M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Fourcade.
M. Jean-Pierre Fourcade. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, tirer les leçons de la crise financière, deux ans après son déclenchement, est un devoir pour les responsables politiques que nous sommes.
Tous les intervenants ont évoqué cette crise. Pour ma part, je me permettrai de renvoyer, pour l’historique, le constat et les considérations générales, à l’excellent rapport écrit de M. Marini, lequel a contribué à enrichir le texte issu de l’important travail du Gouvernement.
Nous sommes donc en présence d’un projet de loi qui, après son passage à l'Assemblée nationale, apporte un certain nombre d’éléments positifs. Ceux-ci me paraissent, contrairement à ce que mon prédécesseur vient d’affirmer, intéressants pour réformer notre système.
J’ai un regret, que je tiens à exprimer d’emblée : deux chantiers sont restés ouverts, et il faudra tout de même essayer de les relancer.
Le premier, c’est celui de la gouvernance économique et politique de la zone euro : nous nous sommes aperçus que, malgré tous nos efforts, nous n’allions ni très loin ni très vite dans ce domaine.
Le second, c’est celui de la stabilité du système monétaire international. Moi qui ai signé – il y a fort longtemps ! – les accords de la Jamaïque, qui consacraient le flottement des monnaies, je suis inquiet de constater aujourd’hui que les mouvements combinés du yen, du yuan, du dollar, de la livre sterling et d’autres monnaies risquent de créer des problèmes de plus en plus graves et par conséquent de faire réapparaître des risques systémiques importants.
Cela étant, ce texte nous paraît très abouti, et c’est pourquoi le groupe UMP le votera d’un seul cœur. Je me permettrai maintenant d’insister sur quatre points qui me paraissent importants.
Premièrement, la commission a décidé d’encadrer et de réguler le marché des quotas d’émission de gaz à effet de serre. Cette initiative est excellente, car ce marché est amené à prendre une importance considérable. Nous nous accordons tous sur ce point, me semble-t-il. L’assimilation des quotas d’émission de CO2 à des instruments financiers, en leur donnant une qualification juridique, est un progrès. Cette avancée pourrait permettre d’orienter l’Union européenne dans ce sens, comme l’a indiqué il y a quelques jours le commissaire européen Michel Barnier.
Deuxièmement, sur la base, précisément, d’un rapport de M. Barnier, a été introduite l’interdiction de certaines pratiques à risques, telles que les ventes à découvert à nu de produits dérivés. L’introduction de cette disposition a provoqué quelques tensions entre le Gouvernement, l'Assemblée nationale et le Sénat. Certains estiment qu’il faudrait supprimer la notion même de produits dérivés.
Mais la France n’est plus une île, et nous sommes confrontés à des marchés financiers mondiaux, dans lesquels les décisions des Chinois, des Coréens ou des Indiens sont aussi importantes que celles que nous prenons ici.
Notre position est certes un peu en retrait par rapport à ce qu’ont décidé les Allemands, mais elle est conforme aux propositions du commissaire européen aux services financiers. En effet, le texte tend à prévoir non pas l’interdiction, mais la limitation des ventes à découvert à nu par des règles locales. Ces dernières autorisent ces opérations dans la mesure où le vendeur dispose du titre à vendre ou à livrer, mais aussi s’il présente des garanties de pouvoir le faire : cette précision apporte une correction importante à des mécanismes qui furent, avant la crise, quelque peu erratiques.
Troisièmement – j’aurais dû commencer par là ! –, un conseil de régulation financière et du risque systémique sera créé et de nouveaux pouvoirs seront octroyés à l’Autorité des marchés financiers. Ces mesures sont très importantes, car notre pays souffre d’un cloisonnement généralisé des autorités et du fait que chacun s’occupe dans son coin de ses petits problèmes. Disposer d’une autorité qui couvre la totalité des opérations sur les marchés financiers – banque et assurance – me paraît très positif, surtout dans le cadre de la mondialisation.
J’ajoute que l’Autorité des marchés financiers prévoit un encadrement de la rémunération des opérateurs sur les marchés, ceux que les Anglais appellent les traders, et rend obligatoire la mise en place d’un comité des risques et d’un comité des rémunérations dans chaque entreprise, afin de clarifier leur rémunération. C’est un réel progrès : pouvoir mettre en balance les niveaux de rémunération et l’activité permettra naturellement d’arriver à des résultats plus satisfaisants.
