Article 1er
Après l’article 4 de la loi n° 2000-108 du 10 février 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l’électricité, il est inséré un article 4-1 ainsi rédigé :
« Art. 4-1. – I. – Afin d’assurer la liberté de choix du fournisseur d’électricité tout en faisant bénéficier l’attractivité du territoire et l’ensemble des consommateurs de la compétitivité du parc électro-nucléaire français, il est mis en place à titre transitoire un accès régulé et limité à l’électricité nucléaire historique, produite par les centrales nucléaires mentionnées au II, ouvert à tous les opérateurs fournissant des consommateurs finals résidant sur le territoire métropolitain continental ou des gestionnaires de réseaux pour leurs pertes, à des conditions économiques équivalentes à celles résultant pour Électricité de France de l’utilisation de ses centrales nucléaires mentionnées au même II.
« II. – Pendant la période définie au VII, Électricité de France cède de l’électricité, pour un volume maximal et dans les conditions définies au III, aux fournisseurs d’électricité qui en font la demande, titulaires de l’autorisation prévue au IV de l’article 22 et qui prévoient d’alimenter des consommateurs finals ou des gestionnaires de réseaux pour leurs pertes, situés sur le territoire métropolitain continental. Les conditions d’achat reflètent les conditions économiques de production d’électricité par les centrales nucléaires d’ Électricité de France situées sur le territoire national et mises en service avant la publication de la loi n° … du … portant nouvelle organisation du marché de l’électricité.
« Les conditions dans lesquelles s’effectue cette vente sont définies par arrêté du ministre chargé de l’énergie sur proposition de la Commission de régulation de l’énergie. Il en est de même des stipulations de l’accord-cadre mentionné au III du présent article.
« Le volume global maximal d’électricité nucléaire historique pouvant être cédé est déterminé par arrêté des ministres chargés de l’économie et de l’énergie, après avis de la Commission de régulation de l’énergie, en fonction notamment du développement de la concurrence sur les marchés de la production d’électricité et de la fourniture de celle-ci à des consommateurs finals. Ce volume global maximal, qui demeure strictement proportionné aux objectifs poursuivis, ne peut excéder 100 térawattheures par an.
« III. – Dans un délai d’un mois à compter de la demande présentée par un fournisseur mentionné au II, un accord-cadre conclu avec Électricité de France garantit, dans les conditions définies par le présent article, les modalités selon lesquelles ce fournisseur peut, à sa demande, exercer son droit d’accès régulé à l’électricité nucléaire historique pendant la période transitoire par la voie de cessions d’une durée d’un an.
« Le volume maximal cédé à un fournisseur mentionné au II est calculé pour une année par la Commission de régulation de l’énergie, dans le respect des III et IV du présent article, en fonction des caractéristiques et des prévisions d’évolution de la consommation des consommateurs finals et des gestionnaires de réseaux pour leurs pertes que fournit et prévoit de fournir ce fournisseur sur le territoire métropolitain continental, et en fonction de ce que représente la part de la production des centrales mentionnées au II dans la consommation totale des consommateurs finals. De manière transitoire, jusqu’au 31 décembre 2015, afin de refléter la modulation de la production des centrales mentionnées au II, les règles de calcul de ce volume tiennent comptent des catégories et du profil de consommation des clients du fournisseur dans la mesure où cela ne conduit pas à ce que la part du volume global maximal mentionné au II attribuée au titre d’une catégorie de consommateurs s’écarte de manière significative de ce que représente la consommation de cette catégorie de consommateurs dans la consommation totale du territoire métropolitain continental.
« Si la somme des volumes maximaux définis au deuxième alinéa pour chacun des fournisseurs excède le volume global maximal fixé par l’arrêté mentionné au II, la Commission de régulation de l’énergie répartit ce dernier entre les fournisseurs de manière à permettre le développement de la concurrence sur l’ensemble des segments du marché de détail.
« Le volume cédé à chaque fournisseur est fixé par la Commission de régulation de l’énergie, selon une périodicité infra-annuelle, et notifié au fournisseur. Les échanges d’information sont organisés, sous le contrôle de la Commission de régulation de l’énergie, de telle sorte qu’Électricité de France ne puisse pas avoir accès à des positions individuelles.»
« À compter du 1er août 2013, les droits des fournisseurs sont augmentés de manière progressive en suivant un échéancier sur trois ans défini par arrêté du ministre chargé de l’énergie, pour tenir compte des quantités d’électricité qu’ils fournissent aux gestionnaires de réseaux pour leurs pertes. Ces volumes supplémentaires s’ajoutent au plafond fixé par l’arrêté mentionné au II.
