Sommaire
Présidence de Mme Catherine Tasca
Secrétaires :
Mme Anne-Marie Payet, M. Daniel Raoul.
2. Demande d'inscription à l'ordre du jour d'une proposition de résolution
3. Engagement de la procédure accélérée pour l'examen d'un projet de loi
4. Candidatures à un organisme extraparlementaire
5. Dépôt de rapports du Gouvernement
6. Communication du Conseil constitutionnel
7. Décisions du Conseil constitutionnel sur des questions prioritaires de constitutionnalité
Mmes Nicole Bricq, la présidente.
10. Débat sur les mécanismes de péréquation et de répartition des ressources des collectivités locales
Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi ; MM. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances ; Jacques Mézard, en remplacement de M. Alain Lambert, président de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation.
M. François Marc, Mme Marie-France Beaufils, MM. Yvon Collin, Charles Guené, Jean-Jacques Lozach, Jacques Mézard, Alain Chatillon, Mme Gélita Hoarau, MM. Serge Larcher, Jacques Blanc, Claude Lise, Pierre Jarlier, Mme Dominique Voynet, MM. Alain Fouché, Philippe Dallier.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances.
Mme la ministre.
Suspension et reprise de la séance
11. Nomination de membres d'un organisme extraparlementaire
12. Nouvelle organisation du marché de l'électricité. – Discussion d'un projet de loi (Texte de la commission)
Discussion générale : MM. Jean-Louis Borloo, ministre d'État, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat ; Ladislas Poniatowski, rapporteur de la commission de l’économie ; Philippe Marini, rapporteur pour avis de la commission des finances.
MM. Jacques Mézard, Jean-Claude Danglot.
M. Jean-Paul Emorine, président de la commission de l'économie ; Mme la présidente.
Suspension et reprise de la séance
13. Communication du Conseil constitutionnel
14. Nouvelle organisation du marché de l'électricité. – Suite de la discussion d'un projet de loi (Texte de la commission)
Discussion générale (suite) : MM. Jean-Claude Merceron, Roland Courteau, Benoît Huré, Yvon Collin, Xavier Pintat, Jean-Jacques Mirassou, Jean-Pierre Vial, Jacques Muller.
M. Benoist Apparu, secrétaire d'État chargé du logement et de l'urbanisme.
Clôture de la discussion générale.
Motion no 22 de M. Jean-Claude Danglot. – Mme Mireille Schurch, MM. Ladislas Poniatowski, rapporteur de la commission de l’économie ; le secrétaire d'État. – Rejet par scrutin public.
Renvoi de la suite de la discussion.
15. Modification de l’ordre du jour
16. Ordre du jour
compte rendu intégral
Présidence de Mme Catherine Tasca
vice-présidente
Secrétaires :
Mme Anne-Marie Payet,
M. Daniel Raoul.
1
Procès-verbal
Mme la présidente. Le procès-verbal de la séance du jeudi 16 septembre 2010 a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté.
2
Demande d'inscription à l'ordre du jour d'une proposition de résolution
Mme la présidente. En application de l’article 50 ter de notre règlement, j’informe le Sénat que Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, présidente du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des sénateurs du Parti de Gauche, a demandé, le 20 septembre 2010, l’inscription à l’ordre du jour de la proposition de résolution n° 612 (2009-2010), présentée en application de l’article 34-1 de la Constitution, relative au développement du fret ferroviaire, qu’elle a déposée le 6 juillet 2010.
Cette demande a été communiquée au Gouvernement dans la perspective de notre prochaine conférence des présidents, qui se tiendra le mercredi 29 septembre 2010.
3
Engagement de la procédure accélérée pour l'examen d'un projet de loi
Mme la présidente. En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen du projet de loi portant transposition de diverses directives du Parlement européen et du Conseil en matière civile et commerciale, déposé sur le Bureau de notre assemblée le 22 septembre 2010.
4
Candidatures à un organisme extraparlementaire
Mme la présidente. Je rappelle au Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation des sénateurs appelés à siéger au sein du Conseil national du travail social, créé en application de l’article 2 de l’arrêté du 7 juillet 2010.
La commission des affaires sociales a fait connaître qu’elle propose les candidatures de M. Jean-Louis Lorrain et de Mme Annie Jarraud-Vergnolle pour siéger respectivement en qualité de membre titulaire et de membre suppléant au sein de cet organisme extraparlementaire.
Ces candidatures ont été affichées et seront ratifiées, conformément à l’article 9 du règlement, s’il n’y a pas d’opposition à l’expiration du délai d’une heure.
5
Dépôt de rapports du Gouvernement
Mme la présidente. M. le Premier ministre a communiqué au Sénat le rapport sur la protection et le contrôle des matières nucléaires pour l’année 2009, les rapports sur la mise en application de plusieurs lois et le rapport annuel sur l’emploi de la langue française établi en application de l’article 22 de la loi n° 94-665 du 4 août 1994 sur l’emploi de la langue française.
Acte est donné du dépôt de ces rapports.
Le premier a été transmis à la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire et à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, les deux suivants à la commission des finances et le dernier à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication. Ils sont disponibles au bureau de la distribution.
6
Communication du Conseil constitutionnel
Mme la présidente. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, les 20, 21, 22 et 24 septembre 2010, que, en application de l’article 61-1 de la Constitution, la Cour de cassation a adressé au Conseil constitutionnel les décisions de renvoi de sept questions prioritaires de constitutionnalité et le Conseil d’État les décisions de renvoi de trois questions prioritaires de constitutionnalité.
Le texte de ces décisions de renvoi est disponible au bureau de la distribution.
Acte est donné de cette communication.
7
Décisions du Conseil constitutionnel sur des questions prioritaires de constitutionnalité
Mme la présidente. M. le président du Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courriers en date des 16, 17 et 22 septembre 2010, sept décisions du Conseil sur des questions prioritaires de constitutionnalité.
Acte est donné de ces communications.
8
Renvoi pour avis
Mme la présidente. J’informe le Sénat que le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, portant réforme des retraites (n° 713, 2009-2010), dont la commission des affaires sociales est saisie au fond, est renvoyé pour avis, à sa demande, à la commission des finances.
9
Rappel au règlement
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Bricq, pour un rappel au règlement.
Mme Nicole Bricq. Madame la présidente, je souhaite faire un rappel au règlement sur le fondement de l’article 29.
Le Gouvernement et sa majorité multiplient les débats sur les mécanismes de péréquation, sans doute pour tenter – c’est du moins l’opinion du groupe socialiste – de pallier l’abandon de la clause de rendez-vous…
M. Charles Guené. Ce n’est pas vrai !
Mme Nicole Bricq. … qui avait été explicitement prévue dans la loi de finances pour 2010, avec une date limite fixée au 31 juillet dernier.
Nous nous sommes déjà livrés à un exercice de ce genre le 28 juin dernier sur l’initiative de deux groupes de la majorité, l’UMP et l’Union centriste. Aujourd'hui, c’est sur une déclaration du Gouvernement, non sanctionnée par un vote, que nous débattons. Dans les deux cas, il ne s’agit que de discussions stériles. En tout cas, nous avons la preuve, avant l’examen de la loi de finances, qui débutera au Sénat le 18 novembre, que les parlementaires, et particulièrement ceux qui ont voté la loi de finances pour 2010, ont été trompés au moins sur quatre points.
Madame la présidente, je sais que mon temps de parole est limité mais je tiens à exposer brièvement ces quatre points.
Premièrement, le coût de la réforme pour l’État a été très largement sous-évalué dans la loi de finances initiale : il s’élèvera à 5,3 milliards d’euros au lieu des 4,3 milliards d’euros prévus. Alors que le Gouvernement s’apprête à faire des coupes sévères dans son budget au détriment des ménages, c’est un milliard d’euros supplémentaires qui sont offerts aux entreprises. Je rappelle que le Président de la République a demandé, la semaine dernière, au Gouvernement de respecter dans le projet de loi de finances qui sera examiné lors de la session d’automne un équilibre entre les ménages et les entreprises.
Deuxièmement, les collectivités territoriales devront assumer une réduction plus importante que prévue de leur autonomie financière, puisque la dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle attribuée par l’État est finalement réévaluée à 2,5 milliards d’euros, contre 1,7 milliard d’euros initialement.
Troisièmement, nous avons tous constaté cet été que le transfert de la part départementale de la taxe d’habitation pourrait affecter, à leur désavantage, des millions de ménages. Pour y remédier, le Parlement sera obligé d’adopter dans la loi de finances un article repoussant la date des délibérations des communes, lesquelles devraient pourtant avoir lieu au plus tard avant le 1er novembre, soit avant l’adoption de ladite loi ! Les collectivités locales qui n’augmenteraient pas leur taxe d’habitation seront contraintes d’assumer de nouvelles pertes de recettes non compensées.
Quatrièmement, enfin, la péréquation est toujours absente dans la réalité. Les rapports qui se sont succédé depuis la loi de finances ont confirmé notre pressentiment.
M. Jacques Blanc. Ce n’est plus un rappel au règlement, c’est déjà le débat !
Mme Nicole Bricq. Aujourd'hui, nous n’attendons rien de ce débat dans la mesure où le Gouvernement et sa majorité confondent sciemment péréquation et compensation. Le vrai débat aura lieu au Sénat à partir du 18 novembre. Soyez assurés, mes chers collègues, que nous serons présents pour exiger que toutes les mesures de compensation soient inscrites dans la loi de finances car, pour l’instant, les collectivités locales sont restées sur le carreau. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. Acte vous est donné de ce rappel au règlement, madame Bricq.
10
Débat sur les mécanismes de péréquation et de répartition des ressources des collectivités locales
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle le débat sur les mécanismes de péréquation et de répartition des ressources des collectivités territoriales.
La parole est à Mme la ministre.
Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, à la veille du dépôt du projet de loi de finances pour 2011, vous avez souhaité débattre de nouveau des conséquences de l’une des plus importantes réformes qui aient été conduites par le Gouvernement et par votre majorité. Je veux bien sûr parler de la suppression de la taxe professionnelle et de la réforme de la fiscalité locale que vous avez adoptée l’an dernier au terme de discussions intenses et approfondies.
Ce débat, dont j’espère qu’il ne sera ni futile ni stérile, est l’un des nombreux rendez-vous fixés, sur l’initiative de votre assemblée, pour faire le bilan de cette réforme, en mesurer les conséquences et y apporter les compléments et les ajustements nécessaires.
Cette démarche, relativement inédite, est excellente : elle mériterait d’être appliquée de manière plus systématique pour vérifier les effets des dispositifs législatifs que vous adoptez, pour en mesurer l’efficacité et pour déterminer s’il est nécessaire de procéder à des réajustements ou à des améliorations.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais très rapidement revenir sur le chemin parcouru, la méthode retenue et les diligences entreprises par les uns et par les autres, avant d’examiner si les deux grands objectifs du texte ont été remplis. Ensuite, je tracerai les grandes lignes des améliorations que nous proposons d’ores et déjà dans le projet de loi de finances pour 2011, auxquelles, je l’espère, vos interventions feront écho.
La réforme de la taxe professionnelle compte parmi les plus importantes réformes, en matière de fiscalité, qui aient été adoptées ces dernières années. Voulue par le Président de la République, qui s’était engagé à la mener le 5 février 2009, elle constitue une étape essentielle de notre politique de relance de l’investissement, en particulier au service du secteur industriel, qui, je le rappelle, a perdu nombre d’emplois au cours de la dernière décennie. Nous souhaitions que ce secteur ne soit pas accablé par une fiscalité curieuse, que l’on ne retrouve en l’état dans aucune autre législation, et c’est le travail auquel vous vous êtes attelé.
Cette réforme était un signal fort envoyé en direction des investisseurs. Je souligne au passage que l’investissement des entreprises a crû de 1,1 % lors du deuxième trimestre de 2010, en augmentation pour la première fois depuis le début de la crise. Ce résultat est un signe extrêmement important, d’une part, de la confiance des entreprises dans notre économie et, d’autre part, de la reconnaissance des efforts que nous avons entrepris pour favoriser leur investissement et pour éviter de leur faire supporter une fiscalité trop lourde. Tel était notre premier objectif.
Le deuxième objectif était de prévoir un financement des collectivités territoriales qui soit plus logique et respectueux des principes constitutionnels et des engagements auxquels chacun est tenu.
Souvenez-vous, nous avions trouvé, au terme d’intenses débats, un accord sur un schéma profondément novateur qui présente trois traits essentiels.
Tout d’abord, il concentre sur le secteur communal l’essentiel du produit des impôts fonciers locaux, et notamment l’intégralité de la taxe d’habitation – j’y reviendrai tout à l’heure en matière d’abattements – rendant ainsi le système fiscal local plus lisible pour nos concitoyens.
Ensuite, il organise un équilibre entre, d’une part, la préservation du lien fiscal entre territoires et entreprises et, d’autre part, la mise en place de mécanismes de péréquation qui contribueront à mieux accorder les ressources et les charges de chaque collectivité.
Enfin, il garantit qu’il n’y aura aucun perdant parmi les collectivités territoriales, ni en 2010, année de transition, ni en 2011, lors de la mise en place effective de la réforme.
Avons-nous réussi ? Nous avons mis en place des moyens pour vérifier que nous atteignions nos objectifs. Certains d’entre vous sont d'ailleurs intervenus, à cet égard, dans le cadre d’une mission.
J’ai chargé une mission conjointe de l’inspection générale des finances et de l’inspection générale de l’administration d’évaluer les effets du texte. Ses travaux m’ont été remis. Le Gouvernement en a adopté les grandes lignes dans son rapport d’évaluation, qui a été soumis à votre examen à l’occasion d’une audition, le 22 juin dernier, devant la commission des finances. Nous avons pu ainsi, avec mon collègue Alain Marleix, vous exposer en détail les conclusions de ce rapport.
Nous avions également demandé à six parlementaires, dont les sénateurs François-Noël Buffet, Alain Chatillon et Charles Guené, de mener leurs propres investigations en s’appuyant sur les éléments d’analyses statistiques fournis sous l’autorité de Bruno Durieux. Ce rapport a été transmis au Parlement le 5 juillet.
J’ai veillé par ailleurs à mettre à la disposition de tous les acteurs de la réforme des mécanismes de simulation. Ceux-ci continueront à être mis à jour, à la lumière des nouveaux chiffres dont nous disposons au fur et à mesure des déclarations des entreprises et du raffermissement de notre économie. Un simulateur révisé régulièrement est donc destiné aux collectivités territoriales. Un simulateur a également été développé pour les entreprises, afin de leur permettre de calculer très rapidement leur contribution économique territoriale en lieu et place de la taxe professionnelle.
Tous les décrets d’application et toutes les instructions nécessaires à la mise en œuvre de la réforme ont été publiés ou mis en ligne sur le site internet du ministère au cours du premier semestre de 2010.
Enfin, tous les services de l’État sur le terrain se sont mobilisés pour assurer le succès de la réforme. Avec le ministre du budget, nous avons réuni dès le mois de janvier les experts-comptables et les responsables locaux de la direction générale des finances publiques, la DGFIP, pour s’assurer d’une pleine mobilisation des services sur tout le territoire.
À la lumière des éléments d’analyse et de conclusion qui ont été développés tout à la fois par les inspections générales, le Gouvernement et la mission parlementaire, peut-on considérer que nous avons atteint les objectifs que nous nous étions fixés ?
L’objectif principal, à savoir encourager l’investissement, soutenir en particulier le secteur industriel et avantager, dans la mesure du possible, les petites et moyennes entreprises, est atteint. Les chiffres que nous présenterons dans le cadre du projet de loi de finances pour 2011 le confirment.
En régime de croisière, l’allégement de charges fiscales pour les entreprises devrait atteindre 4,7 milliards d'euros par an, ce qui est conforme aux prévisions ; quant à la « bosse de taxe professionnelle » que nous avions anticipée, elle s’est finalement étalée sur 2009-2010 et sera donc moins importante que prévu en 2010, ce qui est une bonne nouvelle pour la trajectoire de redressement de nos comptes publics.
En moyenne, pour les entreprises, le coût des investissements en biens d’équipements mobiliers est réduit de 20 %. Si l’on considère plus spécifiquement les petites et moyennes entreprises, notamment dans le secteur industriel, l’allégement de charges induit par la suppression de la taxe professionnelle est plutôt de l’ordre de 40 % à 60 %.
Mme Nicole Bricq. On vérifiera !
Mme Christine Lagarde, ministre. Quelques ajustements seront néanmoins nécessaires, en particulier concernant l’IFER, l’imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux, et feront l’objet de modifications dans le projet de loi de finances pour 2011.
En premier lieu, l’assiette de l’IFER que nous avions retenue pour les entreprises dans le secteur téléphonique s’est révélée trop étroite et aurait eu des répercussions mécaniques sur l’ensemble des utilisateurs « alternatifs », compte tenu de la réglementation de l’ARCEP, l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes.
Dans ces conditions, il nous paraît préférable de définir une assiette plus large, qui ne modifie en aucune manière le montant de l’IFER sur les entreprises de télécommunication, en particulier sur France Télécom, afin d’éviter toute répercussion immédiate sur les utilisateurs.
En second lieu, les travaux conduits depuis le mois de janvier mettent en évidence plusieurs faiblesses concernant l’IFER sur les éoliennes : le retour fiscal est trop faible pour les communes d’implantation, le niveau global de taxation des opérateurs est insuffisant et les règles de répartition du produit entre communes, EPCI et départements sont trop complexes.
Ces imperfections pourront être corrigées dans le cadre du projet de loi de finances pour 2011. Le Gouvernement vous proposera ainsi de porter le tarif de 2 913 euros par mégawatt à 5 000 euros par mégawatt. Il s’agit en quelque sorte d’un jugement de Salomon, puisque l’inspection générale des finances avait suggéré 4 000 euros par mégawatt, tandis que les parlementaires préconisaient 6 000 euros par mégawatt dans leur rapport.
Le Gouvernement vous proposera également de clarifier les règles de répartition du produit de l’IFER entre les communes, les EPCI et les départements, de sorte que l’essentiel du montant bénéficie au bloc communal.
Je rappelle en outre que, pour les éoliennes déjà raccordées au réseau avant le 1er janvier 2010, le retour financier vers les collectivités est maintenu au niveau assuré précédemment par la taxe professionnelle, grâce au mécanisme de garantie de ressources.
Pour les collectivités territoriales, les travaux conduits depuis le mois de janvier permettent de dresser un premier bilan positif.
Premièrement, les nouvelles bases d’imposition de fiscalité locale sont plus dynamiques que ne l’étaient celles de la taxe professionnelle. En moyenne, le taux de croissance des nouvelles bases de fiscalité locale, c'est-à-dire à la fois la CFE, la cotisation foncière des entreprises, et la CVAE, la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, puisqu’elles ont été ainsi baptisées dans cette maison, est plus élevé de 0,3 point par rapport à celui des bases de la taxe professionnelle, toutes choses égales par ailleurs.
M. François Marc. Ah !
Mme Nicole Bricq. C’est faux : les chiffres le démentent !
Mme Christine Lagarde, ministre. Deuxièmement, la réforme augmente l’autonomie financière des collectivités. Le Conseil constitutionnel a estimé que la réforme votée ne remettait pas en cause le principe d’autonomie financière des collectivités. Par ailleurs, les simulations effectuées démontrent que, dans la durée et du fait de la dynamique des nouvelles bases, la part des ressources fiscales devrait augmenter.
Troisièmement, aucune collectivité ne sera perdante grâce aux mécanismes de garanties de ressources. Il n’y a pas des gagnants d’un côté et des perdants de l’autre, il y aura des « plus » gagnants et des « un peu moins » gagnants, les mécanismes de garantie des ressources mis en place permettant aux collectivités d’avoir la certitude que leurs ressources seront au moins égales à celles de 2010.
Toutefois, des ajustements sont nécessaires. Je voudrais insister sur deux d’entre eux, qui figureront dans le prochain projet de loi de finances.
Tout d’abord, il paraît souhaitable d’adapter les règles de répartition de la valeur ajoutée qui permettent de calculer le montant de cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises perçu par chaque collectivité. L’objectif est de faire en sorte que la « territorialisation » de la CVAE, voulue par le Parlement, produise des effets plus conformes aux réalités économiques et ne défavorise pas les collectivités dont le tissu économique est principalement constitué d’industries. Il s’agissait en effet de favoriser les investissements, notamment dans le secteur industriel.
Au lieu d’une répartition effectuée exclusivement en fonction du critère de l’effectif employé, le projet de loi de finances pour 2011 visera à répartir la valeur ajoutée à parité au prorata de l’effectif et d’un indicateur de surface, ce qui paraît de nature à permettre une meilleure répartition au bénéfice des collectivités qui abritent des secteurs industriels.
Ensuite, comme je m’y étais engagée, je proposerai un report exceptionnel pour l’année 2010 de la date limite des délibérations relatives aux abattements de taxe d’habitation, qui sera décalée du 1er octobre au 1er novembre, afin de laisser un délai supplémentaire aux communes et aux intercommunalités pour adapter leur politique d’abattements.
Je sais que ce sujet est important pour les élus locaux et je voudrais souligner que, à ma demande et à celle du ministre du budget, toutes les administrations se sont mobilisées pour travailler avec les associations d’élus.
La DGFIP, dont je tiens à mentionner la mobilisation sans faille à cet égard, a mené de concert avec l’Association des maires de France des actions d’information des collectivités locales, notamment sur le sujet des abattements de taxe d’habitation. Je vous invite d'ailleurs à consulter les excellentes fiches réalisées par l’AMF, consultables sur son site internet, avec des modèles de délibérations.
La DGFIP a également mis en ligne tous les documents utiles sur le site www.colloc.bercy.gouv.fr, commun à nos deux ministères, et sur lequel figurent la synthèse des dispositifs créés, modifiés ou supprimés en 2010, ainsi que le catalogue des délibérations de fiscalité directe locale de 2010, avec des fiches explicatives et des modèles de délibérations, afin que les communes puissent calquer les types d’abattement qui avaient été prévus par les départements et éviter les charges supplémentaires à l’encontre d’un certain nombre d’habitants.
J’en viens à la péréquation, sujet auquel votre Haute Assemblée attache à juste titre une attention particulière.
M. Jacques Blanc. Tout à fait !
Mme Christine Lagarde, ministre. Cette question se présente différemment selon le niveau de collectivité territoriale : départements et régions, d’une part, communes, d’autre part. Sur les départements et les régions, nous avons réalisé des avancées qui répondent, me semble-t-il, aux préoccupations. Sur les communes, il reste du chemin à parcourir.
La loi de finances pour 2010 a prévu la création de fonds de péréquation de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises pour les départements et les régions alimentés, d’une part, par la dynamique, d’une année sur l’autre, du produit de la CVAE à compter de 2012 et, d’autre part, d’une quote-part de 25 % du produit de la CVAE de chaque département et de chaque région dès 2011.
Il a en outre été prévu un fonds de péréquation de la croissance des droits d’enregistrement départementaux – les droits de mutation à titre onéreux ou DMTO – par rapport à l’année précédente.
Le Parlement a ainsi, dans le cadre de la suppression de la taxe professionnelle, adopté des dispositifs complexes ; les rapports du Gouvernement et des six parlementaires en mission ont souligné l’importance d’un ajustement du dispositif législatif.
Afin de tirer les conséquences de ces travaux, le projet de loi de finances pour 2011 prévoira deux évolutions.
Il s’agit, premièrement, de la fusion des mécanismes de péréquation de la CVAE pour les départements et les régions au profit d’un prélèvement unique dit « sur flux cumulés », égal à la moitié de la croissance de la CVAE depuis 2011 pour les collectivités dont le potentiel fiscal par habitant est supérieur à la moyenne. Pour ces collectivités, un prélèvement sera effectué sur la moitié de la croissance de la CVAE.
Les reversements de ces deux fonds – fonds régional, fonds départemental –, alimentés selon la base de calcul que je viens d’indiquer, s’effectueraient en fonction de critères de ressources et de charges propres à chaque type de collectivité. (Murmures sur les travées du groupe socialiste.)
Nous reviendrons sur ces dispositions et j’aurai également le temps de répondre à vos questions à l’occasion de l’examen du projet de loi de finances. (Exclamations sur les mêmes travées.)
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Tout à fait !
Mme Christine Lagarde, ministre. Il n’en reste pas moins que ce débat, souhaité par votre Haute Assemblée, est plus que bienvenu.
Pour les régions, la répartition des ressources du fonds s’effectuerait entre celles dont le potentiel fiscal est inférieur au potentiel fiscal moyen sur la base, pour 50 % des ressources, de la population de chaque région, des effectifs des élèves scolarisés et des stagiaires de la formation professionnelle ainsi que de la superficie du territoire et, pour les 50 % restants, en fonction de l’écart entre le potentiel fiscal par habitant et le potentiel fiscal moyen par habitant de l’ensemble des régions.
M. Gérard Longuet. On cherche à équilibrer les richesses !
Mme Christine Lagarde, ministre. Exactement !
Pour les départements, la répartition du fonds s’effectuerait entre les départements dont le potentiel fiscal est inférieur au potentiel fiscal moyen, sur la base, pour 50 % des ressources, de la population de chaque département, des effectifs de titulaires de minima sociaux et de la population âgée de plus de soixante-quinze ans de chaque département, de la longueur de la voirie départementale rapportée au nombre d’habitants de chaque département – vous reconnaissez là des missions du département – et, pour les 50 % restants, en fonction de l’écart entre le potentiel fiscal par habitant et le potentiel fiscal moyen par habitant de l’ensemble des départements. Nous cherchons donc, là aussi, comme vient de le dire Gérard Longuet, à équilibrer les richesses.
L’objectif est de simplifier le dispositif adopté à la fin de 2009 – en utilisant les critères les plus objectifs et les mieux quantifiables – afin d’améliorer la péréquation au sein des régions comme au sein des départements.
Le nouveau dispositif sera opérationnel au début de l’année 2013,…
Mme Nicole Bricq. Après 2012 !
Mme Christine Lagarde, ministre. … sur la base de la comparaison entre la CVAE de 2012 et celle de 2011.
Le projet de loi de finances pour 2011 proposera également une modification du dispositif de péréquation des droits de mutation à titre onéreux – c’est le deuxième fonds de péréquation mis en place par la loi de finances pour 2009 – afin de lisser l’effet de la reprise du marché immobilier en 2010 et d’éviter que certains départements ne se voient subir soudainement des prélèvements très importants. Ce mécanisme permettra de se prémunir contre de trop grandes variations, dans un sens ou dans l’autre d’ailleurs.
Les dispositifs que j’ai décrits sont certes un peu compliqués – je le reconnais –, mais nous sommes à votre disposition pour répondre à toutes vos questions. Sachez en tout cas que les services techniques ont beaucoup consulté, beaucoup écouté et beaucoup travaillé. Je pense donc que les propositions que nous vous soumettons ont un sens.
La question de la péréquation communale, en revanche, est plus délicate.
La péréquation « horizontale » entre les communes repose aujourd’hui sur deux mécanismes.
En Île-de-France, le Fonds de solidarité des communes de la région d’Île-de-France, le FSRIF,…
Mme Nicole Bricq. Il a disparu !
Mme Christine Lagarde, ministre. Non, puisqu’il a été prorogé !
…. est alimenté par un prélèvement sur les communes dont le potentiel financier est supérieur de 25 % à la moyenne ainsi que par un prélèvement sur les communes et sur les EPCI pour lesquels le ratio entre la base d’imposition de la taxe professionnelle et le nombre d’habitants est trois fois supérieur à la moyenne nationale.
La répartition est effectuée en fonction d’un indice de ressources – le potentiel financier – et de charges – la taille de la population, le nombre de logements sociaux, le revenu moyen par habitant et le nombre de bénéficiaires de l’APL, l’aide personnalisée au logement.
Sur le reste du territoire, les fonds départementaux de péréquation de la taxe professionnelle, les FDPTP, ont différentes sources : un écrêtement des bases de taxe professionnelle des communes sur lesquelles étaient implantés des établissements très importants de type industrie, centrales nucléaires, un prélèvement sur les recettes de taxe professionnelle de certains EPCI, une allocation de l’État, un écrêtement des bases des magasins de grande surface.
Compte tenu de la suppression de la taxe professionnelle et de son remplacement par la CET, les mécanismes en place ne peuvent plus fonctionner en l’état et doivent donc être profondément réformés.
L’an dernier, mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez opté pour une solution sage consistant à geler les montants du FSRIF et du FDPTP à leur niveau antérieur et à renvoyer à 2010-2011 l’adoption d’un nouveau mécanisme.
Ce renvoi était légitime. En effet, compte tenu de l’existence d’une période de transition, la péréquation communale ne jouera pour la première fois qu’en 2013, sous l’empire du nouveau système de fiscalité locale. Il était donc préférable de repousser l’adoption des nouveaux mécanismes de péréquation afin de mesurer au préalable les effets concrets de la réforme.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Très bien !
Mme Christine Lagarde, ministre. Ce choix, expressément prévu par les articles 76 et 78 de la loi de finances pour 2010, ne nous empêche pas d’agir dès à présent. Il présente même l’avantage de nous permettre d’instituer une réforme progressive, qui pourrait comporter deux étapes : la première, qui correspond au projet de loi de finances pour 2011, serait celle de la définition d’un cadre général ; la seconde, qui serait mise en œuvre tout au long de l’année 2011 et finalisée dans le cadre du projet de loi de finances pour 2012, serait celle du calage le plus fin possible des paramètres de la péréquation.
C’est cette démarche en deux temps que je vous propose de suivre. Ainsi, le projet de loi de finances pour 2011 fixera plusieurs grandes lignes.
Premièrement, en 2011, les FDPTP bénéficieraient d’une garantie de ressources sous la forme d’une dotation de compensation des reversements aux communes défavorisées. Cette DCRCD serait reversée, sur décision des conseils généraux, aux seules communes défavorisées.
Deuxièmement, les FDPTP seraient remplacés à compter de 2012 par un nouveau mécanisme de péréquation, avec un objectif chiffré de péréquation à l’horizon de 2015 correspondant à 2 % des recettes fiscales des communes et des EPCI. Sachez que nous y arrivons progressivement. Tout d’abord, les principes seront discutés à l’occasion du projet de loi de finances pour 2011. Ensuite, l’année 2011 sera l’occasion d’un cadrage et d’un paramétrage très fins, qui nous permettront de parvenir à un chiffrage précis dans le projet de loi de finances pour 2012.
Troisièmement, ce mécanisme de péréquation pourrait être alimenté par un prélèvement sur les recettes des EPCI à fiscalité propre et des communes en fonction de leur potentiel fiscal ainsi que par une dotation versée par l’État.
Quatrièmement, les ressources du fonds seraient réparties entre les EPCI à fiscalité propre et les communes isolées au regard de l’insuffisance de leurs ressources fiscales et de critères de charges qui seraient définis conjointement avec le Parlement.
Telles sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les grandes lignes du débat que nous vous proposerons à l’occasion de l’examen du projet de loi de finances pour 2011. L’année prochaine sera également l’occasion d’une mise en pratique et d’un examen précis des paramétrages, avant une mise en œuvre de la réforme en 2012.
Si vous acceptez le principe de l’adoption d’un texte-cadre, qui permettrait d’orienter les travaux, il reviendra ensuite au Gouvernement de proposer des modalités d’application et d’en débattre avec vous. Concrètement, le projet de loi de finances pour 2011 prévoira l’établissement d’un rapport, auquel sera joint l’avis du Comité des finances locales, et dans lequel figureront des propositions sur les conditions d’application de ce nouveau dispositif afin qu’il puisse entrer en vigueur le plus rapidement possible.
En conclusion, je tiens à souligner que le Gouvernement entend donner à la « clause de réexamen » toute sa portée, tant dans sa lettre que dans son esprit.
Le Gouvernement appliquera la lettre de la clause de réexamen en vous proposant, comme il s’y était engagé, un ensemble de mesures d’ajustement visant à adapter le dispositif législatif issu de la réforme. Comme je vous l’ai déjà indiqué tout à l’heure, il s’agira, premièrement, de s’assurer que le mode de calcul de la VAE permet de valoriser l’industrie ; deuxièmement, d’élargir l’assiette de l’IFER et de faire en sorte que, combinée à la réglementation de l’ARCEP, elle n’entraîne pas une refacturation mécanique aux opérateurs concurrents de France Télécom ; troisièmement, de corriger le taux de l’IFER sur les éoliennes ; quatrièmement, de modifier un certain nombre des critères et des paramètres de la péréquation départementale et régionale en prenant en compte l’ensemble des missions de chacune des collectivités territoriales ainsi que les écarts entre les « plus riches » et les « moins riches » d’entre elles.
Enfin, pour l’échelon communal, nous vous proposerons que les grands principes soient fixés dans le projet de loi de finances pour 2011. La « mise en musique » du dispositif interviendra avec l’identification du paramétrage dans le projet de loi de finances pour 2012. Le dispositif sera donc applicable à compter du 1er janvier 2013, conformément au calendrier prévu dans le texte visant à supprimer la taxe professionnelle et à la remplacer par la contribution économique territoriale. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Madame la présidente, madame le ministre, mes chers collègues, avec ce débat thématique, nous entamons la séquence budgétaire. Demain matin, se réunira le Comité des finances locales, qui va débattre non seulement des sujets que nous évoquons aujourd'hui, mais aussi d’autres questions susceptibles de nous intéresser au cours des prochaines semaines. Mercredi, le Conseil des ministres adoptera le projet de loi de finances pour 2011 et, dans la foulée, votre collègue François Baroin et vous-même, madame le ministre, serez auditionnés par la commission des finances du Sénat.
Cet après-midi, nous nous intéressons donc à la trajectoire de la réforme de la taxe professionnelle. En d’autres termes, nous examinons les conditions de mise en œuvre des dispositions votées l’an dernier, que le Sénat avait très profondément transformées, en y incluant, notamment, la clause de réexamen, que vous avez citée à plusieurs reprises, madame le ministre.
À l’occasion de ce débat, que nous avons souhaité, sur les mécanismes de péréquation et de répartition des ressources des collectivités territoriales, reconnaissons au préalable que la péréquation verticale, c'est-à-dire le jeu de la répartition des dotations de l’État, sera assurément difficile à court terme. (M. François Marc s’exclame.) Nous le savons, les contraintes de la politique d’assainissement des finances publiques conduiront à geler en euros courants l’ensemble des dotations que l’État verse aux collectivités territoriales. Il faut en effet accepter que les collectivités territoriales ne soient ni mieux ni moins bien traitées que les services de l’État lui-même : ce gel n’a pas d’autre signification.
Toutefois, il ne faut pas faire entrer la dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle dans l’enveloppe gelée des dotations de l’État. Vous nous en avez donné l’assurance, madame le ministre, et celle-ci a été réitérée à plusieurs reprises : la DCRTP doit être une véritable mesure de périmètre.
Nous le savons donc, même si des ajustements sont toujours utiles, le système de répartition des dotations de l’État ne pourra pas être, compte tenu de cette contrainte macroéconomique, un outil significatif de péréquation. (M. François Marc s’exclame.) Il va donc falloir réfléchir davantage en termes de péréquation horizontale. Nous touchons ici aux mécanismes qui sont la suite naturelle de la création de la contribution économique territoriale.
La commission des finances – vous vous en souvenez, mes chers collègues – a mis en place au premier semestre un dispositif de suivi de la mise en œuvre de la réforme. Celui-ci a débouché sur la publication d’un rapport d’information et sur l’organisation d’un débat, le 28 juin dernier, lequel s’est conclu, pour la première fois depuis la révision constitutionnelle, par l’adoption d’une proposition de résolution.
Mes propos s’inscrivent dans le droit fil de cette résolution et des positions déjà prises par le Sénat.
J’évoquerai tout d’abord les fonds de péréquation de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises pour les régions et les départements.
Lors de l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire, nous avions adopté plusieurs amendements présentés par le Gouvernement tendant à instaurer quatre fonds de péréquation de la CVAE, deux pour les départements, deux pour les régions. Aucune simulation de leurs effets réels pour les collectivités territoriales n’avait alors pu être faite.
Le récent rapport du Gouvernement conclut au faible effet péréquateur de ces quatre fonds et à la grande complexité de leur fonctionnement. Nous devrons donc nous attacher à les simplifier et à les renforcer. En attendant, ce rapport propose de les fusionner et d’en faire un dispositif de péréquation sur « flux cumulé ». Nous aurons l’occasion de revenir sur cette nouvelle terminologie et sa signification concrète.
Un tel schéma aurait l’avantage du réalisme, car je persiste à penser que la seule manière efficace de faire de la péréquation est de la faire petit à petit, de la façon la moins douloureuse possible pour les collectivités contributrices.
Nous devrons naturellement attendre les simulations – nous en sommes dépendants – de ce que proposera le Gouvernement afin d’ajuster les dispositifs.
Lorsque nous entrerons dans le détail, mes chers collègues, il faudra cependant nous rappeler que nous avions choisi, lors de l’examen de la réforme de la taxe professionnelle, de répartir le produit de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises entre les départements en fonction d’un système dit macroéconomique, c’est-à-dire en fonction des charges réelles des départements. Vous vous souvenez sans doute du « quatre-quarts » que j’avais proposé à la Haute Assemblée et que nos collègues députés ont préféré remplacer par la répartition microéconomique, qui convenait fort bien, en revanche, pour le bloc communal.
J’évoquerai ensuite un point de votre propos, madame le ministre, à savoir le Fonds de péréquation départemental des droits d’enregistrement, qui a été créé sur l’initiative de l’un de nos collègues députés lors de la discussion budgétaire.
Nous souhaitons que ce fonds entre effectivement en action et que les premiers prélèvements et reversements aient lieu dès l’année 2011. D’ailleurs, la conjoncture s’y prête en raison de la reprise du marché immobilier. En outre, si l’on peut travailler sur des flux en croissance, la péréquation en sera facilitée.
Comme pour tous les dispositifs de péréquation, nous devrons veiller à son équilibre en évitant, par exemple, les effets pervers où seuls quelques départements seraient contributeurs. En effet, en ce domaine, la péréquation est à la fois intra-départementale et interdépartementale. N’oublions pas non plus que les DMTO sont, par nature, une ressource volatile. Il nous faudra donc travailler ensemble et faire preuve de technicité et d’imagination afin que ces dispositifs soient opérationnels dès l’année 2011.
Évoquant les départements, je ne peux passer sous silence leurs difficultés spécifiques.
On ne saurait attendre de la péréquation qu’elle règle la question fondamentale de la couverture des dépenses sociales, plus particulièrement la compensation des trois principales prestations qui pèsent sur les budgets départementaux : le revenu de solidarité active, la prestation de compensation du handicap et l’allocation personnalisée d’autonomie.
Nous le savons bien, il peut exister, au moins pour certaines collectivités, un problème structurel. Il doit être traité, mais en tenant compte de la diversité des situations et des modes de gestion. Reste qu’il est difficile d’avancer sur ce terrain avant de connaître la teneur du projet de loi sur le cinquième risque, que nous appelons depuis déjà un certain temps de nos vœux, et qui sera le prochain grand chantier après la réforme des retraites.
J’en viens aux communes et aux intercommunalités.
Notre objectif de maintenir une péréquation à ce niveau demeure. Vous l’avez vous-même rappelé, madame le ministre, la clause de réexamen prévoyait que les fonds départementaux de péréquation de la taxe professionnelle et le Fonds de solidarité des communes de la région d’Île-de-France seraient remplacés, à terme, par des dispositifs de péréquation de même ampleur.
Mme Nicole Bricq. Au moins !
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Ces mécanismes sont aujourd’hui figés aux montants qui étaient les leurs avant la réforme. On ne fait pas moins de péréquation qu’avant la réforme ; on n’en fait pas encore davantage.
Mme Nicole Bricq. Pourtant, il le faut !
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Certes !
Toutefois, il faut prendre le temps en ce domaine afin de ne pas renouveler certaines erreurs que nous avons pu critiquer dans le passé, de connaître les ressources fiscales réelles servant d’alimentation à la péréquation et, surtout, de ne pas construire de nouveaux outils sur la base de simples simulations reposant sur des hypothèses qui peuvent toujours être sujettes à caution. Dès lors, madame le ministre, je souscris à votre proposition de maintenir les FDPTP dans leur état actuel pour une année supplémentaire, en 2011.
Mes chers collègues, en matière de péréquation, nous devons éviter de nous payer de mots et d’appeler à un Grand Soir tout à fait illusoire. Des réformes concrètes peuvent en revanche être décidées pour faire avancer cette question. Je pense, par exemple, au financement des services départementaux d’incendie et de secours, que j’évoquais il y a quelques jours avec le président de l’Assemblée des départements de France. Les contingents communaux pèsent-ils du même poids sur toutes les communes ? Je laisse à chacun le soin d’analyser cette situation dans son département : les communes ou intercommunalités mises à contribution payent-elles les mêmes charges par habitant ?
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Non !
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Dès lors que cette situation varie d’un département à l’autre, dans une fourchette plus ou moins large, ne serait-il pas utile que les départements et le législateur trouvent une solution pour assurer une convergence progressive ? Cette réflexion, parmi d’autres, bien entendu, serait une façon concrète de travailler dans le sens d’une péréquation réelle.
D’autres pistes de même nature pourraient être explorées. S’agissant de la taxe spéciale sur les conventions d’assurance, par exemple, avons-nous la garantie que son produit est réparti de façon totalement égalitaire entre les collectivités concernées ? Pour ma part, je ne le crois pas. Il existe donc là une marge de progression que nous pourrions explorer et qui serait susceptible de constituer une nouvelle avancée concrète vers davantage de péréquation.
En ce qui concerne la péréquation communale et intercommunale, la récente résolution que nous avons adoptée souhaite l’inscription dans le projet de loi de finances du « cadre du dispositif de péréquation entre les communes et les intercommunalités ». La commission des finances a proposé des pistes en ce domaine : assiette des ressources « péréquées », périmètre de la péréquation, et bien d’autres paramètres.
Parmi les choses à faire, figure en particulier la mise à jour des notions de potentiel fiscal et de potentiel financier. Ces indicateurs joueront en effet un rôle important dans la répartition des dotations de l’État et, par conséquent, dans la mise en œuvre d’un système de répartition plus juste, permettant ainsi de cheminer un peu plus loin et un peu plus vite vers une situation plus satisfaisante en matière de péréquation.
Enfin, j’évoquerai en quelques mots, à votre suite, madame le ministre, le toilettage de certaines dispositions issues de la réforme de la taxe professionnelle. Trois aspects, en particulier, me semblent devoir être soulignés.
Premièrement, si nous avons effectivement raisonné à droit constant, ce principe, parfois pour des raisons de coordination technique, n’a pas toujours été respecté. La commission des finances s’efforce donc de dresser l’inventaire de ces situations et proposera en temps utiles – au cours de la discussion budgétaire – des initiatives.
Deuxièmement, l’imposition forfaitaire sur les entreprises de réseau mérite d’être revisitée, en particulier pour l’énergie éolienne. À cet égard, nous sommes très ouverts à vos propositions, madame le ministre. Nous aurons certes besoin de simulations, mais qu’il s’agisse de l’augmentation du taux par mégawatt ou du principe de la répartition entre communes et intercommunalités, il n’y a pas de raison que nous soyons en contradiction avec ce que vous nous avez indiqué.
Troisièmement, la décision du Conseil constitutionnel ayant abouti à réduire de 800 millions d’euros la charge fiscale potentielle des professions libérales, la commission des finances sera à la recherche de gages, c’est-à-dire de mesures visant à compenser cet élément spécifique qui est venu déséquilibrer un peu plus, au détriment du budget de l’État, la mise en œuvre de la réforme de la taxe professionnelle.
Comme vous le voyez, mes chers collègues, tous ces ajustements sont à la marge. Pour avoir « parcouru » ces temps-ci un assez grand nombre d’assemblées de maires, je crois que les craintes qui s’exprimaient sur la réforme de la taxe professionnelle se sont beaucoup relativisées.
