M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 135 est présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de gauche.
L'amendement n° 344 rectifié est présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Après l'article 17, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au neuvième alinéa (7°) de l'article L. 313-11 du même code, les mots : « liens personnels et familiaux » sont remplacés par les mots : « liens personnels ou familiaux ».
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour défendre l’amendement n° 135.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. L’article L. 313-11 du CESEDA est relatif à la délivrance de plein de droit de la carte de séjour temporaire portant la mention « vie privée et familiale » à certaines catégories de personnes.
Est notamment concerné « l’étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui n’entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France […] sont tels que le refus d’autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus ».
Nous proposons de remplacer les mots : « liens personnels et familiaux » par les mots : « liens personnels ou familiaux ».
Des instruments internationaux ratifiés par la France tels que la Convention européenne des droits de l’homme et le Pacte international relatif aux droits civils et politiques donnent une définition large de la notion de « vie privée et familiale » qui est loin d’être appliquée par l’administration et les juridictions administratives en France.
Il est pourtant nécessaire que cette notion soit appréhendée dans sa globalité, sans occulter les liens personnels, les relations sociales, amicales ou professionnelles que les étrangers tissent en France et qui leur permettent une insertion dans la société.
M. le président. La parole est à M. Alain Anziani, pour présenter l'amendement n° 344 rectifié.
M. Alain Anziani. Cet amendement vise à distinguer, d’un côté, le lien familial, de l’autre, les relations sociales, amicales ou professionnelles.
En la matière, j’irai un peu plus loin que ce qui vient d’être excellemment dit : dès l’instant où il y a une ambiguïté d’interprétation, pourquoi ne pas nous « caler » sur la Convention européenne des droits de l’homme ? Ce n’est pas la plus mauvaise boussole et, à mon avis, nous ne pouvons qu’y gagner !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable.
Il ne s’agit pas de faire le choix entre un système cumulatif ou un système exclusif. L’expression : « liens personnels et familiaux » constitue un terme générique et désigne une entité, un tout : conformément aux dispositions législatives, on apprécie la situation à la fois personnelle et familiale.
À cet effet, le juge doit disposer d’un faisceau d’éléments contribuant à le convaincre qu’il convient d’accorder le titre de séjour.
Les préoccupations évoquées par les auteurs des amendements sont d’ailleurs déjà prises en compte par le juge administratif, qui utilise de plus en plus largement le critère tiré de l’insertion de l’étranger dans la société française pour examiner si le refus de titre de séjour est de nature à porter atteinte à son droit à une vie privée et familiale, en se fondant notamment sur sa participation à la vie associative et artistique régionale, à son intégration professionnelle et à sa maîtrise de la langue française.
Ces exemples tirés de la jurisprudence montrent que le juge administratif va donc bien au-delà de la différenciation proposée, qui ne nous paraît pas raisonnable.
La commission a donc émis un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Philippe Richert, ministre. Les auteurs de ces deux amendements proposent une révolution conceptuelle qui consiste à remplacer l’expression « liens personnels et familiaux » par l’expression « liens personnels ou familiaux »…
En réalité, l’article L. 313-11 du CESEDA tient fidèlement compte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme et la proposition d’évolution terminologique ne répond à aucune difficulté identifiée par quiconque pour l’instant, à notre connaissance du moins.
La rédaction actuelle vise précisément à prendre en compte le fait que la vie privée et familiale forme un tout indissociable et que c’est sous cet angle global que le préfet doit examiner les demandes.
Je rappelle d’ailleurs que l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme mentionne bien le concept de « vie privée et familiale ». On pourrait prendre parti dans ce combat du « et » et du « ou » et modifier cette convention, mais je ne crois pas que ce soit le lieu pour enfourcher un tel cheval de bataille !
L’avis du Gouvernement est donc défavorable.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 135 et 344 rectifié.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. L'amendement n° 137, présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de gauche, est ainsi libellé :
Après l'article 17, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après 9° de l'article L. 314-11 du même code, il est inséré un 10° ainsi rédigé :
« 10° À l'étranger qui est en situation régulière depuis plus de dix ans ou qui a travaillé régulièrement en France, pendant plus de cent vingt mois cumulés ; »
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le ministre, vous alternez curieusement entre le souci de la précision et celui du flou, qui laisse à l’autorité administrative une grande marge d’interprétation.
