Mme la présidente. La parole est à Mme Gélita Hoarau.
Mme Gélita Hoarau. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je veux tout d’abord attirer votre attention sur le contexte socio-économique spécifique au département de la Réunion dans lequel s’inscrit ce débat.
Au chômage structurel s’ajoutent les effets de la crise depuis la fin de l’année 2007. Près de 30 % de la population réunionnaise active est privée d’emploi, ce taux dépassant 50 % chez les jeunes âgés de moins de 25 ans. Plus de 52 % de la population vit en dessous du seuil national de pauvreté. Sur une population de 800 000 habitants, nous comptons 350 000 bénéficiaires de la couverture maladie universelle, la CMU, et 186 000 allocataires du revenu minimum d’insertion, le RMI.
Telle est la situation à laquelle les collectivités locales de la Réunion sont confrontées et, dans les faits, elles supportent des dépenses de fonctionnement aussi contraintes qu’élevées, alors même que les besoins en infrastructures et en équipements sont colossaux.
Face à ces données, comment expliquer que ces collectivités, notamment le conseil général de la Réunion, contribuent, au même titre que Paris, les Hauts-de-Seine ou encore la Marne, au Fonds national de garantie individuelle des ressources – le FNGIR – mis en place dans le cadre de la réforme de la fiscalité directe ?
Selon les simulations pour les cinq prochaines années présentées dans le rapport Durieux, le conseil général de la Réunion est contributeur au FNGIR à hauteur de plus de 23 millions d’euros par an et le conseil régional à hauteur de 1 million d’euros.
Au-delà de ce mécanisme, il faut aussi et surtout s’interroger sur la cohérence des instruments de péréquation instaurés par la loi de finances initiale de 2010.
Le fonds de péréquation de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises – péréquation dite « sur stock » – mis en œuvre dès 2011 jouera, me semble-t-il, un véritable effet « péréquateur ». Le prélèvement uniforme de 25 % de cette cotisation est réparti au regard de critères de charges : population, nombre de bénéficiaires de minima sociaux, effectif des élèves scolarisés...
Le fonds de péréquation de la croissance de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises – péréquation dite « sur flux » – soulève, pour sa part, un problème. La participation à ce fonds est déterminée en fonction du potentiel financier par habitant et de la croissance du produit de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises.
Or, madame la ministre, les critères de ce deuxième instrument de péréquation sont préjudiciables au département de la Réunion. La collectivité est ainsi bénéficiaire du premier mécanisme – péréquation « sur stock » – mais supporte un prélèvement dans le cadre du second – péréquation « sur flux ». Comme le souligne le rapport Durieux, ces deux instruments paraissent contradictoires.
Tout d’abord, le potentiel financier pris en compte dans le mécanisme de péréquation « sur flux » ne me semble pas pertinent. Ce ratio est supérieur à la moyenne nationale pour le département de la Réunion en raison de l’intégration dans son calcul de la dotation de compensation de la dotation globale de fonctionnement correspondant à la compensation des dépenses d’aide sociale transférées dans le cadre des premières lois de décentralisation. Il n’est donc pas révélateur de la richesse d’un territoire. Il devrait être complété par la prise en considération de critères de charges du conseil général, tels le nombre de bénéficiaires d’allocations relevant de cette collectivité, l’effort effectué en matière d’infrastructures, par exemple.
En outre, le second déterminant de la participation à la péréquation « sur flux » vise la croissance du produit de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises. Ce critère, madame la ministre, me paraît particulièrement injuste. Comment un département, tel que la Réunion, en phase de rattrapage avec la métropole, peut-il être pénalisé par le dynamisme de l’évolution du produit de la valeur ajoutée de ses entreprises alors même que le stock de valeur ajoutée, qui reflète davantage la richesse économique du territoire, y est l’un des plus faibles de France ?
Dans un souci de véritable équilibre du territoire, objectif recherché par tout mécanisme de péréquation, il serait légitime de modifier ce critère, en considérant non pas l’évolution de cette donnée, mais plutôt un niveau de stock de valeur ajoutée des entreprises du territoire par habitant. La Réunion doit pouvoir bénéficier des fruits de la croissance de son économie locale largement sinistrée par rapport aux autres départements de métropole.
