M. Yvon Collin. Tout cela grâce à des niches fiscales et sociales bien connues !

M. Jean-Pierre Plancade. C’est absolument vrai !

M. Yvon Collin. Je constate que certains de mes collègues m’approuvent !

Selon cette étude, tous ces cadeaux coûtent 172 milliards d’euros à l’État. Le régime dit « mère-fille » aurait coûté 34,9 milliards d’euros depuis 2006. La niche de l’intégration fiscale a entraîné une moins-value pour l’État de 19,5 milliards d’euros en 2008.

Rappelons, au passage, que ces dispositifs profitent à des entreprises qui engrangent des bénéfices, récupèrent des aides publiques de l’État et, au bout du compte, licencient dès qu’elles le peuvent, pour des questions de rentabilité et d’arbitrage économique.

Puisque ce sont les petites et moyennes entreprises qui créent la majorité des emplois, pourquoi ne pas remettre à plat ces dispositifs afin d’éliminer ceux qui créent des effets d’aubaine fiscale et de faire en sorte que certains soient exclusivement à destination des PME ?

M. Yvon Collin. Ce serait une mesure intelligente. Mais vous ne le faites pas, alors que vous savez tout cela ! C’est une façon de laisser perdurer une injustice fiscale. Une de plus, serais-je tenté de dire ! Comme pour les hauts revenus, les grandes sociétés bénéficient de largesses encouragées par le Gouvernement.

Loin d’être révolutionnaire, ce projet de loi de finances serait véritablement audacieux s’il s’attaquait – mais ce n’est pas, je le crains, pour aujourd’hui ! – aux défauts majeurs de notre fiscalité : une fiscalité socialement injuste et parfois économiquement contre-productive. On nous promet une grande réforme de la fiscalité dans les mois qui viennent. Bien évidemment, les membres de mon groupe et moi-même serons très attentifs à la réforme qui sera proposée. Je le dis solennellement, nous n’avons pas d’a priori, nous sommes ouverts, et ce pour œuvrer ensemble dans un esprit très constructif.

En attendant cette grande réforme que nous appelons tous de nos vœux, une grande réforme reposant sur la progressivité de l’impôt sur le revenu, si chère aux radicaux depuis Joseph Caillaux,…

Mme Nicole Bricq. C’est une bonne référence !

M. Yvon Collin. … et sur une taxation des revenus du patrimoine, il est certain que la majorité de mes collègues du groupe du RDSE et moi-même ne pouvons pas soutenir le projet de loi de finances pour 2011. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)

M. le président. Mon cher collègue, je vous félicite d’avoir respecté le temps de parole qui vous était imparti, et je vous en remercie.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2011
Discussion générale (suite)

7

Nomination d'un membre d'un organisme extraparlementaire

M. le président. Je rappelle que la commission de la culture, de l’éducation et de la communication a proposé une candidature pour un organisme extraparlementaire.

La présidence n’a reçu aucune opposition dans le délai d’une heure prévu par l’article 9 du règlement.

En conséquence, cette candidature est ratifiée et je proclame M. Jean-Jacques Pignard pour siéger, en tant que membre titulaire, au sein du Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche, en remplacement de M. Jean-Léonce Dupont.

Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.

La séance est suspendue.

(La séance, suspendue à douze heures cinquante, est reprise à quinze heures cinq, sous la présidence de M. Bernard Frimat.)

PRÉSIDENCE DE M. Bernard Frimat

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

8

Candidature à un organisme extraparlementaire

M. le président. Je rappelle au Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation d’un sénateur appelé à siéger, en application de l’article 2 du décret n° 2001-784 du 28 août 2001, au sein du Conseil national de la sécurité routière.

La commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale a fait connaître qu’elle propose la candidature de M. Jean Patrick Courtois pour siéger au sein de cet organisme extraparlementaire.

Cette candidature a été affichée et sera ratifiée, conformément à l’article 9 du règlement, s’il n’y a pas d’opposition à l’expiration du délai d’une heure.

9

Discussion générale (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2011
Discussion générale (suite)

Loi de finances pour 2011

Suite de la discussion d'un projet de loi

M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi de finances pour 2011, adopté par l’Assemblée nationale.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme la présidente de la commission des affaires sociales.

