Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Angels.
M. Bernard Angels. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi de programmation qui nous est aujourd’hui soumis s’inscrit dans le prolongement de l’action gouvernementale telle qu’elle est conduite depuis maintenant plus de trois ans.
En remarque préliminaire, je précise que mon propos portera essentiellement sur les effets de ce projet de loi sur les finances locales.
Depuis 2007, les collectivités locales font déjà les frais de choix politiques pour le moins contestables, et ce malgré la crise que nous continuons de traverser.
Souvenons-nous que la loi de finances pour 2009 avait commencé par supprimer l’indexation de la DGF sur la croissance majorée de 50 %. Elle y substituait une indexation sur l’inflation, ce qui a entraîné une baisse importante de cette dotation pour de nombreuses communes.
Par ailleurs, la loi de programmation pour 2009-2012, en étendant l’application de la norme du « zéro volume » à l’ensemble des concours de l’État aux collectivités, a continué dans cette voie.
Enfin, la loi de finances pour 2010 a continué d’appauvrir leurs ressources en faisant évoluer l’enveloppe des concours financiers de l’État, hors FCTVA, de la moitié de l’inflation prévisionnelle, soit à peine 0,6 %.
Mme Nicole Bricq. C’est exact !
M. Bernard Angels. Ces mesures ont largement contribué à faire reculer, à un rythme accéléré, l’investissement public. Faut-il rappeler que la part des collectivités dans l’investissement public, qui s’établissait à 73 % en 2003, n’était plus que de 70 % en 2009 ?
Vos mesures, monsieur le ministre, ont particulièrement affecté les recettes des départements, alors que leurs dépenses sociales ne cessent de croître en raison des transferts de compétences que vous leur imposez par ailleurs. En effet, les droits de mutation à titre onéreux comme les concours au titre de l’allocation personnalisée d’autonomie, l’APA, sont en régression. Dès lors, que leur proposez-vous pour sortir de l’impasse ? De simples avances remboursables conditionnées à la signature d’un contrat de stabilisation, ce qui s’apparente fort à une tutelle !
Je ne reviendrai pas sur la situation de nos régions, dont les dépenses de fonctionnement progressent deux fois plus vite que les recettes de fonctionnement, et ce en raison des transferts de compétences.
Mme Nicole Bricq. Non compensés !
M. Bernard Angels. Avant même la discussion de ce projet de loi, chacun sait combien les marges de manœuvre des collectivités ont déjà été considérablement amoindries par vos choix politiques. Or, loin de rassurer nos communes, nos départements et nos régions, ce projet de loi réduit leurs ressources comme une peau de chagrin. Il les maintient dans une profonde incertitude sur leurs recettes et, par voie de conséquence, sur leur autonomie.
L’article 7 de ce projet de loi illustre parfaitement les dangers de votre politique, monsieur le ministre. En effet, vous prétendez vouloir agir sur notre déficit pour respecter de nouveau le pacte de stabilité et de croissance. Or, pour ce faire, vous rognez sur les concours financiers de l’État aux collectivités, leur appliquant la norme du « zéro valeur », ce qui les conduira à diviser par sept – je dis bien par sept ! – le rythme d’évolution de leurs dépenses. C’est parfaitement intenable !
M. Bernard Frimat. Absolument !
M. Bernard Angels. Pour justifier ce régime drastique, vous invoquez tout simplement la fin de la montée en charge de certaines prestations, telles que l’APA ou la prestation de compensation du handicap. Or, à l’évidence, cette hypothèse de travail est fausse, et vous le savez pertinemment. Du reste, nombre d’élus n’y voient qu’un rideau de fumée destiné à brouiller les effets réels de vos choix politiques.
Ces choix entraîneront une baisse nette des dotations du fait de l’inflation et, plus concrètement, de la DGF pour plus de 20 000 des 36 000 communes que compte notre pays, comme l’a souligné le secrétaire général de l’Association des maires de France.
À cela s’ajoute la sortie du FCTVA de l’enveloppe normée pour l’année 2011. Certes, c’était une demande récurrente des sénateurs socialistes, mais le contexte n’était pas le même.
Mme Nicole Bricq. Eh oui !
M. Bernard Angels. En augmentation constante jusqu’à l’année dernière, le FCTVA diminue en 2011 du fait du ralentissement économique.
