Mme la présidente. La parole est à M. Thierry Foucaud.
M. Thierry Foucaud. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, notre prévention à l’encontre des conventions fiscales de complaisance nous a valu un communiqué vengeur de la section UMP de Saint-Martin, qui nous dénie le droit de qualifier cette île de « paradis fiscal » !
Ce qui est vrai, c’est que les paradis fiscaux ne sont jamais des paradis pour tous !
À cet égard, tout à l'heure, Nicole Bricq s’est interrogée : faut-il parler de paradis fiscal ou d’avantages fiscaux ? En outre, lors de l’examen du présent texte en commission, elle s’est demandé s’il n’y avait jusqu’à présent aucun échange d’informations entre l’État et un territoire de la République ? C’est une question que je fais mienne.
Nous voici en présence d’une proposition de loi organique, déposée par nos éminents collègues Louis-Constant Fleming et Michel Magras, sénateurs représentant, respectivement, les collectivités territoriales de Saint-Martin et de Saint-Barthélemy, et qui porte sur la nature des relations fiscales que ces collectivités entretiennent avec la France métropolitaine.
Je signale au passage que, bien que cette proposition de loi organique concerne aussi la Polynésie française, les sénateurs de ce territoire plutôt vaste n’ont été associés ni à la signature du texte ni à sa défense. Il est permis de se demander pourquoi.
Cette première question permet de lever un coin du voile sur le contenu du texte qui nous est proposé.
Certes, les bonnes intentions des auteurs de cette proposition de loi organique sont affichées : mettre un terme à une situation transitoire – le transitoire qui dure n’est jamais une bonne chose – ; trouver les moyens de financer l’action de la collectivité confrontée à des urgences sociales ; enfin, mettre chacun en face de ses responsabilités quant à son apport à l’effort collectif. Les problématiques sont différentes selon que l’on est à Saint-Martin ou à Saint-Barthélemy, mais les enjeux ne varient guère.
Cependant, la réalité des faits que nous avons découverts, qui nous ont été rapportés et que nous avons pris la peine de mesurer et d’analyser, nous incline à penser que les intentions sont une chose, les réalités, une autre.
Par exemple, nous nous sommes procurés deux documents essentiels : le code des contributions de Saint-Barthélemy, dans sa version consolidée, et la délibération du conseil territorial de Saint-Martin, qui a fixé, à la fin de 2007, les règles fiscales en vigueur sur le territoire de la collectivité en adaptant le code général des impôts métropolitain à la situation locale, en élaborant une version que je qualifierais de light.
Il existe quelques points communs entre les deux textes, qui suscitent, par ailleurs, un sentiment général quant à une volonté de faire de ces deux territoires une sorte de laboratoire d’innovation fiscale. Je ne suis pas le seul à le dire.
Le changement de statut des îles du Nord a changé la nature du droit fiscal, devenu local.
Pour mémoire, on remarquera qu’en 2006, dernière année où Saint-Martin et Saint-Barthélemy furent parties intégrantes du territoire français, on dénombrait sur ces territoires, respectivement, 13 394 foyers fiscaux, dont 3 295 imposables, et 696 foyers fiscaux, dont 391 imposables.
Notons-le, à Saint-Martin, la majorité des contribuables, soit près de 7 600, déclaraient moins de 7 500 euros nets annuels et disposaient d’un peu plus de 12 % des revenus déclarés. A contrario, on dénombrait sur ce même territoire 98 foyers fiscaux, soit moins de 1 % de la population de l’île, disposant de plus de 78 000 euros de revenus, déclarant un peu plus de 13 % des revenus imposables et soldant plus de la moitié des 7,1 millions d’euros de produit de l’impôt sur le revenu perçu par le fisc.
À Saint-Barthélemy, les foyers aisés étaient moins nombreux, soit un total de 25, mais ils disposaient d’un revenu fiscal moyen de près de 300 000 euros et s’acquittaient de plus de 80 % du produit de l’impôt perçu sur l’île. Il faut dire que ces 25 foyers rassemblaient plus de 45 % de l’assiette fiscale de l’impôt sur le revenu de l’île.
En 2008, la situation était pire de ce point de vue, avant que l’année 2009 ne consacre la chute du produit des impôts « nationaux ».
On ne doute pas, à la lumière de ces chiffres, que ces 120 à 130 familles aux revenus importants ont accueilli avec sympathie le changement de statut des deux collectivités, puisque ce changement a mis fin à l’assujettissement à l’impôt sur le revenu métropolitain.