« Les ministres chargés de l’énergie et de l’économie peuvent, par arrêté conjoint, suspendre le dispositif d’accès régulé à l’électricité nucléaire historique et la cession par Électricité de France de tout ou partie des volumes d’électricité correspondant audit dispositif en cas de circonstances exceptionnelles affectant les centrales mentionnées au II.
« IV. – Le volume maximal mentionné au III est calculé selon les modalités suivantes :
« 1° En ce qui concerne les sites pour lesquels a été souscrite une puissance supérieure à 36 kilovoltampères, seules sont prises en compte les consommations d’électricité faisant l’objet de contrats avec des consommateurs finals conclus, ou modifiés par avenant pour tenir compte de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique, après la promulgation de la loi n° … du … portant nouvelle organisation du marché de l’électricité, ainsi que les perspectives de développement des portefeuilles de contrats ;
« 2° Les volumes d’électricité correspondant aux droits des actionnaires des sociétés de capitaux agréées qui ont pour activité l’acquisition de contrats d’approvisionnement à long terme d’électricité, mentionnées à l’article 238 bis HV du code général des impôts, sont décomptés dans des conditions précisées par décret ;
« 3° Le volume peut être réduit, sur décision conjointe du fournisseur et d’Électricité de France, des quantités d’électricité de base dont dispose, sur le territoire métropolitain continental, le fournisseur ou toute société qui lui est liée par le biais de contrats conclus avec Électricité de France, ou toute société liée à ce dernier, après la promulgation de la loi n°… du … précitée. Le cas échéant, les cocontractants notifient à la Commission de régulation de l’énergie la teneur de ces contrats et les modalités de prise en compte de la quantité d’électricité devant être déduite.
« Deux sociétés sont réputées liées :
« a) Soit lorsque l’une détient directement ou indirectement la majorité du capital social de l’autre ou y exerce en fait le pouvoir de décision ;
« b) Soit lorsqu’elles sont placées l’une et l’autre sous le contrôle d’une même tierce entreprise qui détient directement ou indirectement la majorité du capital social de chacune ou y exerce en fait le pouvoir de décision.
« V. – Dans le cas où les droits alloués à un fournisseur en début de période en application du III s’avèrent supérieurs aux droits correspondant à la consommation constatée des clients finals sur le territoire métropolitain continental et des gestionnaires de réseaux pour leurs pertes, la Commission de régulation de l’énergie notifie au fournisseur et à Électricité de France le complément de prix à acquitter par le premier au titre des volumes excédentaires. Ce complément, qui tient compte du coût de financement lié au caractère différé de son règlement, est au moins égal à la partie positive de l’écart moyen entre les prix observés sur les marchés et le prix d’accès régulé à l’électricité nucléaire historique. Il tient également compte de l’ampleur de l’écart entre la prévision initialement faite par le fournisseur et la consommation constatée de ses clients finals sur le territoire métropolitain continental et des gestionnaires de réseaux pour leurs pertes. Les modalités de son calcul sont précisées par décret en Conseil d’État, pris après avis de la Commission de régulation de l’énergie. »
« Les prix mentionnés à l’alinéa précédent s’entendent hors taxes.
« V bis. – Les distributeurs non nationalisés mentionnés à l’article 23 de la loi n° 46-628 du 8 avril 1946 sur la nationalisation de l’électricité et du gaz peuvent confier la gestion des droits qui leur sont alloués en application du III du présent article, sur la base de la consommation de leurs clients situés dans leur zone de desserte, à un autre distributeur non nationalisé. Ce dernier est l’interlocuteur pour l’achat de ses volumes propres et ceux dont les droits lui ont été transférés.
« VI. – Le prix de l’électricité cédée en application du présent article par Électricité de France aux fournisseurs de consommateurs finals sur le territoire métropolitain continental ou de gestionnaires de réseaux pour leurs pertes est arrêté par les ministres chargés de l’énergie et de l’économie, sur proposition de la Commission de régulation de l’énergie. La décision est réputée acquise en l’absence d’opposition de l’un des ministres dans un délai de trois mois suivant la réception de la proposition de la commission. Afin d’assurer une juste rémunération à Électricité de France, le prix est représentatif des conditions économiques de production d’électricité par les centrales mentionnées au II sur la durée du dispositif mentionnée au VII. Il tient compte de l’addition :
« 1° D’une rémunération des capitaux prenant en compte la nature de l’activité ;
« 2° Des coûts d’exploitation ;
« 3° Des coûts des investissements de maintenance ou nécessaires à l’extension de la durée de l’autorisation d’exploitation ;
« 4° Des coûts prévisionnels liés aux charges pesant à long terme sur les exploitants d’installations nucléaires de base mentionnées au I de l’article 20 de la loi n° 2006-739 du 28 juin 2006 de programme relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs.