Mme Nicole Bricq. Exact !
M. Bernard Angels. Son maintien dans l’enveloppe normée aurait alors eu un effet positif sur les autres ressources de celle-ci : il aurait tiré leurs montants vers le haut. Or c’est précisément cette année que le Gouvernement choisit de l’en sortir, ce qui induira une perte sèche de 200 millions d’euros pour les collectivités.
Mme Nicole Bricq. Eh oui !
M. Bernard Angels. Outre le fait qu’elle est intenable, cette norme de dépense est dangereuse. Sachant que l’essentiel de l’augmentation des dépenses des collectivités territoriales est dû aux transferts de compétences, comme le souligne le rapport Carrez-Thénault, comment assumez-vous d’aggraver encore la situation actuelle ?
De fait, vous mettez en péril la qualité des services publics dont les collectivités ont la charge. Vous leur demandez l’impossible : contribuer à hauteur de 8 milliards d’euros d’économies par an à la réduction du déficit, ce qui représente la moitié de l’effort global sur la dépense. Mesurez-vous les lourdes conséquences que ces décisions auront pour le pays ?
En définitive, ce projet de loi poursuit une politique qui réduit les collectivités locales à la portion congrue, leurs finances n’étant plus que les variables d’ajustement de votre politique de rigueur. Il fait exagérément reposer les efforts de réduction des dépenses sur les collectivités locales.
L’article 7 du projet de loi ne fait d’ailleurs que compléter l’article 5, qui s’inscrit dans la même logique. En effet, ce dernier prévoit le gel en valeur des dépenses de l’État et, surtout, des prélèvements sur recettes attribués aux collectivités. Cela est d’autant plus dommageable que nos territoires contribuent pour moins de 10 % à l’endettement public et n’avaient donc pas à subir une nouvelle cure d’austérité.
En conclusion, ce projet de loi de programmation parachève l’opération de tarissement des ressources des collectivités et fait peser sur elles une part bien trop importante des efforts en matière de réduction du déficit public. Il n’est pas admissible que nos territoires fassent ainsi les frais de votre politique de rigueur, monsieur le ministre.
Alors que le Gouvernement prétend ne pas vouloir augmenter les impôts, il va en réalité contraindre les communes à agir sur ce levier, car c’est le seul qu’il leur reste. En agissant ainsi, le Gouvernement se dédouane de sa propre responsabilité, d’autant plus qu’il renvoie à l’après 2012, donc à une autre mandature, la mise en œuvre de mesures particulièrement lourdes pour nos collectivités territoriales. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Cazeau.
M. Bernard Cazeau. Madame le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la dette se creuse dangereusement depuis plusieurs années, en particulier depuis 2007, où la trajectoire des comptes publics est devenue très inquiétante. Ce sont vingt points de PIB de dette publique supplémentaire en trois ans !
Avec 47 milliards d’euros de dépenses prévues pour 2011, le service de la dette sera pratiquement le premier poste budgétaire de l’État, avec l’éducation nationale.
Certes, il y a la crise, qui provoque une accélération des déséquilibres. Mais ce n’est pas le seul phénomène en cause. En effet, la France se distingue de nombre de ses voisins européens par le soin qu’elle met à exonérer d’impôts telle ou telle catégorie professionnelle ou sociale dès lors qu’une réclamation se présente. À la gestion raisonnée des comptes publics s’est substitué le clientélisme fiscal.
En vérité, c’est une décennie de baisses d’impôts qui porte la responsabilité de la situation catastrophique dans laquelle nous sommes. Un rapport montre que la dette publique serait inférieure de vingt points environ à ce qu’elle est aujourd’hui en l’absence de baisse de prélèvements pendant la dernière décennie. D’ailleurs, M. Carrez n’a pas écrit autre chose en indiquant que l’État s’était privé d’environ 120 milliards d’euros de recettes en cumulant les baisses d’impôts appliquées depuis 2000.
Sans relâche, sans retenue, vous avez abusé des niches fiscales et des exonérations au profit des entreprises et des contribuables souvent les plus favorisés : moins de TVA, moins de taxe professionnelle, moins de cotisations sociales employeurs, moins de fiscalité sur le patrimoine et sur les plus-values, etc. ! Tout cela, bien entendu, sans une once d’efficacité économique, de justice sociale ou de redistribution fiscale. Bref, une politique de Robin des bois à l’envers !
