M. Alain Anziani. La loi du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l’immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité a officiellement et partiellement abrogé la double peine, qui recouvrait la possibilité de condamner les étrangers reconnus coupables d’une infraction pénale à une peine d’interdiction judiciaire du territoire et de les soumettre à un arrêté d’expulsion.
En 2003, le législateur a fixé une liste de personnes qui, à l’issue de leur peine, ne peuvent pas être expulsées, sauf en cas d’atteinte aux intérêts fondamentaux de l’État ou d’activités terroristes. II s’agit des étrangers arrivés en France avant l’âge de treize ans, de ceux qui vivent régulièrement en France depuis plus de vingt ans et de ceux qui résident régulièrement en France depuis plus de dix ans et qui sont mariés avec un ressortissant Français ou qui sont parent d’un enfant français.
J’aimerais citer un cas très concret qui montre que la double peine est encore en vigueur, celui d’un ressortissant marocain qui, l’été dernier, a été placé dans le centre de rétention administrative de Marseille, que vous connaissez bien, monsieur le président, … (Sourires.)
M. le président. Je n’y ai jamais séjourné ! (Nouveaux sourires.)
M. Alain Anziani. … dans l’attente d’une expulsion vers le Maroc, un pays dans lequel il n’a jamais vécu et où il n’a aucune attache familiale. Ce père d’un enfant français arrivé en France avec ses parents à l’âge de dix-huit mois, qui a fait l’objet de plusieurs condamnations pénales en 1998, est tombé sous le coup d’un arrêté d’expulsion. La loi de 2003 ne lui a pas été appliquée, alors qu’il faisait précisément partie des personnes qui auraient dû en bénéficier. Il a été placé une première fois en rétention à la fin de l’année 2006.
Puis, l’arrêté d’expulsion n’ayant pas été mis à exécution, il a entrepris plusieurs démarches afin d’en obtenir l’abrogation, sans succès. Il s’est donc retrouvé, au mois d’août dernier, placé une seconde fois en rétention. Aujourd'hui, il fait partie – je laisse cela à l’appréciation du ministre de l’intérieur ! – des étrangers qui ne peuvent être ni expulsés ni régularisés.
C'est la raison pour laquelle nous vous proposons, mes chers collègues, d’adopter cet amendement, qui réglera tous les cas de cette nature.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Outre qu’il vise à abroger les arrêtés d’expulsion antérieurs à la loi du 26 novembre 2003, cet amendement prévoit également le relèvement des interdictions judiciaires de territoire prises avant cette date.
Or je rappelle que le texte de 2003 a ouvert, pour un an, un droit au relèvement pour certains étrangers, non tenus à l’obligation de séjourner hors du territoire. Par la suite, un nouveau délai a été ouvert jusqu’au 25 janvier 2007.
Cet amendement prévoit un relèvement général, ce qui pose évidemment les mêmes problèmes que ceux que j’ai évoqués à propos des amendements précédents, que la Haute Assemblée a rejetés.
C’est pourquoi la commission a émis un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Philippe Richert, ministre. À la suite de mon avis précédent et dans la ligne de celui de M. le rapporteur, je suis défavorable à cet amendement.
M. le président. L'amendement n° 155, présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Après l'article 22, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l'article L. 541-4 du même code, il est inséré un article L. 541-5 ainsi rédigé :
« Art. L. 541-5. - L'interdiction du territoire français prise antérieurement à la loi n° 2003-1119 du 26 novembre 2003 relative à la maîtrise de l'immigration, au séjour des étrangers en France et à la nationalité, à l'encontre d'un étranger visé par les articles 131-30-1 et 131-30-2 du code pénal est relevée de plein droit. »
Cet amendement a déjà été présenté et a reçu un avis défavorable de la commission et du Gouvernement.
