M. Jean-Louis Carrère. Très bien !
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Cela aurait permis de maintenir, pour les assurés concernés, la retraite à 60 ans, ce qui correspond en réalité, si l’on décode bien ce qui s’est passé, à la demande exprimée par la rue.
M. Jean-Marc Todeschini. C’est vrai !
M. Jean-Marie Vanlerenberghe. Arrêtons-nous un instant sur la méthode adoptée et rappelons-nous la formule du Michel Crozier, sociologue fort célèbre voilà encore quelques années : « On ne change pas la société par décret. »
Nous regrettons que le dialogue social n’ait pas été poussé à son terme, à savoir la recherche d’un compromis équilibré avec les partenaires.
Au final, je crains que le coût social de cette réforme ne soit supérieur aux économies financières, pourtant indispensables, qu’elle doit engendrer.
On ne sauvera d’ailleurs pas les retraites sans une redéfinition de la valeur travail et une politique plus dynamique de l’emploi, notamment en faveur des jeunes et des seniors. Certes, c’est un autre débat, mais il pèse à tel point sur le sujet des retraites qu’on ne pourra, demain, en faire l’économie. tout le monde le sait, il n’est pas possible de continuer à financer les retraites à crédit, via la CADES, la caisse d’amortissement de la dette sociale.
Je ne voudrais pas terminer ce propos sans remercier chaleureusement Mme la présidente de la commission des affaires sociales, Muguette Dini, mais aussi le rapporteur, Dominique Leclerc, pour son écoute, sa compétence, ses convictions – il en a fallu ! –, bref non seulement pour la qualité de son travail, mais aussi pour sa patience devant tant de passion. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Le Texier.
Mme Raymonde Le Texier. « La liste des réformes ? C’est simple, prenez tout ce qui a été mis en place entre 1945 et 1952, sans exception. Elle est là. Il s’agit aujourd’hui de sortir de 1945 et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance. »
C’est ainsi, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, qu’à l’automne 2007, dans le magazine Challenges, Denis Kessler, ancien vice-président du MEDEF et patron des assurances, glorifiait les objectifs du sarkozysme. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Si je le cite une nouvelle fois, c’est parce que son programme, force est en effet de le constater, est systématiquement mis en œuvre par ce gouvernement : la réforme des retraites en est une nouvelle illustration.
Sans jamais l’assumer, ce gouvernement aura instrumentalisé toutes les difficultés, prétendant que, pour sauver l’indispensable, il fallait sacrifier l’essentiel. Ce discours n’a pour vocation que d’interdire toute critique et de balayer d’un « nous n’avons pas le choix ! » toute proposition alternative. Aussi pratique pour l’exercice du pouvoir que délétère pour celui de la démocratie !
Dans ce combat que mènent la droite et le patronat contre le programme du Conseil national de la Résistance, c’est tout l’esprit d’un pays qui risque de disparaître. (Nouveaux applaudissements sur les mêmes travées.)
M. Charles Gautier. Eh oui !
Mme Raymonde Le Texier. La belle idée de ces hommes et de ces femmes, qui ont risqué leur vie pour que nos lendemains soient libres et pour que les Français ne soient plus jamais dressés les uns contre les autres, fut de créer un pacte social de fraternité et de solidarité. Alors que le pays était exsangue, ravagé par la guerre, alors même qu’il connaissait le rationnement et le dénuement, voici ce qu’a su élaborer le Conseil national de la Résistance : un pacte social ambitieux, solidaire et protecteur.
Votre politique l’a tellement mis à mal que la voie de la réforme est aujourd’hui impossible à suivre : vous avez perdu la confiance des citoyens, trahi les attentes des syndicats et forcé la main des parlementaires. C’est dommage, car notre pays méritait une authentique réforme des retraites, qui réponde aux enjeux financiers, mette l’emploi au cœur des efforts de redressement, lutte contre l’injustice dont sont victimes les jeunes, les seniors et les femmes, assure à notre système de répartition fiabilité et pérennité. Cette réforme-là est toujours devant nous.
Celle que vous avez promue se contente de transformer des retraités potentiels en chômeurs de longue durée. Vous comptez sur la précarité du travail pour que, de carrières incomplètes en contraintes exponentielles, les pensions servies ne soient plus à la hauteur des besoins. Il s’agit d’une régression sans précédent pour notre pays, régression ouvrant toutefois des perspectives aussi lucratives qu’alléchantes aux assurances privées, lesquelles voient dans ce nouveau marché un véritable eldorado.