En effet, la politique de l’endettement par les baisses d’impôts est la pire des injustices, car elle enrichit doublement les plus aisés. D’une part, leurs impôts baissent. D’autre part, leurs placements en général sont bien rémunérés et bien sécurisés. Bref, une vaste opération de redistribution à l’envers. Certaines catégories ciblées gagnent à la fois – si je puis m’exprimer ainsi – « au tirage et au grattage », tandis que d’autres, majoritaires, font les frais de la rigueur.
Monsieur le ministre, après trois années de laxisme, l’heure est venue de se montrer un peu plus sérieux. Il faut avoir le courage de réparer ce que l’on a démoli. C’est l’objet de votre texte, qui annonce la rigueur, énumère ses modalités, mais se garde bien d’en décliner les conséquences.
Comme par hasard, vous fixez comme objectif de diminuer drastiquement le déficit public annuel à compter de 2012. Énième promesse d’amincissement déclamée la main sur le cœur en parfaite corrélation avec le calendrier électoral, même si vous n’aimez pas que l’on vous le rappelle !
Pour parvenir à une réduction du déficit aussi abrupte – vous espérez le limiter à 2 % du PIB en 2014 –, les hypothèses économiques sont particulièrement surprenantes. La croissance gagnerait un point de moyenne annuelle. L’évolution de la masse salariale verrait son rythme doublé. L’inflation n’évoluerait presque pas, malgré une masse salariale en forte hausse et un chômage en forte baisse. Bref, une forme de miracle économique se produira dans une vingtaine de mois, sans que nous puissions d’ailleurs en distinguer un quelconque signe avant-coureur au moment où nous débattons…
J’aimerais croire autant que vous à cet avenir radieux, mais quelque chose me dit que vous-même n’y croyez pas ! D’ailleurs, la commission des finances du sénat et son rapporteur général, M. Marini, ont fait des propositions à mon sens nettement moins « candides ».
Au-delà de vos hypothèses fantasques, ce sont les conséquences concrètes de vos orientations qu’il nous faut mettre en lumière. L’action de l’État, la sécurité sociale et les collectivités locales payeront en effet le prix fort des mesures que vous envisagez.
D’abord, pour l’État, ce sont les dépenses de personnel et les dépenses d’intervention qu’il faudra rogner. Moins d’enseignants dans les écoles, moins de policiers dans les quartiers, moins d’emplois aidés dans les associations, moins de crédits pour l’action sociale, pour l’environnement, pour la culture… voilà ce que cela signifie pour les Français !
Ensuite, pour la sécurité sociale, c’est la logique des déremboursements et des franchises, dont vous annoncez l’amplification. M. Vasselle le dit d’ailleurs de manière limpide : « Il faut plus de 2 milliards d’économies chaque année pour contenir les dépenses de santé ». On pourrait ajouter : « et autant de transferts sur les assurés ».
Enfin, pour les collectivités territoriales – Bernard Angels vient de le dire excellemment –, nous touchons à l’absurde. Les dotations seront gelées, tandis que l’administration de l’État poursuivra son chantage financier envers les élus locaux.
M. Bernard Cazeau. C’est kafkaïen ! En tout cas, c’est l’action du Président de la République !
Monsieur le ministre, nous le savons toutes et tous, la réduction de la dette est le principal dilemme de la sortie de crise. Entre l’adoption d’une politique plus responsable et le soutien à la timide reprise que nous connaissons, la voie est étroite.
Cependant, les deux solutions qui s’offrent à nous, c'est-à-dire la baisse des dépenses et l’augmentation des recettes, n’ont pas, me semble-t-il, les mêmes conséquences macroéconomiques et sociales.
L’économie que vous promettez, 45 milliards d’euros en trois ans, ne pourra se faire qu’en taillant lourdement dans les dépenses sociales, les aides publiques et l’investissement local. Le pouvoir d’achat des ménages modestes s’en ressentira, les travaux publics en pâtiront, et avec eux l’activité économique, donc l’emploi.