Je le mets aux voix.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 23
L’article L. 511-1 du même code est ainsi rédigé :
« Art. L. 511-1. – I. – L’autorité administrative peut obliger à quitter le territoire français un étranger non ressortissant d’un État membre de l’Union européenne, d’un autre État partie à l’accord sur l’Espace économique européen ou de la Confédération suisse et qui n’est pas membre de la famille d’un tel ressortissant au sens des 4° et 5° de l’article L. 121-1, lorsqu’il se trouve dans l’un des cas suivants :
« 1° Si l’étranger ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, à moins qu’il ne soit titulaire d’un titre de séjour en cours de validité ;
« 2° Si l’étranger s’est maintenu sur le territoire français au-delà de la durée de validité de son visa ou, s’il n’est pas soumis à l’obligation du visa, à l’expiration d’un délai de trois mois à compter de son entrée sur le territoire sans être titulaire d’un premier titre de séjour régulièrement délivré ;
« 3° Si la délivrance ou le renouvellement d’un titre de séjour a été refusé à l’étranger ou si le titre de séjour qui lui avait été délivré lui a été retiré ;
« 4° Si l’étranger n’a pas demandé le renouvellement de son titre de séjour temporaire et s’est maintenu sur le territoire français à l’expiration de ce titre ;
« 5° Si le récépissé de la demande de carte de séjour ou l’autorisation provisoire de séjour qui avait été délivré à l’étranger lui a été retiré ou si le renouvellement de ces documents lui a été refusé.
« La décision énonçant l’obligation de quitter le territoire français est motivée. Elle n’a pas à faire l’objet d’une motivation distincte de celle de la décision relative au séjour dans les cas prévus aux 3° et 5° du présent I, sans préjudice, le cas échéant, de l’indication des motifs pour lesquels il est fait application des II et III.
« L’obligation de quitter le territoire français fixe le pays à destination duquel l’étranger sera renvoyé en cas d’exécution d’office.
« II. – Pour satisfaire à l’obligation qui lui a été faite de quitter le territoire français, l’étranger dispose d’un délai de trente jours à compter de sa notification et peut solliciter à cet effet un dispositif d’aide au retour dans son pays d’origine. Eu égard à la situation personnelle de l’étranger, l’autorité administrative peut accorder, à titre exceptionnel, un délai de départ volontaire supérieur à trente jours.
« Toutefois, l’autorité administrative peut, par une décision motivée, décider que l’étranger est obligé de quitter sans délai le territoire français :
« 1° Si le comportement de l’étranger constitue une menace pour l’ordre public ;
« 2° Si l’étranger s’est vu refuser la délivrance ou le renouvellement de son titre de séjour, de son récépissé de demande de carte de séjour ou de son autorisation provisoire de séjour au motif que sa demande était ou manifestement infondée ou frauduleuse ;
« 3° S’il existe un risque que l’étranger se soustraie à cette obligation. Ce risque est regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants :
« a) Si l’étranger, qui ne peut justifier être entré régulièrement sur le territoire français, n’a pas sollicité la délivrance d’un titre de séjour ;
« b) Si l’étranger s’est maintenu sur le territoire français au-delà de la durée de validité de son visa ou, s’il n’est pas soumis à l’obligation du visa, à l’expiration d’un délai de trois mois à compter de son entrée en France, sans avoir sollicité la délivrance d’un titre de séjour ;
« c) Si l’étranger s’est maintenu sur le territoire français plus d’un mois après l’expiration de son titre de séjour, de son récépissé de demande de carte de séjour ou de son autorisation provisoire de séjour, sans en avoir demandé le renouvellement ;
« d) Si l’étranger s’est soustrait à l’exécution d’une précédente mesure d’éloignement ;
« e) Si l’étranger a contrefait, falsifié ou établi sous un autre nom que le sien un titre de séjour ou un document d’identité ou de voyage ;
« f) Si l’étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes, notamment parce qu’il ne peut justifier de la possession de documents d’identité ou de voyage en cours de validité, ou qu’il a dissimulé des éléments de son identité, ou qu’il n’a pas déclaré le lieu de sa résidence effective ou permanente, ou qu’il s’est précédemment soustrait aux obligations prévues par les articles L. 513-4, L. 552-4, L. 561-1 et L. 561-2.
« L’autorité administrative peut faire application du deuxième alinéa du présent II lorsque le motif apparaît au cours du délai accordé en application du premier alinéa.
« III. – L’autorité administrative peut, par une décision motivée, assortir l’obligation de quitter le territoire français d’une interdiction de retour sur le territoire français.
