compte rendu intégral
Présidence de M. Jean-Claude Gaudin
vice-président
Secrétaires :
Mme Sylvie Desmarescaux,
Mme Anne-Marie Payet.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
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Rappel au règlement
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Bel, pour un rappel au règlement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Pierre Bel. Monsieur le président, mes chers collègues, le projet de loi de réforme des collectivités territoriales a été adopté et je ne reviendrai pas sur le désaveu qu’il représente pour la Haute Assemblée.
Nous entrons à présent dans une nouvelle phase pour nos travaux législatifs et pour nos missions de contrôle. Cette nouvelle phase sera marquée, au cours des semaines et des mois à venir, par des échéances électorales importantes : les élections cantonales en mars, les élections sénatoriales en septembre, puis la séquence de l’élection présidentielle et des législatives en 2012.
Dans cette phase, monsieur le président, il importe plus que jamais que les institutions de notre République soient irréprochables.
Nous avons reçu à cet effet un courrier du questeur délégué, notre collègue René Garrec, en date du 14 octobre. Nous avons ensuite été destinataires d’un courrier du directeur du service de l’informatique et des technologies nouvelles en date du 29 octobre nous invitant, en substance, à veiller à l’étanchéité entre le site internet du Sénat et nos blogs et sites personnels, au cas où nous serions candidats.
Ces règles sont incontestables. Elles ne seront donc pas contestées. Je souhaite toutefois qu’elles s’appliquent à chacune et à chacun d’entre nous.
C’est pourquoi, monsieur le président, je souhaite, sans arrière-pensées ni esprit polémique, et avec le seul souci de l’exemplarité, attirer votre attention sur de récentes initiatives du Sénat qui ont semé le trouble parmi nos collègues. Je pense à la lettre que M. le président du Sénat a envoyée à tous les maires, sans même attendre la promulgation de la loi de réforme des collectivités territoriales, …
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. C’est son droit. Il n’y a pas de problème !
M. Jean-Pierre Bel. … pour leur livrer sa vision très personnelle de ce texte.
Or, le moins que l’on puisse dire, c’est que cette réforme n’est pas vraiment celle du Sénat, la version finale du texte pouvant être attribuée à 80 % à l’Assemblée nationale.
Mme Nathalie Goulet. Hélas !
M. Jean-Pierre Bel. Vous savez également que le vote ici des conclusions de la commission mixte paritaire a été extrêmement serré puisqu’il a fallu que le président du Sénat, qui présidait la séance ce jour-là, participe au vote, contrairement à nos traditions. Beaucoup ont donc été choqués que le président du Sénat se fasse le défenseur zélé de cette loi, non pas en son nom propre, mais en notre nom à tous, au nom d’une assemblée qui avait été très partagée sur ce texte.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. La loi s’applique maintenant !
M. Jean-Pierre Bel. Je pense aussi au « Rendez-vous du Sénat » consacré à la jeunesse, convoqué sous la présidence du président du Sénat à Cambrai, le 18 novembre dernier, par notre collègue Jacques Legendre. À cet égard, je m’interroge sur les critères qui président au choix de ces forums et, plus encore, des lieux où ils sont convoqués et de la forme des convocations.
Le groupe que j’ai l’honneur de présider sera, au cours des mois à venir, plus vigilant que jamais sur l’utilisation des moyens du Sénat et sur l’objectivité de leur répartition.
Rappeler l’exigence d’exemplarité et d’impartialité de la République et, en son sein, du Sénat : tel est l’objectif du présent rappel au règlement, dont, j’espère, il sera tenu le plus grand compte. Je vous remercie, monsieur le président, de bien vouloir le transmettre à qui de droit. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. Acte vous est donné de votre rappel au règlement, mon cher collègue. Il sera transmis à M. le président du Sénat.
3
Loi de finances pour 2011
Suite de la discussion d'un projet de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, de finances pour 2011 (projet n° 110 rectifié, rapport n° 111).
Dans la discussion des articles, nous poursuivons l’examen des amendements portant article additionnel après l’article 11.