D’ailleurs, d’après l’Observatoire français des conjonctures économiques, l’OFCE, la contraction budgétaire que vous préparez équivaudrait à retrancher 0,9 point à la croissance dès l’an prochain. Or, sans le retour de la croissance, l’équation se révélera quasi insoluble. En effet, comment financerons-nous une dette qui croît avec des revenus qui stagnent ?
Acculés par l’urgence, vous prenez une orientation dangereuse pour le pays, celle des coupes claires, des purges drastiques et de la récession annoncée. Vous comprendrez que nous ne puissions pas vous suivre dans cette voie. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. François Baroin, ministre. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général du budget, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite apporter quelques éléments de réponse aux orateurs qui viennent de s’exprimer.
Dans mon propos liminaire, j’avais déjà présenté par anticipation les positions du Gouvernement, ce qui a permis à certains membres de la Haute Assemblée de les contester, parfois de les combattre, ou au contraire de les soutenir, le cas échéant en émettant des réserves ou en faisant part d’interrogations.
Monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, je vous le réaffirme, le Gouvernement croit en ses prévisions de croissance.
D’ailleurs, nous nous donnons les moyens pour les atteindre dans la gestion de la sortie de crise. Nous avons calculé dans un souci d’équilibre les économies qu’il est nécessaire de réaliser pour parvenir à notre objectif de réduire le déficit budgétaire de 40 milliards d’euros, soit deux points sur un seul exercice, et ce en refusant d’adopter des mesures trop douloureuses et de nature à altérer la pérennité d’une croissance qui redémarre, comme cela a pu être le cas au Royaume-Uni, en Espagne et au Portugal. Les bonnes nouvelles de la fin de l’été nous ont permis d’éviter d’y avoir recours.
Au demeurant, les fondamentaux de l’économie française dressent des perspectives qui donnent au Gouvernement des raisons objectives de croire en ses prévisions de croissance.
Nous avons une économie diversifiée, une main-d’œuvre qualifiée, un système bancaire dont les ratios sont parmi les plus stables d’Europe – le modèle bancaire français a d'ailleurs servi d’élément de référence à l’échelle européenne pour parvenir à une unité de doctrine en la matière – et un taux d’épargne de plus de 16 %, ce qui est un élément de confiance collective. Nous avons donc des éléments structurants puissants.
Notre amendement d’« accompagnement » – nous l’avons déposé à la suite du débat que nous avons eu en commission des finances, monsieur le rapporteur général – permet simplement de souligner d’un trait un peu plus épais le caractère intangible des perspectives de réduction de déficit du Gouvernement. Cet amendement, qui permettra de mettre des mesures d’économie en annexe, ne fera que conforter et confirmer ce caractère intangible.
Notre objectif de réduction du déficit est de 6 % pour l’année prochaine, de 4,6 % pour l’année suivante, de 3 % pour 2013 et – nous l’avons vu – de 2 % en 2014. M. le Premier ministre a rappelé à juste titre que nous souhaitons atteindre l’équilibre budgétaire en 2016, à l’instar de nos amis allemands.
Je n’aurai pas la faiblesse ou la cruauté, en tout cas pas les deux en même temps, de rappeler à Mme Bricq et aux autres membres du groupe socialiste la période où leurs amis étaient aux affaires, entre 1997 et 2002. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) C’est si loin et si près à la fois...
À l’époque, vous avez accumulé tous les bonheurs d’un gouvernement et toutes les erreurs des socialistes au pouvoir !
M. Jean-Claude Gaudin. Eh oui !
M. François Marc. Nous avons fait 3 % de croissance ! Faites-en autant !
M. François Baroin, ministre. Le bonheur du gouvernement d’alors fut de profiter d’une bulle économique, due aux nouvelles technologies, qui a permis d’inscrire dans la durée un taux de croissance de 3,5 % ; ce fut le seul cas dans l’histoire récente. Et qu’en avez-vous fait ? Vous avez créé des postes de fonctionnaires supplémentaires. Vous avez augmenté les dépenses publiques.
Mme Nicole Bricq. Vous n’étiez pas le dernier à réclamer de profiter de la « cagnotte » !
M. François Baroin, ministre. Les prélèvements obligatoires atteignaient alors un niveau qu’ils n’atteindront même pas à la fin du mandat de Nicolas Sarkozy et de la législature !
