souhaitons pas.
Mes chers collègues, le champ des solutions possibles pour faire face à cette dette sociale existe. Aucun scénario ne s’impose absolument à nous, contrairement à ce que l’on voudrait nous faire croire. Il nous faut effectivement dégager des ressources supplémentaires pour répondre aux obligations de notre génération vis-à-vis de sa dette sociale. Il en va de notre responsabilité, mais c’est aussi une question de choix de société.
La question est bien de savoir comment répartir équitablement entre nos concitoyens l’effort pour financer cette dette.
Il nous a été dit qu’il n’y avait pas de solution. Pour ma part, je vois trois pistes à privilégier avec des solutions dont l’articulation nous permettrait de ne pas être obligés de prolonger la durée de vie de la CADES au-delà de l’année 2021 ni à détourner le Fonds de réserve pour les retraites de sa mission vertueuse telle qu’elle a été définie lors de sa création.
Première piste : une intervention ajustée de l’État dans la reprise d’une partie de la dette sociale.
En effet, le choix avait été fait en 1996 de créer un établissement spécifique, la CADES, dans le but d’isoler le traitement de la dette sociale du reste de la dette publique afin de tenir compte de la particularité des dépenses sociales, qui sont effectivement, par nature, des dépenses courantes.
Ce choix faisait cependant l’impasse sur les situations de crise sévères qu’aurait pu rencontrer notre économie, telles que celles susceptibles d’entraîner une dégradation brutale de l’ensemble des paramètres financiers structurant l’économie ; or c’est ce que l’on observe pour la période 2008-2010, comme le confirme la Commission des comptes de la sécurité sociale, ou CCSS.
Celle-ci souligne en effet, dans son rapport du 9 juin 2010, que « le déficit du régime général, qui avait peu varié entre 2003 et 2008, s’établissant chaque année autour d’une dizaine de milliards d’euros, a doublé en 2009 pour atteindre 20,3 milliards d’euros. Cette très forte dégradation est due pour l’essentiel à l’impact de la récession sur les recettes », recettes sur lesquelles sont assis nos budgets sociaux, le déficit tendanciel estimé pour 2010 étant de près de 26,8 milliards d’euros.
Dans ces conditions, le Gouvernement, dans sa stratégie de remise à niveau des comptes publics, doit naturellement intégrer la prise en charge par l’État de la détérioration des comptes sociaux pour la période considérée – 2008-2011 –, c’est-à-dire la reprise directe par celui-ci d’une partie de la dette sociale.
La première possibilité serait d’y procéder par l’intermédiaire de la fiscalité, fiscalité que nous souhaiterions plus juste et plus solidaire.
À cette fin on pourrait par exemple revenir sur la défense acharnée du bouclier fiscal, qui à force d’entêtement présidentiel est passé du statut de dogme à celui de « fétiche ». L’enjeu est de 800 millions d’euros par an, dont on pourrait récupérer le quart pour l’apurement de la dette sociale, ce qui permettrait une reprise de 2 milliards d’euros de dette.
On pourrait également revenir en partie sur le cadeau fait aux restaurateurs depuis le 1er juillet 2009 : en faisant passer la TVA de 19,6 % à 5,5 %, le Gouvernement a privé les finances publiques de 3 milliards d’euros de recettes par an alors que les contreparties annoncées – baisse des prix, créations d’emplois, amélioration de la situation des salariés – ne sont pas à la hauteur des attentes.
M. Guy Fischer. C’est vrai !
M. Jacky Le Menn. En réajustant à la hausse la TVA dans la restauration et en la portant de 5,5 % à 10,66 %, il serait possible de récupérer 1,1 milliard d’euros par an, ce qui permettrait une reprise de 11 milliards d’euros de dette.
Lors du débat de juillet dernier sur les orientations budgétaires pour 2011, la commission des finances du Sénat soulignait que le seul relèvement à 8 % du taux applicable à la restauration sur place permettrait déjà une économie budgétaire de 532 millions d’euros. Le Gouvernement n’aurait plus alors, comme il entend le faire, à solliciter à nouveau les mutuelles, et au final les ménages, en taxant les contrats complémentaire santé solidaires et responsables. Les mutuelles ont déjà dû répondre présent pour le financement de la CMU il y a deux ans et contribuer au financement de la récente pseudo-pandémie de grippe H1N1.
M. Guy Fischer. Quel scandale !
M. Jacky Le Menn. Pour prendre en charge la détérioration des comptes sociaux, l’État pourrait par ailleurs intervenir sérieusement sur les niches sociales et fiscales.
L’annonce faite par M. Baroin sur les modalités de taxation des prélèvements sociaux des contrats d’assurance-vie multi-supports et la taxation forfaitaire des sommes placées dans la réserve de capitalisation des sociétés d’assurance constitue un premier pas, un petit pas. Celui-ci est cependant insuffisant car, comme le relève très justement le rapporteur général de la commission des affaires sociales, ces recettes « n’offrent pas les garanties de stabilité et de dynamisme nécessaires », et « la taxation des réserves de capitalisation des sociétés d’assurance est une mesure à un coup ».
Il faudra donc trouver, avant 2012, d’autres niches à « raboter » – avec non pas un petit rabot mais une grosse varlope de charpentier – de façon à pouvoir véritablement assurer la pérennité des ressources nouvelles à affecter, par cette voie, à la CADES.
Deuxième piste : augmenter d’une manière responsable la CRDS, qui est la ressource essentielle de la CADES.
Au projet du Gouvernement de solliciter d’ores et déjà les ressources et les actifs du Fonds de réserve des retraites ou FRR et de reculer la fin de vie de la CADES, nous proposons de substituer la fixation d’un niveau de CRDS apte à reprendre les déficits des régimes vieillesse dans une proportion de 59 milliards d’euros.
Mes chers collègues, vous savez que le taux actuel de la CRDS est de 0,5 % et que son assiette est plus large que celle retenue pour la CSG. Nous pourrions porter ce taux à 1 %, ce qui permettrait d’apporter un supplément de ressources à la CADES d’environ 5,9 milliards d’euros par an de 2011 à 2020.
On peut aussi étudier la possibilité de moduler le taux lui-même, ou seulement son augmentation, en fonction des différentes assiettes sur lesquelles ce taux s’applique en lui donnant une valeur différenciée selon les cibles concernées.
À cet égard, je rappellerai – M. Vasselle l’a fait il y a quelques instants – que, lors de l’examen du PLFSS pour 2010, le Gouvernement a repoussé la proposition de la commission des affaires sociales, qui préconisait une première reprise de dette pour un montant de 20 milliards d’euros par la CADES accompagnée d’une hausse modérée de la CRDS, hausse qui aura tendance à s’accentuer si nous tardons à agir. À nouveau, nous le regrettons.
Troisième piste : majorer spécifiquement et très sensiblement, dans un esprit de solidarité, d’équité et de modernité, le taux de la CSG « patrimoine », qui cible les revenus patrimoniaux, et le porter de 8,2 %, son taux actuel, à 11 %.
Le produit de cette majoration, soit 3,8 milliards d’euros par an, serait affecté en ressources nouvelles à la CADES jusqu’à l’extinction du dispositif en 2021. Cette mesure permettrait une reprise de dettes de près de 38 milliards d’euros qui concernerait plus spécialement le déficit du régime vieillesse.
Soulignons qu’il n’est pas illogique de solliciter davantage les revenus du patrimoine pour combler la part du déficit engendré par les retraites. Aujourd’hui, en effet, une part significative du pouvoir d’achat des ménages provient des revenus non salariaux d’origine patrimoniale, à savoir les revenus fonciers et financiers.
Selon de nombreux économistes, le maintien d’un financement quasi exclusif des retraites par des cotisations salariales ne se justifie plus vraiment. Ainsi, la retraite ne devrait plus être considérée comme un « salaire différé » mais bien comme un « revenu global différé », avec les conséquences que cela suppose.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, si nous articulions les propositions que notre collègue Bernard Cazeau et moi-même venons d’évoquer, nous pourrions reprendre 130 milliards d’euros de dette sociale, ce qui correspond au schéma que le Gouvernement nous soumet aujourd’hui. Cependant, nos propositions, contrairement au projet du Gouvernement, permettraient de ne pas obérer le fonds de réserve des retraites et de maintenir la date d’extinction prévue pour la CADES, 2021. Nous accomplirions ainsi un acte responsable s’il en est vis-à-vis des générations futures.
Monsieur le ministre, pour terminer, je réaffirme que le groupe socialiste votera contre ce projet, en solidarité avec les générations à venir, en solidarité avec notre jeunesse, dans l’espoir que celle-ci puisse garder pleinement confiance dans un système de protection sociale à la française qui, malgré ses difficultés actuelles, doit continuer à allier solidarité, équité et responsabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Henri de Raincourt, ministre chargé des relations avec le Parlement. Monsieur le président, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, François Baroin ayant dû s’absenter du Sénat pour des raisons tout à fait impérieuses, je vais répondre en son nom à Mme Hermange, M. Arthuis et M. Le Menn. Mais, dans la mesure où il a développé de façon détaillée, soit dans son intervention liminaire soit en réponse aux premiers intervenants, les différents thèmes qui ont été abordés, je serai bref.
Tout d’abord, je tiens bien évidemment à remercier Mme Hermange et M. Arthuis du soutien que leurs groupes respectifs apportent à ce texte. Quant à M. Le Menn, il ne m’a pas surpris ; je savais que le groupe socialiste s’opposerait à ce projet de loi organique.
Je rappelle tout de même que le projet de loi organique tel que nous vous le présentons est équilibré dans ses modalités, d’une part, et qu’il respecte parfaitement les priorités que le Gouvernement s’est assignées, d’autre part. Ne pas laisser aux générations futures le poids de la dette sociale, ne pas les faire payer demain et après-demain pour des dépenses d’aujourd’hui fait bien partie des priorités que nous tenons pour essentielles. Cela va tout à fait dans le sens de ce que vous avez exprimé les uns et les autres.
Par ailleurs, autre priorité, il faut accompagner la reprise de la croissance en limitant les prélèvements. Si nous ne restons pas sur ce chemin de crête, nous risquons, alors que la croissance donne des signes de reprise sur un certain nombre de paramètres, signes positifs que nous voudrions voir se confirmer, nous risquons, dis-je, d’en casser ou d’en ralentir le rythme. Si tel était le cas, c’est l’ensemble de la maison France qui s’en trouverait fragilisé.