M. François Marc. Cela dépend des endroits !
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Le maintien garanti des ressources est maintenant perçu non seulement comme un message, mais également comme une réalité dans la gestion de chaque budget local. Il me semble que, pour être bien compris, nous devons éviter – même si tout ce que l’on fait est toujours critiquable – de remettre en cause les aspects essentiels de la réforme votée l’année dernière et nous en tenir aux ajustements qui seront strictement nécessaires.
Madame le ministre, l’examen du projet de loi de finances promet d’être très constructif. La commission des finances, comme à son habitude, abordera nos débats dans un esprit pragmatique et j’espère que nous saurons faire preuve de toute la pédagogie indispensable pour mener cette réforme à bon port et la compléter. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard, en remplacement de M. Alain Lambert, président de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation.
M. Jacques Mézard, en remplacement de M. Alain Lambert, président de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, intervenant au nom de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, je m’efforcerai de respecter les orientations qu’elle a dégagées. Il appartiendra donc à l’ensemble de nos collègues d’examiner si celles-ci sont en adéquation avec les nouvelles orientations que le Gouvernement vient d’exposer.
Au XVIIIe siècle, Samuel Johnson disait : « Il vaut mieux que certains soient malheureux plutôt que personne ne soit heureux, ce qui serait le cas si l’égalité était générale ». Je ne saurais totalement faire mienne cette analyse, car il nous revient de relever le défi, non pas de l’égalité entre les collectivités – nous connaissons le danger d’une chimère –, mais au moins de la péréquation, principe inscrit dans notre loi fondamentale et visant à l’équilibre des chances pour tous les territoires.
Aujourd’hui, la taxe professionnelle n’existe plus : elle a été remplacée par de nouvelles impositions. À partir du budget pour 2011, nos collectivités devront se contenter de dotations budgétaires de l’État égales en valeur à leur niveau de 2010 afin de participer à l’effort d’assainissement de nos finances publiques, selon ce qu’avait annoncé le Président de la République.
Ces « événements » – c’est un euphémisme – pour nos finances locales sont l’occasion de poser la question de l’avenir de la péréquation et, surtout, de la nécessité de définir un système de péréquation qui soit réellement efficace.
Mme Nicole Bricq. Et juste !
M. Jacques Mézard, au nom de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation. Parler de péréquation, c’est louable. Mettre en œuvre une politique de péréquation efficace, c’est indispensable, mais beaucoup plus difficile !
Cependant, et je tiens à le souligner, si les dispositifs de péréquation constituent un instrument parmi d’autres de rééquilibrage de nos territoires, ils ne peuvent pas remplacer à eux seuls une véritable politique d’aménagement du territoire.
Au mois de janvier dernier, notre jeune délégation nous a confié, à notre collègue Rémy Pointereau et à moi-même, le soin de réfléchir aux contours que pourrait prendre la prochaine réforme de la politique de péréquation. Nous l’avons fait à la lumière de notre connaissance des réalités locales, très disparates dans notre pays, et, tout en cherchant à être audacieux dans nos propositions, à l’aune de deux principes qui devraient toujours guider le législateur : le pragmatisme et le réalisme.
Nos réflexions nous ont conduits à formuler un constat, peut-être surprenant : malgré le nombre important de dispositifs de péréquation, il n’existe pas aujourd’hui de définition claire des objectifs de cette politique. C’est pourquoi nous avons estimé qu’un effort de clarification en la matière était indispensable avant de recenser les pistes envisageables destinées à rénover et à renforcer les dispositifs de péréquation, qui reposent largement sur des constructions empiriques.
C’est donc au nom du pragmatisme que nous avons formulé quatre questions.
Première question : la péréquation a-t-elle pour objectif de garantir un niveau de ressources suffisant pour financer les seules dépenses obligatoires des collectivités territoriales, celles que la loi leur assigne, ou, plus largement, pour financer les besoins des citoyens ?
Deuxième question : la péréquation doit-elle garantir à un territoire les conditions de son développement économique, social et environnemental ?
Une réponse affirmative à cette question bouleverserait la philosophie actuelle des dispositifs de péréquation, car nous passerions d’une logique de stocks à une logique de flux. En d’autres termes, toute dotation de péréquation devrait être considérée non plus comme un acquis, mais uniquement comme un outil temporaire destiné à atteindre un niveau économique à définir. Dans ce cadre, les dispositifs de péréquation agiraient non comme une aide budgétaire pérenne, mais bien comme un apport transitoire.
Mme Nicole Bricq. Eh oui !
M. Jacques Mézard, au nom de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation. Troisième question : la péréquation doit-elle garantir le niveau actuel des ressources de toutes les collectivités territoriales ?
Un tel choix aurait pour conséquence de figer les inégalités entre collectivités territoriales d’une même strate démographique. Or ce n’est pas plus souhaitable que de mettre en place des dispositifs pénalisant les territoires les plus dynamiques, contributeurs aux dispositifs de péréquation.
Quatrième et dernière question : quel est le montant optimal d’un dispositif de péréquation ? Autrement dit, existe-t-il, d’une part, un seuil minimal à partir duquel une politique péréquatrice serait vraiment efficace et, d’autre part, un seuil maximal au-delà duquel on risquerait de connaître d’éventuels effets pervers, comme l’installation dans une position d’assistanat ou une désincitation pour les collectivités contributrices au développement de leurs territoires, car elles se sentiraient pénalisées ?
Au nom du réalisme, il nous est apparu difficile d’apporter une réponse univoque à cette question. Nous avons néanmoins fait le choix de limiter notre réflexion au niveau optimal de la péréquation, réalisée dans le cadre de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, en la considérant comme une donnée désormais incontournable.
C’est pourquoi la première piste que nous proposons consiste à porter à 33 % la part péréquatrice du produit de la CVAE, et non à 25 %, comme cela est prévu par la loi de finances pour 2010. Cette piste nous est apparue fondamentalement novatrice, car elle vise à développer une péréquation fondée sur des ressources fiscales en lieu et place de dotations budgétaires et de concours financiers de l’État
Notre deuxième piste a trait aux critères sur lesquels pourraient reposer les nouveaux dispositifs de péréquation. Aujourd’hui, le potentiel fiscal intervient dans la répartition de toutes les dotations de péréquation. Or ce critère est mis à mal, d’une part, par la suppression de la taxe professionnelle et, d’autre part, par le développement des nouvelles dotations de compensation liées à cette suppression.
Par conséquent, nous devons redéfinir l’un des critères centraux de répartition de la péréquation. Je souhaite appeler votre attention sur deux critères qui pourraient remplacer le potentiel fiscal et rendre les futurs dispositifs de péréquation plus efficaces.
Le premier critère que notre collègue Rémy Pointereau et moi-même proposons est celui du revenu global des habitants. La prise en compte de ce critère dans de nombreux pays européens, comme l’Allemagne, a permis un fort équilibrage des ressources des collectivités territoriales. C’est pourquoi nous estimons que l’assiette fiscale la plus pertinente, celle qui permettrait de prendre en compte la quasi-globalité des ressources des contribuables, est celle de la contribution sociale généralisée, et non celle de l’assiette de l’impôt sur le revenu, car les trop nombreuses exonérations fausseraient l’évaluation des richesses des territoires.
Le second critère s’appuie sur la prise en compte de la population. De nombreuses études montrent le lien entre accroissement des charges des collectivités et évolution démographique.
Les deux facteurs qui peuvent expliquer ce constat sont, d’une part, la distorsion d’attribution de certaines dotations au titre de la DGF et, d’autre part, le décalage entre la croissance démographique et sa prise en compte dans le calcul des dotations de la DGF basée sur la population.
Cependant, nous devons considérer un tel critère avec prudence. Comme le démontrent les études économétriques réalisées par les services de Bercy, le critère d’augmentation des charges des départements est non pas, comme on pourrait s’y attendre, la dépense sociale ou la croissance démographique, mais la part des personnes de plus de soixante ans dans la population du territoire départemental. Ainsi, le critère de population s’apprécierait différemment selon le niveau de collectivités territoriales.
Nous considérons toutefois que son maintien, voire son renforcement comme critère de répartition, est nécessaire. En effet, il apparaît bien souvent que, si les critères actuels de répartition des dotations étaient pondérés par la population, leur efficacité péréquatrice serait plus importante. Mais ce critère ne doit pas conduire à aggraver la situation des territoires à faible densité.
M. Jacques Blanc. Eh oui, il faut faire attention !
M. Jacques Mézard, au nom de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation. Notre dernière piste concerne le niveau territorial pertinent pour la mise en œuvre des dispositifs de péréquation. Faut-il continuer à concevoir la péréquation à l’échelon communal ? Cette question se pose avec d’autant plus d’acuité que les services de l’État – vous venez de nous le rappeler, madame la ministre – nous ont eux-mêmes avoué au cours de nos auditions qu’ils rencontraient des difficultés méthodologiques majeures pour mesurer les effets des dispositifs de péréquation sur l’ensemble des 36 000 communes.
C’est pourquoi nous avons proposé à la délégation la territorialisation de la dotation globale de fonctionnement. En effet, nous considérons que l’approfondissement de l’intercommunalité, dont le Parlement a adopté le principe, dans le cadre du projet de loi de réforme des collectivités territoriales, permettrait à terme de réaliser une péréquation sur le plan intercommunal, en fonction de la richesse de l’établissement public de coopération intercommunale et de ses communes membres.
En définitive, l’ambition de la réforme de la péréquation que nous appelons de nos vœux doit favoriser une logique de péréquation entre collectivités plutôt qu’une cristallisation des situations acquises.
Cependant, compte tenu de ses effets importants sur les finances de nos collectivités, déjà fragilisées par un contexte que chacun ici connaît, cette réforme doit être réalisée progressivement afin de ne pas affaiblir davantage nos territoires.
Nous souhaitons être audacieux. Puisque nous vivons dans la recherche de la simplification et de l’efficacité, pourquoi ne pas instituer une seule dotation nationale de péréquation afin d’améliorer la lisibilité et, surtout, de simplifier la politique de péréquation locale, que nous souhaitons ardemment ? (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Nathalie Goulet et M. Pierre Jarlier. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. François Marc.
M. François Marc. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la péréquation est un bon sujet. Un sujet de débat, certes, mais l’essentiel à nos yeux est que la volonté de débattre ne se substitue pas durablement à la volonté d’agir en faveur de la péréquation. Or, sur ce terrain, la frilosité du Gouvernement et de sa majorité s’est vérifiée maintes fois ici même. Nous en avons fait le constat à plusieurs reprises, notamment lors de l’examen de notre proposition de loi sur le renforcement de la péréquation des ressources des collectivités, en 2007.
Pourtant, aujourd'hui, il y a urgence à agir ; deux raisons de fond le rappellent de manière lancinante.
La première raison de fond réside dans les risques de rupture d’égalité républicaine face aux services publics de proximité.
Depuis plusieurs années, les transferts de compétences diverses aux collectivités se sont multipliés, sans que les ressources correspondantes aient été octroyées à celles-ci pour la mise en œuvre de ces actions de service public déléguées.
Dans le cadre de l’acte II de la décentralisation de 2004, de nouvelles compétences sont chaque année transférées en nombre aux collectivités. Mais cette montée en puissance des compétences est mal compensée et se révèle, de ce point de vue, de plus en plus préjudiciable aux budgets locaux.
L’écart entre « décentralisation institutionnelle » et « décentralisation financière » aboutit à un « effet de ciseaux » pour les collectivités. À cet égard, je rappelle la menace financière qui pèse aujourd’hui sur les budgets de certains départements.
Par conséquent, sauf à laisser certaines collectivités hors de tout processus de développement local, la péréquation doit impérativement accompagner l’accroissement des compétences locales.
La deuxième raison de fond tient à l’injuste répartition des ressources et à l’iniquité fiscale.
Du fait de la diminution marquée de la part des ressources fiscales dans la structure du financement des collectivités territoriales, la fiscalité locale n’assure pas l’équité entre les collectivités sur le territoire.
Selon les conclusions des rapports officiels publiés au cours des derniers mois, il y a en France de fortes disparités de potentiel fiscal par habitant. Cela varie du simple au double pour les régions, du simple au quadruple pour les départements et de 1 à 1 000 pour les communes. C’est considérable ! La situation mérite incontestablement d’être corrigée.
Or aucune réforme ni correction n’ont été faites sur les bases d’imposition et sur le système de prélèvements fiscaux.
D’une manière générale, les ressources fiscales des collectivités locales, qui sont assises sur des bases obsolètes, apparaissent aujourd’hui en décalage avec la réalité des besoins générés par les compétences exercées et, surtout, ne reposent pas sur un dispositif de réelle justice fiscale.
Aussi la péréquation est-il le seul moyen de corriger de telles inégalités de traitement.
Au-delà de ces deux constats alarmants, on doit en outre faire état – c’est sans doute ce qui justifie notre débat d’aujourd'hui – d’une aggravation de la situation tenant à la loi de finances pour 2010.
Les différents rapports officiels de ces derniers mois ont apprécié l’effet de la suppression de la taxe professionnelle et du nouveau schéma local en matière de fiscalité. D’après ces rapports, la compensation par les dotations de l’État d’une partie de la perte de recettes liée à la réforme de la taxe professionnelle pourrait avoir pour inconvénient une réduction mécanique de la part de péréquation dans l’ensemble des dotations versées aux collectivités. Elle aurait surtout l’inconvénient de figer les rentes de situation dont bénéficient actuellement certaines collectivités en raison de leur assiette fiscale, la réforme de la taxe professionnelle pouvant même accroître certaines disparités existantes !
En outre, les simulations réalisées par le journal La Tribune – certains d’entre vous ont pu les consulter – ont montré à quel point la suppression de la taxe professionnelle et ses conséquences pouvaient contribuer, via les mécanismes de substitution, à enrichir les communes déjà riches et à appauvrir les communes déjà pauvres. Cela a été clairement établi.
Sur tous ces points, l’inaction du Gouvernement depuis l’adoption de la loi de finances pour 2010 reste troublante. Mis en garde contre le risque de « double peine » pour les territoires déjà fragilisés, le Gouvernement a, jusqu’à ce jour, fait le choix de rester inerte s’agissant du renforcement des politiques de péréquation.
J’ajoute que, avec les conséquences prévisibles de la réforme territoriale, ce sont une nouvelle fois les collectivités territoriales affaiblies qui ne seront plus en mesure de financer les équipements publics nécessaires à leur population. En définitive, plus le retard sera important en matière de péréquation, plus on perpétuera les écarts entre les territoires.
Que faire pour corriger les inégalités ?
Certes, les quelques réformes conduites ces dernières années ont modestement contribué à améliorer la situation. Je pense à la légère augmentation de la part « péréquatrice » de la DGF, qui est passée de 12,3 % à 16,5 %. Je pense également à la dotation de solidarité urbaine, la DSU, qui a été abondée depuis 2005 par la loi de programmation pour la cohésion sociale. Je pense, enfin, à la dotation de solidarité communautaire, qui, depuis la « loi Chevènement », offre quelques possibilités de partage et une forme de solidarité à l’échelle de l’intercommunalité.
Cependant, malgré la mise en œuvre de ces correctifs, l’efficacité péréquatrice stagne en France, comme en témoignent les travaux des professeurs Guy Gilbert et Alain Guengant.
On est donc en droit de se demander pourquoi le gouvernement français ne se montre pas capable d’honorer les promesses péréquatrices maintes fois formulées depuis 2002.
À cet égard, madame la ministre, je note que vos propositions correspondent simplement à une volonté de corriger les effets réducteurs ou néfastes de la réforme introduite par la loi de finances pour 2010. Il s’agit non pas d’améliorer la péréquation, mais de corriger les effets pervers du dispositif prévu par le budget de 2010.
En bref, vous avez cassé la porcelaine et vous cédez maintenant sous le poids des revendications des élus de la majorité, qui se sont plaints ici même, aux mois de novembre et de décembre derniers. Ils ont demandé l’instauration d’une clause de revoyure sur la péréquation mise en œuvre de façon totalement inégalitaire dans la loi de finances pour 2010.
Les modifications proposées aujourd'hui visent à répondre à leurs attentes, mais n’améliorent en rien la péréquation dans notre pays, contrairement à ce qui avait été clairement annoncé lors de l’examen du projet de loi de décentralisation, lequel prévoyait l’adoption d’une loi organique à cette fin.
Pourquoi le Gouvernement se satisfait-il de ces résultats ? Est-ce de l’ordre du renoncement ? Est-ce délibéré ? Est-ce une façon de se conformer à l’idéologie du « chacun pour soi » ? Les clauses de revoyure devaient mettre en place de nouveaux mécanismes de péréquation. Comme moi, vous constatez, mes chers collègues, que les propositions faites sont très modestes sur ce plan !
Pour conclure, je rappelle que nous avons débattu au sein de notre assemblée de propositions visant à améliorer la péréquation. Or elles ont toujours été rejetées, ce qui est regrettable. Nous avons mis en avant la nécessité de prévoir une DGF améliorée, une CSG départementale ainsi qu’une intégration du revenu pour la fiscalité locale. Toutes ces mesures, jusqu’à présent, ont été remises à plus tard.
Dans ces conditions, nous sommes aujourd'hui insatisfaits des propositions qui nous sont faites. Nous avons bien conscience que la réforme des finances locales dans notre pays était le premier volet de la réforme territoriale qui est en train de se mettre en place. Il s’agissait essentiellement de mettre au pas les collectivités, de geler leurs ressources, de limiter les possibilités de péréquation. La réforme territoriale, véritable reprise en main politique des territoires, contribuera à accentuer encore la situation de blocage, ce qui est regrettable !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. C’est un peu osé quand même !
M. François Marc. Nous espérons que certaines de nos propositions pourront de nouveau être étudiées et qu’elles seront prises en considération lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2011. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-France Beaufils.
Mme Marie-France Beaufils. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, le Sénat a inscrit à l’ordre du jour de cette session extraordinaire un débat sur la péréquation des ressources et des moyens des collectivités territoriales.
Ce débat constitue une sorte d’avant-première de la discussion du projet de loi de finances pour 2011, puisque nous n’avons pas eu de débat dans le cadre de la clause de revoyure. Avons-nous d’ailleurs plus d’éléments de réflexion aujourd'hui ? Les simulations ne nous permettent pas encore d’éclairer les choix qui pourraient être faits afin que les collectivités territoriales répondent véritablement aux besoins des populations.
À l’heure où nous discutons, l’intention du Gouvernement, une fois mise en œuvre la suppression de la taxe professionnelle, est de geler les dotations et les concours aux collectivités locales afin de faire contribuer ces dernières à la réduction du déficit de l’État. Or elles apportent déjà largement leur pierre à l’entreprise de résorption du déficit, ne serait-ce que parce qu’elles réalisent des investissements représentant 73 % des dépenses d’équipement de la nation.
En vingt-cinq ans, les multiples réformes engagées ont mis à mal l’équilibre des finances locales : allégements divers de taxe professionnelle avant que celle-ci ne soit supprimée, réformes de la DGF et des autres dotations.
À chaque fois, ces réformes se sont traduites par une inflexion à la baisse des concours de l’État aux collectivités locales, en valeur relative comme en pouvoir d’achat.
Le débat d’aujourd’hui pourrait être parfaitement intéressant s’il n’intervenait deux jours avant la présentation du projet de budget pour 2011, lequel gèlera les dotations accordées aux collectivités alors que ces dernières devront faire face à une augmentation annoncée de leurs charges – je pense en particulier à l’énergie – bien supérieure à l’inflation envisagée.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Eh oui !
Mme Marie-France Beaufils. Nous pouvons craindre également que de nouveaux transferts de charges et de compétences, plus ou moins officiels, ne viennent peser peu à peu sur les collectivités et grever leurs capacités.
Pour ce qui est des ajustements de la suppression de la taxe professionnelle, le débat qui s’est tenu lors du Comité des finances locales le 6 juillet dernier a montré que des inquiétudes persistaient chez les élus.
Tout à leur volonté de supprimer rapidement la taxe professionnelle, répondant en cela à une revendication des milieux patronaux et du monde des affaires, au moins aussi ancienne que la taxe professionnelle elle-même, le Gouvernement et le Président de la République ont oublié d’apprécier les conséquences d’une telle décision pour les collectivités territoriales. Le Président de la République, lors d’un déplacement dans le Loir-et-Cher, avait d’ailleurs affirmé que la priorité était d’abord accordée aux entreprises.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. C’est pour l’emploi !
Mme Marie-France Beaufils. En effet, ce choix est positif pour les entreprises,…
Mme Nicole Bricq. Pas toujours !
Mme Marie-France Beaufils. … mais pas pour ceux qui sont chargés de faire vivre les services publics locaux !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. C’est pour l’emploi et l’investissement !
Mme Marie-France Beaufils. J’y reviendrai, ne vous inquiétez pas !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Me voilà rassuré !
Mme Marie-France Beaufils. Nous vous avions alertés de cette difficulté dès l’examen du projet de loi de finances pour 2010. Les faits confirment nos analyses d’alors.
Tout d’abord, la suppression de la taxe professionnelle a été réalisée en sollicitant largement les deniers publics, puisque le Gouvernement transférera la charge de plus de 12,5 milliards d’euros de différentiel entre le montant du produit des nouvelles taxes acquittées par les entreprises et celui du produit de la taxe professionnelle perçu précédemment par les collectivités locales. De plus, les transferts d’imposition nécessaires au financement des services publics se reporteront sur les habitants, comme l’a rappelé Nicole Bricq tout à l’heure au sujet de la taxe d’habitation.
L’impact de la mesure, moins important à compter de 2011, participe d’ailleurs de la réduction optique du déficit que nous découvrirons dans deux jours.
Ensuite, la plus grande partie des simulations réalisées et publiées après la suppression de la taxe professionnelle se sont révélées largement erronées, notamment parce qu’elles utilisaient des données dépassées et que la plus grande circonspection doit présider à la définition de la valeur ajoutée au sens de la nouvelle cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises.
Par ailleurs, fait incontestable lui aussi, en lieu et place d’une taxe professionnelle vilipendée pour ses défauts et dont la seule faiblesse, facilement rectifiable, était en fait un différentiel de cotisations très important entre le secteur industriel et les secteurs financier et des services, les élus locaux se retrouvent aujourd’hui à la tête d’une contribution foncière qui rappelle furieusement la très antique patente et d’une cotisation sur la valeur ajoutée dont ils ne sont de toute manière pas maîtres, puisqu’elle découlera de la déclaration des entreprises assujetties. Nous savons qu’elle sera tout autant contestée.
Elle dépendra donc, dans certains cas, des choix stratégiques accomplis par les groupes, puisque les plus grandes entreprises seront concernées. Il suffira au moindre groupe à vocation internationale de domicilier à l’étranger une partie plus importante de ses bénéfices,…
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. C’est d’ailleurs ce qu’ils font déjà !
Mme Marie-France Beaufils. … avec un bon trust aux Bahamas ou un fonds d’actifs à Jersey, ou de sa valeur ajoutée, et il pourra jouer à la fois sur le montant de la TVA collectée et sur sa CVAE.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Il faut donc supprimer cette cotisation !
Mme Marie-France Beaufils. Dans les faits, il n’y a plus de ressources pour les fonds départementaux de péréquation de la taxe professionnelle et il n’y en a quasiment plus pour le Fonds de solidarité des communes de la région d’Île-de-France, tout simplement parce qu’il n’y a plus de taxe professionnelle.
Pour ne citer qu’un exemple, dans le département de l’Isère de mon amie Annie David, un certain nombre d’établissements exceptionnels – barrages hydrauliques ou installations de production d’électricité – étaient jusqu’à présent concernés par l’alimentation du fonds départemental de péréquation de la taxe professionnelle, ce qui représentait une aide pour 550 communes. Désormais, les ressources de ces communes sont écrêtées pour solder les comptes de la suppression de la taxe professionnelle. Que deviendront ces communes sans un tel apport ? Où retrouveront-elles des capacités pour faire face à leurs obligations ?
À la place d’une gestion de proximité, animée par le conseil général sur les treize territoires de l’Isère, est créé un outil de simple ajustement fiscal confié aux services du ministère des finances et à la direction générale des collectivités locales, la DGCL.
J’ai entendu tout à l’heure qu’il était proposé de faire de la péréquation par l’intermédiaire de l’intercommunalité. Permettez-moi d’émettre un certain nombre de doutes. L’expérience m’amène, en effet, aujourd'hui à être plus que réservée au sujet d’un tel projet. L’intercommunalité à TPU a permis d’intervenir sur des actions nouvelles dans les territoires concernés, mais elle a laissé aux communes le soin de poursuivre la gestion de leurs services avec des moyens de moins en moins dynamiques.
Pour ce qui concerne les dotations budgétaires, les données sont connues de longue date. Le pouvoir d’achat de la dotation globale de fonctionnement, principale dotation de l’État aux collectivités locales, n’a cessé de se réduire depuis 1990, année où elle fut déterminée pour la première fois, d’une autre manière que par la voie d’un prélèvement sur les recettes de TVA de l’État.
La réforme de 1993 n’a rien changé au problème. La tendance lourde s’est maintenue et la dotation d’aménagement, comme ses composantes – dotation d’intercommunalité, DSU et DSR –, ne joue depuis lors qu’un rôle mineur, celui de rendre un peu moins amère la pilule de la déperdition de la DGF dans son ensemble. D’après nos collègues de l’Observatoire des finances locales, 14 700 communes ont connu une réduction de leur DGF en 2010.
N’oublions pas que l’insertion de la DGF dans l’enveloppe fermée et contrainte des concours budgétaires lui a aussi fait jouer un rôle peu reluisant, celui d’évincer progressivement d’autres dotations en termes de montants versés aux collectivités.
La misère de la DGF depuis quinze ans n’est rien comparativement à la chute libre de la dotation de compensation de la taxe professionnelle !
Nous n’avons donc plus d’outils de péréquation opératoires, et cette péréquation de la misère risque fort de nous conduire très vite à la misère de la péréquation !
Sans taxe professionnelle et avec une DGF contrainte, que veut-on mettre en péréquation ? Souhaitez-vous faire du produit des amendes de police de la circulation le vecteur d’une péréquation nouvelle ? Soyons sérieux : que peut-on faire avec 1 milliard d’euros ?
Pour tout dire, il est plus que temps de nous poser deux vraies questions.
D’abord, on doit se demander s’il était opportun de supprimer la taxe professionnelle cette année ? Quel impact une telle décision a-t-elle pu avoir sur la situation réelle des contribuables ?
En vérité, le niveau des créations d’emplois en 2010 ne permet pas de justifier la mesure qui a été prise. Selon l’INSEE, seule la progression des emplois intérimaires permet cette année à la France d’enregistrer une hausse de l’emploi salarié total. Cela signifie que l’État a, pour l’heure, sacrifié 12,5 milliards d’euros pour voir se prolonger la disparition d’emplois industriels et exploser l’emploi précaire. On pourrait imaginer un meilleur résultat… C’est ce que l’on appelle jeter l’argent par les fenêtres ! Cela étant, cet argent ne sera pas perdu pour tout le monde : il est permis de penser que quelques dividendes seront, à terme, nourris par l’effort accompli par l’État.
Par ailleurs, la péréquation ne peut répondre à des objectifs précis, notamment la prise en compte des situations souvent complexes de certaines collectivités locales, si l’on ne se dote pas rapidement d’un nouvel outil de péréquation.
Mme la présidente. Veuillez conclure.
Mme Marie-France Beaufils. C’est pourquoi nous réclamons depuis plusieurs années la taxation des actifs financiers détenus par les banques, les assurances et les entreprises en général. La financiarisation de l’économie a tellement pollué le champ des activités de production qu’il est plus que jamais à l’ordre du jour de mettre en œuvre une telle mesure. Parce que l’acquisition, la détention, la rémunération de ces actifs participe de comportements prédateurs à l’égard de la richesse créée par toute entreprise produisant des biens ou des services, il convient de freiner ces activités en les assujettissant, dans un premier temps, à une cotisation à assiette large mais à taux réduit, qui pourrait être fixé à 0,5 %, et à rendement élevé.
La philosophie de cette flat tax puissamment incitative entend amener les entreprises à privilégier, pour assurer leur développement, l’investissement dans les processus de production comme dans les capacités humaines.
Les sommes en jeu seraient importantes – 30 milliards d’euros environ – et permettraient de redonner du souffle à nos collectivités locales, afin de porter remède à la réduction de leur capacité d’investissement que nous constatons aujourd’hui et qui pourrait avoir des conséquences lourdes sur le secteur du bâtiment et des travaux publics. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, je compte sur vous pour respecter les temps de parole qui ont été fixés pour ce débat.
La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, depuis trop d’années maintenant, les collectivités locales doivent faire face à des contraintes de plus en plus lourdes, dont elles peinent à s’acquitter, le plus souvent en raison de certaines défaillances de l’État. Plusieurs raisons expliquent les difficultés que nombre de maires doivent aujourd’hui affronter.
En premier lieu, les dernières lois de décentralisation n’ont pas permis de compenser à due concurrence le transfert des compétences de l’État aux collectivités locales.
Le désengagement de l’État s’est ainsi nettement accentué, tant pour des raisons budgétaires – nous le constatons chaque année lors des débats que nous avons ici même au sujet de la dotation globale de fonctionnement – que pour des raisons politiques, dès lors que l’État ne veut plus fournir les services et prestations qui répondent aux besoins et aux attentes de nos concitoyens, notamment dans les territoires en difficulté.
Le dogme de la révision générale des politiques publiques fait manifestement du mal à nos collectivités !
Ce désengagement de l’État contraint les collectivités territoriales à se substituer à lui pour assumer des missions menacées par l’évaporation des services déconcentrés et des services publics de proximité – la sécurité en est un des exemples les plus frappants –, le tout dans un contexte de crise financière, de réduction des recettes, mais aussi de perte progressive d’autonomie financière.
En second lieu, le poids ainsi que la structure des dépenses locales restent un problème majeur. De l’ordre de près de 203 milliards d’euros par an, ces dépenses ne cessent de croître.
C’est dans ce contexte troublé que le Gouvernement a imposé aux collectivités territoriales, il y a exactement un an, la suppression de la taxe professionnelle. Cette réforme, menée à la hussarde, a pourtant un impact sur l’ensemble du système de financement des collectivités : en particulier, sur le rendement des impôts, le fonctionnement des fonds de péréquation et les modalités de répartition des dotations.
À ce dispositif s’est substituée la contribution économique territoriale, la CET, née dans la douleur. Or nous ne connaissons toujours pas, à ce jour, les modalités exactes de sa mise en œuvre. Le débat qui s’est tenu ici le 28 juin dernier sur la proposition de résolution relative à la contribution économique territoriale a démontré, s’il le fallait encore, que les malfaçons originelles de cette réforme menée sans concertation font peser de lourdes contraintes de financement sur les collectivités territoriales les plus fragiles, à commencer par les communes rurales.
L’écran de fumée du rapport Durieux n’a pas masqué l’embarras du Gouvernement quant à la « clause de revoyure » que le Sénat, rappelons-le, avait introduite dans la loi de finances pour 2010, et nous attendons toujours des simulations précises et sincères des recettes de chaque catégorie de collectivités, une estimation de leur variation à court, moyen et long termes, ainsi que de l’évolution des prélèvements locaux sur les entreprises et les ménages. Comprenez, madame la ministre, que l’enjeu est vital pour les collectivités locales, à commencer par les plus petites et les plus fragiles !
Certes, la suppression de la taxe professionnelle a été voulue pour soutenir la compétitivité des entreprises : malheureusement, cet effort a été réalisé sans réelle prise en compte de ses implications pour les collectivités locales. Pour autant, le lien entre les entreprises et les territoires demeure trop distendu.
Sur ce point, les critères de répartition de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, la CVAE, c'est-à-dire en proportion des effectifs employés dans chaque commune par chacune des entreprises soumises à imposition, souffrent d’une trop grande imprécision pour assurer une prise en compte des charges réellement supportées par les collectivités locales. Cette situation aboutit à affaiblissement du lien entre les entreprises et leur territoire, qu’il faudrait au contraire renforcer, notamment pour mieux tenir compte des grandes installations industrielles implantées postérieurement à la réforme.
Le dispositif mis en place par la réforme se situe dans la longue tradition de complexité des finances locales, alors qu’on nous promettait une simplification. Les conditions de l’intéressement des collectivités territoriales à l’implantation des entreprises, clairement définies sous le régime précédent – c’était un de ses mérites ! –, ne nous semblent, à ce stade, que vagues et théoriques.
On nous avait assuré que la suppression de la taxe professionnelle ne porterait en aucun cas atteinte à la capacité des collectivités locales d’exercer leurs prérogatives.
On nous avait également assuré que, en cas de déficience budgétaire locale, l’État se porterait garant, et ce malgré la situation déficitaire des finances de l’État.
On nous avait enfin assuré que la réforme allait entraîner une diminution des délocalisations et une hausse de l’activité des entreprises sur l’ensemble de nos territoires.
Sur ces trois promesses, il y a loin de la coupe aux lèvres !
La suppression de la taxe professionnelle ne corrige en fin de compte que très partiellement les inégalités de ressources entre les collectivités territoriales. Pis encore, elle permet à l’État de grignoter toujours plus leur autonomie financière, si chèrement acquise il y a plus de vingt-cinq ans, et même constitutionnalisée en 2003. Enfin, la croissance en berne et les mauvais chiffres estivaux du chômage ne nous permettent pas d’apprécier objectivement l’impact global de la réforme sur notre économie à l’aube de l’année 2011.
Au vu de ces considérations, l’ampleur des disparités de richesse fiscale entre collectivités locales rend indispensable l’adoption de mesures énergiques pour améliorer enfin notre système de péréquation. À notre sens, la péréquation doit porter sur l’ensemble de la fiscalité et non pas seulement sur les recettes issues de la fiscalité touchant les entreprises, comme c’est aujourd’hui le cas avec les prélèvements sur stocks et sur flux opérés au titre de la CVAE.
Il est indéniable que la fiscalité locale est peu lisible, économiquement peu efficace et socialement non redistributive ; j’en veux pour exemple la taxe d’habitation, qui est comparativement plus lourde pour les ménages modestes ou moyens que pour les ménages aisés. Pourquoi ne pas amorcer une réflexion approfondie sur l’introduction de la progressivité dans la fiscalité locale ? Pourquoi ne pas également revoir la définition du potentiel fiscal ?
En toute hypothèse, c’est au niveau communal que se révèlent les disparités de richesse les plus grandes, avec un écart de l’ordre de 1 à 1 000. Or il paraît d’ores et déjà indispensable de sanctuariser en 2011 les dotations allouées aux communes au titre du fonds départemental de péréquation de la taxe professionnelle.
Il est également vital de faire porter les efforts de péréquation sur l’ensemble des groupements de communes. L’achèvement de l’intercommunalité à l’horizon de 2013, objectif fixé par le projet de loi de réforme des collectivités territoriales, doit être l’occasion de concevoir une véritable solidarité intercommunautaire. Le développement soutenu de l’intercommunalité dans les années 2000 ne s’est pas accompagné, hélas, de cette réflexion, alors même que les compétences des EPCI se sont considérablement élargies et que les inégalités se sont aggravées entre eux.
Face à ce constat, vous ne proposez rien de moins que de limiter les cofinancements, pourtant indispensables aux communes modestes ou défavorisées.
Parallèlement, les dispositifs de péréquation régionale et départementale, mais aussi entre les communes et les intercommunalités, ne sont toujours pas opérationnels aujourd’hui. Depuis plusieurs semaines, les élus locaux nous font part de leurs très vives et légitimes inquiétudes quant aux conditions dans lesquelles ils pourront assurer le prochain exercice budgétaire. Beaucoup se demandent aussi quel sort sera réservé aux ressources prévues, notamment celles qui proviennent du fonds départemental de péréquation de la taxe professionnelle.
Cette réforme mal conçue entraîne donc des effets inverses de ceux qui étaient escomptés : ne pouvant agir rapidement sur les frais de fonctionnement, les collectivités en difficulté sont contraintes de geler leurs investissements, pourtant essentiels au bon fonctionnement des services publics locaux.
En dépit de l’attention que les élus locaux portent à l’évolution de leurs dépenses, l’optimisation des moyens des collectivités locales constitue un enjeu plus que jamais capital.
En fin de compte, la définition d’un niveau optimal de péréquation, évalué de façon objective, s’avère indispensable. Sur ce point, la péréquation de la fiscalité économique paraît particulièrement adaptée, grâce au dynamisme de l’assiette que représente la valeur ajoutée des entreprises. Ce niveau optimal devra combiner au moins deux exigences pour être réellement efficace : d’une part, un niveau élevé de prélèvement, pour éviter tout effet de saupoudrage ; d’autre part, le renforcement de la territorialisation de la CVAE.
Mme la présidente. Veuillez conclure.
M. Yvon Collin. Mes chers collègues, ce débat nous offre l’occasion d’ouvrir de nouvelles portes et de proposer de nouvelles options. Nos collectivités attendent non pas des solutions miracles, mais des mesures innovantes et pragmatiques, pour que décentralisation, réforme de la fiscalité locale et réforme des institutions ne riment plus avec paupérisation.
Soucieux d’assurer leur équilibre financier et de renforcer leur capacité à investir, notre groupe sera très vigilant lors des prochains débats budgétaires et défendra avec conviction l’intérêt des collectivités les plus fragiles !
Je vous remercie de votre indulgence, madame la présidente. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste, ainsi que sur les travées du groupe CRC-SPG.)
Mme la présidente. Malheureusement, je crains de ne pouvoir continuer à faire preuve d’indulgence, car le nombre des orateurs inscrits dans ce débat est considérable. Si chacun des intervenants dépasse son temps de parole, nous ne pourrons pas le mener à son terme.
La parole est à M. Charles Guené.
M. Charles Guené. Madame la présidente, madame le ministre, mes chers collègues, je souhaite tout d’abord dire combien nous devons nous féliciter de la tenue de ce débat attendu dans le cadre de la « clause de revoyure »… (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme Nicole Bricq. Ne nous prenez pas pour des imbéciles !
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Parce qu’il ne faudrait pas débattre, ma chère collègue ?
M. Charles Guené. Ce débat honore notre institution et notre groupe, qui l’avaient demandé et obtenu, mais aussi le Gouvernement, qui répond à la demande du Parlement ainsi qu’à l’ensemble des élus locaux, et vient satisfaire les exigences de clarté et de suivi d’une réforme complexe mais déterminante pour notre pays.
Mme Nicole Bricq. Si c’était pour en arriver là, il ne fallait pas l’inscrire dans la loi !
M. Charles Guené. Ce rendez-vous est important parce que, au-delà de la simple ponctualité dont nous avons déjà débattu, il s’inscrit véritablement dans le processus parlementaire et marque une étape dans l’établissement de la loi fiscale. Il constitue un moment autonome, ainsi que nous l’avions souhaité dans la loi de finances initiale pour 2010.
Je voudrais, à cet égard, remercier le président du Sénat et le président de notre groupe, qui n’ont fait aucune concession par rapport à cette exigence, et vous remercier aussi, madame le ministre, de vous y être pliée, en respectant totalement l’esprit de l’exercice et en nous apportant des réponses dont je salue la grande qualité.
Le sursis que nous venons de nous accorder mutuellement a été très profitable puisque, tenant compte du rapport Durieux, du rapport parlementaire que j’ai eu l’honneur de commettre avec mes collègues Alain Chatillon et François-Noël Buffet ainsi que des « remontées » du terrain, vous avez su, madame le ministre, esquisser un grand nombre de corrections que les entreprises, comme les élus, apprécieront. Nous en prenons la mesure.
Notre réflexion a également évolué, mais je ne peux m’empêcher d’établir le parallèle avec les demandes que nous avions formulées dans notre rapport parlementaire.
Si nous sommes satisfaits et même flattés de la prise en compte du plus grand nombre de nos remarques, je ne puis m’en contenter au regard de plusieurs points essentiels.
Je n’évoquerai pas le nécessaire rééquilibrage au profit des territoires industriels ni la réactualisation des bases, qu’abordera mon collègue Alain Chatillon. Je m’attacherai, en revanche, à plusieurs aspects sur lesquels nous pensons que le compte n’y est pas tout à fait et qui appellent une réflexion plus approfondie.
Mon propos portera tout d’abord sur la péréquation, et plus particulièrement sur la péréquation horizontale, c’est-à-dire entre collectivités.
Pour la première fois de l’histoire parlementaire et de la fiscalité moderne, notre rapport ose faire passer la péréquation du statut de notion intellectuelle et conceptuelle à une réalité mathématique pouvant faire l’objet d’une déclinaison pratique, d’ailleurs appliquée par nos voisins allemands.
Jusqu’alors, chacun s’accordait à dire qu’il s’agissait d’une nécessité mais pour laquelle il fallait surtout prendre le temps de la réflexion.
Nous avons proposé deux systèmes cohérents susceptibles de constituer une base sérieuse de discussion. Nous n’avons pas envisagé une application immédiate, mais seulement la fixation de principes et de mécanismes, ainsi que leur développement en 2011, dans le cadre d’une deuxième « revoyure » et de la loi de finances suivante, une fois les chiffres de la réforme connus et sécurisés.
Je rappelle, à cet égard, que notre rapport prévoit le remplacement de la péréquation des départements et des régions, telle que nous l’avons votée l’an passé et dont les critères nous sont apparus inopérants, par une péréquation basée sur un prélèvement de 50 % de la croissance, répartie en fonction de critères fiscaux et de charges, dont nous avons listé les caractéristiques pour les rendre plus efficaces, et cela indépendamment des nouveaux financements à venir pour la dépendance.
Madame le ministre, vous nous avez orientés dans cette voie, ainsi que vers le partage des droits de mutations à titre onéreux, les DMTO, cher à notre collègue député Marc Laffineur, et dont le rapporteur général vient de dire tout le bien qu’il pensait.
Pour le bloc communal, nous proposons de maintenir durant un an les fonds départementaux de la taxe professionnelle et le Fonds de solidarité des communes de la région Île-de-France, le FSRIF. Nous profitons de l’occasion pour fixer les principes d’une péréquation susceptible d’intervenir dès 2012, sur la base de la constitution de deux fonds qui prélèveront, au niveau national comme au niveau régional, le flux dépassant un certain seuil de richesse.
Cela implique d’établir un nouveau potentiel fiscal et de tenir compte de l’ensemble de la richesse, et non plus de la simple richesse économique, puisque les paramètres ont changé. Il faudra aussi, bien sûr, territorialiser la décentralisation, comme vous le suggérez, monsieur Mézard.
J’appelle votre attention sur ce point, chers collègues : cette péréquation sera réalisée sur les seuls flux et non sur la totalité de l’existant. En outre, nous disposerons d’une année pour arrêter ce que nous conservons des fonds départementaux et du FSRIF afin, notamment, de ne pas pénaliser les départements qui ont effectué des choix courageux et qui bénéficient de légitimes retombées.
Par ailleurs, lorsque nous parlons de « péréquation au niveau régional », il ne s’agit pas de gouvernance, mais du niveau de partage. Autrement dit, la répartition n’est pas conférée aux régions, mais elle relève de critères établis par la loi ; je tenais à apporter ces précisions afin de dissiper certaines inquiétudes.
Si ces dispositions sont audacieuses dans le principe, avouez qu’elles ne constituent qu’un démarrage progressif de la future péréquation territoriale. Aussi, il me semble que le Sénat s’honorerait en dépassant, dans ce domaine, la simple incantation.
Nos collègues maires et présidents d’EPCI attendent que nous remplissions le rôle que nous a confié la Constitution au regard des collectivités locales. Ils savent que le Parlement a refusé la péréquation géographique totale, initialement proposée par le Gouvernement. Je vous rappelle, à cet égard, madame Bricq, que, en commission mixte paritaire, ce sont les représentants de la gauche du Sénat qui ont fait basculer la décision dans ce sens...
