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Questions cribles thématiques
La rentrée scolaire
M. le président. L’ordre du jour appelle les questions cribles thématiques sur la rentrée scolaire.
Je rappelle que l’auteur de la question et le ministre pour sa réponse disposent chacun de deux minutes. Une réplique d’une durée d’une minute au maximum peut être présentée soit par l’auteur de la question, soit par l’un des membres de son groupe politique.
Je rappelle que ce débat est retransmis en direct sur la chaîne Public Sénat et sera rediffusé ce soir sur France 3, après l’émission Ce soir ou jamais de Frédéric Taddeï.
Chacun des orateurs aura à cœur de respecter son temps de parole. à cet effet, des afficheurs de chronomètres ont été installés à la vue de tous.
La parole est à M. Robert Tropeano.
M. Robert Tropeano. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, moins de deux mois se sont écoulés depuis la rentrée scolaire, et un premier bilan s’impose : l’école va mal.
Au cours de ces derniers mois, de nombreux rapports n’ont cessé de le clamer. De la Cour des comptes au Haut Conseil de l’éducation, en passant par les travaux réalisés par plusieurs parlementaires, les plus sérieuses institutions tirent, les unes après les autres, la sonnette d’alarme face à l’échec scolaire.
Pour revenir à une école de la République remplissant pleinement son rôle, la tâche à accomplir est immense. Les sujets d’inquiétude sont nombreux. Les réformes lancées dans l’incompréhension la plus totale ne manquent pas de nous préoccuper encore plus.
Monsieur le ministre, je souhaite vous interroger aujourd’hui sur la réforme de la formation initiale des enseignants et sur la politique de suppression de postes que vous conduisez avec une constance remarquable, vastes sujets qui me semblent les plus fondamentaux !
Les effets conjugués de ces deux politiques sont dévastateurs. Dans certaines académies, le premier contingent de jeunes enseignants issus de la nouvelle formation est arrivé sans avoir bénéficié d’aucun stage préalable.
On nous promet une meilleure formation des enseignants via le nouveau pacte de carrière. Mais tout ce que nous voyons, c’est que les stages sont désormais facultatifs et doivent avoir lieu en même temps que la préparation du difficile examen du master. Les jeunes enseignants sont désormais propulsés seuls devant des élèves, et ce dès les vacances de la Toussaint. C’est là un excellent moyen de décourager les futurs enseignants qui n’auront plus aucune opportunité d’apprendre de leurs aînés, ni de tester leurs goûts et leurs capacités avant de se lancer dans une carrière difficile.
Cette situation est d’autant plus préoccupante qu’elle intervient sur fond de coupes drastiques dans les moyens de fonctionnement de l’école.
À la lecture de votre projet de budget pour 2011, de nouvelles suppressions de postes sont encore programmées : pas moins de 8 967 postes dans les écoles primaires, 4 800 dans les collèges ou lycées, …
M. le président. Veuillez poser votre question, mon cher collègue !
M. Robert Tropeano. … 600 au sein des personnels administratifs et 1 633 dans l’enseignement privé sous contrat ! Où vous arrêterez-vous, monsieur le ministre ?
Comment comptez-vous mettre fin à la spirale infernale de l’échec scolaire avec toujours moins de moyens, moins de professeurs, et des enseignants moins bien formés ?
Monsieur le ministre, quand allez-vous enfin accepter d’entendre ce que vous disent non seulement les enseignants, les élèves et les parents,…
M. le président. Il vous faut conclure, mon cher collègue !
M. Robert Tropeano. … mais également les élus locaux quant à l’impérieux besoin d’affecter à l’école les moyens de son ambition, celle de la réussite pour chacun ? Parce qu’elle est l’un des fondements de notre pacte républicain, l’école mérite mieux que ce que vous nous proposez !
M. le président. Mon cher collègue, il ne vous restera malheureusement que vingt secondes de temps de parole pour la réplique.
La parole est à M. le ministre.
