Mme Éliane Assassi. C’est vrai !
M. Jacques Mézard. … et ce n’est pas en augmentant constamment le quantum des peines que vous ferez progresser la sécurité, monsieur le ministre.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est sûr !
M. Jacques Mézard. S’il existe une crise de confiance à l’intérieur de la police, de la gendarmerie et de la justice, les lois successives que nous avons examinées ces dernières années ne l’auront aucunement atténuée, bien au contraire.
Cela étant rappelé, on ne peut que constater, pour le déplorer, que l’Assemblée nationale en a encore rajouté dans le sécuritaire. Ce n’est pas sans raison que plusieurs organes de presse notaient que ce projet de loi était devenu le véhicule législatif des mesures sécuritaires annoncées l’été dernier par le Président de la République. Il s’agit donc d’un texte réactionnel – un mot qui n’a pas le même sens que réactionnaire, je vous l’accorde, chers collègues de la majorité.
Dans l’intérêt de tous, il convient de tempérer le texte qui nous vient de l’Assemblée nationale. En ce qui concerne la vidéoprotection, qui n’est pas la panacée en matière de sécurité, même si elle peut constituer un progrès dans certains cas, l’article 17 étend les possibilités d’installation et d’usage sur la voie publique à des personnes morales de droit privé, après simple information du maire.
Le Sénat avait prévu que la CNIL, pourrait exercer un contrôle des systèmes installés. L’Assemblée nationale a refusé que le contrôle puisse s’exercer selon les principes de la loi « Informatique et libertés ». Elle a également supprimé la possibilité pour la CNIL, possibilité qui avait été introduite par le Sénat, de mettre en demeure un responsable de traitement de faire cesser un manquement et de prononcer un avertissement public.
Mes chers collègues, ces dispositions sont contraires à la jurisprudence administrative. J’espère que la position du Sénat l’emportera.
L’article 23 bis, introduit par le Sénat contre l’avis de la commission, a pour objet d’étendre aux primo-délinquants auteurs de violences volontaires le dispositif des peines planchers, qui ne sont à l’heure actuelle applicables qu’en cas de récidive.
Si le Sénat avait limité son champ aux violences les plus graves, punies de dix ans d’emprisonnement et ayant entraîné une incapacité temporaire de travail supérieure à quinze jours, l’Assemble nationale a considérablement étendu le champ de l’article et a supprimé le principe d’aménagement des peines inférieures ou égales à deux ans d’emprisonnement, posé par la loi pénitentiaire.
Le durcissement du dispositif pose naturellement la question de la logique poursuivie dès lors que la prison demeure un facteur de récidive et que ne sont pas réunies aujourd’hui les conditions permettant véritablement la réinsertion des détenus, ce que chacun sait.
Se pose également la question de la constitutionnalité du dispositif, puisque, comme cela est rappelé dans le rapport de notre collègue Jean-Patrick Courtois, le Conseil constitutionnel n’avait validé, en 2007, le principe de la peine plancher qu’en raison de la condition de récidive légale.
L’article 23 ter, introduit par le Sénat sur proposition du Gouvernement, tend à allonger la période de sûreté pour les auteurs de meurtre ou assassinat contre les personnes dépositaires de l’autorité publique. Notre assemblée avait subordonné ce dispositif à l’existence d’une circonstance aggravante, disposition supprimée par l’Assemblée nationale.
L’article 23 quinquies vise à étendre le champ d’application de la surveillance judiciaire aux personnes condamnées à une peine d’emprisonnement d’une durée supérieure ou égale à cinq ans en état de nouvelle récidive.
L’article 23 sexies prévoit de recourir à une procédure de convocation par officier de police judiciaire à l’encontre d’un mineur, ce qui est pour le moment impossible et interdit. On peut déjà s’étonner d’une telle disposition, alors que la Chancellerie travaille aujourd’hui sur une réforme globale du droit pénal des mineurs.
L’article 24 bis tend à instaurer un couvre-feu pour mineurs, y compris individuel. Le Sénat, considérant les risques juridiques toujours importants, avait introduit le recours au juge. L’Assemblée nationale, là encore, est revenue sur cette disposition alors que, s’agissant d’une sanction, cette dernière relève du juge et non pas de l’autorité administrative. Une telle dérive, car il s’agit bien d’une dérive, est particulièrement inquiétante. Il en est d’ailleurs de même, notons-le au passage, de la volonté de mettre en place le principe de l’imprescriptibilité pour certains crimes visés à l’article 24 quinquies.