Tout au long de ce débat, vous nous avez cité l’Allemagne en exemple. Quelle cohérence ! Car c’est bien l’Allemagne que nous rejoignons, mais celle de Bismarck (Rires et exclamations sur les travées de l’UMP.), qui, au moment de la création du système des retraites au XIXe siècle, posa la question suivante à son conseiller : « À quel âge faut-il fixer la retraite pour qu’on n’ait jamais à la verser ? » (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Nous n’avons cessé de le répéter, une autre réforme est possible. Les Français en ont conscience, les syndicats y sont prêts, la gauche y travaille et le Parti socialiste s’y est attelé. À l’occasion de cette prochaine réforme, portée par la gauche, nous serons animés par la ferveur et l’émotion que nous avons ressenties en écoutant, dans le cadre de nos débats, Pierre Mauroy et Jack Ralite. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
M. Jean-Louis Carrère. Cela vous gêne, n’est-ce pas ?
Mme Raymonde Le Texier. Revenant sur l’abaissement à 60 ans de l’âge du départ à la retraite, ils nous ont raconté leur joie immense de militants qui, devenus ministres, ont changé concrètement la vie. Pour tous ceux qui ne pouvaient plus « arquer », pour tous ceux dont ils avaient entendu la souffrance et parfois partagé la détresse, ils ont changé la donne. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Parce que la politique ne consiste pas à utiliser la dureté des temps pour détruire les protections des hommes, leurs voix ont fait entrer dans cet hémicycle un souffle dont la réforme que nous venons de voter est dépourvue.
Nous le savons, certains élus de la majorité ne partagent pas les choix iniques faits par ce gouvernement. À ceux-là nous disons sans détour : à l’heure des bilans, vous en serez aussi comptables.
Sincérité des convictions, volonté de justice et capacité de dialogue sont des ferments indispensables pour faire évoluer les sociétés. Dans cette réforme, on n’en trouve nulle trace. Voilà pourquoi le groupe socialiste votera résolument contre ce texte. (Mmes et MM. les sénateurs du groupe socialiste ainsi que M. Robert Tropeano se lèvent et applaudissent longuement. – Applaudissements non moins nourris sur les travées du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Plancade.
M. Jean-Pierre Plancade. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans cet hémicycle passionné, me vient une réflexion que je puis m’empêcher de vous faire partager.
Lorsque j’étais dans la majorité, on me demandait souvent, au nom de la solidarité avec le Gouvernement, soit de retirer un amendement soit de me taire. Aujourd’hui que je suis dans l’opposition, une autre majorité me demande aussi, d’une certaine façon, en utilisant le règlement, de me taire. Je me dis : dans quelle démocratie nous vivons-nous ?
J’en viens à ce qui nous occupe aujourd’hui.
Malgré les modifications importantes apportées par le Sénat, la réforme proposée demeure injuste et désigne clairement les catégories qui vont en payer le prix : ceux qui ont commencé à travailler très tôt, dès l’âge de 16 ans ou juste après le baccalauréat, les femmes, ceux dont les parcours chaotiques sont dus à des périodes de chômage et, de façon plus générale, ceux qui entreront dans la catégorie des travailleurs modestes, voire pauvres.
Ce texte est injuste parce qu’il ne répartit pas équitablement le prix de la solidarité, le faisant peser toujours sur les mêmes, les salariés. Rien pour les revenus du capital ! Rien pour les retraites chapeaux ! Rien sur la fiscalité du patrimoine ! C’est ce déséquilibre qui crée l’injustice, ressentie d’ailleurs d’autant plus vivement que la crise économique pèse de tout son poids.
Pour l’essentiel, cette réforme, qui, sans doute, s’avérera vite insuffisante, n’envisage que l’aspect comptable des retraites, alors qu’elle aurait pu porter sur l’ensemble des paramètres : je pense aux sources de financement, qui sont dans ce texte quasiment unilatérales, aux inégalités entre générations, entre niveaux de pension, entre régimes de base, mais aussi entre hommes et femmes. Je pense également, bien sûr, à la politique de l’emploi. En effet, obliger les gens à travailler plus longtemps sans leur donner du travail après 55 ans, c’est fabriquer des chômeurs et des pauvres. Je crains que, en cette période de crise, en voulant combler le trou des caisses de retraite, on ne creuse surtout celui des caisses d’assurance chômage…
Il fallait au contraire, selon nous, raisonner plus globalement, en termes de politique des revenus, de partage des richesses tout au long de la vie, de répartition de la plus-value créée collectivement et d’équité entre les générations. La retraite n’est qu’un revenu différé, versé à un moment de la vie : elle aurait donc dû être intégrée dans le cadre plus général d’une politique des revenus.