Articles additionnels après l'article 11
(suite)
M. le président. L'amendement n° I-11, présenté par M. Marini, au nom de la commission des finances, est ainsi libellé :
Après l'article 11, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après le chapitre XX du titre II de la première partie du livre Ier du même code, il est inséré un chapitre XXI ainsi rédigé :
« Chapitre XXI
« Taxe sur les achats de services de commerce électronique
« Art. 302 bis ZM.- I.- Il est institué à compter du 1er janvier 2011 une taxe sur les achats de services de commerce électronique.
« II. - Cette taxe est due par tout preneur, établi en France, de services de commerce électronique.
« III. - La taxe est assise sur le montant des dépenses engagées pour l’achat de toute fourniture de biens ou services effectué au moyen d’une communication électronique dans des conditions définies par décret.
« La taxe ne s'applique pas lorsque le chiffre d'affaires annuel de l’établissement preneur de la prestation de commerce électronique est inférieur à 460 000 euros.
« IV. - Le taux de la taxe est de 0,5 % du montant hors taxe des sommes versées par le preneur.
« V. – Cette taxe est liquidée et acquittée au titre de l'année civile précédente lors du dépôt de la déclaration, mentionnée au 1 de l'article 287, du mois de mars ou du premier trimestre de l'année civile.
« VI. - La taxe est recouvrée et contrôlée selon les mêmes procédures et sous les mêmes sanctions, garanties, sûretés et privilèges que la taxe sur la valeur ajoutée. Les réclamations sont présentées, instruites et jugées selon les règles applicables à cette même taxe. »
La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, cet amendement s’inscrit dans la même logique que celui que nous avons voté avant de nous séparer vers deux heures et quart ce matin, c'est-à-dire dans le cadre de la réflexion conduite par la commission des finances sur la préservation des recettes publiques.
Je rappelle que cet impératif repose selon nous sur trois piliers : premièrement, la réduction des niches fiscales et la maîtrise de la dépense fiscale, deuxièmement, la lutte contre la fraude et l’optimisation fiscales – à cet égard, le Sénat a bien voulu voter, sur notre initiative, plusieurs dispositifs importants destinés à empêcher des comportements critiquables concernant en particulier l’impôt sur les sociétés –, troisièmement, l’adaptation des assiettes fiscales aux évolutions technologiques.
Le présent amendement repose sur l’idée que les transactions en ligne constituent une assiette fiscale moderne dans un contexte de vieillissement accéléré de l’assiette de la plupart des impôts.
Il s’agit en effet d’une assiette dynamique, car les transactions en ligne ne cesseront de se développer. Elles occuperont une part de marché croissante dans la période à venir.
Il s’agit de plus d’une assiette large, qui permettrait de créer un prélèvement indolore, ou à peu près, à faible ou à très faible taux.
Il s’agit en outre d’une assiette non délocalisable, dès lors – à la vérité, le droit communautaire nous contraint de procéder ainsi – que la taxation repose sur le preneur, c'est-à-dire sur l’acheteur de services en ligne. Cette modalité de taxation permet d’appréhender des flux qui se portent très majoritairement, pour ne pas dire massivement, monsieur le secrétaire d’État, vers des fournisseurs situés à l’étranger, qui plus est dans les États les moins fiscalisés d’Europe.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Eh oui !
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Hier soir, lorsque Christine Lagarde a bien voulu nous répondre de manière à la fois très sincère et très diplomatique sur la situation irlandaise, nous avons abordé le redoutable sujet de l’évasion fiscale « légale », laquelle ne cesse de se développer en raison du droit communautaire sur la TVA. Vous savez en effet, mais je le rappelle néanmoins, que la TVA est susceptible d’être prélevée par l’État où se trouve l’émetteur des factures. Une période de transition s’ouvrira en 2013, jusqu’en 2019, afin de revenir au droit commun de la TVA. Celle-ci, comme c’est le cas de manière générale, sera à la charge du consommateur. Le taux applicable sera celui de l’État de consommation.
Enfin, les transactions en ligne constituent une assiette fiscale moderne, car le principe de la taxation de l’acheteur de services en ligne, seule possible dès lors que le vendeur peut facilement s’implanter fiscalement hors de France, facilite le recouvrement de l’impôt, en permettant son adossement à celui de la taxe sur la valeur ajoutée.