« Pour apprécier les conditions économiques de production d’électricité par les centrales mentionnées au II du présent article, la Commission de régulation de l’énergie se fonde sur des documents permettant d’identifier l’ensemble des coûts exposés dans le périmètre d’activité de ces centrales, selon les méthodes usuelles. Elle peut exiger d’Électricité de France les documents correspondants et leur contrôle, aux frais d’Électricité de France, par un organisme indépendant qu’elle choisit.
« À titre transitoire, pendant une durée de trois ans à compter de la promulgation de la loi n° … du … portant nouvelle organisation du marché de l’électricité, le prix est arrêté par les ministres chargés de l’énergie et de l’économie après avis motivé de la Commission de régulation de l’énergie. Toute décision des ministres passant outre l’avis motivé de la Commission de régulation de l’énergie est motivée. Le prix est initialement fixé en cohérence avec le tarif visé à l’article 30-1 de la loi n° 2004-803 du 9 août 2004 relative au service public de l’électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières en vigueur à la date de publication du décret mentionné au VIII du présent article ou en vigueur le 31 décembre 2010 dans le cas où la publication de ce décret interviendrait après cette date.
« VII. – Le dispositif transitoire d’accès régulé à l’électricité nucléaire historique est mis en place à compter de l’entrée en vigueur du décret mentionné au VIII et jusqu’au 31 décembre 2025.
« Avant le 31 décembre 2015, puis tous les cinq ans, le Gouvernement présente au Parlement, sur la base de rapports de la Commission de régulation de l’énergie et de l’Autorité de la concurrence, un rapport sur le dispositif d’accès régulé à l’électricité nucléaire historique. Ce rapport :
« 1° Évalue la mise en œuvre de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique ;
« 2° Évalue son impact sur le développement de la concurrence sur le marché de la fourniture d’électricité et la cohérence entre le prix des offres de détail et le prix régulé d’accès à l’électricité nucléaire historique ;
« 3° Évalue son impact sur le fonctionnement du marché de gros ;
« 4° Évalue son impact sur la conclusion de contrats de gré à gré entre les fournisseurs et Électricité de France et sur la participation des acteurs aux investissements dans les moyens de production nécessaires à la sécurité d’approvisionnement en électricité et propose, le cas échéant, au regard de cette évaluation, des modalités de fin du dispositif assurant une transition progressive pour les fournisseurs d’électricité ;
« 5° Propose, le cas échéant, des adaptations du dispositif ;
« 5° bis Propose, le cas échéant, des modalités permettant d’associer les acteurs intéressés aux investissements de prolongation de la durée d’exploitation des centrales nucléaires ;
« 6° Propose, le cas échéant, sur la base de la programmation pluriannuelle des investissements mentionnée à l’article 6 de la présente loi, qui peut fixer les objectifs en terme de prolongation de la durée d’exploitation des centrales nucléaires et d’échéancier de renouvellement du parc nucléaire, de prendre progressivement en compte dans le prix de l’électricité pour les consommateurs finals les coûts de développement de nouvelles capacités de production d’électricité de base et de mettre en place un dispositif spécifique permettant de garantir la constitution des moyens financiers appropriés pour engager le renouvellement du parc nucléaire.
« À cet effet, les ministres chargés de l’énergie et de l’économie ont accès aux informations nécessaires dans les conditions fixées à l’article 33.
« VII bis. – Tout fournisseur ayant conclu, avant la promulgation de la loi n° … du … portant nouvelle organisation du marché de l’électricité et afin de fournir en France les clients finals professionnels raccordés au réseau en basse tension dont la puissance souscrite n’excède pas 36 kilovoltampères et les clients domestiques, à l’issue d’une procédure d’enchère, un contrat avec Électricité de France pour l’acquisition de volumes d’électricité de base assorti d’une clause de prix complémentaire en cas de vente de l’électricité sur le marché de gros peut résilier ce contrat, dans un délai maximal de trois ans à compter de la promulgation de la loi n° …du … précitée.
« Cette résiliation ne peut donner lieu au paiement de quelque indemnité ou pénalité que ce soit. Elle ne peut donner lieu à l’application d’une facture complémentaire pour les quantités d’électricité ayant déjà été facturées. Cette résiliation ne fait pas obstacle à la possibilité pour Électricité de France de facturer, au prix prévu dans le contrat, les quantités d’électricité qu’elle a déjà livrées à la date de résiliation du contrat et qui n’ont pas été facturées à cette date. Le prix d’accès au contrat résultant de l’enchère mentionnée au premier alinéa du présent VII bis est réglé par le fournisseur à Électricité de France au prorata de la durée effective de livraison par rapport à la durée comprise entre la date de la première livraison et le 31 décembre 2012.