À travers cet amendement, nous souhaitons modifier une nouvelle fois l’article L. 314-11 du CESEDA relatif à la délivrance de plein droit d’une carte de résident pour certaines catégories de personnes protégées des expulsions.
Nous proposons d’ajouter à la liste des bénéficiaires l’étranger qui est en situation régulière depuis plus de dix ans ou qui a travaillé régulièrement en France pendant plus de cent vingt mois cumulés, sauf s’il a été, durant toute cette période, titulaire d’une carte de séjour temporaire portant la mention « étudiant ».
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, il s’agit de protéger les travailleurs migrants en fonction de la pérennité de leur emploi et d’imposer la délivrance d’un titre de séjour au bénéfice des personnes qui sont dans des situations semblables à celles des travailleurs saisonniers habituels.
Il est d’autant plus important de protéger ces travailleurs qu’ils ont contribué et contribuent encore à créer de la richesse dans notre pays, raison pour laquelle, d’ailleurs, les employeurs ont recours à eux. Nous vous proposons donc d’en tenir compte et ainsi de faire en sorte que chacun puisse apprécier en toute connaissance de cause !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Je voudrais rappeler que le droit positif permet d’ores et déjà à un étranger présent sur le territoire en situation régulière de se voir délivrer une carte de résident au terme de cinq ans de résidence dès lors qu’il dispose de ressources suffisantes et que son intégration républicaine est avérée.
Il ne paraît pas nécessaire d’aller au-delà en prévoyant une délivrance de plein droit, c’est-à-dire sans condition de ressources ni d’intégration, pour les étrangers qui auraient travaillé dix ans en situation régulière en France.
La commission des lois a donc émis un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Philippe Richert, ministre. Pour les mêmes raisons, le Gouvernement émet également un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. L'amendement n° 139, présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de gauche, est ainsi libellé :
Après l'article 17, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Les étrangers, qui à la date d'entrée en vigueur de la présente loi, sont titulaires d'une carte de séjour temporaire d'un an les autorisant à travailler, reçoivent de plein droit une carte de résident à la première échéance de l'un de ces titres de séjour ou de travail.
La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nous restons dans le même sujet !
Les législations restrictives en matière de droit au séjour issues des lois successives ont précarisé la situation des étrangers et élevé des obstacles les empêchant d’accéder, notamment, à l’emploi et au logement. En effet, comment peut-on s’intégrer socialement et professionnellement lorsque l’on possède une carte de séjour d’un an et que l’on ignore si, demain, elle sera renouvelée ?
Là encore, chacun interprète à sa façon. Par exemple, les bailleurs considèrent souvent qu’un an ne constitue pas une durée suffisante et refusent, le cas échéant, la location du logement.
L’intégration suppose un minimum de stabilité dans l’exercice du droit au séjour permettant, dans le pays d’accueil, un véritable ancrage qui ne soit pas soumis aux aléas ou à la précarité.
Monsieur le ministre, vous vous servez de l’intégration comme d’un obstacle supplémentaire à la régularisation des personnes en situation irrégulière. Pour vous, la délivrance d’un titre de séjour est la récompense de l’intégration. Or il faut d’abord se préoccuper de la mise en place des moyens permettant cette intégration !
Mes chers collègues, je vous rappelle à cet égard que la carte de résident de dix ans, créée en 1984 et votée alors à l’unanimité par le Parlement, a constitué un élément légal d’intégration de dizaines de milliers de migrants qui se sont par la suite intégrés.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Comme je viens de le souligner, le droit en vigueur ne permet d’accéder à une carte de résident qu’à partir de cinq ans de résidence sur le territoire ou, sous certaines conditions, de trois ans.
À travers cet amendement, il est proposé d’abaisser ce seuil à un an. Il me semble que ces préoccupations sont partiellement prises en compte par le droit positif, puisque certaines cartes de séjour délivrées pour raisons professionnelles peuvent avoir une durée de validité pluriannuelle.
Tel est déjà le cas, par exemple, des cartes « salarié en mission », « compétences et talents » ou, à l’expiration du premier titre, les cartes « étudiant » ou « scientifique ». Les dispositifs relatifs à la carte bleue européenne, qui sont précisés dans le projet de loi que nous examinons aujourd’hui, prévoient également cette pluriannualité.