Alors même que tous les Français sont conscients de la nécessité d’une réforme, la vôtre est perçue comme une punition.
M. Jean-Louis Carrère. C’est une punition !
M. Jean-Pierre Plancade. Car, au fond, que dites-vous à nos concitoyens ? « Vous vivez plus longtemps, vous coûtez plus cher, vous devrez donc payer ! » Pourquoi ne pas avoir prévu également une réforme fiscale donnant à chacun la chance de constituer un patrimoine en vue de ses vieux jours ? Même cela, vous ne l’autorisez pas ! Comme me le rappelait à l’instant Jean-Pierre Chevènement, reprenant ainsi la célèbre formule d’un sociologue, la retraite « est le capital de ceux qui n’en ont pas ».
De telles dispositions auraient permis de créer un sentiment de justice, de répartition plus équitable de la charge. C’est tellement vrai que vous-mêmes, chers collègues de la majorité, avez accepté, en adoptant un amendement en ce sens, de remettre à plat le système en 2013. Par ailleurs, au lieu de réformer globalement, vous envisagez d’engager l’année prochaine une réforme fiscale. En somme, on saucissonne les problèmes alors qu’ils sont intimement liés !
Oui, monsieur le ministre, nous voulons réformer nos systèmes de retraite, mais pas au pas de charge et de manière aussi brutale. Nous déplorons sincèrement que vous ayez opté pour une telle démarche, car un consensus national aurait pu et dû être trouvé sur ce dossier.
Pour toutes ces raisons, les sénateurs du groupe du RDSE, et en particulier les radicaux, voteront contre ce projet de loi. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Guy Fischer. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste.)
M. Guy Fischer. Que retiendra-t-on de cette réforme ?
M. Jean-Louis Carrère. Son caractère injuste !
M. Guy Fischer. Un mois de débat pour consacrer la plus grande régression sociale de ces dernières décennies ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste. – Rires et exclamations sur les travées de l’UMP.)
M. Joël Billard. Après les 35 heures !
M. Guy Fischer. Je voudrais insister sur deux sujets importants : le démantèlement à terme des trois fonctions publiques et la pénibilité.
En effet, les mesures restrictives concernant les fonctionnaires sont censées permettre d’économiser à elles seules la modique somme de 10 milliards d’euros. Pourtant, ces mesures sont sans effet direct sur le régime d’assurance vieillesse dans la mesure où les retraites des fonctionnaires sont garanties et prises en charge par le budget de l’État. Est-ce à dire que celui-ci se désengagera ? Qu’importe ! Vous justifiez ces mesures au nom de l’équité avec les salariés du privé, comme si l’équité devait être tout le temps et pour toujours synonyme de nivellement par le bas.
Cet argument ne nous convainc pas et nous voyons plus dans ces mesures une conséquence de la révision générale des politiques publiques, le but étant de satisfaire à un seul objectif : répondre aux exigences de l’Union européenne et des agences de notation.
Ainsi, les fonctionnaires paieront le prix fort et verront leurs cotisations sociales passer de 7,85 % à 10,55 %. C’est du jamais vu !
M. Adrien Gouteyron. C’est l’équité !
M. Guy Fischer. Vous n’avez jamais osé augmenter de la sorte les cotisations sociales d’aucune autre catégorie professionnelle. Vous ne le faites qu’avec les fonctionnaires !
À cette hausse proprement scandaleuse, puisqu’elle sera de près 35 % en dix ans, il faut ajouter le gel annoncé des salaires. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
Au final, du fait de ces deux seules mesures, les fonctionnaires verront à la fois leur salaire baisser notablement dans l’avenir et leur pouvoir d’achat se contracter.
Et puis, il y a aussi le durcissement des conditions d’accès au minimum garanti – preuve que les fonctionnaires ne sont pas les privilégiés que vous prétendez : chez eux aussi, la précarité explose – et la fermeture définitive du dispositif permettant aux assurés justifiant de quinze ans de carrière et parents de trois enfants de bénéficier d’un départ anticipé.