« VIII. – Un décret en Conseil d’État, pris après avis de la Commission de régulation de l’énergie, précise les conditions d’application du présent article, notamment :
« 1° Les obligations qui s’imposent à Électricité de France et aux fournisseurs bénéficiant de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique en application des II et III, et les méthodes d’identification et de comptabilisation des coûts mentionnés au VI ;
« 2° Les conditions dans lesquelles la Commission de régulation de l’énergie calcule et notifie les volumes et propose les conditions d’achat de l’électricité cédée dans le cadre de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique en application du présent article et les conditions dans lesquelles les ministres chargés de l’économie et de l’énergie arrêtent ces conditions d’achat. »
M. le président. La parole est à Mme Mireille Schurch, sur l'article.
Mme Mireille Schurch. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, l’article 1er du projet de loi NOME, dont nous débutons l’examen, constitue le cœur de la politique énergétique du Gouvernement.
Il y est question de contrats de vente, de prix de cession, d’obligations imposées à l’opérateur historique, de compensations financières en cas de non-respect des engagements contractuels. En bref, on nous livre ici un véritable petit traité commercial.
En revanche, jamais ne sont prononcés les mots : recherche; industrie, formation, emploi. Mais ce n’est guère étonnant, puisqu’il s’agissait ici, pour le Premier ministre, d’appliquer et même de devancer les exigences européennes en matière de concurrence libre et non faussée.
Tout d’abord, en obligeant EDF à vendre une part substantielle de sa production, l’interventionnisme étatique, tellement combattu par la droite, revient au goût du jour.
En sus de l’obligation de vendre, l’État détermine comment, à qui et à quel prix ! Les défenseurs de l’économie administrée auraient-ils changé de camp ? Non, bien entendu, car il manque une composante essentielle : la satisfaction de l’intérêt général.
L’article 1er est, au contraire, entièrement dédié à la satisfaction des intérêts privés. Il s’agit, selon les termes du projet de loi, « d’assurer la liberté de choix du fournisseur d’électricité » – nous pensions naïvement que l’ouverture du marché français à la concurrence le faisait déjà – « tout en faisant bénéficier l’attractivité du territoire et l’ensemble des consommateurs de la compétitivité du parc électronucléaire français ». Là encore, il nous semblait que les consommateurs français, par leur attachement aux tarifs réglementés avaient déjà compris comment bénéficier des investissements d’hier.
En réalité, au regard des objectifs que vous affichez, le projet de loi n’était pas nécessaire. De plus, l’article 1er soulève plusieurs questions.
Comme nous l’avons exposé lors de la présentation de l’exception d’irrecevabilité, il présente le risque majeur d’une condamnation européenne en raison de la clause de destination qu’il contient, même si vous la nommez autrement.
Ensuite, il reste très évasif sur l’évolution du volume cédé, au regard notamment des engagements officiels de M. Fillon auprès des commissaires européens.
Ensuite, la question du prix n’est pas tranchée. Une liste d’éléments à prendre en considération est établie. Toutefois cette liste est incomplète et, surtout, une partie des données ne seront établies que sur la base de prévisions.
Enfin, je voudrais dire un mot sur la question de la répercussion de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique, l’ARENH, sur les prix de l’électricité et des tarifs réglementés. Il y en aura une, c’est certain.
Formellement, le prix de l’ARENH va être pris en considération dans la nouvelle formule tarifaire. Et, en tout état de cause, EDF va avoir un manque à gagner qu’elle va naturellement répercuter. Ne pouvant le répercuter sur les fournisseurs, en raison du prix fixe du kilowattheure ARENH, elle le fera donc sur les usagers.
Dans son intervention lors de la discussion générale hier soir, M. Jean-Louis Borloo, ministre d'État, expliquait que nous restions sur une régulation, mais une régulation en amont et non plus en aval.
Tout est résumé : on accepte de réguler les prix pour les opérateurs privés, mais pas pour les consommateurs.
M. Roland Courteau. Voilà !
Mme Mireille Schurch. On accepte de prendre des mesures pour que les commercialisateurs paient moins cher l’électricité à la source, et là on régule sans se soucier des répercussions sur le pouvoir d’achat de Français.
Vous faites une loi qui organise la mort des tarifs réglementés dans le plus grand mépris de la garantie d’un droit à l’énergie pour tous, lequel nous tient à cœur, cela alors même que la précarité énergétique gagne du terrain. En effet, on estime qu’entre « 3 millions et 5 millions de ménages français sont dans une situation de précarité énergétique ». Les ménages les plus pauvres consacrent 15 % de leur revenu aux dépenses énergétiques contre seulement 6 % pour les plus riches.
