Article 13
Après l’article L. 131 du même code, il est inséré un article L. 131-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 131-1. – Un commissaire du Gouvernement auprès de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, nommé par les ministres chargés des communications électroniques et des postes, fait connaître les analyses du Gouvernement, en particulier en ce qui concerne la politique en matière postale et de communications électroniques. Il ne peut être simultanément commissaire du Gouvernement auprès de La Poste. Il se retire lors des délibérations de l’autorité.
« Il peut proposer à l’autorité de faire inscrire à son ordre du jour toute question intéressant la politique en matière postale ou de communications électroniques.
« Il ne peut avoir accès ni aux informations couvertes par le secret des affaires transmises à l’autorité dans le cadre de l’exercice de ses missions, ni aux dossiers relevant des procédures menées par l’autorité en application des articles L. 32-4, L. 36-8 et L. 36-11 du présent code. »
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur pour avis.
Mme Catherine Morin-Desailly. Ce n’est pas parce que cet article s’est vu attribuer le numéro 13 qu’il doit forcément porter malheur. (Sourires.) Pourtant, j’ai le sentiment qu’il nous conduit sur une mauvaise pente…
Cet article institue un commissaire du Gouvernement auprès de l’ARCEP. Celui-ci assistera aux réunions, donnera son point de vue et aura son mot à dire sur l’ordre du jour. Cette disposition vise en fait à transformer une autorité administrative indépendante en simple autorité administrative, ce qui, il convient tout de même de le rappeler, n’était pas le but initial du législateur.
On avance l’argument que certaines autres autorités de régulation accueillent, elles aussi, un commissaire du Gouvernement. On peut l’entendre.
Sauf que l’ARCEP est le régulateur d’un secteur économique dont l’acteur principal n’est autre que l’État, à travers son actionnariat majoritaire dans le capital de l’opérateur historique de télécommunications.
Sauf que l’ARCEP est reconnue pour la qualité avec laquelle elle conduit ses missions ; on ne voit pas aujourd’hui l’intérêt qu’il y aurait à changer de pratiques. Soucieuse de la cohérence de l’action publique, il me semble que l’ARCEP joue aujourd’hui pleinement son rôle.
Sauf que la Commission européenne prend le temps de se pencher sur le dossier pour affirmer que l’indépendance et l’impartialité du régulateur seraient à n’en point douter remises en cause. Il n’y a qu’à lire les déclarations faites par la Commission cette semaine encore.
Cet article, issu d’un amendement déposé par le Gouvernement à l’Assemblée nationale, me paraît donc au pire fâcheux et au mieux hâtif. En effet, pourquoi se presser ?
Deux rapports parlementaires portant sur les commissaires du Gouvernement auprès des autorités administratives indépendantes, que M. le ministre évoquera sans doute tout à l’heure, ont été publiés, l’un il y a maintenant cinq ans, sans que l’on fasse quoi que ce soit, et l’autre, il y a quelques mois, sans que l’urgence soit proclamée.
On essaie de parer au danger imminent et fatal d’une ARCEP qui serait trop éloignée des préoccupations gouvernementales sans régler, dans le cadre d’un plan global cohérent, la situation de l’ensemble des autorités administratives indépendantes. Leur régime juridique mérite peut-être une rénovation, mais, si l’on s’attaque aujourd’hui à l’ARCEP, pourquoi ne pas aussi s’intéresser au Conseil supérieur de l’audiovisuel, qui exerce, lui aussi, une mission d’attribution de fréquences, même s’il est avant tout un régulateur de contenu, garant du pluralisme ?
Bref, on bouscule le Parlement, sans raison, sans urgence et, surtout, sans vision politique. Le sujet est suffisamment sérieux pour que l’on se dispense de le régler à la faveur d’un amendement de dernière minute déposé à l’Assemblée nationale. D’ailleurs, à voir le nombre d’amendements de suppression de cet article, on comprend qu’il y a un vrai problème de méthode.
Je voterai les amendements de suppression de l’article 13.
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, rapporteur pour avis.
M. Bruno Retailleau, rapporteur pour avis. Je voudrais expliquer à nos collègues qui demandent la suppression de l’article 13 le cheminement qui a conduit la commission de l’économie à adopter la position qu’elle défend.