La quasi-totalité des maires de France, dont beaucoup de nos collègues des zones urbaines défavorisées, ne peuvent se satisfaire d’un statu quo dans ce domaine.
Nous sommes actuellement sur les bases d’une croissance relativement faible, ce qui rendra moins sensible l’amorce de la mise en œuvre du système. Nous sommes aussi à un moment charnière où tout est possible.
Il faut donner un signe à cette France qui est située en dehors des courants d’échanges économiques pour de multiples raisons, et pas seulement parce qu’elle ne disposait pas d’élus capables de les attirer. Elle ne peut se satisfaire de la promesse d’un Grand Soir à venir, qui rassemblera péréquation horizontale et péréquation verticale dans un même mouvement, et où une générosité nouvelle viendra changer son sort.
Je crois, au contraire, que la mise en œuvre de la péréquation horizontale, qui représente une très faible part comparativement à la péréquation verticale, doit justement être annoncée dans cette loi de finances en termes suffisamment précis pour baliser le chemin d’un véritable changement.
Le temps m’étant compté, je n’irai pas plus loin, mais nous reviendrons, chaque fois que possible, pour incliner les textes dans ce sens. Je ne doute pas que le Sénat saura nous entendre.
Je terminerai par deux sujets annexes, mais d’importance pour les élus de terrain.
D’une part, nous avions signalé la problématique des abattements sur la taxe d’habitation, et vous nous avez entendus, madame le ministre, en accordant un délai supplémentaire d’un mois pour la prise de décision. C’est bien, mais ce n’est pas suffisant.
Il faut trouver des solutions aux problèmes rencontrés. En effet, les collectivités doivent choisir, lorsqu’un département a été trop généreux en pratiquant de larges abattements entre conserver leur produit et pénaliser le contribuable ou satisfaire le contribuable au détriment de leur budget.
Je vous propose, à cet égard, de compléter cette alternative en leur offrant la possibilité, à l’occasion de cette année de transfert, de jouer librement sur le facteur taux, à condition de conserver le produit attendu. Cette dérogation permettrait de déterminer les abattements optimaux, en lissant en partie l’effet vis-à-vis des budgets et des contribuables. Ce n’est pas parfait, mais cela ajoute une solution et, en outre, disculpera pour partie l’État concernant certaines options maximalistes qui ne manqueront pas de lui être imputées.
Il serait important que vous puissiez expertiser et valider cette idée avant la fin du mois d’octobre, de manière à laisser une plus grande latitude aux collectivités en temps opportun. Nous pourrions ainsi en voter l’aménagement en loi de finances.
D’autre part, je reviendrai sur la question de l’éolien. J’avais attiré votre attention sur la nécessité de respecter le pacte conclu avec les communes qui avaient fait le pari de l’éolien. Le nouveau dispositif réduit de deux tiers les rentrées attendues, et cette fois sans aucune contrepartie de garantie, alors que les choix effectués ont des impacts paysagers importants. Il s’applique de plus de manière inéquitable puisque sa mise en œuvre dépend du degré d’instruction du dossier au moment de la promulgation de la loi.
Nous sommes face à une rétroactivité fiscale insoutenable, qui remet en cause la parole même de l’État.
Notre rapport préconisait d’augmenter significativement le tarif de l’imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux, l’IFER, en la faisant passer à 6 euros, et d’en affecter totalement le produit au bloc communal sans partage avec les départements qui ne se sont pas engagés politiquement dans ces choix. Les départements percevraient, bien sûr, une légitime compensation. Cette solution est la seule qui soit de nature à satisfaire le bloc communal et vos engagements.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Cela dépend des départements !
M. Charles Guené. Nous souhaiterions que vous vous y rangiez, madame le ministre.
La solution consistant à se référer à la date d’urbanisme est inégalitaire et condamnerait la filière. Si nous voulons conserver la position actuelle au profit des départements en la figeant, je vous rappelle que le tarif devrait atteindre au moins 9 euros. Là aussi, nous comptons sur vous et sur le Parlement.
Sous le bénéfice de ces réserves importantes, étant entendu que la péréquation doit absolument rester le point de mire du Sénat comme le nécessaire élément d’une solidarité nationale entre toutes les collectivités de France – comme une marque de fabrique, dirai-je – et de ces quelques considérations techniques apparemment secondaires – mais que les 36 000 communes et les 3 000 communautés surveillent comme le lait sur le feu –, je reconnais les modifications substantielles et les orientations intéressantes que le Gouvernement a apportées dans cette clause de revoyure.
Tous les parlementaires de bonne foi peuvent s’en féliciter. Mais je demande instamment à mes collègues de considérer qu’il s’agit d’une plateforme de base, qui attend nos améliorations puisque, pour l’essentiel, elles n’auront pas d’incidence sur le budget de l’État.
Nous serons comptables devant les collectivités de notre pays, qui attendent de nos travaux lisibilité et solidarité, à travers une péréquation nouvelle enfin engagée. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Lozach.
M. Jean-Jacques Lozach. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, les questions relatives aux ressources et aux charges des collectivités locales sont, par essence, au cœur des préoccupations du Sénat.
Le rapport d’information sénatorial élaboré au printemps 2009 au nom de la mission temporaire sur l’organisation et l’évolution des collectivités territoriales mettait en avant la nécessité de passer à l’acte pour favoriser l’égalité entre les collectivités territoriales et améliorer la péréquation, tant verticale – par un renforcement des dotations péréquatrices de l’État – qu’horizontale – avec une péréquation forte et mieux ciblée –, permettant non seulement d’éviter le creusement des inégalités, mais surtout de corriger les déséquilibres entre les territoires.
Nous connaissons tous les conséquences de la suppression de la taxe professionnelle sur les finances locales : amputation des recettes et diminution subséquente des services publics locaux.
À l’évidence, les engagements du Gouvernement n’ont pas été tenus : la clause de revoyure prévue par l’article 76 de la loi de finances pour 2010 a été ignorée. Le débat d’aujourd’hui apparaît comme une maigre concession à la mise en œuvre de cette clause de rendez-vous avortée.
Le rapport sur les conséquences de la réforme de la taxe professionnelle sur les collectivités territoriales, remis par M. Charles Guené et M. Marc Laffineur, le 30 juin dernier au Premier ministre, relève que la suppression de la taxe professionnelle allège la charge fiscale des entreprises. Mais quid du lien entre l’impact sur les finances publiques et l’efficacité économique ?
En outre, cette mission parlementaire note que les mécanismes de péréquation mis en place dans le cadre de la suppression de la taxe sont fort insuffisants. Ils ne permettent pas une réduction des inégalités. Ainsi l’inefficacité se marie-t-elle à l’injustice !
Les disparités de richesse et les inégalités de ressources nécessitent des mesures vigoureuses et pérennes, ainsi qu’une péréquation dynamique et aussi lisible que possible, tous les rapports le reconnaissent.
Le potentiel fiscal par habitant varie du simple au double entre les régions et du simple au quadruple entre les départements. Il est ainsi de 232 euros par habitant pour le département de la Creuse et de 991 euros par habitant pour celui des Hauts-de-Seine ! Entre communes, les écarts sont également considérables.
S’agissant des régions et des départements, le rapport préconise de fusionner les différents mécanismes de péréquation instaurés dans le cadre de la loi de finances pour 2010 et de redéfinir la notion de potentiel fiscal. Il propose la mise en place d’un fonds national et de fonds régionaux de péréquation pour le bloc communal. Jusqu’à présent, le Gouvernement a poliment fait part de son intérêt vis-à-vis de ces idées, tout en nous renvoyant aux résultats des arbitrages de préparation du projet de loi de finances pour 2011 !
Le 28 juillet, le Conseil des ministres s’est livré à un exercice de communication autosatisfaite au sujet de la réforme de la taxe professionnelle, les ministres enchérissant sur sa réussite : vous-même, madame la ministre, vous êtes félicitée de ce que les objectifs aient été atteints « sans pour autant peser sur les finances locales », tandis que M. Marleix affirmait que le « dynamisme des nouvelles ressources fiscales issues de la réforme » améliorerait les ressources de collectivités locales…
Ce refus d’assumer les conséquences des choix nationaux sur la gestion des collectivités locales est de nature à inquiéter sérieusement celles et ceux qui, au quotidien, gèrent lesdites collectivités !
Voilà un dossier majeur sur lequel les élus ont été grossièrement, mais méthodiquement circonvenus.
Concernant l’épine de l’implosion des finances locales et des inégalités de richesses, la devise du Gouvernement pourrait être, en inversant la célèbre formule attribuée à Gambetta : « En parler toujours, n’y penser jamais ! » Et, après votre intervention, madame la ministre, j’ajouterai : « Agir à doses homéopathiques ! » (M. François Marc acquiesce.)
En effet, au cours de ces dernières décennies, combien de colloques sur l’aménagement du territoire ont préconisé un renforcement de la péréquation ? Combien d’expertises, à l’image des rapports sénatoriaux de MM. Jean François-Poncet Claude Belot de 2003 et 2004 sur les péréquations interdépartementale et interrégionale, ont prôné une action déterminée et ciblée, afin de rendre attractif l’ensemble de l’espace national ?
Il y va de l’égalité des chances des collectivités et des territoires face au défi du développement et du progrès pour tous !
La Constitution précise : « La loi prévoit des dispositifs de péréquation destinés à favoriser l’égalité entre les collectivités territoriales. » Donnons donc consistance à cet article 72-2, en mettant dès à présent en place, comme le proposent le Conseil des prélèvements obligatoires et le Conseil national des villes, un objectif chiffré annuel de réduction des inégalités entre collectivités et en créant un observatoire national des inégalités territoriales.
Le Conseil constitutionnel a jugé, dans sa décision du 29 décembre 2009 sur la loi de finances pour 2010, que la péréquation « peut corriger non seulement les inégalités affectant les ressources, mais également les inégalités relatives aux charges ; qu’elle peut également être mise en œuvre par une dotation de l’État ou grâce à un fonds alimenté par des ressources des collectivités territoriales ».
Il est urgent de développer les mécanismes d’aides aux communes et aux départements pauvres, de remettre à plat l’ensemble des concours de l’État afin de mettre en place une nouvelle combinaison des péréquations.
L’État doit y consacrer des ressources substantielles et accompagner une nouvelle étape de la décentralisation, jouer son rôle de stratège dans les investissements d’avenir, assurer sa mission de cohésion et de solidarité sociale et territoriale.
Sur ce plan, vos propos ne m’ont guère rassuré, madame la ministre : vous parlez de première application pour 2013 ou d’évaluation d’objectifs recherchés à compter de 2015 !
Quant à la « large concertation » que vous avez évoquée, elle relève d’une appréciation qui ne me semble guère partagée par les associations nationales d’élus à en juger par les déclarations de leurs principaux responsables.
M. François Marc. C’est vrai !
M. Jean-Jacques Lozach. Oui, les défis sont immenses. Mais, dans l’immédiat, il y a une urgence : l’État doit rembourser ses dettes !
Par exemple, la charge résiduelle du financement des prestations sociales universelles – allocation personnalisée d’autonomie, revenu de solidarité active, prestation de compensation du handicap – que les conseils généraux mettent en œuvre au nom de la solidarité nationale s’élève aujourd’hui, pour l’ensemble d’entre eux, à 14 milliards d’euros. Pour un département comme le mien, cette charge représente un tiers de son budget annuel. Sur ce point, mon propos rejoint celui du rapporteur général.
Dès à présent, les collectivités territoriales connaissent les pires difficultés pour maintenir un niveau d’investissement nécessaire à l’équipement de la nation. Cette situation de grande tension financière ne peut être traitée uniquement par une péréquation à caractère financier. Le principe de rééquilibrage doit également s’appliquer dans les schémas nationaux d’infrastructures et de services à la population.
Mme la présidente. Veuillez conclure.
M. Jean-Jacques Lozach. En un mot, il faut corriger au plus vite une impression néfaste de « laisser-faire, laisser-aller » et répondre au sentiment d’abandon éprouvé dans beaucoup de quartiers urbains défavorisés et d’espaces ruraux en voie de dévitalisation. Nos concitoyens, l’ensemble des élus locaux attendent des actes, et non plus des discours purement incantatoires ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, si la suppression de la taxe professionnelle pouvait vraiment faire progresser la péréquation, ce serait déjà une avancée positive.
La difficulté de l’exercice est d’autant plus grande que celui-ci intervient au plus mauvais moment, alors que nous subissons une crise financière et que nous tentons de résorber le déficit de l’État avec, dans le meilleur des cas, une stagnation du concours apporté par ce dernier aux collectivités.
La dotation globale de fonctionnement est construite sur un modèle économique assis sur la croissance. Elle est donc contrainte dès que les conditions économiques se dégradent.
D’un tel environnement découleront inéluctablement soit des « mesurettes » destinées à habiller les conséquences de la suppression de la taxe professionnelle, soit des transferts de ressources entre collectivités par péréquation horizontale et, donc, une diminution des marges de manœuvre des collectivités les plus riches. Voilà un parcours qui ne manquera pas d’être semé d’obstacles par les plus puissants ! Les évolutions manquées de la dotation de solidarité urbaine, la DSU, au cours des dernières années en furent déjà l’illustration.
Faire référence à la DSU, l’une des composantes de la DGF, me permet de rappeler que des dispositifs de péréquation existent déjà. La DGF en est l’exemple le plus significatif. Son montant est passé de 19 milliards d’euros à 41 milliards d’euros entre 2003 et 2010. Il me semble donc malvenu de prétendre, comme on l’entend constamment, qu’aucun effort n’est réalisé à ce niveau. Celui-ci reste néanmoins modeste, puisque les dotations de péréquation incluses dans la DGF ne représentaient que quelque 3 % des ressources des collectivités locales en 2009.
Ces dispositifs ont incontestablement eu un effet positif. Mais ils sont caractérisés par une complexité qui les rend strictement illisibles pour l’immense majorité de nos concitoyens, voire pour de nombreux élus locaux. Expliquer dans des réunions publiques le coefficient d’intégration fiscale est un exercice, madame la ministre, qui exige que la pédagogie se hisse au niveau d’un art.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Jacques Mézard. Cela étant dit, à l’horizon de 2011, était prévue une péréquation à l’échelon régional et départemental de la CVAE, péréquation complétée, pour les départements, par un système fondé sur l’écart du potentiel fiscal entre départements et régions alimenté par une partie de la dynamique de croissance de la CVAE. À cela s’ajoute un fonds départemental de péréquation des droits de mutation, qui permettra de tester la volonté des plus riches de donner plus à ceux qui ont moins. Or sur ce point, madame la ministre, je ne suis pas tout à fait certain que vous nous ayez rassurés tout à l’heure.
M. Roland Courteau. En effet !
M. Jacques Mézard. En cet instant, je tiens à rappeler que les analyses de notre ancien collègue Yves Fréville laissent à penser que la création de la CVAE pourrait aggraver les inégalités, en particulier entre collectivités de même niveau.
En supprimant la taxe professionnelle, le Gouvernement a tiré un fil et ainsi détricote la fiscalité locale ; il en résulte des conséquences en chaîne qui n’avaient pas été anticipées, ce qui explique le report de la clause de revoyure, le casse-tête, pour nombre de collectivités, du problème des abattements et l’incertitude pour chacune des recettes des prochaines années. Si la finalité était de forcer les collectivités à appuyer sur le frein, elle est atteinte. Mais lorsqu’on laisse le pied sur le frein, mes chers collègues, le véhicule s’arrête !
En réalité, tout le système de la fiscalité locale doit être revu. Il est devenu d’une complexité et d’une injustice inacceptable, et sa seule révision par la suppression de la taxe professionnelle et par la refonte de la péréquation ne réglera pas les problèmes de fond, qui ont abouti à un accroissement des déséquilibres entre les territoires et à des iniquités entre les citoyens à l’échelon national, mais aussi très localement.
Il n’est plus tolérable qu’un habitant d’une ville moyenne, à capital égal, paie cinq à dix fois plus d’impôt local – l’écart est parfois plus important – qu’un habitant de Paris ou d’une commune de sa périphérie, par exemple, Neuilly ! Il n’est plus tolérable que le poids du logement social aggrave de plus en plus les déséquilibres !
M. Roland Courteau. C’est sûr !
M. Jacques Mézard. La réforme de la fiscalité locale constitue pour nous une urgence, une priorité. Lorsque la volonté politique donne la possibilité d’imposer la suppression de la taxe professionnelle, elle doit permettre d’exiger la révision des bases – ce problème est devenu une maladie endémique de la fiscalité locale, faute de courage politique – et d’aller vers l’adoption d’un système déclaratif, au moins partiellement. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste.)
La politique actuelle de péréquation s’est construite au fil des ans, essentiellement sur la base d’accroissements de dotations et de produits fiscaux, accompagnés d’une accumulation de mécanismes compliqués et disparates. Elle a besoin d’une révision complète, en harmonie avec celle des bases, pour éviter les chocs brutaux. Cette réforme ne peut aller de pair qu’avec un lissage sur plusieurs années, comme nombre d’établissements publics de coopération intercommunale l’ont fait lors du passage à la taxe professionnelle unique, la TPU.
Ce que nous souhaitons, madame la ministre, c’est une réforme rapide, courageuse et du temps pour l’appliquer sérieusement ! (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et de l’Union centriste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Chatillon.
M. Alain Chatillon. Madame la présidente, madame le ministre, mes chers collègues, Charles Guené vient fort justement d’évoquer le nécessaire renforcement de la péréquation. Il s’agit là de l’une des principales propositions du rapport de mission que nous avons présenté ensemble, avec François-Noël Buffet et trois députés.
En tant que parlementaire en mission, mais également à titre personnel, j’insisterai sur trois points essentiels.
Le premier concerne la sincérité des simulations transmises par le Gouvernement au Parlement.
Sans revenir sur le retard – regrettable – de la publication de ces simulations, je rappelle avoir souligné, le 28 juin dernier, lors de l’examen de la proposition de résolution, que certaines projections contenues dans le rapport Durieux ne pouvaient être considérées comme fiables, parce que trop lointaines.
Ces simulations reposaient notamment sur des hypothèses de croissance établies à 1,4 % en 2010 et 2,5 % en 2011 et en 2012. Il est évident qu’elles doivent être ajustées aux nouvelles prévisions de croissance.
Il faudrait également prendre en compte la valeur ajoutée effectivement déclarée par les entreprises, et non de simples hypothèses.
Ce n’est pas seulement une question de sincérité. Il s’agit aussi de transparence et de respect à l’égard du Parlement, ainsi que d’un facteur de lisibilité et de confiance pour les élus locaux, qui ont besoin d’une vision à moyen terme de leurs ressources pour pouvoir engager et piloter leurs investissements.
Vous venez de nous apporter des précisions à ce sujet, madame le ministre, et je vous en remercie.
Le deuxième point a trait au développement économique des collectivités territoriales qui ne doit pas être pénalisé par la réforme. Au contraire, il doit être récompensé, encouragé et valorisé.
Certaines communes et intercommunalités ont fait des efforts considérables pour renforcer leur tissu économique, en particulier leur tissu industriel, au prix de sacrifices dans d’autres domaines. Elles peuvent avoir l’impression d’être lésées par les nouveaux calculs.
Il faut vraiment répondre à leurs préoccupations, de manière concrète, sinon nous risquons de décourager les élus locaux qui investissent depuis des années dans le développement économique.
Dans notre rapport de mission, mes collègues et moi-même avons souligné la nécessité de définir un niveau optimal de péréquation qui ne prive pas les collectivités les plus dynamiques du fruit de leurs efforts.
Nous avons aussi estimé que le lien entre l’entreprise et le territoire doit être renforcé pour mieux tenir compte des installations industrielles qui seront implantées postérieurement à la réforme.
Dans le dispositif adopté dans le cadre de la loi de finances pour 2010, la répartition de la CVAE est effectuée à partir des effectifs employés dans chaque commune. Or ce critère nous est paru trop global pour assurer une prise en compte suffisante des charges supportées par les collectivités locales.
Nous avons donc envisagé deux types de correctifs.
Le premier consiste à accroître la prise en compte des emplois, en renforçant encore la pondération prévue au bénéfice des collectivités locales qui accueillent les installations les plus contraignantes pour l’environnement.
Le second revient à compléter le critère des effectifs par celui des valeurs locatives dans tous les cas où celles-ci sont déterminées à partir d’une base comptable.
Je pense que nous pouvons aller beaucoup plus loin dans ce domaine, ce qui m’amène à aborder le troisième point que je voulais évoquer, à savoir la revalorisation des bases de la taxe foncière sur le bâti industriel.
L’adaptation de la fiscalité locale aux enjeux d’aujourd’hui ne se réduit pas à la suppression de la taxe professionnelle ainsi qu’à la création de la contribution économique territoriale et de l’imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux.
Nous pourrions très bien, en 2011, augmenter légèrement les bases de la taxe foncière sur le bâti industriel, qui, je vous le rappelle, n’a pas évolué depuis 1970, soit depuis quarante ans ! Je suis persuadé qu’une hausse assez sensible de ces bases ne poserait pas de problèmes pour les entreprises et, en tout cas, apporterait une très grande sécurité aux collectivités territoriales.
Une telle mesure permettrait de donner un coup de pouce aux communes et aux intercommunalités dites « industrielles », sans remettre en cause l’équilibre général de la réforme, que je sais très délicat. Il serait souhaitable d’exploiter ce gisement et je voudrais connaître les intentions du Gouvernement sur ce point.
En conclusion, je rappelle que j’ai exprimé des réserves, au mois de juin dernier, sur le report à l’automne de la première clause de revoyure. Nous y sommes ! Je souhaite aujourd’hui que cette clause de revoyure en soit vraiment une. Elle doit déboucher sur des mesures concrètes, qui non seulement renforcent la péréquation, mais également récompensent et encouragent les collectivités locales œuvrant au développement économique de leur territoire et donc à celui de la nation tout entière. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Gélita Hoarau.
Mme Gélita Hoarau. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je veux tout d’abord attirer votre attention sur le contexte socio-économique spécifique au département de la Réunion dans lequel s’inscrit ce débat.
Au chômage structurel s’ajoutent les effets de la crise depuis la fin de l’année 2007. Près de 30 % de la population réunionnaise active est privée d’emploi, ce taux dépassant 50 % chez les jeunes âgés de moins de 25 ans. Plus de 52 % de la population vit en dessous du seuil national de pauvreté. Sur une population de 800 000 habitants, nous comptons 350 000 bénéficiaires de la couverture maladie universelle, la CMU, et 186 000 allocataires du revenu minimum d’insertion, le RMI.
Telle est la situation à laquelle les collectivités locales de la Réunion sont confrontées et, dans les faits, elles supportent des dépenses de fonctionnement aussi contraintes qu’élevées, alors même que les besoins en infrastructures et en équipements sont colossaux.
Face à ces données, comment expliquer que ces collectivités, notamment le conseil général de la Réunion, contribuent, au même titre que Paris, les Hauts-de-Seine ou encore la Marne, au Fonds national de garantie individuelle des ressources – le FNGIR – mis en place dans le cadre de la réforme de la fiscalité directe ?
Selon les simulations pour les cinq prochaines années présentées dans le rapport Durieux, le conseil général de la Réunion est contributeur au FNGIR à hauteur de plus de 23 millions d’euros par an et le conseil régional à hauteur de 1 million d’euros.
Au-delà de ce mécanisme, il faut aussi et surtout s’interroger sur la cohérence des instruments de péréquation instaurés par la loi de finances initiale de 2010.
Le fonds de péréquation de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises – péréquation dite « sur stock » – mis en œuvre dès 2011 jouera, me semble-t-il, un véritable effet « péréquateur ». Le prélèvement uniforme de 25 % de cette cotisation est réparti au regard de critères de charges : population, nombre de bénéficiaires de minima sociaux, effectif des élèves scolarisés...
Le fonds de péréquation de la croissance de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises – péréquation dite « sur flux » – soulève, pour sa part, un problème. La participation à ce fonds est déterminée en fonction du potentiel financier par habitant et de la croissance du produit de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises.
Or, madame la ministre, les critères de ce deuxième instrument de péréquation sont préjudiciables au département de la Réunion. La collectivité est ainsi bénéficiaire du premier mécanisme – péréquation « sur stock » – mais supporte un prélèvement dans le cadre du second – péréquation « sur flux ». Comme le souligne le rapport Durieux, ces deux instruments paraissent contradictoires.
Tout d’abord, le potentiel financier pris en compte dans le mécanisme de péréquation « sur flux » ne me semble pas pertinent. Ce ratio est supérieur à la moyenne nationale pour le département de la Réunion en raison de l’intégration dans son calcul de la dotation de compensation de la dotation globale de fonctionnement correspondant à la compensation des dépenses d’aide sociale transférées dans le cadre des premières lois de décentralisation. Il n’est donc pas révélateur de la richesse d’un territoire. Il devrait être complété par la prise en considération de critères de charges du conseil général, tels le nombre de bénéficiaires d’allocations relevant de cette collectivité, l’effort effectué en matière d’infrastructures, par exemple.
En outre, le second déterminant de la participation à la péréquation « sur flux » vise la croissance du produit de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises. Ce critère, madame la ministre, me paraît particulièrement injuste. Comment un département, tel que la Réunion, en phase de rattrapage avec la métropole, peut-il être pénalisé par le dynamisme de l’évolution du produit de la valeur ajoutée de ses entreprises alors même que le stock de valeur ajoutée, qui reflète davantage la richesse économique du territoire, y est l’un des plus faibles de France ?
Dans un souci de véritable équilibre du territoire, objectif recherché par tout mécanisme de péréquation, il serait légitime de modifier ce critère, en considérant non pas l’évolution de cette donnée, mais plutôt un niveau de stock de valeur ajoutée des entreprises du territoire par habitant. La Réunion doit pouvoir bénéficier des fruits de la croissance de son économie locale largement sinistrée par rapport aux autres départements de métropole.
Madame la ministre, le maintien du mécanisme actuel irait à l’encontre de la politique de rattrapage mise en œuvre dans ce département par le biais du contrat de projet État-région et des programmes opérationnels européens.
Étant donné la perte d’autonomie fiscale générée par cette réforme et afin que la collectivité ne fasse pas supporter aux ménages une situation financière de plus en plus tendue, il serait préférable de réviser le système de péréquation actuel sur la base de critères de charges propres à chaque territoire.
J’estime indispensable de se référer, pour la détermination et la répartition des fonds de péréquation, à des critères qui reflètent réellement la richesse d’un territoire par rapport à un autre. Le critère relatif au potentiel financier, tel qu’il est actuellement défini, ne semble pas pertinent.
Madame la ministre, ces revendications sont légitimes. Nous risquons, à terme, d’avoir entre les recettes et les dépenses des collectivités un effet de ciseau tellement important qu’il faudra choisir entre mener une politique d’investissement ou « faire » du social. Un tel choix n’est pas envisageable.
Je profite de ce débat sur les mécanismes de péréquation et de répartition des ressources des collectivités locales pour plaider en faveur de la nécessité d’une péréquation de grande ampleur, à la mesure des inégalités de richesses entre territoires.
Enfin, madame la ministre, le Gouvernement est-il prêt à faire les réajustements nécessaires des derniers mécanismes instaurés pour éviter que les départements les plus pauvres ne soient ceux qui pâtissent de cette réforme fiscale ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Serge Larcher.
M. Serge Larcher. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, il me semble indispensable, à l’occasion de ce débat, d’évoquer la situation des collectivités d’outre-mer, en ce qui concerne tant sa liaison avec les problématiques nationales que son particularisme.
La situation des finances locales en outre-mer est historiquement marquée par un certain nombre d’éléments : d’abord, le surcoût de l’emploi territorial, notamment avec la sur-rémunération ; ensuite, les sureffectifs des collectivités qui ne peuvent être résorbés que dans la durée, car ils résultent historiquement de choix politiques visant à compenser la faiblesse de l’initiative économique et l’inaction de l’État en matière de développement ; en outre, le surcoût des achats réalisés par ces collectivités du fait des frais d’approches liés au grand éloignement de leur source d’approvisionnement, en particulier avec l’Europe ; enfin, les surcoûts de construction, de maintenance et de renouvellement des équipements liés aux conditions climatiques agressives et destructives.
Comme les membres de la mission commune d’information sur la situation des départements d’outre-mer l’ont souligné dans leur rapport, plusieurs adaptations législatives visent à prendre en compte les spécificités de la situation des collectivités ultramarines.
Je rappellerai certaines d’entre elles concernant l’échelon communal, qui profite d’un régime supposé préférentiel s’agissant des dotations de péréquation.
En effet, les communes des départements d’outre-mer bénéficient d’une quote-part des dotations de péréquation répartie entre chaque département d’outre-mer. Mais la DGF par habitant des communes des départements d’outre-mer n’est supérieure que de 2,83 % au montant moyen national. De plus, ces montants ne sont pas homogènes. Ainsi, la Réunion présente le ratio le plus faible, avec 9,12 % de moins que la moyenne nationale.
Des observations similaires peuvent être formulées à l’égard des collectivités départementales et régionales, ainsi que des intercommunalités.
Ces adaptations législatives ne produisent cependant pas l’effet attendu. Il faut donc envisager plusieurs pistes d’amélioration.
Parmi l’ensemble des raisons qui expliquent l’importance des besoins des collectivités des départements d’outre-mer, plusieurs facteurs résultent directement de la responsabilité de l’État et, parfois, de son incapacité à assurer de manière satisfaisante ses compétences régaliennes : l’extension des compétences des collectivités des départements d’outre-mer justifie pleinement que les concours financiers de l’État soient adaptés.
Pour ce qui concerne l’importance des dépenses sociales, l’État doit cesser de se montrer schizophrène et assumer une part du poids qui pèse sur les départements, eu égard à l’insuffisance de compensation des dépenses transférées ; il en est ainsi en particulier pour l’APA, l’allocation personnalisée d’autonomie, ou pour le RMI. En Martinique, par exemple, ce sont plus de 60 millions d’euros qui ne sont pas compensés à ce jour.
Enfin, les investissements résultant de la croissance démographique, plus particulièrement en Guyane, ont en partie pour cause la difficulté rencontrée par l’État à faire face aux flux d’immigration clandestine.
Au total, la DGF outre-mer n’a progressé que de 0,51 % en 2010, ce qui ne peut pas régler les difficultés particulières que je viens d’évoquer.
Au-delà de la péréquation, c’est bien plus globalement la situation des finances des départements d’outre-mer qu’il s’agit de traiter.
Je conclurai par trois propositions courtes et concrètes.
La première d’entre elle vise à apurer la dette sociale. La restauration des finances locales passe nécessairement par leur assainissement. Les dettes accumulées envers les organismes de sécurité sociale révèlent une situation préoccupante, notamment en Guadeloupe et en Guyane : il paraît illusoire de penser que toutes les communes seront un jour à même de les rembourser. Ainsi, la mission que j’ai citée précédemment a-t-elle proposé d’annuler les dettes sociales accumulées par les collectivités territoriales au 1er juillet 2009, sous réserve du paiement des cotisations aux échéances au cours des dix prochaines années. Je souhaite que cette proposition – j’avais déposé un amendement en ce sens – soit enfin explorée.
La deuxième proposition consiste à juguler une crise sans précédent des finances locales en utilisant les outils dont dispose l’État. L’octroi de mer représente 38 % des recettes des communes de la Martinique. Il a subi en 2009 une diminution de l’ordre de 17 % par rapport à l’année précédente, dans un contexte de crise mondiale aggravé par la crise sociale majeure dite de « février 2009 ». Cette situation a littéralement « plombé » les finances de nombreuses communes qui, jusqu’à présent, parvenaient, bon an mal an, à maintenir un équilibre de façade. Il convient donc que l’État s’engage à préserver l’octroi de mer et à activer les outils existants tels que le dispositif dit « cocarde », le contrat d’objectif communal d’aide à la restructuration et au développement.
Depuis 2005, des communes de Guadeloupe et de Guyane ont pu bénéficier de ces prêts de restructuration et d’un accompagnement de l’Agence française de développement, l’AFD.
Au regard de la situation que connaît actuellement la Martinique, il est très étonnant que ni la préfecture ni l’AFD n’évoquent en aucune circonstance cette possibilité avec les maires de ce département.
Me faisant le porte-parole de mon ami Georges Patient, qui ne peut intervenir dans ce débat, je dirai que l’État doit rétrocéder aux communes de Guyane les 27 millions d’euros qui leur font défaut au titre de l’octroi de mer. Il doit également supprimer le plafonnement qui frappe la dotation superficiaire instituée pour les seules communes de Guyane qui leur fait perdre annuellement près de 16 millions d’euros.
J’en viens à ma troisième proposition, l’organisation d’états généraux des finances locales dans chaque département d’outre-mer. Dans le contexte de crise précédemment évoqué, nombre de collectivités d’outre-mer connaissent une dégradation très rapide de leurs finances et se trouvent désormais en déficit.
L’absence de débat dédié à la situation des finances locales dans le cadre des états généraux de l’outre-mer me semble être un grave oubli. Il convient d’y remédier de façon urgente, afin de réunir autour d’une table l’ensemble des acteurs concernés pour partager un diagnostic et mettre en place des solutions portant sur le court et le moyen termes. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Blanc.
M. Jacques Blanc. Madame la présidente, madame le ministre, mes chers collègues, permettez-moi de me réjouir de la tenue du présent débat. Un certain nombre d’entre nous avait demandé avec insistance une clause de revoyure et conditionné leur soutien à la réforme des collectivités locales à l’obtention de cette dernière.
Si nous avons agi de la sorte, c’est, madame le ministre, non pas par manque de confiance vis-à-vis du Gouvernement, mais en raison de la complexité de ces dossiers que nous connaissons.
Le Sénat joue pleinement son rôle ; relevons les travaux de la commission des finances, de nos éminents collègues MM. Buffet, Chatillon et Guené ; aujourd'hui, la Haute Assemblée vérifie que ses annonces soit se sont concrétisées, soit doivent être quelque peu corrigées.
Or qu’avions-nous indiqué lors de la réforme des collectivités locales ?
Nous avions salué la pertinence de la réforme de la taxe professionnelle sur le plan de l’activité économique. Personne ne la conteste aujourd’hui. Elle est d’ailleurs reconnue par les travaux de nos collègues précités, membres d’une mission temporaire auprès de vous, madame le ministre. Je ne reviendrai pas sur ce point : cette réforme favorise en particulier les petites et moyennes entreprises, dont nos communes ont bien besoin.
Pour 2010, nous avions réclamé une garantie des ressources. Cela a été fait, et personne ne peut à mon avis contester que, dans un contexte pourtant extrêmement difficile de crise économique, l’État a respecté son engagement. Dont acte !
M. Roland Courteau. Si, nous, nous le contestons !
M. Jacques Blanc. Cette demande, nous allons la renouveler pour 2011, car il subsiste quelque inquiétude
J’attire votre attention sur un besoin de prévisibilité et de lisibilité quant aux ressources futures. En effet, nous tous, élus des territoires, savons bien l’importance de connaître de façon précise le montant de ces ressources pour engager des investissements et réaliser des programmes. D’où notre demande.
L’exigence évoquée de disposer de simulations objectives que nous puissions communiquer à l’ensemble de nos communes, de nos départements ou de nos régions est essentielle.
J’en viens au point principal de mon intervention, je veux parler du besoin réel d’une péréquation.
Je représente le département le plus défavorisé,…
Mme Nathalie Goulet. Et le mien ?
M. Jacques Blanc. … faiblement peuplé, comportant de petites communes mais de grandes surfaces. Vous comprendrez que j’insiste sur l’importance – partagée, j’en suis sûr et je m’en réjouis, par nombre d’entre vous, mes chers collègues, qu’ils soient élus de montagne ou d’un espace rural difficile – d’étendre les critères retenus pour mettre en jeu cette péréquation. Au-delà de la prise en compte du simple nombre d’habitants, il est indispensable, par exemple, de rapporter à ce dernier le nombre de kilomètres de voirie dans un département, de tenir compte de la superficie, de la pyramide des âges, certains départements accueillant des personnes plus âgées.
Certes, il y a le potentiel fiscal, mais, pour ma part, j’ai un peu peur du potentiel financier,…
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Il ne faut pas !
M. Jacques Blanc. … parce qu’il s’agit de réintroduire de la richesse là où il n’y en a pas, en compensant notre incapacité à trouver les ressources nécessaires.
Loin de nous l’idée de nous présenter comme des assistés ; mais certains départements, comme la Lozère, ou certaines communes – j’en connais beaucoup – ont besoin d’être aidés pour investir et pour créer de la richesse. Si on n’encourage pas les investissements, on ne s’en sortira pas !
Je tiens donc à faire passer ce message : toutes les études, même lorsqu’elles sont complexes, difficiles et techniques, doivent prendre en considération ce principe.
Certes, l’augmentation de la population crée des charges ; mais quand sur un grand territoire la population est faible alors que le nombre de services à fournir est important – routes, réseau d’eau, par exemple –, il faut en tenir compte.
Pour terminer, je plaide non pas seulement pour la Lozère et les communes rurales, mais pour l’intérêt général, parce que notre pays a besoin de relever le défi de l’aménagement équilibré et harmonieux du territoire. (Plusieurs sénateurs du groupe socialiste manifestent leur approbation.)
M. Roland Courteau. C’est vrai !
M. Jacques Blanc. Il n’y aura pas de développement durable, dont tout le monde parle, si les collectivités, en particulier les départements et les communes, n’ont pas les moyens financiers de maintenir la vie sur leurs territoires et d’assurer les services nécessaires.
Contrairement à ce que certains pensent, la nature, livrée à elle-même, s’autodétruit ! Quand il n’y a pas d’agriculture, des incendies surviennent ! Pour que la nature puisse accueillir des femmes et des hommes qui viennent des cités et qui ont besoin de se réconcilier avec eux-mêmes en se rapprochant de leur environnement naturel, il faut des acteurs, des agriculteurs, des ruraux pour fournir les services et maintenir la vie ! Telle est la philosophie de fond que doit refléter la péréquation.
M. Roland Courteau. C’est exact !
M. Jacques Blanc. Jouons la solidarité : c’est le seul moyen d’assurer l’avenir de notre pays ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Lise.
M. Claude Lise. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, dans un contexte de crise qui frappe plus durement encore les territoires défavorisés que les autres, la nécessité de concevoir et de mettre en œuvre des dispositifs permettant de corriger les inégalités de ressources entre collectivités territoriales semble unanimement reconnue. Dès lors, le problème consiste évidemment à trouver des dispositifs adaptés.
Comme certains collègues l’ont déjà bien démontré dans leurs interventions, les mesures qui existent ou qui sont envisagées ne sont manifestement pas à la hauteur des enjeux pour les collectivités territoriales de l’Hexagone. Il importe de se rendre compte qu’elles le sont encore moins pour les collectivités territoriales des départements d’outre-mer.
Tout d’abord, ces territoires ont le triste privilège de figurer parmi les plus défavorisés.
Par ailleurs, dans un contexte de difficultés économiques et sociales croissantes, on assiste à l’inexorable dégradation des finances de leurs collectivités territoriales, notamment celles de leurs communes – mon collègue Serge Larcher l’a souligné – et de leurs collectivités départementales, qui jouent pourtant un rôle proportionnellement beaucoup plus important que leurs homologues de l’Hexagone en tant que moteur économique public et, plus encore, en tant qu’amortisseur social.
C’est pourquoi je tiens à lancer un véritable cri d’alarme, en ma qualité de président de la commission de l’outre-mer de l’Assemblée des départements de France, l’ADF, au nom de l’ensemble des départements d’outre-mer. La question des ressources des conseils généraux d’outre-mer sera en effet à l’ordre du jour de la réunion que je présiderai à la veille du quatre-vingtième congrès de l’ADF.
Mes chers collègues, le problème qui se pose pour les collectivités territoriales des départements d’outre-mer est d’autant plus aigu que la situation de ces derniers est véritablement alarmante. Quelques chiffres peuvent en témoigner.
Le taux de chômage, qui est reparti à la hausse depuis 2008, atteint 21 % en Guyane et plus de 29 % à la Réunion ; la proportion de jeunes dépourvus d’emploi, y compris diplômés, est particulièrement élevée. À la Martinique, par exemple, 61 % des jeunes âgés de moins de vingt-cinq ans sont au chômage.
Le nombre de RMIstes, qui est d’environ 15 000 en Guyane, avoisine les 29 000 aussi bien en Martinique qu’en Guadeloupe et s’établit à 71 000 à la Réunion. Les dépenses d’aide sociale et de solidarité des conseils généraux d’outre-mer représentent 58,4 % de leurs dépenses totales contre 44,2 % pour les conseils généraux de l’Hexagone. Ces quelques éléments sont, me semble-t-il, suffisamment éloquents pour que je ne prolonge pas mon énumération.
Certains d’entre vous se demandent peut-être pourquoi nous en sommes là, après de si nombreux plans de développement, lois de programmation, trains de mesures spéciales qui devraient, pour l’outre-mer, constituer autant d’éléments de péréquation.
Eh bien, mes chers collègues, cette abondance ne doit pas vous leurrer ! En réalité, nous souffrons d’un excès d’effets d’annonce, auquel s’ajoutent des retards fréquents, parfois considérables, dans l’application de certaines mesures, et l’instabilité – parfois l’inadaptation – des dispositifs mis en place.
Actuellement, deux éléments essentiels de la dernière loi de programmation votée au mois de mars 2009 n’ont trouvé quasiment aucune traduction concrète dans nos départements : je veux parler des fameuses zones franches et de la réalisation des programmes de logements sociaux en défiscalisation, dont on a tant parlé dans cette enceinte. Alors que nous prenons la mesure des limites de l’orientation de la défiscalisation en faveur du logement social, c’est tout le dispositif de défiscalisation qui va subir ce qu’on appelle un « coup de rabot »...
Il faut également savoir que, sur les cent trente-sept mesures retenues lors du conseil interministériel de l’outre-mer du 6 novembre 2009, seules une quarantaine ont été mises en application, pour la plupart de nature qualitative, sans réelle incidence sur le développement économique, aucun moyen budgétaire ne leur étant associé.
On comprend, dans ces conditions, les efforts considérables que doivent consentir les collectivités territoriales d’outre-mer pour faire face, dans un contexte de difficultés économiques et sociales croissantes, à d’importants besoins d’équipement et à une demande sociale qui explose. Malheureusement, leur volonté d’agir est de plus en plus contrecarrée par l’insuffisance criante de leurs ressources.
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Claude Lise. Elles subissent évidemment, comme leurs homologues de l’Hexagone, toutes les mesures aboutissant à la stagnation, voire à la réduction, des dotations de l’État.
De surcroît, leurs recettes fiscales – notamment le produit des contributions directes locales – sont bien inférieures à celles des collectivités de métropole, et je n’évoque même pas la menace qui pèse sur l’octroi de mer.
Les dotations qu’elles reçoivent de l’État ne tiennent pas compte, dans leur mode de calcul, de certaines réalités sociales : ainsi, par exemple, le pourcentage de personnes âgées percevant les minima sociaux s’élève à 37 % en Martinique, alors que la moyenne nationale s’établit à 10 %. Par ailleurs, elles ne prennent pas en considération certains surcoûts dus à l’éloignement, au niveau de rémunération des fonctionnaires territoriaux, ou encore certaines contraintes particulières, comme l’exposition à des risques naturels qui impose le respect de normes contraignantes, notamment lors de la construction des lycées et des collèges.
Enfin, le montant des charges non intégralement compensées après les nombreux transferts de compétences opérés ces dernières années atteint des niveaux sans commune mesure avec ceux que connaissent les collectivités de métropole. Par exemple, à la Martinique, la dette cumulée de l’État en matière de remboursement du RMI atteint actuellement 58,5 millions d’euros, soit près de 10 % du budget du conseil général. À la Réunion, cette dette s’élève à 140 millions d’euros.