Que proposez-vous pour répondre à ces besoins urgents ? La « création d’un Observatoire destiné à mieux comprendre ce phénomène ». Ce sont les termes du Rapport d’activité du médiateur national de l’énergie 2009. On croit rêver !
Je conclus : l’article 1er du projet de loi taillé sur mesure pour les commercialisateurs d’électricité ne répond pas aux exigences en termes de sécurité d’approvisionnement, d’indépendance énergétique. De plus, il va entraîner un renchérissement des tarifs, aggravant un peu plus les inégalités sociales, économiques et territoriales. (Très bien ! sur les travées du groupe CRC-SPG.)
M. le président. Mes chers collègues, je vous demande de respecter les cinq minutes de temps de parole qui sont accordées à chaque intervenant sur l'article, car il reste encore cinq orateurs à écouter !
La parole est à M. Roland Courteau, sur l'article.
M. Roland Courteau. Avant toute discussion sur cet article 1er, nous souhaitons aborder une question qui nous préoccupe et qui pourrait être une source d’insécurité juridique à l’échelon européen : il s’agit de la portée de la clause de destination qui figure, même si d’aucuns ne veulent pas le reconnaître, à l’alinéa 7 de l’article 1er.
Cet alinéa dispose que les fournisseurs accédant à la rente nucléaire devront justifier d’un portefeuille de clients équivalent sur le territoire national. Il s’agit là, de toute évidence, de l’introduction d’une clause de destination qui oblige les fournisseurs à revendre leur électricité sur le territoire français.
Nous nous interrogeons sur la question de savoir si cette clause va résister au couperet du droit communautaire, même si, comme le dispositif de l’ARENH, elle est transitoire.
Cette clause est a priori contraire au droit communautaire, ce que rappelle la Commissaire européenne Neelie Kroes dans sa lettre de réponse au Premier ministre, échange peu conventionnel qui a été revendiqué comme étant un accord.
Dans sa réponse, celle-ci a averti la France : « Il est en effet nécessaire d’éviter que ces modalités techniques, que vous proposez de définir ultérieurement avec les parties prenantes, s’écartent des principes généraux définis dans le courrier et contreviennent, de ce fait, par certains de leurs aspects, au droit communautaire et en particulier aux règles relatives à la concurrence et au fonctionnement du marché intérieur. »
Elle fait ensuite état du nécessaire « respect des dispositions de l’article 29 du Traité CE » qui prévoient l’interdiction de quotas ou de mesures visant à limiter quantitativement l’importation ou l’exportation de certaines marchandises.
En effet, la Commission européenne a toujours considéré que les clauses de territorialité ou de destination étaient « anticoncurrentielles », et cela encore en juillet 2007 concernant des contrats avec l’Algérie. Bien que les déclarant illégales, la Commission européenne n’a pas pour autant remis en cause le principe des contrats à long terme.
Ces clauses de destination ont été toutefois abrogées fin 2003 par Gazprom dans ses contrats de fourniture, notamment avec E.On.
Cette clause non seulement introduit une insécurité juridique du système proposé dans ce projet de loi, mais fait peser une menace de non-conformité au droit communautaire sur l’ensemble du texte.
Même si certains pourront arguer du fait que la lettre et le texte actuel ne sont pas en contradiction immédiate avec le droit communautaire, ce sont plus les effets collatéraux à l’échelon européen de ce projet de loi qui sont à craindre. En effet, lorsque des clients industriels allemands voudront bénéficier du même prix de l’électricité que les Français, rien ne les empêchera d’aller devant la Cour de justice de l’Union européenne pour arguer d’une restriction à la libre circulation.
Et si l’introduction de cette clause tient à un accord conclu dans deux lettres, elle ne résistera pas dans le temps, en tout cas à notre avis.
Cette crainte est également confirmée par l’un des membres de la Commission Champsaur, Jacques Percebois, qui, en mai 2009, notait que « la Commission de Bruxelles peut y voir une “clause de destination”, laquelle est contraire au droit européen ».
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances, a remarqué que les deux commissaires européens ne s’étaient pas trop engagés pour la Cour de justice européenne. D’ailleurs, une actualité récente tend à montrer le degré de menace qui pèse sur ce projet de loi.
Ainsi GDF Suez et E.On ont-ils été condamnés, le 9 juillet 2009, pour entente illégale, à verser une amende de 553 millions d’euros chacun, après une enquête ouverte en 2007. L’un des principaux reproches de la Commission concerne notamment les clauses de destination qui sont incluses dans un accord passé en 1975 avec Gazprom et qui empêchent l’acheteur de revendre le gaz en dehors d’une zone géographique déterminée.