Enfin, quatrièmement, la question de la supervision des agences de notation est celle qui suscite le plus grand débat. Je ne fais pas partie de ceux qui s’offusquent de l’existence de ces agences. En tant que gestionnaire de collectivités locales, j’ai passé vingt ans à travailler avec elles. J’estime qu’il est bon, pour des autorités politiques, de pouvoir s’appuyer sur un examen approfondi des comptes, des résultats et des perspectives, effectué de manière systématique et sur la durée.
Évidemment, certaines opérations ont été un peu sanglantes, notamment dans l’affaire grecque. Par conséquent, accroître le contrôle de ces agences, comme cela avait déjà été envisagé en 2004, me paraît important. La crise n’a d’ailleurs fait qu’accélérer l’orientation vers un processus de contrôle amélioré, qui s’est concrétisée, au niveau communautaire, par l’adoption en septembre 2009 d’un règlement, et, au niveau français, par ce projet de loi.
M. le rapporteur général nous a fait part de certaines difficultés. Nous les avons évoquées en commission en votre présence, madame la ministre. Il a fallu trouver un compromis entre la position initiale du Gouvernement, celle de l'Assemblée nationale et ce que nous avions décidé.
Les agences auront l’obligation de publier un rapport de transparence annuel. Elles devront rendre publics les éléments et les méthodes sur lesquels elles fondent leur notation et fournir au Comité européen des régulateurs des marchés de valeurs mobilières les données relatives à leurs performances passées, lesquelles seront également rendues publiques. Cette surveillance, confiée en France à l’AMF par le présent projet de loi, est un élément positif.
Enfin, sur le point de savoir s’il pouvait exister des clauses contractuelles de dégagement de responsabilité, nous avons tranché.
Nous devons accepter, me semble-t-il, le rôle de ces agences. Au-delà de la transparence, il faut simplement mettre en place un système qui empêche la publication des avis de ces agences quelques heures avant la clôture des marchés boursiers européens, américains ou japonais, afin d’éviter des effondrements de cours. Je sais très bien que certains opérateurs des marchés financiers n’y sont pas favorables, car le système actuel leur permet de réaliser des plus-values tout à fait intéressantes… C’est sur ce point qu’il faudra bien contrôler les agences de notation.
Le groupe UMP se réjouit que la commission des finances du Sénat ait trouvé une position d’équilibre en réintroduisant la possibilité de clauses non pas exonératoires, mais limitatives de responsabilité. Cette disposition, qui est conforme à la réglementation européenne, va dans le bon sens.
Le projet de loi contient par ailleurs plusieurs dispositifs, que je ne vais pas détailler ici, visant à conforter et à sécuriser le financement des entreprises, notamment des PME. Je pense particulièrement aux mesures concernant OSEO.
Madame la ministre, vous avez pu mettre en évidence les aspérités de ce texte en discutant avec vos homologues européens, malgré les difficultés rencontrées avec la Grande-Bretagne et, surtout, les États-Unis.
Il est de bon ton en France, où nous sommes toujours atteints de sinistrose, de dire que les Américains sont allés beaucoup plus loin que nous et que nous nous contentons de mesurettes. Tel n’est pas mon avis. Nous voterons donc sans amertume ni regret ce texte tout à fait important.
Je vous fais confiance, madame la ministre, pour essayer de relancer, dans le cadre du G8 et du G20, le chantier de l’équilibre du système monétaire international, lequel est bien maltraité. Sur le plan européen, nous ne devons pas nous contenter de défendre l’euro, mais faire de cette monnaie l’arme efficace d’un gouvernement économique, qui nous fait aujourd'hui défaut. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Jean-Pierre Chevènement applaudit également.)
M. Albéric de Montgolfier. Bravo !
M. le président. La parole est à M. François Marc.
M. François Marc. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, voilà deux ans, le 25 septembre 2008, le Président de la République dressait, dans son discours de Toulon, un réquisitoire implacable contre les dérives insensées du capitalisme : il fallait, nous expliquait-il, « moraliser le capitalisme financier ». Il s’engageait à agir en urgence, en déclarant : « Le Gouvernement de la République réglera le problème par la loi avant la fin de l’année. »
Deux années se sont écoulées, et le projet de loi qui nous est aujourd’hui soumis ne paraît nullement correspondre à la vigueur de cet engagement, comme en témoignent son contenu, bien trop modeste à nos yeux, et le faible degré d’urgence de son examen par le Parlement.