M. Guy Fischer. Les salariés, surtout !
M. Henri de Raincourt, ministre. Ce n’est vraiment pas le moment.
On a parfaitement le droit – nous sommes en démocratie – de considérer qu’il faut augmenter les prélèvements. Pour notre part, nous estimons qu’il ne faut surtout pas le faire.
M. Guy Fischer. Mais vous le faites indirectement !
M. Henri de Raincourt, ministre. Et ce n’est pas par dogmatisme ! Si l’on regarde ce qui se passe dans des pays comparables à la France, on s’aperçoit qu’en termes de compétitivité nous ne décrochons pas du peloton, à défaut d’être en tête. Or, la fiscalité, l’ensemble des prélèvements jouent sur la compétitivité. En augmentant ceux-ci, on aboutit, et vous le savez comme moi, soit à des délocalisations, lesquelles ont pour conséquence une augmentation du chômage et une aggravation des difficultés fiscales, soit à une diminution du pouvoir d’achat. Les unes et les autres contribuent à freiner la croissance. Nous sommes face à une réalité qu’il ne sert à rien de nier.
M. Guy Fischer. Et on augmente le taux de cotisation des fonctionnaires de près de 35 % en dix ans !
M. Henri de Raincourt, ministre. Chacun assume ses responsabilités devant l’opinion. Pour ce qui nous concerne, nous n’avons aucune crainte d’afficher notre volonté de ne pas alourdir la fiscalité.
La troisième priorité – elle est tout à fait d’actualité – est de poursuivre l’adoption et la mise en œuvre des réformes structurelles dont notre pays a besoin, en premier lieu la réforme des retraites, qui est en discussion en ce moment même à l’Assemblée nationale.
Madame Hermange, le Gouvernement partage tout à fait vos vues concernant l’allongement de la durée de vie de la CADES, concernant le FRR et l’ONDAM.
Monsieur Arthuis, les dépenses supplémentaires de 1 milliard d’euros annoncées dans le cadre de la discussion du projet de loi portant réforme des retraites sont principalement constituées de dépenses transitoires visant à lisser l’effet de la réforme.
M. Guy Fischer. Je ne vous crois pas !
M. Henri de Raincourt, ministre. De toute façon, vous ne croyez jamais ce que nous disons, monsieur Fischer ! Ce n’est pas grave ; cela ne va pas nous arrêter !
Le véritable surcoût est lié à l’extension du dispositif de pénibilité, que le Gouvernement propose de financer par un versement de la branche accidents du travail et maladies professionnelles, donc en grande partie par les employeurs.
M. Bernard Cazeau. Pourquoi les accidents du travail ?
M. Henri de Raincourt, ministre. Quant à la réduction des déficits de la branche maladie et de la branche famille, elle dépendra de notre capacité à créer des emplois et à faire progresser la masse salariale.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je vous rappelle que, d’après les dernières données, nous allons pouvoir réévaluer l’évolution de la masse salariale à 2 % en 2010 alors qu’on prévoyait moins 0,4 % au début de l’année. Cela prouve bien que nous créons des emplois. Certes, on peut toujours dire que ce n’est pas assez, mais nous voyons là les effets des mesures prises par le Gouvernement ces dernières années ; excusez-moi d’insister, mais si je ne le signale pas, personne ne le fera à ma place. (Sourires.)
Monsieur Le Menn, vous affirmez que le projet n’est pas à la hauteur des enjeux, et vous êtes libre de porter une telle appréciation. Je sais que vous souhaitez utiliser la fiscalité comme levier dans bien des domaines. Je n’y reviendrai pas.
En ce moment, je passe beaucoup de temps à l’Assemblée nationale et j’écoute ce qui s’y dit au sujet de la réforme des retraites. C’est très éclairant. L’opposition affirme disposer d’un contre-projet et propose, notamment, de maintenir la retraite à soixante ans. Parfait, mais comme vous avez intégré la durée de cotisation à quarante et un an et demi, comment comptez-vous résoudre cette contradiction ? (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme Éliane Assassi. Ne soyez pas si simpliste !
M. Henri de Raincourt, ministre. Avec des retraites réduites ? (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.)
Le Président de la République s’oppose totalement à la hausse des cotisations et à la diminution des prestations. Si vous envisagez de diminuer les prestations, dites-le donc aux Français : ils seront certainement très intéressés de l’apprendre !
Diminution des prestations, hausse des prélèvements d’au moins 37 milliards d’euros : voilà votre programme, allez donc l’expliquer aux Français !
Je dirai un mot, pour terminer, sur la proposition qui a été faite par certains de revenir sur l’abaissement du taux de TVA dans la restauration.
M. Jacky Le Menn. Et alors ?
M. Henri de Raincourt, ministre. Excusez du peu, vous le proposez à tout propos !
Je puis vous assurer que nous ne changerons rien à ce qui a été décidé, car l’État n’a qu’une parole ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Guy Fischer. Vous préservez votre électorat : les médecins, les agriculteurs et les restaurateurs !
M. le président. Mes chers collègues, laissez M. le ministre s’exprimer !
M. Henri de Raincourt, ministre. Quant à solliciter les revenus du patrimoine pour financer la part retraite des déficits, c’est prévu, puisque, je me permets de vous le rappeler, une telle disposition est incluse dans le projet de réforme des retraites à hauteur de plus de 4 milliards d’euros.
En tout état de cause, si chacun voulait bien faire preuve de bon sens face à la situation, voulait bien considérer sagement ce qui a besoin d’être réformé, ce projet de loi organique serait voté sans difficulté. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. Alain Vasselle, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Très bien !
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des motions.
Exception d’irrecevabilité
M. le président. Je suis saisi, par Mme Demontès, MM. Cazeau et Le Menn, Mmes Le Texier, Jarraud-Vergnolle et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, d'une motion n°1.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 2, du Règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi organique, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif à la gestion de la dette sociale (n° 691, 2009-2010).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme Christiane Demontès, auteur de la motion.
Mme Christiane Demontès. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je sens que je vais encore énerver M. le ministre chargé des relations avec le Parlement… (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Christiane Demontès. Le texte qui nous est présenté aujourd’hui a une portée essentielle puisque, au-delà de ce projet de loi organique, trois textes importants à venir comportent des éléments relatifs à la dette sociale. M. le rapporteur général de la commission des affaires sociales a déjà mis l’accent sur ce point.
Il s’agit du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2011, du projet de loi de finances pour 2011 et du projet de loi portant réforme des retraites actuellement en débat à l’Assemblée nationale et non, monsieur le ministre, au Sénat !
À ce titre, nous nous associons à M. le rapporteur général, qui soulignait très justement la difficulté que nous avions à analyser de manière globale et claire la réforme qui nous est proposée. Les annonces de M. le ministre, qui n’ont rien à voir avec le texte que nous examinons aujourd'hui, ajoutent encore à la confusion.
M. le rapporteur général de la commission des affaires sociales observait que seuls deux des quatre textes en question étaient disponibles alors que le projet de loi de finances et le projet de loi de financement de la sécurité sociale sont encore soumis aux arbitrages. Ce dernier projet de loi ne sera présenté en conseil des ministres, si mes informations sont exactes, que le 13 octobre prochain.
Depuis le rapport de M. Vasselle, la situation a changé. À la suite de la mobilisation contre le texte gouvernemental sur la réforme des retraites, le Président de la République a envisagé d’apporter des modifications. Certes, elles ne changent pas la philosophie du projet de loi, mais elles l’impactent budgétairement. Je pense, notamment, à la prise en considération de la pénibilité dès le seuil de 10 % d’incapacité reconnue. Certains chiffrent le coût de cette mesure à 1 milliard d’euros. Je pense aussi au maintien pendant cinq ans du régime de retraite des fonctionnaires ayant effectué quinze ans de carrière et parents de trois enfants ou encore au dispositif de carrière longue, qui devrait concerner les gens ayant commencé à travailler dès dix-huit ans.
Ainsi, monsieur le rapporteur général, ce sont non pas deux mais trois textes sur quatre dont les conséquences sur l’équilibre budgétaire sont inconnues ! Dire que cet état de fait est « particulièrement regrettable » est un euphémisme. Le Parlement est mis sciemment dans l’incapacité de juger les projets qui lui sont soumis, dans l’incapacité de contrôler l’action du Gouvernement, ce qui est pourtant une de ses missions premières.
Venons-en au fond. Selon l’exposé des motifs, il s’agit d’« apporter cette année une solution durable à la question de la dette sociale ». Comme l’affirmait mon collègue Jacky Le Menn, nous ne pouvons que partager cette ambition.
Le Gouvernement nous propose de transférer le déficit cumulé des années 2009 à 2011 à la CADES. Ainsi, la CADES aurait à amortir une dette de plus de 86 milliards d’euros. Conjointement, sa durée d’existence se trouverait prolongée de quatre années et son terme passerait de 2021 à 2025.
À nos yeux, une telle disposition est inacceptable, d’une part, parce que nous ne pouvons croire que cette mesure n’en appellera pas de similaires dans l’avenir, d’autre part, parce qu’il est inadmissible de continuer à faire peser la dette sur les générations à venir et à en augmenter la charge. Nous considérons que l’échéance de 2021 doit être respectée.
Le Gouvernement présente cette disposition comme une mesure exceptionnelle. Elle serait directement liée à l’impact financier de la crise sur les rentrées fiscales, lesquelles auraient enregistré 50 milliards d’euros de moins-perçu. Si les effets de la crise sur la dette sont indéniables, chacun s’accorde à considérer qu’ils n’en sont pas les seuls facteurs aggravants, contrairement à ce que laissent entendre le Gouvernement et la majorité. Ce n’est pas à une fatalité mais à un bilan que nous devons faire face…
À ce titre, souvenons-nous que pour 2009 le Gouvernement avait prévu une croissance de l’ordre de 1 %, la stabilisation de l’emploi et une augmentation de la masse salariale de 3,5 %, puis de 2 %. Or, dans les faits, le PIB a reculé de 2,75 %, notre pays comptant plus de 500 000 chômeurs supplémentaires, alors que la masse salariale a chuté de 1,25 %.