Nous considérons ainsi que l’accord Fillon-Kroes, sur lequel repose ce projet de loi, ne sera pas suffisant pour éviter tout risque de recours devant la Cour de justice de l’Union européenne. Qui empêchera des clients ou des producteurs et fournisseurs d’un autre État membre, lorsqu’ils voudront bénéficier des tarifs français, en théorie plus bas, de porter plainte pour discrimination en matière de tarifs ?
Qu’en pense le Gouvernement ? Qu’en pensez-vous monsieur le rapporteur ?
M. le président. La parole est à M. Daniel Raoul, sur l'article.
M. Daniel Raoul. Je voudrais qu’il n’y ait pas d’ambiguïté entre nous, en particulier sur ce que l’on appelle « la maîtrise publique de l’énergie nucléaire ». J’exposerai donc clairement notre position, à partir de trois considérants.
Tout d’abord, comme le confirme la loi du 10 février 2000, l’électricité est un bien de première nécessité non stockable.
Ensuite, nous avons défendu le « 3x20 » inscrit à l’article 2 du Grenelle 1 : « La France se fixe comme objectif de devenir l’économie la plus efficiente en équivalent carbone de la Communauté européenne d’ici à 2020. À cette fin, elle prendra toute sa part à la réalisation de l’objectif de réduction d’au moins 20 % des émissions de gaz à effet de serre de la Communauté européenne à cette échéance, cet objectif étant porté à 30 % pour autant que d’autres pays industrialisés hors de la Communauté européenne s’engagent sur des objectifs comparables et que les pays en développement les plus avancés apportent une contribution adaptée. Elle soutiendra également la conclusion d’engagements internationaux contraignants de réduction des émissions. Elle concourra, de la même manière, à la réalisation de l’objectif d’amélioration de 20 % de l’efficacité énergétique de la Communauté européenne et s’engage à porter la part des énergies renouvelables à au moins 23 % de sa consommation d’énergie finale d’ici à 2020. »
Enfin, l’expertise française en matière d’énergie nucléaire est reconnue mondialement.
Je vais maintenant énumérer les six points qui fondent notre position.
Premièrement, le système électrique français est surtout dépendant en matière de production de pointe. Il est nécessaire de responsabiliser les consommateurs domestiques et industriels sur la maîtrise de leur consommation énergétique et sur les capacités d’effacement – nous reviendrons sur ce point au cours de l’examen du texte. L’évaluation de nos besoins énergétiques futurs doit être analysée à l’aune de la priorité donnée à la sobriété et à l’efficacité énergétique, notamment dans le bâtiment et les transports.
Deuxièmement, étant donné nos engagements européens en matière de lutte contre les gaz à effet de serre, l’énergie nucléaire est aujourd’hui incontournable dans le bouquet énergétique français.
Troisièmement, pour être accepté, le nucléaire doit être sûr et rester sous maîtrise publique. C’est pourquoi le prolongement des autorisations d’exploitation des centrales nucléaires existantes et leur renouvellement ne peuvent reposer que sur la continuité de l’effort de recherche et le maintien des compétences. Cet effort doit permettre d’avancer vers une future génération de réacteurs visant à réduire et maîtriser les déchets. Sur ce point, nous pouvons d’ailleurs nous interroger, mes chers collègues : n’avons-nous pas fait fausse route avec l’EPR, au lieu de nous tourner vers les réacteurs de quatrième génération ?
Quatrièmement, il convient, de la même façon, de maintenir une exigence forte en matière de contrôle et de transparence de la filière nucléaire et de non-prolifération.
Cinquièmement, cet effort de recherche en matière nucléaire ne doit pas, toutefois, se faire au détriment d’un effort de recherche au moins équivalent en matière d’énergies renouvelables, d’efficacité énergétique et de développement volontariste de l’ensemble des filières industrielles liées.
Je vous donnerai un seul exemple, mes chers collègues, celui de l’énergie photovoltaïque. En raison du prix de rachat de l’électricité produite et des niches fiscales, nous importons aujourd’hui des produits dont le bilan carbone est pour le moins négatif. Autrement dit, on a mis la charrue devant les bœufs ! Après avoir créé un effet d’aubaine pour certains industriels, nous achetons des produits qui ne sont pas conformes aux exigences du Grenelle de l’environnement.
Sixièmement, enfin, nous devons renforcer la solidarité de notre système électrique avec l’ensemble du réseau européen, en assurant le développement des interconnexions et en créant ce que l’on appelle, depuis la loi du 10 février 2000, une véritable politique européenne de l’énergie, dont la nécessité s’avère particulièrement cruciale au vu des tensions qui s’exercent entre certains pays concernant leur alimentation en gaz. Il serait donc grand temps qu’une politique européenne de l’énergie se mette en place, simplement pour assurer notre indépendance.