M. Luc Chatel, ministre de l'éducation nationale, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le sénateur, comme vous venez de le rappeler – et ce sera sans doute notre seul point d’accord –, l’école, qui est l’un des fondements de notre République, reste au cœur de nos valeurs républicaines.
C’est pour cette raison que l’éducation constitue une priorité pour le Gouvernement. Malgré le contexte budgétaire extrêmement contraint, que vous connaissez, mesdames, messieurs les sénateurs, je souligne que, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2011, l’éducation nationale restera le premier budget de l’État, en augmentation de 1,6 %. Ainsi, la France continue à investir dans son éducation davantage que bien des pays de l’OCDE.
L’école s’adapte aux enjeux du monde d’aujourd’hui. Si nous voulons que chaque élève quitte le système éducatif avec un diplôme, lequel constitue, notamment en période de crise, la meilleure arme qui soit pour intégrer le marché professionnel, nous devons personnaliser davantage l’enseignement. Tel est d’ailleurs l’esprit de la réforme du lycée que nous avons instaurée lors de la dernière rentrée scolaire, et tel était aussi celui de la réforme du primaire mise en place en 2008, avec la volonté d’avoir des apprentissages concentrés sur les fondamentaux et une aide personnalisée.
Nous faisons confiance aux enseignants, et c’est pourquoi nous avons voulu revoir leur formation. C’est ainsi que nous avons décidé de consacrer une année supplémentaire à leur formation initiale, en portant le niveau requis à celui du master, comme c’est le cas dans la plupart des grands pays développés.
Cette formation, d’abord fondée sur la discipline, prévoit des périodes de stage devant les élèves, en observation ou en situation, à raison de deux fois cent huit heures pendant les deux années de master, puis la mise en situation au cours de la première année des professeurs stagiaires.
M. le président. Je vous demande de conclure, monsieur le ministre.
M. Luc Chatel, ministre. En cette période difficile pour notre pays, nous envoyons un signal fort aux enseignants : moins d’enseignants, mieux rémunérés. Oui, nous assumons pleinement la politique que nous menons, qui montre que nous croyons plus que jamais en l’avenir de l’école.
M. le président. La parole est à M. Robert Tropeano, pour la réplique.
M. Robert Tropeano. Je ne vous étonnerai pas, monsieur le ministre, en vous disant que je ne suis pas d’accord avec vous.
En effet, les enseignants eux-mêmes ne sont pas satisfaits de la formation qui est prévue pour eux.
Comme vous l’avez souligné, monsieur le ministre, l’école est un pilier de la République ! Nous devons donc faire en sorte qu’elle soit au service de tous et de nos jeunes en particulier ! (Applaudissements sur certaines travées du RDSE. – Mme Odette Herviaux applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Carle.
M. Jean-Claude Carle. Ma question porte également sur la formation des enseignants. Après tout, la pédagogie, c’est l’art de la répétition ! (Sourires.)
À partir de cette année, la réforme de la mastérisation entre en vigueur. Pour la première fois, les professeurs débutants n’auront pas connu l’année de formation en alternance qui était jusqu’à présent dispensée dans les instituts universitaires de formation des maîtres, les IUFM.
Or cette année se décomposait en 40 % de pratique devant les élèves et 60 % de cours dans les IUFM. On peut donc craindre un manque de préparation des professeurs débutants à la réalité de leur tâche.
À mon avis, il faut recentrer la formation des enseignants sur la pratique de leur métier. Les maquettes des concours sont trop axées sur les connaissances académiques du futur professeur. Maîtriser sa discipline est une condition nécessaire, mais non suffisante, pour l’exercice de la profession, comme il en est d’ailleurs de toute profession. Monsieur le ministre, déciderait-on de placer seul aux commandes d’un avion de ligne un pilote sans expérience ?
Je sais que les nouveaux enseignants devraient être accompagnés par des tuteurs. Mais, d’après les informations que j’ai reçues, il y aurait de grandes difficultés à les recruter.
Par ailleurs, il est prévu qu’un tiers du temps de service des nouveaux professeurs soit consacré à un complément de formation. Or il semble que ces stages soient organisés de façon très différenciée selon les académies, et je m’en inquiète.