Discussion générale (suite)
Dossier législatif : projet de loi de finances pour 2011
Discussion générale (interruption de la discussion)

Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme nous l’avions indiqué dès le début du mois de septembre lorsque nous avons examiné le projet de loi organique relatif à la gestion de la dette sociale, et comme nous l’avons confirmé par la suite, notamment à l’occasion du débat sur la réforme des retraites, il nous a semblé indispensable que la commission des affaires sociales examine aussi cette année la première partie du projet de loi de finances pour 2011.

C’est une première ! Nous ne nous étions encore jamais saisis pour avis du projet de loi de finances à ce stade de la discussion. J’espère toutefois que cela ne deviendra pas une règle, car, si les interactions entre les deux textes ne peuvent être évitées et sont en partie normales, il n’est pas satisfaisant qu’elles soient aussi nombreuses – plus du tiers des mesures fiscales ! – et embrouillées qu’elles le sont cette année.

Trois séries de mesures ont attiré notre attention : celles qui contribuent au financement de la réforme des retraites ; celles qui sont destinées à alimenter non plus la Caisse d’amortissement de la dette sociale, la CADES, comme dans le projet de loi initial, mais la branche famille ; celles, enfin, qui touchent au financement des caisses, notamment à travers la compensation des allégements de cotisations sociales.

La première série de mesures porte sur le financement de la réforme des retraites.

Dans l’équilibre de la réforme que nous a présenté le Gouvernement, il était prévu de dégager 3,5 milliards d’euros en 2011 pour financer la réforme des retraites.

Une partie de ces mesures figure dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale, principalement l’annualisation du calcul des allégements généraux, pour 2 milliards d’euros. L’autre partie est inscrite dans le projet de loi de finances.

Il s’agit, d’abord, de la contribution supplémentaire de 1 % sur les hauts revenus, avec le relèvement de 40 % à 41 % du taux d’imposition de la tranche la plus élevée du barème de l’impôt sur le revenu, contribution qui, vous le savez, est exclue du champ du bouclier fiscal. Le gain qui en est attendu est de 495 millions d’euros en 2011.

Il s’agit, ensuite, de la suppression à compter du 1erjanvier 2011 du crédit d’impôt attaché aux revenus distribués, pour un gain de 645 millions d’euros.

Il s’agit, encore, de l’imposition, dès le premier euro, des plus-values réalisées par des particuliers à l’occasion de cession de valeurs mobilières ou de droits sociaux, pour un gain de 180 millions d’euros à partir de 2012.

Il s’agit enfin de la suppression, dans le cadre du régime « mères-filles », du plafonnement de la quote-part des frais et charges prélevés sur les dividendes perçus de ses filiales par une société mère, pour un gain de 200 millions.

Pour permettre l’affectation du produit de ces quatre recettes à la sécurité sociale, il est prévu de transférer au profit de celle-ci une nouvelle part de TVA collectée sur des activités ayant un lien avec l’assurance maladie – activités des médecins généralistes, des infirmiers, des établissements hospitaliers –, pour un montant total de 1,34 milliard d’euros.

La deuxième série de mesures porte sur l’alimentation de la branche famille.

Le projet de loi de financement de la sécurité sociale a prévu une très importante reprise de dette en 2011. Or la nature des recettes qui doivent abonder la Caisse d’amortissement de la dette sociale pour en assurer le financement a beaucoup évolué au cours des dernières semaines. Finalement, pour lever les réserves formulées par l’Assemblée nationale sur le dispositif qu’il avait initialement envisagé, le Gouvernement a décidé, et cela figure dans la loi organique relative à la gestion de la dette sociale, que les recettes de la CADES seront, hors mobilisation du Fonds de réserve pour les retraites, exclusivement constituées de la contribution au remboursement de la dette sociale et d’une fraction de la contribution sociale généralisée, la CSG.

En conséquence de ce principe, 0,28 point de la CSG, jusqu’à présent destiné à la branche famille, a été transféré à la CADES, ce qui représente un montant de 3,2 milliards d’euros.