Comment ne pas évoquer la politique d’exonération fiscale qui plombe mécaniquement les recettes du régime de protection sociale ? Depuis des années, la Cour des comptes sonne le tocsin contre « le maquis des multiples exonérations, abattements, déductions ou réductions » de charges sociales en tous genres, mais rien n’y fait. Elle a beau affirmer que l’efficacité est « trop incertaine pour ne pas amener à reconsidérer leur ampleur, voire leur pérennité », le robinet fiscal continue de fuir et notre protection sociale est mise en péril.
La crise a un impact autant sur les recettes que sur les dépenses. Or, selon le rapport 2010 de la Cour des comptes, au regard d’une activité dite normale, le déficit structurel sur 2009 aurait atteint 5 %, ce qui représente une augmentation de 0,6 % par rapport à 2008. Ainsi, ce n’est pas, contrairement aux affirmations gouvernementales, la crise qui est responsable au premier chef de la situation déficitaire, mais ce sont bien les politiques menées en matière de recettes et de dépenses.
M. Guy Fischer. C’est très vrai !
Mme Christiane Demontès. Cette situation dégradée s’est traduite par un endettement croissant qui atteint 80 % du PIB en 2009 contre 60 % en 1999. Mais rien n’y fait, vous gardez le cap !
Prenons un exemple récent, celui du dégrèvement des plus-values réalisées par les entreprises sur les cessions de titres dit « exonération Copé ». Cette niche fiscale devait initialement peser 4,3 milliards d’euros, puis 4,5 milliards d’euros en 2008 et en 2009. Au final, son coût a été multiplié par trois pour atteindre 12,5 milliards d’euros en 2008, soit l’équivalent du « paquet fiscal » de 2007, puis 8 milliards en 2009. Malheureusement, les exemples de ce type sont nombreux. Ainsi, faire endosser la responsabilité de l’ensemble des dettes accumulées à la seule crise relève pour le moins de l’imposture.
M. Guy Fischer. Pour quels résultats sur l’ensemble !
Mme Raymonde Le Texier. Eh oui !
Mme Christiane Demontès. Néanmoins, j’observe que ce texte consacre une rupture avec la gestion de la dette opérée par le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010. Souvenons-nous que l’adoption de l’article 3 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010 par la majorité avait autorisé l’Agence centrale des organismes de sécurité sociale, l’ACOSS, à emprunter 65 milliards d’euros afin de financer les déficits accumulés. Par cette manœuvre, que notre collègue Raymonde Le Texier qualifiait très justement de « politique de l’autruche », le Gouvernement, contre l’avis de la commission des affaires sociales du Sénat, avait signifié sa volonté de ne pas transférer cette dette à la CADES. Cette disposition est contraire à la loi organique du 22 juillet 1996 relative aux lois de financement de la sécurité sociale, qui dispose que les plafonds des avances accordées à l’ACOSS doivent permettre de faire face aux écarts de trésorerie de la sécurité sociale et non de financer la dette. Nous nous sommes opposés à ce choix tant sur la forme que sur le fond.
Quant à la Cour des comptes, elle estime dans son dernier rapport que la situation de l’ACOSS ainsi créée « deviendra rapidement insoutenable », alors que « la réduction du déficit de l’assurance maladie obtenue en 2004 et 2008 et la possibilité d’un transfert de cotisation de l’assurance chômage à l’assurance vieillesse donnaient une certaine crédibilité à cette perspective de retour à l’équilibre qui est désormais caduque ». Comment pourrait-il en être autrement dans un contexte de crise sans précédent alors que ce mécanisme creuse les déficits via les taux d’intérêts ?
Dans les faits, il s’agissait bien pour le Gouvernement d’échapper à l’obligation de relever la CRDS. Je vous avais bien annoncé, monsieur le ministre, que je vous énerverais de nouveau…
Demeurer fidèle à une orthodoxie financière injuste et inopérante et ne pas relever les impôts restent les maîtres mots de l’action gouvernementale. Malheureusement pour le pays, la situation économique s’est encore détériorée et les effets négatifs de ce choix pèsent de plus en plus sur le financement de la sécurité sociale.
J’en veux pour preuve le fait que la charge supplémentaire transférée à la CADES sur 2021-2025 impactera le montant des intérêts dus de près de 30 milliards d’euros, soit l’équivalent des intérêts remboursés entre 1996 et 2010. Lorsque M. le rapporteur affirme qu’il est question « de préserver la crédibilité du processus de remboursement de la dette sociale tout en s'interdisant d'en reporter trop massivement le poids sur les générations suivantes », il ne nous convainc pas du tout.
Monsieur le ministre, nous sommes tous conscients que vous devez faire face à un dramatique bilan. Malgré vos dénégations, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit bien de l’application d’un dogme, voire d’un fétiche !
Selon vous, mener de telles réformes serait faire preuve de courage et de responsabilité. Permettez-moi de vous renvoyer aux déficits abyssaux qu’enregistre notre pays, ainsi qu’à l’augmentation de la précarité et des inégalités. Le rapport de Gilles Carrez d’information préalable au débat d’orientation sur les finances publiques de juin 2010 et le rapport de MM. Paul Champsaur et Jean-Philippe Cotis sur la situation des finances publiques d’avril 2010 démontrent que, si la législation identique en matière de prélèvements obligatoires était demeurée stable depuis 1999, le taux de prélèvement aurait été supérieur de 3,8 points de PIB, soit 45,3 % contre 41,5 % réalisés. Le manque à gagner structurel atteint donc 54 milliards d’euros.
Avec les effets cumulés de ces baisses de prélèvement, le niveau de la dette publique aurait été de 20 points inférieur au niveau actuel. Le déficit public se monterait à 4,2 % du PIB contre 7,5 % actuellement et la dette s’en trouverait diminuée de 10 milliards d’euros correspondant aux intérêts. Changer de politique est un impératif. Malheureusement, vous vous situez dans le continuum de cette politique du déficit chronique et du moins-disant social.
Venons-en aux ressources affectées à la CADES, qui est appelée à reprendre plus de 86 milliards d’euros de dette ainsi que les déficits futurs de la branche vieillesse. Ce sont donc 130 milliards de dette que nous devons apurer.
M. Baroin a expliqué en commission que des recettes nouvelles seraient octroyées. Il s’agit de 3,2 milliards d’euros par an pour reprendre 34 milliards d’euros de dette correspondant au déficit structurel des exercices 2009 et 2010 du régime général, du fonds de solidarité vieillesse et du déficit prévisionnel de l’assurance maladie pour 2011. Les ressources nouvelles proviendront de l’exonération de la taxe des contrats d’assurance maladie « solidaire et responsable », qui sera supprimée, pour 1,1 milliard d’euros. De la taxation forfaitaire des sommes placées dans la réserve de capitalisation de sociétés d’assurance seront tirés 1,4 milliard d’euros.
S’ajouteront enfin 1,6 milliard d’euros tirés des encaissements dans les compartiments euros des contrats d’assurance-vie multi-supports. Au-delà du fait que ces mesures vont pénaliser les mutuelles, une fois de plus, alors que leurs adhérents verront leur cotisation augmenter, vous avez indiqué que ces ressources diminueront, notamment du fait de la dynamique décroissante des deux derniers dispositifs. Vous affirmez même qu’il vous faudra recourir à d’autres niches fiscales et sociales. Vous faites appel aux 34 milliards d’euros d’actifs du Fonds de réserve pour les retraites dévolus au lissage des retraites à l’horizon 2020 et que nous voulions « sanctuariser » pour les consacrer au désendettement.
En d’autres termes, et c’est la raison du dépôt de cette motion, les ressources affectées à la CADES dans le cadre du transfert de 86 milliards d’euros ne sont ni définies dans le temps, ni pérennes. Ainsi, non seulement vous ne respectez pas les termes de la loi organique de 2005, mais vous prenez aussi le risque de dégrader la notation de la CADES. Or, nous ne pouvons nous le permettre : ce serait une faute.
Jusqu’à présent, la France a bénéficié de conditions très avantageuses, puisque le taux d’intérêt apparent est de 4 %, ce qui correspond à un taux d’intérêt de 2,5 % du PIB. Cette situation, je vous le rappelle, ne peut être considérée comme forcément pérenne.
M. le ministre du budget s’est dit ouvert à la discussion concernant les « cliquets » prévus pour garantir la pérennité des financements, mais il sait bien que ces cliquets seront insuffisants et que, par nature, ils ne recouvrent pas des ressources pérennes. Mon collègue Jacky Le Menn a fait part de nos propositions en la matière, qui prévoient, notamment, l’augmentation du taux de la CRDS, ressource essentielle de la CADES, de 0,5 % à 1 %, une révision à la hausse de la CSG, par une augmentation de son taux ou sa modulation en fonction des différentes assiettes sur lesquelles il s’applique. Je pense aussi à la majoration spécifique et sensible du taux de la CSG-patrimoine qui pourrait passer de 8,2 % à 11 %. Enfin, remettons en cause le bouclier fiscal. Voilà qui répondrait à la nécessité de doter la CADES de ressources pérennes.
Monsieur le ministre, le législateur a le devoir de respecter scrupuleusement les lois qui lui sont imposées. Or ce texte ne respecte pas les règles constitutionnelles. Voilà la raison pour laquelle nous défendons cette motion d’irrecevabilité : il ne s’agit pas d’un exercice formel, car un motif essentiel d’irrecevabilité existe sur le fond, comme nous venons de le voir. Au regard de l’ensemble de ces éléments, le Sénat doit avoir la sagesse de voter l’exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Vasselle, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Comme tous nos collègues, j’ai écouté attentivement Mme Demontès. J’observe que la présentation des motions tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité ou à opposer la question préalable se résume trop souvent à une répétition de la discussion générale. C’est ainsi que le motif invoqué pour inviter nos collègues à voter cette première motion se retrouve dans les éléments déjà développés par M. Cazeau lors de la discussion générale.
M. Guy Fischer. De toute façon, vous êtes un adepte de la méthode Coué !
M. Alain Vasselle, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, il me semble que, dans le cadre de la réforme du règlement du Sénat, il pourrait être envisagé de réduire le temps consacré à la présentation de ces motions à sept ou huit minutes.