Enfin, je tiens à souligner les difficultés de remplacement des professeurs stagiaires partis en formation. Comment comptez-vous assurer ces remplacements ?
Les enquêtes du PISA, le programme international pour le suivi des acquis des élèves, démontrent que, à investissement égal au nôtre, des pays tels que la Finlande, le Canada ou l’Australie enregistrent de meilleurs résultats de leurs élèves du fait d’une meilleure formation des maîtres.
Ceux qui vont former notre jeunesse doivent donc être préparés de la meilleure façon possible à l’exercice de leur métier.
Mme Françoise Laborde. Justement !
M. Jean-Claude Carle. C’est la raison pour laquelle un premier bilan de la réforme s’impose dès à présent, afin, éventuellement, de mettre en œuvre des mesures adaptées.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Luc Chatel, ministre. Monsieur le sénateur, c’est précisément parce que nous avons une haute ambition pour l’école que nous avons choisi d’élever le niveau de formation initial de nos enseignants à celui du master, comme je l’ai indiqué à M. Tropeano.
Je rappelle que cette élévation du niveau de formation s’accompagnera d’un recrutement qui sera effectué sur la base, certes, de connaissances disciplinaires – il est important d’être un bon mathématicien pour enseigner les mathématiques ! –, mais aussi de pratiques pédagogiques en alternance. Dans le cadre de l’apprentissage relevant de la formation initiale, les pratiques seront plus nombreuses que précédemment, avec la possibilité de faire deux fois cent huit heures de stage, en observation pendant l’année M 1 et en mise en responsabilité pendant l’année M 2.
Les épreuves écrites d’admissibilité sanctionneront les compétences sur le plan disciplinaire, tandis que les épreuves d’admission auront pour objectif de valider le complément de la formation, cette formation pratique qui est effectivement importante, comme vous l’avez rappelé.
Une fois leur diplôme obtenu, les professeurs stagiaires bénéficieront d’un accompagnement dans chaque académie. Ils ne seront donc pas abandonnés face à leurs élèves, comme je l’ai entendu dire ici ou là. (M. Claude Bérit-Débat s’exclame.)
Pour la première fois, nous avons organisé dans les académies, cette année, un stage d’accueil de tous les professeurs stagiaires. Nous avons mis en place un tutorat : dans le premier degré, tous les professeurs stagiaires étaient en binômes jusqu’aux vacances de la Toussaint. D’ailleurs, je vous rassure, monsieur le sénateur, les professeurs stagiaires de second degré ont également un tuteur.
Enfin, les professeurs stagiaires bénéficieront d’une formation tout au long de leur année de stage.
Nous avons conçu une réforme axée à la fois sur les compétences disciplinaires et sur la pratique.
Dès le mois de novembre, un premier bilan d’évaluation de cette réforme sera dressé. Nous sommes prêts, si nécessaire, à améliorer le dispositif pour l’année prochaine, cette année étant une année de transition pour nos professeurs stagiaires.
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Carle, pour la réplique.
M. Jean-Claude Carle. Je tiens à remercier M. le ministre des précisions qu’il a bien voulu m’apporter, concernant notamment l’évaluation de l’expérimentation, prévue dès le mois de novembre.
Conjuguer formation disciplinaire et formation au métier est indispensable à la bonne transmission, et donc à la bonne acquisition du savoir. De même, il est essentiel de pourvoir au remplacement des professeurs stagiaires et, d’une manière générale, à celui des enseignants absents. Mais, à mon sens, les difficultés tiennent plus à l’organisation du système qu’aux moyens mis en place.
Nous verrons, lors de la discussion budgétaire, que certains crédits ne sont pas totalement consommés. Le Sénat, représentant des territoires et très soucieux de la bonne utilisation des moyens financiers, sera très attentif à ces questions.