Le texte qui arrive ce soir au Sénat n’est plus celui qui avait été adopté à l’Assemblée nationale. Il résulte désormais du vote de la commission de l’économie.
Qu’est-ce qui a motivé la création d’un commissaire du Gouvernement auprès de l’ARCEP ?
La régulation sectorielle en France est-elle en cause ? De l’avis général, non ! Les résultats sont même plutôt bons. La France est en effet le premier pays pour l’accès à l’ADSL, pour la télévision sur Internet ; les consommateurs français bénéficient sans doute de l’un des tarifs les plus bas du monde concernant le triple play ; nous avons une industrie performante, ce qui lui permet d’investir et, subsidiairement, de payer quelques taxes, et notre marché domestique des télécommunications est essentiellement entre les mains d’opérateurs nationaux.
Dire que ces bons points sont le résultat de la politique de l’ARCEP ou de l’ART serait sans doute aller trop loin. Reste que, par un certain nombre de ses décisions, le régulateur a eu une influence favorable sur le déploiement de l’économie numérique en France. Citons, par exemple, la décision fondatrice du dégroupage et celle sur les terminaisons d’appels, qui ont permis de multiplier ce que l’on appelle les offres d’abondance, c’est-à-dire les forfaits illimités, notamment.
J’ajoute que, sur le plan juridique, les décisions de l’ARCEP sont rarement contestées et que, quand elles le sont, elles sont encore plus rarement annulées, par le Conseil d’État lorsqu’il s’agit de décisions réglementaires, par la cour d’appel de Paris pour toutes les autres décisions.
Nous avons donc un régulateur qui n’a pas entravé le développement de l’économie numérique et qui est juridiquement fiable. La motivation n’est donc pas à rechercher dans la qualité de la régulation.
Monsieur le ministre, vous avez expliqué à l’Assemblée nationale que votre initiative tenait à la nécessité que le Gouvernement ait une relation étroite avec les autorités administratives indépendantes qui disposent d’un pouvoir réglementaire.
En effet, l’article 21 de la Constitution est clair : le Premier ministre exerce le pouvoir réglementaire. Celui-ci peut être délégué aux communes, par exemple, en matière de règlement d’urbanisme ou, par la loi, aux autorités administratives indépendantes. C’est le cas de l’ARCEP, dont le pouvoir réglementaire est limité, dans son champ d’application, par le législateur et, dans ses effets, par le ministre chargé des communications électroniques via l’homologation. L’homologation signifie que le ministre a le pouvoir de dire oui ou non à l’entrée en vigueur de décisions réglementaires de l’ARCEP.
Dans le cadre du pouvoir réglementaire délégué, nous n’avons donc pas vu d’obstacle à ce que le Gouvernement formalise ce lien, comme il a pu le faire pour d’autres autorités administratives indépendantes qui ont un pouvoir réglementaire, par le biais de la création d’un commissaire du Gouvernement. C’est d’ailleurs ce que Patrice Gélard avait préconisé notamment dans son rapport.
Sur le principe, donc, cette initiative est compréhensible et ne peut pas être balayée d’un revers de la main
En revanche, la commission de l’économie considère que les modalités prévues ne sont pas les meilleures, y compris dans l’amendement n° 74, qui viendra peut-être tout à l’heure en discussion.
Je m’explique.
L’ARCEP n’a pas comme unique activité de prendre des décisions réglementaires. Elle a aussi un deuxième métier, qui est d’ailleurs la raison pour laquelle elle a été créée en 1997 : résoudre le conflit d’intérêt éventuel entre l’État régulateur et l’État actionnaire de l’opérateur historique de télécommunications, qui en plus détenait à l’époque un monopole.
Tout le problème est là : l’État ne doit pas mélanger les genres. Il ne peut pas être juge et partie, arbitre et joueur. C’est non seulement une question de bon sens, mais également un problème de droit. L’ARCEP doit donc faire preuve d’un haut degré d’impartialité et d’indépendance. La directive que nous cherchons à transposer renforce d’ailleurs cette exigence.