Dans ces conditions, nous sommes en droit de nous interroger : l’état d’esprit général aurait-il changé au cours de ces deux années ? Aux yeux de certains, le capitalisme financier serait-il à nouveau redevenu acceptable, sinon plus respectable ? Plusieurs indices conduisent à le penser.
Pour s’en convaincre, il suffit de se reporter à une chronique du journal Le Figaro du 21 septembre dernier. Que nous y explique-t-on en effet avec aplomb ? Selon le chroniqueur, « le capitalisme va bien », et « non seulement [il] ne s’est jamais aussi bien porté, mais les États sont aujourd’hui des victimes consentantes de cette crise ». Et d’interroger doctement, avec une belle et ostensible assurance retrouvée : « Pourquoi le capitalisme est-il autorisé à crier victoire, alors qu’il y a deux ans, on l’enterrait sans fleurs ni couronnes ? » Eh bien, mes chers collègues, la réponse apportée par l’apologiste du Figaro à sa question laisse sans voix : si le capitalisme peut crier victoire, c’est parce que « jamais on n’a dépensé tant d’argent public (plus de 5 000 milliards de dollars en dix-huit mois) pour venir à son secours ». Devant cette ahurissante analyse, on se demande s’il faut parler de cynisme, d’arrogance ou de provocation calculée !
Le rapport de M. Marini est, lui, empreint de réalisme. La question est néanmoins de savoir si les préconisations régulatrices du projet de loi sont à la hauteur des enjeux. On voit en effet aujourd’hui où les excès des marchés financiers nous ont conduits : les dégâts sont considérables ! Sachant que les mêmes causes produisent toujours les mêmes effets, il est essentiel, si l’on veut éviter d’autres catastrophes financières du même type, de prévoir des mesures législatives qui ciblent réellement les véritables causes de la dérive financière constatée. C’était là l’objet des nombreux amendements que nous avions présentés en commission.
Certains observateurs se sont accommodés de l’idée que la désignation de boucs émissaires suffirait à dédouaner toute la sphère financière de sa part de responsabilité dans la crise. À cet égard, que n’a-t-on entendu au sujet des agences de notation ! Certes, elles n’ont pas fait preuve d’habileté dans la gestion temporelle de la communication financière sur les firmes et les États.
Doit-on, pour autant, considérer que le thermomètre est responsable de la fièvre intense du malade ? Non, bien évidemment ! À mon sens, ce qui explique la fièvre de cheval du capitalisme financier, c’est bien moins les dérèglements des mécanismes de marché ou les manquements de telle ou telle catégorie d’acteurs que la dérive généralisée des comportements et de la hiérarchie des valeurs et des objectifs prévalant au sein de la sphère financière occidentale. « Une rentabilisation maximale à très faible risque pour soi au prix d’une maximisation du risque pour les autres » : tel semble être aujourd’hui le précepte majeur véhiculé par la socio-culture financière occidentale.
Devant ce constat, monsieur le rapporteur général, on peut s’accorder sur la nécessité d’un retour à la norme guidé par trois principes : transversalité, transparence, responsabilité. Nous vous suivons sur ce point.
Cependant, à nos yeux, le principe de responsabilité doit véritablement être la clé de voûte de tout le dispositif. Il doit conduire tout à la fois à une indispensable clarification de la mission des firmes bancaires et financières, à une approche plus collective et intégrée de la gestion du risque et à une plus juste perception de la place des profits et des rémunérations. À ce sujet, d’ailleurs, on ne peut qu’être inquiet de constater que les rémunérations des traders ou des administrateurs de sociétés s’envolent de plus belle depuis 2009.
Le projet de loi qui nous est soumis répond à l’idée qu’il faut s’efforcer de faire face et donner une suite à un diagnostic largement partagé. Dans le monde, les multiples déclarations des autorités publiques et les engagements du G20 témoignent qu’un processus lourd de régulation est souhaité, sinon enclenché.
