M. le président. La parole est à M. Richard Yung, pour présenter l’amendement n° 351.
M. Richard Yung. L’article 23 du présent projet de loi vise à fusionner les mesures d’éloignement des étrangers en situation irrégulière existantes – OQTF et APRF – et à créer l’interdiction de retour sur le territoire français, ou IRTF.
Ces dispositions ne sont pas acceptables, car elles sont le fruit d’une interprétation abusive de la directive Retour.
Celle-ci prévoit, dans son article 7, trois hypothèses autorisant un État à ne pas accorder un délai de départ volontaire : la première est liée à l’existence d’un risque de fuite ; la deuxième, au rejet d’une demande de séjour régulier jugée manifestement non fondée ou frauduleuse ; la troisième, à l’existence d’un danger pour l’ordre public, la sécurité publique ou la sécurité nationale.
Ces dispositions traduisent la volonté du législateur communautaire d’encadrer étroitement les cas dans lesquels un État membre peut supprimer le délai accordé au migrant pour quitter volontairement le territoire.
Or les alinéas 11 à 20 de l’article 23 tendent à préciser que l’administration peut refuser d’accorder un délai de départ volontaire non plus dans trois cas, mais dans huit cas différents.
Les cas prévus aux alinéas 12 et 13 correspondent aux deux dernières situations envisagées par l’article 7 de la directive, alors que les six possibilités énumérées aux alinéas 14 à 20 ne sont pas prévues au niveau communautaire.
Les hypothèses décrites aux alinéas 15 à 17 sont particulièrement discutables.
Ainsi, s’abstenir de demander de titre de séjour est interprété comme le signe de ce que l’étranger concerné risque de se soustraire à l’obligation de quitter le territoire français. Or les pratiques préfectorales rendent difficile, et parfois impossible, le simple dépôt d’une demande de titre de séjour. Il arrive en effet que le guichet ne soit ouvert que pour vingt personnes, et seulement de dix heures à onze heures.
Par ailleurs, l’hypothèse envisagée à l’alinéa 20 ouvre la voie à l’arbitraire de l’administration, car il n’est pas rare qu’un étranger ne soit pas en possession d’un document de voyage ou d’identité en cours de validité, pour des raisons que l’on peut facilement imaginer quand on connaît les périples souvent effectués par ces personnes.
L’ensemble de ces hypothèses nous conduit à penser que la directive Retour, qui dispose que le départ volontaire doit être la règle, n’est pas respectée.
L’article 23 vise également à créer une interdiction de retour sur le territoire français, dont nous avons déjà parlé à plusieurs reprises. Nous considérons qu’il s’agit d’une double peine, injuste et même inique, en particulier parce qu’elle est extrêmement sévère. Cette interdiction, faisant fi des éventuels changements de situation de la personne intéressée, peut en effet se prolonger de deux ans à cinq ans, pour l’ensemble des vingt-sept pays de l’Union.
Telles sont les raisons pour lesquelles nous proposons de supprimer cet article.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet. L’article 23 fixe l’ensemble des mesures d’éloignement pouvant être prises à l’encontre des étrangers en situation irrégulière. Les auteurs de ces amendements de suppression marquent leur profond désaccord avec la refonte des mesures d’éloignement résultant de la transposition de la directive Retour, refonte qui permet pourtant de simplifier le droit en vigueur en substituant une mesure d’éloignement unique, l’obligation de quitter le territoire français, aux deux mesures qui préexistaient, à savoir l’OQPF et l’APRF, et en faisant du délai de départ volontaire la règle.
Ce dernier point est important puisque l’autorité administrative devra, le cas échéant, motiver de manière circonstanciée sa décision de ne pas accorder ce délai. Cet élément important du texte que nous examinons, qui n’a pas été évoqué jusqu’à présent, méritait d’être souligné.
Enfin, l’article 23 vise à introduire une interdiction administrative de retour sur le territoire, qui ne pourra être prononcée que dans des circonstances précises et en tenant compte de la situation personnelle de l’intéressé, la commission des lois ayant supprimé le principe d’automaticité de cette mesure.
Pour l’ensemble de ces raisons, la commission des lois a émis un avis défavorable sur ces trois amendements identiques.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Philippe Richert, ministre. Le Gouvernement est également défavorable à ces trois amendements.
