M. le président. La parole est à Mme Françoise Cartron.
Mme Françoise Cartron. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, tout d’abord, je me réjouis du consensus dont ce texte fait l’objet. Le fait qu’il ait été déposé dans les mêmes termes au Sénat et à l’Assemblée nationale et que cette dernière l’ait adopté à la quasi-unanimité de ses membres nous démontre que les initiatives parlementaires peuvent parfois se révéler fructueuses.
J’ajoute que cette proposition de loi a été élaborée en étroite concertation avec tous les acteurs de la profession. Je salue à cette occasion le travail accompli par le CNC.
Après notre rapporteur, Serge Lagauche, je vais vous présenter la position du groupe socialiste sur cette proposition relative à l’équipement numérique des établissements de spectacles cinématographiques.
La numérisation constitue un virage technologique de grande ampleur pour toute l’industrie cinématographique. Nous devons être pleinement conscients de ce qu’il implique : il s’agira non pas d’une simple évolution ne touchant que quelques-uns, mais d’un changement immédiat et général. Ceux qui en seraient écartés seraient, de fait, exclus de l’industrie.
L’équilibre de cette industrie, ainsi que l’exigence d’une réelle égalité territoriale, implique que l’ensemble des 5 400 salles, réparties dans les 2 200 établissements que compte notre pays, puissent s’équiper dans un délai bref. Or le coût de l’acquisition de projecteurs numériques et des travaux nécessaires à leur installation est très élevé : 80 000 euros en moyenne. Il faudra donc 430 millions d’euros pour couvrir l’ensemble du territoire.
Comme le montre le rapport de Serge Lagauche, la numérisation est un enjeu dont la puissance publique doit se saisir. Plusieurs raisons nous conduisent à légiférer aujourd’hui. J’en évoquerai trois.
Tout d’abord, il faut rétablir un certain équilibre dans l’industrie du cinéma. À l’échelle de l’ensemble de l’industrie, la numérisation permettra sans aucun doute de réaliser des économies substantielles, donc des gains économiques qu’il conviendra de répartir de façon équitable. Dans un premier temps, les avantages financiers bénéficieront aux distributeurs, puisque le coût d’une copie numérique est de 150 euros environ, contre 600 à 2 000 euros pour une copie au format 35 millimètres. Parallèlement, avant de pouvoir bénéficier d’une plus grande souplesse dans leur programmation et en matière de logistique, les distributeurs seront pénalisés par le coût des équipements. Cette situation risque de remettre en cause l’équilibre de certaines salles, notamment les plus petites. C’est pourquoi l’intervention du législateur est nécessaire.
Ensuite, il convient d’assurer l’accès à la culture sur tous les territoires. Les petites salles, les salles d’art et d’essai et les cinémas ruraux subventionnés doivent conserver toute leur liberté dans leurs choix de programmation. Pour cela, le législateur a le devoir de garantir leur indépendance à l’égard des diffuseurs. Ces salles doivent donc être soutenues afin de pouvoir s’équiper au même rythme que les grands réseaux de diffusion. Dans le cas contraire, elles seraient soumises à la raréfaction des copies en 35 millimètres, puis à leur disparition, et elles subiraient de façon encore plus violente qu’aujourd’hui la pression de la concurrence des grandes salles, ce qui mettrait en jeu leur survie.
Enfin, il convient d’accompagner la mutation de l’industrie. La numérisation aura des conséquences sociales importantes pour les salariés. Je pense notamment aux projectionnistes et aux techniciens des industries techniques. Le législateur doit intervenir afin que, pour ces personnels, virage technologique ne rime pas avec chômage automatique.
Telles sont les trois raisons majeures qui justifient l’intervention du législateur. Certes, l’équipement des grandes salles aurait sans doute pu être laissé à l’arbitrage du marché. Cette catégorie d’établissements, qui représente le tiers du parc français avec 1 436 salles, est d’ailleurs souvent équipée. Les grands diffuseurs et distributeurs français se sont inspirés d’une initiative américaine pour mettre en place un principe dit de « frais de copie virtuelle ». Le distributeur reverse une contribution dite « numérique », correspondant à une part des économies réalisées, afin d’aider les diffuseurs à acquérir des équipements numériques. Déjà, des « tiers investisseurs » privés interviennent sur le marché français pour permettre aux exploitants de mutualiser les contributions des diffuseurs.