Ce processus conduira-t-il à faire émerger un ensemble de garde-fous suffisamment robustes et à modifier durablement les comportements des acteurs de la finance ? C’est là toute la question ! Il en va en effet de l’addiction à la spéculation financière comme de l’addiction aux casinos : la fièvre du gain et des bonus gagne les esprits de façon aussi foudroyante que la fièvre du jeu. Si aucune mesure de dissuasion sérieuse n’empêche un joueur invétéré d’entrer au casino, il retourne très rapidement à ses vieilles habitudes…
Dans ce contexte, on ne peut que se féliciter du courage et de la détermination à agir du président Obama, qui cet été a doté les États-Unis d’une nouvelle réglementation contraignante, après une lutte sévère contre les lobbies très organisés de la banque et de la finance. Il est remarquable que les États-Unis aient décidé de remettre en cause l’architecture même de la fonction financière sous tous ses aspects. En ce sens, c’est une véritable réforme structurelle qui est en train de voir le jour.
Quant à l’Union européenne, elle a abordé les problèmes au travers d’approches parcellaires, dans la mesure où il est très vite apparu impossible d’élaborer un consensus sur une architecture nouvelle.
On peut regretter que la réforme institutionnelle des autorités européennes n’ait malheureusement pas transféré de compétences d’intervention à l’échelon européen. Cela étant, on peut se féliciter de l’adoption récente par le Parlement européen du paquet « supervision financière ». Ces textes instaurent trois autorités de supervision et un Comité européen du risque systémique. Ces progrès sont sans nul doute importants, mais pas encore à la hauteur des promesses faites en 2009, à l’occasion des sommets du G20.
On ne peut que regretter, et le rapport le souligne bien, que certains projets de régulation cristallisent en Europe des différences de philosophies, de traditions juridiques, de stratégies politiques ou d’approches économiques entre États membres. Je citerai à cet égard l’exemple du projet de directive sur les gérants de fonds alternatifs, dont l’adoption a été plusieurs fois reportée.
C’est donc dans ce contexte européen un peu flottant que s’inscrit le projet de loi de régulation bancaire et financière aujourd’hui soumis au Sénat. Si les dispositions présentées sont certes utiles, elles résultent, pour beaucoup d’entre elles, de la déclinaison ou de la transposition en droit français de réglementations européennes, telles que, par exemple, la directive du 16 septembre 2009 relative à la réglementation bancaire. Cependant, reste à nos yeux posée la question de l’entrée en application et surtout de la pleine efficacité des dispositifs introduits par ce projet de loi, tant ils paraissent modestes au regard de l’ampleur du chantier que le Président de la République lui-même s’était engagé à mener à bien dans l’urgence.
Pour illustrer les motifs de notre circonspection, j’évoquerai la façon dont la question des agences de notation financière est abordée. Mon collègue Jean-Pierre Fourcade vient d’en parler, mais j’irai plus loin que lui dans l’analyse sur ce point.
Le projet de loi vise à adapter le droit français aux dispositions du règlement n° 1060/2009 du 16 septembre 2009, tendant à mieux encadrer les agences de notation financière, ce qui est un objectif légitime. Or, malgré l’adoption somme toute récente de ce règlement, la Commission européenne a déjà présenté, le 2 juin 2010, une nouvelle proposition législative afin de le modifier. L’objet central du nouveau texte est de transférer à la future autorité européenne de supervision le pouvoir d’autoriser et de superviser les agences de notation, sans créer pour autant, du moins pour le moment, les conditions de l’instauration d’une agence européenne de notation, demandée par certains, notamment par le commissaire européen Michel Barnier. De nouvelles propositions doivent, semble-t-il, être faites dans les semaines à venir, et Jean-Pierre Jouyet, président de l’AMF, préconise, quant à lui, la création d’une agence mi-publique mi-privée, sous l’égide du FMI.
Si le présent projet de loi témoigne d’une véritable exigence en matière de transparence pour les agences de notation financière, il ne permet pas de progresser beaucoup dans la voie d’un accroissement de leur responsabilisation.