Supprimer l’article 23 reviendrait tout simplement à supprimer la possibilité de réorganiser totalement les mesures d’éloignement, lesquelles seront désormais unifiées et remplacées par l’obligation de quitter le territoire français.
En effet, cet article prévoit, ni plus ni moins, d’intégrer dans la loi le principe du départ volontaire prévu par la directive Retour. Je suis donc surpris qu’il soit proposé aujourd’hui de renoncer à ce principe, pourtant favorable aux étrangers concernés puisqu’il privilégie les solutions les moins coercitives, conformément aux dispositions figurant dans les textes européens. La suppression de l’article 23 aurait évidemment pour conséquence d’annuler la priorité accordée au principe du départ volontaire.
Par ailleurs, cet article vise à introduire une interdiction de retour sur le territoire français. Sur ce point, je fais miennes les remarques qui viennent d’être formulées par M. le rapporteur.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Le vote sur ces trois amendements de suppression de l’article 23 sera un des moments importants de la discussion de ce projet de loi, comme le fut, la semaine dernière, le vote par lequel le Sénat s’est honoré en refusant l’extension de la déchéance de la nationalité.
« Déchéance » : voilà un mot qui pèse lourd. Nous avons donc expliqué combien il était salutaire de le supprimer, ce que la majorité du Sénat a fait.
Il est un autre mot qui fait mal, parce qu’il a une histoire, c’est celui de « bannissement ».
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Il ne s’agit pas de « bannir » : on n’a plus le droit de revenir, c’est tout !
M. Jean-Pierre Sueur. Du plus profond de l’histoire de la civilisation, du plus profond de la littérature, se pose la question de l’autre, de l’« aversier », comme l’on disait au Moyen-Âge, c'est-à-dire le diable, le réprouvé, l’exclu, le banni, contre lequel il est toujours possible de construire un système social.
Pour ma part, je n’aime pas beaucoup ce mot de « banni ».
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est vous qui l’utilisez !
M. Jean-Pierre Sueur. Je ne pense pas que notre civilisation progresse en instaurant, en cette année 2011, le bannissement.
Lorsque j’essaie de réfléchir aux raisons pour lesquelles une telle mesure serait nécessaire, je n’en trouve aucune et ni M. le ministre ni M. le rapporteur n’en ont avancé. Mais peut-être quelqu’un pourra-t-il en citer une.
Tout à l’heure, il a été démontré par M. Yung, par M. Anziani, par M. Mermaz, par Mme Khiari, que la directive Retour n’imposait pas d’instaurer le bannissement.
Par ailleurs, il a été rappelé à quel point l’Assemblée nationale avait voulu donner à cette affaire un caractère automatique, que M. le rapporteur – je lui en donne acte – s’est efforcé de faire disparaître.
Mes chers collègues, à cet égard, je tiens à vous rappeler la phrase qui figure dans le considérant 6 de la directive Retour : « Conformément aux principes généraux du droit de l’Union européenne, les décisions prises en vertu de la présente directive devraient l’être au cas par cas et tenir compte de critères objectifs, ce qui implique que l’on prenne en considération d’autres facteurs que le simple fait du séjour irrégulier. »
Je souligne également que, en 1993, le Conseil constitutionnel avait déjà censuré la notion d’interdiction de retour, que celle-ci soit automatique ou mécanique.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Quelle est la différence ?
M. Jean-Pierre Sueur. Mes chers collègues, il y a là un vrai problème de fond ! Je serais d’ailleurs très heureux, monsieur le président de la commission des lois, que vous me répondiez sur ce point.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. À quoi bon me fatiguer ?
M. Jean-Pierre Sueur. En effet, je ne comprends pas ce que notre pays gagne à instaurer, ce soir, le bannissement.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ce n’est pas un bannissement !
M. Jean-Pierre Sueur. Pour finir, permettez-moi, mes chers collègues, de citer les propos tenus par un parlementaire sur ce sujet :
« L’interdiction du territoire français, dont traite cet article, est à mes yeux une sorte de bannissement. Je ne cite qu’un seul exemple : les déboutés du droit d’asile pourront ainsi être bannis de notre territoire. Or le fait que ne leur soit pas reconnu le statut de réfugié ne signifie pas pour autant qu’ils n’ont pas été exposés à des persécutions dans leur pays d’origine.