« L’étranger à l’encontre duquel a été prise une interdiction de retour est informé qu’il fait l’objet d’un signalement aux fins de non-admission dans le système d’information Schengen, conformément à l’article 96 de la convention signée à Schengen le 19 juin 1990. Les modalités de suppression du signalement de l’étranger en cas d’annulation ou d’abrogation de l’interdiction de retour sont fixées par voie réglementaire.
« Lorsque l’étranger ne faisant pas l’objet d’une interdiction de retour s’est maintenu sur le territoire au-delà du délai de départ volontaire, l’autorité administrative peut prononcer une interdiction de retour pour une durée maximale de deux ans à compter de sa notification.
« Lorsqu’aucun délai de départ volontaire n’a été accordé à l’étranger obligé de quitter le territoire français, l’autorité administrative peut prononcer l’interdiction de retour pour une durée maximale de trois ans à compter de sa notification.
« Lorsqu’un délai de départ volontaire a été accordé à l’étranger obligé de quitter le territoire français, l’autorité administrative peut prononcer l’interdiction de retour, prenant effet à l’expiration du délai, pour une durée maximale de deux ans à compter de sa notification.
« Lorsque l’étranger faisant l’objet d’une interdiction de retour s’est maintenu sur le territoire au-delà du délai de départ volontaire ou alors qu’il était obligé de quitter sans délai le territoire français ou, ayant déféré à l’obligation de quitter le territoire français, y est revenu alors que l’interdiction de retour poursuit ses effets, l’autorité administrative peut prolonger cette mesure pour une durée maximale de deux ans.
« L’interdiction de retour et sa durée sont décidées par l’autorité administrative en tenant compte de la durée de présence de l’étranger sur le territoire français, de la nature et de l’ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu’il a déjà fait l’objet ou non d’une mesure d’éloignement, et de la menace pour l’ordre public que représente sa présence sur le territoire français.
« L’autorité administrative peut à tout moment abroger l’interdiction de retour. Lorsque l’étranger sollicite l’abrogation de l’interdiction de retour, sa demande n’est recevable que s’il justifie résider hors de France. Cette condition ne s’applique pas :
« 1° Pendant le temps où l’étranger purge en France une peine d’emprisonnement ferme ;
« 2° Lorsque l’étranger fait l’objet d’une mesure d’assignation à résidence prise en application des articles L. 561-1 ou L. 561-2.
« Lorsqu’un étranger faisant l’objet d’une obligation de quitter le territoire français avec délai de départ volontaire assortie d’une interdiction de retour justifie, selon des modalités déterminées par voie réglementaire, avoir satisfait à cette obligation dans le délai imparti, au plus tard deux mois suivant l’expiration de ce délai de départ volontaire, l’interdiction de retour est abrogée. Toutefois, par décision motivée, l’autorité administrative peut refuser cette abrogation au regard de circonstances particulières tenant à la situation et au comportement de l’intéressé. »
M. le président. La parole est à M. Louis Mermaz, sur l'article.
M. Louis Mermaz. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’article 23 porte sur l’unification de la procédure administrative d’éloignement des étrangers en situation irrégulière et la création d’une interdiction de retour sur le territoire français.
Voici un article très important, mais qui témoigne du fait que l’insuffisance des effectifs – par exemple de la police aux frontières – et les entraves mises au fonctionnement du travail du juge judiciaire ont pour conséquence un durcissement des textes – ce n’est qu’un paradoxe apparent – et la voie ouverte à l’arbitraire.
Dans la mesure où les fonctionnaires de police ne peuvent pas être en nombre suffisant pour faire le travail nécessaire, avec tout le soin que cela nécessite, c’est effectivement la voie ouverte à l’arbitraire. Précisément, ce texte légalise des comportements arbitraires qui se sont installés au cours des temps et dont ont été les témoins tous ceux qui ont pu se rendre dans une zone d’attente comme Roissy.
Avec ce texte, le Gouvernement introduit en droit français l’une des dispositions les plus graves de la directive Retour. Là aussi, la façon dont procède le Gouvernement français est assez étonnante.