En effet, s’il est assez simple, pour des superviseurs, de contrôler les procédés d’évaluation utilisés, il est bien plus aléatoire de déterminer si une note émise est fiable ou non ! Sur quelles informations se fondent aujourd’hui les agences de notation financière dans leurs évaluations ? La réponse est simple : elles s’appuient sur les informations mises à leur disposition par les entreprises et les États. Or, depuis l’affaire Enron, sans oublier celle, plus récente, des statistiques trafiquées de la Grèce, chacun a conscience que les informations comptables et budgétaires, et même certaines données dites officielles des États, ne donnent pas une image fidèle et fiable de la réalité patrimoniale sous-jacente.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Eh oui !
M. François Marc. On doit le reconnaître, la sphère financière internationale est, hélas ! gangrenée par le bluff, le camouflage des risques et les trucages de toutes sortes. Quelle confiance peut-on aujourd’hui accorder à certains produits structurés à haut risque ?
Dans un autre ordre d’idées, peut-on se satisfaire d’un dispositif de simple encadrement des ventes à découvert à nu d’actions ou de CDS ? Si l’on admet que l’information financière est souvent biaisée, les acteurs et spéculateurs souvent sans scrupules et les bilans comptables souvent insincères, ne doit-on pas dès à présent aller bien plus loin dans l’interdiction des produits financiers douteux et la mise en cause de la délinquance en col blanc ?
Ce projet de loi n’apporte pas, à nos yeux, les réformes attendues en la matière. C’est pourquoi les amendements que nous avons déposés visent à renforcer son dispositif. La détermination à agir affichée dans le discours de Toulon de septembre 2008 a fait place à un manque d’ambition dans les mesures présentées. La régulation financière doit certes s’inscrire dans une vision mondialisée, mais cela ne doit pas empêcher notre pays d’adresser un signal législatif qui soit à la mesure des exigences imposées par la douloureuse expérience de cette énorme crise financière.
Nous appelons de nos vœux un renforcement du dispositif, madame la ministre. Nous avons le sentiment que nos arguments n’ont pas été entendus en commission ; s’ils ne le sont pas davantage en séance publique, je crains que nous ne puissions approuver ce projet de loi, qui ne répond pas complètement aux attentes de nos concitoyens, et même de nombreux acteurs de la sphère financière. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Georges Patient.
M. Georges Patient. Madame la ministre, votre projet de loi de régulation bancaire et financière s’adresse aussi aux outre-mer, puisqu’il est clairement indiqué, dans l’étude d’impact, que les dispositions du texte s’appliqueront, dans les mêmes conditions qu’en métropole et sans adaptation, aux collectivités régies par l’article 73 de la Constitution ainsi qu’à Mayotte, à Saint-Martin, à Saint-Barthélemy et à Saint-Pierre-et-Miquelon. Pour les autres collectivités ultramarines – la Polynésie française, Wallis-et-Futuna et la Nouvelle-Calédonie –, il est proposé d’habiliter le Gouvernement à étendre et à adapter les dispositions de la loi par ordonnance.
L’examen de ce texte nous offre une excellente occasion de nous pencher sur les spécificités du système bancaire des départements et collectivités d’outre-mer, même si la convergence avec le système métropolitain va croissant.
En effet, le paysage bancaire des DOM-COM est désormais dominé par les cinq principaux réseaux bancaires nationaux – BNP Paribas, Banque populaire-Caisse d’épargne, Crédit agricole, Crédit mutuel, Société générale –, qui regroupent à eux seuls vingt-neuf des trente-neuf enseignes commerciales installées localement. Le mouvement de concentration observé sur le plan national n’a ainsi pas épargné les DOM-COM. La quasi-totalité des établissements locaux ont disparu, la banalisation des places financières des départements et des collectivités d’outre-mer s’accélérant.
Pourtant, malgré cette dynamique de convergence, les divergences demeurent fortes en matière de conditions d’exploitation. J’insisterai principalement sur deux points : les tarifs bancaires et l’octroi de crédits aux PME.
C’est un fait reconnu et trop facilement accepté que « les tarifs bancaires sont généralement significativement plus élevés qu’en métropole », pour reprendre les termes du rapport sur les frais bancaires d’Emmanuel Constant et de Georges Pauget. Une unanimité de vues existe sur ce point entre les sénateurs ultramarins. Vous pourrez aisément le constater à l’examen des amendements qu’ils présenteront, madame la ministre, ma collègue Anne-Marie Payet parlant même de « différence indécente ». (Mme Anne-Marie Payet opine.)