En outre, la jurisprudence communautaire est claire. Nous savons donc aujourd’hui ce que la Cour de justice de l’Union européenne entend par le terme « indépendance » appliqué aux autorités de régulation.
Telles sont les raisons pour lesquelles la commission de l’économie propose de dire oui au commissaire du Gouvernement – rien en droit européen ou en droit interne ne s’y oppose –, mais d’encadrer son rôle et ses prérogatives de façon stricte afin que l’État, qui a un certain nombre d’intérêts notamment dans France Télécom, ne mélange pas les genres en portant une double casquette de tutelle et d’arbitre.
Pour conclure, je rappelle que la dernière autorité sectorielle de régulation dite « asymétrique », qui a été créée en décembre 2009 et qui concerne les chemins de fer, n’a pas « bénéficié », si j’ose dire, de la présence d’un commissaire du Gouvernement.
Voilà pourquoi la commission de l’économie propose cette voie, qui lui paraît être celle de la sagesse : un commissaire du Gouvernement, mais avec des pouvoirs encadrés.
M. le président. La parole est à M. Hervé Maurey, sur l'article.
M. Hervé Maurey. Je n’ai pas la passion des autorités administratives indépendantes. Beaucoup ont été créées au cours des trois ou quatre dernières années, et je crois même que leur nombre dépasse aujourd’hui la quarantaine.
Tout cela pour dire que je ne suis pas hostile à leur regroupement. Cette idée avait d’ailleurs été avancée lors de l’examen du texte sur la réforme de l’audiovisuelle avec un éventuel rapprochement du CSA et de l’ARCEP.
En revanche, je suis totalement opposé à la création d’un commissaire du Gouvernement auprès de l’ARCEP au détour de la transposition d’une directive. Introduire une telle disposition dans un texte visant à renforcer l’autonomie du régulateur frise la provocation !
Cette disposition est choquante, car on sait très bien que l’État est actionnaire majoritaire de La Poste et actionnaire principal de France Télécom, qui sont justement des sociétés qui doivent être contrôlées par ce régulateur. On imagine donc fort bien les risques de conflit d’intérêt.
Cette disposition est également inquiétante, puisque, comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire sans obtenir non plus de réponse de la part de M. le ministre, on sait très bien que, derrière tout cela, il y a la question de l’attribution des fréquences issues du dividende numérique. L’État veut en effet attribuer ces fréquences en fonction de critères financiers contre la volonté du législateur, qui a privilégié l’aménagement du territoire. Il est notoire qu’il existe un désaccord entre l’État et l’ARCEP sur ce point, et l’État essaie, de cette manière, de contourner cette autorité.
On sait très bien aussi que la proposition du Gouvernement est contraire au droit européen. À cet égard, nous connaissons tous les remarques formulées à la fois par le commissaire européen et le porte-parole de la Commission ainsi que le risque de procédure d’infraction à la législation européenne encouru par la France.
Je suis d’ailleurs étonné que le Gouvernement ne s’en émeuve pas, alors qu’il s’est empressé d’agir quand il a fallu augmenter la TVA sur les offres triple play, prétendument à la demande de l’Europe. Il est vrai qu’une telle mesure devait apporter 1,1 milliard d’euros supplémentaire dans les caisses de l’État…
M. le rapporteur pour avis, avec beaucoup de compétence et de talent, comme à son habitude, a tenté de trouver un point d’équilibre en commission. Je tiens vraiment à rendre hommage à son travail. Néanmoins, on voit bien que cela ne suffit pas au Gouvernement, qui veut faire table rase du travail de la commission et revenir à son texte initial.
Dans ces conditions, il est préférable de supprimer purement et simplement ce commissaire du Gouvernement, car on voit bien que le Gouvernement a une telle volonté de reprise en main que même le dispositif équilibré proposé avec beaucoup de sagesse par M. le rapporteur pour avis ne lui donne pas satisfaction.
Les cinq amendements de suppression de l’article 13, déposés aussi bien par le groupe centriste, le groupe socialiste, le groupe CRC-SPG, le groupe RDSE que par plusieurs de nos collègues UMP, montrent bien que ce commissaire du Gouvernement fait l’unanimité contre lui.
