compte rendu intégral
Présidence de M. Jean-Léonce Dupont
vice-président
Secrétaires :
Mme Michelle Demessine,
Mme Christiane Demontès.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Communication relative à une proposition de résolution européenne
M. le président. MM. Serge Larcher et Éric Doligé ont déposé, en application de l’article 73 quinquies du règlement, une proposition de résolution européenne tendant à obtenir compensation des effets, sur l’agriculture des départements d’outre-mer, des accords commerciaux conclus par l’Union européenne.
Cette proposition, envoyée à l’examen préalable de la commission des affaires européennes, a été adoptée par la commission de l’économie, dont le rapport a été déposé sous le numéro 310.
Conformément à la décision en date du 2 février 2011 de la conférence des présidents, la proposition de résolution de la commission de l’économie sera inscrite à l’ordre du jour d’une prochaine séance, à une date fixée ultérieurement.
3
Scrutin pour l'élection de juges à la Cour de justice de la République
M. le président. L’ordre du jour appelle le scrutin pour l’élection d’un juge titulaire et d’un juge suppléant à la Cour de justice de la République, en remplacement de MM. Pierre Fauchon et Nicolas About, dont le mandat sénatorial a cessé.
Le groupe de l’Union centriste a présenté la candidature de M. Yves Détraigne comme juge titulaire et de M. Jean Paul Amoudry comme juge suppléant.
Je rappelle que la majorité absolue des suffrages exprimés est requise pour cette élection.
Le scrutin aura lieu dans la salle des conférences où des bulletins de vote seront à votre disposition.
Pour être valables, les bulletins ne doivent pas comporter plus d’un nom comme juge titulaire et plus d’un nom comme juge suppléant, le nom du juge titulaire devant obligatoirement être assorti du nom de son suppléant. Ne sont comptabilisés ensemble que les suffrages portant sur le même titulaire et le même suppléant.
Le scrutin sera ouvert pendant une heure.
Le juge titulaire nouvellement élu et son suppléant seront immédiatement appelés à prêter serment devant le Sénat.
Je prie Mme Anne-Marie Payet et M. Alain Dufaut, secrétaires du Sénat, de bien vouloir présider le bureau de vote.
Le scrutin pour l’élection d’un juge titulaire et d’un juge suppléant à la Cour de justice de la République est ouvert.
4
Panneaux d'agglomération en langue régionale
Discussion d'une proposition de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe socialiste, de la proposition de loi relative à l’installation de panneaux d’entrée et de sortie d’agglomération en langue régionale, présentée par M. Roland Courteau et les membres du groupe socialiste (proposition n° 136, rapport n° 293).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le ministre, madame le rapporteur, mes chers collègues, en réponse à un parlementaire qui l’interrogeait, à l’Assemblée nationale, sur le sujet nous réunissant aujourd’hui, le ministre de l’éducation nationale, qui s’exprimait en votre nom, monsieur le ministre, a bien voulu rappeler l’examen par le Sénat de la présente proposition de loi en précisant : « Essayons de trouver le moyen le plus adapté pour offrir un cadre juridique sûr à l’installation de panneaux de signalisation bilingues à l’entrée des villes. »
Je crois savoir que c’est aussi votre intention, madame le rapporteur ; j’espère que c’est aussi la vôtre, monsieur le ministre, et celle du Sénat tout entier, car, précisément, le cadre juridique actuel n’est pas sûr.
En effet, si rien n’interdit l’installation de panneaux bilingues à l’entrée et à la sortie des communes, rien ne l’autorise expressément. D’ailleurs, le tribunal administratif de Montpellier, le 12 octobre 2010, a fait droit à la demande du Mouvement républicain de salut public, d’enjoindre la commune de Villeneuve-lès-Maguelone, dans l’Hérault, de retirer les panneaux bilingues français-occitan aux entrées de la ville.
Comme chacun le sait, de nombreuses collectivités, dans toutes les régions, ont fait le choix d’installer des panneaux d’entrée d’agglomération portant le toponyme en langue régionale, en complément de panneaux portant le nom français.