Vous avez cumulé hausse des impôts, création d’emplois publics et augmentation des dépenses sans jamais profiter de cette période exceptionnelle pour réduire de manière structurelle le déficit et l’endettement. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Yves Daudigny. Parlez-nous de vos résultats en matière d’emplois !
M. François Baroin, ministre. Il est donc facile de donner des leçons de morale !
Votre mémoire est extraordinairement fragile. En effet, même sans remonter jusqu’en 1997, vous avez oublié ce qui s’est produit en 2008 et en 2009 ! Vous avez oublié qu’il y a eu une crise mondiale et qu’elle a eu des conséquences ! Vous avez oublié ce que font vos amis en responsabilité, par exemple en Espagne ou au Portugal ! Par esprit de responsabilité, ils prennent dans leur pays des mesures que vous contestez en France, comme l’augmentation de la TVA et la baisse du traitement des fonctionnaires ! Même cela, vous semblez l’avoir oublié. Mais l’oubli est une doctrine politique que je vous laisse.
M. François Marc. Les Français, eux, ne vous oublieront pas…
M. François Baroin, ministre. Pour notre part, nous sommes aux responsabilités, et nous agissons pour préparer l’avenir.
Je tiens évidemment à remercier les orateurs qui se sont exprimés pour accompagner le projet du Gouvernement.
Monsieur le rapporteur général Alain Vasselle, nous avons eu un débat important sur la Caisse d’amortissement de la dette sociale, la CADES, et sur la tentation du recours à la contribution pour le remboursement de la dette sociale, la CRDS. Mais, et cela ne vous échappera pas, la ligne du Gouvernement sera stable.
M. Alain Vasselle, rapporteur général de la commission des affaires sociales. Celle du Sénat aussi !
M. François Baroin, ministre. D’ailleurs, c’est normal. Une augmentation, même modérée, de la CRDS serait une encoche inacceptable à la volonté du Gouvernement de ne pas augmenter les prélèvements obligatoires et les impôts. C'est la raison pour laquelle nous maintiendrons notre position.
Je comprends votre amendement comme un amendement d’appel pour un débat que nous avons d’ailleurs déjà largement eu. Nous pourrons profiter de l’occasion pour rappeler que le Président de la République et le Gouvernement ne veulent pas augmenter les prélèvements obligatoires dans notre pays au cours de cette législature, et ce quelles que soient les difficultés liées à la crise.
Monsieur Fourcade, je veux vous remercier une fois encore de la profondeur de champ qui est la vôtre. Vous avez insisté sur un point en effet très important : la gestion de la dette publique. Vous avez évoqué notre capacité à bien gérer et à profiter pleinement des taux d’intérêt les plus favorables que nous ayons connus dans l’histoire. Nous espérons évidemment que cela dure le plus longtemps possible.
Les efforts que nous réalisons en matière de gestion de la dette publique, notamment l’affectation des recettes supplémentaires de l’économie française au désendettement de notre pays, vont dans la bonne direction. Et votre soutien au présent projet de loi et au projet de loi de finances pour 2011 est naturellement précieux et bienvenu.
Je remercie également M. Jégou de son soutien. Je connais ses engagements et ses interrogations. Nous avons eu les mêmes débats avec le rapporteur général Alain Vasselle à propos de la gestion de la dette sociale. Nous aurons l’occasion de débattre de points auxquels vous êtes très attaché, cher Jean-Jacques Jégou, lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale. Mais, pour l’heure, j’enregistre avec bonheur le soutien que vous apportez au Gouvernement sur le présent projet de loi.
Tels sont, madame la présidente, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, les éléments que je souhaitais vous apporter à ce stade de notre discussion. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
projet de loi
Question préalable
Mme la présidente. Je suis saisie, par M. Vera, Mme Beaufils, M. Foucaud et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, d'une motion n° 9.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014 (n°79, 2010-2011).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Bernard Vera, auteur de la motion.
M. Bernard Vera. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la désastreuse situation de nos comptes publics, qui s’est fortement aggravée depuis 2007, agit comme un frein à toute audace, toute proposition, tout choix qui sortirait des canons de l’orthodoxie libérale, conduisant immanquablement à la mise en place de politiques d’austérité ; des politiques dont les attendus, le contenu et la mise en œuvre ne résolvent pas durablement les difficultés budgétaires de l’État et ne permettent à aucun moment de répondre de manière satisfaisante aux besoins collectifs, ce qui devrait pourtant constituer la pierre de touche de toutes les politiques publiques.