M. Guy Fischer. C’est la politique du bâillon !
M. Alain Vasselle, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Mme Demontès a affirmé qu’elle ne se livrait pas à un exercice formel, mais j’ai l’impression que c’est pourtant le cas. En effet, ma chère collègue, vous trouverez la réponse à vos argumentations dans les délibérations de la commission des affaires sociales. Les amendements qu’elle a adoptés tendent justement à éviter que nous ne connaissions la situation que vous dénoncez, concernant les ressources de la CADES, lors de la discussion des prochaines lois de financement de la sécurité sociale : ces amendements garantissent en effet à la CADES des ressources qui lui permettront de ne pas reporter sur les générations futures la dette que nous transférons aujourd’hui.
Je suis cependant d’accord avec vous sur un point, madame Demontès : ces quatre années de report sont quatre années de trop. Vous savez également que, par un deuxième amendement adopté à une très grande majorité, pour ne pas dire à l’unanimité – je ne me rappelle plus si vous avez participé au vote ou non –, nous avons prévu que, dans l’hypothèse d’un retour à meilleure fortune, nous ramènerions la durée de vie de la CADES à son terme initial, soit 2021.
Ces deux amendements ayant étant adoptés, ils apportent des réponses aux questions que vous vous posez. C’est une des raisons pour lesquelles, au nom de la commission des affaires sociales, je demande au Sénat de ne pas adopter la motion d’irrecevabilité que vous avez présentée.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Henri de Raincourt, ministre. L’avis du Gouvernement sera similaire à celui qu’a exprimé à l’instant M. le rapporteur général.
La présentation de cette motion d’irrecevabilité par Mme Demontès n’apporte pas, à proprement parler, d’éléments nouveaux par rapport à la discussion générale.
J’insisterai sur un seul point : renoncer à l’allongement de quatre années de la durée de vie de la CADES – en dehors de l’éventualité d’un « retour à meilleure fortune » évoqué par M. le rapporteur général – entraînerait un besoin de financement de 8 milliards d’euros, soit autant d’impôts supplémentaires…
M. Guy Fischer. Vous faites payer les pauvres !
Mme Christiane Demontès. On en reparlera !
M. Henri de Raincourt, ministre. Pour toutes ces raisons, le Gouvernement est évidemment défavorable à l’adoption de cette motion d’irrecevabilité.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, dont l’adoption entraînerait le rejet du projet de loi organique.
Je rappelle que la commission et le Gouvernement ont émis un avis défavorable.
En application de l’article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l’article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 271 :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 339 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 170 |
Pour l’adoption | 153 |
Contre | 186 |
Le Sénat n’a pas adopté.
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par M. Fischer, Mmes David et Pasquet, M. Autain, Mme Hoarau et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, d’une motion n°3.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi organique relatif à la gestion de la dette sociale (n° 691, 2009-2010).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Guy Fischer, auteur de la motion.
M. Guy Fischer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, défendre aujourd’hui devant vous une motion tendant à opposer la question préalable sur un projet de loi présenté comme devant lutter contre la dette sociale peut apparaître comme étant, pour le moins, curieux, au pire irresponsable.
Nous faire un tel procès d’intention serait méconnaître l’attachement que nous avons mis – j’aurais envie de dire par un travail acharné –, à apporter d’année en année, de PLFSS en PLFSS les bonnes réponses, afin de résorber la dette existante, de garantir à notre système de protection sociale des moyens de financement suffisants et même de lui permettre d’être excédentaire, comme entre 1999 et 2001.
Aussi, en vous proposant d’adopter cette motion tendant à opposer la question préalable, nous ne considérons pas qu’il n’y ait pas lieu de réduire la dette sociale, mais nous affirmons clairement que ce projet de loi organique, en se contentant de rallonger la durée de vie de la CADES et en ponctionnant à hauteur de 2,1 milliards d’euros par an le Fonds de réserve pour les retraites ne suffira pas ! Quand bien même nous ajouterions les mesures que le Gouvernement nous proposera d’adopter dans le cadre du projet de loi de financement de la sécurité sociale et du projet de loi de finances, nous serions toujours loin, très loin, de l’équilibre financier. Mais j’y reviendrai.
En effet, et c’est là que le bât blesse, ce projet de loi organique est la continuation de la politique que vous menez depuis 2002, laquelle n’a eu pour conséquence que l’aggravation des déficits publics et sociaux : plus de 1 400 milliards d’euros ! C’est la fuite en avant !
Les déficits cumulés du régime général et du Fonds de solidarité vieillesse qui, en 2009, s’élevaient déjà à plus de 23 milliards d’euros devraient atteindre, à la fin de 2010, 30 milliards d’euros, selon les estimations les plus optimistes. Si l’on se projette à l’horizon de 2011, les déficits prévisibles devraient atteindre au moins 80 milliards d’euros, soit à peine moins que le montant de la dette qu’il reste aujourd’hui à amortir.
C’est dire l’importance de cette dette sociale, qui, bien qu’elle ne représente que 10 % de la dette publique, ne cesse de croître, et ce de manière exponentielle. En effet, chaque transfert à la CADES ou chaque relèvement de plafond de trésorerie de l’ACOSS est toujours plus important que le précédent.
Je voudrais d’ailleurs dire quelques mots à ce sujet. Comme vous le savez, mes chers collègues, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2010 a autorisé l’ACOSS à recourir, auprès des marchés financiers, à des ressources financières de court terme, dans des proportions jusqu’alors jamais atteintes : il s’agissait tout de même de 65 milliards d’euros !
Nous avions alors vivement critiqué cette solution, considérant qu’elle revenait à faire fonctionner la machine à tirer les bons de trésorerie, la Caisse des dépôts et consignations ayant très clairement fait savoir qu’elle ne pouvait prêter que 31 milliards d’euros à l’ACOSS. Ce sont donc les marchés financiers qui sont venus au secours de notre système de protection sociale. À quel prix !
C’est un comble quand on sait que celles et ceux qui ont imaginé ce système – je pense à Ambroise Croizat, en particulier – ont précisément tout fait pour écarter le dispositif des griffes des spéculateurs et des financiers !
Cette décision, contre laquelle nous nous étions élevés et qui contrevenait à la loi organique du 22 juillet 1996 relative aux lois de financement de la sécurité sociale, destinant le relèvement de plafond au seul règlement d’une dette ponctuelle, et non pas à celui d’une dette accumulée par le passé, est en réalité le marqueur de votre politique.
Certains voient en celle-ci une politique de l’autruche et de la tête dans le sable : les difficultés disparaitront d’elles-mêmes… D’autres, à l’instar de François Charpentier, rédacteur en chef de l’Agence Emploi Formation, ou AEF, évoquent une stratégie de « la poussière sous le tapis ».
Peu importe l’intitulé, monsieur le ministre ! Votre politique est comprise par tous comme étant un mélange de négation, de « laisser filer » et de cavalerie budgétaire.
Elle n’est pourtant pas sans conséquences financières pour les comptes sociaux car, si les déficits sociaux inquiètent à raison nos concitoyens, elle fait pour l’instant le bonheur de ceux qui la financent et qui ont vu le passif de la CADES multiplié par cinq, ou presque, depuis sa création en 1996.
Ainsi, il semblerait que pour l’exercice 2008 la moitié des 6 milliards d’euros de ressources procurés à la CADES par la CRDS, soit 3 milliards d’euros, a été destinée, non pas au remboursement de la dette sociale, mais à celui des intérêts. Autrement dit, la moitié des recettes de la CRDS payée par les contribuables – car ce sont eux qui s’en acquittent – est consacrée aux intérêts, c’est-à-dire à la rémunération des banquiers et des financiers.
Cette situation pourrait être cocasse, si elle n’était pas, en fait, à la fois dramatique et scandaleuse.
Avouez qu’il est proprement inacceptable que la moitié des efforts des salariés de notre pays serve à la rémunération des spéculateurs qui ont plongé le monde et la France dans une crise économique, financière et sociale sans précédent.
Cette crise est tellement importante que, de l’aveu même du ministre, elle représenterait 34 milliards d’euros, soit le même montant que la dette structurelle, une dette qu’il faut désormais, elle aussi, rembourser et dont les intérêts feront mécaniquement grimper l’addition. Et ce sont nos concitoyens qui sont appelés à régler cette addition !
Ce que nous ne cessons de dénoncer depuis plus d’un an se vérifie donc : une poignée de spéculateurs crée la crise, l’immense majorité de nos concitoyens la paye. Voilà la réalité !
Et cela se vérifie aujourd'hui avec le projet de loi que vous nous proposez d’adopter et qui se limite à faire payer les frais de cette crise par les foyers.
Selon vous, la dette sociale se composerait de trois parties : une dette structurelle de 34 milliards d’euros, une dette de l’assurance vieillesse avoisinant 62 milliards d’euros et une dette de 34 milliards d’euros qui serait la seule conséquence de la crise, soit un total de 130 milliards d’euros.
S’agissant de cette dernière, vous prévoyez ce que l’on appelle un refinancement, c’est-à-dire un transfert de dette accompagné d’un étalement sur quatre ans. Cette cavalerie budgétaire, que j’ai dénoncée, ne constitue en rien une réponse efficace !
La preuve en est que nous n’avons cessé de constater l’ampleur des déficits sociaux et de prolonger la durée de vie de la CADES, au point que le montant que nous allons lui transférer est presque égal à celui de la dette qu’il reste à payer. Dans ce contexte, on en vient presque à se féliciter de ce que les taux d’intérêt soient actuellement bas, ce qui nous a permis d’éviter le seuil symbolique des 100 milliards d’euros.
S’agissant de la dette résultant de la prise en charge de la CNAV et du FSV, vous proposez ce que vous appelez pudiquement « la mobilisation des actifs et des recettes du Fonds de réserve pour les retraites ». Pour ma part, je parlerai plutôt d’un pillage organisé, sachant que ces sommes étaient destinées à faire face au pic de dépenses prévu à l’horizon de 2020, au moment où les effets de l’inversion démographique se feront le plus sentir.