C’est d’ailleurs, sur de nombreux territoires, un choix largement plébiscité par les populations.
M. Claude Bérit-Débat. Tout à fait !
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Comme le soulignait la Confédération occitane des écoles laïques Calendretras, « c’est le choix de la raison, pour avoir une ouverture culturelle, faisant une large place aux langues originelles des différentes régions ».
Que je sache, mes chers collègues, la République n’est pas menacée par ses langues régionales.
M. Jean-Jacques Mirassou. Heureusement !
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Comme l’a récemment écrit Bernard Poignant, auteur en 1998 du rapport au Premier ministre sur les langues et cultures régionales : « Il n’est donc pas nécessaire de l’invoquer ou d’en appeler au “salut public”, parce qu’une petite commune a osé cette écriture en occitan. ».
M. Claude Bérit-Débat. Qui ey hera pla !
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Ne se tromperait-on pas de combat ? Ne se tromperait-on pas de siècle ?
N’y a-t-il pas lieu plutôt de s’inquiéter des attaques menées contre notre langue nationale, par une langue étrangère, je veux dire l’anglo-américain ? (MM. Jean-Jacques Mirassou et Claude Bérit-Débat marquent leur approbation en occitan.)
Sur ce point très précis, certains de nos compatriotes n’hésitent pas à se demander si nous ne serions pas en voie de colonisation culturelle et linguistique, tandis que d’autres évoquent « la machine de guerre à angliciser » et annoncent pour bientôt un véritable « Waterloo linguistique ».
M. Ronan Kerdraon. Très bien !
M. Jean-Jacques Mirassou. C’est bien parti !
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Je dirai plus simplement que, si la langue française est actuellement fragilisée, y compris de plus en plus dans les actes courants de la vie publique, c’est effectivement le fait de la langue anglaise.
Alors, de grâce, que l’on cesse de tirer sur les langues régionales, lesquelles sont vraiment menacées, elles, de disparition !
Faut-il d’ailleurs rappeler que la loi de 1994 relative à l’emploi de la langue française, sur laquelle le tribunal administratif de Montpellier s’est fondé pour interdire l’installation de panneaux d’entrée d’agglomération en langue régionale, a été rédigée et votée dans le but de protéger la langue française face à l’anglais, et non face aux langues régionales ?
C’est un patrimoine humain, un patrimoine culturel très fragile, très menacé, et il nous faut donc le protéger. Car, si nous ne réagissons pas, selon certaines études, 50 % des langues régionales auront disparu d’ici à cinquante ans.
M. Claude Bérit-Débat. C’est vrai !
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Oui, il y a des régions à forte identité, en métropole et outre-mer.
M. Ronan Kerdraon. La Bretagne !
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Elles ont leur histoire, leur langue, leur culture, mais leurs habitants ont toujours eu le cœur français. Et ils l’ont prouvé par le passé.
Comme certains de nos collègues l’ont déjà dit, il suffit de compter les noms sur les monuments aux morts de ces régions.
M. Jacky Le Menn. Tout à fait !
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Oui, mes chers collègues, la France est riche de cette diversité culturelle et linguistique.
M. Ronan Kerdraon. Elle en est fière !
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Ces langues sont parfois transfrontalières et donc présentes dans les pays voisins.
Elles sont aussi des langues et cultures de France. Ce sont des langues vivantes qui, comme les autres, développent des aptitudes linguistiques chez les jeunes Français.
Mieux encore, comme cela fut écrit : « La langue n’est pas seulement un moyen de communiquer de l’information et du savoir […] Elle est aussi un véhicule de transmission des symboles de la mémoire collective qui provoque les fortes émotions de la communion au même système de valeurs ».
C’est tout cela qui est menacé, mes chers collègues.
Voilà pourquoi il m’arrive de dire parfois qu’il faut une véritable « écologie » des langues régionales. (M. Claude Bérit-Débat marque son approbation en occitan.)