Contrairement à une idée abondamment répandue dans les milieux libéraux, notre pays ne souffre pas d’une inflation inconsidérée de dépenses publiques. Notre pays souffre surtout d’un excès de dépenses fiscales et de mesures dérogatoires dont le coût global, de plus en plus élevé, est à la source de la création des déficits publics cumulés.
Nous avons déjà eu l’occasion de pointer, lors de débats budgétaires antérieurs, à quel point le recours massif aux dispositifs dérogatoires, aux allégements et exonérations circonstanciés, aux remises sur cotisations sociales était devenu l’essentiel des politiques publiques.
Ma collègue Marie-France Beaufils, rapporteur spécial de la commission des finances pour la mission « Remboursements et dégrèvements », avait même parlé dans son rapport de « pilotage à vue » à propos de la gestion des sommes très importantes recouvertes par cette mission, qui est aujourd’hui la plus dotée puisque 90 milliards d’euros passent par le sas de ses crédits.
Mais la mission « Remboursements et dégrèvements » ne représente qu’une partie de la réalité et les montants en jeu s’avèrent autrement plus élevés.
Pour la Cour des comptes, les dépenses fiscales, fort nombreuses, destinées aux entreprises s’élevaient en 2009 à 35,3 milliards d’euros, auxquels il convenait d’ajouter le coût des dispositifs dérogatoires estimé, lui, à 71,3 milliards d’euros.
Notre législation fiscale est truffée de mesures de dépense fiscale et d’allégement de l’impôt sur les sociétés pour plus de 106 milliards d’euros, soit deux fois le produit net de l’impôt sur les sociétés.
Ainsi, au lieu d’un taux de 33,33 % d’imposition des bénéfices, nous avons un taux divisé par trois, compte tenu des mesures prises pour que le barème ne s’applique pas en totalité.
La même remarque vaut quand on examine la question des niches sociales, notamment des allégements généraux de cotisations, les unes pesant 66 milliards d’euros pour les deniers publics et les autres 26 milliards d’euros au sein de cet ensemble.
Quand on fait la somme des deux ensembles, comme le fait la Cour des comptes, nous sommes face à 172 milliards d’euros de niches fiscales et sociales, soit exactement le montant cumulé du déficit budgétaire prévisible cette année et du déficit du régime général de la sécurité sociale.
Le plus coûteux dans notre législation est le régime des sociétés « mère-fille », avec un coût de 34,9 milliards d’euros en 2009, le régime d’intégration fiscale des groupes, avec une facture de 19,5 milliards d’euros, et le régime dérogatoire des plus-values, avec un cadeau de 6 milliards d’euros pour les entreprises.
Les principaux bénéficiaires des allégements généraux de cotisations sociales sont les grandes enseignes de la distribution qui ont fait du temps partiel imposé leur credo social et de la revente de produits manufacturés importés la source de leurs profits.
Ainsi, on mesure clairement l’urgence d’une profonde réforme fiscale et sociale qui se fixerait comme objectifs prioritaires l’égalité de traitement entre les contribuables, qu’il s’agisse des ménages comme des entreprises, l’efficacité économique, la transparence et la simplicité.
Nous devons procéder à une remise en cause autrement plus audacieuse que celle prévue par le projet de loi de chaque mesure de dépense fiscale comme de chaque dispositif dérogatoire.
Le crédit d’impôt recherche, tel qu’il a été modifié, a-t-il permis de relancer l’innovation dans les entreprises, petites ou grandes ? A-t-il facilité l’embauche et l’activité de jeunes diplômés de l’enseignement supérieur, singulièrement de l’enseignement scientifique ? Si tel n’est pas le cas, il faut revoir cette mesure.
Le régime d’intégration des groupes permet-il le maintien des activités industrielles dans notre pays ? Favorise-t-il le développement des investissements productifs et de l’emploi ? Si tel n’est pas le cas, il faut en redéfinir les conditions d’application.