Madame la ministre, le maintien du mécanisme actuel irait à l’encontre de la politique de rattrapage mise en œuvre dans ce département par le biais du contrat de projet État-région et des programmes opérationnels européens.
Étant donné la perte d’autonomie fiscale générée par cette réforme et afin que la collectivité ne fasse pas supporter aux ménages une situation financière de plus en plus tendue, il serait préférable de réviser le système de péréquation actuel sur la base de critères de charges propres à chaque territoire.
J’estime indispensable de se référer, pour la détermination et la répartition des fonds de péréquation, à des critères qui reflètent réellement la richesse d’un territoire par rapport à un autre. Le critère relatif au potentiel financier, tel qu’il est actuellement défini, ne semble pas pertinent.
Madame la ministre, ces revendications sont légitimes. Nous risquons, à terme, d’avoir entre les recettes et les dépenses des collectivités un effet de ciseau tellement important qu’il faudra choisir entre mener une politique d’investissement ou « faire » du social. Un tel choix n’est pas envisageable.
Je profite de ce débat sur les mécanismes de péréquation et de répartition des ressources des collectivités locales pour plaider en faveur de la nécessité d’une péréquation de grande ampleur, à la mesure des inégalités de richesses entre territoires.
Enfin, madame la ministre, le Gouvernement est-il prêt à faire les réajustements nécessaires des derniers mécanismes instaurés pour éviter que les départements les plus pauvres ne soient ceux qui pâtissent de cette réforme fiscale ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Serge Larcher.
M. Serge Larcher. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, il me semble indispensable, à l’occasion de ce débat, d’évoquer la situation des collectivités d’outre-mer, en ce qui concerne tant sa liaison avec les problématiques nationales que son particularisme.
La situation des finances locales en outre-mer est historiquement marquée par un certain nombre d’éléments : d’abord, le surcoût de l’emploi territorial, notamment avec la sur-rémunération ; ensuite, les sureffectifs des collectivités qui ne peuvent être résorbés que dans la durée, car ils résultent historiquement de choix politiques visant à compenser la faiblesse de l’initiative économique et l’inaction de l’État en matière de développement ; en outre, le surcoût des achats réalisés par ces collectivités du fait des frais d’approches liés au grand éloignement de leur source d’approvisionnement, en particulier avec l’Europe ; enfin, les surcoûts de construction, de maintenance et de renouvellement des équipements liés aux conditions climatiques agressives et destructives.
Comme les membres de la mission commune d’information sur la situation des départements d’outre-mer l’ont souligné dans leur rapport, plusieurs adaptations législatives visent à prendre en compte les spécificités de la situation des collectivités ultramarines.
Je rappellerai certaines d’entre elles concernant l’échelon communal, qui profite d’un régime supposé préférentiel s’agissant des dotations de péréquation.
En effet, les communes des départements d’outre-mer bénéficient d’une quote-part des dotations de péréquation répartie entre chaque département d’outre-mer. Mais la DGF par habitant des communes des départements d’outre-mer n’est supérieure que de 2,83 % au montant moyen national. De plus, ces montants ne sont pas homogènes. Ainsi, la Réunion présente le ratio le plus faible, avec 9,12 % de moins que la moyenne nationale.
Des observations similaires peuvent être formulées à l’égard des collectivités départementales et régionales, ainsi que des intercommunalités.
Ces adaptations législatives ne produisent cependant pas l’effet attendu. Il faut donc envisager plusieurs pistes d’amélioration.
Parmi l’ensemble des raisons qui expliquent l’importance des besoins des collectivités des départements d’outre-mer, plusieurs facteurs résultent directement de la responsabilité de l’État et, parfois, de son incapacité à assurer de manière satisfaisante ses compétences régaliennes : l’extension des compétences des collectivités des départements d’outre-mer justifie pleinement que les concours financiers de l’État soient adaptés.
Pour ce qui concerne l’importance des dépenses sociales, l’État doit cesser de se montrer schizophrène et assumer une part du poids qui pèse sur les départements, eu égard à l’insuffisance de compensation des dépenses transférées ; il en est ainsi en particulier pour l’APA, l’allocation personnalisée d’autonomie, ou pour le RMI. En Martinique, par exemple, ce sont plus de 60 millions d’euros qui ne sont pas compensés à ce jour.