Dès lors, comment pourrait-on accepter de laisser se dégrader, sans réagir, notre patrimoine linguistique et culturel ?
Comment pourrait-on accepter de ne pas réagir après un jugement d’un tribunal administratif qui pourrait avoir un effet dissuasif sur les collectivités territoriales désireuses de s’engager dans la voie de la reconnaissance des langues régionales, et ce alors que cette reconnaissance est désormais un impératif constitutionnel ?
Cette décision pourrait surtout faire jurisprudence et menacer bien des initiatives déjà prises par les communes, en faveur non seulement de notre belle langue occitane,…
M. Ronan Kerdraon. Et le breton ?
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. … mais aussi de l’ensemble des langues régionales de France. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste.)
Mes chers collègues, le tribunal administratif, en rendant son jugement, a donné une interprétation radicale de certains textes, en relevant, par exemple, l’absence de recherche d’objectifs de sécurité routière ou encore l’utilisation d’une lettre « ò » n’existant pas dans l’alphabet français parce que comportant un accent grave, ou même « l’usage local, pas suffisamment ancien et constant » – j’y reviendrai ultérieurement – « de l’appellation en langue régionale ».
On me permettra d’être sceptique sur le fait que la lettre « ò », du fait de l’accent grave, pourrait être de nature à ne pas rendre aussi compréhensible que possible par l’usager la lecture d’un panneau, et ce d’autant que ledit panneau est à proximité immédiate de celui qui est écrit en langue française. En fait, les deux panneaux sont contigus.
On est d’ailleurs en droit, comme vous le précisez vous-même dans votre rapport, madame le rapporteur, de se demander « si les contraintes typographiques réglementaires ne devraient pas être adaptées aux langues régionales et non l’inverse ».
M. Jean-Jacques Mirassou. Avec un dictionnaire !
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. On peut également s’interroger sur la deuxième raison invoquée par le juge et plus particulièrement sur la portée de la référence à des circonstances particulières ou à l’intérêt général.
On doit surtout s’interroger sur les conséquences d’une telle condition mise en avant par le juge, condition qui ne manquerait pas d’entraîner nombre de contentieux.
Je ferai d’ailleurs remarquer que nous ne faisons pas la même lecture de la décision du Conseil constitutionnel du 29 juillet 1994. En effet, l’analyse des considérants nous permet d’indiquer que rien, dans cette décision, ne subordonne à l’existence de « circonstances particulières » ou d’un « intérêt général », la mise en œuvre de la faculté d’installer, sur la voie publique, des inscriptions en langue régionale.
Au contraire, les considérants 11 et 12 de la décision laissent entendre que, sur la voie publique, il ne peut être imposé, sous peine de sanctions, l’usage réglementaire de certains mots « en tant qu’ils s’appliquent à des personnes autres que les personnes morales de droit public et les personnes privées dans l’accomplissement d’un service public. »
Quant à l’absence de fondement historique évoquée par le tribunal administratif, je précise que les formes correctes de toponymie sont attestées par l’usage des locuteurs dont témoignent les pratiques courantes et les atlas linguistiques. On les trouve dans les cartes, les chartes, la littérature et les cadastres. Ainsi, la forme Vilanòva de Magalona est attestée dès 1419. Dès lors, comment peut-on dire que cet usage n’est pas assez ancien ?
Mais passons ! D’une façon plus générale, aucun cadre juridique restreignant l’utilisation de traductions, tel que celui qui a été évoqué par le tribunal administratif, n’est, à notre avis, mentionné dans la décision du Conseil constitutionnel du 29 juillet 1994.
En fait, si un tel jugement a pu être rendu par le juge administratif, c’est en raison d’une loi peu précise sur le point qui nous préoccupe ou, si l’on préfère, en raison de l’absence d’un cadre législatif strict ne laissant aucune place à une interprétation controversée.