Que déduire de tout cela ? De toute évidence, les mesures de péréquation existantes et actuellement envisagées ne paraissent absolument pas susceptibles d’améliorer la situation des collectivités territoriales des DOM. Par ailleurs, elles ne sont pas de nature à assurer un minimum d’équité en matière de ressources entre les collectivités des départements d’outre-mer et celles de l’Hexagone. Or n’est-ce pas là la véritable finalité de la péréquation ?
Il est donc urgent de concevoir, en concertation avec les élus concernés, un dispositif qui réponde vraiment à une telle exigence et puisse en même temps donner aux collectivités territoriales des DOM les moyens de relever les redoutables défis auxquels elles sont confrontées. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Jarlier.
M. Pierre Jarlier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, ce débat est censé satisfaire la contrainte de la clause de rendez-vous inscrite dans la réforme de la taxe professionnelle. À vrai dire, il était temps de mettre en œuvre cette fameuse clause, puisque le projet de loi de finances pour 2011 sera adopté en conseil des ministres dans deux jours !
Lors des débats relatifs à la loi de finances de 2010, vous aviez présenté, madame la ministre, les trois principes au cœur de la réforme de la taxe professionnelle : la territorialisation, la compensation et la péréquation. Si les deux premiers d’entre eux ont été mis en application, le troisième doit encore être finalisé. C’est urgent dans le contexte du gel annoncé des concours financiers de l’État aux collectivités en 2011 qui limitera les perspectives d’évolution de la péréquation verticale.
De fait, comme l’a justement rappelé M. le rapporteur général, c’est la péréquation horizontale qui constituera la principale source de progrès en matière de réduction des inégalités entre collectivités. Pour autant, la réforme des mécanismes de péréquation verticale est plus que jamais nécessaire. Si la part de la DGF consacrée à la péréquation s’est accrue de 6,2 % entre 1998 et 2008, la performance de la péréquation verticale a diminué depuis 2001 pour les communes et les départements.
À titre d’exemple, parmi les dotations péréquatrices destinées aux communes, la part « péréquation » de la dotation de solidarité rurale, la DSR, s’élève à 444 millions d’euros, qu’il faut comparer au montant global de la DGF communale pour 2010, soit 41 milliards d’euros. Elle profite à 34 369 communes. Comment avec une masse financière aussi faible et un saupoudrage aussi important assurer une péréquation intelligente et efficace ? Le comité des finances locales s’est d’ailleurs saisi de ce sujet en créant un groupe de travail.
S’agissant de la péréquation horizontale, pour être équitable, la réforme de la taxe professionnelle ne pouvait sanctuariser les inégalités territoriales en matière de richesse fiscale. Ainsi, la loi de finances de 2010 a mis en place plusieurs fonds de péréquation. Il est trop tôt, aujourd’hui, pour évaluer leurs effets et juger de leur efficacité péréquatrice. Cependant, le rapport Durieux et celui des parlementaires en mission en ont d’ores et déjà soulevé les failles.
De même, pour Yves Fréville, dont chacun connaît l’expertise, le remplacement de la taxe professionnelle par la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises pourrait reproduire les inégalités existantes, voire les aggraver. Rappelons que 5 % des communes concentraient 80 % des bases de taxe professionnelle avant la réforme.
En effet, le mécanisme du Fonds national de garantie individuelle de ressources garantit certes à chaque collectivité un niveau de ressources égal à celui dont elle disposait avant la réforme, mais il figera ces montants. Ainsi, les territoires à faible valeur ajoutée subiront une double peine, puisqu’une partie de leur produit fiscal au titre du FNGIR ne profitera d’aucune évolution de base fiscale. De ce fait, leurs recettes risquent d’évoluer moins vite qu’avant la réforme.
Le Parlement examinera attentivement les dispositifs correctifs proposés dans le projet de loi de finances pour 2011 et s’investira pleinement dans la rénovation des mécanismes de solidarité. À cet égard, au-delà des montants destinés à la péréquation, deux questions me paraissent devoir être soulevées.
Premièrement, sur quels critères asseoir les nouveaux dispositifs de solidarité ? Depuis l’origine, le critère du potentiel fiscal intervient dans la répartition de toutes les dotations de péréquation. La suppression de la taxe professionnelle déséquilibre le système, calculé notamment sur les bases d’imposition des quatre taxes directes. Plus large, le critère du potentiel financier pourrait donc se substituer à celui du potentiel fiscal. Toutefois, il convient évidemment d’agir avec précaution, monsieur Blanc.
De manière générale, pour procéder à une appréciation fine des besoins de péréquation, il me semble primordial de prendre en compte l’ensemble des critères de ressources et de charges, notamment celui de la population – même s’il devrait être pondéré, pour tenir compte des territoires les moins peuplés – et celui de la spécificité des territoires qui engendre des charges fixes particulières, notamment en zone de montagne. De même, le revenu global des habitants devrait être pris en considération, tout comme, dans une certaine mesure, les critères d’effort fiscal.
Deuxièmement, quel est le niveau pertinent de péréquation ? Les dispositifs existants sont assis sur les trois niveaux de collectivités ; or lorsqu’une entreprise s’installe sur le territoire d’une commune membre d’un EPCI à taxe professionnelle unique, les bases communales et le potentiel fiscal de la commune augmentent sans pour autant que ses ressources croissent, puisque le produit de taxe professionnelle est perçu par l’EPCI.
Avec le développement de l’intercommunalité, le critère du potentiel fiscal ne paraît donc plus pertinent, dans la mesure où il n’a plus de lien direct avec le territoire communal. Cette réflexion relative au bon niveau de péréquation doit nécessairement être reprise au cours de notre débat. Le renouveau de la solidarité entre les territoires ne peut faire l’impasse sur le rôle majeur que joue l’intercommunalité, en particulier dans les territoires les plus ruraux, dont le développement repose souvent sur des politiques territoriales solidaires.
C’est donc bien à cette échelle que la péréquation en faveur du bloc communal pourrait être la plus pertinente, dès lors, également, que les communes-centres n’assurent plus seules les charges de centralité qui leur ont été imposées.
Au terme de cette intervention, et au vu des chiffres publiés par l’Observatoire des finances locales montrant que la capacité d’autofinancement des collectivités est en nette baisse, je formule le vœu que nous ne manquions pas ce rendez-vous d’une péréquation plus forte, plus ciblée et plus efficace en faveur des territoires les plus fragiles, car ce sont eux, précisément, qui souffrent le plus de la crise et des restrictions budgétaires actuelles. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Dominique Voynet.
Mme Dominique Voynet. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le président de la commission des finances, mes chers collègues, oserai-je prendre la parole devant un aréopage aussi érudit d’éminents spécialistes et de techniciens émérites des finances locales, alors que je n’appartiens pas à ce sérail ?
Je ne suis pas membre de la commission des finances du Sénat, mais, en tant que maire d’une commune de Seine-Saint-Denis, je pense être une élue locale assez représentative de la grande majorité de ces élus qui, sans faire preuve d’une particulière malveillance, ont ressenti, et ressentent encore, une grande perplexité au vu des conséquences de la réforme des finances locales conçue hâtivement, et dont les impacts ont été mal évalués.
Comme tous ces élus, je suis confrontée quotidiennement, et plus intensément encore en cette période de l’année, aux questions de nos concitoyens. Ceux-ci ne comprennent pas que la fiscalité locale pèse davantage sur les territoires déshérités que sur ceux qui sont bénits des dieux de l’économie et de la finance, et, au sein de ces territoires, sur cette catégorie de contribuables desquels on attend un financement solidaire des services publics dédiés aux plus fragiles et auxquels on demande de se substituer à une solidarité nationale défaillante, alors même que les services publics locaux ne sont pas exempts de critiques justifiées, faute de moyens.
Nous sommes donc invités, sur l’initiative du Gouvernement, à nous exprimer sur la péréquation. En vérité, on ne compte plus les débats, les rapports, les conférences sur ce sujet, qui devient, faute de décisions, une sorte de « marronnier parlementaire » (Sourires sur les travées du groupe socialiste.), un simple objet de colloque.
Ce débat supplémentaire sera forcément un peu vain, car il a fallu renoncer, faute de volonté politique, à l’adoption, avant le 31 juillet 2010, d’un projet de loi censé permettre la mise en place de mécanismes de péréquation pourtant prévu par la clause de revoyure introduite dans la loi de finances de 2010.
Mme Nicole Bricq. On ne le dira jamais assez !
Mme Dominique Voynet. À n’en pas douter, c’est une nouvelle déception pour les collectivités territoriales, après l’adoption d’une réforme qui n’a répondu ni à leurs attentes ni aux objectifs annoncés initialement par le Gouvernement.
La situation des collectivités est grave, et parfois désespérée. Transferts de compétences non accompagnés des moyens budgétaires correspondants, réforme de la fiscalité locale qui plonge les élus, leurs administrations, les acteurs locaux et les habitants dans le brouillard le plus épais (M. Roland Courteau opine) : tel est le tableau auquel les collectivités, notamment les plus fragiles, devraient se résigner et dont la conséquence est d’importantes et douloureuses coupes dans les budgets des politiques publiques locales.
Certains orateurs ont décrit la situation inextricable dans laquelle se débattent les départements, qui sont contraints de procéder à des coupes sévères dans certains budgets sensibles pour nos populations, comme la culture ou le sport. Savez-vous, madame la ministre, que nous subissons la double peine ? En effet, les départements n’ont pas d’autre choix que de répercuter sur les communes les conséquences de cette sévérité budgétaire.
Vous avez dressé un tableau idyllique de la mise en œuvre de cette réforme,...
M. Roland Courteau. Comme d’habitude !
Mme Dominique Voynet. ... mais vous avez néanmoins admis qu’elle était complexe. Vous ne pensiez pas, évidemment, qu’elle vous coûterait si cher... Vous auriez dû ajouter que tous ses impacts n’avaient pas été sérieusement anticipés.
Que répondez-vous, par exemple, aux communes de Seine-Saint-Denis qui découvrent que le transfert de la part départementale de la taxe d’habitation, perçue hier par le département, s’accompagnera soit d’une augmentation considérable des impôts locaux, subie par les habitants, soit d’une baisse importante des ressources des communes ? Ces collectivités sont confrontées à un choix cornélien ! Avez-vous prévu un mécanisme de compensation ?
Ne dites pas que je force le trait : dans ma communauté d’agglomération, cette mesure coûtera 1,8 million d’euros sur une seule année !
Plus que jamais, nous avons besoin d’une péréquation juste et efficace. Nous savons bien qu’elle ne sera qu’un instrument parmi d’autres du rééquilibrage nécessaire, qu’elle ne pourra compenser les inégalités fiscales liées à l’archaïsme du dispositif de fixation des bases, et qu’elle ne suffira pas non plus à justifier l’érosion des outils de solidarité entre les territoires et l’inégale répartition des ressources, dont témoigne notamment l’examen quantitatif et qualitatif de certains contrats de projets.
La mise à contribution des collectivités pour financer des programmes ou des infrastructures, comme le TGV ou les chantiers universitaires, qui relèvent de la responsabilité de l’État, et de lui seul, contribue à amplifier les inégalités. (M. Roland Courteau opine.) Qu’adviendra-t-il des collectivités incapables de « mettre au pot » pour assurer ces financements ?
Chaque orateur précédent a rappelé la situation dans laquelle nous nous trouvons et qui est liée en particulier à la limitation en 2010 de l’augmentation de la DGF à 0,6 % et au gel en valeur des concours financiers de l’État aux collectivités à partir du budget triennal 2011-2013.
Dans ce contexte particulièrement préoccupant, la péréquation n’implique que des sommes très modestes au regard des enjeux et des défis auxquels sont confrontés les territoires : avec un volume de 6,27 milliards d’euros, elle représente à peine 3 % des ressources des collectivités territoriales.
Nous avons besoin de plus de péréquation et d’une péréquation plus efficace, comme le montre le rapport de Jacques Mézard et Rémy Pointereau.
Certains territoires bénéficient de programmes spécifiques, qui sont parfois considérables. Certains de ces programmes sont menacés, dans leur volume ou leur principe, par exemple les contrats urbains de cohésion sociale, les CUCS ; d’autres sont maintenus. Mais au lieu de renforcer et de compléter l’intervention de l’État dans des domaines prioritaires ou des territoires déshérités, on substitue de plus en plus ces programmes aux financements de droit commun, qui eux aussi font défaut, comme en matière de renouvellement urbain ou de logement social. C’est également le cas pour les services départementaux d’incendie et de secours, les SDIS, qui ont été évoqués. On aurait pu citer, par ailleurs, le financement des agences postales, la contribution des polices municipales à des tâches qui, hier encore, relevaient de l’État, le cofinancement des réseaux de haut débit, les équipements de cabinets médicaux...
M. Alain Fouché. C’est excessif !
Mme Dominique Voynet. La liste est longue des brèches qu’il faut colmater, jour après jour ! (Murmures d’approbation sur les travées du groupe socialiste.)
Si ce chantier est complexe, les solutions à apporter ne doivent pas l’être. C’est un enjeu démocratique majeur et une condition sine qua non de l’acceptation de l’impôt par nos concitoyens que l’adoption de règles simples et justes, et de dispositifs compréhensibles par des non-spécialistes n’ayant pas accès aux contorsions rhétoriques et à l’ébriété technique que nous déployons parfois.
C’est pourquoi je fais miennes les réflexions et les propositions de la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, ainsi que celles du Conseil national des villes et de Ville et banlieue. Émises par des praticiens du quotidien, elles sont attendues par tous ceux qui ne se résignent pas au décrochage des territoires, car alors, dans ces derniers, les valeurs de la République ne seraient plus que de la littérature. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Alain Fouché.
M. Alain Fouché. Madame la présidente, madame le ministre, mes chers collègues, je souhaite intervenir sur deux points.
J’évoquerai, dans un premier temps, le principe de la clause de revoyure, souhaité par un certain nombre de parlementaires autour de Jean-Pierre Raffarin, et que nous avons adopté.
Le Gouvernement s’était engagé, à l’époque, sur ce sujet ; malheureusement, la suite qu’il y a donnée n’est pas tout à fait conforme à ce que nous attendions.
Il s’agissait, pour nous, d’instaurer un vrai débat en séance avec un vote à la clé, afin de revenir éventuellement sur certaines dispositions de la réforme de la taxe professionnelle. Or je constate, madame le ministre, qu’au bout du compte, vous nous proposez un simple échange,...
M. Roland Courteau. Exactement !
M. Alain Fouché. ... même s’il n’est pas dépourvu d’intérêt.
Je ne suis pas certain que vos services aient adressé aux collectivités des simulations sur les années à venir aussi détaillées que nous le souhaitions. L’inquiétude de ces collectivités, qui craignent de voir disparaître une ressource importante pour leur budget, en est renforcée d’autant. En effet, qu’en sera-t-il en 2014, en 2015, voire au-delà ?
Il en est de même des simulations portant sur la taxe d’habitation qui ne semblent pas tout à fait au point. Les communes seront-elles dans l’obligation d’augmenter cet impôt, au détriment des contribuables ?
Le Gouvernement a décidé de renvoyer notre appréciation au vote du budget. Madame le ministre, un certain nombre d’entre nous aviseront alors, en fonction de ce que vous nous proposerez.
Le second point sur lequel il me semble essentiel de revenir concerne le devenir de la taxe professionnelle sur les grandes entreprises, notamment celles qui sont liées au nucléaire. Je pense en particulier à EDF, fleuron du nucléaire français.
Lors de la construction des centrales nucléaires, des engagements ont été pris par l’État. En effet, les communes d’accueil ont mis en place et continuent de réaliser d’importants programmes destinés à répondre aux besoins constants des nouveaux habitants : écoles, stations d’épuration, espaces sociaux et culturels, etc. Qu’en sera-t-il en 2014 et en 2015 ? La Nouvelle République de ce jour fait ainsi état d’une commune d’accueil de mon département qui doit réaliser d’importants travaux de construction d’un groupe scolaire, et qui n’est pas assurée d’obtenir les financements nécessaires dans les prochaines années.
Actuellement, la partie de la taxe versée aux communes permet de rembourser les emprunts contractés et d’assurer les coûts de fonctionnement des nouveaux équipements. Cette répartition du Fonds de péréquation de la taxe professionnelle des centrales nucléaires s’est avérée indispensable pour un grand nombre de collectivités, car elle profite aussi – et c’était la volonté du législateur ! – aux moins aisées d’entre elles.
Sont concernés 22 départements français. Dans la Vienne, le conseil général répartit les recettes issues de la taxe professionnelle entre 250 des 283 communes du département. Étant donné le nombre de départements intéressés, nous devons donc être très attentifs et veiller à l’équilibre des finances locales.
Nous souhaitons que les mêmes sommes soient allouées à toutes les communes et que les conseils généraux déterminent la répartition du fonds en fonction de critères établis. La logique veut que cette attribution leur revienne, car ni l’État ni les régions ne connaissent mieux que nous la situation des communes.
Faut-il changer les critères de répartition entre communes ? À l’heure actuelle, dans mon département, les communes dites « d’accueil » en bénéficient à hauteur de 40 % et les communes dites « défavorisées » à hauteur de 60 %. Toutefois, le montant global reversé ne doit pas changer.
Sur ces différents points, madame le ministre, je souhaite obtenir une réponse ferme et des engagements précis de votre part. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Dallier.
M. Philippe Dallier. Madame la présidente, madame le ministre, mes chers collègues, à quelques jours de la présentation du projet de loi de finances pour 2011, notre débat, comme celui qui s’est déroulé au mois de juin, tient lieu de la fameuse clause de revoyure que certains d’entre nous avaient voulu inscrire dans la loi.
Si nous avons souhaité cette clause, il faut le rappeler, c’est parce que la réforme inquiétait sur toutes les travées de la Haute Assemblée et angoissait plus largement encore l’ensemble des élus locaux.
Certes, par nature, tout changement inquiète. Mais, dès lors qu’il s’agissait de bouleverser l’équilibre fragile des finances locales, en pleine crise financière et au moment où s’ouvrait, de manière séparée, le débat relatif à l’organisation de nos collectivités et à leurs compétences, il était certain que les inquiétudes seraient grandes.
Aujourd’hui, avec le temps et compte tenu des simulations réalisées, la réforme se révèle de plus en plus positive : pour nos entreprises d’abord, et principalement pour celles qui investissent le plus, mais aussi pour nos collectivités, à condition que nous apportions les ajustements nécessaires pour le bloc communal, que nous trouvions une solution pour permettre aux départements de faire face à l’augmentation de leurs charges, et que nous allions, sans faiblir, au bout des intentions affichées, en refondant les mécanismes de péréquation.
Des ajustements nécessaires, il y en a. Le meilleur exemple concerne la taxe d’habitation, transférée en totalité au bloc communal.
Le texte adopté prévoit le transfert non pas du produit de l’ancienne part départementale, mais de celui qui résulte de la prise en compte de la base et du taux départemental, déduction faite des abattements que la commune applique à ses propres bases. Ce dispositif, a priori anodin, instaure un véritable traitement inéquitable entre collectivités et entre contribuables, qui relèvent de catégories justifiées uniquement par l’histoire des départements.
Ainsi, dans le cas où les abattements communaux sont plus généreux que ceux du département, certains contribuables verront le montant de leur taxe d’habitation diminuer ; dans le cas inverse, ce montant augmentera mécaniquement, sans que la commune intervienne de quelque manière que ce soit.
De ce fait, certains maires seront paradoxalement salués eu égard à la baisse de la pression fiscale qu’ils ont permise dans leur commune alors que les recettes seront préservées – ce n’est tout de même pas banal ! –, tandis que d’autres seront incriminés, bien qu’ils ne soient pas davantage responsables de la décision adoptée… Cerise sur le gâteau, ces derniers élus n’auront d’autre choix, pour échapper à ce piège, que de diminuer les ressources de leur collectivité en alignant à la hausse leurs abattements sur ceux du département !
Madame le ministre, cette réforme, à travers le FNGIR, doit être neutre non seulement pour les communes, mais aussi pour les contribuables. Il n’est donc pas possible à mon sens d’en rester là : il nous faudra trouver un dispositif susceptible de corriger le tir.
À cet égard, monsieur Guené, la proposition que vous avez formulée est bien sympathique, mais elle revient, je me permets de vous l’indiquer, à répartir la pénurie entre les contribuables d’une même collectivité ! Pour ma part, telle n’est pas mon point de vue. Nous devons examiner l’ensemble des communes pour savoir qui gagne et qui perd, et trouver un mécanisme de compensation.
Je souhaite maintenant aborder un deuxième point : la réforme de la péréquation financière. Celle-ci est nécessaire, car les anciens dispositifs – les FDPTP, les fonds départementaux de péréquation de la taxe professionnelle, et le FSRIF, le fonds de solidarité des communes de la région Île-de-France – sont devenus inopérants, notamment en termes de péréquation horizontale et à l'échelon communal. Il nous faudra également réinventer un potentiel financier.
Or ce délicat problème ne peut être abordé que de deux manières. Nous pouvons éventuellement nous contenter de replâtrer pour la énième fois les dispositifs existants, sous le prétexte que nous ne pourrions pas changer les règles du jeu à trois ans des prochaines échéances municipales, ou que sais-je encore ! Tous ces arguments ont été maintes fois entendus et n’ont en fait qu’une finalité : repousser toujours à demain une véritable réforme de la péréquation !
M. Jean-Claude Frécon. Très bien !
M. Philippe Dallier. Nous ne pouvons plus accepter ces arguments et nous contenter de ces replâtrages, et cela d’autant moins que la réforme a vu s’opérer, entre collectivités, des transferts de bases très importants, qui ont souvent renforcé les territoires déjà les plus avantagés, notamment en termes de valeur ajoutée. C’est particulièrement flagrant en Île-de-France !
Madame le ministre, au nom de l’égalité républicaine, nous ne pouvons plus accepter que les recettes fiscales par habitant, d’une collectivité locale à l’autre, varient de 1 à 17 !
Nous ne pouvons plus accepter que les taux d’imposition soient les plus élevés dans les territoires les plus pauvres, alors que le niveau de service y est souvent très inférieur à la moyenne nationale !
M. Jacques Mézard. Très bien !
M. Philippe Dallier. Aujourd’hui plus qu’hier, il y va de la cohésion sociale et nationale, car la faiblesse de nos dispositifs de péréquation et la pression fiscale qui en découle sont un formidable accélérateur de ségrégation territoriale.
Il nous faudra également réviser les critères de la DSU, en concentrant les moyens – je n’hésite pas à le dire – sur les villes les plus pauvres, et donc sortir du dispositif un certain nombre de communes qui, à mon sens, n’en relèvent pas.
M. Jacky Le Menn. Tout à fait !
M. Philippe Dallier. Il nous faudra aussi revoir la DGF, qui est devenue, au fil du temps, par sédimentation, très inégalitaire, et cela en tenant compte de critères de charges qui doivent également être redéfinis.
Prendre en considération le caractère balnéaire ou montagnard des communes me paraît tout à fait justifié, de même qu’il me semblerait légitime d’intégrer désormais, par exemple, les sommes que les communes sont priées de consacrer à la sécurité – un domaine qui relève tout de même d'abord de la compétence de l’État ! – à travers la police municipale ou la vidéosurveillance.
M. Jacky Le Menn. Très bien !
M. Philippe Dallier. Nous savons bien, là aussi, que ce sont souvent les communes les plus pauvres qui sont confrontées aux difficultés les plus grandes et qui paient le plus cher pour que leur sécurité soit assurée.
Oui, cette réforme sera difficile, et certaines collectivités locales – les plus riches – verront leurs recettes diminuer. Je ne sous-estime pas la difficulté que cette baisse de ressources représentera pour elles, ni la nécessité de trouver une solution de lissage. Toutefois, ce dernier devra s’opérer dans un temps relativement court, et nous devrons prendre en compte à la fois le stock et le flux de richesses pour réaliser cette réforme.
Enfin, je n’oublie pas dans mes souhaits la réforme des valeurs locatives, dont on a tant parlé, depuis tant d’années, et qu’il faudra également mener à terme,…
M. Yvon Collin. C’est urgent !
M. Philippe Dallier. … afin, là aussi, tout simplement de revenir à une véritable équité fiscale. En effet, cette dernière n’existe même pas entre les collectivités de niveau identique, alors qu’elle constitue une obligation constitutionnelle !
Madame le ministre, il faudra de l’audace et du courage politique pour proposer et mener à bien une telle réforme. Je ne doute pas un instant que vous ayez l’une et l’autre. C’est pourquoi j’attends avec impatience et confiance l’examen des nouveaux dispositifs que vous nous annoncez. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Jean-Claude Frécon. C’est très bien ! Ce sont de très bonnes intentions.
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Madame la présidente, mes chers collègues, permettez-moi tout d'abord de remercier Mme la ministre, qui est encore parmi nous alors qu’elle doit honorer des engagements, ce soir, à Bruxelles.
Le débat que nous venons de tenir a été utile, me semble-t-il. Il a ouvert des perspectives intéressantes. Il a aussi montré quelques limites !
Ce débat a été utile parce qu’il nous a apporté des éléments précis sur les intentions du Gouvernement s'agissant des relations financières entre l’État et les collectivités territoriales et parce qu’il nous a éclairés sur les suites de la réforme de la taxe professionnelle. À ce titre, il tient lieu du débat d’orientation budgétaire sur les collectivités territoriales, qui se déroule traditionnellement dans les délais très contraints de l’examen de la première partie du projet de loi de finances. Nous aurons ainsi, en quelque sorte, véritablement anticipé cette discussion dans le cadre d’une meilleure organisation de nos travaux. Naturellement, il va de soi que ce débat général ne nous dispensera pas d’un examen très détaillé des mesures qui figureront dans les articles du projet de loi de finances.
Ce débat a été utile aussi parce qu’il a mis en œuvre la clause de rendez-vous que le Sénat avait inscrite dans la loi de finances de 2010 et que nous avions renoncé à appliquer au début de l’été dernier, faute de données suffisantes pour apprécier les effets de la réforme de la taxe professionnelle. Depuis lors, nous avons eu connaissance de deux rapports, celui des inspections générales et celui des parlementaires en mission, mais aussi des préconisations de la commission des finances de la Haute Assemblée et des réflexions menées dans les ministères concernés, c'est-à-dire celui des finances et celui de l’intérieur.
Enfin, ce débat a été utile en ce qu’il a permis, sur toutes les travées de cette assemblée, d’exprimer satisfactions, inquiétudes ou interrogations, ou encore de formuler des propositions. Je pense en particulier à celle que nous a soumise Philippe Marini et qui porte sur le financement des services départementaux d’incendie et de secours. En effet, nous savons que les contingents prévus par les communes et les établissements publics de coopération intercommunale ont été gelés par la loi du 13 août 2004. Or il y a forcément injustice, car les paramètres qui servaient de base à la répartition, et qui étaient liés à la démographie et au potentiel financier, ont évolué depuis lors, tandis que les contingents n’étaient réévalués qu’en proportion de l’inflation.
M. Jean-Jacques Lozach. Tout à fait ! Les départements paient à la place !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Madame la ministre, plusieurs éléments nous donnent satisfaction.
En premier lieu, je crois que chacun a pris conscience du bien-fondé du gel en valeur des concours de l’État aux collectivités territoriales, qui avait été annoncé dès le 6 mai dernier par le Premier ministre, puis confirmé dans le cadre de la Conférence nationale sur les déficits publics. Comment pourrait-il en être autrement, compte tenu de la situation actuelle particulièrement dégradée de nos finances publiques ? Il va de soi que les collectivités territoriales ne peuvent rester à l’écart de l’effort qui est demandé à tous.
Mme Nicole Bricq. Oui, à tous ! Vraiment à tous !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. En effet, il est clair que l’État, qui a affiché un déficit budgétaire de 138 milliards d’euros en 2009, ne peut continuer à accroître, comme par le passé, le montant des concours financiers qu’il verse chaque année aux collectivités territoriales. La période durant laquelle ces concours augmentaient à un rythme supérieur à celui de l’inflation est révolue, car la situation financière de l’État ne le permet plus.
Nul ne peut dire combien de temps durera ce gel des dotations versées par l’État aux collectivités, ni si un jour celles-ci ne diminueront pas… Mes chers collègues, ayons à l’esprit que, sur les 210 milliards d'euros de dépenses des collectivités territoriales, l’État contribue à hauteur de près de 100 milliards d'euros !
La reconnaissance d’un statut particulier pour le Fonds de compensation de la TVA constitue pour moi un second élément de satisfaction. Ce mécanisme se trouve écarté de l’enveloppe normée, qui ne concerne que les dotations et compensations d’exonérations. Il évolue donc distinctement, en lien avec le volume des investissements des collectivités territoriales. C’est d'ailleurs heureux, car l’effet du plan de relance joue au surplus.
Toutefois, madame la ministre, si nous avons des motifs de satisfaction, nous restons sur notre faim à plusieurs titres.
Tout d'abord, nous ne connaissons pas précisément les mesures qui figureront dans le prochain projet de loi de finances. Celles qui concernent les collectivités territoriales seront dévoilées demain au Comité des finances locales. Pour notre part, nous devrons attendre mercredi prochain et l’adoption du projet de loi de finances en conseil des ministres pour en prendre connaissance.
Manifestement, les mesures qui nous seront proposées dans le cadre du projet de loi de finances pour 2011 seront pour une large part la prorogation du statu quo. Faute de données fiables et d’une analyse approfondie des conséquences de la réforme de la taxe professionnelle, un certain nombre de décisions, notamment celles qui concernent la péréquation au sein du bloc communal, seront remises à plus tard.
M. Jean-Jacques Lozach. À 2013 !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Une crainte peut être exprimée à cet égard, celle que nous soyons de nouveau entrés dans un cycle perpétuel d’ajustements et de rectifications de la législation qui rappellerait les soixante-dix modifications successives subies en trente-cinq ans par la taxe professionnelle… (Sourires.)
Madame la ministre, à ce propos, alors que Jean-Pierre Fourcade avait pu proposer au Parlement d’instituer une taxe professionnelle dont le dispositif tenait en trois pages, vous avez dû nous présenter un texte de 135 pages pour réformer cette imposition !
J’en viens à une question particulièrement sensible : le Gouvernement a-t-il mesuré combien la situation financière des départements était difficile ? Pris en tenaille entre la réduction de leurs ressources, la perte de leurs marges de manœuvre fiscale et l’explosion incontrôlée des dépenses liées aux prestations individuelles – revenu de solidarité active, allocation personnalisée d’autonomie et prestation compensatrice du handicap –, les départements sont confrontés à un double risque.
Tout d'abord, ils sont menacés de devenir de simples opérateurs de l’État. Dans ce cas de figure, on peut imaginer que soient créés à l’échelon territorial des établissements publics, opérateurs de l’État, chargés du versement des trois allocations précitées. Pourquoi ne pas établir un budget annexe dans les budgets des départements ?
Ensuite, les départements courent un risque financier, madame la ministre : il se pourrait que, demain, les agences de notation considèrent que leur situation est si délicate que leurs notations doivent être dégradées, ce qui ne manquerait pas d’augmenter les taux d’intérêt qu’ils ont à subir et de les placer devant de plus grandes difficultés encore.
Nous ne pouvons plus nous contenter de mesures conjoncturelles, qui ne règlent pas le problème de fond. Il faut désormais à la fois isoler ces dépenses, par exemple en les regroupant dans un budget annexe, et identifier un mode de financement dont l’État serait le garant et qui, à mon sens, doit prendre la forme d’un prélèvement sur l’enveloppe globale des dotations de l’État aux départements.
Je rappelle que la seule dotation globale de fonctionnement des départements s’élève, en 2010, à 12,188 milliards d’euros… À mon avis, madame la ministre, il faudrait étudier la possibilité de soustraire de cette somme les quelque 4,5 milliards d’euros correspondant aux trois allocations que je viens de citer. L’État s’engageant chaque année à compenser aux départements le montant effectif versé, cette dotation serait adaptée en fonction de la réalité. Le reste, c'est-à-dire les 7,7 milliards d’euros, pourrait faire l’objet d’ajustements, selon des critères que nous aurions à définir.
De manière plus générale, madame la ministre, je crains que vos propositions n’aillent pas assez loin. Certes, vous améliorerez les mécanismes de péréquation horizontale. Pour les départements et les régions, les fonds de péréquation de la contribution sur la valeur ajoutée, qui avaient été institués, il est vrai bien rapidement, par le biais d’amendements du Gouvernement aux conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi de finances pour 2010, verront leur efficacité renforcée.
Le fonds national de péréquation des droits de mutation à titre onéreux sera, lui aussi, mis en place. Je m’en réjouis.
Madame la ministre, nous vous faisons également confiance pour trouver des solutions satisfaisantes pour les fonds départementaux de péréquation de la taxe professionnelle et pour le Fonds de solidarité de la région d’Île-de-France. Mais ces avancées n’auront de sens que si nous nous attaquons enfin aux injustices flagrantes des dotations de l’État aux collectivités territoriales, dont la répartition est manifestement trop inéquitable.
De ce point de vue, le constat est alarmant. Ainsi, la dotation globale de fonctionnement continue d’intégrer des variables historiques qui la rendent totalement injuste ; il en résulte des variations des montants versés par habitant qui me semblent aujourd’hui totalement incompréhensibles. L’injustice de ce système, qui pouvait être supportable à l’époque où, chaque année, l’ensemble des dotations augmentaient, ne le sera plus pour les collectivités les plus défavorisées, à l’heure où les concours financiers sont figés.
M. Dallier a rappelé l’écart des recettes fiscales qui existe entre les communes et qui peut varier par habitant de 1 à 17 ! Prenons l’exemple de la dotation globale de fonctionnement des départements. Selon les informations dont je dispose, et si l’on exclut le département de Paris, les dotations par habitant en 2010 oscillent entre 104,41 euros et 481,22 euros. Est-ce admissible ? Certainement pas ! J’aurais également pu exclure le département le mieux doté, au risque de choquer notre collègue Jacques Blanc,...
M. Jacques Blanc. Cela ne veut rien dire !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. ...mais l’écart aurait tout de même été de 104,41 euros à 366 euros !
M. Jacques Blanc. Cela dépend du nombre d’habitants!
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Une réforme de grande ampleur des dotations de l’État me semble donc inévitable, aussi bien pour parvenir à un dispositif plus juste que pour clarifier les critères d’éligibilité et de calcul qui sont aujourd’hui trop complexes.
En conclusion, j’attire l’attention du Sénat sur l’importance et l’ampleur des réformes que nous devons engager dès cet automne, sans peut-être les mener à terme : l’ajustement des dispositifs votés lors de l’examen de la loi de finances pour 2010, la mise sur les rails de nouveaux dispositifs de péréquation qui, idéalement, devront tenir compte de l’ensemble des richesses des collectivités territoriales ...
M. Jacques Blanc. Très bien !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. ... et l’ouverture du chantier de la révision des valeurs locatives.
Je remercie le Gouvernement d’avoir bien voulu prendre part à ce débat, qui nous permet d’anticiper cette discussion. Ainsi il pourra, avec le Sénat, mieux préparer les amendements qui seront examinés lors de la discussion du projet de loi de finances pour 2011.
Madame la ministre, le débat que nous venons d’avoir aura permis de faire preuve de lucidité. Espérons que le courage suivra. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Christine Lagarde, ministre. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, aux regrets de certains et à la satisfaction d’autres, je me contenterai de répondre brièvement à certains points qui ont été évoqués.
La clause de revoyure avait été prévue par l’article 76 du projet de loi de finances pour l’année 2010.
Mme Nicole Bricq. Il n’y en a pas !
Mme Christine Lagarde, ministre. Nous y avons tous participé, faisant chacun de notre mieux pour faire entendre nos arguments.
Monsieur le président de la commission des finances, je me félicite que, dans deux mois, à l’occasion de l’examen du projet de loi de finances pour 2011, nous soyons à même de prendre acte des échanges qui ont eu lieu au sujet de la contribution économique territoriale et des remarques qui ont été formulées à cette occasion. Ainsi des propositions et des améliorations pourront-elles être soumises sur le texte dont j’ai tout à l’heure décrit à grands traits les principes, notamment par le biais d’amendements.
Je tiens à souligner que la plus belle péréquation du monde ne peut donner que ce qu’elle a ! Sachons nous en contenter. Toutes les récriminations, frustrations et insatisfactions émises ne peuvent l’être en son nom. De ce point de vue, mesdames, messieurs les sénateurs, certaines de vos demandes étaient particulièrement ciblées sur ce que cet instrument peut offrir.
Certains ont évoqué le coût supplémentaire qu’ont engendré la réforme de la taxe professionnelle et la mutation de celle-ci en contribution économique territoriale. Je précise qu’il avait au contraire été très légèrement surestimé dans les prévisions par rapport aux chiffres définitifs des années 2010 et 2011. Ainsi, en régime de croisière, ce montant atteint 4,7 milliards d'euros. En outre, la bosse, si je puis dire, estimée de manière conservatrice et donc de façon un peu excessive, s’élève à 9 milliards d’euros.
Mme Nicole Bricq. On y reviendra !
Mme Christine Lagarde, ministre. Vous avez été nombreux à revenir sur la taxe d’habitation, et ce à juste titre d’ailleurs puisque nous observons, dans le cadre de la réforme que nous avons mise en œuvre, une concentration de l’ensemble des impôts fonciers et de cette taxe à l’échelon communal. M. Guené a très bien résumé le dilemme cornélien auquel un certain nombre de communes sont en proie : utiliser les abattements départementaux ou, si ces derniers ne sont pas transposés à l’identique par les communes, en faire supporter la charge par les administrés et les habitants de ces dernières.
Sur cette question, plusieurs idées ont été formulées : la compensation, l’utilisation de la péréquation sur le fondement non pas d’un crantage à 5, 10, 15 mais d’intervalles un peu différents. Nous devrons examiner l’ensemble de ces propositions et, surtout, en estimer le coût, car nous ne pourrons nous engager que sur des éléments chiffrés.
MM. Collin et Chatillon, notamment, ont commenté les simulations que nous avons établies. Vous vous en souvenez, une première série de simulations avait été effectuée sur la base des chiffres de 2008, les seuls dont nous disposions alors ; elle avait été suivie d’une première mise à jour. En tenant compte des prévisions de croissance du programme de stabilité et de leur mise à jour présentée aux instances communautaires – notons en particulier le rapport Durieux –, nous parvenons à un chiffrage qui n’est pas exactement conforme aux prévisions de croissance pour l’exercice 2011 en particulier. Par conséquent, une partie de la simulation doit être revue ; nous allons nous y employer.
Je précise que les simulations concernant l’IFER et le foncier ne dépendaient pas des perspectives de croissance. C’est pourquoi sur ces sujets les simulations conservent toute leur pertinence.
Je rappellerai rapidement et sans entrer dans le détail ce que le Gouvernement entend proposer en matière de péréquation, que ce soit à l’échelon départemental ou régional, sous réserve des amendements qui pourraient être déposés et étudiés. Il s’agit d’un mécanisme tenant compte de l’augmentation de la valeur ajoutée, le fameux « potentiel fiscal ». Pour faire simple, lorsqu’elle est supérieure à la moyenne nationale dans les régions et dans les départements, la hausse est suivie d’une réallocation prenant en considération tous les critères que vous avez été nombreux à évoquer, mesdames, messieurs les sénateurs, et qui seront repris dans le cadre du projet de loi de finances pour 2011, ainsi que toutes les tâches qui incombent aux régions, d’une part, et toutes les charges qui pèsent sur les départements, d’autre part. Vous avez notamment insisté, monsieur Blanc, sur la voirie rapportée au nombre d’habitants, sur le nombre de personnes âgées, sur les coûts de scolarisation.
M. Jacques Blanc. Très bien !
Mme Christine Lagarde, ministre. Le Gouvernement a essayé d’être le plus exhaustif possible en appliquant une pondération chaque fois que c’était envisageable. Ainsi, la prise en compte de la longueur des voies par rapport au nombre d’habitants est un exemple parmi d’autres de la nécessité d’y avoir recours.
Madame Voynet, pour ce qui concerne la péréquation entre la région et le département, le Gouvernement s’est attaché à coller le mieux possible à la réalité des terrains que vous avez évoquée.
C’est sur la péréquation à l’échelon communal que le débat est le plus complexe et exige que nous travaillions ensemble. J’ai bien entendu l’exigence de prévisibilité formulée par MM. Fouché et Chatillon ; il faut y parvenir.
À l’échelon communal, il nous faut retenir le calendrier suivant : d’abord, établir des principes programmatiques dont nous débattrons dans deux mois à l’occasion de l’examen du projet de loi de finances pour 2011, ensuite, continuer à travailler sur ce sujet au cours de l’année prochaine. Le Gouvernement remettra au Parlement un rapport, mi-2011, pour que, dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances pour 2012, nous n’en soyons plus aux principes programmatiques, mais nous puissions nous appuyer sur des dispositions faisant l’objet d’un paramétrage très précis.
Mesdames, messieurs les sénateurs, il va de soi que ce débat vous appartiendra, vous avez d’ailleurs été nombreux à en évoquer la pertinence : c’est dans la proposition et dans l’action que nous éprouverons notre détermination collective à réaliser la péréquation. J’en résume le déroulement : principes d’abord, paramétrage ensuite, avec, pour objectif de long terme à 2015, 2 % des recettes du bloc communal, communes et établissements publics de coopération intercommunale.
Monsieur le rapporteur général, la dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle n’est pas intégrée dans l’enveloppe gelée des dotations de l’État. C’est un principe sur lequel nous nous étions engagés et que j’ai plaisir à rappeler en cet instant.
M. Jacques Blanc. C’est capital !
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Merci de nous le confirmer !
Mme Christine Lagarde, ministre. Vous m’avez demandé si le fonds national de péréquation des droits de mutation à titre onéreux entrera en vigueur dès 2011. Oui, le débat a eu lieu. Je vous accorde que le texte peut prêter à interprétation, mais c’est bien à cette date que le dispositif sera appliqué.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Très bien !
Mme Christine Lagarde, ministre. Monsieur Mézard, vous avez proposé de porter de 25 % à 33 % la péréquation « sur stock ». Le Gouvernement essaie de tenir compte des débats qui ont permis de clarifier les positions entre les mouvements sur le stock et sur le flux. C’est pourquoi il est proposé d’utiliser, à l’échelon tant départemental que régional, une technique de flux cumulés. (Mme Nicole Bricq s’exclame.) Certes, il s’agit d’une cotte mal taillée, mais ce dispositif me semble relativement juste dans son principe, car il permet d’éviter d’avoir ce débat sur le pourcentage à appliquer et de parvenir à un résultat satisfaisant.
Mme Nicole Bricq. Il n’y aura rien à répartir sur les flux !
M. François Marc. Ce seront des queues de cerise !
Mme Christine Lagarde, ministre. J’en viens à la taxe d’habitation.
Le report de la date limite des délibérations relatives aux abattements de taxe d’habitation au 1er novembre est maintenu. Les services de la direction générale des finances publiques ont été mis à disposition et continueront à l’être pour proposer un certain nombre de projets de délibération, de modélisations de calcul. Il faudra, notamment dans le cadre du projet de loi de finances pour 2011, que soient examinées, expertisées et quantifiées les éventuelles modifications qui seraient apportées en matière de taxe d’habitation et d’application d’abattements.
Monsieur Guené, pour ce qui concerne l’IFER applicable aux énergies éoliennes, vous demandez que le bloc communal soit le seul bénéficiaire. C’est très clairement dans cette direction que l’on s’achemine, en concentrant l’augmentation prévue sur le seul bloc communal. C’est bien dans cet esprit que nous travaillons. Nous aurons l’occasion d’en discuter lors de l’examen du prochain projet de loi de finances.
Monsieur le président de la commission des finances, monsieur Dallier, vous avez évoqué la réforme des valeurs locatives. À l’évidence, elle est urgente. C’est la raison pour laquelle, François Baroin et moi-même avons l’intention de la proposer, dans le cadre du projet de loi de finances rectificative pour 2010, en commençant, dans un premier temps, par les locaux commerciaux et non par les locaux à usage d’habitation. Cela nous paraît le plus logique et le plus efficace.