En compensation, la branche famille doit recevoir le produit de trois recettes relatives au secteur des assurances qui était initialement destiné à la CADES et dont les modalités figurent dans le projet de loi de finances.

Monsieur le ministre, si le sujet n’était pas aussi grave, on aurait envie de rire de ces jeux de tuyauterie, incompréhensibles pour les non-initiés.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Eh oui !

Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales. La première recette provient de la taxation des contrats d’assurance maladie solidaires et responsables. Ces contrats seraient non plus exonérés, mais taxés à un « demi-taux » de 3,5 %. Pour le Gouvernement, il s’agit de maintenir l’incitation fiscale à la conclusion de tels contrats, tout en réduisant la « dépense fiscale » de moitié, soit à 1,1 milliard d’euros.

La deuxième recette provient du prélèvement « au fil de l’eau » des contributions sociales sur les compartiments euros des contrats d’assurance vie multisupports. Le gain prévu est de 1,6 milliard d’euros en 2011, montant qui irait en décroissant jusqu’en 2019.

Enfin, la troisième recette provient de l’instauration d’une taxe sur les sommes mises en réserve en franchise d’impôt par les entreprises d’assurance. Le gain attendu de cet exit tax, soit 1,7 milliard d’euros, sera réparti entre 2011 et 2012.

La commission des affaires sociales considère que ces trois recettes ne présentent pas la solidité et la pérennité nécessaires pour assurer un financement stable des dépenses de la branche famille. En effet, l’exit tax est une mesure « à un coup », et le prélèvement anticipé des contributions sociales sur les contrats d’assurance vie est destiné à s’éroder peu à peu.

Seule la mesure de taxation des contrats responsables paraît à peu près stable. Mais cette mesure présente d’autres inconvénients.

D’un côté, en effet, on nous dit que l’instauration de cette nouvelle taxe renchérira sensiblement le coût des assurances complémentaires, et certains de nos interlocuteurs n’hésitent pas à parler d’augmentation des primes allant jusqu’à 6 ou 8 points dès l’année prochaine.

De l’autre côté, celui du Gouvernement, on nous dit que les organismes complémentaires, quel que soit leur statut, ont les réserves nécessaires pour prendre en charge ce nouveau prélèvement, sans en faire peser les conséquences sur les assurés, ou au maximum à hauteur d’un ou deux points supplémentaires. Les ministres, François Baroin comme Roselyne Bachelot, mettent en avant les conséquences positives pour les organismes complémentaires des mesures d’économie sur l’assurance maladie, ainsi que la progression toujours rapide du nombre des assurés pris en charge à 100 % dans le cadre des affectations de longue durée, les ALD.

Alain Vasselle, qui m’a demandé de le remplacer à cette tribune, a souhaité pouvoir confronter ces deux thèses. Il a donc demandé au Gouvernement le détail des calculs à partir desquels il aboutit à ses conclusions et il a transmis ce document aux mutuelles et aux assurances. Les éléments de réponse reçus ne sont pas assez précis pour pouvoir conclure dans un sens ou dans un autre.

Comme la Cour des comptes, nous regrettons que le secteur des organismes complémentaires ne soit pas plus transparent et capable de fournir des informations plus détaillées au Parlement. Nous manquons à l’évidence d’informations pour mesurer les conséquences de nos décisions. Or il en va de la couverture du risque maladie d’un grand nombre de nos concitoyens.

J’en viens à la troisième série de mesures. Le projet de loi de finances pour 2011 comporte une nouvelle répartition du droit de consommation sur les tabacs.

Cet ajustement n’est toutefois pas le premier et, ces derniers temps, les évolutions de l’affectation des droits sur les tabacs se sont toujours faites au détriment de la sécurité sociale. Pour cette raison, nous revendiquons depuis plusieurs années que la totalité des droits sur les tabacs soit affectée à la sécurité sociale et que la loi de financement de la sécurité sociale puisse en gérer les évolutions.

À l’occasion de l’adoption de l’article 12 bis du projet de loi de financement de la sécurité sociale, il y a quelques jours, le Gouvernement a accepté de faire ce transfert. Pour en tirer les conséquences dans le projet de loi de finances, nous vous proposerons un amendement à l’article 40.