Il est vrai que la grande majorité des établissements bancaires continuent de pratiquer des tarifs élevés outre-mer, arguant du fait que, exerçant sur des marchés de faible taille, ils souffrent encore aujourd’hui du poids de leurs structures, ce qui leur laisse moins de marge de manœuvre pour couvrir leurs risques. Cet argument est cependant à relativiser, tant leur résultat brut d’exploitation se maintient à un niveau élevé.
En ce qui concerne l’octroi de crédits, si la situation paraît satisfaisante pour les crédits immobiliers ou à la consommation consentis aux ménages, elle l’est beaucoup moins pour les entreprises, malgré les mesures prises dans le cadre du plan de relance et de la politique de développement endogène préconisée par le chef de l’État.
En effet, si, pour la France métropolitaine, le Gouvernement a confié à OSEO la mission de mettre en place des dispositifs facilitant l’octroi de crédits bancaires à court et moyen terme aux entreprises, son choix s’est porté sur l’Agence française de développement, l’AFD, pour les outre-mer. Une convention-cadre a même été signée le 17 juin 2009 entre OSEO et l’AFD afin d’établir un partenariat renforcé étendant la gamme des produits financiers distribués par l’AFD à l’ensemble des produits conçus par OSEO.
Cependant, les entreprises ultramarines se plaignent du fait que bon nombre de ces produits ne sont néanmoins pas distribués ou mériteraient d’être mieux adaptés aux réalités locales. Je citerai à cet égard, par exemple, les prêts directs, les prêts en cofinancement ou complémentaires, les contrats de crédit-bail mobiliers et immobiliers, le contrat de développement participatif, lequel est proposé mais difficile à mettre en place en raison du seuil imposé.
Il convient de rappeler que la production bancaire de crédits en faveur des entreprises et de certaines filières est très insuffisante dans les DOM-COM. Aussi faut-il veiller, si l’on veut promouvoir un réel développement endogène dans les outre-mer, à ce que l’AFD dispose de tous les moyens nécessaires pour distribuer correctement l’ensemble des produits OSEO, à l’instar de ce qui se pratique en France métropolitaine et à l’échelle des collectivités d’outre-mer.
Madame la ministre, la mission Constant-Pauget a reconnu qu’elle n’avait pas eu suffisamment de temps pour réaliser une étude approfondie sur la tarification bancaire. Il est donc indispensable de diligenter une véritable mission d’information sur les banques outre-mer, comme l’a suggéré le président de la commission des finances du Sénat lors de l’audition, le 17 juin dernier, de Mme Marie-Luce Penchard, ministre chargée de l’outre-mer, à propos du règlement des comptes et du rapport de gestion pour l’année 2009. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Christine Lagarde, ministre. Mon intervention anticipera sur la présentation des amendements du Gouvernement.
Monsieur Vera, nous avons soigneusement veillé à assurer la transparence de la fiducie. Nous avons, en particulier, mis en place un registre, accessible notamment aux autorités administratives et judiciaires de contrôle. Il convient en effet d’éviter que la fiducie ne serve de véhicule à des mécanismes d’optimisation fiscale.
En matière de régulation financière, il est certes tentant, madame Bricq, messieurs Fourcade et Marc, de considérer que, depuis que M. Barack Obama préside les États-Unis, la lumière vient de l’Ouest. Cependant, si l’on se donne la peine de se pencher sur les 1 200 pages de la régulation Dodd-Frank, de retracer la mise en œuvre de l’ensemble du dispositif et de prendre la mesure de la complexité de l’organisation de la supervision, caractérisée par une multiplicité d’agences et de sous-agences, une segmentation entre l’échelon fédéral et celui des États, entre les secteurs d’activité et entre les différents acteurs, on constate que la réglementation américaine constitue un maquis inextricable.
Vous avez donc raison de souligner, monsieur Fourcade, que nous pouvons être fiers du texte que nous sommes en train d’élaborer. Il nous permettra, dans le prolongement de la réglementation européenne que le Parlement a transposée dans notre droit national le 22 septembre dernier, de mettre en place une régulation simple et pratique, qui autorisera une identification très rapide des organismes compétents soit en matière bancaire, assurantielle et mutualiste, soit en matière de marchés financiers, tout en prenant en compte la problématique du consommateur, que j’ai pris soin d’intégrer dans la modification de la réglementation prudentielle.