À cette fin, nous avons déjà tenu une première réunion à Bercy au mois de juillet et nous avons prévu d’en organiser une autre pour continuer à avancer sur ce sujet ; mais cette réforme interviendra, je le répète, dans le cadre d’un projet de loi de finances rectificative pour 2010.
Mme Nicole Bricq. Cela fait un an qu’on le dit !
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Cela avance !
Mme Christine Lagarde, ministre. Enfin, monsieur le président de la commission des finances, je le souligne, nous ne souhaitons pas remettre à plus tard les décisions sur la péréquation communale.
Nous voulons véritablement, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2011, continuer et clore le débat sur les principes programmatiques, puis, au cours de l’année prochaine, poursuivre et examiner les calibrages et les paramétrages afin qu’ils soient le plus précis possible. Il s’agit d’avoir, en 2012, un dispositif avec un point d’arrivée qui soit à 2 % de l’ensemble des recettes à l’horizon 2015.
Mme Nicole Bricq. On verra en 2012 !
Mme Christine Lagarde, ministre. Madame la présidente, grâce à votre indulgence, dont je vous remercie infiniment, j’ai pu tenter de répondre aux différents intervenants. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Bravo !
Mme la présidente. Nous en avons terminé avec ce débat sur les mécanismes de péréquation et de répartition des ressources des collectivités locales.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures, est reprise à dix-huit heures dix.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
11
Nomination de membres d'un organisme extraparlementaire
Mme la présidente. Je rappelle que la commission des affaires sociales a proposé des candidatures pour un organisme extraparlementaire.
La présidence n’a reçu aucune opposition dans le délai d’une heure prévu par l’article 9 du règlement.
En conséquence, ces candidatures sont ratifiées et je proclame M. Jean-Louis Lorrain et Mme Annie Jarraud-Vergnolle pour siéger respectivement en qualité de membre titulaire et de membre suppléant au sein du Conseil national du travail social, créé en application de l’article 2 de l’arrêté du 7 juillet 2010.
12
Nouvelle organisation du marché de l'électricité
Discussion d'un projet de loi
(Texte de la commission)
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, portant nouvelle organisation du marché de l’électricité (projet n° 556, texte de la commission n° 644, rapports nos 643 et 617).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre d'État.
M. Jean-Louis Borloo, ministre d'État, ministre de l'écologie, de l'énergie, du développement durable et de la mer, en charge des technologies vertes et des négociations sur le climat. Madame la présidente, monsieur le président de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d’abord de vous dire tout le plaisir que Benoist Apparu et moi-même et, ultérieurement, Valérie Létard, avons à nous retrouver devant vous pour l’examen, en première lecture, du projet de loi portant nouvelle organisation du marché de l’électricité, quelques semaines après des débats déjà très riches qui ont eu lieu devant l’Assemblée nationale au mois de juin, et devant la commission de l’économie du Sénat au mois de juillet dernier.
Je veux aussi remercier très sincèrement les membres de la commission de l'économie, son président, Jean-Paul Emorine, son rapporteur, Ladislas Poniatowski, de tout le travail effectué en amont sur un texte extrêmement technique, mais absolument essentiel pour la compétitivité de notre pays.
Vous me permettrez d’associer également à ces remerciements vos collègues de la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, ainsi que les membres de la commission Champsaur – donc, une fois de plus, Ladislas Poniatowski, mais aussi Jean-Marc Pastor –, dont le rapport final, remis au mois d’avril 2009, a largement inspiré l’architecture du projet de loi que nous soumettons aujourd’hui à votre examen. J’exprime aussi ma gratitude à Jean-Claude Merceron, qui, avec le président Emorine et le rapporteur, a accompagné le Gouvernement dans la préparation, la compréhension et la pédagogie de ce texte.
Avant d’aller plus loin, je souhaite revenir brièvement sur les raisons qui ont conduit le Gouvernement à vous proposer le présent projet de loi, capital pour l’avenir de notre pays. Il intervient en effet dans un contexte particulier, et ce à plusieurs titres.
Tout d’abord, le prix moyen de notre électricité est actuellement de 30 % inférieur à la moyenne européenne, ce qui constitue un avantage majeur en termes de compétitivité et de pouvoir d’achat, avantage que nous devons impérativement préserver.
Ensuite, aujourd'hui nous ressentons de nouveau le besoin d’investir massivement dans nos réseaux de distribution, dans nos infrastructures et dans notre parc de production d’électricité, afin d’améliorer le coefficient de disponibilité de ce dernier, et donc son efficacité. À certaines périodes de l’année, je le rappelle, la France est importatrice nette d’électricité,…
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Jean-Louis Borloo, ministre d'État. … ce qui est difficilement concevable.
En outre, il s’agit, à l’heure actuelle, non pas de désigner des responsables, mais tout simplement de prendre nos responsabilités, sereinement, collectivement, afin de proposer enfin un cadre juridique suffisamment stable pour permettre aux acteurs de la filière électrique de programmer leurs investissements sur le long terme.
Enfin, personne ne conteste aujourd’hui la nécessité de faire évoluer une réglementation qui n’est plus en mesure de garantir la pérennité de notre modèle énergétique en raison, notamment, de trois facteurs.
Premièrement, cette réglementation est marquée par une instabilité chronique, avec près de sept lois votées en dix ans et de nombreuses dispositions provisoires. La dernière en date, adoptée sur l’initiative de Ladislas Poniatowski, concerne le principe de réversibilité, absolument nécessaire pour protéger les droits des consommateurs.
Deuxièmement, elle pâtit d’un manque total de lisibilité en matière de tarifs : offres libres, tarifs réglementés, dont le TARTAM, ou tarif réglementé transitoire d’ajustement du marché, règles différenciées de migration d’une offre vers l’autre.
Troisièmement, elle souffre d’une insécurité juridique permanente, notamment à l’échelon européen, ce qui a pour principale conséquence de retarder les investissements nécessaires des acteurs de la filière électrique.
À cet égard, je le rappelle, la France est actuellement sous le coup de deux contentieux.
Le premier a trait à la non-transposition de la directive 2003/54/CE, qui concerne plus spécifiquement les tarifs réglementés, perçus par la Commission comme des obstacles à l’ouverture des marchés.
Le second contentieux – le plus sensible, si j’ose dire – porte sur une suspicion d’aide d’État en raison des tarifs pratiqués actuellement en faveur des moyennes entreprises et du TARTAM. Si rien n’est fait, il pourrait déboucher sur des obligations de remboursements considérables – plus précisément, à la différence du premier, sur une décision exécutoire par provision –, aux dépens de nos entreprises concernées par les tarifs réglementés. Ce serait un véritable cataclysme pour l'économie française !
Face à cette situation, et dans un secteur où les investissements nécessitent une très forte visibilité à long terme, un pays comme la France ne pouvait plus se contenter de procéder à des ajustements à la marge, en repoussant sans cesse les réformes.
En l’absence de réforme, faut-il le préciser, nous avions le choix entre deux mauvaises solutions, socialement et stratégiquement inacceptables : soit renoncer à toute forme de régulation, soit nous résoudre à démanteler l’opérateur historique, à ces deux hypothèses étant liée une hausse brutale et continue des tarifs. (M. Roland Courteau s’exclame.)
M. Jacques Blanc. Eh oui !
M. Jean-Louis Borloo, ministre d'État. Les débats très approfondis menés au sein de la commission Champsaur ont permis de faire émerger, de façon assez naturelle et consensuelle, une troisième voie nous permettant à la fois de maintenir une régulation très forte tout en restant fidèles aux trois piliers qui fondent notre stratégie énergétique, à savoir un haut degré de compétitivité, une sécurité absolue de nos approvisionnements et une politique électrique plus respectueuse de l’environnement, grâce notamment à la maîtrise de la demande et à la gestion de la pointe.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le dispositif proposé par la commission Champsaur, modifié par l’Assemblée nationale et amendé par la commission de l'économie du Sénat, s’articule ou s’organise autour de quatre principes ou de quatre concepts clefs.
Le premier, c’est ce que l’on a appelé « l’accès régulé à la base » et que l’on appelle aujourd’hui, pour des raisons de précision et de clarté, « l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique », l’ARENH, c’est-à-dire la possibilité pour les concurrents d’EDF d’acquérir de l’électricité pour l’approvisionnement de leurs clients situés en France, au coût complet de production du parc nucléaire historique, autrement dit au « juste prix » ou au prix le plus équitable, transparent et opposable qui soit.
Le projet de loi définit ainsi clairement les composantes de ce prix régulé. Son objectif sera, dans un premier temps, d’être cohérent avec le TARTAM, puis, sur la durée de la période de régulation, de couvrir strictement les coûts de production du parc nucléaire historique, à savoir la rémunération du capital, les charges courantes, les investissements nécessités par l’allongement de la durée de vie des centrales et les charges de long terme, autrement dit la gestion des déchets et du démantèlement.
Je rappelle que ce dispositif est strictement encadré puisqu’il est restreint dans le temps – il est valable quinze ans –, limité quantitativement, et qu’il prévoit des clauses de revoyure tous les cinq ans.
Par ailleurs, les fournisseurs qui décideront de revendre plus cher à l’étranger l’électricité achetée en France par l’ARENH pour augmenter artificiellement leurs profits devront rembourser la différence à EDF, sous peine de sanction. Il s’agit de s’assurer qu’ils ne disposeront d’aucun bénéfice illégitime.
Grâce à ce dispositif, nous faisons le choix d’une régulation forte, mais ciblée. On passe, en réalité, d’une régulation « aval » à une régulation « amont », tout en ayant la certitude de disposer des moyens financiers suffisants pour entretenir et développer nos infrastructures énergétiques.
Le deuxième principe, que nous devons au sénateur Bruno Sido et au député Serge Poignant, concerne la mise en place d’une « obligation de capacités d’effacement ou de production », dont la finalité est d’obliger les fournisseurs alternatifs à participer au financement de la sécurité des approvisionnements et de mieux rémunérer l’effacement de la consommation, ainsi que la production de pointe.
Le projet de loi prévoit donc, à compter de 2015, l’obligation pour le fournisseur de disposer de façon directe ou indirecte de capacités de production ou d’effacement suffisantes.
Ainsi, RTE vérifiera, chaque année, que le fournisseur détient en propre ou par contrats des capacités d’effacement ou de pointe suffisantes, les sanctions pouvant aller de la simple amende jusqu’au retrait pur et simple du droit d’exercer.
Nous passons donc d’une situation dans laquelle EDF était, en quelque sorte, assureur implicite de tout le système à une situation dans laquelle la charge est mutualisée entre l’ensemble des fournisseurs.
Le nouveau dispositif permettra en outre de développer la pratique de l’effacement, comme c’est le cas dans de nombreux pays. En parallèle ou en complément du marché de l’effacement, qui sera effectif à compter de 2012, le projet de loi prévoit la mise en place de deux innovations que nous devons au Parlement.
La première introduit un dispositif d’« interruptibilité » : en échange d’une rémunération, les très gros consommateurs s’engagent à interrompre immédiatement leur activité en cas de surcharge sur le réseau
La seconde innovation, imaginée par votre collègue Jean-Pierre Vial et soutenue par le Gouvernement, permet à RTE de lancer des appels d’offres d’effacement, toujours en direction des gros consommateurs.
J’en viens maintenant à la question des tarifs réglementés, pour lesquels il s’agit de distinguer entre petits et gros consommateurs.
Pour ce qui concerne les premiers d’entre eux – en clair, les particuliers, les commerçants et les artisans –, le projet de loi prévoit le maintien des tarifs réglementés et consacre le droit pour chacun de choisir librement et à tout moment son distributeur en fonction de ses besoins. La réversibilité est donc totale et absolue, ce qui constitue une protection très forte pour les particuliers.
Je crois d’ailleurs que nous parlerons dans le cadre de l’examen du présent texte de l’éventualité d’une extension au gaz de dispositions du même type.
Par ailleurs, nous devons réfléchir dès à présent à la meilleure façon d’aider les consommateurs les plus démunis à accéder aux tarifs sociaux.
Quant aux gros consommateurs, le projet de loi prévoit la suppression des tarifs réglementés à compter de 2015, dans la mesure où les entreprises auront désormais la certitude que leur fournisseur bénéficie du prix d’achat le plus compétitif qui soit. À elles, ensuite, de faire jouer la concurrence pour obtenir les services commerciaux et de transport les mieux adaptés à leurs besoins. Nous le constatons, les consommateurs sont ainsi protégés.
Je me dois de dire quelques mots au sujet de la Commission de régulation de l’électricité, la CRE, dont le projet de loi prévoit d’étendre à la fois les pouvoirs et les attributions.
Le texte permet d’aller vers une plus grande professionnalisation de ses membres : après concertation entre l’Assemblée nationale et la commission de l’économie, la CRE sera désormais composée de cinq commissaires à temps plein, au lieu de neuf, dont six à temps partiel, jusqu’à présent.
Le projet de loi marque la fin de la représentation catégorielle et prévoit une articulation renforcée entre la CRE et le CSE, le Conseil supérieur de l’énergie, dont nous parlerons tout à l’heure.
Désormais le régulateur dispose des moyens financiers et humains nécessaires à l’accomplissement de sa mission de service public.
Mesdames, messieurs les sénateurs, tels sont donc les objectifs visés par le projet de loi qui vous est soumis et qui est un texte à la fois de refondation juridique, de consolidation de notre compétitivité industrielle et de protection du consommateur. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. Roland Courteau. C’est idyllique !
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire. Monsieur le ministre d’État, je commencerai moi aussi mon propos par des remerciements. Je suis depuis très longtemps – je le faisais déjà à l’époque où j’étais député – les problèmes liés à l’énergie en général, et à l’électricité en particulier. J’ai donc spécialement apprécié le fait que vous ayez souhaité associer, très en amont du texte initial, les deux rapporteurs de l’Assemblée nationale et du Sénat. Cela nous a permis, dès le départ, d’apporter un certain nombre de modifications. Pour un rapporteur, il est très agréable de travailler ainsi !
J’en viens maintenant, mes chers collègues, à l’objet principal du projet de loi que nous devons examiner. Il s’agit d’apporter une réponse à la faiblesse de la concurrence sur le marché français de l’électricité, qui, vous nous l’avez rappelé, monsieur le ministre d’État, nous est souvent reprochée.
En droit, l’ouverture de ce marché est complète depuis le 1er juillet 2007. Mais, comme chacun peut le constater, dans les faits, l’opérateur historique a conservé une position très largement dominante. EDF assure toujours 90 % de la production d’électricité. Surtout, grâce au maintien des tarifs réglementés, EDF sert toujours en volume plus de 95 % de la clientèle résidentielle et près de 87 % de la clientèle non résidentielle.
Un sondage récent a d’ailleurs révélé que près de 40 % des Français ne savaient même pas qu’ils pouvaient acheter de l’électricité à des électriciens concurrents d’EDF !
Cette situation contraste avec les évolutions observées dans les pays européens voisins, où les opérateurs historiques ont dû se défaire d’une partie de leurs capacités de production au profit de nouveaux entrants. La Commission européenne conteste cette exception française. Comme vous l’avez rappelé voilà un instant, monsieur le ministre d’État, elle a d’ailleurs engagé en 2006 une procédure en manquement contre la France, qui vise le maintien des tarifs réglementés. Elle a également lancé en 2007 une procédure d'examen au titre des aides d'État, laquelle pourrait conduire les entreprises françaises à devoir rembourser plusieurs milliards d'euros.
Il nous est donc impossible de nous satisfaire du statu quo. Le projet de loi portant nouvelle organisation du marché de l’électricité, dit « projet de loi NOME », s'inscrit dans la droite ligne des propositions de la commission Champsaur, qui a proposé d’instaurer pour les fournisseurs alternatifs un mécanisme d'accès régulé à l'électricité de base produite par EDF à partir de son parc de centrales nucléaires. C'est ce mécanisme, depuis lors rebaptisé « accès régulé à l'électricité nucléaire historique », ou ARENH, par l'Assemblée nationale, qui est mis en place par l'article 1er du projet de loi.
Ce dispositif a été présenté aux commissaires européens chargés de la concurrence et de l'énergie. Ceux-ci en ont approuvé le principe, et fait savoir que l'adoption du projet de loi pourrait conduire à l'abandon des procédures engagées. Ce texte préserve deux acquis essentiels. D’une part, il n’affecte pas l'intégrité d'EDF, qui n'aura pas à céder une partie de son outil de production. D’autre part, le bénéfice de la compétitivité du parc nucléaire demeurera réservé aux consommateurs français. En effet, les fournisseurs alternatifs n'auront droit à l'ARENH qu'à hauteur des besoins de leurs clients en France. (M. Jean-Jacques Mirassou s’exclame.)
Je voudrais maintenant évoquer les perspectives d'évolution des prix de l'électricité. Pour les petits consommateurs, ceux-ci resteront déterminés par les tarifs réglementés, que le projet de loi pérennise en dessous d'une puissance de 36 kilovoltampères. Pour les autres consommateurs, la mise en place de l'ARENH permet d'envisager la suppression des tarifs réglementés au-delà du 31 décembre 2015. Au total, les prix de l'électricité demeureront plus bas en France que dans la plupart des autres pays européens.
Toutefois, il faut avoir conscience qu'une augmentation modérée et progressive des prix de l'électricité est nécessaire. Après l'effort financier consenti par les Français dans les années 1970 et 1980 pour constituer le parc de centrales nucléaires, les tarifs réglementés ont connu à partir du milieu des années 1990 une diminution en termes réels, compte tenu de l'inflation. Or, nous nous trouvons aujourd'hui face à d'importants besoins d'investissement pour améliorer la qualité des réseaux de transport et de distribution – souvenez-vous des problèmes de panne généralisée en Bretagne et dans la région Provence-Alpes-Côte d’azur –, mais aussi pour couvrir la progression de la demande en période de pointe, et bientôt pour prolonger la durée de vie des centrales.
Cette évolution inévitable des prix de l'électricité est tout à fait indépendante du projet de loi NOME. Ce texte définit simplement les procédures de fixation des tarifs réglementés et de l'ARENH, qui seront confiées aux ministres compétents et à la Commission de régulation de l'énergie, ou CRE. Il n'en détermine pas les niveaux, lesquels résulteront d'un calcul économique rigoureux. Je considère donc comme un argument fallacieux les prises de position cherchant à établir un lien entre la loi NOME, qui ne sera promulguée qu’à la fin de l’année 2010 ou au début de 2011, et la hausse des prix de l'électricité, intervenue le 15 août dernier.
M. Roland Courteau. Ils anticipent !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. En tant que rapporteur, je reconnais la complexité du mécanisme de l'ARENH. Les droits de chaque fournisseur d'électricité seront fondés sur une évaluation ex ante de son portefeuille de clients en France. Puis ils feront l'objet d'un contrôle ex post, qui pourra donner lieu au versement d'un complément de prix s'il apparaît qu'ils ont en fait excédé la consommation effective de ses clients. Le travail de la CRE, à laquelle est confiée la surveillance du mécanisme, sera particulièrement délicat. Des ajustements législatifs du dispositif seront probablement assez vite nécessaires, et c'est pourquoi des rendez-vous sont prévus tous les cinq ans pour son évaluation devant le Parlement. (M. Roland Courteau s’exclame.)
Le Gouvernement avait deux autres choix. Soit, comme chez nos voisins italiens et allemands, demander à l'opérateur historique de céder une part plus ou moins importante de ses moyens de production. C'est ainsi qu'en Italie Enel a dû céder 15 de ses 56 gigawatts de capacités. Aujourd'hui, cet opérateur ne contrôle plus qu'un tiers du marché italien, où EDF est d’ailleurs présente à travers sa filiale Edison. Le marché allemand de l'électricité était dès le départ moins concentré, puisque partagé entre quatre grands acteurs. Mais ceux-ci ont également dû céder des actifs de production et aujourd'hui, les opérateurs français, EDF et GDF Suez, détiennent près de 19 gigawatts de capacités de production en Allemagne.
Comme vous, monsieur le ministre d’État, je n’aurais en aucun cas souhaité qu’EDF soit obligée d’abandonner une partie de son parc nucléaire.
M. Jacques Blanc. Bien sûr !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Pour ma part, je défends une solution alternative, qui aurait le mérite de permettre également le développement de la concurrence tout en étant moins complexe. Cette solution, vous la connaissez, car je me suis déjà exprimé en commission et publiquement : il s’agit du développement des participations industrielles dans le parc de centrales nucléaires d'EDF.
Plutôt que de contraindre EDF à céder une partie de sa production à ses concurrents, je pense qu'il aurait été plus simple et plus efficace d'ouvrir la propriété de ses centrales nucléaires aux participations des autres fournisseurs et des gros consommateurs d'électricité.
M. Roland Courteau. On n’est pas d’accord !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. C'est une solution qui n'est pas sans précédent. Ainsi, GDF Suez détient une participation de 12,5 % dans la centrale nucléaire de Tricastin. La centrale de Fessenheim est ouverte à hauteur de 17,5 % à une participation de l'opérateur allemand EnBW,…
M. Roland Courteau. Ce n’est pas tout à fait ça !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. … et de 15 % à une participation d'un consortium de trois opérateurs suisses conduit par Alpiq. Les centrales de Chooz et de Cattenom sont également ouvertes à des participations industrielles. Je vous rappelle aussi que le nouvel EPR de Flamanville, en cours de construction, est ouvert à une participation de 12,5 % d'Enel et celui de Penly, qui est en projet, à des participations d'Enel, d'E.ON et de Total. Ce système permet à EDF de partager le risque industriel et financier, à ses associés d'avoir un droit de tirage sur l'électricité mais EDF reste le propriétaire, l’exploitant et le décideur.
Une opportunité se présentera dans les prochaines années, avec la prolongation de la durée d'exploitation des centrales existantes. EDF a commencé à présenter des demandes à l'Autorité de sûreté nucléaire pour la prolongation de dix ans de ses centrales les plus anciennes, dont la durée de vie serait portée de quarante à cinquante ans. À terme, EDF vise une prolongation de la durée de vie de vingt ans, jusqu'à ce qu’elles aient soixante ans de durée d’existence. Lors de son audition devant notre commission, M. Henri Proglio, P-DG d’EDF, a évalué le coût moyen de ces investissements à 600 millions d'euros par tranche nucléaire. Le chiffre avancé par son prédécesseur n'était que de 400 millions d'euros. Si je retiens, monsieur le ministre d’État, une estimation moyenne de 500 millions d’euros, le montant total d'investissement pour la prolongation de l'ensemble des 58 réacteurs s'élève à 29 milliards d'euros. Je serais personnellement très favorable à ce qu'EDF, dont chacun connaît l'endettement – endettement qui, je le signale au passage, ne s’améliorera pas si on oblige cette entreprise à prendre des parts dans AREVA – ne finance qu’une partie de cet investissement colossal et accepte la participation des autres fournisseurs d'électricité, mais aussi de clients industriels. Ainsi, ceux-ci acquerraient un droit d'accès à la production d'électricité nucléaire d'EDF, qui demeurerait cependant le seul opérateur des centrales concernées. Cette solution, qui ne nécessite d'ailleurs pas forcément l'intervention d'un projet de loi, demeure toujours possible, puisque l’État français est actionnaire majoritaire d’EDF.
Mes chers collègues, je voudrais maintenant vous rappeler les principales dispositions du projet de loi, en soulignant les apports de la commission de l'économie.
L'article 1er constitue le cœur du texte, puisqu'il met en place le mécanisme d'« accès régulé à l'électricité de base », maintenant dénommé « accès régulé à l'électricité nucléaire historique ». Ce dispositif transitoire, prévu jusqu'au 31 décembre 2025, est défini comme le droit pour les fournisseurs alternatifs d'acheter à EDF un volume d'électricité globalement plafonné, à un prix représentatif des conditions économiques de production du parc historique de centrales nucléaires. Ce mécanisme est administré par la Commission de régulation de l'énergie et les ministres chargés de l'économie et de l'énergie.
Sur cet article 1er, votre commission a préféré confier à la CRE les échanges d'informations nécessaires pour déterminer les droits des fournisseurs à l'ARENH, plutôt qu'à une « entité juridiquement indépendante » – qu’il aurait fallu créer –, comme le souhaitaient les députés. Nous avons également pris date pour une future ouverture des centrales d'EDF à des participations, qui devra être l'un des points traités par le rapport que le Gouvernement présentera au Parlement en 2015.
L'article 2 est une disposition importante, qui fait obligation à chaque fournisseur d'électricité de contribuer à la sécurité d'approvisionnement nationale, soit en construisant des centrales, soit en développant les capacités d’effacement, auxquelles vous faisiez allusion il y a quelques instants, monsieur le ministre d’État, en précisant, à juste titre, que la France a beaucoup de retard en la matière par rapport à ses voisins. Ces garanties de production ou d’effacement doivent être conformes aux prescriptions définies par le ministre chargé de l'énergie, après avis de la CRE, en cohérence avec le programme pluriannuel des investissements de production d'électricité. Ces garanties étant échangeables, un marché de capacités devrait être mis en place au cours des prochaines années.
Mes chers collègues, votre commission a, par ailleurs, introduit un article 2 quater qui impute aux producteurs d'électricité les coûts de raccordement de leur installation. Il s'agit de modérer la charge financière que représente pour ERDF l'envolée des énergies renouvelables, notamment du photovoltaïque. Je préfère que les moyens financiers d’ERDF soient prioritairement consacrés à sa mission de service public d’amélioration de son réseau de moyenne tension.
M. Jacques Blanc. Tout à fait !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. L'article 3 remplace la procédure actuelle de déclaration des fournisseurs d'électricité par une procédure d'autorisation du ministre chargé de l’énergie.
Les deux articles suivants du projet de loi initial confortent les tarifs réglementés de vente d'électricité.
L'article 4 modifie la définition actuelle des tarifs réglementés pour prévoir qu'ils sont progressivement, et au plus tard au 31 décembre 2015, établis par additions de coûts, en tenant compte du prix de l'ARENH, du coût du complément de fourniture, des coûts d'acheminement ainsi que des coûts de commercialisation. À terme, la CRE reçoit compétence pour proposer les différents tarifs réglementés, mais durant une période transitoire de cinq ans, ceux-ci continuent d'être arrêtés par les ministres chargés de l'énergie et de l'économie.
L'article 5 pérennise les tarifs réglementés de vente d'électricité et de gaz pour les petits consommateurs, en réaffirmant le principe de réversibilité, et les maintient jusqu'au 31 décembre 2015.
Les deux articles suivants du projet de loi adaptent les missions et la composition de la Commission de régulation de l'énergie, la CRE.
L'article 7 ajuste le champ de compétence de la CRE afin de tenir compte de la mise en œuvre de l'ARENH. Il donne notamment compétence à la CRE pour proposer les prix et calculer les droits à l'ARENH. Il étend également le pouvoir de sanction dont dispose la CRE aux cas d'abus ou d'entrave au dispositif de l'ARENH.
L'article 8 prévoit une réduction de neuf à cinq du nombre de membres du collège de la CRE, qui se sera dès lors composée de trois membres, dont le président, nommés par décret, et de deux membres nommés respectivement par le président de l'Assemblée nationale et par le président du Sénat.
J'approuve totalement les objectifs visés par le Gouvernement s'agissant de cet article, à savoir disposer d'un collège resserré et professionnalisé. Il est en effet anormal que seuls trois des neufs membres du collège exercent actuellement leurs fonctions à plein temps et il est malsain que plusieurs membres du collège y représentent les intérêts de certains acteurs du secteur de l'énergie. En outre, à l'article 8, votre commission a rétabli à cinq membres la composition de la CRE, que l'Assemblée nationale avait voulu réduire à trois membres seulement, pour une raison qui continue à m’échapper.
Les deux articles suivants du projet de loi sont relatifs à la transposition des directives du troisième « paquet énergie ».
L'article 9 modifie le code de la consommation afin de transposer les dispositions relatives à la protection des consommateurs.
L'article 10, qui a été supprimé par l'Assemblée nationale, avait pour objet d'autoriser le Gouvernement à prendre par voie d'ordonnances, dans un délai de neuf mois, les dispositions nécessaires à la transposition d'autres dispositions du troisième « paquet énergie ». Il s'agissait par exemple de renforcer l'indépendance des gestionnaires des réseaux de transport d'électricité et de gaz, mais sans séparation patrimoniale ni gestion par une société tierce. Je partage bien sûr la position des députés qui ont estimé cette question politiquement trop importante pour pouvoir être transposée par voie d'ordonnances. Cependant, monsieur le ministre, j’attire votre attention sur le fait que ces directives doivent être transposées avant le 3 mars prochain, et il ne sera pas facile de trouver d’ici là un créneau législatif.
Enfin, le projet de loi initial s'achevait par un article 11 qui autorise les exploitants d'installations nucléaires à étaler dans le temps la charge financière que représente l'obligation de constituer des actifs.
Votre commission a introduit un article 11 bis A, qui prévoit que les gestionnaires de réseaux devront faire aux autorités concédantes un compte rendu annuel sur leur politique d'investissements.
L’Assemblée nationale a également adopté plusieurs dispositions entièrement nouvelles, qui ont complété le projet de loi au-delà de ses onze articles initiaux.
L’article 12 réforme les taxes locales d’électricité afin de les mettre en conformité avec le droit communautaire. Cette réforme est induite par une directive européenne de 2003 : la France a été mise en demeure en mars dernier par la Commission, car cette directive devait être transposée avant le 1er janvier 2009.
L’article 13, qui résulte d’un amendement de M. François Brottes, ajoute la société publique locale, dernièrement créée par la loi du 28 mai 2010 sur l’initiative de notre collègue Daniel Raoul, aux formes juridiques proposées pour la fusion des entreprises locales de distribution.
L’article 14, qui provient d’un amendement du rapporteur de l’Assemblée nationale, confirme que le statut national des entreprises électriques et gazières s’applique également aux activités de commercialisation. C’est une précision nécessaire pour assurer l’égalité des conditions de concurrence entre les fournisseurs historiques et les nouveaux entrants.
Enfin, l’article 15 découle d’un amendement présenté par le Gouvernement pour proroger de six mois l’habilitation qui lui a été donnée pour adopter par voie d’ordonnance la partie législative du code de l’énergie.
Outre les modifications déjà incorporées en juillet au texte que nous examinons aujourd’hui, votre commission vous propose sept amendements additionnels dont les principaux sont les suivants.
Le premier vise à préciser la mise en œuvre du mécanisme d’obligation de capacités.
Le deuxième prévoit un barème national pour le financement par RTE des travaux de mise en souterrain de lignes à haute tension demandés par les collectivités territoriales.
Le troisième donne compétence à la CRE pour surveiller le marché de garanties de capacités.
Le quatrième prévoit un avis des commissions parlementaires compétentes sur la nomination par l’exécutif des deux membres de la CRE autres que son président.
Le cinquième précise les délais de remboursement des trop-perçus par les fournisseurs d’électricité.
Par ailleurs, la commission a décidé de donner un avis favorable à certains des amendements présentés pour la séance publique. Je ne citerai que les principaux d’entre eux : un amendement de M. Danglot prévoyant une publicité sur le site internet de la CRE des accords-cadres entre EDF et les fournisseurs alternatifs ; un amendement de M. Vial précisant que les acteurs intéressés aux prises de participations pourront être aussi bien des fournisseurs d’électricité que des consommateurs électro-intensifs ; des amendements identiques de MM. Pintat, Besson et Collin qui organisent l’attribution automatique du tarif spécial de solidarité pour le gaz ; un amendement de M. Merceron qui précise que le futur marché des garanties de capacités devra prendre en compte l’interconnexion avec les marchés européens ; un amendement de M. Vial qui donne mission à RTE d’organiser un appel d’offres pour la mise en œuvre de capacités d’effacement additionnelles ; des amendements identiques de MM. Pintat, Besson, Merceron et Collin qui prévoient que le compte rendu annuel fait par le gestionnaire de réseau à l’autorité concédante devra porter sur son programme prévisionnel d’investissements.
Enfin, monsieur le ministre d’État, je voudrais évoquer certains points sur lesquels la position du Gouvernement est attendue.
Au travers de nombreux amendements, il est demandé la reconduction des contrats d’obligation d’achat dont bénéficient les petites installations hydroélectriques. Une reconduction pure et simple de l’obligation d’achat n’est pas possible, mais je sais que votre ministère travaille à une solution qui devrait donner satisfaction à ceux des exploitants concernés qui réaliseront de nouveaux investissements.
Plusieurs amendements visent à conférer un caractère automatique à l’attribution du tarif de première nécessité pour l’électricité.
Un amendement de notre collègue M. Adnot propose la prolongation de quelques mois du TARTAM, pour éviter un vide entre la mise en place de l’ARENH et l’arrivée à échéance du dispositif transitoire du TARTAM. Sous réserve d’une rectification, j’y suis favorable. J’attends de connaître votre point de vue, monsieur le ministre d’État.
Plusieurs amendements issus de différents groupes politiques visent à garantir le produit des taxes locales d’électricité en indexant leurs tarifs soit sur l’évolution du barème de l’impôt sur le revenu, soit sur l’inflation. Je sais que le rapporteur pour avis, M. Philippe Marini, fera une proposition intéressante sur cette question.
Un autre amendement de notre collègue Philippe Marini, identique d’ailleurs à ceux de Mme Des Esgaulx et de M. Merceron, prévoit une généralisation du régime d’assurance chômage des entreprises de la branche des industries électriques et gazières. Je ne suis pas certain que cette généralisation soit tout à fait opportune, mais votre ministère s’est engagé à trouver une solution, monsieur le ministre d’État.
Le projet de loi que nous examinons aujourd’hui a fait l’objet d’une large concertation en amont de son adoption par le Gouvernement. J’ai procédé, en tant que rapporteur, à une cinquantaine d’auditions, auxquelles s’ajoutent les six auditions que nous avons faites en commission. Mon sentiment est que le développement d’une concurrence effective devra bénéficier aux consommateurs d’électricité.
Les clauses de rendez-vous prévues tous les cinq ans pendant la durée du mécanisme transitoire de l’ARENH nous permettront de lui apporter les ajustements qui seraient nécessaires. Mais il est de notre responsabilité de concevoir, dès le départ, le meilleur dispositif possible. C’est pourquoi j’appelle tous mes collègues, quelles que soient les travées sur lesquelles ils siègent, à aborder cette discussion dans un esprit constructif, afin que le projet de loi sorte encore amélioré de nos débats. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. Jacques Blanc. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis de la commission des finances. Madame la présidente, monsieur le ministre d’État, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ce texte est original : il innove en organisant un mécanisme de cession forcée…
M. Michel Teston. Eh oui !
M. Roland Courteau. Exact !
M. Jean-Jacques Mirassou. Jusque-là, nous sommes d’accord !
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. … d’une partie – environ un quart – de son électricité nucléaire dite historique par EDF à ses concurrents.
En d’autres termes, puisque aucun autre opérateur n’est capable de produire à des coûts aussi bas qu’EDF, puisqu’il faut absolument qu’EDF soit concurrencée en France, et puisque nul ne veut une augmentation brutale du prix de l’électricité pour nos concitoyens et nos industriels, il convient de faire en sorte que tous les fournisseurs actifs en France puissent capter une partie du bénéfice de la compétitivité du parc électronucléaire d’EDF. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Je comprends que cela puisse susciter des réticences de certains…
M. Roland Courteau. C’est plus que des réticences !
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Monsieur Courteau, si vous me laissiez aller jusqu’au bout de mon propos, vous seriez certainement moins véhément !
En toute franchise, je ne crois pas que la solution qui nous est proposée – même si, bien entendu, je l’accepte par avance – soit complètement satisfaisante sur le plan intellectuel.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Martial Bourquin. C’est un aveu !
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. En effet, je ne considère pas que le modèle français en vigueur de 1946 à 2002 ait failli.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Toutefois, mes chers collègues, le droit communautaire s’impose.
M. Martial Bourquin. Et pour les Roms ?
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Le rapporteur au fond, et avant lui M. le ministre d’État, – mon propos est objectif – a rappelé les très grands risques juridiques auxquels nous exposerait l’inaction : forte amende, astreinte, remise en cause de l’ensemble des tarifs réglementés, voire obligation pour les entreprises, ce qui n’est pas théorique, de rembourser ce qui serait considéré comme une aide d’État. Il est donc de notre devoir d’agir et de réformer.
Je voudrais rappeler en un mot l’origine du droit communautaire en la matière. Nul ici ne doit oublier que la décision de principe a été prise lors du sommet de Barcelone,…
M. Roland Courteau. C’est faux !
M. Jean-Jacques Mirassou. Totalement faux !
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. … qui s’est tenu les 15 et 16 mars 2002, et auquel la France était représentée par son Président de la République, Jacques Chirac, et par son Premier ministre, Lionel Jospin. La France a alors souscrit à la libéralisation des marchés.
M. Roland Courteau. Vous ne connaissez pas l’histoire !
M. Martial Bourquin. On va vous expliquer !
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Et il est vain d’espérer renégocier ces directives, puisque, notre « mix énergétique » étant par définition différent de celui des autres pays, nous ne pourrions que défendre une position isolée.
M. Roland Courteau. C’est vous qui le dites !
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Telle est la réalité ! Nombre d’entre vous ont espéré la renégociation.
M. Roland Courteau. Et nous l’espérons encore !
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. J’ai même interrogé un jour Mme Christine Lagarde, qui était à votre place, monsieur le ministre d’État, et elle n’a pas hésité à répondre qu’il aurait fallu renégocier. Mais telle est la réalité, et nous ne devons pas raconter d’histoires à nos concitoyens et leur faire croire qu’il serait possible de faire bouger les principes et le cadre du droit communautaire.
M. Roland Courteau. Tout est possible ! C’est une question de volonté !
M. Jacques Blanc. Mais non ! Vous êtes des marchands d’illusions !
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Il y a là une vérité juridique et contrôlable, qu’il est de notre devoir d’aménager le mieux possible.
Mes chers collègues, j’estime sincèrement que le mécanisme qui nous est proposé offre sans doute le cadre le plus régulé que l’on puisse raisonnablement espérer et qui soit compatible avec le droit communautaire.
M. Jean-Jacques Mirassou. C’est une dérégulation régulée !
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Faute de pouvoir réguler en aval, en contrôlant les prix de vente aux clients, nous régulerions en amont, au niveau de la relation entre le producteur et le fournisseur.
M. Jean-Jacques Mirassou. C’est un leurre !
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Chers collègues de l’opposition, j’espère que vous serez d’accord avec moi sur ce point : cela vaut toujours mieux qu’une absence totale de régulation qui laisserait « naturellement » les prix rejoindre ceux du marché libre, c'est-à-dire le prix de production de la centrale la moins performante et la plus polluante en Europe.
M. Jean-Jacques Mirassou. C’est ce qui arrivera !
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Laisser fonctionner un marché libre sans frein et sans régulation conduirait à un désastre du point de vue tant du pouvoir d’achat des consommateurs que de la compétitivité de notre appareil industriel.
Le fondement du texte qui nous est soumis est un échange de lettres entre le Premier ministre et les deux commissaires européens. Cet aval informel nous a tout de même permis d’avancer, tout comme les travaux de la commission Champsaur ont débouché sur un consensus économique et technique qui nous permet d’offrir de la visibilité aux consommateurs d’électricité.
La commission des finances a donc souhaité apporter son soutien au concept sur lequel repose ce texte, mais nous voudrions souligner que le succès de cette législation nécessairement complexe repose sur le respect de quatre conditions.
La première est que nous soyons intransigeants sur l’euro-compatibilité. Je sais que cette position est nécessairement partagée par la commission de l’économie. Il n’est pas possible dans cette discussion parlementaire de prendre le moindre risque avec un amendement qui ne serait pas strictement euro-compatible.
La deuxième condition réside dans l’évolution dans le temps du mécanisme d’accès régulé à l’électricité nucléaire historique. Que va devenir le plafond de 100 térawattheures par an ? Comme notre excellent rapporteur M. Ladislas Poniatowski et comme l’Autorité de la concurrence, je pense que ce plafond a vocation à baisser au fil du temps. Aujourd’hui, nous devons nous montrer prudents, car, nous le savons, nous travaillons sous l’œil de nos excellents amis de la Commission européenne.
Mme Nathalie Goulet. Et du Luxembourg ! (Sourires.)
M. Jean-Jacques Mirassou. D’une Luxembourgeoise ! (Nouveaux sourires.)
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Mais il devrait être clair, y compris aux yeux de Bruxelles, que l’objectif de long terme de la nouvelle organisation du marché de l’électricité devrait être l’émergence d’une concurrence réelle à EDF, fondée sur la maîtrise d’outils de production compétitifs, et non sur la perpétuation d’une concurrence largement artificielle, quelque peu « sous perfusion », de l’opérateur historique.
De ce point de vue, se pose la question, fort opportunément évoquée par M. le rapporteur, de la prise de participation minoritaire dans des centrales gérées par EDF, ce qui pourrait permettre de développer dans notre pays un réel marché compétitif.
La troisième condition du succès de ce texte réside dans l’adéquation du prix de l’électricité cédée par EDF à ses concurrents au travers du mécanisme de l’ARENH. Or la rédaction me semble quelque peu ambiguë.
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. « Initialement », est-il affirmé, ce prix doit être fixé « en cohérence avec le TARTAM ». Nous gagnerions à dire, à titre de bons travaux préparatoires, ce qu’il faut entendre par là.
M. Roland Courteau. C’est le moins que l’on puisse dire !
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Comme je l’ai indiqué dans le rapport écrit de la commission des finances, mon interprétation de cette phrase est qu’il s’agit, au départ, de fixer un prix tel qu’un client au TARTAM puisse se voir proposer une offre de marché d’un niveau de prix identique, compte tenu de l’ensemble des coûts subis par les opérateurs ainsi que d’une marge raisonnable, c’est-à-dire relativement réduite. (M. Jean-Jacques Mirassou s’exclame.)
Ensuite, une fois passée cette phase initiale, le prix de l’électricité cédée devra procurer à EDF une « juste rémunération », en tenant compte de ses coûts de production, d’une rémunération normale de son capital et des besoins d’investissement du groupe. Je n’entrerai certes pas ici dans le détail technique, mais il convient, me semble-t-il, d’insister sur le fait que ce prix doit permettre à EDF d’investir dans de nouveaux moyens de production…
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Martial Bourquin. Tout de même !
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Vous voyez que nous sommes d’accord sur certains points !
MM. Roland Courteau et Martial Bourquin. Pas sur tous !
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. … et que, s’agissant de la valeur de son parc nucléaire historique, une solution raisonnable devrait pouvoir émerger, conduisant à lui conférer une valeur significative, même s’il s’agit d’un parc déjà amorti d’un point de vue comptable.
Enfin, le dernier élément sur lequel je voudrais mettre l’accent, monsieur le ministre d’État, monsieur le secrétaire d'État, qui est propre à assurer le succès de la réforme que vous nous proposez, c’est le caractère incontestable de l’arbitre vers lequel vont se tourner tous les acteurs du marché et en qui ils doivent avoir une confiance totale.
Or, le Gouvernement, quels que soient ses membres, ne peut remplir ce rôle. Il est nécessairement en conflit d’intérêts car il est le protecteur des citoyens, le gardien de la compétitivité de nos entreprises.
M. Jean-Jacques Mirassou. Il ne faut pas non plus exagérer !
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Mais si ! C’est sa fonction !
Par ailleurs, le Gouvernement est l’expression de l’actionnaire majoritaire d’EDF. Ce sont des points de vue et des préoccupations nécessairement un peu contradictoires. Les préoccupations de régulation générale peuvent ne pas recouper, à un moment donné, les préoccupations de l’actionnaire qui se trouve aussi, par ailleurs, être un actionnaire significatif du second énergéticien, GDF Suez.