Il faut dire que la manière dont on veut nous l’imposer crée un malaise. C’est donc aussi une question de méthode. Si les choses avaient été présentées différemment, nous n’en serions peut-être pas là.
Lorsque le président du Sénat déclare dans un entretien qu’il préfère encore nommer des politiques au sein des autorités administratives indépendantes plutôt que des commissaires du Gouvernement, il se fait l’écho du malaise que nous ressentons tous dans cette assemblée.
Je rappelle que le Sénat est particulièrement attaché aux libertés individuelles. Or on sent bien ici qu’il y a une volonté de reprise en main de la part de l’État, ce que nous ne pouvons accepter.
M. le président. La parole est à M. Guy Fischer, sur l’article.
M. Guy Fischer. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cet article a fait beaucoup de bruit médiatique et a suscité de nombreux débats. Pour notre part, nous pensons qu’il est symptomatique des contradictions du Gouvernement.
En effet, alors que le Gouvernement ne cesse de prôner la nécessité de garantir une saine émulation entre les différents opérateurs et le recul de l’intervention publique dans le secteur économique par la création d’autorités dites « indépendantes », il est étonnant de constater de sa part cette tentative d’ingérence au sein de l’ARCEP, volonté que traduisent également les amendements qu’il a déposés sur cet article.
D’ailleurs, Mme de La Raudière, rapporteur de ce texte à l’Assemblée nationale, s’est offusquée du terme « commissaire du Gouvernement », trouvant qu’il sonnait trop « communiste » ! (Sourires.) C’est dire la nocivité de cette disposition et, soit dit en passant, le niveau élevé du débat…
Tout le monde est vent debout contre cette nomination, notamment Mme Neelie Kroes, commissaire européenne chargée de la stratégie numérique, qui vous a adressé un courrier, monsieur le ministre, dans lequel elle vous a fait part de ses « inquiétudes au sujet de l’impact potentiel d’une telle mesure sur l’indépendance et l’impartialité du régulateur ». Elle est d’autant plus inquiète que l’État est actionnaire majoritaire de l’opérateur historique, même s’il n’en détient que 27 %.
La commissaire européenne menace même de lancer une procédure d’infraction. La Commission a elle aussi menacé la France hier d’une procédure d’infraction et demande le report du vote de cet article.
Pour notre part, nous sommes satisfaits que le Gouvernement reconnaisse pour une fois la nécessité de l’intervention gouvernementale dans un secteur clef du développement économique ! Mais, pour être honnêtes, nous ne sommes qu’à moitié surpris par cette volonté d’ingérence, compte tenu du désaccord qui est né entre le Gouvernement et l’ARCEP sur l’attribution d’une quatrième licence mobile de troisième génération.
Les enjeux sont considérables puisqu’il s’agit de la mise aux enchères des licences pour la 4G. Il est donc normal que le Gouvernement veuille reprendre la main.
Si nous reconnaissons que le travail de M. Retailleau a permis de rendre cet article plus acceptable pour la Commission européenne, nous estimons que, en l’état, cet article continue de poser problème par rapport à la législation européenne, a fortiori si l’amendement du Gouvernement était voté.
Nous vous invitons donc à aller au bout de cette démarche, monsieur le ministre, et à vous interroger : comment garantir la prise en compte de l’intérêt général par une autorité indépendante dont l’unique mission est d’assurer la concurrence du marché et de faire de la place aux nouveaux opérateurs en laminant l’opérateur historique ? Comment, dans ces termes, penser le service public et l’accès de tous aux nouvelles technologies ?
Nous souhaitons que l’État régalien, mais également l’État actionnaire, prenne toutes ses responsabilités au nom de l’intérêt général. Cela signifie très concrètement que nous souhaitons la suppression de ces autorités prétendument indépendantes, lesquelles sont en réalité au service des intérêts économiques privés.
Pour cette raison, nous ne pouvons que nous prononcer contre l’article 13 et la présence d’un commissaire du Gouvernement auprès de l’ARCEP.
En conclusion, permettez-nous d’insister sur notre étonnement de voir le Gouvernement redécouvrir ici les vertus de la régulation politique dans le secteur économique. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG. – M. Jean Desessard applaudit également.)