De la période de sûreté aux peines planchers et, bientôt, aux jurés populaires en correctionnelle, nous avons l’illustration constante d’une méfiance devenue systématique, j’allais dire épidermique, à l’égard de la magistrature, …
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Jacques Mézard. … ce qui est grave, le plus souvent injuste, et ne peut que perturber l’équilibre fragilisé de nos institutions.
M. Roland Courteau. En effet !
M. Jacques Mézard. Oui, messieurs les ministres, vous auriez tort de rester sourds au discours prononcé par le procureur général près la Cour de Cassation le 7 janvier 2011. Pour l’avoir lu intégralement, je me doute qu’il ne vous a point fait plaisir. En voici un extrait : « Afficher pour la justice une sorte de mépris, inspirer à l’opinion des sentiments bas, en instillant de manière en réalité extravagante, la confusion entre la responsabilité du criminel et celle du juge dont on dénigre la décision, [...] tout cela avilit l’institution et, en définitive, blesse la République ».
M. Roland Courteau. C’est exact !
M. Jacques Mézard. Ces propos ne sont pas les miens ! Ce sont ceux qui ont été tenus par le procureur général près la Cour de cassation.
M. Jacques Mézard. Et nous n’en avons pas dit autant jusqu’ici !
Messieurs les ministres, mes chers collègues, nous sommes tous dans cette enceinte – je dis bien tous – attachés aux valeurs fondamentales qui constituent le socle de notre République. Or le thème de la sécurité devient un instrument de rupture et de division, alors qu’il devrait être impérativement un thème de rassemblement, de recherche de l’équilibre et de sérénité, de « force tranquille » disais-je en première lecture.
M. Roland Courteau. C’est bien vu !
M. Jacques Mézard. Il faut cesser de justifier l’absence de résultats en matière de sécurité par l’inadéquation des lois, alors que l’essentiel est de mettre les moyens nécessaires à la disposition de ceux qui sont chargés d’appliquer les innombrables textes déjà en vigueur.
Protéger le citoyen, c’est non pas le surveiller et s’en méfier, mais d’abord le rassurer. Majoritairement, nous ne voterons pas ce projet de loi, parce qu’il exacerbe des conflits et des sentiments qui ne sauraient rassurer le plus grand nombre de nos concitoyens ni restaurer la confiance. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le ministre, à vous entendre, on croirait que rien ne va plus dans notre pays et, surtout, que vous n’y êtes pour rien !
Vous ne cessez, en effet, de nous assener que, si délinquance il y a, c’est parce que la gauche a été trop laxiste, voire angélique, tout en rejetant la faute sur « les complaisants », qu’ils soient de gauche, magistrats ou autres voyous en instance de « karcherisation ».
C’est à se demander, monsieur le ministre, qui a empilé, depuis bientôt dix ans, pléthore de textes répressifs d’inspiration sécuritaire à la tête du ministère de l’intérieur, puis de la présidence de la République, avec votre irréductible soutien.
Vous persistez néanmoins à nous conter que, si la France va mal, c’est à cause du mal national qu’est la « complaisance », théorie que vous tentez d’infuser dans les consciences pour justifier votre politique ultra-sécuritaire, dispendieuse, inefficace, et qui est un échec sur toute la ligne.
De cette complaisance, tous les acteurs publics et tous les partis politiques, excepté bien évidemment le vôtre et celui du Front national, auraient été coupables. Votre discours se synthétise aisément tant il multiplie les raccourcis.
Puisque les juges ne font pas leur travail, parce que trop complaisants, vous entendez l’effectuer à leur place en les cantonnant au rôle de simples exécutants.
Si le nombre de primo-délinquants augmente, c’est exclusivement la faute des parents, trop complaisants et n’assumant pas leurs responsabilités. Une telle situation n’aurait, selon vous, rien à voir avec la saignée opérée dans l’éducation nationale, qui a subi 66 000 suppressions de postes depuis 2007.
Vous incriminez donc les seuls parents : vous menacez de leur ôter leurs droits à prestations, en leur faisant signer des papiers contractualisant leur choix d’être parents. Au passage, vous rétablissez les maisons de correction, dénommées pudiquement « centres d’éducations fermés », car, si la France va mal, c’est sans doute aussi en raison de la perte de ce que l’on appelle les « valeurs d’antan »…
Mais ce sont là des valeurs contestables, aux relents souvent nauséabonds et xénophobes, que nous ne voulions plus voir à la tête de notre État, et pour cause.