Pour justifier l’opération, vous n’hésitez pas à affirmer que ces effets se feraient sentir dès aujourd’hui. Mais alors, pourquoi engagez-vous une telle réforme sur les retraites ? Soit nous subissons d’ores et déjà les effets du pic démographique et il faut mobiliser les actifs du FRR pour financer directement notre régime de retraite, soit nous les subirons en 2020 et ces sommes manqueront alors cruellement.
Nous avons donc l’impression que l’article 1er du projet de loi constitue en réalité un montage financier et de respect des règles constitutionnelles devant vous permettre d’allonger la durée de vie de la CADES tout en respectant la règle selon laquelle tout nouveau transfert de dette à cette caisse doit être assorti de recettes lui permettant de ne pas accroître sa durée d’amortissement.
Pour reprendre une expression populaire, vous déshabillez Pierre pour habiller Paul, sans régler sur le fond la question du financement et de la dette.
Enfin, s’agissant de ce qu’il est convenu d’appeler la dette structurelle, soit 34 milliards d’euros, votre seule solution réside dans la création de trois taxes supplémentaires qui sont absentes de ce texte et devraient prendre corps en loi de financement de la sécurité sociale et en loi de finances.
C’est sans doute la conception que se fait le Gouvernement des niches sociales et fiscales. Nous aurions, pour notre part, préféré une politique plus courageuse, mettant enfin un terme aux 75 milliards d’euros d’exonérations fiscales et aux 45 milliards d’euros d’exonérations sociales – un total de 120 milliards d’euros – qui profitent dans l’immense majorité des cas aux plus riches. Je pense évidemment, en tout premier lieu, à la « niche des niches » : le bouclier fiscal !
D’après ce que nous a dit M. le ministre, mais que nous avions découvert la veille, par voie de presse, il serait question d’une taxation forfaitaire des sommes placées dans la réserve de capitalisation des sociétés d’assurance, d’une taxation supplémentaire sur la part euro des contrats d’assurance-vie multi-supports et d’une taxe nouvelle sur les contrats d’assurance responsables. Celle-ci devrait rapporter en moyenne 18 euros par contrat et les mutuelles, qui ont déjà été taxées, il y a deux ans, pour financer la couverture maladie universelle et la couverture maladie universelle complémentaire, ont annoncé, pour une large partie d’entre elles, qu’elles la répercuteront partiellement ou totalement sur leurs assurés.
Au total, ces trois dispositions devraient rapporter 3,2 milliards d’euros, soit moins que le montant du déficit du FSV actuellement estimé à 4,3 milliards d’euros.
Avouez, monsieur le ministre, que ces sommes sont loin d’être suffisantes pour résorber le déficit existant et à venir !
La question qui nous préoccupe et qui nous conduit à défendre aujourd’hui cette motion est donc la suivante : comment résoudre rapidement, efficacement, durablement et équitablement la dette sociale, qui persistera malgré – ai-je envie de dire – l’adoption de ce projet de loi ?
Je précise, à cet égard, que les 3,2 milliards d’euros de recettes dont je viens de parler sont, de l’aveu même de notre rapporteur, appelés à se tarir au fil des années. Pourtant, pour reprendre les propres termes de M. Alain Vasselle, termes auxquels nous souscrivons pleinement, « un élément essentiel du bon fonctionnement de la CADES réside dans la solidité des recettes qui lui sont affectées ». Le rapporteur doute lui-même que cela soit possible, c’est dire…
Voilà pourquoi, mes chers collègues, les sénateurs du groupe CRC-SPG considèrent que ce projet de loi n’est pas à la hauteur de la situation.
Lors de l’examen par le Sénat du PLFSS pour 2010, le prédécesseur de M. François Baroin avait refusé de transférer la dette à la CADES, préférant une augmentation du plafond de trésorerie de l’ACOSS. Et pour cause ! Il aurait alors fallu accompagner ce transfert d’une nouvelle source de financement. Il s’y est refusé afin de ne pas égratigner le dogme prônant l’absence de toute augmentation des impôts et des prélèvements sociaux, dogme qui, aujourd’hui, est insidieusement remis en cause.
En effet, le Gouvernement met en œuvre le transfert, rendu possible par la réforme des retraites qu’il entend imposer à nos concitoyens. Ainsi, il est en mesure de piller le FRR tout en contournant, une nouvelle fois, la question qui nous paraît essentielle, celle du financement de notre système de protection sociale à long terme.
Cette question demeure sans réponse, ce qui fait peser des risques importants sur l’avenir de notre système, et, on le devine déjà, ce seront comme toujours les salariés, les fonctionnaires, les jeunes et les retraités qui mettront la main à la poche.
Mes chers collègues, l’adoption de cette motion serait un signal fort envoyé au Gouvernement. Vous exigeriez de lui qu’il prenne enfin la pleine mesure de la situation, qu’il renonce à sa politique d’appauvrissement des comptes sociaux, qu’il abandonne définitivement une politique sociale et fiscale dont la caractéristique est de toujours faire contribuer les mêmes – étudiants, salariés, retraités – tout en épargnant toujours les mêmes – les détenteurs de capitaux, les actionnaires, les spéculateurs et les plus riches d’entre nos concitoyens.
Vous exigeriez, avec nous, que cesse ce que de plus en plus de personnes ressentent comme étant une politique de classe.
Vous enverriez un message clair au Gouvernement : notre protection sociale est solidaire ; elle mérite, pour son financement, une mobilisation pleinement solidaire ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Vasselle, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Ayant assisté à la réunion de la commission des affaires sociales, M. Guy Fischer ne s’étonnera pas que j’émette, en ma qualité de rapporteur du projet de loi et au nom de la commission, un avis défavorable sur la motion tendant à opposer la question préalable qu’il vient de défendre devant nous, pendant un quart d’heure.
Monsieur Fischer, la question que vous soulevez au cours de votre argumentation ne peut pas trouver de réponse dans ce projet de loi organique et ne pourra être traitée que dans le cadre de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale ou du projet de loi de finances.
En effet, vous justifiez votre motion en dénonçant l’absence de solutions pour assurer un financement équilibré de toutes les branches de notre sécurité sociale. Or ces solutions passent par une meilleure maîtrise des dépenses et, sans doute, des recettes, les secondes devant pouvoir répondre à la dynamique que connaissent les premières actuellement.
Votre démonstration est donc un peu hors sujet et il est difficile de suivre votre proposition. C’est pourquoi j’invite nos collègues à repousser cette motion tendant à opposer la question préalable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Henri de Raincourt, ministre. Bien qu’ayant la plus grande considération pour M. Guy Fischer, je suis au regret de devoir émettre le même avis défavorable que la commission des affaires sociales.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix la motion n° 3, tendant à opposer la question préalable et dont l'adoption aurait pour effet d’entraîner le rejet du projet de loi organique.
Je rappelle que la commission et le Gouvernement ont émis un avis défavorable.
En application de l'article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 272 :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 326 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 164 |
Pour l’adoption | 140 |
Contre | 186 |
Le Sénat n'a pas adopté.
En conséquence, nous passons à la discussion des articles.
Article 1er
L’article 4 bis de l’ordonnance n° 96-50 du 24 janvier 1996 relative au remboursement de la dette sociale est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa, après le mot : « recettes », sont insérés les mots : « ou des actifs » ;
2° Après le premier alinéa, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :
« La loi de financement de la sécurité sociale assure chaque année le respect de la règle fixée au premier alinéa.
« Par dérogation au premier alinéa, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2011 peut prévoir des transferts de dette conduisant à un accroissement de la durée d’amortissement de la dette sociale dans la limite de quatre années. L’annexe à ce projet de loi, mentionnée au 8° du III de l’article L.O. 111-4 du code de la sécurité sociale, justifie le respect de cette condition. » ;
3° Au second alinéa, les mots : « de l’alinéa précédent » sont remplacés par les mots : « du présent article » ;
4° (nouveau) Il est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Si au cours de deux exercices consécutifs, les conditions économiques permettent d’enregistrer un accroissement des recettes de la caisse d’amortissement de la dette sociale supérieur à 10 % des prévisions initiales, la loi de financement de la sécurité sociale pour l’exercice suivant contribue à ramener la fin de la durée de cet organisme à l’horizon prévu avant la loi de financement de la sécurité sociale pour 2011. »
M. le président. La parole est à M. Guy Fischer, sur l'article.
M. Guy Fischer. Monsieur le président, je profite de ce que M. Vasselle n’a pas encore mis en œuvre son projet de nous faire taire ! (Sourires.)
M. Guy Fischer. L’article 1er du projet de loi organique que nous proposons de supprimer a pour objectif d’allonger, à titre exceptionnel, de quatre ans la durée de vie de la CADES et, corollaire obligatoire depuis l’adoption de la loi organique du 2 août 2005 relative aux lois de financement de la sécurité sociale, de procéder à un transfert de ressources supplémentaires.
Ces dernières prennent la forme d’un transfert des actifs du Fonds de réserve des retraites, le FRR, qui étaient évalués à la fin de l’année 2009 à 33 milliards d’euros, et de sa recette annuelle, estimée à 1,5 milliard d’euros.
Cette décision nous donne l’impression que le Gouvernement cherche moins à réduire la dette sociale qu’à la combler, même artificiellement. Seule la logique comptable peut expliquer un tel pillage du FRR.
Nous nous demandions même, à l’occasion du dernier projet de loi de financement de la sécurité sociale, les raisons pour lesquelles vous n’aviez pas immédiatement transféré la dette sociale à la CADES. Le rapporteur général avait d’ailleurs été battu très régulièrement sur cette question au cours des précédents projets de loi de financement de la sécurité sociale. Nous étions alors convaincus que vous vouliez contourner l’obligation d’apporter des ressources nouvelles. Mais, en réalité, vous jouiez la montre et attendiez de pouvoir prendre prétexte de la réforme des retraites pour sacrifier le FRR.
Il n’y a donc aucune justification à cette mesure, comme l’atteste votre refus de flécher les ressources issues de cette disposition vers le remboursement de la dette de la branche vieillesse ou du Fonds de solidarité vieillesse. L’argent du FRR, dont la vocation initiale était de « lisser » les besoins de financement après 2020, servira donc pêle-mêle à rembourser la dette structurelle, celle de la branche vieillesse et celle qui résulte de la crise. Vous en conviendrez, les pistes sont totalement brouillées. Et pour quels résultats, dans la mesure où, malgré ce pillage, qui aura immanquablement des conséquences dans les années à venir, les comptes sociaux ne sont pas prêts de renouer avec l’équilibre !