M. le président. Je suis saisi de cinq amendements identiques.
L'amendement n° 2 rectifié bis est présenté par MM. Leroy, Le Grand et Cléach.
L'amendement n° 8 rectifié est présenté par MM. Teston et Raoul, Mme Herviaux, MM. Andreoni, Botrel, Bourquin, Caffet, Chastan, Courteau, Daunis, Fauconnier et Guillaume, Mme Khiari, MM. Lise, Madec et Mirassou, Mme Nicoux, MM. Navarro, Pastor, Patient, Patriat, Rainaud, Raoult, Repentin, Ries et les membres du groupe socialiste et apparentés.
L'amendement n° 19 est présenté par M. Desessard et Mmes Blandin, Boumediene-Thiery et Voynet.
L'amendement n° 40 rectifié est présenté par MM. Collin, Baylet, Bockel, de Montesquiou, Detcheverry et Fortassin, Mme Laborde et MM. Marsin, Mézard, Milhau, Plancade, Tropeano et Vall.
L'amendement n° 44 rectifié est présenté par M. Maurey, Mme Morin-Desailly et les membres du groupe Union centriste.
Ces cinq amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
L’amendement n° 2 rectifié bis n'est pas soutenu.
La parole est à M. Michel Teston, pour présenter l'amendement n° 8 rectifié.
M. Michel Teston. Au cours de mon intervention dans la discussion générale, j’ai longuement abordé les problèmes que pose le commissaire du Gouvernement auprès de l’ARCEP dont le Gouvernement projette la création. Je ne reviendrai pas sur ces divers éléments, les orateurs qui viennent de s’exprimer sur l’article les ayant excellemment rappelés. Je me contenterai de réagir aux arguments invoqués par le Gouvernement.
Si j’ai bien compris, le Gouvernement justifie cette création par le fait que l’imbrication des pouvoirs réglementaires de l’ARCEP et du Gouvernement nécessiterait un dialogue très étroit entre eux. Il s’appuie aussi sur l’existence de rapports sur le fonctionnement des autorités administratives indépendantes. Il avance que « toutes les autorités administratives indépendantes disposant d’un pouvoir réglementaire comme celui de l’ARCEP ont un commissaire du Gouvernement ». Il propose donc de retenir le même dispositif que pour la Commission de régulation de l’énergie, la CRE.
Cette argumentation appelle, de notre part, plusieurs remarques.
Le modèle de la Commission de régulation de l’énergie est remis en cause par les directives européennes, tout comme celui qui est envisagé pour l’ARCEP, ainsi que le révèle la lettre que Mme Kroes a récemment adressée à M. Besson. Il est en outre difficile de comparer les situations : le commissaire du Gouvernement a été mis en place voilà dix ans au sein de la Commission de régulation de l’énergie, tandis que, en quatorze ans, les gouvernements successifs n’ont jamais jugé opportun de faire de même pour l’ARCEP.
À mon sens, ni l’État ni une autorité administrative dite « indépendante » n’ont intérêt à la confusion des rôles. Il ne doit pas y avoir de confusion entre les intérêts de l’État régulateur et ceux de l’État tuteur ou actionnaire. La crédibilité tant du Gouvernement que de l’autorité administrative indépendante suppose que ces deux missions essentielles de l’État restent distinctes.
Telles sont les raisons pour lesquelles il nous paraît nécessaire de supprimer l’article 13.
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour présenter l'amendement n° 19.
M. Jean Desessard. Cela a été rappelé en début de séance : la méthode employée pour ce projet de loi laisse à désirer. Quant à la tactique de M. le ministre sur l’article 13, elle pose encore plus question. En ayant introduit cette disposition controversée par voie d’amendement à l’Assemblée nationale, le Gouvernement échappe à l’avis du Conseil d’État. Comme s’il craignait de se faire taper sur les doigts !
Mais, si le Conseil d’État n’a pas eu la parole, la Commission européenne, elle, a émis de sérieuses réserves. Neelie Kroes, commissaire chargée de la stratégie numérique, a demandé que la décision de créer un poste de commissaire du Gouvernement auprès de l’autorité administrative indépendante de régulation ne soit pas prise dans l’urgence. Une telle décision doit en effet être mûrement réfléchie.