Cette assiette moderne peut légitimement supporter un minimum d’imposition, compte tenu du fait que les charges d’exploitation qui pèsent sur le commerce en ligne sont moins importantes que celles que doivent acquitter les entreprises traditionnelles.
Pour prendre un exemple, le commerce en ligne ne supporte pas la taxe sur les surfaces commerciales, la TASCOM, …
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Eh oui !
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. … puisqu’il n’a pas besoin d’un vrai magasin, implanté sur une vraie surface, un vrai sol, …
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Et avec une vraie enseigne ! (Sourires.)
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. … où travailleraient de vrais gens.
La commission des finances, qui est bien entendu très favorable à la diffusion des nouvelles technologies au sein de la population, ne propose en aucun cas de taxer les ménages et les usagers individuels. La proposition qui vous est faite – il s’agit d’une proposition de principe – concerne le seul champ des transactions entre entreprises, c'est-à-dire, selon l’expression consacrée, le business to business.
En fonction de ce raisonnement, une taxe sur les achats de services de commerce électronique serait due par les seules entreprises qui achètent des services de commerce en ligne. Le seuil d’assujettissement serait le même que pour la taxe sur les services commerciaux, soit 460 000 euros de chiffre d’affaires.
Je rappelle, chemin faisant, que, dans le cadre de la réforme de la taxe professionnelle, la taxe sur les services commerciaux – la TASCOM – a été transférée au bloc communal.
Enfin, si l’on fixait à 0,5 % le taux du montant hors taxe des sommes versées par le preneur, en estimant, comme les études nous y invitent, l’assiette taxable, soit le chiffre d’affaires annuel au titre des transactions entre entreprises, à 80 milliards ou 100 milliards d’euros, le produit potentiel de cette taxe représenterait annuellement entre 400 millions et 500 millions d’euros. Notre réflexion porte donc sur un montant significatif pour nos finances publiques, dont chacun connaît la situation difficile, voire compromise.
Un chiffrage plus fin réviserait sans doute à la baisse cette estimation pour tenir compte du fait que près des deux tiers des entreprises – celles qui réalisent un chiffre d’affaires inférieur au seuil de 460 000 euros – devraient être exonérées.
Monsieur le secrétaire d’État, cet amendement est un amendement de principe, qui vise à fixer un cap et permettre une prise de conscience, dans un monde qui évolue et auquel la fiscalité doit s’adapter.
Notre crainte, qui n’est peut-être pas immédiatement justifiée par la réalité d’aujourd’hui, est qu’au fil des années, compte tenu de l’importance croissante du commerce en ligne, l’assiette de nos impositions ne se trouve condamnée à une attrition structurellement nuisible à nos finances publiques.
C’est dans cet esprit et en vertu de cette analyse que la commission vous invite, mes chers collègues, à réfléchir à sa proposition.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Georges Tron, secrétaire d'État auprès du ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'État, chargé de la fonction publique. Comme M. le rapporteur général, je dirai moi aussi que ce sujet est d’une grande actualité. Il est en effet nécessaire de réfléchir sérieusement aux moyens d’adapter la fiscalité à la modernisation des moyens de communication entre entreprises. Je dois reconnaître, monsieur le rapporteur général, que vous avez parfaitement situé le problème, au cœur d’une réflexion devenue obligatoire. Vous avez précisé vous-même que votre amendement visait à inciter à la réflexion et à fixer un cap ; je salue cette démarche.
Votre amendement a pour objet de créer une taxe sur les achats par voie électronique, qui serait due par tous les professionnels établis en France, sans exception. Conformément à notre philosophie, vous prévoyez un taux modéré – 0,5 % – et une exemption pour les entreprises dont le chiffre d’affaires est marginal.
Une telle taxation viserait à compenser le fait que les commerçants en ligne échappent purement et simplement aux impositions qui pèsent sur les formes de commerce tangible.
Le Gouvernement est parfaitement conscient de l’enjeu que représente, pour les finances publiques, le développement du commerce électronique. Comme je l’ai dit dans mon propos introductif, il faut, à l’évidence, que nous parvenions à une forme de parité fiscale entre les diverses formes de distribution.
Le cap étant fixé et le problème explicité, je me permettrai de formuler quelques réserves relatives non pas au principe de cet amendement, mais à ses modalités.