M. le président. La parole est à M. Jacques Muller, sur l'article.
M. Jacques Muller. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, avec l’article 1er, nous abordons le cœur de ce projet de loi, aux termes duquel 25 % de la production nucléaire sera concédé par EDF au prix de revient.
Le nucléaire, parlons-en ! Il existe en effet des affirmations qui tournent en boucle et finissent par s’imposer selon le bon vieux principe de la méthode Coué. Elles débouchent sur trois paradigmes ou, plutôt, trois dogmes.
Comme le disait Spinoza et, à l’instant, notre collègue Daniel Raoul (Sourires), le doute est le premier pas vers la vérité. Par conséquent, permettez-moi de remettre en cause ces trois dogmes.
Le premier est celui de l’indépendance énergétique assurée par l’énergie nucléaire.
Je rappelle ici que cette filière dite d’exception repose sur un minerai dont les quantités sont limitées – même si elles sont encore exploitables durant quelques petites décennies – et qui, de surcroît, se trouve sur des territoires que nous ne maîtrisons pas. À cet égard, je ne reviendrai pas sur les événements dramatiques qui se sont déroulés au Niger. Mais est-il raisonnable de claironner que cette filière industrielle garantit notre indépendance énergétique, alors même que les gisements nécessaires nous échappent totalement ?
Selon le deuxième dogme, l’énergie nucléaire est une énergie propre qui n’émet pas de gaz carbonique. Là encore, c’est un écran de fumée qui cache mal une autre réalité, celle de l’ensemble des énergies grises utilisées par la filière.
Oui, il faut du gaz carbonique pour extraire le minerai au Niger et le transformer ici. Il en faudra aussi pour traiter, demain, les centrales nucléaires en fin de vie ; il en faudra aussi pour traiter, demain, les déchets nucléaires. Lorsque l’on additionne l’ensemble du gaz carbonique issu de ces activités, le bilan n’est pas très glorieux !
Certaines études menées en Allemagne ont démontré qu’une bonne centrale à gaz accompagnée d’une installation en cogénération présente un meilleur bilan carbone que nos centrales nucléaires.
Le troisième dogme affirme la rentabilité du courant nucléaire. N’en déplaise à M. le secrétaire d’État, qui n’a pas été suffisamment attentif aux propos que j’ai tenus hier, ou à l’intention de ceux de nos collègues qui n’étaient pas présents à ce moment-là, je rappellerai que nous n’internalisons pas certains coûts importants dans le prix du courant nucléaire.
Ainsi, le prix du traitement des centrales en fin de vie est quasiment inconnu. Autrement dit, les provisions qui sont inscrites ne correspondent pas à la réalité. Jusqu’à présent, aucun pays ne s’est engagé dans l’opération extrêmement difficile et complexe qui consisterait à évaluer ces coûts. Avancer aujourd’hui un chiffre, ce n’est pas sérieux !
Il en est de même pour la filière des déchets nucléaires qui, en fin de course, s’évaporent quelque part en Russie, dans des conditions de stockage inacceptable au regard de la sécurité. De grâce, ne parlons pas de provisions qui tiendraient compte de l’ensemble des coûts ! Là non plus, ce n’est pas sérieux.
Nous allons devoir faire des choix stratégiques. Or choisir, c’est regarder l’avenir. Construire le futur, ce n’est pas s’appuyer sur une énergie fossile limitée, mais réfléchir en termes d’énergies renouvelables. Se tourner vers l’avenir, c’est le préparer et éviter de mettre sous perfusion des centrales nucléaires qui devraient s’arrêter. C’est planifier une sortie du nucléaire raisonnée, en procédant par étapes. C’est aussi ne pas relancer la filière à coups de milliards d’euros. Enfin, c’est réfléchir en termes de filières industrielles.
En effet, pour créer un emploi dans la filière industrielle nucléaire, on dépense aujourd’hui 14,5 millions d’euros. Pour créer un emploi dans la filière éolienne, il faut 250 000 euros, soit soixante fois moins. Et la dépense est encore moindre quand on raisonne en intégrant les économies d’énergie ainsi réalisées !
Mes chers collègues, réfléchissons ! Les 35 milliards d’euros que EDF se prépare aujourd’hui à dépenser dans des centrales qui, pour certaines, sont obsolètes, permettraient, par exemple, de créer 140 000 emplois dans la filière éolienne. Cela nous permettrait surtout d’essayer de rattraper le retard considérable que nous avons pris par rapport à nos voisins étrangers en matière d’énergies renouvelables.