Ce qu’il faudra retenir, c’est que vous avez déjà supprimé 100 000 emplois de fonctionnaire et que vous vous apprêtez à en supprimer à nouveau 100 000 autres d’ici à 2013. Il s’agit là d’une véritable attaque contre les fonctions publiques et l’on assiste ainsi au démantèlement des services publics à la française. (Nouveaux applaudissements sur les mêmes travées – M. Robert Tropeano applaudit également.)
Autres motifs de colère : la question de la prise en charge de la pénibilité et celle de la médecine du travail, une médecine du travail que vous avez choisi de livrer pieds et poings liés au MEDEF. Voilà la vérité ! (Mêmes mouvements sur les mêmes travées.)
Je regrette d’ailleurs que la commission mixte paritaire ait adopté un amendement visant à supprimer la disposition que nous avions introduite au cours de nos débats et selon laquelle les directeurs des services de santé au travail étaient garants de l’indépendance des médecins du travail. Ils seront placés demain sous l’autorité du président de service, c’est-à-dire, une fois sur deux, sous l’autorité de l’employeur : une décision plus que contestable.
Nous regrettons également que nos travaux n’aient pas débouché sur la constitution d’une véritable agence nationale de santé au travail. J’écourte… (Ah ! sur les travées de l’UMP.)
Les négociations entre partenaires sociaux, même si elles ont échoué par ailleurs, s’étaient bel et bien conclues par le droit à une cessation anticipée d’activité pour les salariés qui auraient réuni un certain nombre de critères. Le seul point d’achoppement, qui a conduit à l’arrêt des négociations, portait sur le financement de cette mesure. Autrement dit, c’est bien l’exigence du patronat de ne pas participer financièrement à cette réparation qui vous a conduits à proposer un mécanisme dont tous les professionnels s’accordent à dire qu’il est indigne.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Guy Fischer. Je vais donc conclure, monsieur le président, mais c’est bien pour vous faire plaisir ! (Sourires.)
Ce n’est pas la conception que nous nous faisions de la prise en charge de la pénibilité, qui aurait du reste mérité un traitement législatif particulier.
Pour toutes ces raisons, demeurant attachés à la retraite à 60 ans et restant au côté de notre peuple, nous voterons contre ce projet de loi injuste, brutal, inefficace, qui fera de la France le pays qui aura fait le plus grand pas en arrière en matière de droits sociaux. (Ovation debout de Mmes et MM. les sénateurs du groupe CRC-SPG. – Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jean Arthuis.
M. Jean Arthuis. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, au terme de cette longue discussion, je tiens à remercier tout particulièrement Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales, et Dominique Leclerc, son rapporteur. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.) Ils ne se sont jamais départis de leur sérénité et de leur courtoisie et ont tout fait pour faciliter l’expression de chacun d’entre nous. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Puisque nous sommes parvenus au terme de ce débat, monsieur le ministre, je veux vous dire que je voterai ce projet de loi (Applaudissements sur plusieurs travées de l’UMP. – Marques de surprise feinte sur les travées du groupe socialiste.), qui, s’il ne constitue pas une injustice, ne règle pas pour autant au fond le problème de l’inégalité de nos concitoyens devant la retraite. (Ah ! sur les travées du groupe socialiste.)
Jusqu’alors, notre système de retraite souffrait de deux maux qui le condamnaient : en premier lieu, il filait droit vers la cessation de paiement et la faillite ; en second lieu, ses vingt et un régimes de base et ses nombreux régimes complémentaires obligatoires, gagés par l’État, étaient et sont toujours sources de vraies injustices.
M. Dominique Leclerc, rapporteur. Très bien ! Voilà la vérité !
M. Jean Arthuis. J’ai entendu, ici ou là, et plutôt à gauche qu’à droite, des propos en faveur d’un transfert de recettes fiscales vers le financement des retraites.
M. Pierre-Yves Collombat. Bonne idée !
M. Jean Arthuis. Cependant, mes chers collègues, les recettes fiscales correspondent à un prélèvement qui pèse sur l’ensemble de la collectivité nationale. Ainsi, dès lors que l’État prend en charge au moins en partie le financement du système de retraite, il faut que ce système soit juste. Or tel n’est pas le cas actuellement. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Votre réforme, monsieur le ministre, répond au moins à la nécessité d’équilibrer les recettes et les dépenses, même si nous savons que, entre 2012 et 2018, le déficit cumulé de notre système de retraite atteindra au moins 62 milliards d’euros, qu’il va falloir « loger » dans la CADES. Aussi, vous ne vous étonnerez pas si, lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale, nous proposons une augmentation de la CRDS, précisément dans le but d’amortir cette dette.