Notre commission des affaires sociales a donc pris acte des mesures de financement de la réforme des retraites et de compensation, au bénéfice de la branche famille, de la ponction faite sur les ressources de cette dernière pour alimenter la CADES. Nous resterons cependant très vigilants sur l’exécution de ces mesures, car il faut que les recettes prévues soient au rendez-vous, tant pour permettre le retour progressif à l’équilibre de la branche vieillesse, que pour assurer des ressources pérennes à la branche famille.

Nous avons prévu dans le projet de loi de financement de la sécurité sociale une clause de garantie pour la branche famille, à hauteur du manque à gagner qu’implique pour elle la substitution des trois recettes « assurances » à 0,28 point de CSG. Il importera, là encore, qu’elle soit pleinement mise en œuvre dans les prochaines années. (Applaudissements sur les travées de lUnion centriste et de lUMP.)

M. le président. La parole est à M. Thierry Foucaud.

M. Thierry Foucaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, plus de chômage, plus d’impôts, peu de croissance et moins de service public : voilà comment on peut résumer, en quelques mots, le projet de loi de finances pour 2011 !

À ceux qui parlent de sortie de crise, 4 millions de travailleuses et de travailleurs privés d’emploi ou n’exerçant qu’une activité réduite, répondent clairement : non, la crise continue !

À ceux qui polémiquent sur le taux des prélèvements obligatoires, ceux qui voient grimper la facture des impôts locaux, flamber le prix du plein d’essence à la pompe, augmenter le prix du paquet de cigarettes ou s’envoler le prix des produits frais peuvent répondre que les taxes et les impôts se portent très bien quand il s’agit de frapper la consommation populaire !

À ceux qui se demandent si, pour financer les entreprises, il faut passer par les banques ou par la bourse, les salariés victimes de plans sociaux en 2010, ceux qui sont frappés par le chômage partiel et le ralentissement, déjà perceptible, de l’activité industrielle, peuvent répondre que là n’est pas la question !

Enfin, à toutes celles et tous ceux qui parlent d’État modeste, de « performance » des services publics, d’efficacité, d’efficience, et de je ne sais encore quelle optimisation des services publics, les fermetures de classes, les files d’attente dans les préfectures ou la lenteur de la communication administrative apportent autant de réponses.

Depuis plusieurs années, le service public, élément décisif dans la vie de la nation, source d’efficacité économique et sociale, est attaqué, mis en cause, amoindri, au nom d’une idéologie libérale dépassée qui veut faire croire qu’une diminution du « collectif » et de la solidarité est nécessaire au bien commun !

Ce projet de loi pour 2011 s’inscrit, dans ses grandes lignes, dans la filiation des lois de finances dont nous avons pu débattre depuis 2002.

La « priorité des priorités », nous l’avons vu lors de l’examen de la loi de programmation des finances publiques, c’est la réduction des déficits publics. La belle affaire que voilà !

Comment se fait-il que, depuis 2002, toutes les lois de finances aient fait de cette réduction des déficits publics l’absolue priorité de leur mise en œuvre et que ces déficits, et la dette avec eux, n’aient cessé de croître et d’embellir depuis ?

Ce matin, le rapporteur général nous a gratifiés d’un plaidoyer, que je qualifierai d’idéologique – toujours le même ! –, en faveur d’un budget qu’il estime bon pour l’avenir.

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. L’existence de la dette, ce n’est pas de l’idéologie, c’est une réalité !

M. Thierry Foucaud. Monsieur le rapporteur général, tous les ans, nous avons droit à la même rengaine !

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. La situation empire d’année en année !

M. Thierry Foucaud. Il s’agit de l’un de ces budgets où il y a encore moins d’argent utile, celui qui va à la santé, à l’école, à l’industrie ou au logement.

Les déficits s’accroissent d’année en année, le nombre de chômeurs également, et le problème du logement ne se résout pas.

À l’école aussi, les problèmes sont évidents, notamment dans le premier degré, au regard de l’augmentation du nombre d’élèves et de la diminution du nombre d’enseignants, et la situation est très tendue.