M. le président. La parole est à M. Claude Bérit-Débat, sur l'article.
M. Claude Bérit-Débat. L’article 1er du projet de loi constitue le cœur de la future architecture du marché de l’électricité. Or cette architecture est irréfléchie, bancale, inappropriée et dangereuse.
Tout d’abord, elle est irréfléchie parce qu’elle acte le souci du Gouvernement de privilégier, comme à son habitude, les intérêts de quelques groupes privés, au détriment de ceux des Français. Non, on ne peut pas éternellement se cacher derrière les volontés de l’Europe : ce texte favorise délibérément les groupes privés, au risque d’affaiblir considérablement EDF.
Le patriotisme économique a visiblement ses limites et, entre un champion français et la croissance artificielle de quelques groupes privés, votre gouvernement, monsieur le secrétaire d’État, a choisi son camp.
Vous nous proposez d’ouvrir ce marché à la concurrence dans des conditions si invraisemblables que cela ferait sourire si les Français n’étaient pas directement concernés !
Ensuite, l’architecture de ce marché est bancale, car, une fois de plus, c’est au prix d’une gymnastique extrêmement complexe qu’un nouvel objet, l’ARENH, a été inventé. Avec cet accès régulé, il s’agit de fixer un prix à l’électricité nucléaire que les fournisseurs privés pourront se procurer auprès d’EDF.
Sa mise en place pose problème parce qu’il va bien falloir fixer le prix de cet accès régulé. Trop élevé, il empêcherait la concurrence de se nourrir de la rente nucléaire ; trop bas, il mettrait en péril EDF. Le sujet est épineux et l’on apprécierait d’ailleurs que vous nous donniez, monsieur le secrétaire d’État, quelques éléments chiffrés pour apprécier la manière dont ce prix sera fixé.
On aimerait aussi savoir ce qui est prévu pour l’après-ARENH : que se passera-t-il après 2025, quand cet accès régulé sera supprimé ? On n’en sait rien ! À cet égard, le texte présente une vraie lacune. Comme si cela ne suffisait pas, le projet de loi prévoit un système d’accès à l’électricité nucléaire d’EDF pour les fournisseurs privés. Le hic, c’est que ces fournisseurs pourront, dans un premier temps, faire valoir leur volume d’électricité, proportionnellement à leurs propres anticipations relatives à leur portefeuille de clients. On marche sur la tête avec un tel système ! Mais, après tout, pourquoi faire simple et équitable quand on peut faire compliqué et injuste ?
Injuste et inapproprié : voilà d’ailleurs deux autres caractéristiques de cette architecture.
Elle est injuste, car les Français, qui bénéficient aujourd’hui d’une électricité bon marché, verront – nombre de mes collègues l’ont dit – leur facture augmenter considérablement.
Si l’on retient l’hypothèse formulée par Henri Proglio d’un accès régulé à 42 euros par mégawattheure, l’augmentation, pour les consommateurs, sera de 11 % après la réforme et de 3,5 % par an entre 2011 et 2025 !
Je suis tout disposé à croire aux vertus de la concurrence, à condition que l’on m’explique en quoi une concurrence accrue et des factures plus lourdes représentent un bénéfice pour les consommateurs.
Surtout, j’en suis convaincu, elle est profondément injuste et inappropriée dans le contexte de crise que nous connaissons actuellement.
Enfin, cette architecture est dangereuse à plus d’un titre, car elle menace le service public de l’électricité – je vous renvoie au long débat qu’a suscité l’un de nos amendements, finalement rejeté.
Nous constatons déjà, dans nos territoires, des difficultés d’alimentation et des coupures ; nous rencontrons chaque jour des citoyens qui n’ont plus accès à l’électricité.
Pour nous, monsieur le secrétaire d'État, l’électricité n’est pas un luxe ; c’est un droit pour tous ! Hier, c’étaient la santé et La Poste, aujourd’hui, c’est l’électricité : cette marchandisation des services publics est insupportable et intolérable !
Ce n’est ni un progrès social, ni une réussite économique et encore moins un gage de compétitivité. L’architecture que vous nous proposez, c’est uniquement – malheureusement – un cadeau que vous faites à quelques groupes privés.
Il y avait en France une rente nucléaire ; jusqu’à présent, c’étaient les Français qui en bénéficiaient. Aujourd’hui, il y a toujours une rente nucléaire, mais ce sont quelques groupes qui la confisquent.
M. Roland Courteau. Eh oui !
M. Claude Bérit-Débat. Et cette confiscation se fait en outre autour d’un système aussi complexe que confus.
À l’instar de mes camarades, je considère que ce texte brade un service public qu’il faut au contraire maintenir et défendre. Je ne peux donc l’accepter. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean Besson, sur l'article.