« Parfois, ces personnes n’ont pu bénéficier des conditions matérielles et psychologiques indispensables à la constitution d’un dossier solide, notamment lorsqu’elles n’ont pu être accueillies dans les structures d’accueil telles que les CADA, les centres d’accueil des demandeurs d’asile, où le nombre de places est insuffisant : il y en a environ 21 000, alors qu’il en faudrait 30 000 ou 40 000. Ceux qui n’ont pu y accéder ont vu leur demande de protection rejetée. Faut-il pour autant les bannir de notre territoire et les renvoyer à leurs bourreaux ? »
C’est un député UMP, M. Etienne Pinte, qui s’oppose avec tant de force à ce bannissement.
Mme Bariza Khiari. Lui a des valeurs !
M. Jean-Pierre Sueur. Mes chers collègues, je souhaite vraiment que nous renoncions à voter une telle mesure. Si quelqu’un ici peut nous en expliquer l’intérêt, qu’il parle ! Sinon, notre décision ne sera fondée sur rien. La directive Retour ne nous impose absolument pas d’adopter, ce soir, le bannissement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 41 rectifié, 156 et 351.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. Jean-Pierre Sueur. Il n’y a pas eu d’explications !
M. le président. L'amendement n° 42 rectifié, présenté par MM. Mézard et Collin, Mme Escoffier, MM. Baylet et Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéa 8, première phrase
Compléter cette phrase par les mots :
et indique les délais et voies de recours
La parole est à Mme Françoise Laborde.
Mme Françoise Laborde. Cet amendement étant satisfait, je le retire.
M. le président. L’amendement n° 42 rectifié est retiré.
Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 43 rectifié est présenté par MM. Mézard et Collin, Mme Escoffier, MM. Baylet et Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi.
L'amendement n° 352 est présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 8, seconde phrase
Supprimer cette phrase.
La parole est à Mme Françoise Laborde, pour présenter l’amendement n° 43 rectifié.
Mme Françoise Laborde. La deuxième phrase de l’alinéa 8 de cet article contrevenant à l’obligation de motivation des décisions de retour, d’interdiction d’entrée et d’éloignement qu’impose l’article 12 de la directive Retour, nous vous demandons, mes chers collègues, de la supprimer.
M. le président. La parole est à M. Richard Yung, pour présenter l’amendement n° 352.
M. Richard Yung. L’alinéa 8 précise que la décision énonçant une OQTF ne fait pas l’objet d’une motivation distincte de celle de la décision relative au séjour.
Cette disposition, actuellement en vigueur, n’a plus guère de sens, car, dans le projet de loi, l’OQTF n’est plus liée à la décision de refus du séjour.
Elle est également, selon nous, contraire à la directive Retour, dont l’article 12 précise que les décisions de retour et, le cas échéant, les décisions d’interdiction d’entrée et les décisions d’éloignement sont rendues par écrit, indiquent leur motif de fait et de droit et comportent des informations relatives aux voies de recours possibles.
Nous pensons donc que, dans tous les cas, l’OQTF doit être motivée.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Ces deux amendements tendent à prévoir que l’OQTF doit être motivée même lorsqu’elle découle directement d’une décision sur le séjour.
L’obligation de motivation distincte a été logiquement supprimée dans ce cas particulier par la loi du 20 novembre 2007 : en effet, dès lors que le refus ou le retrait de titre de séjour est lui-même motivé et que les dispositions législatives qui permettent d’assortir le refus du séjour d’une obligation de quitter le territoire français ont été rappelées, une telle mesure n’est pas nécessaire.
Par conséquent, la commission émet un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 43 rectifié et 352.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. L'amendement n° 353, présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 9
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« À tout moment, l'autorité administrative peut décider d'accorder un titre de séjour autonome ou une autre autorisation conférant un droit de séjour pour des motifs humanitaires ou autres à un ressortissant de pays tiers en séjour irrégulier sur le territoire français.
La parole est à M. Louis Mermaz.