Enfin, les investissements résultant de la croissance démographique, plus particulièrement en Guyane, ont en partie pour cause la difficulté rencontrée par l’État à faire face aux flux d’immigration clandestine.
Au total, la DGF outre-mer n’a progressé que de 0,51 % en 2010, ce qui ne peut pas régler les difficultés particulières que je viens d’évoquer.
Au-delà de la péréquation, c’est bien plus globalement la situation des finances des départements d’outre-mer qu’il s’agit de traiter.
Je conclurai par trois propositions courtes et concrètes.
La première d’entre elle vise à apurer la dette sociale. La restauration des finances locales passe nécessairement par leur assainissement. Les dettes accumulées envers les organismes de sécurité sociale révèlent une situation préoccupante, notamment en Guadeloupe et en Guyane : il paraît illusoire de penser que toutes les communes seront un jour à même de les rembourser. Ainsi, la mission que j’ai citée précédemment a-t-elle proposé d’annuler les dettes sociales accumulées par les collectivités territoriales au 1er juillet 2009, sous réserve du paiement des cotisations aux échéances au cours des dix prochaines années. Je souhaite que cette proposition – j’avais déposé un amendement en ce sens – soit enfin explorée.
La deuxième proposition consiste à juguler une crise sans précédent des finances locales en utilisant les outils dont dispose l’État. L’octroi de mer représente 38 % des recettes des communes de la Martinique. Il a subi en 2009 une diminution de l’ordre de 17 % par rapport à l’année précédente, dans un contexte de crise mondiale aggravé par la crise sociale majeure dite de « février 2009 ». Cette situation a littéralement « plombé » les finances de nombreuses communes qui, jusqu’à présent, parvenaient, bon an mal an, à maintenir un équilibre de façade. Il convient donc que l’État s’engage à préserver l’octroi de mer et à activer les outils existants tels que le dispositif dit « cocarde », le contrat d’objectif communal d’aide à la restructuration et au développement.
Depuis 2005, des communes de Guadeloupe et de Guyane ont pu bénéficier de ces prêts de restructuration et d’un accompagnement de l’Agence française de développement, l’AFD.
Au regard de la situation que connaît actuellement la Martinique, il est très étonnant que ni la préfecture ni l’AFD n’évoquent en aucune circonstance cette possibilité avec les maires de ce département.
Me faisant le porte-parole de mon ami Georges Patient, qui ne peut intervenir dans ce débat, je dirai que l’État doit rétrocéder aux communes de Guyane les 27 millions d’euros qui leur font défaut au titre de l’octroi de mer. Il doit également supprimer le plafonnement qui frappe la dotation superficiaire instituée pour les seules communes de Guyane qui leur fait perdre annuellement près de 16 millions d’euros.
J’en viens à ma troisième proposition, l’organisation d’états généraux des finances locales dans chaque département d’outre-mer. Dans le contexte de crise précédemment évoqué, nombre de collectivités d’outre-mer connaissent une dégradation très rapide de leurs finances et se trouvent désormais en déficit.
L’absence de débat dédié à la situation des finances locales dans le cadre des états généraux de l’outre-mer me semble être un grave oubli. Il convient d’y remédier de façon urgente, afin de réunir autour d’une table l’ensemble des acteurs concernés pour partager un diagnostic et mettre en place des solutions portant sur le court et le moyen termes. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Blanc.
M. Jacques Blanc. Madame la présidente, madame le ministre, mes chers collègues, permettez-moi de me réjouir de la tenue du présent débat. Un certain nombre d’entre nous avait demandé avec insistance une clause de revoyure et conditionné leur soutien à la réforme des collectivités locales à l’obtention de cette dernière.
Si nous avons agi de la sorte, c’est, madame le ministre, non pas par manque de confiance vis-à-vis du Gouvernement, mais en raison de la complexité de ces dossiers que nous connaissons.
Le Sénat joue pleinement son rôle ; relevons les travaux de la commission des finances, de nos éminents collègues MM. Buffet, Chatillon et Guené ; aujourd'hui, la Haute Assemblée vérifie que ses annonces soit se sont concrétisées, soit doivent être quelque peu corrigées.