Par conséquent, la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Philippe Richert, ministre. À travers cet amendement, vous voulez rendre systématique la délivrance d’une carte de résident à tout étranger dont le premier titre de séjour l’autorisant à travailler arrive à échéance.
À l’heure actuelle, le renouvellement de ce titre de séjour est accordé dès lors que les conditions initiales de délivrance sont respectées. Ces dispositions participent – vous l’aurez compris – à la protection de l’ordre public social.
En effet, il ne faut pas perdre de vue que c’est l’exercice d’une activité professionnelle qui permet la délivrance d’un titre de séjour autorisant le travail. Il est normal que, pendant les premières années de présence en France, l’administration s’assure que cette condition est toujours remplie avant d’accorder une carte de résident.
Par conséquent, le Gouvernement émet également un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 139.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 17 bis
(Non modifié)
Le 3° de l’article L. 313-11 du même code est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« La carte de séjour temporaire portant la mention “vie privée et familiale” délivrée dans les conditions prévues à l’alinéa précédent a une durée de validité identique à la durée de la carte de séjour du parent ou du conjoint titulaire d’une carte de séjour portant la mention “carte bleue européenne”, “compétences et talents” ou “salarié en mission”. La carte de séjour est renouvelée dès lors que son titulaire continue à remplir les conditions définies par le présent code. »
M. le président. L'amendement n° 326, présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mme Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 1
Remplacer cet alinéa par cinq alinéas ainsi rédigés :
L'article L. 313-11 du même code est ainsi modifié :
1° À la première phrase du 2° bis, les mots : «, depuis qu'il a atteint au plus l'âge de seize ans, au service de l'aide sociale à l'enfance et sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de la formation, de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d'origine et », sont remplacés par les mots : « au service de l'aide sociale à l'enfance et sous réserve » ;
2° Après le 2° bis, il est inséré un 2° ter ainsi rédigé :
« 2° ter À l'étranger qui, avant d'être confié au service de l'aide sociale à l'enfance, a pu être victime de réseaux de traite humaine ou d'exploitation et qui ne sont plus soumis au contrôle de tels réseaux. La condition prévue à l'article L. 311-7 ne s'applique pas. » ;
« 3° Le 3° est complété par un alinéa ainsi rédigé :
La parole est à M. Charles Gautier.
M. Charles Gautier. Les dispositions de l’article L. 313-11 du CESEDA qui prévoient la régularisation des mineurs étrangers confiés à l’aide sociale à l’enfance, l’ASE, ainsi que la délivrance d’une carte de séjour « vie privée et familiale » comportent des conditions dont la plupart sont difficiles à remplir.
Il en est ainsi du caractère réel et sérieux du suivi de la formation par le mineur et de la nature de ses liens avec la famille restée dans le pays d’origine. Ce sont deux points très difficiles à vérifier, vous en conviendrez ! Par conséquent, mes chers collègues, nous vous proposons de supprimer tout simplement cette mention.
Une carte temporaire de séjour portant la mention « vie privée et familiale » pourrait ainsi être délivrée à l’étranger durant sa dix-huitième année, à la seule condition qu’il ait été confié aux services de l’aide sociale à l’enfance avant l’âge de seize ans.
Par ailleurs, il convient de porter une attention toute particulière aux mineurs victimes de réseaux mafieux. Dans cette perspective, nous proposons d’insérer dans le même article la possibilité de délivrer une carte de séjour temporaire aux étrangers qui, avant d’être confiés aux services d’aide sociale à l’enfance, ont pu être victimes de traite humaine ou d’exploitation.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Cet amendement prévoit la délivrance de plein droit d’un titre de séjour à l’ensemble des mineurs isolés qui ont été confiés à l’ASE, quel qu’ait été leur âge d’entrée sur le territoire et quel que soit le sérieux de leurs efforts d’intégration. Ces dispositions pourraient également profiter aux mineurs victimes de la traite.
Je me dois d’apporter quelques précisions.
À l’heure actuelle, un titre de séjour est délivré de plein droit aux jeunes majeurs entrés en France avant l’âge de seize ans sous réserve, notamment, du caractère sérieux de la formation suivie. La situation des mineurs isolés en France après seize ans, elle, est prise en compte par les dispositions de l’article 19 du présent texte, qui vise à permettre à l’autorité préfectorale de leur délivrer, à leur majorité, un titre de séjour dès lors qu’ils sont engagés dans une démarche sérieuse de formation.