M. Louis Mermaz. Il s’agit pour nous d’un amendement de repli, car nous voulons au moins éviter le pire.
Il tend à accorder aux autorités préfectorales la possibilité de régulariser les migrants conformément à l’article 6, paragraphe 4, de la directive Retour.
En effet, les rédacteurs de cette directive, dont nous déplorons au demeurant l’approbation par l’institution européenne, y ont saupoudré, par-ci, par-là, quelques dispositions moins « raides » que d’autres et ont su parfois faire preuve d’un certain humanisme. Ainsi, son article 6, paragraphe 4, dispose : « À tout moment, les États membres peuvent décider d’accorder un titre de séjour autonome ou une autre autorisation conférant un droit de séjour pour des motifs charitables,… » – on sent là l’influence de la démocratie chrétienne, mais c’est toujours mieux qu’autre chose ! – « … humanitaires ou autres à un ressortissant d’un pays tiers en séjour irrégulier sur leur territoire. Dans ce cas, aucune décision de retour n’est prise. Si une décision de retour a déjà été prise, elle est annulée ou suspendue pour la durée de validité du titre de séjour ou d’une autre autorisation conférant un droit de séjour. »
La directive Retour autorise donc les États à s’abstenir d’ordonner le retour d’un étranger en situation irrégulière en procédant à la régularisation de sa situation.
J’ai parlé à l’instant de coloration démocrate chrétienne, mais on peut aussi, tout simplement, parler de « bons sentiments » !
Or le Gouvernement français, lui, pousse à la roue dans l’autre sens, vers plus de dureté, plus de répression et s’assoit sur les quelques espaces de liberté et d’humanité qu’ouvre cette directive.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Mais non !
M. Éric Doligé. Il faut bien s’asseoir quelque part ! (Sourires sur certaines travées de l’UMP.)
M. Louis Mermaz. Compte tenu de la philosophie du présent projet de loi, on ne s’étonnera pas de ne pas y retrouver ces dispositions protectrices pour les migrants.
Puisque les préfets savent parfois, en leur âme et conscience, faire preuve d’humanité, qu’ils puissent donc éviter le pire lorsqu’ils sont saisis de cas précis !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est ce qu’ils font !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur. Là encore, la commission a considéré que le champ de la disposition proposée dans cet amendement était beaucoup trop large.
En outre, plusieurs dispositions du CESEDA permettent de prendre en compte les situations visées par les auteurs de l’amendement, par exemple celles qui concernent les étrangers malades ou les victimes de violences conjugales.
La commission émet un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Philippe Richert, ministre. Cet amendement vise à préciser dans la loi que l’autorité administrative peut délivrer un titre de séjour alors même que les conditions légales ne sont pas remplies.
Une telle mention dans la loi est inutile ; il va de soi que, compte tenu de son pouvoir d’appréciation au cas par cas, le préfet peut accorder un titre de séjour à un étranger en situation irrégulière.
Par ailleurs, l’article 40 de la loi du 20 novembre 2007 a prévu la prise en compte de considérations humanitaires ou de motifs exceptionnels qu’il appartient à l’étranger de faire valoir pour la délivrance d’un titre de séjour. C’est le régime de l’admission exceptionnelle au séjour.
Par conséquent, le Gouvernement émet un avis défavorable.
M. le président. Je suis saisi de dix amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
Les amendements nos 160 et 357 sont identiques.
L'amendement n° 160 est présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du parti de gauche.
L'amendement n° 357 est présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Alinéas 11 à 21
Supprimer ces alinéas.
La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat, pour présenter l’amendement n° 160.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Nous estimons que certaines des hypothèses justifiant, selon le projet de loi, une OQTF sans délai de départ volontaire sont contraires à la directive Retour.
En effet, l’article 7, paragraphe 4, de la directive est très précis et envisage trois hypothèses dans lesquelles l’administration peut s’abstenir d’accorder un délai de départ volontaire : s’il existe un risque de fuite ; si une demande de séjour régulier a été rejetée comme étant manifestement non fondée ou frauduleuse ; si la personne concernée constitue un danger pour l’ordre public, la sécurité publique ou la sécurité nationale.