Or qu’avions-nous indiqué lors de la réforme des collectivités locales ?
Nous avions salué la pertinence de la réforme de la taxe professionnelle sur le plan de l’activité économique. Personne ne la conteste aujourd’hui. Elle est d’ailleurs reconnue par les travaux de nos collègues précités, membres d’une mission temporaire auprès de vous, madame le ministre. Je ne reviendrai pas sur ce point : cette réforme favorise en particulier les petites et moyennes entreprises, dont nos communes ont bien besoin.
Pour 2010, nous avions réclamé une garantie des ressources. Cela a été fait, et personne ne peut à mon avis contester que, dans un contexte pourtant extrêmement difficile de crise économique, l’État a respecté son engagement. Dont acte !
M. Roland Courteau. Si, nous, nous le contestons !
M. Jacques Blanc. Cette demande, nous allons la renouveler pour 2011, car il subsiste quelque inquiétude
J’attire votre attention sur un besoin de prévisibilité et de lisibilité quant aux ressources futures. En effet, nous tous, élus des territoires, savons bien l’importance de connaître de façon précise le montant de ces ressources pour engager des investissements et réaliser des programmes. D’où notre demande.
L’exigence évoquée de disposer de simulations objectives que nous puissions communiquer à l’ensemble de nos communes, de nos départements ou de nos régions est essentielle.
J’en viens au point principal de mon intervention, je veux parler du besoin réel d’une péréquation.
Je représente le département le plus défavorisé,…
Mme Nathalie Goulet. Et le mien ?
M. Jacques Blanc. … faiblement peuplé, comportant de petites communes mais de grandes surfaces. Vous comprendrez que j’insiste sur l’importance – partagée, j’en suis sûr et je m’en réjouis, par nombre d’entre vous, mes chers collègues, qu’ils soient élus de montagne ou d’un espace rural difficile – d’étendre les critères retenus pour mettre en jeu cette péréquation. Au-delà de la prise en compte du simple nombre d’habitants, il est indispensable, par exemple, de rapporter à ce dernier le nombre de kilomètres de voirie dans un département, de tenir compte de la superficie, de la pyramide des âges, certains départements accueillant des personnes plus âgées.
Certes, il y a le potentiel fiscal, mais, pour ma part, j’ai un peu peur du potentiel financier,…
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Il ne faut pas !
M. Jacques Blanc. … parce qu’il s’agit de réintroduire de la richesse là où il n’y en a pas, en compensant notre incapacité à trouver les ressources nécessaires.
Loin de nous l’idée de nous présenter comme des assistés ; mais certains départements, comme la Lozère, ou certaines communes – j’en connais beaucoup – ont besoin d’être aidés pour investir et pour créer de la richesse. Si on n’encourage pas les investissements, on ne s’en sortira pas !
Je tiens donc à faire passer ce message : toutes les études, même lorsqu’elles sont complexes, difficiles et techniques, doivent prendre en considération ce principe.
Certes, l’augmentation de la population crée des charges ; mais quand sur un grand territoire la population est faible alors que le nombre de services à fournir est important – routes, réseau d’eau, par exemple –, il faut en tenir compte.
Pour terminer, je plaide non pas seulement pour la Lozère et les communes rurales, mais pour l’intérêt général, parce que notre pays a besoin de relever le défi de l’aménagement équilibré et harmonieux du territoire. (Plusieurs sénateurs du groupe socialiste manifestent leur approbation.)
M. Roland Courteau. C’est vrai !
M. Jacques Blanc. Il n’y aura pas de développement durable, dont tout le monde parle, si les collectivités, en particulier les départements et les communes, n’ont pas les moyens financiers de maintenir la vie sur leurs territoires et d’assurer les services nécessaires.
Contrairement à ce que certains pensent, la nature, livrée à elle-même, s’autodétruit ! Quand il n’y a pas d’agriculture, des incendies surviennent ! Pour que la nature puisse accueillir des femmes et des hommes qui viennent des cités et qui ont besoin de se réconcilier avec eux-mêmes en se rapprochant de leur environnement naturel, il faut des acteurs, des agriculteurs, des ruraux pour fournir les services et maintenir la vie ! Telle est la philosophie de fond que doit refléter la péréquation.