Cette réforme répond au moins en partie à la nécessité d’assurer le financement des retraites, mais elle ne règle pas le problème de l’inégalité de notre système de retraite.
Monsieur le ministre, je suis satisfait que vous ayez réservé une suite favorable à trois amendements identiques tendant à lancer, à compter de 2013, une réflexion sur une réforme systémique, l’idée étant de mettre en place une retraite par points. C’est encourageant et prometteur, mais, puisque tout le monde, semble-t-il, est convaincu qu’une évolution est nécessaire, pourquoi attendre 2013 pour entreprendre cette réflexion ?
M. Jean-Pierre Godefroy. Pourquoi voter ce texte ?
M. Jean Arthuis. Si le Gouvernement ne s’attelle pas à cette tâche, ce sera le devoir et l’honneur du Parlement d’examiner dès à présent l’opportunité d’une telle réforme, ses avantages et, éventuellement, ses inconvénients. Je fais confiance à la commission des affaires sociales pour conduire cette réflexion, qui a déjà été largement engagée.
Mes chers collègues, en la matière, nous devons faire preuve de pédagogie, même si, au cours de ce débat, tous n’ont pas fait preuve d’une capacité égale à échanger des arguments. Nous avons la nécessité absolue de faire vivre une authentique solidarité entre les générations, exigence qui ne sera satisfaite que par un financement juste et équilibré de notre système de retraite. Il est urgent d’assurer l’égalité des Français devant la retraite, et c’est à cet objectif républicain que répond un projet de réforme systémique.
M. René-Pierre Signé. Il n’est pas dans le texte !
M. Jean Arthuis. Monsieur le ministre, votre projet de loi apporte une réponse au problème du financement des retraites, et c’est la raison pour laquelle nous le voterons. Maintenant, nous devons les uns et les autres faire preuve d’une grande pédagogie, engager un vrai débat républicain pour que prenne corps l’égalité des Français devant la retraite. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.
Mme Marie-Christine Blandin. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, c’est du temps de la retraite, de la vie presque accomplie, du regard vers ce que l’on a fait, ce que l’on a été, ce que l’on peut encore transmettre, que nous parlons, et ce n’est pas rien !
Monsieur le ministre, vous venez devant le Parlement cueillir les fruits de votre obstination. Ces fruits sont stériles : le système n’est pas durable, même certains de vos collègues le disent. Ces fruits sont vénéneux : ils portent le poison de l’injustice. Ces fruits ont été forcés artificiellement : urgence et fin de maturation raccourcie.
Vous avez plaqué sur la société de 2010 en manque d’emplois, en manque de perspectives pour les jeunes, en dérive financière et économique, un discours sur le retour et la répartition de la croissance, tandis que vos amis, quand ce n’est pas la famille du Président de la République, s’activaient à développer des produits privés de retraite par capitalisation. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Vous n’avez pris aucune hauteur pour aborder le problème ; les temps utiles à la société, que vous ne récusez pas puisque de l’argent public y est consacré, auraient au moins pu être comptabilisés en annuités : le travail dans l’emploi, certes, mais aussi les études, le travail pendant l’apprentissage, les stages, l’éducation des petits, l’accompagnement des plus fragiles. Encore eût-il fallu dégager des moyens !
Mais vous n’avez eu aucune pudeur pour faire rempart, pour faire en sorte qu’aucune contribution ne soit demandée aux spéculateurs, ceux-là mêmes qui s’enrichissent en détruisant l’emploi.
Vous pouvez dire aux grandes fortunes, à Mme Bettencourt ou à sa fille – peu importe – (Vives exclamations sur les travées de l’UMP.),…
M. Jean-Claude Gaudin. Et aussi à quelques socialistes !
Mme Marie-Christine Blandin. … à Gérard Mulliez, à Bernard Arnault, à tous leurs directeurs, qu’ils n’ont aucun souci à se faire.