À dire vrai, la lecture du code des contributions de Saint-Barthélemy, qui ne prévoit ni impôt sur le revenu ni ISF et qui accorde aux entreprises locales un forfait local peu élevé en lieu et place de l’impôt sur les sociétés, nous apprend que l’imagination est assez vive dès lors qu’il s’agit de créer des droits indirects sur les biens et marchandises en circulation sur l’île.
Comme la collectivité doit compenser à l’État les pertes de produit fiscal occasionnées par le changement de statut, cela revient pratiquement à faire payer, par le droit de quai, par exemple, c’est-à-dire par tous les habitants de l’île, ce qui, hier, était payé par les plus fortunés des habitants au titre de l’impôt sur le revenu !
Par conséquent, nous sommes certes favorables aux contrôles, mais nous dirons, pour aller vite, que Saint-Barthélemy et Saint-Martin sont presque des paradis fiscaux, et ce à un détail près : il faut avoir les clés du paradis, c’est-à-dire les biens, la fortune et les revenus qui en découlent pour en jouir pleinement.
Pour les autres, les plus modestes, les plus nombreux des habitants des deux îles, demeurent la persistance des problèmes sociaux, les difficultés d’emploi, de logement, la vie chère – rappelons que Saint-Barthélemy manque d’eau potable et doit quasiment tout importer – et les droits indirects, qui accroissent le prix de n’importe quel bien.
Pour conclure, je rappellerai que les deux îles ont une économie si « touristico-dépendante » que la moindre crise de ce point de vue pose problème – je pense à l’appréciation de l’euro par rapport au dollar, à la concurrence exacerbée sur le moins-disant social et fiscal dans la zone – et met en péril les fragiles équilibres de chaque collectivité.
Madame la ministre, voter en l’état une telle proposition de loi organique reviendrait à confirmer la confiscation de l’intérêt général, qui est le fondement de la loi dans notre pays, au profit exclusif de quelques privilégiés et au détriment, à l’évidence, du plus grand nombre. Je donnerai quelques exemples concrets dans mes interventions sur les articles.
Pour l’ensemble de ces raisons, nous voterons contre cette proposition de loi organique.
Mme la présidente. La parole est à M. François Fortassin.
M. François Fortassin. Madame la présidente, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, il nous est demandé aujourd’hui de nous prononcer sur l’approbation de conventions fiscales passées entre l’État et les trois collectivités d’outre-mer de Saint-Martin, de Saint-Barthélemy et de la Polynésie française.
Il s’agit de conventions fiscales tendant, pour la plupart, à mettre en place une assistance administrative mutuelle afin de lutter efficacement contre la fraude et l’évasion fiscales, notamment au travers d’un échange de renseignements renforcé destiné à prévenir toute utilisation abusive des règles fiscales. À l’évidence, il s’agit là d’un objectif louable
Cependant, cette proposition de loi organique prévoit aussi l’approbation d’une convention tendant à éviter les doubles impositions avec la collectivité de Saint-Martin.
Habituellement, le Parlement est amené à s’exprimer sur des conventions signées avec des territoires étrangers.
Il est tout de même assez extraordinaire que des territoires français ne soient pas assujettis aux règles de procédure fiscale en vigueur partout ailleurs en France.
Nous, les sénateurs radicaux de gauche, nous sommes en quelque sorte les inventeurs de la progressivité de l’impôt sur le revenu et nous sommes très attachés à l’équité fiscale. Or nous voilà confrontés à une première entorse à cette équité !
Certes, ces territoires ont acquis, depuis trois ans, un nouveau statut constitutionnel, qui rendait nécessaire l’élaboration de nouvelles règles. Mais ces dernières s’accompagnent, à l’évidence, d’une très grande complexité.
Ces territoires sont ceux de la diversité, mais s’ajoute à ces diversités multiples une diversité fiscale. C’est un nouveau concept que nous n’apprécions que modérément.
Enfin, est-il normal qu’il existe des « trous noirs » fiscaux, pour reprendre une expression employée par certains, permettant à de riches contribuables ou à des entreprises bien conseillées d’utiliser la « polyrésidence fiscale » ? D’une manière générale, cela ne nous dit rien qui vaille ! En définitive, c’est une façon d’échapper à la rigueur de certaines impositions.
Cette situation est d’autant plus insolite que la proposition de loi nous apprend qu’il n’y a pour ainsi dire que très peu d’échanges entre les administrations déconcentrées de ces territoires et le ministère du budget.