En réalité, vous devez avoir le courage de dire qu’il ne s’agit que d’une mesure de ravalement masquant une situation très grave et qu’elle vous permet de reculer encore un peu plus une mesure pourtant indispensable, l’accroissement des ressources dédiées à notre système de protection sociale. Nous en sommes d’autant plus convaincus depuis que nous avons lu, dans Les Échos du 6 juin dernier, cette déclaration d’un membre du Gouvernement : « En l’absence de cette mobilisation du FRR, il aurait été nécessaire d’augmenter les impôts pour pouvoir financer les déficits accumulés par l’assurance vieillesse, ce qui aurait nui à l’emploi et au pouvoir d’achat », mais surtout au fétichisme édicté par le Président de la République !
Cette déclaration a au moins le mérite d’éclaircir le contexte. Mais vous devriez aller encore plus loin et dire clairement, car c’est bien de cela qu’il s’agit, que votre refus de mettre un peu plus à contribution les détenteurs de capitaux aura mécaniquement pour effet d’accroître les prélèvements que payeront les salariés.
Je prendrai deux exemples.
Vous supprimez une niche sur les contrats solidaires pour financer la dette sociale : c’est 18 euros de plus à la charge de chaque assuré.
Vous supprimez le taux dérogatoire de TVA sur les opérateurs internet : c’est 24 euros annuels de plus à la charge des ménages.
À visage masqué, vous ratissez large ! Euro après euro, insidieusement, vous réduisez le pouvoir d’achat de nos concitoyens. Pour cette raison, nous voterons contre cet article.
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 2 est présenté par MM. Cazeau et Le Menn, Mmes Demontès, Le Texier, Jarraud-Vergnolle et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.
L'amendement n° 4 est présenté par M. Fischer, Mmes David et Pasquet, M. Autain, Mme Hoarau et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Bernard Cazeau, pour présenter l'amendement n° 2.
M. Bernard Cazeau. « Je ne soutiens nullement qu’il est glorieux d’allonger la durée de la vie de la CADES, mais nous n’avons pas le choix ». C’est ainsi que François Baroin a justifié, à la fin du mois de juin, devant les membres de la commission des finances de l’Assemblée nationale, la décision du Gouvernement de prolonger de quatre ans, jusqu’en 2025, la durée de vie de la CADES.
Aujourd’hui, vous nous mettez au pied du mur avec cet arrangement justifié par un déficit sans précédent. Le déficit ne s’explique pas uniquement par la crise économique. Certes, elle n’a pas épargné notre pays, mais, si la sécurité sociale avait affronté cette crise sans le handicap sévère d’un déficit structurel de 10 milliards d’euros, elle aurait pu y faire face dans des conditions différentes. Même en gommant les effets de la crise, le déficit structurel de la sécurité sociale est compris tous les ans entre 10 milliards d’euros et 15 milliards d’euros, handicap dont vous parlez d’ailleurs relativement peu.
Vos choix sont davantage responsables de ce trou que la crise que nous traversons. Faut-il vous rappeler que, depuis 2002, vous avez perdu 100 milliards d’euros de recettes, dont les deux tiers à travers des baisses d’impôt dirigées notamment vers les plus favorisés ?
Il faut bien le dire, ce projet de loi est en réalité bâclé. Il tient plutôt de l’échappatoire politique dans la perspective de 2012. Vous préférez prolonger la CADES plutôt que d’augmenter la CRDS – comme d’ailleurs certains centristes, je pense à M. Jégou, vous l’ont proposé –, uniquement pour vous conformer à une promesse électorale, comme l’a indiqué tout à l’heure ma collègue Christiane Demontès. Vous mobilisez des ressources qui ne sont pas pérennes et que nos concitoyens devront débourser, ne serait-ce – M. Fischer l’a bien montré –que par le biais de cotisations d’assurance individuelles.
Votre horizon n’est-il pas essentiellement l’échéance présidentielle ? En effet, vous renvoyez à demi-mot à 2013 l’augmentation éventuelle de la CRDS, même si le ministre qui avait « lâché », et même écrit, cette information nous dit aujourd’hui le contraire.
Monsieur Vasselle, la clause figurant à l’article 1er selon laquelle la dette sociale pourrait être remboursée plus rapidement en cas de recette accrue de la CADES nous paraît tout à fait illusoire. C’est finalement une manière de vous dédouaner que de défendre certains principes en commission, puis de faire semblant de les avoir oubliés dans l’hémicycle.
Depuis plusieurs années, nous l’avons démontré tout à l’heure au cours de la discussion générale, le Gouvernement s’est systématiquement trompé sur ses prévisions. Je crois qu’il n’est pas nécessaire d’y revenir. On ne transforme pas le plomb en or, et j’ai l’impression qu’aujourd’hui le Gouvernement est « plombé ».
Toutefois, monsieur le ministre, rien n’est inéluctable. D’autres solutions que l’allongement de la durée de vie de la CADES étaient envisageables. Mais il aurait fallu bâtir une fiscalité plus juste pour pouvoir espérer atteindre l’objectif de résorption de la dette sociale.
Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur général, vous l’aurez compris en entendant mon propos, nous ne voterons pas cet article, dont nous demandons la suppression.
M. le président. La parole est à M. Guy Fischer, pour présenter l'amendement n° 4.
M. Guy Fischer. L’article 1er ne nous convainc absolument pas. Il faut dire, monsieur le ministre, que les mesures que vous proposez pour réduire la dette sociale sont loin d’être suffisantes et, surtout, loin d’être justes.
En effet, le recours au FRR pour combler une partie des déficits sociaux nous apparaît comme une très mauvaise décision, car ces sommes manqueront inévitablement en 2020, quand les effets du pic démographique se feront le plus sentir – le président Jean Arthuis ne me contredira pas !
Autrement dit, les 33 milliards d’euros que vous détournez – car c’est bien d’un détournement d’actifs qu’il s’agit – manqueront au financement des retraites de nos enfants. En 2018, vous aurez beau jeu de crier encore une fois au non-financement des régimes de retraite et d’imposer une nouvelle réforme retardant toujours plus l’âge de départ à la retraite ou même de nous faire changer de type de régime en instaurant, par exemple, les comptes notionnels.
M. Jean Arthuis. Excellent système : on devrait le mettre en place maintenant !
M. Guy Fischer. Depuis quelque temps, un nouvel argument surgit à droite : contrairement aux prévisions des économistes, le choc démographique de 2020, qui justifiait que l’on réformât les retraites, n’aura pas lieu. Il est d’ailleurs curieux que, en se fondant sur des données objectives et précises, tout le monde puisse se tromper d’une décennie ou apporter des réponses radicalement opposées !
À cet égard, il est intéressant de se replonger dans les débats de 2003, et nous avons sans doute été nombreux à le faire, mes chers collègues, dans la perspective de la réforme des retraites. On y apprend en effet bien des choses ! Je ne résiste pas à la tentation de vous citer une phrase prononcée à l’époque par M. Fillon : « On sait que le besoin de financement des régimes de base du privé et du public est chiffré par le conseil d’orientation des retraites à 43 milliards d’euros en 2020. »
Cela atteste au moins deux réalités : le pic démographique aura bien lieu en 2020 et, en siphonnant aujourd’hui le FRR, vous allez accroître les difficultés financières en 2020. Mais surtout, la réforme de 2003 n’a pas permis, contrairement à ce qu’affirmait alors M. Fillon, « un financement à 100 % de la réforme ».
Cela ne nous rassure pas pour l’avenir, car la réforme de 2003 et celle qui est actuellement en discussion à l’Assemblée nationale ont en commun de faire peser l’immense majorité des efforts sur les salariés. Les mêmes causes produisant les mêmes effets, on ne peut que craindre pour l’avenir.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Vasselle, rapporteur général de la commission des affaires sociales. J’ai bien entendu les arguments développés à la fois par M. Cazeau et par M. Fischer. Je leur répondrai simplement : à situation exceptionnelle, mesure exceptionnelle.
M. Cazeau considère qu’il y a un décalage entre la position que je défends en commission et celle que je finis par adopter en séance publique, et cela le contrarie.
Mme Raymonde Le Texier. Vous aussi, vous êtes contrarié !
M. Alain Vasselle, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Mon cher collègue, il est vrai que, au regard des engagements qui ont toujours été les miens et compte tenu de la situation exceptionnelle que connaît le pays, j’ai accepté la proposition du Gouvernement. Je vous le demande : qui aurait pu imaginer il y a deux ans que nous aurions à subir cette crise financière venue des États-Unis et dont la France n’est évidemment pas le seul pays à souffrir ?
Nous ne pouvons pas non plus laisser filer la dette indéfiniment ni accepter que l’ACOSS demeure dans cette situation. Il fallait donc bien prendre des mesures.
Le chemin que, à l’invitation du Gouvernement, nous empruntons pour parvenir à l’objectif que, les uns et les autres, nous voulons atteindre est certes différent de celui que vous proposez. Si la commission des affaires sociales a majoritairement accepté de suivre le Gouvernement, c’est parce que ce dernier a lui-même accepté de prendre en compte les deux amendements que j’ai présentés et que je n’ai eu de cesse de défendre devant le groupe de travail spécifique présidé par M. Baroin.
Ainsi, nous introduisons dans le projet de loi organique des dispositions visant à nous assurer que la CADES bénéficiera dans le temps de recettes permettant de couvrir ses besoins de financement. M. Patrice Ract-Madoux nous a rappelé que ce montant s’établissait à 0,26 point de CRDS. À défaut, cette somme devrait être comblée par l’abandon de niches sociales ou fiscales. Demain, ce sera peut-être cette voie ou une augmentation de la CRDS qui sera choisie.
Quoi qu’il en soit, nous veillerons à la réalité de ces ressources, notamment, chaque année, lors de l’examen du PLFSS. La prolongation de quatre années est uniquement liée à la dette de crise, soit 34 milliards d’euros.