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. La dette, c’est la disparition de l’indépendance nationale ! C’est une aliénation !

M. Thierry Foucaud. Le problème, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur général, c’est que les déficits et la dette ne viennent pas d’un excès de dépenses publiques, mais de la crise et des cadeaux faits aux plus riches et aux grands groupes, comme nous le voyons avec les 142 milliards d’euros de trésorerie dont disposent les sociétés du CAC 40 !

Joseph Stiglitz disait dernièrement que tout avait été fait « pour contourner les normes comptables et échapper aux impôts nécessaires pour financer investissements publics en infrastructures et en technologies qui portent la croissance réelle et non la croissance fantôme promise par le secteur financier ».

En guise de conclusion provisoire, le Gouvernement nous a d’ailleurs enjoint de voter la loi sur les retraites, au motif de la nécessité de sauver la retraite par répartition, et ce pour la troisième fois en moins de vingt ans !

En 1993, il fallait sauver les retraites, et ce sont les 35 heures et la croissance retrouvée de 1997 et 1998 qui ont remis les comptes à l’équilibre !

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Les 35 heures, ça m’étonnerait !

M. Thierry Foucaud. En 2003, il fallait déjà sauver les retraites. Faute d’alternance, et d’alternative politique en découlant, 2010 a marqué la fin – provisoire, je l’espère ! – de la retraite à 60 ans, parce qu’aucune autre solution n’était admissible pour les libéraux, incapables de réduire les déficits !

M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Nous attendons vos propositions !

M. Thierry Foucaud. Ave ce projet de loi de finances pour 2011, on nous annonce, pour la énième fois, que nous allons lutter avec détermination et efficacité contre les déficits. Ces déclarations nous laissent dubitatifs puisque les précédentes lois de finances, sous-tendues par les mêmes intentions, n’y sont pas parvenues !

Par ailleurs, nous nous demandons depuis plusieurs années quels sont les vecteurs essentiels de ce déficit public et de cette dette publique, agités comme autant d’épouvantails pour justifier des politiques d’austérité.

Cette démarche, largement inspirée par la Commission européenne, est également défendue becs et ongles par la Chancelière de La République fédérale d’Allemagne, qui sait fort bien, et de longue date, que son pays doit une bonne partie de sa force économique à la manière dont il écrase la concurrence des autres pays de l’Union, notamment sur le plan commercial.

Permettez-moi d’ailleurs de pointer, dès maintenant, l’une des limites essentielles de la politique d’austérité qu’entend mener le Gouvernement.

Alors que nous avons connu en 2008 un épisode inédit de la crise, sous la forme d’une surchauffe des secteurs financiers – un incident dont il convient de sortir ! –, l’Union européenne a décidé d’être la seule partie du monde à mener des politiques d’austérité pour enclencher de nouveau le processus de croissance.

Il n’y a qu’en Europe que l’on entend remettre les économies d’aplomb par la réduction des dépenses publiques et la limitation de la création monétaire !

À peine avions-nous débattu de la loi de programmation que le Gouverneur de la Banque centrale américaine, à la suite des résultats des élections de mi-mandat, annonçait qu’il allait mettre en circulation 600 milliards de dollars supplémentaires pour racheter une partie de la dette publique colossale de l’État fédéral américain ! Quitte à ce que tout cela pèse sur la valeur du dollar – et c’est l’architecture d’une loi de finances fondée sur un euro à parité de 1,30 dollar qui en prend un coup ! –, car l’objectif est de relancer l’activité économique, une relance qui permettra à la valeur du billet vert d’être adossée à une production réelle de biens et de services !

On pourrait se demander, à ce stade, ce qu’attend Jean-Claude Trichet, arc-bouté sur sa crainte de l’inflation monétaire, pour agir de la même façon …

Pourquoi la Banque centrale européenne ne procède-t-elle pas à des émissions de monnaie ou d’obligations rachetant tout ou partie de la dette publique des États de l’Union, à commencer par les plus mal en point que sont l’Irlande, la Grèce, le Portugal ou l’Espagne ? Comme nous ne pouvons décemment pas demander à la présidence belge de l’Union européenne de le faire, ce serait bien la moindre des choses !