M. Roland Courteau. C’est exact !
M. Jacques Blanc. Jouons la solidarité : c’est le seul moyen d’assurer l’avenir de notre pays ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Lise.
M. Claude Lise. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, dans un contexte de crise qui frappe plus durement encore les territoires défavorisés que les autres, la nécessité de concevoir et de mettre en œuvre des dispositifs permettant de corriger les inégalités de ressources entre collectivités territoriales semble unanimement reconnue. Dès lors, le problème consiste évidemment à trouver des dispositifs adaptés.
Comme certains collègues l’ont déjà bien démontré dans leurs interventions, les mesures qui existent ou qui sont envisagées ne sont manifestement pas à la hauteur des enjeux pour les collectivités territoriales de l’Hexagone. Il importe de se rendre compte qu’elles le sont encore moins pour les collectivités territoriales des départements d’outre-mer.
Tout d’abord, ces territoires ont le triste privilège de figurer parmi les plus défavorisés.
Par ailleurs, dans un contexte de difficultés économiques et sociales croissantes, on assiste à l’inexorable dégradation des finances de leurs collectivités territoriales, notamment celles de leurs communes – mon collègue Serge Larcher l’a souligné – et de leurs collectivités départementales, qui jouent pourtant un rôle proportionnellement beaucoup plus important que leurs homologues de l’Hexagone en tant que moteur économique public et, plus encore, en tant qu’amortisseur social.
C’est pourquoi je tiens à lancer un véritable cri d’alarme, en ma qualité de président de la commission de l’outre-mer de l’Assemblée des départements de France, l’ADF, au nom de l’ensemble des départements d’outre-mer. La question des ressources des conseils généraux d’outre-mer sera en effet à l’ordre du jour de la réunion que je présiderai à la veille du quatre-vingtième congrès de l’ADF.
Mes chers collègues, le problème qui se pose pour les collectivités territoriales des départements d’outre-mer est d’autant plus aigu que la situation de ces derniers est véritablement alarmante. Quelques chiffres peuvent en témoigner.
Le taux de chômage, qui est reparti à la hausse depuis 2008, atteint 21 % en Guyane et plus de 29 % à la Réunion ; la proportion de jeunes dépourvus d’emploi, y compris diplômés, est particulièrement élevée. À la Martinique, par exemple, 61 % des jeunes âgés de moins de vingt-cinq ans sont au chômage.
Le nombre de RMIstes, qui est d’environ 15 000 en Guyane, avoisine les 29 000 aussi bien en Martinique qu’en Guadeloupe et s’établit à 71 000 à la Réunion. Les dépenses d’aide sociale et de solidarité des conseils généraux d’outre-mer représentent 58,4 % de leurs dépenses totales contre 44,2 % pour les conseils généraux de l’Hexagone. Ces quelques éléments sont, me semble-t-il, suffisamment éloquents pour que je ne prolonge pas mon énumération.
Certains d’entre vous se demandent peut-être pourquoi nous en sommes là, après de si nombreux plans de développement, lois de programmation, trains de mesures spéciales qui devraient, pour l’outre-mer, constituer autant d’éléments de péréquation.
Eh bien, mes chers collègues, cette abondance ne doit pas vous leurrer ! En réalité, nous souffrons d’un excès d’effets d’annonce, auquel s’ajoutent des retards fréquents, parfois considérables, dans l’application de certaines mesures, et l’instabilité – parfois l’inadaptation – des dispositifs mis en place.
Actuellement, deux éléments essentiels de la dernière loi de programmation votée au mois de mars 2009 n’ont trouvé quasiment aucune traduction concrète dans nos départements : je veux parler des fameuses zones franches et de la réalisation des programmes de logements sociaux en défiscalisation, dont on a tant parlé dans cette enceinte. Alors que nous prenons la mesure des limites de l’orientation de la défiscalisation en faveur du logement social, c’est tout le dispositif de défiscalisation qui va subir ce qu’on appelle un « coup de rabot »...
Il faut également savoir que, sur les cent trente-sept mesures retenues lors du conseil interministériel de l’outre-mer du 6 novembre 2009, seules une quarantaine ont été mises en application, pour la plupart de nature qualitative, sans réelle incidence sur le développement économique, aucun moyen budgétaire ne leur étant associé.