Ces conventions sont écrites dans des termes identiques à celles qui sont conclues avec des territoires comme les Bahamas et d’autres zones fiscales particulièrement attractives.
Au travers de ces conventions, quels qu’en soient les mérites, on prend le risque d’ouvrir une brèche. On nous rétorquera bien sûr que ces territoires présentent des problématiques que nous ne méconnaissons pas, notamment celle d’une vie chère, et que tous leurs habitants ne sont pas fortunés.
Tout cela est exact, mais, comme l’a signalé mon excellente collègue Mme Nicole Bricq, nous aurions préféré à ce système de ravaudage fiscal un système de subventions, de manière que l’équité soit maintenue sans règles dérogatoires.
Autrement dit, ces conventions comportent de nombreux paradoxes. On nous demande d’approuver des textes qui ressemblent à ceux qui sont passés avec des ports de l’économie souterraine, des havres de la spéculation ou encore des blanchisseries industrielles de l’argent sale, sans parler des poumons de l’économie criminelle que l’on trouve dans ces zones, comme chacun le sait. Et ce n’est pas parce que l’on est en territoire français que le drapeau tricolore devient systématiquement synonyme de vertu ! (Mme Nicole Bricq s’exclame.)
Si le pari de la transparence fiscale est louable, il n’en reste pas moins vrai que nous ne pouvons approuver ces conventions. En conséquence, les radicaux de gauche et la majorité du groupe du Rassemblement démocratique et social européen s’abstiendront sur la présente proposition de loi organique.
Mme Nicole Bricq. Très bien !
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Article 1er
Est approuvée la convention entre l’État et la collectivité territoriale de Saint-Martin en vue d’éviter les doubles impositions et de prévenir l’évasion et la fraude fiscale, signée à Saint-Martin, le 21 décembre 2010, et dont le texte est annexé à la présente loi organique.
Mme la présidente. La parole est à M. Thierry Foucaud, sur l'article.
M. Thierry Foucaud. L’article 1er de cette proposition de loi organique présente un caractère pour le moins original.
Il s’agit en effet d’une convention fiscale que la France signera avec la collectivité territoriale de Saint-Martin, destinée à éviter les doubles impositions.
Que cherche à résoudre cette convention ? Fondamentalement, elle cherche à consacrer ce que le président Arthuis a qualifié de « laboratoire d’innovation fiscale », lors de l’examen du rapport en commission. La raison d’être de ce laboratoire trouve son origine dans l’esprit et la lettre de l’article 74 de la Constitution.
Contrairement à Saint-Barthélemy, la collectivité territoriale de Saint-Martin n’a pas élaboré un code des contributions. Elle s’est contentée, si l’on peut dire, de prendre le code général des impôts et de le mettre en lien avec la situation locale.
Puisqu’il s’agissait d’une priorité, à Saint-Martin il n’existe pas de bouclier fiscal, ni d’impôt de solidarité sur la fortune, ni de taxe sur les salaires, sinon, bizarrement, un sous-produit de la TVA appelé « taxe générale sur le chiffre d’affaires », ou TGCA, qui ne laisse pas d’option aux assujettis – contrairement au territoire métropolitain –, ainsi qu’un impôt sur les sociétés et un impôt sur le revenu dont le barème est, de manière générale, aménagé à la baisse.
Notons que Saint-Martin, dans la fameuse délibération du conseil territorial du 21 novembre 2007 – nous l’avons consultée avec intérêt – qui a fixé l’essentiel des règles fiscales locales, a supprimé pratiquement toutes les niches de l’impôt sur le revenu, comme de l’impôt sur les sociétés, c’est-à-dire qu’elle a opté pour une simplification et une lisibilité des règles.
La vérité, c’est que lorsque l’on compte plus ou moins 20 % de sans-emploi et un grand nombre de familles ne disposant pas de ressources très élevées pour vivre, on peut largement se contenter d’adapter le dispositif de défiscalisation outre-mer, comme c’est le cas aujourd’hui.
Enfin, la délibération du 21 novembre prévoit d’appliquer à Saint-Martin le régime de réduction du montant de l’impôt sur le revenu appliqué en Guyane, soit une baisse de 40 % du montant de l’impôt dans la limite de 6 700 euros.
À la suppression de l’ISF, Saint-Martin ajoute donc la flat tax ! Là encore, on pourrait dire que M. le président Arthuis a eu raison : Saint-Martin est un laboratoire d’innovation fiscale !