Par ailleurs, je rappelle que, s’agissant des mineurs étrangers victimes de la traite ou d’autres infractions, le juge des enfants est toujours compétent pour ordonner l’ensemble des mesures nécessaires afin d’assurer la protection du mineur.
Enfin, s’agissant des jeunes majeurs qui ne pourraient se prévaloir d’une des dispositions du CESEDA concernant le droit au séjour, il faut préciser, encore une fois, que l’autorité administrative peut à tout moment délivrer une carte « vie privée et familiale » au regard de considérations humanitaires ou de motifs à caractère exceptionnel.
Ainsi, pour la commission des lois, le droit en vigueur permet déjà largement de régler les situations évoquées par les auteurs de cet amendement.
Elle émet donc un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Philippe Richert, ministre. Monsieur Charles Gautier, vous formulez deux propositions sur le droit au séjour des mineurs étrangers confiés à l’Aide sociale à l’enfance et entrés en France après l’âge de seize ans.
Tout d’abord, vous voulez supprimer dans l’examen du droit à un titre de séjour l’appréciation des liens avec la famille restée dans le pays d’origine. Or la Convention internationale relative aux droits de l’enfant valorise ces liens. Il serait arbitraire de les écarter au seul motif que l’enfant vient d’atteindre sa majorité. Leur prise en compte permet une appréciation objective et complète de la situation personnelle de l’intéressé au regard de son droit au séjour.
Par ailleurs, vous souhaitez garantir l’octroi d’un titre de séjour dès lors que le mineur étranger a été victime d’un réseau mafieux.
Le Gouvernement partage évidemment votre volonté de protéger les étrangers vulnérables, en particulier les mineurs et les jeunes majeurs. À cet effet, un dispositif est déjà prévu par l'article L. 313-14 du CESEDA relatif à la délivrance d’une carte de séjour pour des considérations humanitaires. La traite des êtres humains fait évidemment partie de ces dernières.
Enfin, il convient de souligner que les cartes de séjour temporaire « salarié » et « travailleur temporaire » sont les mieux adaptées pour ce public dans une perspective d’insertion et d’acquisition d’une expérience professionnelle valable aussi bien en France que dans le pays d’origine.
Vous l’aurez compris, nous sommes très sensibles aux arguments que vous avez exposés. Toutefois, pour les raisons que je viens d’évoquer, le Gouvernement est défavorable à cet amendement.
M. le président. Je mets aux voix l'article 17 bis.
(L'article 17 bis est adopté.)
Article 17 ter
(Supprimé)
M. le président. L’amendement n° 95 rectifié, présenté par MM. Nègre, P. Dominati, Beaumont, Milon et Houel, est ainsi libellé :
Rétablir cet article dans la rédaction suivante :
À la première phrase du 11° de l'article L. 313-11 du même code, les mots : « qu'il ne puisse effectivement bénéficier » sont remplacés par les mots : « de l'indisponibilité ».
La parole est à M. Philippe Dominati.
M. Philippe Dominati. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’article 17 ter de ce projet de loi ne vise, ni plus ni moins, qu’à faire appliquer à la lettre la loi du 11 mai 1998 relative à l’entrée et au séjour des étrangers en France et au droit d’asile, dite « RESEDA », qui a précisé le régime de droit au séjour des étrangers malades.
Cette loi permet à l’administration de délivrer un titre de séjour à un étranger lorsque le défaut de prise en charge médicale pourrait entraîner des conséquences d’une exceptionnelle gravité, sous réserve que l’intéressé ne puisse effectivement bénéficier d’un traitement approprié dans son pays d’origine.
En 2009, 5 550 cartes « étranger malade » ont ainsi été délivrées. Cet amendement n’a nullement pour objet de remettre en question ce régime.
Simplement, la jurisprudence du Conseil d’État a étendu le champ de ce dispositif bien au-delà des exigences de la loi et de la Cour européenne des droits de l’homme.
Par un arrêt du 7 avril 2010, le Conseil d’État a radicalement modifié l’appréciation en la matière. Il associe désormais l’impossibilité de recevoir un traitement approprié à la question du coût de celui-ci. La charge de la preuve en est devenue très complexe pour l’administration. Au total, cette jurisprudence ménage une très forte dose de subjectivité là où la loi de 1998 avait au contraire introduit des critères objectifs.