Souvent il se cache derrière l’Europe : il faut transposer la directive ! Mais, en l'occurrence, c’est oublier que le Gouvernement au Conseil de l’Europe et les parlementaires de droite au Parlement européen ont poussé dans le sens de plus de répression et de plus de dureté. Le fait de nous dire que nous devons forcément transposer une directive alors que nous en portons une très large responsabilité au niveau de l’Europe est donc d’une grande hypocrisie.
Tout étranger qui fait l’objet d’une mesure d’éloignement est susceptible, sur décision de l’administration, d’être frappé par une interdiction de retour, disons un bannissement, sur l’ensemble du territoire européen – excusez du peu ! – allant de deux ans à cinq ans, et fera l’objet d’un signalement dans le système d’information Schengen dont le législateur ne sait pas comment il pourra éventuellement sortir.
L’article 23 réforme les mesures d’éloignement que sont l’arrêté préfectoral de reconduite à la frontière, que nous connaissions, et l’obligation de quitter le territoire pour se mettre en conformité avec cette directive Retour.
Désormais, l’autorité administrative prononcera dans tous les cas une obligation de quitter le territoire et pourra choisir ou non d’assortir cette obligation d’un délai de départ volontaire de trente jours et d’une interdiction de retour sur le territoire.
Faisons bien attention à ceci : cette interdiction de retour pourra être prononcée à l’encontre d’un étranger qui fait l’objet d’une obligation de quitter le territoire, que le préfet lui ait ou non accordé un délai de départ volontaire. C’est dire que, en la personne du préfet, l’administration pourra décider ce qu’elle veut faire !
Cet article restreint les droits des étrangers en introduisant en droit français l’une des dispositions les plus redoutables de la directive Retour.
Selon le rapport de la commission des lois, « la décision de prononcer une interdiction de retour sera ainsi dans tous les cas une simple faculté pour l’administration ». Cette faculté s’appuiera sur des motifs qui sont de plus en plus nombreux et, nous le verrons tout à l’heure, qui sont particulièrement vagues : la sécurité publique – on a l’habitude ! –, le risque de fuite, le fait qu’on ne présentera pas des garanties suffisantes, etc. Il s’agit, en bref, de motivations excessivement floues.
C’est la tendance que suivent aujourd'hui les lois que nous votons, puisqu’elles sont recouvertes d’un flou de plus en plus important, d’où l’absence de sécurité juridique dans notre pays.
Pour toutes ces raisons, nous soutenons l’idée bien simple de supprimer purement et simplement cet article 23.
M. le président. La parole est à Mme Bariza Khiari, sur l'article.
Mme Bariza Khiari. Monsieur le ministre, vous justifiez le présent projet de loi, notamment son article 23, par la nécessité de transposer plusieurs directives européennes, principalement la directive 2008/115/CE. Vous prenez donc l’Europe comme bouc émissaire pour ne pas avoir à justifier vos choix. Cela vient d’être parfaitement illustré par les propos de mon collègue Louis Mermaz.
Cependant, quand on regarde dans le détail, le compte n’y est pas. Prenons les alinéas 14 à 20 de cet article qui détaillent les hypothèses pouvant autoriser l’administration à s’abstenir d’accorder un délai au départ volontaire.
Dans le texte de la directive, seules trois hypothèses sont envisagées : le risque de fuite, une demande de séjour régulier rejetée comme manifestement infondée, le cas de la personne qui présente un danger pour l’ordre public. Cette notion de danger fait l’objet d’une jurisprudence précise de la Cour de justice des Communautés européennes, qui en restreint l’application pour les citoyens communautaires. Si vous souhaitez faire un nivellement, au nom de l’égalité républicaine, nous supposons qu’il se fera par le haut.
Il existe trois possibilités dans la directive, mais huit dans votre texte. Cherchez l’erreur ! Où est la transposition ici ? Il nous semble que, sous couvert de transposition, vous avez surtout essayé de faire dans l’idéologie.
Je rappelle que, pour le législateur communautaire, le délai de départ est la règle et son absence l’exception. Dans votre texte, c’est le contraire...