Mes chers collègues, une partie de l’origine de nos difficultés actuelles se situe probablement au niveau européen.

Cela fait en effet quelques décennies que l’Union est conçue comme une vaste zone de libre-échange, fondée sur la recherche permanente du moins-disant fiscal et social et, singulièrement, sur une harmonisation des législations nationales visant à réduire, sans cesse, les taux nominaux d’imposition des sociétés et des ménages les plus aisés, et à faire disparaître, autant que faire se peut, toute taxation supportée par l’entreprise, le capital ou le patrimoine.

La croissance des déficits publics, en ce qu’elle va bien au-delà des dépenses d’équipement de la nation – qui peuvent motiver le recours à l’emprunt, comme pour une famille qui achète une maison mais ne dispose pas immédiatement de l’argent nécessaire ! –, date du milieu des années 1980.

Avec le temps, nous avons en effet connu une dérive des comptes publics qui a ajouté au financement de l’investissement un service de la dette de plus en plus conséquent et une insuffisance des recettes de fonctionnement, tout cela conduisant au fameux effet « boule de neige » de la dette publique. Seuls les exercices budgétaires compris en 1997 et 2002 ont permis d’éviter cet effet.

À quoi tient l’insuffisance des recettes de fonctionnement, sinon aux moins-values constamment réévaluées de recettes fiscales, sous les effets conjugués des baisses des taux nominaux ? Nous sommes en effet passés de 50 % à 33,33 % pour l’impôt sur les sociétés, et de 65 % à 40 % pour le taux marginal supérieur de l’impôt sur le revenu, par exemple. S’y ajoutent des évictions d’assiette, c’est-à-dire les niches fiscales, au sens large.

Le Conseil des prélèvements obligatoires a rendu un avis sur le sujet : 172 milliards d’euros ont été dépensés en 2009 pour alléger les cotisations sociales et les impôts des entreprises, c’est-à-dire plus que le déficit.

Pour le seul impôt sur les sociétés, les mesures d’exonération, les régimes spéciaux, les allégements temporaires et les crédits d’impôt ont coûté 106 milliards d’euros, soit plus de deux fois le rendement net de l’impôt !

Le vrai taux de l’impôt sur les sociétés, en France, n’est pas de 33,33 %, mais de 10 %. Bien des cadres moyens dépourvus de patrimoine important aimeraient se voir appliquer un tel taux d’imposition !

C’est cette accumulation de niches fiscales plus ou moins bienvenues qui est, aujourd’hui, à la source de l’accumulation de déficits que constitue la dette publique.

Le projet de loi de finances pour 2011 a été annoncé comme celui qui doit remettre en question cette logique infernale et coûteuse, mais nous sommes vraiment très loin de ce qu’il conviendrait de faire. Nous ne sommes aucunement enclins à accepter une telle orientation.

Je n’ai pas tout à fait achevé mon propos, mais je m’interromps afin de respecter le temps de parole qui m’est imparti. Je reviendrai sur cette question lors de la discussion des amendements. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq.

Mme Nicole Bricq. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la première déclinaison de la loi de programmation des finances publiques pour les années 2009 à 2012 est bâtie, comme la loi de programmation elle-même, sur une hypothèse de croissance qui nuit à sa crédibilité.

Ce matin, Mme la ministre de l’économie, des finances et de l’industrie a salué la prévision de croissance pour 2010, fondée sur les résultats avérés du deuxième trimestre 2010. Elle a même anticipé sur le troisième trimestre. Or on n’établit pas un budget en regardant dans le rétroviseur. Son enthousiasme habituel n’est donc pas de mise aujourd'hui concernant l’année 2011.

Les chiffres du troisième trimestre montrent que l’investissement a ralenti et que la croissance provient essentiellement des stocks des entreprises. Le déficit du commerce extérieur continue de peser sur la croissance. Quant à l’emploi, il est le grand oublié du présent projet de loi de finances.