Cet article doit être interprété comme la manifestation par le législateur communautaire de sa volonté d’encadrer étroitement les cas dans lesquels l’État peut supprimer le délai accordé pour quitter le territoire.
Or l’article 23 du projet de loi va bien au-delà puisqu’il ne prévoit pas moins de huit hypothèses dans lesquelles l’administration peut refuser le délai de départ volontaire.
Cet article décline six possibilités de « risque de fuite », qui ne sont pas prévues par la directive européenne.
Nous considérons, par exemple, que le fait de ne pas avoir sollicité la délivrance d’un titre de séjour ne saurait être considéré comme l’intention de se soustraire à l’obligation de quitter le territoire français. En effet, trop souvent, les pratiques préfectorales rendent difficile, voire impossible le simple dépôt d’une demande de titre de séjour.
De même, le fait de ne pas être en possession d’un document de voyage ou d’identité en cours de validité ne saurait être considéré comme la volonté de se soustraire à l’obligation de quitter le territoire français tant il est difficile d’en obtenir le renouvellement auprès de certains consulats en France, en l’absence notamment d’un titre de séjour en cours de validité.
L’ensemble de ces hypothèses et le caractère très large des critères retenus laissent un pouvoir discrétionnaire à l’administration pour refuser un délai de départ volontaire.
Je précise que, dans une décision rendue le 18 octobre 2006, le Conseil d’État a précisé la notion de fuite, qui doit, selon lui, « s’entendre comme visant notamment le cas où un ressortissant étranger non admis au séjour se serait soustrait de façon intentionnelle et systématique au contrôle de l’autorité administrative dans le but de faire obstacle à l’exécution d’une mesure d’éloignement le concernant ». Tel n’est pas le cas dans les hypothèses retenues à l’article 23.
Pour toutes ces raisons, nous vous proposons d’adopter au moins cet amendement de repli.
M. le président. La parole est à M. Louis Mermaz, pour présenter l’amendement n° 357.
M. Louis Mermaz. Par cet amendement, nous proposons de supprimer la possibilité pour l’administration de prononcer une OQTF sans délai de départ volontaire. De fait, cette mesure s’apparente à une expulsion brutale et à une interdiction de revenir sur le territoire français, autrement dit à un bannissement, comme nous l’avons expliqué longuement.
L’article 23 dispose que l’administration pourra, par une décision motivée, décider que l’étranger doit quitter le territoire sans délai. Dans ce cas, il est prévu que l’étranger dispose de quarante-huit heures pour contester la mesure d’éloignement, alors que ce délai est de trente jours dans le cas d’une OQTF avec délai de départ volontaire.
Or, au cours de ce délai de quarante-huit heures, il est évident que l’intéressé – j’allais dire la victime ! – pourra être amené à contester, et il devra le faire dans un même recours, non seulement l’OQTF, mais aussi la décision relative au séjour, la décision refusant un délai de départ volontaire, celle qui mentionne le pays de destination et, le cas échéant, celle qui concerne l’interdiction de retour sur le territoire français, ainsi que le placement en rétention. Quarante-huit heures pour contester six décisions administratives !
Compte tenu de la lourdeur et de la complexité de la procédure, de la brièveté des délais de recours, il est à craindre que la plupart des étrangers n’aient pas la possibilité de déposer leur recours dans les délais. C’est ce qui se passe souvent.
Quant à ceux qui y parviendraient, ils risqueraient de ne pas pouvoir respecter les conditions de fond et de forme posées par l’article R. 222–1 du code de justice administrative, ce qui impliquerait un rejet de leur requête par ordonnance de tri, sans audience.
Ce dispositif n’offre manifestement pas aux étrangers un droit de recours effectif. Il est donc contraire à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, qui, dans un arrêt du 2 septembre 2010, a considéré, dans une situation voisine, que le recours contre un arrêté de reconduite à la frontière à la suite d’une décision de rejet de l’OFPRA, fût-il suspensif, ne pouvait être pleinement effectif, en raison du peu de temps dont disposent à la fois l’étranger pour déposer sa requête et le juge pour statuer, ainsi que des faibles perspectives raisonnables de succès de ce recours.