On comprend, dans ces conditions, les efforts considérables que doivent consentir les collectivités territoriales d’outre-mer pour faire face, dans un contexte de difficultés économiques et sociales croissantes, à d’importants besoins d’équipement et à une demande sociale qui explose. Malheureusement, leur volonté d’agir est de plus en plus contrecarrée par l’insuffisance criante de leurs ressources.
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Claude Lise. Elles subissent évidemment, comme leurs homologues de l’Hexagone, toutes les mesures aboutissant à la stagnation, voire à la réduction, des dotations de l’État.
De surcroît, leurs recettes fiscales – notamment le produit des contributions directes locales – sont bien inférieures à celles des collectivités de métropole, et je n’évoque même pas la menace qui pèse sur l’octroi de mer.
Les dotations qu’elles reçoivent de l’État ne tiennent pas compte, dans leur mode de calcul, de certaines réalités sociales : ainsi, par exemple, le pourcentage de personnes âgées percevant les minima sociaux s’élève à 37 % en Martinique, alors que la moyenne nationale s’établit à 10 %. Par ailleurs, elles ne prennent pas en considération certains surcoûts dus à l’éloignement, au niveau de rémunération des fonctionnaires territoriaux, ou encore certaines contraintes particulières, comme l’exposition à des risques naturels qui impose le respect de normes contraignantes, notamment lors de la construction des lycées et des collèges.
Enfin, le montant des charges non intégralement compensées après les nombreux transferts de compétences opérés ces dernières années atteint des niveaux sans commune mesure avec ceux que connaissent les collectivités de métropole. Par exemple, à la Martinique, la dette cumulée de l’État en matière de remboursement du RMI atteint actuellement 58,5 millions d’euros, soit près de 10 % du budget du conseil général. À la Réunion, cette dette s’élève à 140 millions d’euros.
Que déduire de tout cela ? De toute évidence, les mesures de péréquation existantes et actuellement envisagées ne paraissent absolument pas susceptibles d’améliorer la situation des collectivités territoriales des DOM. Par ailleurs, elles ne sont pas de nature à assurer un minimum d’équité en matière de ressources entre les collectivités des départements d’outre-mer et celles de l’Hexagone. Or n’est-ce pas là la véritable finalité de la péréquation ?
Il est donc urgent de concevoir, en concertation avec les élus concernés, un dispositif qui réponde vraiment à une telle exigence et puisse en même temps donner aux collectivités territoriales des DOM les moyens de relever les redoutables défis auxquels elles sont confrontées. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Jarlier.
M. Pierre Jarlier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, ce débat est censé satisfaire la contrainte de la clause de rendez-vous inscrite dans la réforme de la taxe professionnelle. À vrai dire, il était temps de mettre en œuvre cette fameuse clause, puisque le projet de loi de finances pour 2011 sera adopté en conseil des ministres dans deux jours !
Lors des débats relatifs à la loi de finances de 2010, vous aviez présenté, madame la ministre, les trois principes au cœur de la réforme de la taxe professionnelle : la territorialisation, la compensation et la péréquation. Si les deux premiers d’entre eux ont été mis en application, le troisième doit encore être finalisé. C’est urgent dans le contexte du gel annoncé des concours financiers de l’État aux collectivités en 2011 qui limitera les perspectives d’évolution de la péréquation verticale.
De fait, comme l’a justement rappelé M. le rapporteur général, c’est la péréquation horizontale qui constituera la principale source de progrès en matière de réduction des inégalités entre collectivités. Pour autant, la réforme des mécanismes de péréquation verticale est plus que jamais nécessaire. Si la part de la DGF consacrée à la péréquation s’est accrue de 6,2 % entre 1998 et 2008, la performance de la péréquation verticale a diminué depuis 2001 pour les communes et les départements.
À titre d’exemple, parmi les dotations péréquatrices destinées aux communes, la part « péréquation » de la dotation de solidarité rurale, la DSR, s’élève à 444 millions d’euros, qu’il faut comparer au montant global de la DGF communale pour 2010, soit 41 milliards d’euros. Elle profite à 34 369 communes. Comment avec une masse financière aussi faible et un saupoudrage aussi important assurer une péréquation intelligente et efficace ? Le comité des finances locales s’est d’ailleurs saisi de ce sujet en créant un groupe de travail.