Si le Gouvernement ne peut pas remplir ce rôle, c’est tout naturellement au régulateur que ce dernier incombe, c’est-à-dire à la Commission de régulation de l’énergie, la CRE. C’est dans cette logique que je demande avec constance, sans être pour le moment entendu par la commission et par le Gouvernement – mais peu importe, cela viendra un jour – que la CRE, comme d’autres régulateurs, bénéficie de la personnalité morale et de l’autonomie financière. Cela me semblerait de nature à renforcer sa position et à améliorer encore la perception de son impartialité, notamment du point de vue des autorités communautaires.
M. Jean-Jacques Mirassou. Ça, c’est vrai !
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Mes chers collègues, je suis heureux d’apporter, au nom de la commission des finances, mon soutien total à la commission de l’économie et au travail très impressionnant qu’elle a réalisé. (M. Roland Courteau s’exclame.)
Je dirai à présent quelques mots sur l’article 12 du projet de loi, puisque c’était l’objet de la saisine plus particulière de la commission des finances. Nous devons cet article à l’initiative toujours fertile et utile de notre collègue député de la Marne, Charles de Courson ; il s’agit en effet d’une réforme d’importance pour les collectivités territoriales car les taxes locales sur l’électricité représentent un produit de l’ordre de 1,4 milliard d’euros pour les communes, les groupements de communes, les syndicats intercommunaux exerçant la compétence d’autorité organisatrice de la distribution d’électricité et les départements.
Là encore, il s’agit de se mettre en conformité avec le droit communautaire, à savoir une directive de 2003 restructurant le cadre communautaire de taxation des produits énergétiques et de l’électricité.
Notre régime en vigueur contrevient à plusieurs principes figurant dans cette directive. En particulier, les taxes visées par le texte doivent être assises sur des quantités et non sur le prix de l’électricité consommée ; en outre, elles ne doivent pas présenter de caractère optionnel. Nous sommes déjà très en retard et la Commission a adressé à la France le 18 mars dernier un avis motivé, ce qui est l’ultime étape avant la saisine de la Cour de justice de l’Union européenne. (M. Roland Courteau s’exclame de nouveau.)
Il nous est donc proposé ici de transformer les taxes locales en accises, dont les fournisseurs d’électricité seraient les redevables. Ces accises auraient deux tarifs et il appartiendrait ensuite aux collectivités bénéficiaires d’appliquer un coefficient multiplicateur.
Pour 2011, une traduction automatique des taux actuellement pratiqués par les collectivités territoriales bénéficiaires serait effectuée. Même s’il est difficile de comparer de manière rigoureuse les assiettes, il nous a semblé que les nouveaux tarifs retenus correspondent à une bonne sauvegarde des recettes des collectivités territoriales dont il s’agit et même à une légère majoration du rendement actuel des taxes locales sur l’électricité.
Comme actuellement, les syndicats intercommunaux – ou, le cas échéant, les départements – exerçant la compétence d’autorité organisatrice de distribution d’électricité pourront se substituer aux communes pour encaisser la taxe, cette substitution étant de droit pour les communes de moins de 2 000 habitants relevant d’un tel syndicat.
Pour compléter le dispositif, il est prévu, au profit de l’État, une taxe intérieure sur les consommations finales d’électricité – nous n’avons pas le choix au plan du droit communautaire, mais c’est finalement une bonne opportunité –, qui sera perçue par la direction générale des douanes et des droits indirects ; elle s’appliquera aux consommations des clients dont la puissance souscrite dépassera 250 kVA. Ces entreprises n’entrent pas dans le champ des taxes locales sur l’électricité ; or la directive, dont je vous disais qu’elle n’autorise plus de système optionnel, impose de taxer tout le monde.
Monsieur le ministre d’État, c’est une œuvre utile que vous faites pour le budget de l’État puisque cela représentera 75 millions d'euros en année pleine. Ce n’est pas un montant considérable, mais cela mérite d’être salué.
En conclusion, la réforme des taxes locales sur l’électricité a beaucoup évolué, et dans le bon sens, depuis que le Gouvernement a essayé de l’insérer dans le collectif budgétaire de la fin de l’année 2008. À ce moment-là, nous n’avions pas pu soutenir le Gouvernement dans son initiative, car il s’agissait d’imposer un taux unique sur l’ensemble du pays, censé rendre « en moyenne » aux collectivités le produit qu’elles collectaient.
Dans le nouveau schéma, l’autonomie fiscale des collectivités territoriales est totalement respectée puisque lesdites collectivités garderont la maîtrise de leurs recettes et devraient presque toutes retrouver leur produit actuel, beaucoup pouvant même escompter un produit supérieur.
Il vous est donc proposé, mes chers collègues, d’adopter cet article, au prix de quelques améliorations que je présenterai le moment venu.
Nous avons souhaité étudier de près cet article 12 dans le contexte actuel des finances locales, contexte que nous avons évoqué depuis le début de l’après-midi et qui conduit naturellement à ne négliger aucune espèce de recette, dans la mesure où elle est nécessaire à la poursuite de nos activités d’intérêt général. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, dans une discussion générale, il est normal de rappeler les principes auxquels nous sommes attachés.
S’il est en effet un domaine dans lequel la France peut être fière de la politique menée par deux républiques successives, c’est bien la production et la distribution d’électricité. Si aujourd'hui la France est mise en demeure par l’Europe, c’est qu’elle a résisté, à juste titre, mais la résistance à certains choix européens est à géométrie variable selon les dossiers.
M. Martial Bourquin. Très bien !
M. Jacques Mézard. Le préambule de la constitution de 1946 disposait : « Tout bien, toute entreprise, dont l’exploitation a ou acquiert les caractères d’un service public national ou d’un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité ».
Le 8 avril 1946, c’était la loi de nationalisation de 1 450 entreprises qui donna naissance à EDF, établissement public à caractère industriel et commercial, devenu un fleuron de notre économie et de notre pays.
M. Roland Courteau. C’est bien de le rappeler !
M. Jacques Mézard. De l’hydroélectricité avec le barrage de Tignes en 1952 jusqu’au lancement en 1963 de la centrale de Chinon, puis l’aventure réussie de la filière nucléaire, toutes les politiques furent assumées et partagées par la grande majorité des Français.
Nous disposons donc d’un appareil de production performant, exemplaire dans le monde, et d’une énergie électrique à un coût très raisonnable pour nos concitoyens.
Pourquoi remettre en cause ce qui fonctionnait très bien, à la satisfaction générale ?
MM. Roland Courteau et Martial Bourquin. Très bien !
M. Jacques Mézard. Pour l’Europe, les entreprises d’État sont-elles un anachronisme, un frein au développement, alors qu’aujourd’hui même en Chine les sociétés sous contrôle de l’État – leur puissance, leurs bénéfices – sont le fer de lance, l’arme lourde de ce pays-continent en pleine expansion ?
M. Roland Courteau. Voilà !
M. Jacques Mézard. La construction européenne à laquelle notre groupe est très attaché se poursuit économiquement autour d’un dogme, d’une obnubilation : la concurrence partout, pour tout, quelles qu’en soient les conséquences.
Mme Mireille Schurch. C’est exact !
M. Roland Courteau. Effectivement !
M. Jacques Mézard. Au nom de ce dogme, fallait-il que la France fragilise l’un de ses plus beaux fleurons ?
M. Jacques Mézard. Fallait-il que le France admette un système qui, loin de préserver les tarifs raisonnables pour les consommateurs, augure pour l’avenir – et c’est un comble au nom de la concurrence – un renchérissement du coût de l’énergie électrique ?
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Jacques Mézard. Certes, monsieur le secrétaire d’État, il faudra augmenter les tarifs, mais pour financer l’allongement de la durée de vie des centrales nucléaires et aussi, il faut le dire, pour alléger le poids du rachat de l’électricité solaire.
Nous ne doutons pas que le projet de loi que vous nous présentez et le travail réalisé par notre rapporteur, Ladislas Poniatowski, aient pour objet de limiter les conséquences néfastes pour notre filière nationale des directives européennes. Ce texte sera-t-il un rempart suffisant ? Malheureusement, rien n’est moins sûr.
Comment ne pas regretter l’incapacité de notre pays sous des gouvernements divers – et je ne me lancerai pas dans la polémique sur la responsabilité des uns et des autres – à peser davantage sur la rédaction des directives européennes qui, aujourd’hui, nous posent problème – celle du 19 décembre 1996, puis celle du 26 juin 2003 abrogeant la précédente et généralisant la concurrence dans le secteur privé ?
C’est sur ces bases que la Commission européenne conteste la compatibilité du fonctionnement actuel du marché français avec les deux procédures d’infraction, l’une pour défaut de transposition de la directive de 2003, et l’autre remettant en cause les tarifs réglementés vert et jaune ainsi que le tarif réglementé transitoire d’ajustement du marché, avec, pour couronner le tout, la décision du 30 décembre 2006 du Conseil constitutionnel…
Le projet de loi vise manifestement à limiter les dégâts face aux foudres de Bruxelles. Nous le comprenons et nous ne doutons pas, monsieur le secrétaire d’État, de votre attachement à la préservation de la filière française de production et de distribution de l’électricité. De là à dire que nous approuvons ce qui se réalise, il y a un large pas, que ne franchira pas la grande majorité du groupe RDSE.
La nouvelle organisation du marché de l’électricité a notamment pour objet de réguler l’accès à la production nucléaire des fournisseurs actifs en France en mettant en place à titre transitoire un accès régulé et limité à l’électricité nucléaire historique, l’objectif étant de permettre aux concurrents d’EDF de disposer d’une production nucléaire compétitive et non d’augmenter les prix pour les consommateurs. Cela n’est-il pas très optimiste ? J’ai bien écouté M. le rapporteur pour avis, qui nous a fait part de ses inquiétudes.
Certes, le mécanisme de cession forcée du quart de la production aux concurrents devra assurer une juste rémunération à EDF. On va vers une régulation « en amont ».
L’article 4 du projet de loi prévoit que tous les fournisseurs alternatifs pourront concurrencer les tarifs réglementés d’EDF d’ici à cinq ans, mais au terme d’un mécanisme complexe dont on ne discerne pas clairement les véritables effets.
De la même manière, l’avenir est incertain en ce qui concerne l’évolution de la quantité d’électricité nucléaire à céder. Pour nous, il est primordial que, sur le sol national, l’investissement productif soit privilégié afin de sécuriser l’approvisionnement de la France. Et qui, mieux qu’EDF, peut le faire ? Placer entre les mains de multinationales étrangères la capacité de production énergétique de la France ne serait pas raisonnable. Nous nous inquiétons pour le service public et pour notre indépendance énergétique, comme nous nous inquiétons de la destruction des tarifs réglementés et des risques d’augmentation des coûts pour les usagers.
Je tirerai deux conclusions. La première est positive, mes chers collègues : manifestement, la grande majorité de cet hémicycle affirme son soutien à la filière nucléaire nationale,…
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Très bien !
M. Jacques Mézard. … comme en atteste d’ailleurs la motion tendant à opposer la question préalable de nos collègues socialistes. Nous nous en réjouissons.
La seconde est moins positive : ce débat montre une fois de plus que nos concitoyens ne peuvent avoir une bonne image de la construction européenne, le dédale réglementaire servant à enrober une approche qui se veut libérale. Pour notre part, nous considérons que libérer doit se conjuguer et se moduler, même si c’est difficile, avec des dispositifs de régulation. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – Mme Nathalie Goulet applaudit également.)
M. Martial Bourquin. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Danglot.
M. Jean-Claude Danglot. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, en 1946, Électricité de France et Gaz de France naissaient, « dressés comme des cathédrales ». Il s’agissait, en application des décisions du Conseil national de la Résistance,…
M. Jean-Claude Danglot. … de mettre sur pied deux grands ensembles industriels au service de la nation.
Cette victoire industrielle retentissante a rendu possible une autre victoire, celle du statut national qui s’est traduit pour les électriciens et les gaziers par une avancée sociale et démocratique en termes de garantie d’emploi, de rémunération et de retraite.
Aujourd’hui, le Gouvernement, que ce soit avec le projet de loi NOME ou le texte relatif aux retraites, revient sur ces décisions uniques qui ont marqué un tournant décisif pour notre pays.
Le projet de loi NOME, comme la privatisation de GDF et la logique libérale qui guide désormais la gestion des opérateurs historiques, pose la question de la dimension que l’on veut donner aux politiques industrielles, en particulier aux politiques énergétiques.
Il y a plus de soixante ans, Marcel Paul, ministre communiste, défendait la nationalisation d’EDF en expliquant qu’il fallait « créer les conditions d’un équipement énergétique du pays conforme aux besoins de la nation, adapté à ses besoins tant dans les domaines de l’industrie que dans celui des usages domestiques » et il clamait haut et fort devant l’Assemblée nationale constituante : « il s’agit d’un problème de vie pour le pays ».
Mes chers collègues, nous nous trouvons à un tournant crucial, et ce problème de vie se pose avec une urgence et une actualité édifiantes.
Comme hier, il s’agit de déterminer la politique énergétique de demain, de définir les nouveaux moyens de production, de garantir notre indépendance énergétique, la pérennité de nos installations et le droit d’accès à l’énergie. Mais il s’agit également de permettre à notre industrie d’exister et à nos bassins d’emploi, saignés à blanc par les logiques de marché, de survivre et de vivre.
Depuis l’an 2000, le secteur énergétique a été très gravement touché par l’introduction de la concurrence et de la déréglementation. Les conséquences ont été nombreuses : hausse des prix de l’énergie, comme en témoigne la mise en place du TARTAM, le tarif réglementé transitoire d’ajustement du marché, pour les consommateurs non domestiques ; implantation anarchique des moyens de production ; absence de cohérence des investissements ; insuffisance des investissements sur les réseaux de transport et de distribution ; fermeture des moyens de production de proximité. Et c’est encore la concurrence qui a justifié le découpage des entreprises en filiales, la destruction des monopoles publics et la création d’oligopoles privés !
Face aux défis économiques et sociaux qu’il nous faut relever, le projet de loi NOME porte une atteinte sans précédente, inédite, tant dans la forme que sur le fond, à la production énergétique en s’attaquant à la production d’origine nucléaire et en détournant les atouts qu’elle présente.
Et cela dans quel but ? Sauver nos usines, aider nos concitoyens à supporter le coût des besoins énergétiques, financer la recherche fondamentale ? Évidemment, non ! Il s’agit, au nom de la concurrence, en raison de tarifs que le Gouvernement juge trop bas, de favoriser les opérateurs privés sur le marché français.
Avec ce projet de loi, monsieur le secrétaire d’État, vous renoncez au but unique qui devrait guider l’action de n’importe quel gouvernant : la satisfaction de l’intérêt général. Ce texte constitue non pas une politique industrielle, mais un simple accord commercial.
Ainsi, au nom de la concurrence libre et non faussée, on impose à EDF de vendre un quart de sa production d’énergie nucléaire. On lui impose les contrats, leur contenu, leur durée, les cocontractants, le prix.
Au nom de ce principe dicté par l’Europe, l’État va garantir aux opérateurs privés des profits, au seul bénéfice de leurs actionnaires. Le Gouvernement brade une part substantielle de la production des centrales nucléaires, lesquelles ont été construites grâce à des emprunts souscrits par EDF, garantis par l’État et remboursés par le produit de la vente de l’électricité.
Cette conception des missions de l’État et le détournement de ses outils industriels suffisent à eux seuls à rendre inacceptable le projet de loi qui nous est soumis.
Cependant, il me semble utile d’entrer dans le détail du dispositif pour montrer à quel point il serait irresponsable de s’engager dans une telle voie.
Le dispositif acté à l’article 1er, en sus du hold-up qu’il organise, présente l’inconvénient majeur d’être assez obscur.
D’une part, il est prévu que le volume global d’électricité de base pouvant être cédé ne peut excéder 100 térawattheures par an. Or M. Fillon, dans la lettre qu’il a adressée au commissaire européen Neelie Kroes en septembre 2009, parlait déjà de ce plafond, mais en le présentant comme un plancher. Il ajoutait : « Une clause de rendez-vous garantira en tout état de cause l’adaptation à la hausse du niveau du plafond si celui-ci est atteint de manière répétée ou bien si la concurrence se développait de manière déséquilibrée ». Peut-être, monsieur le secrétaire d’État, pourriez-vous nous donner des indications afin que nous puissions lire la loi à la lumière des arrangements passés avec la Commission ?
D’autre part, rien n’est inscrit précisément dans le projet de loi en ce qui concerne l’augmentation du plafond en raison des pertes de réseaux, qui seraient de 30 térawattheures selon le rapport. Il est renvoyé à un décret.
Ensuite, sur le prix de cession, le flou artistique règne. Nous avons entendu Henri Proglio dénoncer un « pillage » au-dessous de 42 euros le mégawattheure. M. Borloo, lui, se veut rassurant. Il s’est interrogé devant les députés : « Pourquoi donc êtes-vous angoissés à l’idée que c’est le Parlement de la France qui va décider de la composition du prix de l’énergie nucléaire ? » La réponse est pourtant limpide : en l’état actuel, la liste des éléments qui devraient être pris en compte est insuffisante et cela ne gêne pas la majorité parlementaire !
En outre, il est inscrit noir sur blanc que c’est la Commission de régulation de l’énergie qui propose le prix.
Enfin, le problème des conséquences de cette vente sur la hausse des tarifs reste entier.
La CRE l’a dit elle-même : si le prix de 42 euros le mégawattheure est retenu, cela représentera un coût « supérieur de 36 % au coût actuel de l’électricité de base d’origine nucléaire », qui est de 30,9 euros.
Selon l’autorité administrative indépendante, EDF va donc naturellement relever les tarifs bleus de 11,4 % une fois la réforme votée, puis de 3,5 % par an entre 2011 et 2025.
M. Roland Courteau. C’est vrai !
M. Jean-Claude Danglot. Il en sera de même pour les tarifs consentis aux entreprises. Cela étant dit, un prix inférieur mettrait EDF encore plus en péril. En bref, le dispositif est bancal et ne permet pas d’assurer des tarifs justes.
Dans ce contexte, si la disparition en 2015 des tarifs verts et jaunes pour les professionnels est actée dans le projet de loi, l’évolution des tarifs appliqués aux particuliers va sérieusement les dénaturer.
En bref, il ressort des articles 4 et 5 que le Gouvernement maintient sémantiquement les tarifs réglementés, mais qu’il n’assure plus leur réglementation.
M. Jean-Jacques Mirassou. Exact !
M. Jean-Claude Danglot. Au-delà des tarifs, on constate une accélération du désengagement de l’État, qui se double d’ailleurs d’une externalisation des missions régaliennes attachées à la politique énergétique.
Le rôle accru de la Commission de régulation de l’énergie, qui est l’un des grands axes du texte, et la règle selon laquelle le silence du ministre vaut acceptation et son refus doit être motivé sont révélateurs de cette tendance.
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Jean-Claude Danglot. La seule et unique préoccupation est d’aligner les tarifs de l’énergie vers le haut afin de favoriser les distributeurs privés.
À aucun moment il n’est question du financement des installations et des réseaux. À aucun moment il n’est prévu de solution sérieuse pour assurer le développement des moyens de production de demain, pour favoriser l’efficacité énergétique.
M. le rapporteur nous contredira certainement en brandissant l’article 2, censé assurer la sécurité d’approvisionnement et constituer la contrepartie du cadeau fait au privé.
Contrairement à l’article 1er, cet article n’est guère contraignant. Les fournisseurs d’électricité devraient disposer de capacités de production ou d’effacement, et ce dans un futur incertain puisque le délai de trois ans incompressible ne court qu’à partir de la publication du décret d’application.
De plus, il est aussitôt mentionné que ces capacités peuvent être directes ou indirectes, ce qui permet la création d’un marché d’échanges.
Si l’intention est louable, monsieur le rapporteur, il reste que, pour assurer la sécurité d’approvisionnement et développer une filière industrielle, il est nécessaire d’anticiper sur le développement des moyens de production, sur les infrastructures nécessaires et sur les compétences dans toutes les filières.
L’article 2 est loin du compte ! Cela n’est guère étonnant quand on sait que, depuis le début du processus de libéralisation des privatisations et d’éclatement du secteur énergétique, l’État ne s’est jamais préoccupé de mettre en cohérence les projets des différents groupes industriels intervenant dans le secteur.
D’ailleurs, l’anticipation n’est pas le fort du projet de loi. À ce titre, je voudrais revenir sur l’article 11 qui relègue la question du démantèlement des centrales. Cette décision est très grave. Cela montre que le Gouvernement est conscient qu’il porte un coup dur à EDF. Et le choix est fait de réaliser des économies sur les déchets nucléaires.
De plus – et là je ne parle pas du coût du démantèlement –, la loi NOME risque d’avoir des effets néfastes sur les capacités à investir dans le prolongement de la durée de vie des réacteurs. Après accord de l’Autorité de sûreté nucléaire, il faudrait 600 millions d’euros par tranche, soit 35 milliards s’ajoutant aux investissements liés à la production, mais aussi à toute la chaîne qui va de la production au consommateur.
Enfin, sur la question du nucléaire, il est urgent que l’entreprise publique revienne sur sa décision d’externaliser ses activités de maintenance, cela afin de répondre aux enjeux de sûreté et de garanties sociales de haut niveau pour l’ensemble des salariés travaillant sur le parc nucléaire. Il est important de protéger et de former correctement les salariés du secteur. À ce titre, nous avions demandé que, en conformité avec les engagements que le Gouvernement avait pris en 2004, le statut défini à l’article 47 de la loi de 1946 puisse s’appliquer à tous les « commercialisateurs » d’électricité sans dérogations, ce qui n’est pas acté par l’article 14 du projet de loi.
En ce qui concerne l’article 12, il vise à imposer aux usagers une taxation complémentaire obligatoire au seul motif de l’harmonisation européenne. Notons que, accessoirement, cette petite mesure permettrait à l’État de dégager des recettes complémentaires de TVA.
Au milieu de tout cela, quelques mesures pourraient être sauvées si elles n’étaient pas neutralisées par le dispositif d’ensemble. L’article 1er bis, relatif au fonds de solidarité pour le logement, n’apporte rien de nouveau et, surtout, ne règle nullement les problèmes d’accès à ce fonds et de financement – notamment avec les conséquences financières de la réforme des collectivités territoriales.
L’extension de la contractualisation de capacités d’effacement aux consommateurs raccordés aux réseaux de distribution, prévue à l’article 2 bis, est une pierre au milieu du désert alors qu’il faudrait bâtir une forteresse.
Je tiens à rappeler que l’information du distributeur n’avait même pas été envisagée. C’est dire les cloisonnements existants pour le Gouvernement entre les éléments de l’ancienne entreprise intégrée.
L’article 9 et l’article 9 bis nouveau, qui étend le champ des compétences du médiateur national de l’énergie, ne sont pas négatifs. Cependant, en l’état actuel de la législation et au regard des pratiques abusives de certains opérateurs, on le sait, la protection du consommateur n’est pas encore suffisante. Je prends comme exemple les démarchages abusifs à domicile de commerciaux d’opérateurs privés, qui se faisaient passer pour de faux agents d’EDF, dont ont été victimes des personnes dans ma région.
En définitive, seul l’article 10, qui supprime l’habilitation du Gouvernement à transposer par ordonnances les directives relatives au marché intérieur de l’énergie, peut trouver grâce à nos yeux.
Mes chers collègues, les sénateurs du groupe communiste, républicain, citoyen et du parti de gauche condamnent fermement le projet de loi de nouvelle organisation du marché de l’électricité. Ils s’opposent au projet futur envisagé de privatisation de centrales nucléaires. Ils constatent que le Gouvernement n’est pas en capacité de mettre en œuvre une politique industrielle qui, au nom de l’intérêt général, assure les moyens de production au niveau des besoins de la population entière et de notre industrie.
En conclusion, je m’adresserai plus particulièrement à M. Marini, qui a beaucoup insisté sur l’Europe : quand cela vous intéresse, vous savez tenir tête à l’Europe, et même détourner la loi communautaire, et disant cela, je pense notamment aux Roms. Et, quand notre peuple se prononce clairement – il ne faut tout de même pas l’oublier – par référendum contre cette Europe libérale, là aussi, vous savez détourner la souveraineté nationale. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
Organisation des débats
M. Jean-Paul Emorine, président de la commission de l'économie. Afin de faciliter la discussion de l’article 1er du projet de loi, que nous aborderons vraisemblablement demain, je souhaiterais que nous procédions à une discussion séparée de l’amendement n° 154 de notre collègue Jean-Claude Danglot et des membres du groupe CRC-SPG. En effet, cet amendement propose une nouvelle rédaction globale pour cet article. Un examen séparé éviterait que les 51 amendements déposés sur l’article 1er ne soient mis en discussion commune, ce qui risquerait d’être source de confusion pour nos débats.
Mme la présidente. Il n’y a pas d’opposition ?...
Il en est ainsi décidé.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente-cinq.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures trente-cinq, est reprise à vingt et une heures trente-cinq.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
13
Communication du Conseil constitutionnel
Mme la présidente. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le 27 septembre 2010, qu’en application de l’article 61-1 de la Constitution le Conseil d’État a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité (2010-71 QPC).
Le texte de cette décision de renvoi est disponible au bureau de la distribution.
Acte est donné de cette communication.
14
Nouvelle organisation du marché de l'électricité
Suite de la discussion d'un projet de loi
(Texte de la commission)
Mme la présidente. Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, portant nouvelle organisation du marché de l’électricité.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Jean-Claude Merceron.
M. Jean-Claude Merceron. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, la France a fait un choix politique audacieux et un choix de société en décidant de bâtir sa politique énergétique autour de l’électricité nucléaire à partir des années soixante-dix.
Ce choix visionnaire permet à la France de disposer aujourd’hui d’un parc nucléaire qui nous est envié par de nombreuses puissances, car il couvre près de 80 % de notre production d’électricité sans émission de dioxyde de carbone, l’énergie hydraulique couvrant en outre 12,5 % supplémentaires.
La France a vu émerger des champions de l’industrie énergétique et dispose aujourd’hui d’une capacité installée supérieure à sa consommation, sauf en période de pointe.
Certes, le traitement des déchets nucléaires reste le talon d’Achille de cette politique, mais – il faut le reconnaître – nous profitons aujourd’hui largement des avantages que procure l’existence du parc nucléaire historique.
En effet, au-delà des avantages écologiques en termes d’émissions de dioxyde de carbone, l’électricité nucléaire assure, une fois l’investissement réalisé, une électricité bon marché.
Ce faible coût est répercuté sur les tarifs réglementés de l’électricité française, 30 % moins chère que nos voisins européens, voire 35 % moins chère qu’en Allemagne, première puissance industrielle européenne.
En outre, à l’heure où l’approvisionnement en matières fossiles commence à susciter de vraies luttes géopolitiques et où les cours des marchés sont volatiles, notre indépendance énergétique est une force.
Bien sûr, cet héritage, qu’on appelle le « nucléaire historique », n’est pas sans limites. C’est pour cela qu’il faut se garder de raisonner en termes d’« avantages acquis ».
Première limite, l’électricité bon marché et en quantité aujourd’hui suffisante n’incite que peu au développement de nouvelles capacités de production et au renforcement de l’efficacité énergétique, alors même que cela paraît nécessaire pour atténuer les effets de la hausse structurelle de la demande. Je pense notamment à l’équipement des ménages et à la densification des réseaux de transports électrifiés.
Deuxième limite, la situation française n’est pas régulière au regard du droit communautaire. Les tarifs réglementés, qui ont diminué de 35 % à 40 % en vingt-cinq ans, sont assimilés à des aides d’État et provoquent l’ire de la Commission, car ils ne permettraient pas de couvrir le coût « réel » de l’électricité achetée par les opérateurs concurrents.
C’est justement cette considération tarifaire ainsi que le quasi-monopole d’EDF sur les moyens de production et la commercialisation de l’électricité qui ont déclenché l’injonction de Bruxelles de réorganiser le marché français de l’électricité.
C’est donc une réorganisation « forcée » à laquelle nous procédons aujourd’hui, résultant d’un compromis a minima âprement négocié entre le Gouvernement et la Commission européenne.
Sa portée se limite à des mesures « transitoires », qui ont vocation à conformer le marché français de l’électricité jusqu’en 2025, selon les recommandations de la commission Champsaur, dont je salue le travail.
Mais si le projet de loi est une réponse politique a priori suffisante au regard de la Commission, il n’est pas évident que le subtil équilibre de ce texte contente, en cas de recours, la Cour de justice de l’Union européenne, plus dogmatique dans la défense des principes de concurrence et l’interdiction des mesures assimilables à des aides d’État.
En effet, il faut le reconnaître, le projet de loi portant nouvelle organisation du marché de l’électricité, ou NOME, reste timoré au regard du droit de la concurrence.
D’une part, le projet de loi limite les avancées concurrentielles aux seuls aspects commerciaux de la vente d’électricité, qui représentent seulement 7 % du prix de l’électricité.
D’autre part, dans sa rédaction actuelle, le projet de loi ne favorise pas la concurrence dans la production d’électricité.
Par exemple, en fixant un prix de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique, l’ARENH, « en cohérence » avec le tarif réglementé transitoire d’ajustement du marché, le TARTAM, on permet, au mieux, à partir de 2015, d’instituer une concurrence sur le marché des industriels, mais évidemment pas sur le marché des particuliers.
Or ceux-ci représentent 86 % des sites et un tiers de la consommation d’électricité. En outre, ce sont eux qui sont les principaux destinataires de la politique engagée afin d’améliorer l’efficacité énergétique domestique, comme les comportements de maîtrise de la consommation énergétique, et qui stimuleront en conséquence la diversité et la qualité des offres commerciales en fourniture énergétique. On peut notamment penser au développement industriel d’un réseau dit « communicant », en expérimentation à Tours et à Lyon.
Bien entendu, théoriquement, l’ouverture à la concurrence sur ces sites résidentiels existe depuis 2007. Mais le ciseau tarifaire entre les prix de marché et les tarifs réglementés en a fortement limité la portée. En effet, seuls 5 % d’entre eux ont souscrit une offre auprès d’opérateurs alternatifs, contre 50 % en Grande-Bretagne, depuis la libéralisation de leur marché.
En ce sens, le projet de loi vise à atteindre un objectif que nous soutenons, mais il le fait de manière trop imparfaite, en évinçant de la concurrence l’activité de production et le segment de marché des particuliers.
Voilà pourquoi nous proposons un amendement visant à réduire le ciseau tarifaire entre l’ARENH et les tarifs réglementés, et à favoriser l’investissement dans les moyens de production, afin que le projet de loi constitue un cadre pour une concurrence saine et durable.
Il faut, d’ailleurs, tordre le cou à une idée reçue selon laquelle la concurrence affaiblirait notre champion EDF : le marché de l’énergie n’est pas un gâteau dont la multiplication des parts réduirait d’autant leur taille.
Le marché de l’énergie s’envisage au-delà de nos frontières nationales dans un cadre communautaire et l’activité peut se diversifier autour d’offres annexes, qui font grossir d’autant la taille du gâteau. C’est pour cette raison, d’ailleurs, que nous proposerons un amendement visant à prévoir que l’obligation de capacité des producteurs d’électricité doit tenir compte des interconnexions avec le marché européen.
Si le mécanisme de l’ARENH semble répondre a minima aux attentes de Bruxelles, il s’avère insuffisant pour inciter les opérateurs alternatifs à effectuer des investissements pourtant porteurs d’avenir dans les moyens de production de base.
Il faudrait, au contraire, appliquer la citation de Confucius : quand un homme a faim, mieux vaut lui apprendre à pêcher que de lui donner un poisson.
M. Roland Courteau. C’est bien vrai !
M. Jean-Claude Merceron. Or, le mécanisme de l’ARENH est un poisson donné aux opérateurs alternatifs : sa pérennité n’est pas assurée et sa portée en termes de concurrence durable dans la production d’électricité n’est pas optimale.
Pour agir de manière durable en faveur d’un marché concurrentiel de l’énergie en France, il ne faudrait pas se contenter de céder aux opérateurs alternatifs à prix coûtant un certain volume d’électricité nucléaire ; il conviendrait aussi de leur apprendre à pêcher, c’est-à-dire les inciter à investir dans des moyens de production propres.
Cette vision est partagée par plusieurs de mes collègues du groupe de l’Union centriste. Nous ferons, par conséquent, des propositions constructives pour assurer un fonctionnement optimal du marché de l’électricité.
Tout d’abord, nous proposons de fixer le prix de l’ARENH en cohérence non pas avec le seul TARTAM, mais également avec le coût de production de l’énergie électrique tel qu’il est comptabilisé dans la formation des tarifs réglementés de l’électricité. L’idée est la suivante : quel que soit le prix de l’ARENH, les prix de revente aux consommateurs finaux devront permettre à l’acteur historique et aux acteurs alternatifs de dégager une marge suffisante pour procéder aux investissements qui assureront l’avenir de notre politique énergétique après 2025.
M. Jean-Jacques Mirassou. Il suffit d’y croire !
M. Jean-Claude Merceron. En conséquence, il faut faire de l’approche transitoire proposée par le projet de loi un levier pour le développement de nouvelles capacités de puissance françaises de pointe, mais aussi de base. Car si les capacités sont suffisantes jusqu’en 2025, ce ne sera plus le cas après cette date.
Le rapport de la commission Champsaur expose en effet qu’« il serait nécessaire de mettre en service […] de 700 à 1 000 gigawatts de nouvelles centrales sur l’ensemble de l’Europe pour remplacer les centrales vétustes et faire face à l’accroissement – au demeurant relativement modeste – de la demande d’électricité ».
Or le « temps de mise en œuvre » de ces nouveaux moyens de production étant excessivement long, entre la décision d’investissement, la construction et la mise en service, il est nécessaire d’anticiper l’après-ARENH dans le présent projet de loi.
Outre ces considérations concurrentielles, le groupe de l’Union centriste proposera également un amendement visant à atténuer la tendance structurellement à la hausse des tarifs réglementés, qui devraient, à terme, converger vers les tarifs de marché. J’en profite pour rappeler que ce mécanisme est structurel et indépendant du projet de loi. Il faut bien financer le coût de l’allongement puis du renouvellement du parc nucléaire français. Dans cette perspective, mon groupe a déposé deux amendements visant à rendre automatique le bénéfice de tarifs particuliers pour les plus démunis.
Il est en effet possible d’avoir une approche libérale de l’économie tout en étant soucieux d’en corriger les effets pervers auprès des populations les plus fragiles. C’est du moins dans cet esprit que les membres de l’Union centriste aborderont le débat.
Enfin, le groupe de l’Union centriste sera attentif à ce que la Commission de régulation de l’énergie soit un régulateur fort et indépendant, capable de fixer les prix sur la base de considérations économiques et non politiques, de surveiller les pratiques concurrentielles et d’anticiper les besoins d’investissement dans les capacités de production.
Pour clore cette intervention, je souhaite simplement formuler un souhait afin de corriger une faiblesse du projet de loi. La réussite de la nouvelle organisation du marché de l’électricité tiendra à la visibilité que les opérateurs industriels pourront avoir sur l’après-ARENH. Or le projet de loi ne prévoit pas de sortie progressive du mécanisme de l’ARENH, ce qui est regrettable.
De même, la détermination d’une stratégie claire en termes de politique énergétique pour les quarante prochaines années serait souhaitable, afin que la politique nucléaire ne subisse pas la même insécurité juridique que celle que connaît aujourd’hui la filière photovoltaïque. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Roland Courteau. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Roland Courteau. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, monsieur le rapporteur pour avis, mes chers collègues, « la loi NOME : dernier avatar d’un processus délétère », ai-je pu lire quelque part.
Désormais, vu l’enchaînement des épisodes précédents, la question est posée : à quand le coup de grâce pour le système français de l’électricité ?
Il s’agit, pourtant, d’un système que la France avait construit avec succès en 1946, après avoir tiré les leçons d’un passé confié aux compagnies privées de l’eau et de l’éclairage.
Ainsi, alors que dans le même temps on assiste à la montée en puissance d’énormes intérêts privés, nombreux sont ceux qui parlent de revanche sur 1946.
Il est un peu trop facile d’évoquer les exigences européennes alors que les plus libéraux d’entre vous prennent appui sur ces mêmes exigences pour mieux détricoter notre système énergétique. Je rappellerai à la majorité que très souvent elle est allée bien plus loin que ce qu’exigeait l’Union européenne. Je reviendrai sur ce point ultérieurement.
Cela dit, dans quelle nouvelle galère nous pousse encore le rouleau compresseur libéral alors que partout dans le monde l’ouverture à la concurrence et la libéralisation connaissent un retentissant échec ?
En effet, pour tous ceux qui ont cru aux comptes fantastiques de la fée libérale, le retour sur terre est amer. Dans quel imbroglio kafkaïen nous a-t-on fourrés depuis 2002 et quel monument de complexité nous proposez-vous là ? Et dire qu’un slogan publicitaire claironne : « nous vous devons plus que la lumière » ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.) Tout cela pour aboutir à une concurrence forcée, factice, artificielle. C’est ubuesque !
Vous proposez ainsi de contraindre EDF à céder 25 % de sa production à la concurrence. C’est le fameux accès régulé à l’électricité nucléaire historique, l’ARENH. Mais à quel prix ! EDF ne demande pas moins de 42 euros par mégawattheure, soit le prix du TARTAM. GDF-Suez, par exemple, ne revendique pas plus de 34 euros ou de 35 euros le mégawattheure. Je vous fais observer, chers collègues, que la différence entre 34 euros et 42 euros représente 800 millions d’euros.
M. Daniel Raoul. Un détail !
M. Roland Courteau. Un écart d’un seul euro, en plus ou en moins, de l’ARENH se traduit par 100 millions d’euros, en plus ou moins, pour EDF ou pour les fournisseurs privés. Et comme le prix de l’ARENH est renvoyé à des mesures réglementaires, ce qui, paraît-il, donne déjà bien du plaisir aux fonctionnaires du ministère, nous allons assister, au fil des ans, à une bataille sans fin pour empocher cette rente nucléaire.
M. Daniel Raoul. Eh oui !
M. Roland Courteau. Rien n’y changera, car le projet de loi NOME est par nature instable. Mais, surtout, et quoi que l’on nous dise, ce texte est un texte d’augmentation des prix.
Je m’explique. À quel niveau sera fixé le prix de l’ARENH ? Peut-être à 42 euros le mégawattheure. Peut-être par la suite à un niveau plus bas. Or 1 euro ou 2 euros, c’est tout de même 100 millions ou 200 millions d’euros de moins pour EDF. Mais dans ce cas, il faudra bien accorder une compensation à EDF, en autorisant, par exemple, une augmentation des tarifs pour les ménages et les petits consommateurs.
M. Daniel Raoul. Eh oui !
M. Roland Courteau. D’ailleurs, la mécanique infernale a déjà été enclenchée, par anticipation, en plein 15 août, jour de « l’assomption électrique » (Rires et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.),…
M. Daniel Raoul. Très bien !
M. Roland Courteau. … avec une augmentation de 3 % à 5,5 %.
La Commission de régulation de l’énergie, la CRE, a d’ailleurs annoncé que les tarifs bleus pourraient augmenter d’environ 11 % pour 2011 et ensuite de 3,5 % par an. Au final, les cadeaux en faveur des fournisseurs alternatifs seront payés par les consommateurs.
Certes, les tarifs réglementés seront maintenus pour les ménages, mais, à terme, d’augmentation en augmentation, nous irons vers un rapprochement des tarifs réglementés avec les prix du marché, donc vers la disparition des tarifs réglementés. N’est-ce pas en fait l’objectif visé ? C’est alors que, pour faire passer la pilule, de belles explications nous seront fournies.
J’imagine qu’on nous dira, sur tous les tons, que l’énergie est rare, donc chère, et qu’il faut investir dans de nouveaux moyens de production, donc payer l’électricité plus chère.
Peut-être nous dira-t-on même qu’à quelque chose malheur est bon et que l’augmentation des prix obligera les consommateurs à économiser l’électricité, ce qui sera très positif pour l’environnement. Je parie que l’on osera nous dire que cette augmentation est vertueuse. (Sourires sur les travées du groupe socialiste.) Ainsi sera noyée la responsabilité des augmentations de prix.
Il n’est pas sûr, cependant, que l’on évoquera la baisse du pouvoir d’achat des ménages, l’aggravation de la précarité énergétique ou l’atteinte grave à la compétitivité de nos entreprises.
M. Daniel Raoul. Effectivement !
M. Roland Courteau. Sur ce point, je ferai une remarque : à partir de 2015, votre projet supprime les tarifs verts et jaunes, tandis que l’extinction du TARTAM est programmée.
L’étude d’impact semble montrer que les entreprises ne rencontreront pas de problèmes. Elles bénéficieront grâce à l’ARENH d’une électricité à un prix d’équilibre inférieur à celui du marché. Or rien n’est moins sûr.
Par exemple, aujourd’hui, dans de nombreux cas, le TARTAM couvre toute la consommation du client. Demain, l’ARENH devra être majoré, d’abord de la marge du fournisseur, mais aussi de la part complémentaire d’électricité que le consommateur devra acheter au prix du marché. Par conséquent, déjà, le coût sera plus élevé.
Par ailleurs, certains économistes font remarquer qu’après la disparition des tarifs jaunes et verts et du TARTAM, l’ARENH – 100 térawattheures – ne couvrira pas la totalité des besoins des industriels estimés à plus de 232 térawattheures. D’où un phénomène de rareté, et donc un alignement des prix sur la bourse de gros de l’électricité. D’où des prix en forte augmentation. Déjà, la SNCF annonce qu’elle sera obligée d’augmenter ses tarifs.
M. Daniel Raoul. Eh oui !
M. Roland Courteau. Quelles seront les conséquences de ce texte pour nos territoires quand on sait que le prix de l’électricité est un facteur important de localisation industrielle ou de délocalisation ? (Très juste ! sur plusieurs travées du groupe socialiste.)
Mais tout le monde ne perdra pas à ce jeu.
Les gagnants seront les fournisseurs privés, qui empocheront une partie de la rente. Les perdants seront les consommateurs, qui, eux, ne la percevront plus.
Bref, au nom du dogme de la concurrence, on saborde l’un de nos principaux avantages compétitifs. Les industriels apprécieront !
Pour l’heure, ce n’est donc pas un concert de louanges qui accompagne ce projet de loi. J’entends parler de « spoliation d’un bien commun », de « patrimoine bradé », de « mise en concurrence forcenée », de « texte juridiquement fragile ».
D’autres, comme vous, monsieur le rapporteur, font cependant remarquer que « Si le nouveau système donne des parts de marché aux concurrents sans contrepartie en investissements, nous aurons tout raté. »
Vous avez même fait connaître la crainte qui était la vôtre que cette loi ne fonctionne que partiellement. Vous avez indiqué que, dans ce cas, vous pourriez faire d’autres propositions, mais elles ne nous conviennent pas davantage. Nous nous en expliquerons lors de la discussion des articles.
Monsieur le rapporteur, il est erroné de dire, comme vous l’avez fait tout à l’heure, qu’il y a eu ouverture du capital pour les centrales nucléaires de Fessenheim, de Cattenom, de Bugey. Non, il n’y a pas de prise de participation capitalistique. En revanche, il existe des contrats en participation, ce qui n’est pas du tout la même chose – nous reviendrons sur ce point au cours de la discussion des articles. Dans ces cas-là, il n’y a aucun droit de gouvernance ni de participation aux décisions financières ou industrielles.
M. Daniel Raoul. Effectivement !
M. Roland Courteau. Voilà donc où nous en sommes, chers collègues. Et tout cela, depuis huit ans, sur fond de maelström législatif européen et français.