Les exonérations de cotisations sociales, qui constituent une confiscation de la richesse produite par le travail, ont-elles un effet positif sur la création d’emplois, sur la lutte contre les inégalités salariales entre hommes et femmes, sur la promotion interne des salariés, sur leur évolution salariale ? Si tel n’est pas le cas et si la persistance de ces dispositifs participe à l’écrasement des salaires, à la non-reconnaissance des diplômes et qualifications initiales ou acquises, il faut les remettre en cause !
Nous ne sommes pas convaincus que l’utilité et l’efficacité d’un dispositif général d’allégement des cotisations coûtant 26 milliards d’euros pour préserver 800 000 emplois, l’équivalent de 30 000 euros par an et par emploi, soient pleinement démontrées.
Je pourrais aussi m’arrêter sur d’autres mesures fiscales, notamment sur celles qui ont été prises dans le paquet fiscal de l’été 2007, et m’interroger, par exemple, sur l’allégement des droits de succession qui est devenu, c’est évident, un outil d’optimisation fiscale des plus hauts patrimoines, les donations devenant l’arme de la défiscalisation organisée du patrimoine !
Nous pourrions aussi nous interroger sur l’usage par certains de l’outil fiscal de la fiducie, cette formule de gestion de patrimoine portée dans notre droit et dont l’actualité récente nous révèle les travers.
Nous pourrions, d’ailleurs, nous interroger sur le sens donné aux débats fiscaux, budgétaires et financiers les plus récents, où de nombreux nouveaux régimes dérogatoires ont vu le jour, et mesurer combien coûtent aujourd’hui ces dispositifs aux comptes publics.
Nous savons, par exemple, ce que coûte l’auto-liquidation du bouclier fiscal : 142 millions d’euros en 2009. Nous savons ce que coûte le bouclier fiscal : 678 millions d’euros en 2010. Ce coût est majoré des coûts de trésorerie découlant de cette absence de recettes. Maintenant qu’il est établi qu’il n’a pas atteint les objectifs qu’on lui avait assignés et qu’il est quasi certain que les principaux bénéficiaires n’ont pas fait preuve de la plus grande transparence quant à leur déclaration fiscale, il est plus que temps de le supprimer.
Cette suppression ne doit pas être conditionnée. Le bouclier fiscal doit être supprimé parce qu’il est coûteux et inefficace, socialement et économiquement, et parce qu’il est une offense à la justice fiscale et sociale.
On pourrait s’interroger de la même manière sur le dispositif « ISF-PME », qui sera d’ailleurs rectifié dans le projet de loi de finances pour 2011. Nous avons le sentiment, depuis la création de ce dispositif, que sa raison d’être n’est pas de permettre aux redevables de l’ISF d’exprimer leur attachement particulier aux petites entreprises ! Ce dispositif n’est qu’une niche de plus pour alléger l’ISF, dont on se sert à concurrence de la somme nécessaire pour ne pas payer cet impôt ou a minima pour en payer le moins possible.
Cette revue de détail de la dépense fiscale, ce véritable « cancer » qui gangrène durablement la gestion publique et qu’il convient de combattre, constitue l’un des axes forts de toute réforme fiscale digne de ce nom. C’est une revue de détail qui doit être portée par une exigence : faire en sorte que notre système de prélèvements sociaux et fiscaux encourage une allocation de la ressource en faveur de l’emploi, de la croissance, de l’activité économique réelle et abandonne par conséquent les priorités qui font primer des impératifs financiers, favorisent les rentes de situation et s’attachent avant tout à la rémunération la plus élevée possible du capital.
Relever le taux de la cotisation patronale destinée au financement des retraites, pour ne donner qu’un exemple tiré de l’actualité, ce n’est pas accroître les prélèvements fondés sur le travail. Ce n’est que rendre aux salariés, sous forme de « salaire socialisé », ce que leur travail permet de créer comme valeur !
Quelques centaines de millions de cotisations sociales de plus sont bien préférables à tant de milliards d’euros gaspillés dans des raids boursiers hasardeux ou dans la rémunération excessive des actionnaires, tout simplement parce que quelques millions de cotisations sociales de plus, c’est quelques millions de prestations servies en contrepartie !