Pour ce qui concerne le FRR, le Gouvernement a pris des mesures qui permettront d’atteindre l’équilibre à partir de 2018. La seule question que nous devons nous poser – je la poserai au moment de l’examen du projet de loi portant réforme des retraites et du PLFSS, puisque je suis chargé des équilibres financiers – est la suivante : que se passera-t-il après cette date ?
Il est en effet du devoir du Gouvernement de ne pas se contenter de dire que tout est réglé jusqu’à 2018 : il doit nous donner de la visibilité au-delà de cette échéance. Avons-nous aujourd’hui suffisamment d’éléments garantissant à nos concitoyens que les déficits ne reprendront pas après 2018 et que la CADES ne sera pas à nouveau sollicitée ? Il ne s’agit pas là de faire de procès à quiconque : nous voulons simplement obtenir une totale transparence.
Mes chers collègues, tout en comprenant vos préoccupations et vos attentes, nous ne pouvons vous suivre. Je le répète, la mesure qui est prise est exceptionnelle et tient compte d’une situation exceptionnelle. Je suis donc au regret d’émettre un avis défavorable sur vos amendements de suppression de l’article 1er.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Henri de Raincourt, ministre. Dans la mesure où le projet de loi organique est issu des travaux du Gouvernement, je vois mal comment celui-ci pourrait être favorable à la suppression de l’article 1er.
C’est la raison pour laquelle j’émets un avis défavorable.
M. Guy Fischer. Quel argument !
Mme Catherine Procaccia. Bravo pour la concision, en tout cas !
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 2 et 4.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. L'amendement n° 5, présenté par M. Fischer, Mmes David et Pasquet, M. Autain, Mme Hoarau et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Alinéas 3 et 4
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. Guy Fischer.
M. Guy Fischer. La commission des affaires sociales a adopté un amendement du rapporteur général tendant à créer ce qu’il appelle lui-même une « clause de garantie ». Selon lui, celle-ci est censée permettre le respect de la règle constitutionnelle de non-report de la dette sociale sur les générations futures.
Évidemment, personne n’est favorable à ce que l’on transmette aux générations futures les déficits qui grèvent actuellement les comptes sociaux. C’est précisément la raison pour laquelle, à chaque PLFSS, notre groupe propose de revenir sur les exonérations et exemptions de cotisations sociales qui réduisent les recettes des comptes sociaux et qui les plongent chaque année un peu plus dans le rouge. Je rappelle qu’elles s’élèvent à 45 milliards d’euros !
Selon le rapporteur général, les deux alinéas que nous entendons supprimer prévoient en réalité « que, chaque année, la loi de financement devra assurer le respect de la règle d’affectation des recettes nécessaires au remboursement des dettes sociales » et que « si les recettes affectées par le Gouvernement ne permettent pas le respect de cette règle, il faudra que la loi de financement prévoie une augmentation […] de la CRDS. »
Après avoir plaidé chaque année – sans succès ! –pour une hausse de la CRDS, notre rapporteur général, qui ne manque pas de ténacité, propose tout simplement d’inscrire dans une loi organique le principe de l’automaticité de la hausse de la CRDS chaque fois que l’État n’apportera pas les ressources nécessaires. Quand on connaît le manque de détermination du gouvernement actuel et de sa majorité à apporter à la sécurité sociale tous les moyens dont elle a besoin, autant dire que cela revient à avaliser une hausse annuelle et non limitée dans le temps de la CRDS !
La question est sérieuse puisque, selon la tautologie énoncée à l’article 46 de la Constitution, les lois organiques sont les lois auxquelles la Constitution confère un tel caractère. Or elles ont, dans la hiérarchie des normes, une valeur supra-législative et infra-constitutionnelle, c’est-à-dire que le juge constitutionnel, saisi de l’irrecevabilité d’une loi, est en droit de l’analyser au regard des principes et objectifs des lois organiques. Cela revient presque à leur conférer une valeur constitutionnelle.
Mes chers collègues, tout cela ressemble à s’y méprendre à l’inscription dans la Constitution – et l’on sait que le Gouvernement pourrait un jour être tenté de faire une telle proposition – de l’interdiction du principe des déficits publics, ce à quoi nous sommes opposés.
La CRDS présente d’ailleurs une caractéristique qui plaît beaucoup à M. Jégou : Dans la mesure où son assiette est très large, une hausse relativement limitée de son taux dégage une hausse importante de son produit. Cela ne peut évidemment que séduire un expert financier comme M. Jégou…
Agir ainsi, c’est décider de rendre automatique l’augmentation du transfert du financement de la sécurité sociale des entreprises – on dédouanerait pratiquement ces dernières, comme le prône la droite – vers les ménages, qui supportent seuls, ou presque, le poids de la CRDS.
Maintenir cette mesure, c’est décider une augmentation automatique des prélèvements sur les foyers. Nicolas Sarkozy, qui disait ne pas vouloir augmenter les impôts, trahit donc une nouvelle fois ses engagements. Nous n’en sommes guère étonnés, car nous savons qu’il avance le visage masqué. Cela dit, il ne s’agit en fait que d’une demi-trahison puisque tout le monde a compris que sa promesse ne valait que pour les riches et les puissants. D’ailleurs, la CRDS demeure incluse dans le bouclier fiscal, ce qui est scandaleux.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Vasselle, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Je ne vous surprendrai pas, monsieur Fischer, en vous disant que la commission a émis un avis défavorable.
Je rappelle que le produit de la CRDS n’est pas uniquement assis sur les salaires. La contribution touche également les produits financiers et le capital.
Vous considérez que l’automaticité pourrait résulter du fait que le Gouvernement ne prévoit pas d’autres recettes que celles provenant de la CRDS. Or, vous le savez bien, la commission des affaires sociales était favorable à une augmentation de cette contribution. Nous pensions qu’il s’agissait de la moins mauvaise des solutions.
Le Gouvernement a choisi une autre voie. Il nous appartiendra de veiller à ce que le financement des différentes branches proposé par le Gouvernement – à travers la CRDS ou les niches sociales ou fiscales, comme l’a dit tout à l’heure M. Baroin – soit juste et équilibré. Rendez-vous est donc pris lors de l’examen des prochains PLFSS.
Pour nous, l’essentiel est de ne pas allonger indéfiniment la durée de vie de la CADES. Dès que nous aurons meilleure fortune, nous ramènerons cette dernière à sa durée de vie initiale. En outre, il convient de garantir ses recettes et d’éviter que le Gouvernement ne soit tenté de se laisser aller à une fuite en avant face à la dette sociale.
Lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, il nous faudra également prendre les mesures qui s’imposent afin de nous engager encore un peu plus loin dans la réforme structurelle des dépenses des différentes branches de la sécurité sociale.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Henri de Raincourt, ministre. Adopter cet amendement reviendrait à supprimer une disposition introduite par la commission des affaires sociales du Sénat, dont l’objectif, je le rappelle, est de s’assurer que le Gouvernement respectera bien le plan de financement initial. Je pense qu’un tel respect est déjà une exigence du projet de loi organique. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement a accepté la proposition de la commission des affaires sociales.
Le projet de loi de financement de la sécurité sociale comprendra bien une clause de garantie assurant à la CADES, année après année, des recettes équivalentes à 0,26 point de CRDS. Je dis « équivalentes », car vos préoccupations, monsieur Fischer, qui sont partagées par tous les sénateurs, rejoignent celles qui ont été exprimées par le Gouvernement et par le Président de la République. Notre intention, François Baroin l’a dit cet après-midi devant la Haute Assemblée, est bien d’affecter à la CADES le rendement d’autres niches.
Pour toutes ces raisons, je vous demande de bien vouloir retirer votre amendement. À défaut, j’émettrai un avis défavorable.
M. le président. Monsieur Fischer, acceptez-vous de retirer cet amendement, ainsi que le Gouvernement vous y a invité ?
M. Guy Fischer. En soutenant cet amendement, monsieur le président, j’ai exprimé une conviction : je ne le retire donc évidemment pas.
M. le président. La parole est à M. Jean Arthuis, pour explication de vote.
M. Jean Arthuis. J’ai été, comme toujours, très intéressé par les propos du président. Fischer. J’ai bien noté qu’il exprimait une conviction. En l’écoutant, je me demandais toutefois si sa conviction n’était pas fondée sur une illusion politiquement extrêmement correcte.
Il suspecte le Gouvernement de vouloir faire peser la charge fiscale sur les seuls foyers, sur les ménages. Notre collègue pense qu’il faut répartir cette charge entre les entreprises et les ménages.
Mais, cher collègue, à l’heure de la globalisation de l’économie, pensez-vous qu’il y ait un seul impôt payé par les entreprises qui ne se retrouve pas dans le prix demandé au consommateur ? Aussi longtemps, naturellement, que les entreprises restent sur le territoire national… Car nous savons bien que nombre d’entre elles s’exilent précisément pour échapper à ces charges de production.
Ne pourriez-vous envisager de faire évoluer la base de votre conviction, monsieur Fischer, en acceptant de croire que l’impôt, quel que soit le transit, est toujours payé par les foyers fiscaux, par les citoyens ? Nous serions alors en mesure d’avoir ensemble un vrai débat.
Il est en effet politiquement très correct de dire : « Je fais payer les entreprises. » Mais c’est une illusion, car vous retrouverez forcément le poids de l’impôt dans le prix demandé au consommateur. Le Gouvernement lui-même, quelquefois, cède à ce sophisme, par exemple lorsqu’il nous dit qu’une taxe carbone eût été payée en partie par les entreprises. Moi, je dis que la partie payée par les entreprises aurait en définitive été payée par les ménages.
Alors, si nous voulons progresser, arrêtons de nous raconter des histoires. C’est pour cela, monsieur Fischer, que vous auriez sans doute dû retirer votre amendement. (Mme Marie-Thérèse Hermange et M. Jean-Paul Virapoullé applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Guy Fischer, pour explication de vote.
M. Guy Fischer. Je connais bien cette argumentation du président Arthuis : il la déploie régulièrement et, depuis quelque temps, chaque projet de loi de finances nous donne l’occasion d’avoir des échanges à ce sujet. Mais il ne me convainc pas.