Première observation : la taxe proposée pèserait en réalité sur toutes les relations commerciales interentreprises, dès lors qu’une commande est passée par voie électronique. Nous craignons donc que le dispositif ne manque sa cible et qu’au lieu d’équilibrer la fiscalité entre les différentes formes de distribution, comme la commission des finances le souhaite à juste titre, il ne pénalise la modernisation des relations interentreprises, et en particulier celles qui se font par voie électronique. C’est là un premier problème, qui n’est pas négligeable.
Par ailleurs, un tel dispositif entraînerait de redoutables difficultés de contrôle de sécurité juridique pour les entreprises, car il impliquerait de distinguer ce qui, dans les achats de l’entreprise, relève du mode électronique de passation de la commande et ce qui n’en relève pas. Il pourrait aussi y avoir une distorsion entre le traitement des opérations internationales et celui des autres. C’est là un second problème.
Deuxième observation : la justification de la taxe proposée n’est pas évidente. On comprend bien que la TASCOM avait un double objectif : d’une part, le financement des collectivités locales sur le territoire desquels les commerces sont implantés et, d’autre part, le rééquilibrage des conditions de concurrence entre la grande distribution et les commerces de proximité, en particulier les petits commerces situés dans les centres-villes.
Monsieur le rapporteur général, votre proposition présente des difficultés d’appréhension au regard des objectifs que je viens de définir, et sans doute une réflexion approfondie serait-elle nécessaire pour déterminer de quelle façon cette articulation pourrait se faire dans de meilleures conditions.
Ma troisième et dernière observation porte sur l’impact économique de cette taxe. Vous avez évalué son produit à 500 millions d’euros. Un tel prélèvement, sans doute unique en Europe, voire – je le dis avec précaution – dans le monde risquerait de peser lourdement sur le secteur de l’internet et d’accroitre les risques de délocalisation. J’ai bien compris votre propos quant à ces derniers mais, au-delà de la production, le phénomène d’acquisition peut aussi conduire à des délocalisations !
Cela dit, monsieur le rapporteur général, le Gouvernement souscrit très volontiers à votre souhait de réfléchir de façon approfondie sur le sujet. Il n’est d’ailleurs pas lui-même resté totalement inactif, puisque le régime de taxation des prestations de services électroniques évoluera, comme chacun sait, dès le 1er janvier 2015, de façon à faire prévaloir le principe de taxation à la TVA au lieu de consommation. Nous avons en effet saisi la Commission européenne pour l’alerter sur les pratiques déloyales de certains de nos partenaires, et je crois savoir que notre message a été parfaitement entendu.
Le Gouvernement a également saisi la Commission d’une proposition visant à taxer au lieu de consommation ou de consultation les bénéfices réalisés par les grands sites internet. Nous pensons que certains de nos partenaires, en particulier l’Allemagne, se rallieront à notre position.
Monsieur le rapporteur général, votre amendement a fixé un cap et permis d’amorcer une discussion. Je pense que vous pourriez maintenant le retirer, afin que la réflexion engagée se poursuive ultérieurement en évitant les écueils, que vous aviez certainement entrevus, sur lesquels je me suis permis d’attirer votre attention.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Je remercie M. le ministre de sa réponse, qui est constructive et qui nous incite à aller au fond des choses.
La commission, pour sa part, souhaiterait, sans que cela retarde excessivement l’examen de la loi de finances, qu’un débat d’orientation puisse s’instaurer. Je ne retirerai donc pas dès maintenant notre amendement pour ne pas frustrer celles et ceux de nos collègues qui souhaitent s’exprimer sur le sujet.
Le vœu de la commission des finances est en effet que cette piste soit explorée, en concertation avec les professionnels du secteur, en liaison avec les instances communautaires et en particulier avec l’Allemagne, dont la situation est semblable à la nôtre.
En caricaturant, on pourrait dire qu’il y a aujourd’hui deux catégories d’États européens : d’une part les grands États, les plus peuplés, qui fournissent les consommateurs ; d’autre part, les petits États, qui sont des plateformes à basse fiscalité, d’où partent les factures adressées aux dits consommateurs.