Mais le résultat de cette situation découle de l’objectif visé, celui de percevoir un minimum de recettes fiscales, sur un territoire où les contribuables, à l’exception sans doute notable des fonctionnaires en place sur l’île, ont parfois de la peine à faire face à leurs obligations.
Pourtant, ce choix ne rencontre pas un grand succès, puisque le 25 mars 2010, lors de la délibération d’examen du budget primitif de la collectivité, le conseil territorial de Saint-Martin, à la demande de son président M. Frantz Gumbs, a accordé l’inscription d’une ligne de provision pour créances fiscales irrécouvrables de 26 millions d’euros !
Ce chiffre doit être comparé au rendement de 7,1 millions d’euros de l’impôt sur le revenu, constaté en 2006 à Saint Martin, ce qui, pour une collectivité d’environ 45 000 habitants, doit sans doute constituer un record !
Autrement dit, ce que vous nous proposez de valider avec l’article 1er, quoi que vous disiez sur la nécessité de clarifier le traitement fiscal entre résidents et non-résidents, ce n’est, ni plus ni moins, qu’une gestion plutôt défaillante ou, pour le moins, en délicatesse des deniers publics.
D’ailleurs, la même délibération du conseil territorial indique, en article 5, que l’on ne procédera à aucune affectation du titre des excédents de fonctionnement capitalisés, puis, en article 6, que l’on opérera les ajustements, concernant les résultats définitifs de l’exercice 2009, après le vote du compte administratif de 2009, à l’occasion du budget supplémentaire de 2010.
Cela montre, s’il en était besoin, que, dès lors que l’on mélange compte administratif et décision modificative, on est dans l’urgence comptable...
Toutes ces remarques nous amènent naturellement à rejeter sans hésiter l’article 1er, parce que cette convention ne vise réellement qu’à entériner une situation locale peu satisfaisante du point de vue du rendement des impôts et de la réalité des informations et du contrôle qui sera opéré sur la situation de certains contribuables peu regardants.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 1er.
(L'article 1er est adopté.)
Article 2
Est approuvé l’accord entre l’État et la collectivité territoriale de Saint-Martin concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale, signé à Saint-Martin le 23 décembre 2009, et dont le texte est annexé à la présente loi organique.
Mme la présidente. La parole est à M. Thierry Foucaud, sur l'article.
M. Thierry Foucaud. L’article 2, qui prévoit une convention d’assistance administrative entre la France et Saint-Martin, sur les modalités de coopération en matière fiscale, ne présente pas plus de garanties que l’article 1er quant à l’amélioration de la situation.
Nous avons eu l’occasion de le pointer, la population saint-martinoise est, de manière générale, dans une situation de ressources pour le moins délicate. En effet, les habitants de la collectivité, dans leur très grande majorité, ne payent pas d’impôt sur le revenu, les ressources dont ils disposent ne leur permettant pas d’y être assujettis.
Comme nous l’avons déjà vu aux Antilles, ils subissent tous la cherté de la vie, notamment celle qui découle des positions quasi monopolistiques atteintes par certains groupes de la distribution sur l’île de Saint-Martin.
D’ailleurs, je profite de cette intervention pour indiquer qu’il est regrettable que l’observatoire des prix de Saint-Martin ne soit pas en activité et qu’il ne se soit réuni qu’une seule fois, pour sa mise en place.
L’assistance administrative que la France pourra apporter concernera fondamentalement la situation des fonctionnaires en poste à Saint-Martin, dont, on le sent bien, l’imposition risque fort de constituer, dans les prochaines années, le principal outil de rendement fiscal de la collectivité.
Pour le reste, en effet, on peut craindre que l’on ne fasse jouer avec beaucoup de facilité la ligne de provision pour atténuation de recettes.
Les 8 000 ménages saint-martinois qui ont, en 2006, présenté un revenu annuel inférieur à 9 400 euros n’ont aucune sorte d’intérêt à voir disparaître l’impôt de solidarité sur la fortune ni même le bouclier fiscal.
Nul doute aussi qu’ils n’ont guère intérêt à voir adaptée à la situation locale la défiscalisation telle que prévue par la loi pour le développement économique des outre-mer, la LODEOM.
En revanche, les effets de la TGCA et des taxes diverses sur les produits de consommation, cela les regarde et les touche !