Ce principe, satisfaisant pour les grands réseaux, nécessite une régulation publique pour garantir le passage au numérique de l’ensemble des salles et pour assurer la liberté de programmation des exploitants. En effet, les diffuseurs ne doivent pas être tributaires des choix des distributeurs pour leur survie.
Outre les trois raisons majeures que j’ai évoquées, l’intervention du législateur a également été rendue nécessaire par la décision de l’Autorité de la concurrence du 1er février dernier, qui censurait l’initiative, visant à créer un fonds de mutualisation, lancée par le CNC, lequel serait alors devenu un « tiers investisseur public ». L’autorité a vu dans le principe simple qui était proposé une concurrence déloyale à l’encontre des « tiers investisseurs » privés, considérant que le CNC ne pouvait à la fois être régulateur et opérateur sur ce marché.
Le dispositif présenté par notre rapporteur me paraît répondre à toutes ces exigences et permettra d’atteindre cet « objectif d’intérêt général », rappelé par l’Autorité de la concurrence, que constitue la numérisation des salles de cinéma.
Premièrement, il permettra de renforcer la transparence. Cela concerne, d’une part, les équipements qui justifient la mise en place d’une contribution numérique, ainsi que leur durée d’amortissement et, d’autre part, la nécessité d’établir des contrats écrits, tant pour la contribution numérique que pour le contrat de location de films.
Deuxièmement, ce dispositif favorise l’organisation mutualisée de la collecte de la contribution numérique, afin de retenir une solution proche de celle qu’avait imaginée le CNC et qui a été approuvée par la profession.
Troisièmement, la proposition de loi inclut l’ensemble des utilisations possibles des équipements numériques. En effet, l’équipement numérique permettra aux salles de développer une nouvelle activité « hors film ». Il était normal que les acteurs de cette nouvelle industrie participent à l’équipement des exploitants. Cependant, les bandes-annonces et les courts métrages sont exclus du dispositif.
D’un point de vue technique, le texte proposé insiste sur la nécessaire interopérabilité sur toute la chaîne et entre toutes les salles. Ainsi, les plus petites salles ne risqueront pas d’être dans l’impossibilité de diffuser certains films.
Par ailleurs, j’estime que l’impératif de diversité culturelle est garanti par le texte, puisque les aides publiques sélectives accordées par le CNC sont conditionnées aux engagements de programmation. Cet objectif est concrétisé par le décret du 8 juillet dernier, relatif aux aides directes du CNC, qui régit le soutien financier que recevront les salles de trois écrans ou moins. Ces aides sont essentielles, car elles concerneront les salles diffusant les films à un large public, notamment dans les villes moyennes et en zone rurale.
La conjonction du système de contribution obligatoire et des aides directes du CNC aux salles de continuation permettra, je l’espère, un équipement de l’ensemble du parc. Nous sommes donc satisfaits de ce dispositif. Mais, après l’adoption du texte, nous devrons veiller à son application. Nous devrons aussi vérifier avec une grande attention qu’il est bien adapté aux plus petites salles, notamment aux salles rurales qui ne peuvent subsister qu’avec l’aide des collectivités territoriales.
Le passage d’une à deux semaines après la sortie nationale du film du délai nécessaire pour bénéficier de la contribution obligatoire est une bonne chose. Nous devrons rapidement vérifier si ce délai est suffisant, et si tel n’est pas le cas, envisager de l’étendre. Je m’interroge sur ce point et je ne suis pas la seule, puisque certains de mes collègues souhaitent, par voie d’amendements, allonger dès maintenant ce délai à trois, voire à quatre semaines.