Voilà le vrai problème ; nous l’avons abordé hier avec Christine Lagarde, en nous demandant si la zone euro pouvait survivre quand tous ses membres se livrent à une concurrence fiscale exacerbée. C’est là un sujet de fond, stratégique, qu’il nous faut traiter.
La commission souhaite ainsi que chacun de ceux qui le souhaitent donne son opinion sur le cap vers lequel nous voulons nous diriger. Par la suite, nous prendrons ensemble les dispositions qui s’imposeront pour que la réflexion se structure, qu’un groupe de travail se mette en place, qu’une méthode soit définie et que nous progressions à un rythme raisonnable. Ce rythme ne doit pas être trop lent car le commerce en ligne gagne chaque jour des parts de marché, au détriment des circuits de distribution classiques. Le déséquilibre va augmenter, et avec lui les risques d’une concurrence fiscale débridée à l’extrême dans l’espace européen.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Procaccia, pour explication de vote.
Mme Catherine Procaccia. Je tiens à remercier Philippe Marini de laisser toutes les sensibilités s’exprimer. Son exposé comme celui de M. le ministre ont apaisé mes inquiétudes.
À la lecture de l’amendement de la commission, je m’étais en effet demandé si le Sénat voulait donner l’image d’une institution opposée à la modernité, à internet et au commerce en ligne. Après avoir taxé la publicité et avant d’évoquer le cas de la télévision mobile, nous sommes en train maintenant de discuter du commerce sur internet. Comme cela a été dit, ce dernier est voué à gagner des parts de marché. J’espère toutefois que le Sénat – et en particulier la commission des finances, que je connais bien – ne s’opposera pas à cette nouvelle forme de commerce, adaptée aux réalités du XXIe siècle.
Ce qui m’a le plus inquiétée, monsieur le rapporteur général, c’est le système que vous proposiez de mettre en place, dans lequel les acheteurs auraient été taxés, et non pas ceux qui ont délocalisé les plateformes d’achat. Un moyen très simple de détourner une telle taxation aurait en effet été de faire son choix sur internet, puis de passer commande par fax ou par courrier ! Le système proposé par cet amendement serait alors tombé en totale désuétude, et l’on serait revenu à des pratiques d’il y a dix ans, quand les confirmations de commande étaient envoyées par écrit.
Ma deuxième inquiétude, que la commission lèvera probablement, concerne les collectivités locales, qui traitent de plus en plus souvent leurs commandes et leurs appels d’offres via internet. Il ne faudrait pas que ces opérations soient concernées par le nouveau système, sans quoi nous pénaliserions nos collectivités !
Enfin, il serait très simple pour les entreprises disposant de filiales à l’étranger de demander à celles-ci de passer commande à leur place, s’exemptant ainsi de la taxation française. Je pense donc que, tel qu’il a pour l’instant été esquissé afin d’ouvrir la réflexion, le système proposé par la commission ne gênerait que les PME et n’atteindrait absolument pas les objectifs qu’il entend viser.
Je suis donc rassurée d’entendre que l’amendement de la commission, que je n’aurais pas voté en l’état, ne vise qu’à ouvrir une réflexion.
M. le président. La parole est à M. Jean Louis Masson, pour explication de vote.
M. Jean Louis Masson. Cet amendement me semble très pertinent. Il n’y a pas de raison, à moins qu’un lobby particulier ne prenne la défense de la vente sur internet, que les transactions en ligne ne soient pas taxées.
Rétablir l’équité dans la participation aux charges publiques est un élément fondamental de justice. La personne qui a un magasin paie des impôts de tous les côtés et celle qui vend sur internet n’en paie quasiment pas.
Je regrette vivement que l’on reporte cette mesure nécessaire, comme cela arrive chaque fois que sont avancées des propositions potentiellement intéressantes.
Nous sommes confrontés, comme les Irlandais, à un problème de déficit budgétaire. Si nous ne voulons pas connaître la même situation qu’eux, il nous faudra à un moment donné renoncer à cette politique de non-fiscalisation.
Les Irlandais ne veulent faire payer ni les uns ni les autres, moyennant quoi les voisins paient pour eux ! À ce propos, je regrette que la France ait accepté de s’associer au soutien des Irlandais sans exiger d’eux qu’ils instaurent une fiscalité sur les entreprises à un taux au moins égal au taux moyen de la zone euro.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Très bien !