Cette convention d’assistance administrative n’est donc intéressante que pour une partie réduite de la population locale, celle qui fait des affaires et qui a besoin du verni de la légalité pour mieux continuer à mener ces affaires !
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Éric Doligé, rapporteur. Tout à l’heure, pour éviter d’être monotone, j’ai mis de côté une partie de mon intervention sur les articles 2, 3 et 4. Je vous livrerai maintenant ces quelques réflexions.
Les accords visés à ces articles n’appellent pas de remarques particulières puisqu’ils reprennent les dispositions figurant dans le modèle prévu par l’OCDE et que ce modèle a même été enrichi pour faciliter davantage les échanges de renseignements entre l’État et ces collectivités. Cela permettra notamment à la France de répondre aux demandes de renseignements fiscaux provenant de pays tiers et relatifs aux territoires concernés.
Ces accords prévoient en outre la possibilité, pour les agents des services fiscaux, d’aller contrôler sur place les investissements qui ont bénéficié des diverses dispositions de défiscalisation applicables outre-mer ainsi que les individus qui vivent à Saint-Martin ou à Saint-Barthélemy mais qui continuent d’avoir la qualité de résidents fiscaux de l’État.
Enfin, je relève que l’article 15 de la loi du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer a grandement facilité la constitution de ces accords fiscaux. Cet article concernait les dispositifs de défiscalisation spécifiques à l’outre-mer.
D’ailleurs, puisque vous avez évoqué ce point, madame Bricq, et vous aussi, monsieur Foucaud, je me permets de faire un simple rappel. Lors des débats assez longs sur la défiscalisation que nous avons eus dans cet hémicycle, pour ce qui nous concerne, nous étions réservés à une extension de la défiscalisation. C’était surtout sur vos travées que s’exprimaient des demandes très importantes de nos collègues d’outre-mer, en général apparentés au groupe socialiste, pour élargir la défiscalisation.
Mme Nicole Bricq. Des subventions !
M. Éric Doligé, rapporteur. J’avais cru entendre aussi qu’un certain nombre d’entre eux étaient assez favorables à l’article 74, qui donne une certaine autonomie et permet ce que nous venons de débattre à l’instant au sein de notre assemblée. J’ai parfois un peu de mal à suivre les raisonnements de certains… Enfin, cela fait souvent partie des règles de nos débats ! (Mme Nicole Bricq s’exclame.)
Cet article 15 prévoyait que les dispositifs de défiscalisation spécifiques à l’outre-mer ne seraient applicables aux investissements réalisés à compter du 1er janvier 2010 dans ces collectivités que si elles étaient en mesure d’échanger avec l’État les informations utiles à la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales.
Cette disposition a beaucoup pesé dans la décision, notamment de la Polynésie française, de signer un accord d’échange d’informations qui s’avérait nécessaire, la convention fiscale de 1957 ne prévoyant pas les dispositions requises. Je me félicite de cette initiative.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 2.
(L'article 2 est adopté.)
Article 3
Est approuvé l’accord entre l’État et la collectivité territoriale de Polynésie Française concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale, signé à Papeete, le 29 décembre 2009, et dont le texte est annexé à la présente loi organique. – (Adopté.)
Article 4
Est approuvé l’accord entre l’État et la collectivité territoriale de Saint-Barthélemy concernant l’assistance administrative mutuelle en matière fiscale, signé à Saint-Barthélemy le 14 septembre 2010, et dont le texte est annexé à la présente loi organique.
Mme la présidente. La parole est à M. Thierry Foucaud, sur l'article.
M. Thierry Foucaud. Je voudrais le dire à M. le rapporteur, nous n’avons aucun problème avec le contrôle, mais nous faisons la démonstration que ces conventions entérineront tous les avantages fiscaux des plus fortunés, qui se trouveront dans une sorte de paradis fiscal, alors que la population n’en peut plus et que les difficultés s’accroissent. Tel est le sens de nos interventions.
M. Christian Cointat. Ce n’est pas la réalité !
M. Thierry Foucaud. Concernant cet article 4, la situation de Saint-Barthélemy est nettement différente de celle de Saint-Martin ou de la Polynésie française : ni impôt sur le revenu, ni impôt sur les sociétés, ni, évidemment, impôt de solidarité sur la fortune.
L’une des différences de fond est que la population de Saint-Barthélemy est nettement plus réduite que celle de Saint-Martin, mais que, lors des derniers exercices fiscaux au cours desquels les deux collectivités étaient partie intégrante de la Guadeloupe, le rendement de l’impôt sur le revenu était quasiment aussi important à Saint-Barthélemy qu’a Saint-Martin...