Je poursuis : l’interdiction de retour constitue un recul très fort de nos valeurs. Il est vrai que cette possibilité est ouverte par le texte de la directive. Cependant, elle ne reste qu’une possibilité et c’est bien ainsi qu’elle doit être comprise par le juge. Nous espérons que vous serez clair sur ce sujet, monsieur le ministre.
Par ailleurs, cette disposition ne doit en aucune manière concerner les demandes d’asile. Votre texte est muet sur cette question pourtant essentielle. Les personnes qui demandent asile ne doivent pas voir leurs droits être rognés d’une quelconque manière. Non seulement c’est contraire à l’esprit et au texte de la convention de Genève, mais cela constitue un réel recul par rapport à nos valeurs.
En deux ans, beaucoup de choses peuvent évoluer dans de nombreux pays instables ; nous ne pouvons pas nous permettre de condamner à l’attente des personnes qui pourraient avoir recours à l’asile du fait d’une détérioration de la situation de leur pays.
Ce texte n’est pas à la hauteur des enjeux, et il se pare d’une valeur qu’il n’a pas. Il ne transpose pas la directive ; il en trahit parfois le sens ou en accentue la portée. C’est donc bien un texte idéologique plus que technique que vous nous présentez. En conséquence, vous comprendrez pourquoi nous avons déposé nos amendements.
M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.
L'amendement n° 41 rectifié est présenté par MM. Mézard et Collin, Mme Escoffier, MM. Baylet et Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi.
L'amendement n° 156 est présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche.
L'amendement n° 351 est présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Jacques Mézard, pour présenter l’amendement n° 41 rectifié.
M. Jacques Mézard. Par cet amendement, nous souhaitons supprimer l’article 23, qui illustre parfaitement la transposition ultra petita de la directive Retour que veut effectuer le Gouvernement.
Cet article institue deux dispositifs : l’ordre de quitter le territoire sans délai et l’interdiction de retour sur le territoire français, l’IRTF.
Il convient d’abord de rappeler qu’en fixant aux services de police des objectifs chiffrés d’expulsions on n’a fait qu’accroître de façon considérable le nombre de mesures d’éloignement ainsi que le volume du contentieux qui y est lié. En réalité, 80 000 mesures d’éloignement sont prononcées par voie administrative chaque année. Ce chiffre engendre un contentieux énorme et, de ce fait, les juridictions sont aujourd’hui complètement débordées.
L’obligation de quitter le territoire français sera décidée et mise à exécution par l’autorité administrative, sans délai pour procéder à un départ volontaire, et ce dans huit cas qui couvrent pratiquement toutes les situations d’entrée ou de maintien irrégulier sur le territoire.
En fait, l’obligation de quitter le territoire français, l’OQTF, continuera d’engendrer un contentieux très abondant, et la situation actuelle se maintiendra. La commission Mazeaud recommandait au contraire de réserver les mesures d’éloignement aux étrangers en situation d’être vraiment éloignés. Aujourd’hui, c’est l’inverse, puisqu’on essaie d’englober un maximum d’étrangers pour, ensuite, les éloigner en utilisant les OQTF.
La commission Mazeaud proposait également de développer les retours volontaires. La directive Retour est très incitative sur ce point. Mais, avec la solution de l’obligation de quitter le territoire français, les délais ne seront pas respectés, et l’on sait que les retours forcés ont un coût nettement supérieur à celui des retours volontaires.
La lettre et l’esprit de la directive Retour privilégient le départ volontaire et font de l’éloignement forcé un dernier recours. Or l’article 23 tend à faire du départ forcé le principe.
De même, alors que la directive prévoit seulement la possibilité de l’interdiction de retour sur le territoire, le texte qui nous est proposé rend cette interdiction bien plus facile à délivrer, même si, je le souligne, la commission a assoupli le régime voté par les députés.
La directive est claire en ce qu’elle donne la capacité aux États de proposer des délais de retour inférieurs au droit commun dans un certain nombre de cas limitatifs et motivés. Or, dans le texte, cette capacité se transforme en possibilité d’appliquer ce traitement à toutes les personnes présentes sur le territoire de façon irrégulière, sans exception.
Tout cela aboutit à un renversement de la charge de la preuve : l’administration pourra se contenter de motiver la procédure qu’elle engage par le seul constat de la présence irrégulière, tandis que c’est à l’étranger qu’il appartiendra de démontrer l’existence de circonstances particulières pour prouver qu’il n’était pas sur le point de fuir.