M. Jean Arthuis. Pas encore !
M. Guy Fischer. Le débat sur les retraites nous permettra de reprendre ce débat, mais pour notre part, nous dirons à quelle iniquité la réforme proposée va conduire.
Nous pensons que la majeure partie des dépenses – 85 % – sera supportée par les salariés. Permettez-moi, monsieur Arthuis, d’illustrer mon propos d’un exemple qui ne manquera pas de vous faire réfléchir – mais je suis sûr que le fait ne vous a pas échappé puisque vous êtes contre les prélèvements. Il faut savoir que, aux termes du projet de loi portant réforme des retraites, les fonctionnaires vont voir le taux de cotisation salariale passer de 7,85 % à 10,55 % en dix ans, ce qui représente au total une hausse de près de 35 % !
Je vous défie de me citer, dans n’importe quelle catégorie socioprofessionnelle, des hausses de taux de cotisation aussi importantes. C’est un véritable matraquage !
M. Jean Arthuis. Comment les syndicats ont-ils pu accepter des taux de cotisation aussi élevés dans le privé ? Ce sont pourtant les mêmes syndicats !
M. Guy Fischer. Je ne suis absolument pas d’accord, mais nous en reparlerons lors du débat sur la réforme des retraites.
J’en viens à mon explication de vote, qui portera à la fois sur l’amendement, sur l’article 1er, le plus important du texte, et donc sur l’ensemble du projet de loi organique.
Tout d’abord, vous avez fait le choix de rendre automatique l’augmentation des prélèvements sociaux sur les foyers les plus modestes puisque les foyers les plus riches demeureront protégés par le bouclier fiscal. C’est dire que, avec cette mesure, nous voyons la continuation de la politique de classe qui est menée depuis le début du mandat de M. Nicolas Sarkozy à la présidence de la République.
J’ajoute que les alinéas 3 et 4 de l’article 1er nous semblent profondément contraires à nos textes fondamentaux et plus précisément à l’article XIV de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui dispose expressément : «Tous les Citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement, d’en suivre l’emploi et d’en déterminer la quotité, l’assiette, le recouvrement et la durée. »
En inscrivant dans une loi organique, à laquelle une loi ordinaire ne peut déroger, une disposition rendant automatique – à proportion du déficit – la hausse de la CRDS, qui est un prélèvement de nature fiscale mais dont l’objet est social, vous privez les citoyens de la possibilité de déterminer la quotité, l’assiette et la durée dudit prélèvement.
Dans ces conditions, il est de notre devoir de voter contre une telle disposition.
M. le président. Je mets aux voix l'article 1er.
(L'article 1er est adopté.)
Article 2
Le code de la sécurité sociale est ainsi modifié :
1° L’article L.O. 111-3 est ainsi modifié :
a) Aux 1°, 2° et 3° du B et au 3° du C du V, après le mot : « financement », sont insérés les mots : «, à l’amortissement de leur dette ou à la mise en réserve de recettes à leur profit » ;
b) Le 2° du VIII est complété par les mots : «, et du tableau patrimonial mentionné au II de l’article L.O. 111-4 » ;
2° L’article L.O. 111-4 est ainsi modifié :
a) (nouveau) Le I est complété par une phrase ainsi rédigée : « La prévision de l’objectif national de dépenses d’assurance maladie pour les quatre années à venir repose sur des hypothèses de construction explicitées prenant en compte les perspectives d’évolution des dépenses et les mesures nouvelles identifiées. » ;
b) Le II est complété par une phrase ainsi rédigée : « Ce rapport présente également un tableau, établi au 31 décembre du dernier exercice clos, retraçant la situation patrimoniale des régimes obligatoires de base et des organismes concourant à leur financement, à l’amortissement de leur dette ou à la mise en réserve de recettes à leur profit. » ;
c) (nouveau) Après la troisième phrase du 7° du III, il est inséré une phrase ainsi rédigée : « Elle fournit des éléments précis sur l’exécution de l’objectif national au cours de l’exercice clos et de l’exercice en cours ainsi que sur les modalités de construction de l’objectif pour l’année à venir en détaillant, le cas échéant, les mesures correctrices envisagées. » ;
3° À l’article L.O. 111-6, les mots : « jour férié » sont remplacés par le mot : « dimanche » ;
4° Au dernier alinéa de l’article L.O. 111-7, les mots : « d’urgence » sont remplacés par le mot : « accélérée ».
M. le président. La parole est à M. Jacky Le Menn, pour explication de vote sur l'article.
M. Jacky Le Menn. Le projet de loi organique relatif à la dette sociale ne précise aucun des choix du Gouvernement sur le contenu des nouvelles recettes octroyées dans cet article à la CADES. Il faudra attendre le PLFSS de 2011, voire celui de 2012 pour les connaître. Ce n’est pas sérieux !
En tout état de cause, cette situation est hautement préoccupante dans la mesure où le report des décisions sur ce sujet risque de rendre le traitement de cette dette plus douloureux et présente de sérieuses incertitudes.
Le choix de modifier la loi organique ne devrait intervenir qu’en discutant franchement des conditions de transfert de ressources nouvelles à la CADES. Cela marquerait la détermination des pouvoirs publics à conserver un horizon raisonnable pour le remboursement des dettes que provoqueront les déficits en cours de formation.
Pour l’heure, c’est le flou qui prédomine.
Le Gouvernement s’est farouchement opposé à une augmentation du taux de la CRDS, que certains membres de la majorité jugent pourtant inéluctable.
Vous avez également annoncé le transfert des actifs du Fonds de réserve des retraites à la CADES dans le cadre de la réforme des retraites. Mais cela ne sera pas suffisant.
Aussi envisagez-vous désormais de mettre en place des taxes ciblées et, surtout, de raboter ou de supprimer certaines niches sociales. Nous sommes aujourd’hui en mesure de les identifier : la taxation des complémentaires santé et des contrats d’assurance vie, notamment.
En clair, vous avez décidé de faire payer les ménages au travers d’impôts indirects qui ne disent pas leur nom : ce seront bien les assurés sociaux qui, en définitive, mettront la main à la poche, via l’augmentation de leurs cotisations et la baisse de la rémunération de leur épargne.
M. le président. Je mets aux voix l'article 2.
(L'article 2 est adopté.)
Article 2 bis (nouveau)
Le I de l’article 3 de l’ordonnance n° 96-50 du 24 janvier 1996 relative au remboursement de la dette sociale est ainsi rédigé :
« I. - La caisse est administrée par un conseil d’administration composé de quatorze membres, comprenant :
« - une personnalité choisie en raison de sa compétence, nommée par décret, président ;
« - le président et le vice-président du conseil d’administration de l’agence centrale des organismes de sécurité sociale ou leur suppléant, désigné au sein dudit conseil ;
« - les présidents du conseil de la caisse nationale de l’assurance maladie des travailleurs salariés, du conseil d’administration de la caisse nationale d’assurance vieillesse des travailleurs salariés et du conseil d’administration de la caisse nationale des allocations familiales ou leur suppléant, les vice-présidents desdits conseils ;
« - le président du conseil d’administration de la caisse nationale du régime social des indépendants ou son suppléant, désigné parmi les vice-présidents dudit conseil ;
« - le président du conseil d’administration de la caisse centrale de la mutualité sociale agricole ou son suppléant, le premier vice-président dudit conseil ;
« - deux représentants du ministre chargé de l’économie et des finances ou leurs suppléants, nommés par arrêté du ministre chargé de l’économie et des finances ;
« - deux représentants du ministre chargé de la sécurité sociale ou leurs suppléants, nommés par arrêté du ministre chargé de la sécurité sociale ;
« - un représentant du ministre chargé du budget ou son suppléant, nommés par arrêté du ministre chargé du budget ;
« - un représentant du conseil de surveillance du fonds de réserve pour les retraites ou son suppléant, choisis par le président dudit conseil parmi les représentants des assurés sociaux ou des employeurs et travailleurs indépendants. » – (Adopté.)
Article 3
(Non modifié)
La deuxième phrase du premier alinéa de l’article L.O. 132-3 du code des juridictions financières est ainsi rédigée : « Ce rapport comprend l’avis de la cour mentionné au 2° du VIII de l’article L.O. 111-3 du code de la sécurité sociale. » – (Adopté.)
Article 4
(Non modifié)
La présente loi organique est applicable pour la première fois à la loi de financement de la sécurité sociale pour 2011, à l’exception du b du 1° et du b du 2° de l’article 2 qui s’appliquent pour la première fois à la loi de financement de la sécurité sociale pour 2012 – (Adopté.)
Vote sur l'ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi organique, je donne la parole à M. Bernard Cazeau, pour explication de vote.
M. Bernard Cazeau. Nous avons dit, tout au long de cet après-midi, tout le mal que nous pensions de la méthode employée quant au financement de la dette sociale. Je tiens néanmoins à préciser que nous voterons contre ce texte.
M. le président. La parole est à M. Jean Arthuis.
M. Jean Arthuis. Cette loi organique ouvre des possibilités pour assurer le financement de la dette sociale. Elle ne dit rien de ce que seront les recettes permettant de couvrir la dette sociale. Le débat, le vrai débat, le débat fondamental, aura lieu lorsque nous examinerons la loi de financement de la sécurité sociale et, accessoirement, de la loi de finances.
Le groupe centriste votera ce texte, mais ce soutien ne préjuge en aucune façon les positions qu’il prendra sur les moyens à mobiliser pour assurer le financement de la dette sociale et ne pas compromettre la solidarité intergénérationnelle.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi organique.
En application de l'article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 273 :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 339 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 170 |
Pour l’adoption | 186 |
Contre | 153 |
Le Sénat a adopté.
4
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 14 septembre 2010 :
À neuf heures trente :
1. Questions orales.
(Le texte des questions figure en annexe).
À quatorze heures trente et, éventuellement, le soir :
2. Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public (n° 675, 2009-2010).
Rapport de M. François-Noël Buffet, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d’administration générale (n° 699, 2009 2010).
Texte de la commission (n° 700, 2009-2010).
Rapport d’information de Mme Christiane Hummel, fait au nom de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes (n° 698, 2009-2010).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-huit heures quarante-cinq.)
Le Directeur adjoint
du service du compte rendu intégral,
FRANÇOISE WIART