Il nous faudra également prêter une attention toute particulière à la façon dont les petites salles feront face à la complexité du dispositif.
Les collectivités territoriales assurent déjà la survie de nombreuses salles rurales et associatives. Je peux en témoigner pour la région Aquitaine dont je suis issue. La numérisation des salles ne devrait pas se traduire pour ces collectivités par une explosion des aides, surtout dans le climat de grande inquiétude et incertitude financières qu’elles connaissent.
Une grande attention devra également être portée à l’évolution des emplois dans les industries techniques. La numérisation constitue pour ces industries une véritable révolution technologique. La Fédération des industries du cinéma, de l’audiovisuel et du multimédia, la FICAM, a assimilé les conséquences de cette innovation à un authentique électrochoc économique et social. Ce secteur va ainsi perdre près de 1 100 emplois, ainsi que 165 millions d’euros de chiffre d’affaires. Avec ce texte, nous allons accélérer la mutation technologique. Nous devons, en contrepartie, être très attentifs à l’évolution des emplois dans ces industries.
Si la réforme qui nous est proposée devait se traduire par une disparition des petites salles et par la destruction de nombreux emplois, la révolution numérique ne serait pas seulement un formidable progrès, elle serait aussi, malheureusement, une terrible régression. Nous devons donc, mes chers collègues, être particulièrement vigilants quant à l’application de la loi et ne pas considérer notre travail sera terminé après que la proposition de loi aura été votée. Il y va de la qualité de l’offre de films française et de la survie de toute l’industrie cinématographique hexagonale.
J’ai rappelé notre devoir de vigilance, mais cela n’enlève rien à la qualité du dispositif proposé. Je crois en effet qu’en adoptant ce texte, nous répondons de façon satisfaisante à l’enjeu de la numérisation des salles. C’est pourquoi le groupe socialiste votera cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme Colette Mélot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le cinéma vit actuellement des mutations importantes liées à la révolution technologique que nous connaissons.
Comme le livre ou la musique, le cinéma est confronté au défi de la numérisation. Depuis le succès des films en trois dimensions, dits en 3D, les professionnels du cinéma ont pris conscience de la nécessité d’adapter rapidement les salles à ces nouveaux procédés de production et de diffusion. C’est une question de survie pour les petites salles, en particulier en milieu rural.
L’objet de cette proposition de loi, adopté par l’Assemblée nationale le 16 juin 2010, et présenté par notre collègue Serge Lagauche, est simple : soutenir la modernisation de toutes les salles de cinéma en France, en généralisant et en rendant obligatoire le versement par les distributeurs d’une contribution numérique en faveur des exploitants des salles de cinéma. II s’agit d’encadrer une pratique existante et d’accompagner ainsi la profession dans une mutualisation des financements nécessaires à sa modernisation.
Cependant, la période transitoire que nous vivons actuellement peut, comme toute période de mutation, entraîner des difficultés. Si l’on veut que l’ensemble des acteurs de la chaîne du cinéma passe au numérique et que l’économie soit réelle et partagée à long terme, il faut trouver un système de financement permettant aux exploitants de salles de s’adapter rapidement.
La diffusion numérique des films engendre un surcoût pour les exploitants, qui doivent adapter les cabines de projection à cette nouvelle technologie. Le Centre national du cinéma et de l’image animée estime que le coût de l’équipement d’une salle en numérique est en moyenne de 80 000 euros.
Cette constatation a amené toute la profession à chercher, d’un commun accord, un mécanisme permettant de répartir l’effort financier sur l’ensemble des acteurs de la filière.
Ce texte permet d’assurer à tous les exploitants et distributeurs un cadre juridique stable et sécurisé. Ainsi, les exploitants qui ne percevraient pas, ou insuffisamment, de contributions numériques, disposeront de l’aide du CNC pour numériser leurs salles.