Pourquoi le Gouvernement veut-il davantage peser dans les prochains dossiers de l’ARCEP ? Cette autorité est déjà composée d’un collège de sept membres : trois d’entre eux sont désignés par le Président de la République, les autres le sont par les présidents des deux assemblées. Rien n’empêche ces derniers – tel est d’ailleurs le souhait du président du Sénat – de nommer des politiques au sein de ce collège. Cela ne nuit pas à l’indépendance de l’ARCEP.
En revanche, si un commissaire du Gouvernement était nommé, cela changerait la donne. On connaît le bras de fer qui a opposé le Président de la République à l’ARCEP lors de la désignation du quatrième opérateur de téléphonie mobile. Il y a fort à parier que, si le Gouvernement avait disposé d’un relais au sein de l’ARCEP, les décisions prises auraient été plus arrangeantes pour les amis du pouvoir !
De plus, le collège de l’ARCEP ne serait plus totalement maître de son agenda. D’ailleurs, ce point est en contradiction manifeste avec les directives européennes, qui prévoient que les autorités de régulation nationales agissent en toute indépendance et ne sollicitent ni n’acceptent d’instruction d’aucun autre organe.
Les garanties qu’a introduites M. le rapporteur pour avis dans le texte de la commission me semblent légères. J’imagine mal le commissaire du Gouvernement sortir de la salle de réunion selon la nature des délibérations et le degré de secret des informations !
Outre la question de l’agenda de l’ARCEP, se pose également celle des conflits d’intérêt. L’État est actionnaire de France Télécom et de La Poste. À terme, cela sera source d’ambiguïtés.
Prenons garde à la confusion des rôles et des intérêts de l’État régulateur et de ceux de l’État tuteur ou actionnaire. Ces deux missions doivent demeurer séparées, sauf à porter atteinte à la crédibilité du régulateur comme à celle du Gouvernement.
Mes chers collègues, afin que nous nous conformions à la législation européenne, je vous invite à vous opposer à la création d’un poste de commissaire du Gouvernement auprès de l’ARCEP, symbole de l’ingérence dans une autorité qui se doit d’être indépendante.
M. le président. La parole est à M. Daniel Marsin, pour présenter l'amendement n° 40 rectifié.
M. Daniel Marsin. Nous partageons tout à fait les réserves que viennent d’exprimer nos collègues. La présence d’un commissaire du Gouvernement auprès de l’ARCEP est loin d’être une transposition fidèle de la directive, qui réaffirme au contraire l’indépendance des régulateurs nationaux.
Telle est la raison pour laquelle nous demandons la suppression de l’article 13.
M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne, pour présenter l'amendement n° 44 rectifié.
M. Yves Détraigne. Premièrement, pourquoi vouloir introduire aujourd'hui un commissaire du Gouvernement alors que l’ARCEP existe sous différentes appellations depuis plus de dix ans et que son fonctionnement a, me semble-t-il, donné satisfaction sans un tel commissaire ?
Deuxièmement, la présence d’un commissaire du Gouvernement lors des débats du collège et sa capacité d’influence sur l’ordre du jour des réunions de ce collège vont à l’encontre du considérant n° 13 de la directive, qui précise que « le régulateur doit être à l’abri de toute intervention extérieure ou pression politique susceptible de compromettre son impartialité dans l’appréciation des questions qui lui sont soumises ».
Troisièmement, il me semble que, si cet article était adopté, nous créerions, malheureusement, un dangereux précédent. Notre pays compte une quarantaine d’autorités administratives indépendantes. Ne mettons pas le doigt dans cet engrenage funeste !
M. le président. Quel est l’avis de la commission de l’économie ?
M. Bruno Retailleau, rapporteur pour avis. L’article 13, tel qu’il a été adopté par la commission, prévoit que le commissaire du Gouvernement sort au moment de la délibération. (M. Jean Desessard rit.) C’est très simple ! Il prévoit ensuite que le commissaire du Gouvernement peut proposer l’inscription d’une question à l’ordre du jour, mais qu’il ne peut pas l’imposer. Il prévoit enfin que le commissaire du Gouvernement n’a pas accès aux pièces qui sont couvertes par la confidentialité, notamment le secret des affaires, ou aux pièces qui pourraient avoir trait au contentieux.