Et tout cela, d’ailleurs, sur fond de promesses non tenues. Souvenez-vous : « Il n’y aura pas de privatisation d’EDF et de GDF, c’est clair, c’est simple et c’est net », avait déclaré le ministre des finances Nicolas Sarkozy à Chinon. Il ajoutait : « Je veux décliner ces deux valeurs que sont la confiance dans la parole donnée et le respect… » (Sourires sur les travées du groupe socialiste.), avant de conclure : « Je n’ai pas envie de mentir aux Français, je pense que cela fait trop longtemps que le débat politique souffre d’un manque d’authenticité, d’honnêteté. » (Applaudissements sur les mêmes travées.)
Deux ans après, GDF était privatisé ! Une fois de plus, mesdames, messieurs de la majorité, vous êtes allés plus loin que ce qu’exigeait l’Europe.
M. Daniel Raoul. C’est vrai !
M. Roland Courteau. Et le rouleau compresseur libéral a continué d’avancer, alors que, partout dans le monde, l’augmentation des prix, la panne de l’investissement sont au rendez-vous de la libéralisation et de l’ouverture à la concurrence. Partout, les prix ont flambé : 49 % d’augmentation en Allemagne, 81 % au Royaume Uni, 92 % au Danemark… Pour la France, dès l’ouverture du marché aux gros consommateurs, même musique ! À tel point qu’il a fallu inventer – et je sais que vous y êtes pour quelque chose, monsieur le rapporteur – le tarif réglementé transitoire d’ajustement du marché, le fameux TARTAM. Ailleurs dans le monde, on a fait marche arrière ; en Europe et en France on persiste !
La recherche de la concurrence – le fameux dogme de la concurrence – est toujours une fin en soi, à tel point que, faute de pouvoir la faire émerger, y compris aux forceps, dans un secteur comme celui de l’énergie, incompatible avec les mécanismes concurrentiels, il vous faut aujourd’hui la créer artificiellement, quitte à casser ce qui a fonctionné parfaitement bien pendant plus de cinquante ans.
Toujours, ce trouble obsessionnel de la concurrence, le fameux TOC qu’aime à citer mon collègue Daniel Raoul, éminent spécialiste. (Sourires sur les travées du groupe socialiste.) Partout dans le monde, on constate l’échec patent de la libéralisation et on persiste malgré tout à faire confiance à la main invisible du marché comme moyen de réguler.
Il semblerait même que la doctrine soit la suivante : le libéralisme ne marche pas, parce la libéralisation n’est pas poussée assez loin ! Donc, on s’enfonce plus encore. Mais quand on arrive au fond du trou, chers collègues de la majorité, il faut impérativement arrêter de creuser ! Observez ce qui se passe dans le monde : les pionniers de la libéralisation tous azimuts semblent avoir enfin compris qu’il est temps de faire marche arrière.
Alors, que reproche-t-on à la France ? D’avoir des prix trop bas ! En clair, on nous reproche d’avoir réussi à bâtir un modèle à part, cité en exemple dans le monde entier. Bref, un vrai crime de lèse-concurrence !
Pour nous récompenser d’avoir pris des risques financiers et industriels, on nous demande aujourd’hui, au nom de la sacro-sainte concurrence, de brader nos productions et notre patrimoine commun. On nous demande d’amputer EDF d’une partie de sa production, cédée à prix coûtant aux opérateurs privés. Bel exemple de concurrence artificielle ! Étrange exemple de concurrence non faussée ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Odette Herviaux et M. Daniel Raoul. Bravo !
M. Jacques Blanc. Mais on ne peut pas se passer de concurrence !
M. Roland Courteau. En fait, on demande d’une certaine manière au secteur public, jugé peut-être trop performant, de subventionner la concurrence qui, elle, ne l’est pas assez… (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
« On marche sur la tête », disait Marcel Boiteux. « Quand les bornes sont franchies, il n’y a plus de limites… ». Je voudrais bien que l’on m’explique où se trouve, dans tout cela, l’intérêt général du pays.
Je rappellerai aussi que la finalité de la création du marché européen était l’intérêt des consommateurs. (M. Jacques Blanc s’exclame.) Je vois que M. Jacques Blanc est arrivé ! Or, les consommateurs sont, aujourd’hui, les véritables laissés-pour-compte.
M. Jacques Blanc. C’est scandaleux d’entendre ça !
M. Roland Courteau. Par ailleurs, n’oublions jamais que l’acceptation du nucléaire par les Français passe par une politique tarifaire juste et par le maintien dans un pôle public de notre appareil de production. Gardons-nous d’oublier que l’électricité est un bien indispensable, non stockable, de première nécessité et non une simple marchandise.
M. Jacques Blanc. Notre pays a besoin de vendre de l’électricité et d’en acheter !
M. Roland Courteau. Gardons-nous d’oublier que la précarité énergétique est un mal qui est en train de toujours plus progresser. Gardons-nous d’oublier qu’après avoir été un vecteur de correction des inégalités sociales et territoriales, le secteur de l’énergie ne doit pas contribuer au creusement des inégalités ! Se chauffer représente aujourd’hui 15 % du budget d’un ménage modeste, contre 6 % pour les catégories aisées... Et demain, monsieur Jacques Blanc ? Arrêtons les frais !
Aujourd’hui, le problème n’est plus de faire baisser les prix, mais d’accepter ou non de les laisser monter pour s’aligner progressivement sur ceux du marché. Beau résultat que voilà ! Où est l’intérêt du consommateur ? On nous avait dit qu’il fallait ouvrir l’électricité à la concurrence pour faire baisser les prix, et voilà qu’aujourd’hui il faut les augmenter pour permettre la concurrence. Oui, on marche sur la tête !
Pourtant, les fondements d’une alternative existent.
Prenons l’article 90 du traité de Rome, devenu article 106, paragraphe 2, de la nouvelle version du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Il stipule, notamment, que « les entreprises chargées de la gestion des services d’intérêt économique général ou présentant le caractère d’un monopole fiscal sont soumises aux règles des traités, notamment aux règles de concurrence, dans les limites où l’application de ces règles ne fait pas échec à l’accomplissement, en droit ou en fait, de la mission particulière qui leur a été impartie.» Qui peut affirmer ici que le service de l’électricité ne relève pas de cette mission particulière ?
Voilà une voie que l’on aurait dû emprunter, afin d’exonérer du respect des règles strictes de la concurrence certains services publics d’intérêt général, comme celui de l’énergie. Je rappelle que, lors du Conseil informel « Énergie » de septembre 2010, plusieurs ministres représentant plusieurs États membres ont reconnu que la concurrence ne faisait pas baisser les prix : les choses bougent, elles commencent à évoluer.
De plus, pourquoi n’avoir jamais soutenu, comme les groupes socialistes (M. Jacques Blanc s’exclame.) l’ont toujours demandé, l’adoption d’une directive-cadre sur les services publics d’intérêt général, pour écarter précisément le secteur énergétique des règles de la concurrence ? Ce projet de directive-cadre est toujours réalisable. D’ailleurs, le groupe socialiste du Parlement européen a déposé une proposition de directive.
Dois-je une fois de plus rappeler, quitte à me répéter, que Lionel Jospin avait obtenu, lors du sommet de Barcelone de mars 2002 – avec M. Chirac ! –, que soit inscrit dans les conclusions le principe d’une directive-cadre sur les services d’intérêt économique général. (M. Jacques Blanc s’exclame de nouveau.) Pourquoi les différents gouvernements de droite en place depuis 2002 n’ont-ils jamais cherché à infléchir l’approche de l’Union européenne dans un secteur aussi stratégique que celui de l’énergie ? En vérité, cette évolution leur convenait parfaitement !
En effet, c’est bien le gouvernement Juppé qui a signé, en 1996, la première directive ouvrant aux industriels le marché de l’énergie. Et c’est bien le gouvernement de M. Raffarin qui, le 25 novembre 2002, a accepté l’ouverture totale du marché, faisant sauter ainsi le verrou posé par le gouvernement Jospin à Barcelone.
M. Jacques Blanc. Ce n’est pas vrai !
M. Roland Courteau. En fait, plusieurs lois ont transposé les directives européennes, en 2000, en 2003, en 2004 et en 2006. Oh ! je sais que l’on va me dire qu’un gouvernement de gauche était aux commandes en 2000. Effectivement ! Mais je vous rappelle que la directive a été transposée a minima, en mettant tout en œuvre pour préserver le service public de l’électricité.
J’entends encore les cris d’indignation de sénateurs ou de députés de droite de l’époque. Par exemple, notre ex-collègue Revol, rapporteur de ce projet de loi, n’a pas cessé de dénoncer le choix du gouvernement Jospin d’effectuer « une transposition tardive et insuffisamment libérale ». Il regrettait que la France choisisse de limiter au minimum le degré d’ouverture du marché aux professionnels. Par exemple, à l’Assemblée nationale, M. Borotra, ancien ministre, s’exclama fièrement : « Le projet de loi que vous nous présentez est la transcription, à votre façon, d’une directive que j’ai eu l’honneur de négocier au nom du Gouvernement. » Et il ajouta que ce projet de loi était « un parcours d’obstacles pour limiter l’exercice de la concurrence et vider de l’essentiel de son contenu la libéralisation du marché ».
Voilà qui est clair !
Combien de parlementaires de droite s’étaient réjouis, en novembre 2002, lorsque la ministre Nicole Fontaine accepta l’ouverture totale du marché à la concurrence. Je me souviens que l’on se congratulait alors à droite : on se félicitait même de ce compromis qui n’était en fait rien d’autre qu’une capitulation. La suite, on la connaît, et il a bien fallu déchanter !
Depuis, d’ailleurs, on n’arrête pas de légiférer, de rapiécer et d’administrer des soins palliatifs. Combien de textes depuis 2000 ? Huit ? Neuf ? Dix ? Et combien d’autres après le présent projet de loi ?
Et pour nous convaincre qu’avec le projet de loi portant nouvelle organisation du marché de l’électricité, ou NOME, nous allons entrer dans un monde merveilleux, l’étude d’impact du Gouvernement, aveuglément optimiste, tente de nous faire croire que tout le monde sera gagnant. Un monde merveilleux, vous dis-je, avec plus de visibilité, plus d’incitation à investir, plus de garanties pour les consommateurs, uniques bénéficiaires de bas coûts de l’électricité et, bien évidemment, aucun effet d’aubaine ! La réalité, hélas ! ne sera pas si idyllique.
Concernant, par exemple, la visibilité annoncée par l’étude d’impact, à y regarder de plus près, nous serions plutôt dans le brouillard des incertitudes, mais nous y reviendrons ultérieurement. En fait, l’expérience nous montre que plus un dispositif est complexe, plus il conduit à un grand nombre de changements, donc à une moindre visibilité, toutes choses nuisibles à l’économie !
Quel sera ensuite l’effet NOME sur les investissements ? Négatif, affirment certains économistes. L’étude d’impact se contente d’affirmer, sans le démontrer, que la NOME induira des incitations appropriées… Nous sommes peut-être éblouis, mais pas éclairés pour autant !
De plus, de façon surprenante, la NOME, qui se présente comme un dispositif transitoire, ne prévoit aucun mécanisme crédible de sortie de la régulation, comme une décroissance progressive et échelonnée des volumes de l’ARENH, cédés aux fournisseurs alternatifs. À l’exception d’un éventuel rapport qui, en 2015, pourrait se pencher sur ce problème, vous ne prévoyez même pas leur sevrage. Ils voudront donc conserver le biberon le plus longtemps possible. Mais alors, quel intérêt auront-ils à investir ?
EDF sera-t-elle incitée à investir, si supportant 100 % des risques, elle doit céder une partie de ses bénéfices à ses concurrents ? Dès lors, notre système électrique ne va-t-il pas connaître des défaillances ?
Avant de conclure, je souhaiterais soulever un dernier problème : ce projet de loi pourrait bien constituer aussi une source d’insécurité juridique au niveau européen.
M. Daniel Raoul. Eh oui !
M. Roland Courteau. Il s’agit de la question de la portée de la clause de destination qui figure à l’article 1er, même si d’aucuns ne veulent pas le reconnaître.
Cette disposition résistera-t-elle aux foudres de Bruxelles ? Je ne le crois pas. L’accord Fillon-Kroes ne sera pas suffisant si une plainte est déposée par un client résidant dans un autre État membre, pour restrictions incompatibles avec les règles du marché intérieur. Notez qu’il y a le précédent des poursuites contre GDF et E.ON. Mais je reviendrai sur ce point lors de la discussion des articles.
Pour conclure, ce projet de loi s’avère d’une grande complexité, qui nécessitera de nombreux réajustements, au point que je me demande si, en raison de nombreuses incertitudes, vous n’allez pas nous présenter, sous peu, monsieur le secrétaire d’État, un nouveau projet de loi, destiné à corriger celui-ci et puis un autre encore, qui corrigera le précédent... et ainsi de suite !
Nous avons déposé un certain nombre d’amendements de suppression. D’autres amendements tendront également à ouvrir d’autres voies que celle de la libéralisation totale du marché de l’énergie. En effet, quel intérêt doit primer ? Celui des consommateurs français, ou celui des opérateurs privés, au nom de la sacro-sainte concurrence ?
Bref, nous essaierons, mes chers collègues, de vous convaincre, tout au long de ces débats, du bien-fondé de nos positions. Mais, comme l’affirmait un parlementaire, « une panne d’électricité laisse l’aveugle indifférent », et j’ai bien peur qu’il en soit de même pour le Gouvernement. Mais, si vous deviez adopter ce texte tel quel, chers collègues, ne l’appelez plus jamais NOME, baptisez-le DOME, comme « désorganisation du marché de l’électricité ». (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – M. Yvon Collin applaudit également.)
M. Jacques Blanc. Ce n’est pas possible !
Mme la présidente. La parole est à M. Benoît Huré.
M. Martial Bourquin. Cela ne va pas être facile après une telle intervention !
M. Benoît Huré. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, ce projet de loi portant nouvelle organisation du marché de l’électricité vise un objectif clair : assurer à chaque consommateur des prix de l’électricité compétitifs, représentatifs des coûts de production du parc français, quel que soit le choix du fournisseur, chaque fournisseur alternatif pouvant approvisionner ses clients en France à partir d’électricité acquise auprès d’EDF au coût complet du parc nucléaire historique.
L’équilibre entre droits et devoirs des fournisseurs est ainsi trouvé : les fournisseurs alternatifs ont un droit à acquérir de l’électricité auprès d’EDF, ce dernier a un devoir de vendre de l’électricité aux fournisseurs alternatifs à un prix couvrant les coûts complets. Les fournisseurs alternatifs ont un devoir de contribuer à la sécurité d’approvisionnement, ce qui entraîne une mutualisation de cette charge aujourd’hui assumée uniquement par EDF.
Ce texte est à la fois important et indispensable. Important, car il conserve les avantages du système actuellement en vigueur, tout en corrigeant ses imperfections : il place ainsi notre pays sur la voie d’une organisation pérenne, novatrice et conforme aux enjeux d’avenir. Indispensable, parce que l’organisation actuelle du marché de l’électricité en France n’est pas satisfaisante et qu’il fallait, au risque d’un conflit ouvert avec les autorités européennes, trouver un nouvel équilibre en refondant la régulation du secteur.
Il s’agit de protéger les consommateurs qui continueront à bénéficier de prix de vente de l’électricité fondés sur les coûts du nucléaire, mais il s’agit aussi, et peut-être surtout, d’offrir un cadre stable et propice à l’investissement.
En effet, le cœur du débat qui nous réunit aujourd’hui, c’est le financement des investissements nécessaires pour la production d’électricité : le nucléaire, bien entendu, mais également la pointe, qui est l’un des sujets majeurs auxquels nous sommes aujourd’hui confrontés.
À ce sujet, je tiens à insister sur le remarquable rapport élaboré par le groupe de travail sur la maîtrise de la pointe électrique coprésidé par nos collègues Bruno Sido et Serge Poignant.
Le contexte européen est aussi une des raisons d’un changement nécessaire. Actuellement, la concurrence en Europe n’est pas très développée. Pire, notre pays est menacé par un contentieux avec la Commission de Bruxelles, au sujet du fameux dispositif TARTAM, et des tarifs réglementés pour les moyennes et grandes entreprises, avec un risque non négligeable pour nos entreprises de devoir rembourser des milliards d’euros.
La suspicion d’aide d’État en faveur des consommateurs existe bel et bien. Nous ne pouvons pas être les mauvais élèves de l’Europe…
Mme Odette Herviaux. Ça dépend pour quoi !
M. Martial Bourquin. Et pour les Roms, cela n’a-t-il pas été possible ?
M. Benoît Huré. … et il est important de réagir.
À ce contentieux pour aide d’État s’ajoute un deuxième contentieux avec Bruxelles pour non-transposition de la directive de 2003, avec une sévère critique de l’existence des tarifs réglementés. Cela nous expose à une condamnation par la Cour de justice de l’Union européenne à des astreintes et à l’extinction des tarifs réglementés. L’enjeu n’est pas mince !
Je le sais, monsieur le secrétaire d’État, le Gouvernement récuse les griefs de la Commission, mais le risque est réel et il ne vaut pas la peine d’être couru.
Aujourd’hui, nul ne peut le contester, une réforme du marché est absolument nécessaire. Nous savons que la Commission renoncera aux contentieux si la nouvelle organisation du marché de l’électricité est mise en place dans les plus brefs délais.
Je vous rappelle, mes chers collègues, que la Commission européenne a ses propres solutions : le démantèlement pur et simple d’EDF et la suppression de toute forme de régulation.
Mme Nathalie Goulet. C’est déjà fait !
M. Benoît Huré. La solution du Gouvernement est la seule voie de passage équilibrée qui s’inscrit dans le marché européen de l’électricité.
Pour assurer sa pérennité, le projet de loi relatif à la nouvelle organisation du marché de l’électricité, dit NOME, doit donc être compatible avec l’ouverture des marchés en Europe, et ainsi donner à tous les acteurs la possibilité de faire des propositions innovantes de services, d’économie d’énergie. Aujourd’hui, seule EDF peut y parvenir, les autres acteurs étant étranglés par leurs coûts d’approvisionnement. Il fallait donc assurer aux concurrents d’EDF le moyen de servir leurs clients dans des conditions de prix comparables à celles d’EDF.
Comme je le disais au début de mon propos, en dehors des critiques de Bruxelles, l’organisation actuelle du marché de l’électricité n’est pas satisfaisante. Elle est très complexe et peu lisible. Les consommateurs se trouvent cloisonnés dans des catégories hermétiques et quelquefois incohérentes.
M. Daniel Raoul. …et dépassées !
M. Benoît Huré. Elle est instable et n’a pas abouti, car elle est fondée sur des dispositifs transitoires.
Ainsi, l’organisation actuelle du marché de l’électricité ne permet pas d’assurer la prévisibilité absolument majeure en matière d’investissement.
Le rapport Champsaur est, à ce sujet, très clair et je ne reviendrai pas sur son contenu. Je salue le remarquable travail effectué par la commission Champsaur, où siégeaient plusieurs parlementaires, dont notre rapporteur Ladislas Poniatowski. Il a abouti à une proposition très claire pour sortir de l’impasse dans laquelle nous nous trouvions. (M. Roland Courteau s’exclame.)
Dans son projet de loi, le Gouvernement a choisi de suivre les recommandations, assez consensuelles au niveau national, de la commission Champsaur. La solution consiste à obliger EDF, l’opérateur historique, à céder aux fournisseurs alternatifs une partie de sa production d’origine nucléaire, à hauteur de 100 térawattheures, soit environ 25 % de cette production, et ce au prix coûtant, afin de développer la concurrence mais aussi de préserver l’avantage que les Français peuvent et doivent tirer de l’existence du nucléaire, qui est un élément important de la compétitivité de nos entreprises.
Le dispositif proposé réalise trois objectifs majeurs : assurer la compétitivité des entreprises françaises, sécuriser les approvisionnements et permettre à la concurrence d’exister. Pour cela, différents mécanismes ont été prévus. Je n’y reviendrai pas, notre rapporteur ayant parfaitement expliqué le système mis en place.
Je note simplement que le prix de cet accès régulé à l’électricité nucléaire historique ne sera pas un prix bradé, comme on peut l’entendre ici ou là, mais un prix complet, couvrant toutes les charges réelles du parc nucléaire historique d’EDF. Il n’y a donc aucun hold-up ni aucune spoliation d’EDF !
M. Roland Courteau. C’est vous qui le dites !
M. Benoît Huré. Il faut simplement que ce prix ne soit pas instable, qu’il ne fluctue pas et qu’il assure à EDF une situation financière saine.
Par ailleurs, le projet de loi inscrit la nécessité d’investir dans le parc électrique, par la mise en place d’une obligation de capacité de production pour les fournisseurs. Cela est avantageux pour EDF, qui ne sera plus seule à assurer la sécurité d’approvisionnement. L’incitation à l’investissement est donc au centre de ce texte ; c’est la situation actuelle qui est peu favorable à l’investissement.
Un autre point important est le maintien au profit des particuliers du tarif régulé, sans date. Ainsi, s’ils le souhaitent, les consommateurs peuvent bénéficier d’un accès à l’électricité selon un tarif fixé par les pouvoirs publics – en fait par le pouvoir politique –, sur proposition du régulateur, la Commission de régulation de l’énergie, ou CRE.
En outre, le système de tarifs pour les entreprises disparaîtra progressivement jusqu’en 2015. À cette date, il ne pourra plus y avoir de tarifs pour les entreprises. Seuls les particuliers conserveront le bénéfice des tarifs régulés, qui sont par conséquent confortés et pérennisés.
On ne peut pas dire que la régulation est supprimée ! Le texte prévoit davantage de régulation là où il y en avait si peu. La loi du 10 février 2000, proposée par le Gouvernement socialiste de l’époque, a ouvert le marché de l’électricité aux grandes entreprises sans précautions ni sans garde-fous.
Notre majorité a commencé dès 2002 à corriger les effets néfastes de cette ouverture débridée pour aboutir aujourd’hui à ce texte qui régule les prix de gros, les prix à la sortie de production.
Ce projet de loi a fait le choix d’une régulation différente mais toujours forte du marché de l’électricité. C’est l’essentiel à nos yeux.
On entend dire ici ou là qu’il pourrait y avoir des augmentations de tarifs : ce n’est évidemment pas le cas, cela n’a aucun rapport ! (M. le secrétaire d’État opine. – Protestations sur les travées du groupe socialiste.) Il faut le dire clairement. Ce texte ne traite pas du niveau des tarifs de l’électricité,…
M. Martial Bourquin. C’est bien ce qu’on lui reproche !
M. Benoît Huré. … il organise les rapports entre fournisseurs d’électricité. Le prix de notre énergie est en moyenne de 30 % inférieur à la moyenne européenne. (M. Roland Courteau s’exclame.) Il faut maintenir, pour les consommateurs et les industriels, cet avantage. Les tarifs réglementés pour les petits consommateurs sont maintenus et le prix payé par le consommateur final reflète strictement les charges du système électrique français et leur évolution.
Par ailleurs, la concurrence sera favorisée au profit du consommateur, notamment en matière d’innovation.
Avant de conclure, monsieur le secrétaire d’État, je souhaite, au nom du groupe UMP, vous dire notre conviction en matière d’énergie nucléaire. Elle n’est pas sans rapport avec le projet de loi que nous examinons.
Nous sommes convaincus qu’il faut assurer l’avenir de la filière nucléaire française. Celle-ci est un élément stratégique de la politique énergétique et industrielle de la France. Le rapport Roussely a fait des propositions très importantes ; la balle est dans le camp du Gouvernement. Des décisions ont déjà été prises mais il faut aller plus loin pour conforter et pérenniser l’industrie nucléaire dans notre pays. C’est un enjeu national de première ampleur que seul l’État peut poursuivre avec succès.
Mes chers collègues, nous devons prendre nos responsabilités. Avec ce texte, nous avons relevé un premier défi : parvenir à un équilibre entre, d’une part, la protection du consommateur français qui continuera à bénéficier des avantages que lui apporte l’électricité nucléaire et, d’autre part, l’ouverture au marché, réclamée par Bruxelles et nécessaire pour assurer une saine concurrence. Ce cadre législatif lisible et cohérent doit assurer le financement des lourds investissements qui nous attendent.
D’autres défis se profilent, notamment l’avenir du nucléaire civil.
Tel est l’enjeu de ce texte auquel le groupe UMP apportera tout son soutien. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et au banc des commissions.)
Mme la présidente. La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, l’énergie est probablement l’un des défis majeurs auquel sera confronté l’ensemble des pays lors de la prochaine décennie.
Pourtant, la politique énergétique européenne est encore à construire. Aujourd’hui, elle repose avant tout, comme en beaucoup de matières, sur le recours à la concurrence, afin d’éviter la constitution ou le maintien de monopoles.
En cassant les chaînes intégrées du producteur au consommateur final, cette politique européenne en gestation cherche à construire artificiellement des marchés où les prix pourraient se former librement, sur le modèle du pétrole.
Malheureusement, cela fonctionne rarement. C’est ainsi que plusieurs États fédérés américains ont entrepris un retour sur la libéralisation de leur secteur énergétique, en s’appuyant pour cela sur le modèle français.
Plus proche de nous, en Grande-Bretagne, l’autorité régulatrice a fait, elle aussi, part de son inquiétude quant aux conséquences de la libéralisation sur les investissements de long terme, la sécurité des approvisionnements et l’efficacité énergétique.
En effet, deux ruptures sont venues modifier le cadre de référence de la politique de libéralisation : d’une part, la lutte contre le réchauffement climatique, qui s’est progressivement affirmée comme une priorité politique ; d’autre part, la sécurité des approvisionnements énergétiques européens.
La nécessité d’intégrer ces nouveaux éléments conduit à poser frontalement la question de la cohérence de la politique énergétique européenne, qui fait face à des enjeux mais aussi à des attentes de nature plutôt hétérogène.
Nous savons tous ici que, grâce au développement progressif des secteurs de l’hydroélectrique et de l’industrie électronucléaire, la France dispose de l’électricité la moins chère d’Europe.
L’enjeu du texte sur lequel nous devrons nous prononcer est de savoir si la nouvelle organisation permettra à notre pays de maintenir une électricité bon marché, dans un contexte de concurrence effrénée et d’impératifs écologiques. Cela vous semble possible, monsieur le secrétaire d’État. Nous verrons.
Est-il légitime de remettre en cause l’avantage énergétique français, unique au monde, pour permettre à des opérateurs privés, incapables d’offrir un meilleur prix, d’exister sur le marché français de l’électricité ?
Cette manière d’ouvrir le marché est pour le moins bizarre, puisqu’elle consiste à créer une distorsion de concurrence au détriment de l’entreprise mieux-disante, EDF, et, par conséquent, à notre détriment.
On peut aisément imaginer les conséquences du projet de loi dans sa mouture actuelle : alignement progressif des tarifs réglementés sur les standards européens, 30 à 50 % plus chers, maintenance des réseaux fragilisée, difficulté de financement du parc électronucléaire, etc.
Bref, avec l’abandon d’une certaine idée du service public, nos concitoyens, monsieur le secrétaire d’État, ne risquent-ils pas d’être sacrifiés sur l’autel de l’appât du gain de sociétés bien plus préoccupées par la course aux bénéfices que par l’intérêt général ?
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Yvon Collin. Quoi qu’il en soit, les Français seront seuls juges devant leurs factures d’électricité dans les prochaines années.
M. Roland Courteau. Voilà !
M. Yvon Collin. En choisissant la libéralisation complète des prix, ainsi que la mise en place d’un accès régulé à l’électricité de base avec la disparition progressive des tarifs réglementés pour les industriels, le Gouvernement n’ouvre-t-il pas la voie à l’augmentation du coût de l’électricité pour tous, sans pour autant régler les vrais enjeux auxquels doit faire face le secteur de l’énergie en France ?
Or le premier enjeu est bien la valorisation de notre expertise nucléaire dans le monde par un meilleur ordonnancement des acteurs du secteur, un investissement indispensable dans la maintenance de nos centrales nucléaires, mais aussi la formation des hommes et des femmes pour en assurer une meilleure disponibilité et une sécurité optimale, ce qui est capital.
Qui aurait cru que, même aux États-Unis, le très fervent gouverneur libéral de Californie ramènerait progressivement dans le secteur public la gestion du parc nucléaire californien ? (Effectivement ! sur plusieurs travées du groupe socialiste.)
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Yvon Collin. Le second enjeu est la diversification indispensable de notre bouquet énergétique, associée à la recherche, à l’innovation et à la construction de filières industrielles et de filières de services créatrices d’emplois. Ce sont les grandes absentes de ce projet de loi, qui ne comporte notamment aucune mesure significative sur le parc hydraulique et sur les investissements à consentir pour en accroître la productivité.
En réalité, ce texte repose avant tout sur un dogme qui nous semble dépassé dans le contexte actuel : le dogme libéral de l’ouverture à la concurrence à tout prix, quelles qu’en soient les conséquences sur l’emploi, l’environnement, la sécurité liée aux procédés industriels. Aussi ce projet de loi affecte-t-il en premier lieu la filière énergétique elle-même, et ce en dépit d’une expertise qui est le fruit de dizaines d’années d’investissement public dans la formation, la recherche et l’industrie.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Yvon Collin. Monsieur le secrétaire d’État, les membres de mon groupe, dans sa diversité bien connue, seront attentifs aux travaux de la Haute Assemblée en séance publique, mais, en l’état, et pour la grande majorité d’entre nous, il ne nous est pas possible d’apporter notre soutien à ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire. C’est dommage !
Mme la présidente. La parole est à M. Xavier Pintat.
M. Xavier Pintat. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le processus d’adaptation de notre système électrique s’avère décidément bien complexe. Après avoir légiféré en 2000, 2003, 2004, 2005 et 2006 pour respecter le choix d’une ouverture progressive et maîtrisée du marché énergétique français – ouverture achevée depuis le 1er juillet 2007 –, nous sommes une fois encore conduits à débattre de cette question.
Le problème de fond auquel ce texte s’efforce de répondre est celui de la difficulté que nous rencontrons à ouvrir effectivement à la concurrence la fourniture d’électricité, alors que nos engagements européens nous en font l’obligation. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Il est toutefois fondamental de veiller à ce que cette évolution ne contrevienne pas aux intérêts des consommateurs d’énergie.
Tel est bien, monsieur le secrétaire d’État, le challenge que le Gouvernement a choisi de relever avec ce projet de loi, dont l’un des objectifs majeurs est de continuer à faire bénéficier ces consommateurs de la compétitivité du parc de production électrique en France, notamment du parc nucléaire.
La réussite de cette démarche repose en grande partie sur la loyauté attendue des fournisseurs d’électricité bénéficiaires du nouveau dispositif d’accès régulé à l’électricité nucléaire historique, l’ARENH.
Nous nous apprêtons en effet, par ce texte, à supprimer à compter du 1er janvier 2016 le bénéfice des tarifs réglementés de vente pour tous les sites ayant souscrit une puissance supérieure à 36 kVA.
C’est une concession d’importance pour nos compatriotes, attachés, comme vous le savez, à ces tarifs, qui ont fait la preuve de leur efficacité économique et sociale depuis plus d’un demi-siècle.
Tel qu’il est actuellement rédigé, le projet de loi peut même apparaître comme plus restrictif, du point de vue du périmètre des tarifs réglementés, que la directive européenne du 13 juillet 2009. Celle-ci prévoit effectivement le droit au service universel pour les consommateurs domestiques, mais aussi pour les PME jusqu’à 50 salariés et 10 millions d’euros de chiffre d’affaires, alors même que ces entreprises auraient souscrit des puissances importantes.
L’amendement que je vous avais proposé sur ce point, monsieur le président, monsieur le rapporteur, n’a pas été retenu par la commission.
Certes, l’articulation entre l’approche en termes de puissance souscrite, qui caractérise nos barèmes tarifaires, et une approche en termes de taille de l’entreprise serait techniquement délicate. Je reste néanmoins convaincu que l’avantage compétitif qu’offrent ces tarifs est devenu vital pour nos PME et PMI. Ils favorisent la localisation de nos entreprises sur notre territoire.
Si cette difficulté technique ne pouvait être levée, il me paraîtrait en contrepartie impératif de veiller à ce que la garantie de marge commerciale octroyée aux fournisseurs bénéficiaires de l’ARENH ait comme condition une stricte interdiction de tout abus de ce droit d’accès régulé.
Il est également essentiel que les fournisseurs concernés concourent effectivement à la sécurité d’approvisionnement en électricité sous la forme des capacités d’effacement de consommation et de production d’énergie que le projet de loi prévoit de leur imposer.
Bien sûr, il ne faut pas perdre de vue que les travaux de notre commission, ajoutés à ceux de nos collègues de l’Assemblée nationale, ont d’ores et déjà permis d’améliorer significativement le texte, dans le sens de nos préoccupations.
Je souhaite vivement en remercier nos collègues de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire, présidée par Jean-Paul Emorine, et en premier lieu – bien sûr !– notre rapporteur, Ladislas Poniatowski, réputé pour son sens de l’écoute et la qualité de son expertise dans le domaine de l’énergie.
M. Daniel Raoul. Tout ça ?
M. Xavier Pintat. Il me semble néanmoins que des améliorations sont encore possibles, s’agissant notamment de la situation particulière des entreprises locales de distribution et des consommateurs domestiques.
Je rappelle que, durant un demi-siècle, les principaux éléments de diversité au sein du système électrique français ont été les distributeurs non nationalisés en 1946, c’est-à-dire les régies, les sociétés d’économie mixte locales ou encore certains distributeurs de statut coopératif, qui, comme cela a été rappelé, représentent à l’heure actuelle environ 5 % de la distribution d’électricité.
Ces opérateurs, le plus souvent de petite taille, accomplissent depuis des décennies leurs missions dans un cadre de service public qui donne pleinement satisfaction. Dans l’immense majorité des cas, leurs territoires auront bénéficié d’une qualité d’énergie et de service irréprochable.
De manière paradoxale, la rédaction actuelle du projet de loi, qui promeut la pluralité des opérateurs électriques, remet simultanément en cause certains éléments importants de l’équilibre économique de ces opérateurs historiques. Par exemple, il est prévu de supprimer, à compter du 1er janvier 2014, le bénéfice du tarif de cession pour les achats d’électricité correspondant aux pertes.
Je crois qu’il faut y être attentif et, peut-être, revoir certains arbitrages dans ce domaine.
S’agissant des consommateurs domestiques, il est observé que le nombre de bénéficiaires effectifs des tarifs sociaux de l’énergie – le tarif de première nécessité pour l’électricité et le tarif spécial de solidarité pour le gaz – est faible par rapport au nombre de personnes qui pourraient y prétendre, à savoir toutes celles et ceux qui entrent dans le dispositif de la couverture maladie universelle, la CMU.
Il semble que cet écart provienne largement de l’obligation, pour les personnes concernées, de formuler expressément leur demande d’attribution du tarif social, ce qui n’est pas toujours aisé compte tenu des populations visées et des difficultés auxquelles elles sont confrontées.
Certains de ces dysfonctionnements ont d’ailleurs été identifiés par le médiateur national de l’énergie et évoqués récemment dans l’actualité.
De nombreux acteurs du secteur de l’énergie considèrent qu’il est dans ces conditions préférable de prévoir une attribution automatique du bénéfice des tarifs sociaux aux bénéficiaires de la CMU. Cela économiserait des coûts administratifs et permettrait à ce dispositif, me semble-t-il, de fonctionner de manière plus satisfaisante.
Pour terminer mon propos, je dirai un mot sur l’initiative prise de procéder, enfin, à la transposition, dans le domaine de la taxe sur l’électricité, de la directive européenne du 27 octobre 2003 sur la fiscalité de l’énergie.
Sur ce sujet aussi, monsieur le secrétaire d’État, je voudrais vous exprimer mes plus vifs remerciements pour l’esprit de coopération dans lequel, sur ce dossier, les services ministériels ont mené la concertation avec les collectivités locales et, en particulier, avec les autorités organisatrices de la distribution d’électricité.
La rédaction adoptée par la commission, sur proposition de notre rapporteur, me paraît pour l’essentiel bien répondre aux importants enjeux liés à ce dispositif, qui concerne, je le rappelle, le financement d’une grande partie des travaux d’électrification en milieu rural.
M. Jacques Blanc. Eh oui !
M. Xavier Pintat. C’est pourquoi il convient de rester attentif pour que le niveau de cette ressource fiscale soit maintenu malgré les objectifs, par ailleurs très légitimes, de diminution de la consommation d’énergie.
J’ai proposé un amendement en ce sens.
Enfin, bien que l’objet principal de ce projet de loi soit la production et la commercialisation de l’énergie électrique, certaines questions afférentes à la distribution d’électricité ont également été insérées dans le texte, en particulier en matière de financement des raccordements des producteurs d’électricité.
Il me semblerait opportun de profiter de cette circonstance pour apporter une précision sur le rôle des autorités organisatrices des services publics d’électricité dans ce domaine particulier, ainsi que, plus généralement, sur les informations que les gestionnaires de réseaux doivent leur fournir dans le cadre de leur mission de contrôle.
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la décennie qui vient de s’écouler nous a appris, je crois, à faire preuve d’humilité et de pragmatisme dans la façon de légiférer sur les questions énergétiques. Il nous a fallu, et il nous faudra sans doute encore, remettre plusieurs fois l’ouvrage sur le métier.
M. Roland Courteau. Oh oui !
M. Xavier Pintat. Faisons en sorte que cette nouvelle étape soit un pas qui nous rapproche de la construction d’un système électrique offrant une énergie sûre, compétitive, respectueuse de l’environnement et mise au service de l’ensemble de nos concitoyens. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Jacques Berthou. C’est ce qu’elle est actuellement !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou.
M. Jean-Jacques Mirassou. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la présente discussion générale nous a permis de constater qu’il était possible de disserter presque sans fin sur ce qui s’est passé à Barcelone en 2002, mais notre collègue Roland Courteau a éloquemment apporté, sur ce point, les précisions qui s’imposaient.
La Commission européenne fronce le sourcil et la ligne de partage entre l’opposition et la majorité devient très claire : ceux qui entendent répondre avec zèle et célérité aux injonctions européennes y voient l’occasion, au passage, de faire subir à EDF, au nom de l’ouverture à la concurrence, le même sort que celui qu’ont connu précédemment La Poste, la SNCF et GDF, mettant ainsi à mal un service public à la française.
Or, d’une part, la concurrence paraît, à l’évidence, dangereuse dès lors qu’elle porte, comme c’est ici le cas, sur un bien de première nécessité, non stockable et indispensable à notre économie ; d’autre part, miser sur la concurrence au détriment de tout mécanisme régulateur revient à casser l’ensemble des acquis d’un système énergétique qui date de 1945 et que nous devons au Conseil national de la Résistance, système dont la spécificité n’est plus à démontrer.
De plus, la libéralisation du marché de l’énergie, telle qu’elle est envisagée dans ce texte, risque d’avoir de lourdes conséquences pour notre pays, par exemple s’agissant de l’aménagement du territoire et de l’outil industriel.
L’idéologie, mes chers collègues, peut coûter très cher,…
M. Jacques Blanc. Ce n’est pas de l’idéologie !
M. Jean-Jacques Mirassou. … car ce projet de loi, qui impose la concurrence, pourrait – ce n’est pas le moindre des paradoxes ! – faire bientôt flamber la facture d’électricité des ménages.
Même si, par ailleurs, un maintien des tarifs réglementés est prévu pour les particuliers, ces tarifs, au fur et à mesure de la discussion, ressemblent de plus en plus à un leurre.
M. Roland Courteau. Oui !
M. Jean-Jacques Mirassou. À ce jour, le tarif réglementé reste très inférieur à la moyenne des prix européens de l’électricité. C’est la contrepartie du financement, par des fonds publics, du programme nucléaire : les usagers contribuables ont participé au financement des installations, bénéficiant en échange de la rente nucléaire, autrement dit d’une énergie moins coûteuse à produire et représentant 83 % de l’électricité produite dans l’Hexagone.
Le scandale de ce projet de loi NOME réside donc dans le fait qu’il va transférer l’avantage de la rente nucléaire dont bénéficient les consommateurs aux fournisseurs d’énergie. Certains ont même parlé de hold-up !
En effet, d’après le texte, EDF va devoir céder, pendant quinze ans, jusqu’à 25 % de sa production à ses concurrents, à travers le dispositif dénommé « accès régulé à l’électricité nucléaire historique ».
Or, tout en maintenant les tarifs réglementés, le texte modifie leur mode de fixation en l’indexant sur le prix auquel les fournisseurs concurrents achèteront l’électricité à EDF. Concrètement, si ce prix est élevé, les tarifs réglementés seront élevés eux aussi. Pour que les tarifs réglementés n’augmentent pas, il faudrait qu’EDF cède sa production à ses concurrents à un tarif bien inférieur à celui qui a été évoqué, soit 42 euros par mégawattheure. Mais, dans ce cas, l’opérateur historique aurait bien du mal à trouver les marges de manœuvre nécessaires pour investir dans de nouveaux moyens de production.
Je serais donc tenté de dire qu’à ce moment-là le piège se sera refermé, sur EDF comme sur ses abonnés !
M. Roland Courteau. Belle démonstration !
M. Jean-Jacques Mirassou. Si l’on fait une projection en se fondant sur la base des 42 euros évoqués précédemment, les tarifs réglementés proposés aux consommateurs domestiques et aux petits professionnels pourraient augmenter de 11,5 % dès le vote de la loi, puis de 3,5 % par an entre 2011 et 2025. Pour les entreprises, l’augmentation serait encore supérieure… Est-il nécessaire de rappeler, au passage, que les tarifs ont déjà augmenté de 3 % cet été ?
Ce projet de loi, dans la continuité, entraînerait donc, de façon mécanique, une explosion des tarifs.
On a évoqué tout à l’heure le risque de l’extinction des tarifs réglementés et, à terme, la perspective de la mise en place d’un tarif social destiné à protéger les plus démunis. Mais, dans le contexte économique actuel, il serait irresponsable et, d’une certaine manière, indécent de faire l’impasse sur ce constat au moment où, par le biais du bouclier fiscal, certains foyers fiscaux reçoivent des sommes de deux à trois cent mille euros.
Je souhaiterais également évoquer la situation des installations hydroélectriques, qui sont très nombreuses dans le département que je représente. Ces dernières, qui bénéficiaient, jusqu’à présent, d’un contrat d’achat garanti de leur production avec EDF, sont désormais dans un vide réglementaire qui risque de leur nuire. L’avenir de nombreuses petites entreprises et de leurs sous-traitants est menacé.
Nous attendons donc avec impatience les propositions du Gouvernement et déposerons, en ce qui nous concerne, un amendement à ce sujet.
Je ne saurais terminer mon propos sans évoquer, à l’appui de ma démonstration, un amendement « éclair » d’un élu UMP qui entendait privatiser la Compagnie nationale du Rhône. Apparu comme une provocation, ledit amendement a finalement été retiré. Mais cet aller et retour met au jour, plus que les pensées, les arrière-pensées qui animent sans doute certains membres de la majorité. Et c’est bien ce qui nous inquiète…
Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, l’électricité est un bien de première nécessité et ce principe ne doit en aucun cas être remis en cause au nom de la sacro-sainte loi de la concurrence !
L’accès de tous à l’électricité doit être garanti. De notre point de vue, cela passe, bien évidemment, par une maîtrise des prix incompatible avec la dérégulation officialisée par un texte qui, au passage, démantèle le service public.
Au cours de ce débat, le groupe socialiste ne bradera pas ses responsabilités. Il présentera de nombreux amendements afin de tenter d’améliorer un texte qu’il considère dangereux pour l’avenir du patrimoine énergétique français.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Jean-Jacques Mirassou. En l’état, et parce qu’il tourne le dos à la conception de l’intérêt général qui est la nôtre, ce texte nous paraît inacceptable ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Vial.
M. Jean-Pierre Vial. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, dix ans après l’ouverture du marché de l’électricité, le Parlement se trouve saisi d’un texte qui vient fonder le cadre du marché de l’électricité de notre pays.