Permettez-moi de rappeler l’esprit qui a présidé à l’élaboration du texte : il s’agit non pas de mettre en place une nouvelle taxe, mais bien de généraliser une contribution qui repose sur un principe juste et qui permette à tous les acteurs d’être gagnants. Ce principe sera d’autant plus juste qu’il sera incitatif, d’autant plus pertinent et efficace qu’il mutualisera. La contribution numérique sera due non par œuvre, mais par salle, donc par écran. Cela répond aux enjeux posés par la multidiffusion.
Ce texte souligne notre engagement de préserver sur notre territoire un vaste réseau de salles de cinéma contribuant au maintien de notre diversité culturelle, à laquelle nous sommes tous très attachés.
Permettez-moi de souligner les difficultés que rencontrent les petites salles de cinéma. Alors que la fréquentation globale est en hausse, ce que confirment les bons résultats du premier trimestre de 2010 avec une augmentation de 8 %, certaines petites salles ont connu en 2009 un recul de 10 à 20 % de leurs bénéfices.
Les petites salles, les salles d’art et d’essai et les salles de cinéma en milieu rural pourraient se trouver fragilisées économiquement si elles ne réussissaient pas à se moderniser. Il s’agit donc d’un plan de sauvetage extrêmement important pour la diffusion culturelle.
Je citerai, pour illustrer mon propos, un exemple, pris dans mon département de Seine-et-Marne. Je salue le dynamisme et la détermination du gérant passionné du plus petit cinéma d’Île-de-France, installé, depuis fort longtemps, à Mons-en-Montois, petit village de 400 habitants près de Provins. Il propose chaque semaine une programmation diversifiée à quelques dizaines de spectateurs cinéphiles.
Ce gérant de cinéma en milieu rural a pu maintenir son activité et sauver son établissement atypique grâce à votre intervention, monsieur le ministre. Il s’est vu octroyer une subvention du CNC, sans laquelle il n’aurait pas pu poursuivre son activité. La presse régionale s’en est fait l’écho récemment.
Il nous faut aller plus loin pour éviter que, à terme, les salles qui ont su, jusqu’à aujourd’hui, résister face difficultés nées des mutations technologiques, ne disparaissent faute de moyens.
Il est de notre devoir de favoriser l’essor du numérique, car les salles de cinéma jouent un rôle fondamental dans la vie culturelle de notre pays. Nous disposons d’un parc de 5 500 écrans, ce qui est unique en Europe.
Je tiens à souligner le rôle des collectivités territoriales, qui ont racheté de nombreuses salles afin de les sauver. La ville de Melun, où je suis élue et en charge de la culture, soucieuse de préserver une activité cinématographique diversifiée et d’offrir à tous les publics des salles de cinéma de proximité, a décidé d’acquérir les murs et le fonds de commerce de son dernier cinéma. Elle l’a ensuite confié à un gérant dont la mission est d’exploiter cette activité à ses risques et périls, avec toutefois des actions menées en lien avec les services culturels et une réflexion conduite par un comité de pilotage. Malgré cette aide, ce cinéma de centre-ville connaît beaucoup de difficultés, récemment accentuées par l’arrivée d’un deuxième multiplexe à sa périphérie.
II est donc urgent de procéder à la numérisation de l’établissement. Cela permettrait de répondre à la demande du public et de continuer d’assurer une activité cinématographique en centre-ville pour tous ceux qui ne pourraient pas se rendre dans les multiplexes.
Je tenais à citer ces exemples particuliers, car ils sont représentatifs d’une situation que l’on trouve sur l’ensemble du territoire national.
L’engagement de l’État et sa participation aux efforts des collectivités locales seront déterminants pour l’avenir du cinéma français, qu’il faut préserver.
En conclusion, je tiens à souligner qu’en réponse à une demande forte de la profession du cinéma, il a été introduit dans ce texte une disposition visant à rendre obligatoire, et non plus facultative, la référence aux usages de la profession cinématographique pour fixer les loyers des salles de cinéma. Désormais, la référence pour ce calcul sera le chiffre d’affaires réalisé par l’exploitant. Il est, en effet, nécessaire de réguler ces baux si l’on souhaite préserver les cinémas qui ont réussi, souvent avec difficulté, à se maintenir dans les centres-villes.