S’agissant de la péréquation horizontale, pour être équitable, la réforme de la taxe professionnelle ne pouvait sanctuariser les inégalités territoriales en matière de richesse fiscale. Ainsi, la loi de finances de 2010 a mis en place plusieurs fonds de péréquation. Il est trop tôt, aujourd’hui, pour évaluer leurs effets et juger de leur efficacité péréquatrice. Cependant, le rapport Durieux et celui des parlementaires en mission en ont d’ores et déjà soulevé les failles.
De même, pour Yves Fréville, dont chacun connaît l’expertise, le remplacement de la taxe professionnelle par la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises pourrait reproduire les inégalités existantes, voire les aggraver. Rappelons que 5 % des communes concentraient 80 % des bases de taxe professionnelle avant la réforme.
En effet, le mécanisme du Fonds national de garantie individuelle de ressources garantit certes à chaque collectivité un niveau de ressources égal à celui dont elle disposait avant la réforme, mais il figera ces montants. Ainsi, les territoires à faible valeur ajoutée subiront une double peine, puisqu’une partie de leur produit fiscal au titre du FNGIR ne profitera d’aucune évolution de base fiscale. De ce fait, leurs recettes risquent d’évoluer moins vite qu’avant la réforme.
Le Parlement examinera attentivement les dispositifs correctifs proposés dans le projet de loi de finances pour 2011 et s’investira pleinement dans la rénovation des mécanismes de solidarité. À cet égard, au-delà des montants destinés à la péréquation, deux questions me paraissent devoir être soulevées.
Premièrement, sur quels critères asseoir les nouveaux dispositifs de solidarité ? Depuis l’origine, le critère du potentiel fiscal intervient dans la répartition de toutes les dotations de péréquation. La suppression de la taxe professionnelle déséquilibre le système, calculé notamment sur les bases d’imposition des quatre taxes directes. Plus large, le critère du potentiel financier pourrait donc se substituer à celui du potentiel fiscal. Toutefois, il convient évidemment d’agir avec précaution, monsieur Blanc.
De manière générale, pour procéder à une appréciation fine des besoins de péréquation, il me semble primordial de prendre en compte l’ensemble des critères de ressources et de charges, notamment celui de la population – même s’il devrait être pondéré, pour tenir compte des territoires les moins peuplés – et celui de la spécificité des territoires qui engendre des charges fixes particulières, notamment en zone de montagne. De même, le revenu global des habitants devrait être pris en considération, tout comme, dans une certaine mesure, les critères d’effort fiscal.
Deuxièmement, quel est le niveau pertinent de péréquation ? Les dispositifs existants sont assis sur les trois niveaux de collectivités ; or lorsqu’une entreprise s’installe sur le territoire d’une commune membre d’un EPCI à taxe professionnelle unique, les bases communales et le potentiel fiscal de la commune augmentent sans pour autant que ses ressources croissent, puisque le produit de taxe professionnelle est perçu par l’EPCI.
Avec le développement de l’intercommunalité, le critère du potentiel fiscal ne paraît donc plus pertinent, dans la mesure où il n’a plus de lien direct avec le territoire communal. Cette réflexion relative au bon niveau de péréquation doit nécessairement être reprise au cours de notre débat. Le renouveau de la solidarité entre les territoires ne peut faire l’impasse sur le rôle majeur que joue l’intercommunalité, en particulier dans les territoires les plus ruraux, dont le développement repose souvent sur des politiques territoriales solidaires.
C’est donc bien à cette échelle que la péréquation en faveur du bloc communal pourrait être la plus pertinente, dès lors, également, que les communes-centres n’assurent plus seules les charges de centralité qui leur ont été imposées.
Au terme de cette intervention, et au vu des chiffres publiés par l’Observatoire des finances locales montrant que la capacité d’autofinancement des collectivités est en nette baisse, je formule le vœu que nous ne manquions pas ce rendez-vous d’une péréquation plus forte, plus ciblée et plus efficace en faveur des territoires les plus fragiles, car ce sont eux, précisément, qui souffrent le plus de la crise et des restrictions budgétaires actuelles. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)