M. le président. La parole est à M. René-Pierre Signé.
M. René-Pierre Signé. Monsieur le ministre, je veux vous interroger sur les zones d’éducation prioritaires, les ZEP, qui ont été créées en 1982 afin d’accorder des moyens éducatifs renforcés aux élèves des secteurs défavorisés. L’objectif était bien de « donner plus à ceux qui ont moins ».
Les ZEP se caractérisent par plus de dotations en heures et en postes d’enseignants, plus de surveillants et d’assistants, une présence adulte plus forte, davantage de crédits pédagogiques et moins d’élèves dans les classes.
Près de trente ans après leur création, elles sont plus que jamais critiquées : les résultats des élèves qui y sont scolarisés – ils sont issus pour la plupart de milieux défavorisés, ce qui n’est pas sans conséquence – ne rattrapent pas le niveau de ceux qui sont enregistrés par l’ensemble des jeunes Français.
Le ministère de l’éducation nationale a lancé à la rentrée 2010 une expérimentation des CLAIR, les programmes « collèges, lycées pour l’ambition, l’innovation et la réussite », annoncée à la fin des états généraux de la sécurité à l’école, menée dans une centaine d’établissements qui ne font pas forcément partie des réseaux ambition réussite, les RAR, mis en place en 2006.
Le ministère entend donc substituer aux dispositifs existant une nouvelle cartographie des établissements concentrant le plus de difficultés en matière de climat et de violence. Or le traitement de ces problèmes ne doit pas prendre le pas sur celui des difficultés scolaires, comme ce sera précisément le cas dans les CLAIR. Avec ces derniers, on est loin des principes présidant aux ZEP, qui, à l’origine, devaient contribuer à corriger l’inégalité sociale entre les élèves en renforçant l’action éducative.
Monsieur le ministre, les restrictions budgétaires responsables de l’arrêt de nombreux projets dans les départements, ainsi que la mise en place des CLAIR dans le second degré, nous conduisent à nous interroger sur l’avenir de l’éducation prioritaire, notamment dans le premier degré.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Luc Chatel, ministre. Monsieur le sénateur, l’éducation prioritaire a une trentaine d’années, puisque les ZEP datent des années quatre-vingt. Or je crois qu’il faut veiller à ne pas – passez-moi l’expression – jeter le bébé avec l’eau du bain : ce système fonctionne depuis trente ans et un milliard d'euros sont aujourd'hui investis dans l’éducation prioritaire, afin, comme vous l’avez justement souligné, de donner davantage aux élèves qui ont plus de besoins.
Aujourd'hui, les réseaux ambition réussite rassemblent environ deux cent cinquante collèges de notre pays, qui sont situés dans des zones particulièrement sensibles.
Il est d'ailleurs intéressant de constater que, aux termes de l’évaluation réalisée en 2010, le niveau d’obtention du brevet dans les réseaux ambition réussite a plutôt augmenté par rapport aux données dont nous disposions antérieurement, même si des difficultés subsistent dans ces collèges pour l’apprentissage des fondamentaux, notamment du français.
Comment pouvons-nous faire évoluer ce dispositif ?
Premièrement, il est important, me semble-t-il, que nous développions une vision globale de l’éducation prioritaire, des contrats urbains de cohésion sociale, de la politique de la ville et de la carte scolaire. Ces quatre dispositifs doivent être coordonnés, pour qu’ils puissent avancer de manière globale.
Le Premier ministre a indiqué qu’il décalait à 2011 la révision de la carte de la politique de la ville. Il me semble que l’éducation prioritaire doit être traitée dans le cadre de cette réflexion.
Deuxièmement, comme vous l’avez rappelé, monsieur le sénateur, nous avons expérimenté lors de la dernière rentrée un nouveau dispositif « collèges, lycées pour l’ambition, l’innovation et la réussite », dit CLAIR, dans cent cinq collèges et lycées. Ce dispositif est destiné aux établissements qui ont à la fois des élèves en difficulté scolaire, un recrutement d’élèves issus de populations défavorisés et, parfois, des problèmes en matière de sécurité. Il s’agit de leur accorder davantage d’autonomie en matière de pédagogie, de recrutement et de vie scolaire.