Mes chers collègues, je me réjouis que cette proposition de loi fasse l’objet d’un consensus, tant sur le fond que sur la méthode. Pour toutes ces raisons, il est très important de voter ce texte tant attendu par tous ceux qui aiment le cinéma et porteuse d’avenir pour les exploitants indépendants des salles de cinéma de notre pays. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. –M. Jean-Pierre Sueur applaudit également.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Article additionnel avant l’article 1er
M. le président. L'amendement n° 1, présenté par M. Ralite, Mmes Gonthier-Maurin et Labarre, MM. Renar, Voguet et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Avant l'article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« Au chapitre Ier bis du titre III de la deuxième partie du livre Ier du code général des impôts après la section II bis, il est inséré une section ainsi rédigée :
« Section ...
« Taxe sur les copies numériques d'œuvres et documents cinématographiques
« Art. ... - Il est institué à compter de la promulgation de la présente loi une taxe sur les ventes et locations des copies numériques d'œuvres et documents cinématographiques destinées à la projection publique.
« Cette taxe est due par les redevables qui vendent ou louent leu copie numérique à un établissement de spectacles cinématographiques
« La taxe est assise sur le montant hors taxe sur la valeur ajoutée du prix acquitté au titre des opérations visées ci-dessus.
« Le taux est fixé à 2,35 %. Il est porté à 10 % lorsque les opérations visées au présent article concernent des œuvres et documents cinématographiques ou audiovisuels à caractère pornographique ou d'incitation à la violence. Les conditions dans lesquelles les redevables procèdent à l'identification de ces œuvres et documents sont fixées par décret.
« La taxe est exigible dans les mêmes conditions que celles applicables en matière de taxe sur la valeur ajoutée.
« Elle est constatée, liquidée, recouvrée et contrôlée selon les mêmes procédures et sous les mêmes sanctions, garanties, sûretés et privilèges que la taxe sur la valeur ajoutée. Les réclamations sont présentées, instruites et jugées selon les règles applicables à cette même taxe.
« Le produit de la taxe est affecté au Centre national du cinéma et de l'image animée. »
La parole est à M. Ivan Renar.
M. Ivan Renar. Notre amendement prévoit la création d’un fonds d’aide à l’équipement numérique des salles de cinéma, alimenté par une taxe sur les copies numériques assise sur le montant des recettes des distributeurs, au taux de 2, 35 %. Elle permettrait de financer 50 % de l’équipement et de prévoir son renouvellement.
Nous proposons une taxe sur les recettes plutôt que sur le prix du billet d’entrée afin que le coût en incombe, in fine, non pas au spectateur, mais bien aux distributeurs à qui profite le passage au numérique.
En créant une taxe numérique proportionnelle aux recettes et donc au nombre d’entrées enregistrées par les distributeurs pour un film donné, en proposant que son montant soit fixe et déterminé par la loi, nous souhaitons assurer une contribution proportionnée, juste et équitable de chaque distributeur au financement des équipements numériques de toutes les salles de cinéma.
Cette taxe a pour intérêt de se dégager des rapports de forces économiques qui prédominent lorsque l’on place au cœur du dispositif de financement de l’équipement numérique une contribution dont le montant, peu encadré, fait l’objet d’une négociation au cas par cas. Son avantage principal est de n’influer ni sur les plans de sortie des films, ni sur la programmation des salles en fonction des résultats obtenus lors des négociations sur le montant de la contribution numérique, qui est variable. Elle n’a donc pas d’incidence sur le circuit du cinéma, sur un modèle de rotation rapide des films qui ne permettrait pas de garantir la qualité et la diversité du cinéma français, qui l’uniformiserait sur un modèle purement commercial fondé sur les multiplexes et les blockbusters – je vous prie de bien vouloir m’excuser, monsieur le président de la commission, mais je n’ai pas trouvé d’équivalent français !