Par conséquent, la commission émet un avis défavorable sur ces amendements de suppression.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Éric Besson, ministre. Monsieur Maurey, vous n’avez pas la passion des autorités administratives indépendantes, avez-vous dit. Heureusement ! On imagine ce qu’aurait été sinon le reste de votre propos ! (M. Hervé Maurey sourit.)
J’avoue qu’en entendant MM. Guy Fischer, Michel Teston et Jean Desessard s’inquiéter du froncement de sourcils de la Commission européenne et s’appuyer avec force, pour bâtir leur argumentaire, sur la commissaire européenne, qui est probablement considérée – cela n’est pas péjoratif de ma part, elle-même se revendique comme telle – comme étant la plus libérale au sein de la Commission européenne, j’ai savouré le moment… Chacun appréciera comme il l’entend.
Il y a juste une chose que je ne peux pas laisser dire. Vous avez évoqué, monsieur Fischer, un désaccord entre le Gouvernement et l’ARCEP sur la quatrième licence de téléphonie mobile. Un certain nombre d’entre vous ont même prétendu que l’attribution de la quatrième licence avait été imposée par l’ARCEP.
Voilà une méconnaissance assez surprenante des modalités d’intervention des pouvoirs publics ! C’est bien évidemment le Gouvernement qui, après un débat en son sein, a pris une telle décision. L’ARCEP n’a fait que mettre en œuvre les choix gouvernementaux.
Il n’y a donc aucune contradiction. L’ARCEP est totalement indépendante, et elle le restera. D’ailleurs, et cela pourrait être une source de réflexions pour les parlementaires, cela faisait plus d’un mois que je n’avais pas dit un mot sur l’ARCEP !
Mais il est tout de même surprenant qu’une autorité indépendante mène une campagne acharnée, soit directement, soit par l’entremise de ses salariés, auprès des parlementaires, de la presse et de la Commission européenne. Vous devriez y réfléchir, vous qui êtes si sourcilleux sur les prérogatives respectives des uns et des autres !
Mesdames, messieurs les sénateurs, je sais qu’un scrutin public a été demandé sur les amendements tendant à supprimer l’article 13 ; ayant pris bonne note des positions des uns et des autres, je crois pouvoir en deviner l’issue. C’est donc pour le Journal officiel que je vais m’exprimer, car je tiens à prendre date. À mon sens, en effet, le vote qui va intervenir aura plus d’importance politique que certains ne le croient.
Premièrement, en proposant la création d’une fonction de commissaire du Gouvernement auprès de l’ARCEP, le Gouvernement ne fait qu’appliquer ce que le Parlement n’a de cesse de réclamer.
Dans le rapport de l’Office parlementaire d’évaluation de la législation sur les autorités administratives indépendantes, votre collègue Patrice Gélard proposait « d’assurer la présence d’un commissaire du Gouvernement auprès de l’ensemble des autorités administratives indépendantes dotées d’un pouvoir réglementaire ».
On trouve la même idée dans le rapport remis, au nom du comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques sur les autorités administratives indépendantes, au mois d’octobre 2010 par les députés René Dosière et Christian Vanneste.
Madame Catherine Morin-Desailly, vous avez affirmé que ce rapport n’impliquait aucune urgence ; pour ma part, j’ignore ce que signifie la notion d’« urgence » s’agissant d’un rapport parlementaire « transpartisan » et dans lequel un certain nombre de demandes sont adressées au Gouvernement.
En l’occurrence, les auteurs de ce rapport ont, eux aussi, prôné la « présence d’un commissaire du Gouvernement » auprès de chaque autorité administrative indépendante pour assurer « la cohérence de l’action publique ».
Deuxièmement, en proposant la création d’une fonction de commissaire du Gouvernement auprès de l’ARCEP, le Gouvernement ne fait que mettre en œuvre une recommandation du Conseil d’État.
Selon Jean Desessard, je devrais m’inquiéter de l’avis du Conseil d'État.