Par ailleurs, les critères permettant à l’administration de prononcer une OQTF sans délai de départ volontaire sont extrêmement larges et flous, comme toujours, et dépassent largement les possibilités ouvertes par le paragraphe 4 de l’article 7 de la directive Retour.
Cette dernière, dont nous continuons à déplorer l’adoption, prévoit tout de même que l’octroi d’un délai de départ volontaire doit être la règle et le refus, l’exception. Les dispositions de l’article 23 ouvrent donc la voie à la subjectivité de l’administration, voire à l’arbitraire ou, parfois, heureusement, au bon cœur d’un fonctionnaire.
Les alinéas 11 à 21 sont également contraires aux grands principes de la directive Retour, notamment au sixième considérant, qui précise : « Conformément aux principes généraux du droit de l’Union européenne, les décisions prises en vertu de la présente directive devraient l’être au cas par cas et tenir compte de critères objectifs, ce qui implique que l’on prenne en considération d’autres facteurs que le simple fait du séjour irrégulier. »
Une fois de plus, le Gouvernement français va plus loin que ce que la directive Retour lui impose. C’est faire du zèle dans la persécution de l’étranger ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. L'amendement n° 45 rectifié, présenté par MM. Mézard et Collin, Mme Escoffier, MM. Baylet et Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéa 11
Après les mots :
décision motivée
insérer les mots :
indiquant les délais et voies de recours
La parole est à Mme Françoise Laborde.
Mme Françoise Laborde. Cet amendement ainsi que l’amendement n° 44 rectifié étant satisfaits, nous les retirons, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 45 rectifié est retiré.
L'amendement n° 359, présenté par MM. Yung, Anziani et Sueur, Mmes Boumediene-Thiery et Bonnefoy, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Klès, MM. Michel, Antoinette, Assouline et Badinter, Mmes Blondin, Cerisier-ben Guiga et Ghali, M. Guérini, Mme Khiari, M. Lagauche, Mme Lepage, MM. Madec, Mermaz, Patient et Ries, Mme Tasca et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
I. - Alinéa 11
Compléter cet alinéa par les mots :
, lorsque son comportement constitue une menace pour l'ordre public, la sécurité publique ou la sécurité nationale
II. - Alinéas 12 à 20
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. Louis Mermaz.
M. Louis Mermaz. Nous allons une fois encore faire la démonstration du climat de glaciation qui s’instaure.
Conformément à l’esprit du législateur communautaire, nous proposons, par cet amendement, que l’obligation de quitter le territoire sans délai de départ volontaire ne puisse être prononcée que si la personne concernée représente une menace lourde pour l’ordre public, la sécurité publique ou la sécurité nationale. Le délai de départ volontaire doit demeurer la règle, mais nous sommes manifestement là devant un cas d’exception.
Les alinéas 11 à 20 de l’article 23 visent à permettre aux autorités préfectorales d’obliger un étranger à quitter le territoire français sans délai de départ volontaire.
Ils visent à transposer les dispositions de l’article 7, paragraphe 4, de la directive Retour, qui prévoit trois hypothèses dans lesquelles l’administration peut s’abstenir d’accorder un délai de départ volontaire.
La première hypothèse est l’existence d’un risque de fuite. Encore faut-il qu’il s’agisse d’un risque sérieux. Or, comme nous avons déjà eu l’occasion de l’indiquer, la présentation d’un billet, l’existence d’une famille, la présence d’un avocat sont autant d’éléments qui garantissent contre le risque de fuite.
La deuxième hypothèse est la demande de séjour régulier rejetée comme manifestement non fondée, voire frauduleuse.
La troisième hypothèse est celle dans laquelle la personne constitue une menace pour l’ordre public.
Rien dans la directive n’oblige les États membres à transposer l’ensemble de ces trois hypothèses, qui, de surcroît, sont interprétées de manière extensive par le Gouvernement français.
Nous considérons qu’une obligation de quitter le territoire sans délai de départ volontaire ne devrait pouvoir être prononcée que dans les cas les plus graves, c’est-à-dire lorsque la personne visée par la mesure d’éloignement représente vraiment une menace pour la sécurité du pays.
Selon l’esprit du législateur communautaire, le délai pour un départ volontaire doit toujours demeurer la règle. De ce point de vue, le Gouvernement français est une fois de plus hors des clous.