L’objet de cet amendement consiste donc à revenir à ce qui avait été l’intention initiale du rapporteur de la commission des lois de l’Assemblée nationale, c'est-à-dire d’appliquer le statu quo de 1998.
En effet, il incombe au législateur de ramener dans l’esprit de la loi une jurisprudence qui, à force d’interprétation, s’en est beaucoup écartée. Nous avons déjà pu à plusieurs reprises corriger et réorienter l’application de la loi. C’était notamment dans cet état d’esprit que la commission des lois de l’Assemblée nationale avait introduit cet article.
Pour ma part, je regrette que notre commission des lois n’ait pas, dans sa majorité, maintenu ce dispositif. L’objet de cet amendement est donc de rétablir l’article dans sa rédaction initiale.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. La commission, qui a largement évoqué ce point lors de ses travaux, a émis un avis défavorable sur l’amendement n° 95 rectifié.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Philippe Richert, ministre. Monsieur Dominati, vous proposez de rétablir l’article 17 ter introduit par un amendement de la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale de la République de l’Assemblée nationale.
Cet article visait à préciser le cadre juridique du titre de séjour accordé à un étranger malade.
De quoi s’agit-il ?
La loi du 11 mai 1998 permet à l’administration de délivrer un titre de séjour à un étranger lorsque le défaut de prise en charge médicale pourrait entraîner des conséquences d’une exceptionnelle gravité, « sous réserve qu’il ne puisse effectivement bénéficier d’un traitement approprié dans le pays dont il est originaire. » Cette loi est aujourd’hui appliquée.
En 2009, 5 945 cartes « étranger malade » ont été délivrées. Les personnes concernées sont alors couvertes par la sécurité sociale.
Afin de dissiper tout malentendu, je vous indique, mesdames, messieurs les sénateurs, qu’il n’est aucunement question de remettre en cause ce régime. Mais, me direz-vous, pourquoi le présent projet de loi revient-il sur ce point ?
En réalité, l’article 17 ter résulte d’un fait nouveau. Ainsi dans l’arrêt Jabnoun du 7 avril 2010, le Conseil d’État a étendu le champ d’application du titre « étranger malade ». Il prend désormais en compte le coût du traitement dans le pays d’origine. Cette jurisprudence introduit de la subjectivité dans l’interprétation des règles, alors que la loi de 1998 fixe, au contraire, des critères objectifs.
Le Conseil d’État va donc au-delà des exigences de la loi, et même de celles de la Cour européenne des droits de l’homme.
L’application concrète de cette jurisprudence a donné lieu à des aberrations. Au mois de juillet dernier, un tribunal administratif a admis le droit au séjour d’une femme marocaine qui souffrait d’un état anxio-dépressif et qui avait fait valoir l’insuffisance de soins au Maroc sur la foi d’un simple article de presse !
Forte de ce constat, l’Assemblée nationale a adopté l’article 17 ter au mois d’octobre dernier, dans un souci de compromis. Alors que le rapporteur avait initialement proposé de subordonner l’octroi du titre de séjour à l’« inexistence » du traitement médical adéquat, c’est finalement le terme « indisponibilité » qui a été retenu, avec l’accord du Gouvernement.
La position adoptée est équilibrée : l’article 17 ter ne remet pas en cause le droit d’accorder un titre de séjour à un étranger malade ; il ne s’agit que d’appliquer à la lettre la loi du 11 mai 1998.
J’ai bien entendu les arguments développés tant par M. Dominati que par M. le rapporteur. Nous avons déjà eu l’occasion de débattre de cette question, mesdames, messieurs les sénateurs. En cet instant, compte tenu de l’état des discussions et des propositions formulées, il est souhaitable que le débat puisse être poursuivi et que la navette permette de rapprocher les positions des deux assemblées.
Aussi, monsieur Dominati, je vous demande de bien vouloir retirer l’amendement n° 95 rectifié.
M. le président. Monsieur Dominati, l'amendement n° 95 rectifié est-il maintenu ?
M. Philippe Dominati. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 95 rectifié est retiré.
(Mme Monique Papon remplace M. Gérard Larcher au fauteuil de la présidence.)