Cela a conduit la commission d’évaluation des transferts de compétences à demander à la collectivité de verser plus de 6 millions d’euros environ à l’État pour compenser les pertes de recettes fiscales liées à la nouvelle extraterritorialité.
Soyons précis, mes chers collègues, et dépassons quelque peu la fameuse question de la non-résidence, qui a été présentée comme celle que la convention devait permettre de résoudre.
En 2007, l’impôt sur le revenu rapportait 6,7 millions d’euros à Saint-Barthélemy, dont 6,2 millions récupérés auprès de 27 foyers fiscaux déclarant tous plus de 97 500 euros par an, et, en moyenne, 1,3 million d’euros...
En 2008, ce rendement est tombé à 2,4 millions d’euros, notamment de par l’application des règles de résidence des contribuables. D’ailleurs, le revenu moyen des foyers les plus aisés a diminué de 1 million d’euros.
Conclusion de ce processus : les plus riches habitants de l’île ont bénéficié, avec l’absence d’impôt sur le revenu dans le code des contributions de Saint-Barthélemy, d’une chute libre du montant de leur imposition, puisque celle-ci se situe désormais 4,4 millions d’euros en dessous de ce qu’elle était en 2007, ce qui signifie que le changement de statut leur a rapporté en moyenne près de 200 000 euros par foyer...
Contrairement à ce que certains ont dit, Saint-Barthélemy serait-il un paradis fiscal ? Oui, mais pour les initiés !
Allons au bout de la logique et posons-nous, notamment, la question de la résidence des personnes morales.
Je n’aurais pas la mauvaise grâce de souligner par quel artifice, finalement assez grossier, on peut aisément donner aux entreprises domiciliées à Saint-Barthélemy la qualité de résidente locale.
Il suffit, madame la ministre – vous êtes intervenue sur ce point tout à l’heure –, d’appliquer l’article 4 du code des contributions qui dispose notamment, en son deuxième alinéa : « Sont également considérées comme ayant leur domicile fiscal dans la collectivité de Saint-Barthélemy, les personnes morales ayant établi à Saint-Barthélemy leur siège de direction effective et qui sont contrôlées, directement ou indirectement, par une ou plusieurs personnes physiques résidentes à Saint-Barthélemy au sens de l’article 2 du présent code. »
Cette citation montre qu’il suffit de trouver un habitant du cru suffisamment compréhensif pour, au travers d’une entreprise ad hoc, assumer telle ou telle activité pour compte de tiers domicilié ailleurs...
Fort habilement, dois-je l’avouer, le même code des contributions limite l’application de la clause de résidence pour les entreprises assurant la vente de marchandises à l’export du territoire de la collectivité.
Cela signifie, pour aller vite, que toute entreprise qui se contente de vendre des services dématérialisés en direction de telle ou telle autre entreprise, y compris métropolitaine, pourra bénéficier de la résidence à Saint-Barthélemy et se contenter d’acquitter le forfait fiscal de 300 euros – plus 100 euros par salarié – dont nous avons déjà dit à quel point il s’apparentait à ce que l’on rencontre, pas très loin de l’île, avec le système des IBC, International Business Companies.
Autre aspect clé de la convention dont nous parlons : placer l’île sur le chemin du statut de pays d’outre-mer, c’est-à-dire de territoire pouvant échapper aux règles communautaires en vigueur dans bien des domaines sensibles – notamment la protection de l’environnement, le droit de l’urbanisme ou les normes de construction – pour toute île caribéenne.
C’est bien parce que nous voulons poser clairement la question de la pertinence de l’article 74 de la Constitution et de son application – sa mise en œuvre n’a-t-elle pas été rejetée par les populations de la Martinique comme de la Guyane, qui ont préféré rester régies par les dispositions de l’article 73 de la Constitution ? – que nous sommes plus que réservés en ce qui concerne l’adoption de cet article 4.
Asseoir légalement une forme de paradis fiscal – loin d’être un paradis pour tous, vu la cherté de la vie et les handicaps liés à l’insularité, qui contraignent par exemple les jeunes à émigrer afin de poursuivre leurs études – et compléter l’affaire en ouvrant la porte à un futur porteur de risques pour la qualité de vie, l’environnement ou encore la transparence des activités financières et économiques, nous ne le voulons pas.
C’est pourquoi nous ne voterons pas cet article.