Ce programme, qui, je le répète, est une expérimentation, n’a pas a priori vocation à se substituer à toute l’éducation prioritaire. Nous en dresserons le bilan, nous l’évaluerons et nous réfléchirons à la façon de coordonner les différents dispositifs qui, à ce stade, méritent d’être clarifiés.
M. le président. La parole est à M. René-Pierre Signé, pour la réplique.
M. René-Pierre Signé. Monsieur le ministre, l’opinion selon laquelle les ZEP sont inefficaces est loin d’être partagée par tous.
Une relance véritable et ambitieuse de l’éducation prioritaire s’impose – je pense que vous partagez ce point de vue – dans l’intérêt des élèves et des personnels, tant dans les zones urbaines sensibles qu’en milieu rural.
La suppression des ZEP accélérera la fermeture des classes et des écoles, particulièrement en milieu rural. Nous avons tout à gagner à renforcer les zones d’éducation prioritaires, à diminuer le nombre d’élèves par classe, à soutenir les familles en difficulté et à assurer davantage de mixité sociale.
Monsieur le ministre, comment peut-on imposer une politique éducative régie par le dogme de la réduction des moyens, qui est inconciliable avec le maintien, pourtant hautement proclamé, d’un véritable service public de l’éducation ?
M. le président. La parole est à M. Ivan Renar.
M. Ivan Renar. Monsieur le ministre, c’est à l’école maternelle et élémentaire que tout commence, mais aussi, trop souvent, que tout finit.
Or, avec une dépense annuelle par élève inférieure de 15 % à la moyenne des pays de l’OCDE, l’école primaire française apparaît de plus en plus fragilisée. À un sous-investissement chronique s’ajoute la réduction des effectifs des enseignants, puisque, à la rentrée prochaine, près de 9 000 postes supplémentaires pourraient à nouveau disparaître.
Monsieur le ministre, la volonté entêtée de ne pas remplacer la moitié des enseignants partant à la retraite, ainsi que la mise en œuvre de la réforme du recrutement des enseignants, n’auraient pas, selon vos déclarations, d’incidence sur le bon fonctionnement des écoles.
La réalité du terrain est tout autre : la qualité du service public de l’éducation tend à se dégrader sérieusement, malgré l’engagement réel et résolu des personnels de l’éducation nationale. La continuité pédagogique se voit ainsi sérieusement remise en cause.
De nombreux brigadistes, souvent néotitulaires et affectés à des remplacements longs, ont appris que, à l’issue des vacances de la Toussaint, ils ne retrouveraient pas leurs postes, ceux-ci devant être occupés par des enseignants stagiaires. Ainsi, pour cette seule année scolaire, les élèves de ces classes connaîtront-ils au minimum trois enseignants, du moins si l’on ne pousse pas ces derniers à la démission !
Face à cette situation, les enseignants, les élus locaux et les parents d’élèves se mobilisent pour exiger le maintien des enseignants en place depuis la rentrée. Il est en effet indispensable pour les élèves de limiter les changements d’équipe pédagogique, surtout pour des classes charnières telles que le cours préparatoire, le CP.
Est-il besoin de souligner à quel point les ruptures de progression pédagogique sont nuisibles à l’apprentissage des enfants ?
Que dire également de la situation des lauréats des concours de 2010, à qui l’on confie des classes à double, voire à triple niveau, et dont la formation professionnelle n’aura duré que quelques semaines ?
Monsieur le ministre, alors que les difficultés scolaires apparaissent dès la maternelle et qu’elles ne sont que rarement résorbées par la suite, qu’entendez-vous faire pour remédier au turn over des enseignants du primaire ? Quelles mesures mettrez-vous en œuvre pour consolider la formation des enseignants stagiaires, lesquels ne peuvent se former seuls sur le terrain, au détriment de leurs élèves ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Luc Chatel, ministre. Monsieur le sénateur, depuis 2008, au travers de la réforme du primaire, nous avons voulu mettre l’accent sur les apprentissages fondamentaux au cours de ces années qui, comme vous l’avez rappelé, sont essentielles dans la scolarité.