Ainsi, toujours selon votre discours bien ancré, si le nombre de crimes et de délits augmente, c’est bien évidemment aussi la faute des étrangers, envers qui les dirigeants de gauche se sont montrés, encore une fois, trop complaisants.
Vous accusez les migrants de ne rien comprendre aux principes fondamentaux de notre République, contrairement aux « bons Français », qui sont présumés, eux, en être naturellement imprégnés. Les autres doivent s’intégrer ; pis, ils doivent maintenant s’assimiler, selon ce nouveau vocable qui a eu un franc succès sur vos bancs à l’Assemblée nationale.
Et ce n’est pas fini ! Avec près de 12 000 suppressions de postes depuis 2002, la police est à bout de souffle. Dès lors, vous lui offrez quelques armes de nouvelle technologie et d’autres techniques d’investigation en pointe, vous jetez un peu de poudre aux yeux à la police scientifique et technique au bord de l’implosion, en mettant en place un fonds de soutien, lequel ne sera sans doute jamais alimenté, et vous décidez d’installer 60 000 caméras à l’appui de leurs investigations, et tout cela pour un taux d’élucidation allant aujourd'hui de 1 % à 3 %, monsieur le ministre !
Vos équations sont bien trop simplistes ; le compte n’y est pas. La théorie de la complaisance ne prend pas ! Vous semblez peu prompt à comprendre le sens de la politique : cette dernière doit être définie en vue de maintenir un équilibre social et non pas dans le but de le rompre pour mieux régner.
Poursuivant votre politique de division entre les fonctionnaires et les salariés du privé, entre la police et la population, entre les étrangers et les « bons Français », entre les bons habitants des quartiers populaires et les vils délinquants friands de hall d’immeubles, entre les chômeurs et les actifs, la France qui se lève tôt et les profiteurs qui se lèvent tard, vous cherchez maintenant à opposer le peuple à la justice, qui, selon vous, ne rend pas les bonnes décisions, ou plutôt celles que vous souhaitez qu’elle rende.
Les juges ne font qu’appliquer des principes généraux du droit, mais ne servent pas votre projet de société.
Ainsi entendez-vous juger à leur place, en soutenant des policiers reconnus coupables sur preuves de délits, pour mieux laisser place à la vindicte populaire, sous l’appellation de jury populaire. Le comble est que le Président de la République nous annonce qu’il entend par cette mesure vouloir rapprocher la justice du peuple !
Sauf à vous montrer plaisantins, ce que je ne crois pas, nous nous demandons bien ce qui anime alors le dégraissage de la carte judiciaire, ce qui justifie ces déplacements des juridictions à la pelle dans des locaux inappropriés, dans des banlieues lointaines bien souvent fort mal desservies en termes de transports en commun. Ce faisant, vous ne faites que chasser le peuple que vous prétendez défendre.
Votre gouvernement nie le besoin social de justice en supprimant autant de barreaux de province que de banlieues, ce qui contraint la population à des déplacements parfois ubuesques.
Autant dire que tout cela est infiniment dangereux pour un État de droit. Il me semble utile, à moi aussi, de rappeler la déclaration récente du procureur Nadal, qui a été citée tout à l'heure : « Afficher pour la justice une forme de mépris, inspirer à l’opinion des sentiments bas en instillant, de manière en réalité extravagante, la confusion entre la responsabilité du criminel et celle du juge dont on dénigre la décision, inscrire au débit des cours et tribunaux l’altération du lien social compromis pour une multitude de raisons qui leur sont étrangères, tout cela avilit l’institution et, en définitive, blesse la République ».
Ces propos sont d’une honnêteté que vous devriez envier à leur auteur. Il ne devrait pas être permis d’agiter le code pénal avec si peu de délicatesse.
M. Roland Courteau. Très bien !
Mme Éliane Assassi. Pour notre part, nous ne sommes jamais tombés dans un laxisme qui nierait la réalité de la délinquance tant nous sommes attachés à l’idée de contrat social. Mais la guerre que vous engagez n’est pas la nôtre.