M. Jean-Marc Todeschini. Aucun !
Mme Marie-Christine Blandin. Dites aussi à Mme Lagarde de nous épargner à l’avenir ses discours sur la moralisation de la finance. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Vous n’avez écouté ni les syndicats, ni la rue, ni le Parlement. Or la légitimité d’une majorité ne peut se construire ni dans la négation de l’opposition ni dans celle de l’opinion, une opinion qui a d’ailleurs bien évolué à votre égard.
Vous avez fait de la publicité trompeuse pour l’usager : en vous écoutant, des centaines de milliers de femmes se sont crues concernées ; au bout du compte, elles ne seront que quelques dizaines de milliers à échapper à la régression.
Vous avez laissé stigmatiser les fonctionnaires, comme si ces acteurs du service public dérangeaient dans ce paysage de dérégulation et de privatisation.
Vous avez tenté, en vain, d’opposer les générations, comme si cette réforme était faite pour les jeunes, alors que les modes de calcul les renvoient à des pensions faibles et plus lointaines que jamais. C’est pour eux qu’aucune voix dans cet hémicycle ne doit manquer pour dire non à ce projet.
L’usage du flash-ball contre des jeunes manifestant avec responsabilité leur inquiétude à Montreuil est une violence qui a traduit votre perte de sang-froid. Les séquelles demeureront.
M. Dominique Leclerc, rapporteur. N’importe quoi !
Mme Marie-Christine Blandin. Gardez-vous de tout triomphalisme : le pays est amer, le pays est en colère et en attente légitime de corrections significatives. Toute surdité prolongée relèverait de la provocation.
C’est de concertation et d’apaisement dont a besoin le pays…
M. Jean-Louis Carrère. Et le Gouvernement, d’un sonotone !
Mme Marie-Christine Blandin. … pour s’inventer un avenir où la coopération l’emportera sur la compétition, où l’emploi sera partagé et les droits, protégés.
Les sénatrices et sénateurs Verts voteront avec indignation contre ce texte inopérant pour l’équilibre durable du système et truffé d’injustices, à commencer par une assiette de cotisation qui épargne les plus nantis. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Gilbert Barbier.
M. Gilbert Barbier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous arrivons au terme de ce débat marathon. Chacun appréciera à son aune personnelle la manière dont il s’est déroulé.
Pour ma part, j’ai longuement écouté nos collègues de l’opposition et, malgré les très nombreuses répétitions des mêmes thèmes, en laissant de côté les discours outranciers, je n’ai pas perçu les solutions crédibles et alternatives qui auraient pu conduire à un véritable débat (Bravo ! et applaudissements sur quelques travées de l’UMP.), face au défi démographique, à l’allongement de la durée de vie et à la nécessité de maintenir coûte que coûte le niveau des pensions.
Je pense très sincèrement que le projet présenté, même s’il était perfectible, est bien la solution raisonnable pour traiter, dans l’immédiat, la situation ô combien délicate de la branche vieillesse.
Nous avons entendu répéter sans cesse qu’il fallait aussi mettre à contribution le « grand capital », les retraites chapeaux, les stock-options, etc., alors qu’il suffit d’ouvrir le projet de loi de financement de la sécurité sociale pour y trouver la participation de ce type de revenus à l’effort nécessaire de solidarité.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ah oui, parlons-en !
M. Gilbert Barbier. Nous aurons à en discuter très prochainement. Il y aura lieu, d’ailleurs, de voir s’il n’est pas possible d’aller un peu plus loin, tout en sachant que, dans toutes les hypothèses, y compris les plus maximalistes, cela ne peut résoudre le problème du financement des retraites.
La question se posait aussi de savoir s’il fallait agir maintenant, alors que le dialogue social était manifestement au point mort. Il suffit cependant de regarder les chiffres pour être convaincu de l’urgence.
La branche vieillesse de l’ensemble des régimes obligatoires de base a accusé un déficit de 8,9 milliards d’euros en 2009, de 10,5 milliards d’euros en 2010, et une prévision de 8,6 milliards d’euros en 2011. Il n’était pas raisonnable, il n’était pas décent de laisser filer encore le déficit un ou deux ans de plus.
Dans quelques jours, nous fixerons à 68 milliards d’euros la limite de transfert de la dette que nous léguons aux générations suivantes.
Peut-être n’avons-nous pas suffisamment expliqué à tous ces jeunes qui descendent dans la rue que cette réforme était de leur propre intérêt et de celui des actifs d’aujourd’hui, pour leur éviter de connaître des lendemains extrêmement douloureux.