Nous avons ainsi engagé une réforme des programmes, avec un recentrage sur les enseignements fondamentaux, et institué une aide personnalisée, parce que c’est dès leur plus jeune âge qu’il faut détecter les élèves rencontrant des difficultés. Pour mesurer l’impact de ce soutien individualisé, nous avons mis en place une évaluation, qui est réalisée à deux reprises, en cours élémentaire 1, ou CE1, et en cours moyen 2, ou CM2. Tel est le sens dans lequel nous avons réformé l’école primaire.
Monsieur le sénateur, vous évoquez la question budgétaire. Vous le savez, l’éducation nationale, qui constitue le premier budget de l’État, ne peut pas s’exonérer d’une politique plus globale de respect des contraintes budgétaires, chacun dans cette enceinte les connaît.
Toutefois, nous menons cette politique avec discernement : dans le premier degré, je vous le rappelle, 5 600 professeurs des écoles sont aujourd'hui en sureffectif. Il est donc logique que, l’année prochaine, c’est d’abord en ne renouvelant pas ces postes que nous atteindrons notre objectif de non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux partant à la retraite.
Je le rappelle également, nous avons veillé tout particulièrement, dans le cadre de la mastérisation que j’évoquais voilà un instant, à ce que les professeurs stagiaires du premier degré soient accueillis par des professeurs des écoles expérimentés, en tutorat pendant deux mois, c'est-à-dire en doublon dans une classe jusqu’à la période de la Toussaint, afin qu’ils ne soient pas abandonnés face aux élèves comme je l’ai entendu dire ici ou là.
Vous le voyez, monsieur le sénateur, nous prenons en compte ces différentes spécificités. Nous croyons en l’avenir de l’école primaire. C’est bien pour cela d’ailleurs que, au printemps dernier, j’ai annoncé un plan de lutte contre l’illettrisme, qui sera mis au cœur de l’école primaire. En effet, nous estimons que c’est à cet âge-là que se joue l’apprentissage des fondamentaux, c'est-à-dire des connaissances initiales qui sont indispensables pour la réussite de chaque élève.
M. le président. La parole est à M. Ivan Renar, pour la réplique.
M. Ivan Renar. Monsieur le ministre, je ne peux pas dire que je suis satisfait de votre réponse.
D'une part, je souscris à la recommandation de la Cour des comptes appelant à « accroître la part des financements allouée à l’école primaire, en privilégiant le traitement de la difficulté scolaire ».
En effet, il est désormais indispensable de dépasser les « choix conjoncturels » et les « solutions provisoires », pour reprendre les termes mêmes des membres de l’Inspection générale de l’éducation nationale. Faut-il rappeler que, dans le rapport sur la préparation de la rentrée scolaire 2010, les inspecteurs généraux relevaient que les choix du ministère, notamment sur le plan budgétaire, n’étaient pas à même de « préparer l’avenir » ?
D'autre part, l’investissement dans la formation et, de façon générale, dans la matière grise ne devrait pas être soumis aux restrictions budgétaires. Cette idée est d’ailleurs partagée par les responsables de l’Allemagne et des États-Unis : bien qu’ayant engagé une réduction des dépenses publiques, ils ont décidé d’augmenter significativement leurs budgets consacrés à l’éducation et à la recherche. Je crois qu’ils ont raison et qu’il nous faudrait prendre ce chemin.
M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.
M. Yves Détraigne. Monsieur le ministre, la dernière rentrée scolaire a été marquée par de nombreuses fermetures de classes et par une hausse souvent importante des effectifs, tant en maternelle qu’en primaire.
Dans le même temps, les crédits destinés aux emplois vie scolaire, les EVS, qui avaient été créés à l’origine pour épauler les directeurs d’école, ne sont pas renouvelés. La disparition de ces personnels, qui jouent un rôle très utile au sein de l’école, est pénalisante pour de nombreux établissements : vous le savez, les directeurs d’école ont de plus en plus d’obligations et de responsabilités, les classes sont surchargées et le besoin d’encadrement des enfants est d’autant plus fort que le comportement de ceux-ci n’est plus du tout ce qu’il était voilà une vingtaine d’années. Beaucoup d’enseignants et de directeurs risquent donc de se décourager à un moment où, précisément, l’école a un rôle de plus en plus important à jouer.