À l’occasion de l’examen du présent texte en première lecture dans cette même enceinte, en septembre dernier, vous aviez cité, lors de votre intervention dans la discussion générale, l’Étrange défaite de Marc* Bloch. À l’Assemblée nationale, on a entendu M. Ciotti déclarer que les mesures contenues dans ce projet de loi étaient nécessaires face à une évolution de la délinquance, « les délinquants usant de toutes les techniques pour s’opposer aux contraintes de la loi et aux moyens déployés par les forces de l’ordre » justifiant de « s’adapter pour pouvoir soutenir cette guerre de mouvement contre la délinquance ».
Au nom de la protection de la société contre ses « ennemis » présumés, les mesures dérogatoires au droit commun deviennent la norme, la surveillance et le contrôle social s’étendent massivement et l’objectif de réinsertion assigné à chaque peine disparaît. La question suivante se pose : l’état d’urgence serait-il décrété ?
Vous tentez de faire croire aux Français que votre guerre a été déclarée en leur nom et pour leur bien-être. Un tel argument est tout aussi virtuel que celui invoquant les délinquants « nouvelle génération » qui nécessiteraient que l’on mène « une guerre de mouvement ».
Vous vous efforcez constamment de commenter des faits divers, tous aussi horribles les uns que les autres. Vous légiférez sur ce fondement pour favoriser la confusion entre délits de droit commun et lourdes infractions.
Vous espérez de toutes ces tactiques d’amalgame qu’elles vous permettent non seulement d’entretenir l’hostilité des milieux populaires contre cette catégorie de délinquance, mais aussi de rendre le durcissement de la politique de répression acceptable.
Cependant, nos concitoyens ne sont pas dupes, et nous non plus !
Cette dénonciation constante de la délinquance du petit peuple vous est sans doute bien utile pour masquer la délinquance de la classe dominante. En attestent la dépénalisation du droit des affaires, comme l’abus de bien public. Les sondages le montrent : celui qui a été publié récemment par le Journal du Dimanche est particulièrement révélateur à cet égard, puisqu’il affirmait qu’Éric Woerth était la personnalité politique préférée des Français. Cherchez l’erreur !
Le Front national a usé de la même stratégie de détournement ce week-end, en espérant nous faire croire, dans un but de communication politique et d’électoralisme primaire, qu’il était exorcisé de ses vieux démons.
Ainsi, de la même façon que vous avez repris la théorie de la complaisance à votre compte, ce parti reprend le discours populiste au ton artificiellement ouvriériste tenu par Nicolas Sarkozy en 2007. C’est une belle gageure à deux temps qui nous confirme que vous êtes avec eux, tandis que nous, nous sommes contre eux et contre vous.
Cela dit, il est vrai qu’une guerre de mouvement suppose théoriquement une infanterie légère. C’est précisément sur ce point-là que cette comparaison trouverait un sens.
Malgré le ton et la philosophie martiales du texte, qui soulignent les menaces en tous genres pour justifier l’incohérence des mesures mises en place, police et gendarmerie n’échappent pas à l’arbitraire arithmétique de la révision générale des politiques publiques.
Les deux précédentes lois avaient lancé l’offensive : 3 500 postes de gendarmes supprimés d’ici à 2012, suppression de 4 829 équivalents temps plein dans la police au cours des trois ans à venir, sans oublier, bien évidemment, le gigantesque plan social de la loi de programmation militaire pour les années 2009 à 2014, qui supprime encore plus de 50 000 postes.
La réduction des budgets de fonctionnement, la baisse des effectifs de la police nationale au profit des polices municipales ou de sociétés de sécurité privées ne se conjuguent que pour aggraver l’insécurité.
La police, prérogative régalienne par excellence, ne se délègue pas. Il s’agit d’un choix de société, car seule une sécurité à la charge de l’État peut s’appliquer de façon identique en chaque endroit du territoire, sans disparité entre municipalités riches ou municipalités pauvres.
Or on compte aujourd’hui plus de 18 000 policiers municipaux. Leur effectif a donc connu une augmentation de 120 % en six ans, à la charge des collectivités, dont les dotations financières, je le rappelle, sont gelées pour les trois ans à venir.
M. Roland Courteau. Eh oui !
Mme Éliane Assassi. Vous appelez cela du partenariat ; visiblement, nous ne donnons pas le même sens à ce mot…
Cette externalisation se poursuit sans relâche au profit des sociétés de sécurité privées, vaguement encadrées par un Conseil national des activités privées de sécurité, dont nous refusons pour notre part la création.