La taxe que nous proposons serait donc une solution digne du cinéma français qui s’est toujours appuyé sur la solidarité et sur la redistribution pour ne pas laisser les forces, prétendument régulatrices, du marché éliminer les petits acteurs et uniformiser le paysage cinématographique français. Ce serait contraire à l’exception culturelle dont nous sommes fiers.
Les arguments que l’on nous oppose tiennent au calendrier imposé par la nécessité d’une validation de la Commission européenne, qui enquête pendant des périodes très longues, allant de dix-huit à vingt-quatre mois, et à l’incertitude de son autorisation.
Face à la possibilité que soit repoussée une solution pourtant soutenue par un grand nombre d’acteurs, nous préférons la certitude d’une contribution numérique qui ne convient réellement à personne, mais dont chacun prend le parti de s’accommoder quitte à renier entièrement le système de financement du cinéma français, qui depuis 1946, repose sur une taxe solidaire : la taxe spéciale additionnelle.
Tel est le sens de l’amendement que nous vous proposons d’adopter.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Serge Lagauche, rapporteur. Lors de la discussion générale, M. Jean-Pierre Leleux a expliqué pourquoi il a été décidé de renoncer à l’option de créer une nouvelle taxe, qui avait été envisagée à la suite de l’avis de l’Autorité de la concurrence. Cette solution aurait posé de sérieuses difficultés, que vous avez d’ailleurs évoquées.
Tout d’abord, il aurait fallu soumettre un tel dispositif à l’examen de la Commission européenne qui aurait déclenché une enquête ouvrant un délai incompressible de dix-huit à vingt-quatre mois. Or, la numérisation des salles est en cours et toute perte de temps aurait nui à la profession. Au-delà de la question du calendrier, il aurait encore fallu que la réponse de la Commission européenne soit positive. Nous n’avions aucune garantie sur ce point, d’autant qu’elle préfère en général les aides ciblées à la taxation.
Ensuite, l’idée d’une taxe suscitait une certaine opposition chez les distributeurs. Plusieurs d’entre eux, qui ont déjà dû verser une contribution à certaines salles, se refusaient à payer une seconde fois, ce qui est compréhensible.
Enfin, certains craignaient une répartition inégalitaire du produit de la taxe. Pour toutes ces raisons, préférence a été donnée à un dispositif législatif assorti des volets financier et réglementaire complémentaires que j’ai présentés précédemment.
Monsieur le sénateur, il n’est exact de soutenir que nous renions le système de financement du cinéma. Ce système subsiste. La difficulté tient à l’équipement numérique des salles. Le CNC, comme il l’a toujours fait et il s’est engagé à continuer, aidera les salles qui rencontreront des difficultés. M. le ministre l’a confirmé voilà quelques instants.
Je comprends que vous ayez à cœur de faire connaître votre attachement à cette taxation. Pour autant, je vous demande de bien vouloir retirer votre amendement. À défaut, j’y serai défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Frédéric Mitterrand, ministre. Monsieur Renar, il ne me paraît vraiment pas nécessaire de créer une taxe supplémentaire en vue de financer l’équipement numérique des salles de cinéma. Il serait injuste de faire peser sur les distributeurs une telle taxe, alors qu’ils participeront déjà au mécanisme de contribution numérique que cette proposition de loi vise à mettre en place.
Compte tenu de ces précisions, je vous demande de bien vouloir retirer votre amendement. À défaut, le Gouvernement émettra un avis défavorable.
M. le président. Monsieur Renar, l'amendement n° 1 est-il maintenu ?
M. Ivan Renar. Monsieur le président, je maintiens mon amendement, non par volonté d’opposition et encore moins par méchanceté, mais parce que, quoi qu’en dise M. le rapporteur, nous arrivons à des carrefours qui comportent de nombreux dangers, d’un point de vue démocratique par exemple.
Je me félicite que le groupe CRC ait fait cette proposition. Dans un souci de cohérence avec les positions que nous avons défendues et d’honnêteté envers le Sénat, je maintiens cet amendement, sans que cette décision remette en cause notre vote final.