Conséquence de la fermeture d’un grand nombre de classes, bien des communes doivent désormais gérer la question des agents territoriaux spécialisés des écoles maternelles, les ATSEM, qui se retrouvent sans affectation, mais qui, parce qu’ils appartiennent à la fonction publique territoriale, sont toujours pris en charge par leurs collectivités, quand bien même la situation financière de ces dernières est de plus en plus délicate.
Monsieur le ministre, nous sommes donc nombreux à constater sur le terrain les difficultés créées dans les écoles par ces suppressions de postes. Que comptez-vous faire pour aider les communes, qui sont particulièrement démunies en la matière, à y faire face ?
M. Claude Bérit-Débat. Bonne question !
M. Yves Détraigne. Enfin, en tant que co-auteur de la loi du 28 octobre 2009, dite « loi Carle », sur la parité de financement entre les écoles publiques et les écoles privées, je me permets de revenir brièvement sur le projet de décret d’application de ce texte, qui est en cours de publication.
En effet, ce projet va, me semble-t-il, à l’encontre de l’esprit même de la loi, qui ne fait pas de différence entre les divers types de regroupements pédagogiques intercommunaux.
Monsieur le ministre, toutes les associations représentatives d’élus vous ont demandé que la capacité d’accueil des communes participant à un regroupement pédagogique intercommunal soit évaluée à l'échelle de ce dernier, qu’il soit ou non adossé à une intercommunalité.
Ce n’est apparemment pas le choix qui a été retenu, et je crains fort que ce dossier, qui devait enfin être définitivement réglé, ne soit finalement pas solutionné.
Monsieur le ministre, j’aimerais donc vous entendre également à cet égard. Pardonnez-moi d'ailleurs d’avoir évoqué plusieurs sujets dans mon intervention.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Luc Chatel, ministre. Monsieur le sénateur, je veux vous rassurer sur deux points.
Tout d’abord, le nombre d’élèves par classe est actuellement, en moyenne sur l’ensemble du territoire, de 22,6 dans le primaire et de 25,5 en maternelle, ce qui correspond aux ratios que nous avons enregistré l’année dernière.
Ensuite, si l’éducation nationale supprime des postes, elle est aussi capable d’en créer. Comme je le soulignais tout à l’heure, nous agissons avec discernement, puisque nous avons, par exemple, créé 2 500 postes cette année dans le premier degré. Le nombre de 16 000 postes en moins est le solde des créations et des suppressions réalisées ici ou là.
Mesdames, messieurs les sénateurs, au moment où vous réfléchissez à la bonne gestion de nos dépenses publiques, les membres du Gouvernement ont le devoir de veiller à optimiser la ressource dont nous disposons sur l’ensemble du territoire, en tenant compte des priorités qui sont arrêtées sur tel ou tel aspect.
J’en viens au décret d’application de la loi « Carle ». J’avais évoqué cette question dans ici même au Sénat lors de l’examen de cette proposition de loi.
J’ai recueilli l’avis du Conseil d’État en amont de la rédaction du projet de décret. Cette instance estimait que, pour faire une exacte application de la loi et du principe de parité de financement entre les écoles élémentaires publiques et les écoles privées sous contrat d’association, il convenait d’apprécier les capacités d’accueil de la commune de résidence en considérant ces écoles ou celles du territoire de l’EPCI auquel la commune avait transféré la compétence scolaire.
C’est dans cet esprit que nous avons rédigé le décret que j’avais évoqué devant la Haute Assemblée. Ce texte a été présenté lors de la dernière réunion du Conseil supérieur de l’éducation, qui s’est tenue à la fin du mois de septembre dernier.
Telles sont, monsieur le sénateur, les précisions que je tenais à vous apporter.