M. Jean Louis Masson. Ce serait la moindre des choses ! Avant d’appeler à l’aide ses voisins parce qu’elle n’a plus d’argent, l’Irlande devrait, comme tous les autres pays, faire payer des impôts à ses concitoyens ainsi qu’à l’ensemble des entreprises implantées sur son territoire. À défaut, les Irlandais ne devraient pas s’étonner de ne plus avoir le sou !
Je suis donc plutôt très favorable à cet amendement.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des finances.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Cet amendement fait naître un débat crucial.
Mes chers collègues, il y a quelques décennies, pressentant les potentialités de la globalisation, un certain nombre d’industriels ont compris qu’ils gagneraient plus facilement leur vie en devenant distributeurs et en s’approvisionnant hors du territoire national. Nous avons tous en tête quelques figures emblématiques de la conversion de l’industrie vers la distribution. Nous avons alors perdu des pans entiers d’activité et de ressources fiscales et sociales.
Aujourd'hui, la distribution traditionnelle, physiquement enracinée dans le territoire, se trouve confrontée à la concurrence de la vente à distance. La vente à distance, dans un premier temps, a pris la forme de la vente par correspondance. Maintenant, il s’agit surtout de la vente par Internet et du commerce électronique, qui ont à leur disposition des territoires leur offrant un confort fiscal absolu.
Si nous n’y prêtons attention, chers collègues, nous allons bientôt nous demander quelle activité économique pourra bien subsister en France.
Mme Nathalie Goulet. On se le demande déjà !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Nous nous demanderons également où sont passées les assiettes de prélèvements obligatoires pour assurer le fonctionnement des services publics et permettre à l’État d’exercer ses missions régaliennes.
Nous sommes menacés par la disparition pure et simple des activités économiques et des ressources fiscales. Cela devrait nous encourager puissamment, monsieur le secrétaire d'État, à cesser d’accabler de taxes ceux qui sont implantés sur le territoire national tout en exonérant pratiquement de fiscalité ceux qui travaillent à distance.
Certes, vous me répondrez que ce n’est pas grave, que, lorsqu’une entreprise située hors du territoire national commercialise au moins 100 000 euros en France, elle doit facturer la TVA et en verser le produit à la France.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. C’est le beau discours que l’on sert habituellement au Parlement, mais en pratique il n’y a aucun contrôle ! C’est donc une convention de langage. (M. le secrétaire d’État fait un signe de dénégation.)
Mais alors, monsieur le secrétaire d'État, dites-nous quels sont exactement ces contrôles afin que nous puissions juger de leur effectivité sur place et sur pièces ? Quoi qu’il en soit, permettez-moi de douter quelque peu de leur efficacité tant le réseau devient complexe et épars.
Nous sommes à la veille de mutations fondamentales. En faisant transiter l’impôt par les entreprises, qu’elles soient industrielles ou commerciales, nous prenons le risque d’accélérer toutes les délocalisations. Il va être temps d’ouvrir un débat sur la question de savoir qui paie l’impôt. Or je réaffirme devant vous, mes chers collègues, que c’est toujours le citoyen qui s’acquitte de cette charge.
Plusieurs sénateurs du groupe socialiste. Eh oui !
M. Jean-Jacques Mirassou. Sauf certains !
M. Jean-Pierre Sueur. Et le bouclier fiscal !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Ne vous inquiétez pas ! Nous en parlerons du bouclier fiscal lors de l’examen des articles de la deuxième partie.
Dans ces conditions, préparons-nous à refonder le pacte républicain sur un impôt qui sera soit un impôt sur la consommation, soit un impôt sur le revenu, soit un impôt sur le patrimoine, mais qui dans tous les cas sera directement assumé par le citoyen et non, comme on le croit, par l’entreprise, car pas une seule entreprise ne pourrait survivre si elle ne reportait pas sur ses clients le poids des impôts dont elle doit s’acquitter.
Le débat que suscite cet amendement est donc tout à fait crucial. Nous devons nous en saisir avec une franche détermination, monsieur le secrétaire d'État.