Par ailleurs, certaines hypothèses prévues par le projet de loi justifiant d’une obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire sont contraires à la directive Retour.
Cet article risque ensuite de rendre impossible l’effectivité de la demande d’asile. Le Haut-commissariat des Nations unies pour les réfugiés a d’ailleurs formulé de fortes réserves, en particulier à l’égard de cet article 23, ce qui justifie d’autant plus notre demande de suppression.
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour présenter l'amendement n° 156.
Mme Éliane Assassi. Cet article 23 est sans doute l’un des articles les plus graves du texte. Comme cela a été dit, il s’agit de transposer dans notre droit la directive Retour, que nous appelons, nous, la directive « de la honte » et que nous rejetons avec force.
Cette disposition, qui réécrit l’article L. 511-1 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile, d’une part, remplace par une procédure unique les deux procédures qui coexistaient pour éloigner les étrangers – l’obligation de quitter le territoire français et l’arrêté préfectoral de reconduite à la frontière – et, d’autre part, institue une peine de bannissement plus ou moins longue selon les cas de figure.
Cette OQTF est décidée et mise à exécution par l’autorité administrative, qui peut, de surcroît, obliger l’étranger à quitter sans délai le territoire français.
Je précise que cette OQTF sans délai de départ volontaire concerne quasiment toutes les situations d’entrée ou de maintien irrégulier sur le territoire.
Il sera difficile demain d’y échapper, mais, après tout, n’est-ce pas là le but recherché ? Cela permettra d’augmenter la proportion d’étrangers quittant effectivement le territoire, ce que n’a pas permis l’OQTF issue de la loi du 24 juillet dont le taux d’exécution s’élevait à 2,4% selon le rapport de M. Mazeaud publié en 2008.
Cette obligation de quitter le territoire français est assortie, dans certains cas, d’une interdiction de retour d’une durée variable, valable sur l’ensemble du territoire européen. L’étranger qui fait l’objet d’une telle mesure est signalé au système d’information Schengen.
Je précise que le Gouvernement n’a repris que les dispositions les plus sévères de la directive Retour, alors même qu’elle contient quelques mesures protégeant les migrants.
L’Assemblée nationale, qui a cru bon d’en rajouter, a fait du zèle lors de l’examen de cet article 23 et a durci encore le dispositif initial proposé par le Gouvernement, allant au-delà de ce que préconisait la directive européenne, à tel point que la commission des lois du Sénat, peut-être par crainte de la censure du Conseil Constitutionnel, a été obligée de revenir à la rédaction originelle s’agissant notamment du caractère facultatif, et non pas systématique comme le souhaitaient certains députés, de la mesure d’interdiction du territoire.
Bien évidemment, les quelques modifications apportées par la commission pour éviter la censure du Conseil Constitutionnel ne suffisent pas à faire passer la pilule, si vous me permettez cette expression, et ne peuvent masquer la gravité d’une telle disposition pour tous les étrangers et leurs défenseurs.
Ce dispositif, qui n’existe que pour mieux relancer la machine à expulser et atteindre les quotas d’expulsion que le Gouvernement se fixe à lui-même – oubliant totalement que, derrière ces chiffres, se trouvent des femmes, des enfants, des hommes –, va par ailleurs complexifier encore les procédures en matière d’éloignement du territoire.
Enfin, je précise que les décisions prévues par l’article 23 ne seront pas prises par un juge : elles sont laissées à l’arbitraire de l’administration et du préfet, qui peuvent décider de la durée du bannissement du territoire européen et de l’inscription au système d’information Schengen, fichier européen interdisant l’accès au territoire de l’espace Schengen pour une durée allant de deux à cinq ans.
Ces décisions pourront aussi bien concerner les demandeurs d’asile, au mépris de la convention de Genève, que les familles bénéficiaires du regroupement familial, portant ainsi atteinte à l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme.
D’ailleurs, le Haut commissariat des Nations unies pour les réfugiés a formulé de fortes réserves sur ce projet de loi en général et sur son article 23 en particulier.