Mes chers collègues, est-il préférable que notre système fiscal et social privilégie les placements boursiers, les opérations stratégiques capitalistiques ou qu’il permette de financer la retraite à 85 % du SMIC pour tous, la couverture optimale des dépenses de santé des ménages, la juste réparation des dommages causés par les accidents du travail et les maladies professionnelles ?
Cette transition intervient pour donner sens à ce que nous attendons des politiques publiques et à leur financement. Non, la dépense publique n’est pas foncièrement mauvaise si elle ne participe aucunement d’une vision de court terme de la société et du développement économique.
Depuis quelques années, on a eu en effet un peu trop tendance à « jeter le bébé avec l’eau du bain » et à critiquer toute dépense publique par principe, sans s’interroger sur son efficacité.
Ainsi, on presse depuis plusieurs années la dépense publique d’éducation et on met en exergue cette réduction pour accuser notre système éducatif de fabriquer des illettrés, des jeunes mal formés, non opérationnels, incapables de raisonner par eux-mêmes ou d’intégrer la vie professionnelle !
Le rêve des contempteurs de la dépense publique d’éducation est-il de revenir au temps de la scolarité s’achevant à quatorze ans et débouchant sur un apprentissage professionnel précoce ? Pourtant, dans le contexte d’avancées technologiques que nous connaissons, ce qui fera la force de l’économie française, ce sera le niveau sans cesse grandissant de formation initiale de notre jeunesse !
Les économies que vous croyez faire aujourd’hui en supprimant des postes d’enseignants, des filières de formations technique et technologique, en mettant en cause un certain nombre de cursus universitaires au nom de la rentabilité de court terme, seront les dépenses que vous ferez demain pour résorber le handicap de croissance et de qualification que cette politique aura conduit à créer.
Dans un autre ordre d’idées, vous allez imposer ces prochaines années à plus de 5 millions de fonctionnaires une augmentation de leurs cotisations sociales de 2,7 % du salaire brut en dix ans et vous allez geler leur traitement indiciaire pour un an, voire plus.
Pensez-vous vraiment que la croissance économique sera au rendez-vous en privant un actif sur cinq de toute revalorisation de son pouvoir d’achat ? Comment de telles mesures, que vous présentez comme des mesures d’économie, pourront-elles contribuer à relancer l’activité et la croissance, d’autant que le secteur privé, dans de nombreux cas, s’alignera sur ces pratiques pour justifier sa propre modération salariale ?
Afin de redresser les comptes publics, nous sommes, pour notre part, partisans d’une revalorisation des traitements dans la fonction publique et d’une réévaluation sensible des salaires, à commencer par le SMIC. Cette réévaluation des salaires doit être négociée par les partenaires sociaux, l’État intervenant en dernier ressort si aucun accord ne peut être défini tant au niveau interprofessionnel qu’au niveau de chaque branche d’activité.
Nous sommes, dans un premier temps, partisans d’une interruption des versements d’exonérations ou d’allégements de cotisations sociales dans toute branche ou entreprise où aucun signe tangible de dialogue social n’apparaît sur le front des salaires. Pas d’exonérations pour les entreprises ou les branches sans un accord majoritaire sur l’évolution des salaires ! Ainsi, nous donnerions un sens à la dépense publique fort différent de celui que l’on tente de lui faire suivre aujourd’hui.
Les attendus du traité de Lisbonne et le pacte de stabilité et de croissance qui en découle constituent la clef de voûte de la politique d’austérité que vous voulez imposer avec cette loi de programmation.
Les schémas économiques et la nature des mesures mises en œuvre dans le cadre européen ont, de longue date, fait la démonstration de leur impuissance à résoudre les problèmes qu’ils prétendaient régler.
Il est temps, notamment avec la reprise économique pour le moins fragile que nous connaissons cette année, de concevoir d’autres politiques publiques, plus efficaces, plus respectueuses des besoins collectifs que celles découlant d’un mode de pensée monétariste totalement inadapté.
L’euro fort ne nous est d’aucune utilité si l’industrie européenne et française part en lambeaux, si le revenu de nos agriculteurs baisse sans cesse et si le taux de chômage, notamment des jeunes, continue de progresser.
Ce n’est pas le sens du projet de loi qui nous est présenté aujourd'hui et c’est, en dernière instance, ce qui nous conduit à vous proposer l’adoption de cette motion tendant à opposer la question préalable. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)