Il s’agit d’un enjeu important puisque, en dix ans, le Parlement aura été saisi neuf fois et aura examiné sept lois.
Cet enjeu interpelle nos concitoyens, conscients que notre pays a su faire les investissements courageux et les bons choix pour se doter d’un outil de production de qualité, répondant à la demande et offrant un service d’un coût parmi les plus bas.
Nous savons que l’un des objets de la loi est de satisfaire aux règles de libre concurrence au regard des exigences communautaires.
Nous avons bien compris cette nécessité, monsieur le secrétaire d’État, et, au moment où le Parlement a été saisi de la loi NOME, vous avez lancé le calendrier du renouvellement des concessions hydrauliques.
Considérant qu’il aurait pu être utile que l’ensemble des investissements soit pris en compte pour déterminer la valeur de l’outil de production, j’ai eu la curiosité d’une étude comparée des régimes appliqués par les autres pays européens en matière hydraulique.
Force est de constater que, si la France est le pays qui a la capacité de production la plus importante, il est aussi celui dont la production sera la plus ouverte à la concurrence.
Pour ne pas toujours tout reprocher à Bruxelles, je précise que l’une des contraintes importantes résultera d’ailleurs de la loi Sapin. Voté en 1993, ce texte soumet à l’obligation de concurrence les concessions des installations hydrauliques d’une puissance supérieure à 4 500 kilowatts.
Le respect de la libre concurrence n’est pas incompatible avec la défense de ses intérêts nationaux. Nos voisins européens semblent d’ailleurs avoir moins de complexes que nous pour vivre cette double exigence.
Je ne parlerai pas des exemples célèbres d’industries françaises auxquelles l’Europe aura, au nom de la libre concurrence, porté un coup sérieux, sinon fatal.
Si je me permets d’insister sur ce premier point, monsieur le secrétaire d’État, c’est que la France a la chance d’avoir des entreprises leaders de tout premier plan en matière d’énergie.
Or l’Union française de l’électricité, l’UFE, et l’Agence internationale de l’énergie, l’AIE, considèrent que ce ne sont pas moins de 30 000 milliards de dollars d’investissements – je dis bien « 30 000 milliards de dollars » ! – qui devront être réalisés dans le monde d’ici à 2030 pour satisfaire la demande d’électricité.
Il importe donc que les nouvelles règles du marché ne viennent pas affaiblir nos entreprises nationales qui, vous le savez, sont attendues par bien des pays dans le monde. Je vous remercie d’avance, monsieur le secrétaire d’État, de votre vigilance sur ce point.
Compte tenu de la grande qualité des travaux conduits par notre rapporteur, Ladislas Poniatowski, que j’entends saluer, et des différentes contributions, dont les conclusions du rapport Poignant-Sido, je m’en remettrai largement aux propositions de la commission.
Parmi les points que je souhaiterais développer, il en est un au cœur des enjeux de la future loi NOME qui conjugue à la fois les défis du développement durable et les préoccupations économiques et industrielles : il s’agit de l’effacement.
Je n’évoquerai pas les questions de « l’interruptabilité » de l’article 2 ter, qui relève davantage de la sécurité du réseau, préférant insister sur l’effacement de la période de pointe dite « des 500 heures ».
Il s’agit d’une question majeure en termes de production, puisque l’augmentation annuelle des besoins des dix prochaines années est évaluée, selon les estimations, de 0,7 à plus de un gigawatt par an, soit l’équivalent d’au moins une nouvelle centrale thermique de forte capacité chaque année.
Cette production n’étant satisfaite que par une énergie fossile, avec un taux d’émission élevé de CO2 au coût d’au moins 300 euros par mégawatt selon l’étude d’impact de l’Assemblée nationale, elle équivaut à au moins 10 millions de tonnes de CO2 par an…
Cette situation a d’ailleurs conduit l’Europe à formuler des exigences très fortes à l’égard de la France, en demandant une réduction des capacités de production des centrales thermiques et une amélioration des traitements.
Or cette situation n’est pas irréversible. Il y a plus de dix ans, EDF procédait à deux fois plus d’effacement qu’aujourd’hui, situation que le président de l’UFE soulignait, lors de son audition, en insistant sur le fait que, en France, le prix reflète de plus en plus mal le coût de la puissance.
Les États de l’est des États-Unis de taille comparable à la France ont un volume d’effacement sept fois supérieur au nôtre, après avoir justement mis en place les bons outils et la bonne rémunération.
À terme, le secteur résidentiel constituera, c’est vrai, un gisement considérable. Mais il s’agit d’un parc de particuliers qui nécessite un équipement individuel, lequel ne pourra être installé que dans la durée.
En revanche, les gros consommateurs, notamment les électro-intensifs, disposent de capacités qui pourraient être immédiatement mobilisées.
Les expériences et interrogations de RTE ne font d’ailleurs que justifier la nécessité d’organiser cette mobilisation de capacité, en attendant la mise en place d’un marché capacitaire.
Mais cette mobilisation nécessite aussi une juste rémunération pour impliquer les gros consommateurs, comme l’étude d’impact de l’Assemblée nationale l’a souligné avec pertinence.
C’est pourquoi, dans le prolongement du principe des capacités d’effacement posé par le projet de loi NOME, j’ai déposé, avec mon collègue Bruno Sido, un amendement précisant les règles d’un dispositif provisoire. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d’État, de vos propos et de votre écoute à cet égard.
Je tenais également à souligner, monsieur le secrétaire d’État, le formidable travail de vos collaborateurs, aux côtés de la commission des affaires économiques du Sénat, pour appréhender au mieux ce dispositif, qui constituera un vrai outil et même une novation au regard des enjeux du Grenelle.
Je le dis avec assurance, monsieur le secrétaire d’État, les capacités d’effacement des gros consommateurs peuvent répondre aux besoins d’effacement des dix prochaines années.
En fait, ce marché de l’effacement ne demande qu’à disposer de bons outils. J’évoquerai l’importance de la fluidité, qui doit relever des responsables d’équilibre, avec la possibilité d’achat ou de vente par bloc si l’on ne veut empêcher les gros consommateurs de devenir producteurs.
La contrepartie, vous l’avez compris, c’est la juste rémunération, qui constituera un juste prix compatible avec les exigences communautaires à l’égard de gros consommateurs industriels qui, soumis à une forte concurrence, se trouvent dans la situation de perdre progressivement les bénéfices de leurs situations respectives, qu’il s’agisse de l’article 8 de la loi de 1946, des contrats dits spéciaux, des tarifs réglementés intégrés ou des tarifs verts, pour ne pas parler de ceux qui relèvent du TARTAM.
Dans le prolongement de ce nécessaire soutien à l’industrie, il convient que soit conforté le dispositif mis en place avec Exeltium en l’ouvrant plus largement aux gros consommateurs à l’occasion du prolongement de vie des centrales nucléaires.
Monsieur le secrétaire d’État, je vous remercie, là aussi, de l’ouverture dont vous avez fait état.
Je regrette de ne pouvoir soutenir, monsieur le rapporteur, le dispositif qui aurait permis de revoir le prix du transport de l’électricité pour les gros consommateurs, en particulier les électro-intensifs qui se trouvent au bas des centrales de production, notamment sur la part variable. J’ai bien compris que ce point n’avait aucune chance de séduire la commission.
Je comprends également, monsieur le rapporteur, votre souci de voir les producteurs participer à l’intégralité des coûts de branchement et d’extension des réseaux. Je me permets simplement, monsieur le secrétaire d’État, d’interpeller le Gouvernement sur deux considérations.
D’abord, on ne peut pas, après avoir incité, par un dispositif généreux, aux énergies renouvelables, se mettre brutalement à diminuer en aval les avantages qui avaient été octroyés et, en amont, les faire contribuer à des coûts d’extension de réseaux.
M. Roland Courteau. Eh oui ! C’est bien le problème !
M. Michel Teston. Exact !
M. Jean-Pierre Vial. Ensuite, pour n’évoquer que la position généralement admise par les spécialistes des énergies renouvelables, ce dont la France a besoin, c’est d’aboutir à un dispositif équilibré et stable. Nous ne pouvons pas développer de façon satisfaisante les énergies renouvelables si nous nous trouvons confrontés à des dispositifs qui évoluent en permanence.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Jean-Pierre Vial. Telles sont les raisons pour lesquelles la loi qui va être adoptée constituera une étape importante de l’organisation du marché de l’électricité dans notre pays. Le cadre est désormais fixé, les outils mis en place.
La mise en œuvre du texte et l’engagement des producteurs d’électricité dépendront pour beaucoup de l’exigence politique qui en impulsera les orientations.
C’est donc pour réussir cette nouvelle étape que je soutiendrai le projet de loi que vous nous proposez, monsieur le secrétaire d'État. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Muller.
M. Jacques Muller. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, chers collègues, si le projet de loi NOME dont nous abordons la discussion aujourd’hui pose plusieurs questions de fond – elles ont suscité d’ailleurs quelques états d’âme au sein de la majorité, lors des travaux en commission -, il passe clairement à côté des enjeux essentiels.
Premièrement, après les lois de 2000, 2003, 2004, 2005 et 2006, ce projet de loi est une nouvelle étape dans la destruction de l’outil construit au sortir de la Seconde Guerre mondiale, à l’époque où un certain général de Gaulle avait lui-même compris que l’énergie n’est pas un bien comme les autres et que sa production, son transport et sa distribution relèvent du service public et non du marché livré à lui-même.
M. Roland Courteau. C’est clair !
M. Jacques Muller. Ce projet de loi NOME constitue un nouvel avatar du paradigme néolibéral qui gangrène depuis trois décennies nombre de cerveaux, une idéologie dont les effets désastreux sur les plans financier, économique, social et environnemental défraient chaque jour la chronique
N’en déplaise à ses promoteurs zélés, l’intérêt général n’est pas la somme des égoïsmes particuliers !
Adam Smith lui-même, le père du libéralisme économique, estimait qu’il est des domaines où l’État doit se substituer à la « main invisible » du marché. Il en est évidemment ainsi de l’énergie, bien stratégique qui ne peut en aucun cas être appréhendé avec les approches spéculatives et de court terme qui sont celles des opérateurs privés, obnubilés par la recherche du profit immédiat !
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Jacques Muller. Deuxièmement, pour nos concitoyens, la disposition qui obligera EDF à céder contractuellement à ses concurrents 25 % de sa production nucléaire, avec pour conséquence la hausse programmée du prix de l’électricité – tous les acteurs industriels l’ont déjà provisionnée – apparaît à juste titre comme une véritable usine à gaz.
Cette usine à gaz, la NOME, est le reflet de la fracture grandissante qui traverse la majorité – du reste fort peu nombreuse aujourd’hui -, divisée entre des gaullistes attachés à un secteur nucléaire étatisé et des libéraux tout aussi adeptes de la production nucléaire, mais qui continuent de ne jurer envers et contre tout que par la sacro-sainte loi du marché. Bonjour le grand écart !
Troisièmement, la disposition selon laquelle la cession de courant nucléaire aux opérateurs privés se fera à prix coûtant, c’est-à-dire au prix de revient, laisse pour le moins perplexe. Je crois qu’il faut en finir avec le mythe selon lequel le courant nucléaire serait le plus rentable. C’est devenu un secret de polichinelle : le prix du courant nucléaire affiché aujourd’hui a beau être inférieur à celui de la plupart de nos voisins européens, moins nucléarisés, il n’internalise pas un certain nombre de coûts qui seront, pour l’essentiel, reportés sur les générations futures.
Il s’agit principalement du coût de traitement des déchets nucléaires, dont les filières s’évaporent à l’étranger, notamment en Russie, et de celui du démantèlement des centrales en fin de vie. À cet égard, force est de constater que, dans le monde entier, aucun site de centrale nucléaire définitivement arrêtée n’a été traité. Three Mile Island et Tchernobyl ont implosé ; quant aux autres, ils sont devenus des sites dangereux, interdits d’accès et fortement surveillés. Mais nulle part la technologie du démantèlement et du traitement n’a été développée.
Il en résulte que les provisions affichées à cet effet ne reposent sur rien de tangible. EDF préfère pratiquer l’acharnement thérapeutique, notamment sur des centrales manifestement obsolètes, comme celle de Fessenheim, en Alsace, le premier prototype PWR de France, qui se distingue par un nombre de pannes quatre fois supérieur à la moyenne des pannes constatées sur l’ensemble du parc nucléaire français !
Il s’agit donc d’éviter d’ouvrir la boîte de Pandore, de peur d’être confronté à la vérité des prix... Voilà une posture que l’on peut évidemment mettre en parallèle avec les difficultés que rencontre actuellement le programme EPR, alors que le Gouvernement fait de la relance du nucléaire sa priorité en termes de politique énergétique !
Enfin, quatrièmement, ce projet de loi se distingue par une omission tout à fait emblématique du désormais célèbre adage présidentiel : « L’environnement, ça commence à bien faire ! ». Dans le cadre d’une loi NOME, on ne pouvait pas éluder la question centrale de la tarification, actuellement fortement dégressive, donc antisociale et anti-écologique : plus on consomme, moins on paie !...
Un tel dispositif, qui pénalise les ménages les plus modestes vivant dans des appartements mal isolés et chauffés à l’électricité, ne peut que contribuer à la précarité énergétique. De surcroît, il encourage la voracité et le gaspillage énergétiques, qui se voient aujourd’hui institutionnalisés. Une loi NOME effective aurait dû introduire une tarification nouvelle qui récompense la vertu écologique et sociale...
Or telle n’est manifestement pas la priorité de la majorité présidentielle. Seule compte la libéralisation du marché de l’électricité au profit des grands groupes industriels et financiers du secteur privé !
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Jacques Muller. Cela dit, nous avons déposé quatre amendements destinés à stimuler les économies d’énergie et le développement des énergies renouvelables. Nous espérons, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur, qu’ils seront intégrés dans la loi. Ce serait bien le minimum minimorum pour un texte dont l’ambition affichée est la réorganisation du marché de l’électricité ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Benoist Apparu, secrétaire d'État chargé du logement et de l'urbanisme. Madame la présidente, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, nous aurons bien évidemment l’occasion, au cours de la discussion, de revenir précisément sur l’ensemble des questions que vous avez posées. Cependant, je souhaiterais vous apporter sans attendre quelques précisions.
La première question essentielle est celle que vous avez soulevée, monsieur le rapporteur, au sujet de la prolongation des contrats d’obligation d’achat pour les petites installations hydroélectriques.
À la suite de la convention pour le développement d’une hydroélectricité durable, nous avons d’ores et déjà engagé des travaux avec les professionnels afin de définir les conditions de prolongation de ces contrats dans le cas où les exploitants feraient de nouveaux investissements afin de moderniser leurs installations.
En ce qui concerne le deuxième point, plus central, que vous avez évoqué dans votre conclusion – la possibilité offerte aux fournisseurs alternatifs de participer, aux côtés d’EDF, aux investissements nécessaires à la prolongation de la durée de vie des centrales existantes –,…
M. Jacques Muller. Trente-cinq milliards !
M. Benoist Apparu, secrétaire d'État. … je souhaiterais rappeler que la loi encourage, au-delà de l’ARENH, les fournisseurs et EDF à conclure, de gré à gré, des partenariats allant dans cette direction.
Le principe de la loi consiste à donner, avec l’ARENH, un cadre a minima de régulation du marché entre le fournisseur historique et les nouveaux entrants. Cela dit, nous encourageons les uns et les autres à conclure des contrats de gré à gré sur plusieurs années, avec un prix spécifique qui prévoira certaines obligations d’investir dans l’outil de production du côté de l’alternatif. Dans ce cadre-là, naturellement, rien n’interdit d’aller dans le sens que vous évoquiez.
Au sujet du prix de l’ARENH, évoqué par Philippe Marini, Jean-Claude Danglot et Roland Courteau, je souhaiterais revenir sur les interprétations qui ont été faites de la notion de « prix cohérent avec le TARTAM ». Ce prix est celui qui permet à un fournisseur de faire une offre à un client à un prix comparable à celui du TARTAM. Concrètement, ce n’est pas égal au TARTAM, mais bien « cohérent » avec celui-ci, ce qui n’est pas la même chose. Il y a une nuance non négligeable !
M. Roland Courteau. Ah bon ?
M. Benoist Apparu, secrétaire d'État. Pour le dire autrement, et contrairement à ce que vous indiquiez, monsieur Courteau, le TARTAM est aujourd’hui un prix. Demain, le prix de l’ARENH ne correspondra pas au TARTAM actuel majoré d’un complément de fourniture et une marge ; il s’agira bien de fixer un prix de l’ARENH qui, ces deux éléments complémentaires inclus, corresponde peu ou prou au TARTAM et soit donc cohérent par rapport à lui. (M. Roland Courteau s’exclame.)
De la sorte, les bénéficiaires du TARTAM profiteront d’une transparence totale entre le TARTAM actuel et l’ARENH.
Je voudrais également revenir sur la question non moins centrale de l’ouverture à la concurrence et des directives européennes, abordée ce soir par Jacques Mézard, Jean-Claude Danglot, Jean-Claude Merceron, Roland Courteau, Benoît Huré et, à l’instant, Jacques Muller.
Comme vous l’a très bien expliqué votre collègue Philippe Marini, dont je reprendrai les termes, le projet de loi prévoit la régulation la plus forte qui soit dans un contexte juridique donné, réaffirmé par la Commission européenne, contexte qu’il ne m’appartient pas aujourd’hui de juger.
Nous devons tenir compte de ce contexte juridique de l’Union européenne, et adapter notre législation en conséquence.
Certes, nous pourrions débattre pendant des heures des bienfaits et des méfaits du libéralisme. J’ai entendu certains d’entre vous lui intenter un procès général assez classique : ainsi, le libéralisme, depuis trente ans, n’aurait produit que des horreurs !
M. Roland Courteau. En matière d’électricité, c’est bien le cas !
M. Benoist Apparu, secrétaire d'État. Vous avez peut-être raison, chacun peut porter un jugement en la matière ! Mais j’aurais souhaité que d’autres idéologies, aujourd’hui totalement disparues, fassent, elles aussi, l’objet de procès similaires et répondent, en leur temps, des méfaits bien plus puissants qu’elles ont infligés à l’ensemble de nos économies – sans parler des quelques millions de morts dont elles ont malheureusement été la cause… (Vives exclamations sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. Martial Bourquin. Ce n’est pas comparable !
M. Benoist Apparu, secrétaire d'État. Alors, de grâce, évitons ces procès qui me semblent dépasser largement votre propre pensée ! (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées.)
M. Roland Courteau. C’est scandaleux !
M. Martial Bourquin. Vous êtes hors sujet, monsieur le secrétaire d’État !
M. Jean-Claude Danglot. Et 1946, c’est idéologique, peut-être ?
M. Benoist Apparu, secrétaire d'État. Puisque vous m’y invitez, je préciserai encore que c’est la gauche qui, en 2000, a voté la loi d’ouverture du marché de l’électricité. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Roland Courteau. C’était une ouverture a minima !
M. Benoist Apparu, secrétaire d'État. Et je rappelle au passage que c’est la droite, et plus précisément cette majorité, qui a mis en place tous les garde-fous actuels ! (Rires et exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Les tarifs sociaux, qui c’est ? C’est la droite ! Le TARTAM, qui c’est ? C’est cette majorité. (Vives exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Daniel Raoul. Et les congés payés, qui c’est ? (Rires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Benoist Apparu, secrétaire d'État. C’est nous qui avons mis en place toutes les régulations ; c’est vous qui, en 2000, avez mis en œuvre la première loi de libéralisation du marché !
M. Roland Courteau. C’est M. Juppé qui l’avait négociée en 1996 !
M. Benoist Apparu, secrétaire d'État. Mais, pour tenter de dépasser les caricatures éculées, des uns et des autres, d’ailleurs (Nouveaux rires sur les mêmes travées.), revenons, si vous le voulez bien, à la réalité de ce texte.
M. Martial Bourquin. Provocateur !
M. Roland Courteau. Vous dérapez !
M. Benoist Apparu, secrétaire d'État. Mais non ! J’essaie simplement de répondre à la hauteur de votre propre provocation ! (Sourires.)
M. Martial Bourquin. Et nous vous répondrons !
M. Benoist Apparu, secrétaire d'État. Quoi qu’il en soit, ce projet de loi NOME est avant tout un texte qui nous permet de créer une nouvelle régulation des marchés de l’électricité dans notre pays, en fonction d’un cadre juridique donné, défini par l’Union européenne.
Je voudrais également revenir sur la question du « ciseau tarifaire » soulevée par Jean-Claude Merceron. Nous aurons, là aussi, l’occasion d’y revenir au cours des débats. Cependant, je voudrais immédiatement préciser qu’il faut non pas considérer uniquement le prix de l’ARENH, mais tenir compte aussi de l’ensemble des conditions d’approvisionnement, notamment le volume et le profil de livraison, pour s’adapter aux différentes catégories de clients, comme le prévoit d’ailleurs explicitement la loi.
En ce qui concerne la sortie du dispositif de l’ARENH, évoquée par Jean-Claude Merceron et Yvon Collin, je souhaiterais indiquer que notre priorité est d’investir dans le parc nucléaire existant afin d’en restaurer les performances et d’en prolonger la durée de vie.
Je précise que la programmation pluriannuelle des investissements, qui constitue en quelque sorte notre feuille de route énergétique, démontre qu’avec le développement actuel des ENR et les économies d’énergie, il ne sera pas nécessaire, avant 2020, de construire de nouvelles tranches nucléaires au-delà des deux projets déjà lancés. Nous avons donc, me semble-t-il, tout le temps de mener ce débat-là ; il me paraîtrait prématuré de l’engager à l’occasion de l’examen de ce texte.
À propos des ELD, je voudrais répondre à Xavier Pintat que le projet de loi NOME les préserve, d’une part, grâce au maintien du tarif de cession pendant un certain nombre d’années, d’autre part, par les mesures dérogatoires que nous avons mises en place, qui leur permettront de se regrouper pour accéder à l’ARENH et satisfaire à l’obligation de capacités qui sera désormais la leur.
Concernant les électro-intensifs, évoqués notamment par M. Jean-Pierre Vial, le projet de loi NOME leur garantit, comme aux autres consommateurs, un prix de l’électricité fondé sur les coûts. De plus, comme vous le savez, l’Assemblée nationale a ajouté, avec l’accord du Gouvernement, un dispositif de rémunération de « l’interruptibilité » qui bénéficiera aux plus gros sites industriels de production.
Par ailleurs, l’obligation de capacités leur permettra de valoriser leur capacité d’effacement. Dans l’attente de la mise en place de ce mécanisme, nous appuierons l’amendement que vous soutenez demandant à RTE de faire des appels d’offres pour l’effacement des grands sites industriels.
Enfin, monsieur Muller, vous avez fait une erreur sur un point : les charges de long terme du nucléaire sont provisionnées et payées dès aujourd’hui. Elles sont d’ailleurs incluses de façon totalement explicite dans le prix de l’ARENH.
M. Jacques Muller. On ne connaît pas le coût du démantèlement...
M. Benoist Apparu, secrétaire d’État. La politique nucléaire que mène la France est évidemment responsable et aucune charge ne sera reportée sur les générations futures.
Mesdames, messieurs les sénateurs, pour l’ARENH comme pour les retraites, nous ne souhaitons pas reporter sur les générations futures des décisions que nous devons prendre et assumer aujourd’hui, et c’est ce que nous faisons dans l’un et l’autre cas ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.- Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme Odette Terrade. M. Fillon avait déjà dit cela en 2003 !
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Exception d’irrecevabilité
Mme la présidente. Je suis saisie, par M. Danglot, Mme Didier, M. Le Cam, Mmes Schurch, Terrade et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de Gauche, d’une motion n° 22.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, portant nouvelle organisation du marché de l'électricité (n° 644, 2009-2010).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme Mireille Schurch, auteur de la motion.
Mme Mireille Schurch. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les membres du groupe communiste, républicain et citoyen et des sénateurs du Parti de Gauche ont souhaité, en effet, déposer une motion d’irrecevabilité sur le présent texte.
Force est de constater que le projet de loi portant nouvelle organisation du marché de l’électricité présente des dispositions manifestement contraires au droit national comme au droit communautaire. Pour autant, et je vous le dis d’emblée, l’inconstitutionnalité de ce projet de loi n’est pas le pire de ses défauts.
Si nous avons fait le choix de ce moyen de procédure, c’est pour mettre en lumière les contradictions de ce gouvernement au regard des directives européennes, voire ses errements en matière de politique énergétique, et la mise en cause des principes de justice et de solidarité régissant notre République.
En effet, depuis plusieurs décennies, l’Europe et ses institutions se sont fixé pour but ultime la construction d’un espace totalement libéralisé, au sein duquel la concurrence libre et non faussée est le prisme de toute politique publique, et ce dans tous les domaines d’activités humaines, qu’ils relèvent de l’intérêt général ou du simple commerce.
Il en est ainsi du secteur de l’énergie : les directives successives de 1996, 2003 et 2009 ont permis d’instaurer un marché de l’énergie européen, cassant les monopoles publics et le caractère intégré de l’offre, et favorisant l’apparition de nouveaux acteurs privés, appelés à profiter des bénéfices que pouvait engendrer ce marché.
Cette organisation qui, dans le mirage capitaliste, était censée apporter une amélioration de l’offre pour les consommateurs, s’est révélée particulièrement inopérante, puisque ceux qui ont fait le choix d’entrer dans ce marché libre ont vu les tarifs exploser sans que la qualité de l’offre soit améliorée.
Pourtant, ce projet de loi permet d’aller encore plus loin pour stimuler le marché énergétique, quitte à fausser la concurrence pour faire émerger artificiellement de nouveaux opérateurs. Vous avez la mémoire bien courte ! Avez-vous oublié le désastre californien, ou encore le scandale d’Enron ?
Alors que la pertinence d’un marché libéralisé par la multiplication des acteurs est, chaque jour, réfutée par les faits, vous nous demandez aujourd’hui de soutenir une aide d’État aux opérateurs privés du secteur énergétique. Une nouvelle fois, vous mettez l’argent public au service d’intérêts privés.
Je vous rappelle que toute aide d’État est prohibée par les traités, et notamment par l’article 107, paragraphe 1, du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne. Une aide d’État désigne, en effet, l’intervention d’une autorité publique par le biais de ressources publiques, pour soutenir certaines entreprises ou productions. Il me semble que nous nous situons exactement dans ce cas de figure.
Pour illustrer mon propos, je vous propose d’établir un parallèle intéressant.
Comme vous le savez, la Commission européenne a engagé un recours en manquement contre la France en 2006, au motif que le TARTAM mis en place par la loi de privatisation de GDF constituerait une aide d’État pour les consommateurs en bénéficiant. Or le présent projet de loi tend à mettre en place l’ARENH, dont la tarification devrait se rapprocher de celle du TARTAM, puisqu’il est clairement stipulé que « le prix de l’ARENH est fixé initialement en cohérence avec le tarif visé à l’article 30-1 de la loi du 9 août 2004 ».
Certes, les bénéficiaires ne sont pas les mêmes : d’un côté, le TARTAM bénéficiait essentiellement aux professionnels afin de préserver la compétitivité économique des entreprises françaises, tandis que l’ARENH bénéficiera aux opérateurs alternatifs d’électricité. Cependant, les mécanismes sont les mêmes, ce qui laisse craindre que l’ARENH ne soit également qualifiée d’aide d’État, et ce sans la justification d’intérêt général que portait le TARTAM.
Disons-le tout net : vous souhaitez contraindre EDF, société anonyme détenue à majorité par des capitaux publics, à céder à ses concurrents, quasiment à prix coûtant, l’électricité d’origine nucléaire qu’elle produit. Nous n’avons jamais vu, dans l’histoire, de procédé aussi contraignant à l’égard d’une entreprise, qu’elle soit publique ou privée. Vous maltraitez ainsi le principe de la liberté d’entreprendre qui, vous le savez, n’est pas l’une de nos références préférées.
Il s’agit du choix délibéré de mettre la société EDF en difficulté afin de faire partager ses bénéfices, alors même que les entreprises qui achèteront de l’énergie nucléaire ne seront soumises à aucune contrainte réelle en termes d’obligations de service public, qu’elles concernent les tarifs ou la sécurité d’approvisionnement, malgré le dispositif mis en place à l’article 2 de ce projet de loi.
De plus, si la concurrence libre et non faussée repose sur une multiplication des offres, ce projet de loi ne permet que de renforcer les intermédiaires, la production nucléaire restant, pour sa part – et c’est heureux ! –, monopole d’EDF, notamment au regard des enjeux de sécurité, celle des installations comme celle des personnels.
Aujourd’hui, vous organisez une concurrence faussée en spoliant EDF au profit de ses concurrents. Notons que cela revient à spolier les Français, puisque ce sont eux qui ont permis, en acquittant leur facture énergétique, la réalisation d’investissements lourds, nécessaires à cette activité particulière qu’est la production d’énergie nucléaire.
De plus, ce projet de loi est contraire à notre pacte républicain. Le préambule de la Constitution de 1946, composante du « bloc de constitutionnalité » qui rassemble l’ensemble des valeurs constitutionnelles de notre République, dispose, comme l’a rappelé Jacques Mézard, que « tout bien, toute entreprise, dont l’exploitation a ou acquiert les caractères d’un service public national ou d’un monopole de fait, doit devenir la propriété de la collectivité ».
Cette qualification est notamment permise pour EDF, grâce au monopole d’exploitation de l’énergie nucléaire dont elle dispose. Or cette propriété publique d’EDF, justifiée par l’exercice d’un service public national, ne peut être utilisée par l’État pour nourrir les autres opérateurs au détriment de son outil public. Nous trouvons cette utilisation d’un service public national doté d’une mission de service public particulièrement troublante, puisque sa finalité serait de répondre non pas à l’intérêt général, mais aux intérêts privés de Suez, POWEO et autres Direct Energie.
Fondamentalement, les Français perçoivent EDF non pas comme une entreprise autonome opérant avec sa propre ambition sur un marché mondial, mais comme un service public dont la mission unique est de pourvoir à leurs besoins au moindre coût. Ainsi, 96 % des Français sont restés fidèles aux tarifs réglementés de leur opérateur historique, EDF.
Venons-en au deuxième point, qui me semble particulièrement contestable du point de vue de la constitutionnalité. Il s’agit de la fameuse clause de destination, évoquée par Roland Courteau, et prévue à l’article 1er du texte.
J’ai bien compris que, s’agissant de cette clause, les analyses divergeaient.
Voici ce que le député Jean-Claude Lenoir note dans son rapport : « Si la clause de destination n’est pas explicitement édictée dans le projet de loi, plusieurs dispositions techniques du projet de loi indiquent qu’est garanti le fait que l’ARENH bénéficiera in fine aux seuls consommateurs situés sur le territoire national ». Cette affirmation entre absolument en contradiction avec le courrier, daté du 15 septembre 2009, adressé par François Fillon, Premier ministre du Gouvernement français, à la commissaire européenne à la concurrence : « Le dispositif ne limiterait en aucune manière le potentiel d’exportation d’électricité puisque les fournisseurs qui auront acquis des volumes d’électricité de base à prix régulés resteront libres de les revendre à des clients finals en France, comme sur d’autres marchés ».
Que devons-nous penser de ces contradictions ?
Comme le note très justement le député Lenoir, cette « clause de destination peut apparaître comme une restriction injustifiée des exportations, incompatible avec le droit communautaire ». D’ailleurs, la Commission a condamné GDF-Suez et E.ON, le 8 juillet 2009, au motif qu’ils avaient conclu un accord similaire avec Gazprom.
Au final, ce projet de loi, censé répondre aux injonctions de la Commission et mettre le droit français en conformité avec le droit communautaire, aura pour conséquence de nous mettre une nouvelle fois en infraction avec celui-ci. Si d’aventure un recours était formé auprès de la Cour de justice des Communautés européennes, il y a fort à parier que cette clause serait déclarée incompatible avec le principe de libre circulation des biens et des marchandises, et avec la prohibition de tout obstacle aux frontières.
Pourtant, la suppression de cette clause entraînerait sûrement le marché de l’électricité nucléaire, aujourd’hui préservé, sur la pente redoutable de la spéculation financière. Nous sommes alors en droit de nous interroger : monsieur le secrétaire d’État, le Gouvernement a-t-il pris la mesure de la crise économique et sociale que nous traversons ?
Je souhaite également revenir sur la question des tarifs, essentielle pour les sénateurs de mon groupe, car elle concerne l’accès de tous à ce bien de première nécessité.
La première justification de ce projet de loi, selon le Gouvernement, est d’apporter des réponses aux actions engagées par la Commission européenne, qui poursuit la France, depuis le 15 décembre 2006, pour non-transposition de directive européenne. Ainsi a-t-elle engagé contre notre pays deux procédures d’infraction, l’une pour défaut de transposition de la directive de 2003 et visant les tarifs réglementés, l’autre plus récente, ouverte le 13 juin 2007 au motif que le TARTAM constituerait une aide d’État.
Or, sur ces questions, rien n’est encore réglé de manière définitive.
Certes, le TARTAM a vocation à disparaître : il sera éteint dès le 31 décembre de cette année et les tarifs réglementés dits « vert » et « jaune » seront supprimés en 2015. Cependant, le choix, que nous approuvons, de maintenir provisoirement les tarifs réglementés liés aux particuliers correspond, de fait, à une infraction au droit communautaire.
Par ailleurs, le Conseil constitutionnel a été très clair dans sa décision du 30 novembre 2006 : « Le maintien sans limite de temps des tarifs réglementés impose aux opérateurs historiques du secteur de l’énergie, et à eux seuls, des obligations tarifaires permanentes, générales et étrangères à la poursuite d’objectifs de service public ». Il considère que cette disposition méconnaît, par là même, le principe d’ouverture des marchés concurrentiels de l’électricité et du gaz naturel fixé par les directives.
Le Conseil constitutionnel met ainsi en cause, notamment, le caractère général de cette tarification, qui aurait dû être limitée aux seuls contrats en cours au moment de la libéralisation, c’est-à-dire ceux qui ont été passés avec des consommateurs n’ayant pas déménagé ou changé de situation personnelle.
Or les mécanismes créés par cette loi méconnaissent une nouvelle fois ces principes, ce qui expose le texte à une censure du Conseil constitutionnel.
Force est donc de constater que, en voulant satisfaire avec zèle à vos obligations, non seulement vous soulevez de nombreux problèmes juridiques nouveaux, comme je vous l’ai montré, mais encore vous ne répondez pas à l’injonction européenne !
Ce projet de loi ressemble donc à un arrangement entre amis, un arrangement juridiquement précaire mais qui a tout de même pour vous l’avantage de faire sauter le tabou de l’exploitation monopoliste de l’énergie nucléaire par EDF.
M. Jean-Jacques Mirassou. Exactement !
Mme Mireille Schurch. Or, depuis toujours, l’acceptabilité du nucléaire a reposé sur sa maîtrise publique et sur la transparence qui entourait la production de cette énergie !
M. Roland Courteau. Très bien !
Mme Mireille Schurch. Nous estimons que cette maîtrise publique est aujourd’hui remise en cause et que ce projet de loi constitue un premier pas vers la multiplication des opérateurs nucléaires sur le sol national, seul véritable espoir pour les Européens libéraux convaincus que vous êtes de se mettre en conformité avec le droit communautaire. Les appétits sont aiguisés et les opérateurs déjà dans les starting-blocks !
Lorsque l’on sait que des opérateurs participent d'ores et déjà à des centrales et que GDF Suez témoigne d’un grand appétit pour exploiter des centrales en France, nous ne pouvons que nous interroger sur le maintien, à terme, du monopole d’exploitation et craindre que l’actuel projet de loi ne soit qu’une étape vers le démantèlement total d’EDF en tant qu’entreprise intégrée.
Ne soyons pas dupes : ce projet de loi, avec les incertitudes qu’il comporte, appelle de nouveaux textes, qui iront encore plus loin dans le démantèlement du service public.
À ce titre, notons que vous avez vendu la mèche, monsieur le rapporteur, en exprimant tout à l'heure très clairement votre regret que « le Gouvernement n’ait pas exploré la piste de l’ouverture du capital des centrales nucléaires ».
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. J’assume totalement !
Mme Mireille Schurch. Pourtant, à notre avis, les garanties de sécurité des installations et des personnels ne peuvent être données que par des opérateurs publics, non par des opérateurs privés.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Non ! Par l’Autorité de sûreté, madame !
Mme Mireille Schurch. Je parle bien des opérateurs privés, monsieur le rapporteur ! Or l’objectif premier de ces derniers restera toujours la rationalisation des coûts.
Actuellement, la dénaturation de l’entreprise EDF a déjà abouti à un recours accru à la sous-traitance, avec les conséquences que nous connaissons.
Pour conclure, force est de constater que les auteurs de ce projet de loi, tout en voulant satisfaire de la manière la plus zélée au droit communautaire, continuent de se placer en infraction avec ce dernier et n’apportent aucune réponse au triple défi énergétique, écologique et social d’un grand service public de l’énergie.
À notre sens, tout le problème réside dans cette contradiction : les directives européennes imposent l’instauration d’un marché énergétique libre, alors même que ce modèle libéral est contre-productif dans un secteur si particulier.
Nous souhaiterions donc que le Gouvernement, au lieu de faire du bricolage juridique, s’engage dans la voie d’une remise à plat des objectifs nationaux, voire européens, dans le secteur de l’énergie.
Nous avions un modèle qui fonctionnait avec des tarifs abordables. Pourquoi renier tout cela ?
Comment imaginer pouvoir se passer de ce caractère public, alors même que les investissements à réaliser dans le secteur sont aujourd’hui colossaux, notamment au regard du nécessaire renouvellement du parc nucléaire ?
Nous proposons depuis de très nombreuses années une remise à plat des règles européennes et une réorientation de la construction de l’espace communautaire, en mettant au cœur de la réflexion les questions des services publics et du développement durable, alliant efficacité économique, efficacité sociale et efficacité environnementale.
C'est pourquoi nous demandons sans relâche l’abandon des traités européens, notamment celui de Lisbonne,…
Mme Mireille Schurch. … qui grave dans le marbre des principes de concurrence libre et non faussée incompatibles avec l’existence d’un service public de l’énergie digne de ce nom.
Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, nous vous demandons d’adopter cette motion. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
Mme Odette Terrade. Très bien !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire. Chers collègues du groupe CRC-SPG, j’apprécie votre humour ! Il est assez surprenant, je l’avoue, de vous entendre nous prendre à contre-pied et, surtout, à rebours de vos propres propositions, vous faire les défenseurs du libéralisme ! (Sourires sur les travées de l’UMP. – Protestations sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
En tout cas, j’apprécie !
J’ai retrouvé ensuite, dans vos différents arguments, une position beaucoup plus classique, qui rapprochait d'ailleurs votre intervention de celle de votre collègue Jean-Claude Danglot. Celui-ci, tout à l'heure, a exprimé très clairement votre opposition au projet de loi portant nouvelle organisation du marché de l’électricité.
Je voudrais simplement apporter deux précisions, en me fondant non pas sur votre intervention, madame Schurch, mais sur l’objet de la motion que vous avez présentée.
Premièrement – pardonnez-moi de me répéter, et de redire ici ce que M. le secrétaire d'État a déjà évoqué tout à l'heure, tout comme Philippe Marini dans son intervention –, chers collègues de l’opposition, que cela vous plaise ou non, nous sommes sous la menace de deux procédures !
La première a été lancée en avril 2006 pour défaut de mise en œuvre de la directive de 2003. La Commission de Bruxelles a estimé que les tarifs réglementés constituaient un obstacle à l’ouverture du marché.
La seconde, qui a été lancée en juin 2007, est relative aux aides d’État. Le ministre d’État Jean-Louis Borloo a rappelé tout à l'heure que plusieurs dizaines de milliards d'euros étaient en jeu. Cette menace pèse sur l’État français, sur EDF et sur les entreprises françaises qui ont bénéficié de ces tarifs, notamment du TARTAM. Le présent projet de loi vise à répondre à ces deux procédures,…
M. Roland Courteau. Pas seulement !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. … qu’il faut tout de même prendre au sérieux. Vous ne pouvez les balayer d’un revers de main !
Au passage, chers collègues de l’opposition, le groupe socialiste pourrait, demain, avec les sénateurs du groupe CRC-SPG comme partenaires, être au pouvoir… (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme Odette Terrade. Nous l’espérons bien !
Mme Mireille Schurch. Cela vient !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Comme cela a été le cas dans le passé, vous assumeriez alors vos responsabilités,…
M. Roland Courteau. Ô combien !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. … c'est-à-dire que, face à des menaces comme celles-ci, vous n’auriez pas le même comportement que celui que vous adoptez à présent. C’est probablement vous qui nous obligeriez à prendre position sur des mesures que vous nous proposeriez. Il faut donc être responsable, me semble-t-il. Un parlementaire peut être un jour dans la majorité, un autre, dans l’opposition !
M. Roland Courteau. Mais votre réponse n’est pas la meilleure !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Monsieur Courteau, pour ma part, j’ai été tour à tour dans la majorité et dans l’opposition, je me plais à le dire et à le répéter !
Deuxièmement, vous faites état également du risque de censure des autorités de Bruxelles qui pèse sur nous, et vous avez raison. Toutefois, je voudrais vous rappeler que les grandes lignes de cette réforme ont été présentées par le Premier ministre, dans une lettre datée de septembre 2009, et que les commissaires européens chargés respectivement de l’énergie et de la concurrence ont répondu tous deux que l’adoption de ce projet de loi pourrait conduire à l’abandon des procédures.
Il n'y a donc aucune raison pour que ce texte soit remis en cause. Au contraire, s’il est adopté, les autorités de Bruxelles en tireront des conséquences qui seront forcément positives.
En conséquence, la commission émet un avis défavorable sur la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix la motion n° 22, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi portant nouvelle organisation du marché de l’électricité.
Je suis saisie d'une demande de scrutin public émanant de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire.
Je rappelle que la commission et le Gouvernement ont émis un avis défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici le résultat du scrutin n° 278 :
Nombre de votants | 339 |
Nombre de suffrages exprimés | 337 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 169 |
Pour l’adoption | 150 |
Contre | 187 |
Le Sénat n'a pas adopté.
M. Roland Courteau. C’est regrettable !
Mme la présidente. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
15
Modification de l’ordre du jour
Mme la présidente. Par lettre en date de ce jour, M. le ministre chargé des relations avec le Parlement a modifié l’ordre du jour de la séance du jeudi 30 septembre pour prévoir la suite éventuelle de l’examen du projet de loi portant nouvelle organisation du marché de l’électricité.
En conséquence, l’ordre du jour de la séance du jeudi 30 septembre s’établit comme suit :
À neuf heures trente, l’après-midi, après les questions d’actualité au Gouvernement, et le soir :
- Suite éventuelle du projet de loi portant nouvelle organisation du marché de l’électricité, NOME.
- Projet de loi autorisant l’approbation de l’avenant à la convention entre la France et la Suisse en vue d’éviter les doubles impositions en matière d’impôt sur le revenu et sur la fortune.
- Cinq conventions fiscales, dont la commission des finances a demandé l’examen sous forme simplifiée.
- Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, de régulation bancaire et financière.
Acte est donné de cette communication.
16
Ordre du jour
Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 28 septembre 2010 :
À neuf heures trente :
1. Questions orales.
(Le texte des questions figure en annexe).
À quatorze heures trente, le soir et la nuit :
2. Suite du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, portant nouvelle organisation du marché de l’électricité (n° 556, 2009-2010).
Rapport de M. Ladislas Poniatowski, fait au nom de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire (n° 643, 2009 2010).
Texte de la commission (n° 644, 2009-2010).
Avis de M. Philippe Marini, fait au nom de commission des finances (n° 617, 2009-2010).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt-trois heures quarante-cinq.)
Le Directeur adjoint
du service du compte rendu intégral,
FRANÇOISE WIART