Il y a aujourd’hui 170 000 agents de sécurité pour 220 000 policiers et gendarmes. Cette substitution dramatique se justifierait par des économies budgétaires.
Lorsque l’on sait ce que coûteront l’installation de 60 000 caméras et les frais de personnel qui y sont liés – raison pour laquelle, d’ailleurs, vous proposez de mettre à contribution les opérateurs privés pour le visionnage des images –, autant dire que ces arguments financiers ne tiennent définitivement pas la route.
Il est vrai que les services de ces prestataires privés coûtent trois fois moins cher, à la différence notable qu’ils sont moins bien formés et que la seule éthique de ces entreprises est le profit et non l’intérêt général, celui-là même dont vous êtes censé être le garant.
Le présent texte demeure cet agrégat hétéroclite de dispositions techniques ou vaste « fourre-tout » législatif, et sa philosophie reste la même. Il est le reflet de valeurs délétères que vous entendez imposer à notre société et qui s’articulent autour de la répression, de l’exclusion, du contrôle fiché ou filmé et de l’enfermement.
Pour notre part, monsieur le ministre, nous considérons que la sécurité est une question transversale qui passe par l’existence et le développement de la qualité des services publics, que ce soient la police, la justice, l’éducation. Autrement dit, notre position est aux antipodes de la politique réactionnaire et répressive que vous vous acharnez à promouvoir malgré les nombreux échecs par lesquels elle se solde. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. François Zocchetto.
M. François Zocchetto. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si le texte qui nous est soumis aujourd’hui a mis longtemps à être examiné successivement par nos deux assemblées, c’est d’abord parce qu’il s’agit d’un texte dense dont le volume n’a cessé de croître. On est bien loin des 46 articles du texte initialement présenté par le prédécesseur de M. le ministre de l’intérieur, puisque, en deuxième lecture, nos collègues députés étaient saisis de 110 articles.
Mais, au-delà de sa « taille », le fond du texte a également beaucoup évolué, notamment grâce aux travaux du Sénat.
On se souvient que la première lecture du projet de loi au Sénat avait été marquée par l’examen d’une série d’amendements déposés par le Gouvernement, amendements qui avaient très sérieusement modifié la tonalité du texte. Ils avaient suscité un vif débat, aussi bien en commission qu’en séance publique. Toujours est-il que, sur l’ensemble de ces sujets, nous étions parvenus, notamment grâce au travail de M. le rapporteur, à un équilibre qui avait permis au Sénat de voter ce texte.
Il faut le reconnaître, cet équilibre trouvé par le Sénat a été mis à mal à l’Assemblée nationale.
Qu’il s’agisse des peines planchers ou des périodes de sûreté, les députés ont écarté les garde-fous que nous avions prévus et les précisions que nous avions apportées. L’Assemblée nationale est même allée au-delà du dispositif initialement proposé au Sénat par le Gouvernement.
Aussi, je tiens à saluer les travaux de la commission des lois et de son rapporteur, Jean-Patrick Courtois, qui ont su faire preuve de persévérance et qui, sur tous ces sujets, ont voulu en revenir à la rédaction initialement adoptée par le Sénat.
Concernant l’application des peines planchers à des primo-délinquants, j’avais déjà fait part de mon scepticisme en première lecture, scepticisme partagé par de nombreux collègues dans divers groupes.
En effet, jusqu’à présent, la législation relative aux peines planchers prévoyait des dispositions spécifiques pour les primo-délinquants. En tant que rapporteur de la loi ayant prévu ce type de peine, je puis témoigner que nous avions eu toutes les difficultés à élaborer un texte recevable sur le plan constitutionnel et acceptable par la magistrature.
De fait, je ne suis toujours pas convaincu par la nécessité de ce dispositif, qui semble difficilement compatible avec l’un des principes importants notre droit pénal, à savoir la personnalisation des peines.
Par ailleurs, il est à craindre que les dispositions contenues dans le présent texte ne soient contraires à la Constitution. Comme le relève notre collègue Jean-Patrick Courtois dans son rapport, le Conseil constitutionnel avait validé le dispositif des peines planchers en 2007 en raison de l’état de récidive légale, qui « constitue en elle-même une circonstance objective de particulière gravité ».