En l’absence de nouveaux ressorts, la croissance est très fragile. La consommation est le seul moteur qui tienne encore le choc. Maintenir l’hypothèse d’un taux de croissance de 2 % en 2011 est irréaliste alors que l’horizon s’assombrit, particulièrement dans la zone euro. En effet, seule l’Allemagne, qui combine compétitivité, fortes exportations, reprise de la consommation et retour rapide à l’équilibre budgétaire, a tiré provisoirement son épingle du jeu.

L’évolution de la dette est très préoccupante au moment où les taux d’intérêt repartent à la hausse. La charge des intérêts devrait atteindre un pic en 2013 et culminer à 55 milliards d’euros.

À cet égard, permettez-moi de vous citer un extrait du rapport écrit de M. le rapporteur général : « Pour respecter le plafonnement en volume des dépenses de l’État, il faudra trouver la différence dans les crédits des autres missions ou dans les prélèvements sur recettes. » Tout est dit ! Cela signifie qu’à partir de 2012, ce sera vraiment l’austérité.

Après avoir aggravé les déficits, le Gouvernement a bâti son budget sur l’hypothèse d’une baisse des déficits, baisse que vous qualifiez, monsieur le ministre, d’ « historique ». Pour ma part, je dirais plutôt d’elle qu’elle est « optique », dans la mesure où elle résulte, pour l’essentiel, c’est-à-dire à hauteur de 95 %, de l’arrêt du plan de relance pour l’économie et de la sortie de l’emprunt pour les dépenses d’avenir. Vous attendez d’une croissance à 2 % un afflux mécanique de recettes, c’est-à-dire une évolution spontanée.

Côté recettes, le Gouvernement n’aime toujours pas l’impôt, mais il crée tout de même 11 millions d’euros de prélèvements et de taxes diverses. Il préfère prendre des mesures qui pèseront essentiellement sur les ménages du milieu de l’échelle, plutôt que de s’attaquer au réarmement des recettes.

Les collectivités locales, quant à elles, seront condamnées à une double peine. Alors qu’elles ont déjà perdu l’autonomie fiscale en 2010, elles perdront l’autonomie financière et verront leurs dotations financières gelées en 2011, en 2012 et en 2013. Cela signifiera moins de services publics et moins d’investissements – c’est déjà le cas pour l’année en cours ! – pour soutenir l’économie réelle.

Ce projet de loi de finances est, une fois encore, marqué par la non-remise en cause de la politique fiscale du Gouvernement. C’est sur ce sujet que j’insisterai le plus.

La crise rend pourtant insupportables les injustices accumulées depuis 2002 et la fuite en avant des dix dernières années. L’immobilisme dont vous faites preuve, monsieur le ministre, est la marque du conservatisme.

Le Président de la République nous a raconté une belle histoire à la télévision, en nous promettant une réforme fiscale pour le printemps 2011 ; cela lui évite d’assumer les erreurs commises en 2007. À peine sorti de la mise en œuvre de ses promesses électorales de 2007, il en fait de nouvelles. Encore une fois, c’est la fuite en avant…

Au final, ce projet de budget ne contient qu’une poignée de mesures ciblées sur les ménages aisés, lesquelles ne rapporteront, comme l’a indiqué M. le rapporteur général ce matin, que 500 millions d’euros en 2011. Nous sommes loin des annonces faites par le Gouvernement ! Alors qu’il avait annoncé tout au long de sa campagne de communication estivale, lors de la préparation budgétaire, une attaque massive sur les niches, il se contente aujourd’hui de toucher à quelques symboles : un peu aux stock-options, un peu aux retraites chapeaux. La tronçonneuse que nous avait promise Mme la ministre de l’économie, des finances et de l’industrie s’est transformée en rabot et, pour finir, en lime à ongles ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

En attendant la loi de finances rectificative, qui interviendra au mois de juin, le Président de la République engage le débat fiscal en invoquant l’harmonisation avec l’Allemagne. C’est intéressant !

Les socialistes ont toujours réclamé une harmonisation fiscale au sein de l’Union européenne. Force est de reconnaître que l’Irlande, qui se trouve dans une situation très malheureuse, et à qui il convient de venir en aide au nom du principe de solidarité au sein de la zone euro, était, dans le passé, la championne du dumping fiscal.