De ce point de vue, mesdames, messieurs les sénateurs, l’œuvre que nous élaborons ensemble sera largement aussi utile que celle qui a été réalisée outre-Atlantique, sans être aussi volumineuse : grâce à la clarté rédactionnelle du législateur et aux vertus de notre droit civil, nous produisons des textes intelligibles, pouvant être appliqués dans des délais très courts.
En ce qui concerne la mise en œuvre de la directive CRD3, madame Bricq, la matière justifie l’application de l’article 37 de la Constitution, plutôt que celle de l’article 34. Il ne me semblerait en outre pas souhaitable de recourir à la voie législative et d’encombrer davantage encore l’ordre du jour des assemblées pour la simple transposition d’une directive dont l’élaboration à l’échelon communautaire a déjà pris beaucoup de temps.
Concernant la directive sur les produits alternatifs, évoquée par certains orateurs, je voudrais à nouveau clarifier les choses.
Des retards dans la mise en place de la réglementation européenne sont dénoncés çà et là, et souvent imputés à notre pays. Je tiens à l’affirmer avec force : la France veut une réglementation et une supervision en matière de produits alternatifs. Nous participons très activement aux négociations actuellement en cours à Bruxelles, et notre pays est également favorable à l’instauration d’un passeport européen pour les fonds et les gérants de fonds basés sur le territoire de l’Union. En revanche, la France ne souhaite pas qu’un tel passeport soit délivré à des fonds offshore. Pour ceux-ci, nous estimons qu’il n’y a aucune raison d’aller au-delà de la situation actuelle : il est parfaitement possible de privilégier l’option du placement privé, qui permet à un fonds offshore de commercialiser ses produits dans le pays où il est enregistré et supervisé, sans pour autant pouvoir le faire dans les vingt-six autres États membres de l’Union européenne. Sur ce point, nous avons des alliés, et je me flatte d’avoir rallié à notre position certains de nos grands voisins. Ce débat se poursuivra, car je n’ai pas l’intention de laisser faire n’importe quoi dans ce domaine : ce ne serait pas conforme à l’esprit qui a animé nos débats ni à la détermination dont a fait preuve le Président de la République sur ce dossier, notamment à l’occasion du G20. On ne peut pas, d’un côté, lutter contre les paradis fiscaux comme nous l’avons fait, et, de l’autre, laisser agir librement dans l’espace communautaire des fonds alternatifs localisés dans des territoires où la supervision n’est pas assurée dans les mêmes conditions. (Marques d’approbation au banc de la commission.)
Mme Bricq a évoqué la protection des consommateurs de produits financiers. Pour la première fois, nous plaçons le consommateur au cœur du système, y compris devant les organismes de supervision que sont l’AMF et l’autorité de contrôle prudentiel, l’ACP.
Monsieur Fourcade, vous pouvez compter sur le Gouvernement pour aborder en profondeur, sous l’autorité du Président de la République, toutes les questions relatives au système monétaire international.
Vous avez tout à fait raison de souligner que, depuis un certain temps, l’instabilité et la volatilité constituent des désordres auxquels il convient de porter remède, dans le cadre d’un dialogue international qui pourrait s’instaurer au sein du G20. En tout état de cause, des mouvements unilatéraux tels que ceux que l’on a pu observer tout récemment sur le yen nuisent à la nécessaire stabilité monétaire, de même que les déclarations de certains États.
Monsieur Chevènement, vous avez affirmé que la France s’opposait au développement d’outils de résolution des crises dans le domaine bancaire, préconisé par la Commission européenne. Il s’agit de mécanismes de réorganisation ou de ce que les Britanniques appellent les living wills.
Or il n’en est rien : la France est absolument déterminée à obtenir la mise en place de ce type de mécanismes. J’ai confié à M. Jean-François Lepetit une mission spécifique sur ce thème, pour que la France soit en mesure de faire à la Commission européenne des propositions visant à l’instauration de dispositifs organisés de résolution de crises prenant notamment en compte les intérêts des créanciers.