J’approuve donc pleinement les aménagements réintroduits par la commission, qui permettront de limiter l’application des peines planchers aux cas de violences les plus graves ayant entraîné une incapacité temporaire de travail de quinze jours au moins.
Concernant l’allongement de la durée de la période de sûreté pour les auteurs d’un assassinat commis sur un dépositaire de l’autorité publique, le Sénat avait à juste titre voté un dispositif présenté par Jean-Jacques Hyest, Nicolas About et Gérard Longuet prévoyant que cette peine serait applicable uniquement si ces crimes avaient été commis avec circonstance aggravante de guet-apens ou de bande organisée.
Nous ne voulons pas nous laisser enfermer dans un raisonnement selon lequel il y aurait d’un côté des laxistes, qui refuseraient le texte proposé par le Gouvernement et, de l’autre côté, des personnes sérieuses, qui l’approuveraient. Nous voulons simplement conserver le principe de hiérarchisation des peines et assurer aux forces de sécurité et à la justice leur pleine efficacité.
Or les députés ont supprimé ces exigences tenant aux circonstances aggravantes et une telle modification remet en cause le principe de proportionnalité entre l’infraction commise et la peine encourue.
Je ne répéterai pas ce que j’avais déclaré lors de la première lecture de ce projet de loi, mais bien d’autres crimes tout aussi odieux les uns que les autres nécessiteraient aussi une aggravation des peines encourues.
M. François Zocchetto. Il faut savoir garder raison et conserver à l’esprit la nécessaire proportionnalité des peines.
Enfin, concernant la procédure de convocation par officier de police judiciaire, aujourd’hui applicable aux seuls majeurs, nous saluons le retour au texte voté en première lecture, qui présente des garanties bien supérieures, notamment eu égard au risque de contradiction avec le principe constitutionnel de spécialité de la procédure pénale applicable aux mineurs.
Je dirai maintenant un mot sur l’aménagement des délais nécessaires pour reconstituer le capital de points du permis de conduire, sujet introduit sur l’initiative de notre collègue Alain Fouché en première lecture.
Au sein de chaque groupe, les avis divergent sur cette question. Au nom de mon groupe, je me félicite des modifications apportées par les députés, qui permettent d’assouplir les règles de récupération de points pour les infractions les moins graves, tout en évitant que soit envoyé un mauvais signal.
À titre personnel – cette opinion n’engage que moi ; elle n’engage ni mon groupe ni son président –, je suis très circonspect à l’égard de ces modifications apportées au code de la route.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Moi aussi !
M. François Zocchetto. Je comprends que plusieurs de nos collègues veuillent faire plaisir à certains de nos concitoyens, mais faisons très attention, car les chiffres, qui ont été rappelés tout à l’heure par M. le ministre de l’intérieur, parlent d’eux-mêmes : en quelques années, le nombre des tués sur la route est passé de 18 000 à 8 200 en 2000, chiffre divisé par deux dix années plus tard.
Ce résultat n’a pas été obtenu par l’opération du Saint-Esprit ou par un coup de baguette magique. Pour ma part, je suis persuadé que la législation élaborée ces dernières années, aussi coercitive soit-elle, a fait œuvre de pédagogie, notamment auprès des jeunes conducteurs, et ce de façon considérable. Aussi, je le répète, soyons très prudents avant d’envisager toute modification des règles en la matière !
M. Jean-Jacques Hyest. Très bien !
M. François Zocchetto. Une disposition introduite par les députés a fait couler beaucoup d’encre : je veux parler de la peine d’interdiction du territoire français. Certains ont même parlé de la création d’une double peine. Reprenons nos esprits et rappelons quelques éléments.
Notre droit positif actuel prévoit que, lorsqu’un criminel de nationalité étrangère est jugé par une cour d’assises, il peut encourir une peine complémentaire d’interdiction du territoire français. Cette peine est apparue dans notre droit dans les années soixante-dix. La disposition introduite par amendement à l’Assemblée nationale ne crée donc aucunement une peine nouvelle ; ceux qui voudraient le faire croire ont des intentions peu louables et font preuve de mauvais esprit. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Jacques Mirassou. C’est ridicule !
M. François Zocchetto. On peut approuver ou regretter l’existence de cette peine d’interdiction du territoire français,…
M. Jean-Jacques Mirassou. Nous la regrettons !
M. François Zocchetto. … mais le présent texte ne la crée pas !
Si vous la regrettez, pour ma part, je l’approuve totalement.