Pour être plus précis, je dirai que si, selon les termes de l’article 3 de la loi du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française, « Toute inscription ou annonce apposée ou faite sur la voie publique, dans un lieu ouvert au public ou dans un moyen de transport en commun et destinée à l’information du public doit être formulée en langue française », l’article 21 de la même loi précise, en revanche, que les dispositions du texte « s’appliquent sans préjudice de la législation et de la réglementation relatives aux langues régionales de France et ne s’opposent pas à leur usage. »
L’interprétation de cette combinaison de textes semble a priori impliquer la possibilité, pour les communes, d’installer des panneaux d’entrée d’agglomération en langue régionale.
Remarquons, toutefois, que, faute de textes législatifs plus précis, nous en sommes, nous-mêmes, réduits à interpréter la loi. En effet, ni la loi du 4 août 1994 ni aucun autre texte législatif ne mentionnent clairement la possibilité, pour les communes, de choisir d’installer des panneaux d’entrée ou de sortie d’agglomération bilingues.
M. Jean-Jacques Mirassou. C’est exact !
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Il y a là une brèche juridique qu’il nous faut combler.
M. Jean-Jacques Mirassou. Eh oui !
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. C’est pourquoi il nous paraît hautement nécessaire de fixer un cadre législatif circonscrit, strict et précis, conforme à la volonté du législateur, et qui nous préservera de nombreux contentieux en la matière.
M. Ronan Kerdraon. Très bien !
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Nous proposons donc que l’article 3 de la loi n° 94-665 du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française soit complété par un alinéa ainsi rédigé : « Les panneaux apposés sur la voie publique indiquant en langue française le nom d’une agglomération peuvent être complétés d’une inscription de la traduction de ce nom en langue régionale. »
Il s’agit, en effet, de conforter cette pratique par la loi et d’apporter, comme vous le mentionnez justement dans votre rapport, madame le rapporteur, une « garantie ». Je vous prie, toutefois, de noter, mes chers collègues, que, dans notre esprit, ces dispositions ne doivent pas avoir bien évidemment pour conséquence de remettre en cause d’autres pratiques courantes, telles que l’apposition de plaques portant le nom de rues en langue régionale, par exemple.
Nous considérons, en effet, que nos langues régionales doivent être présentes dans la vie publique, dans l’espace public. Pour vivre, une langue doit être présente dans la société.
Certes, je le reconnais, cette proposition de loi a un objectif limité. Mais c’est volontairement que nous nous sommes limités à cet objectif, car il y a urgence à régler ce problème une bonne fois pour toutes.
Cela dit, il nous faudra, dans un second temps, aller plus loin, en donnant un véritable statut juridique aux langues régionales, qui appartiennent, aux termes de l’article 75-1 de la Constitution, au patrimoine de la France. Il s’agit de permettre à ces langues régionales de véritablement vivre, ou plutôt, oserais-je dire, de ne pas mourir !
Faute d’une loi qui organise et garantisse leur usage, les langues régionales, patrimoine de la France, notre bien commun, seront menacées dans leur transmission et leur développement. Peut-on laisser se dégrader ainsi notre patrimoine ? Il nous faudra donc donner un cadre juridique protecteur à ces langues.
N’oublions pas que la cour administrative d’appel de Nancy a récemment déclaré qu’il n’y a pas de « droit » aux langues régionales. C’est la preuve que l’article 75-1 de la Constitution, à lui seul, n’est pas suffisant.
Dans cette optique, plusieurs propositions de loi ont été déposées, notamment celles de nos collègues Robert Navarro et Jean-Paul Alduy.
Depuis plusieurs décennies, les organismes internationaux et européens – le Parlement européen, le Conseil de l’Europe, l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, les Nations unies ou encore l’UNESCO – rappellent l’importance des langues dans le patrimoine de l’humanité et incitent les États à prendre des mesures visant à assurer la défense et le développement des langues, spécialement des langues régionales ou minoritaires.
Oui, mes chers collègues, la préservation de la diversité linguistique constitue un enjeu majeur. La France est riche de ses diversités culturelles et linguistiques en métropole et outre-mer. Et, nous sommes tous, j’y insiste, responsables de leur préservation devant les générations futures.
Alors, si vous le voulez bien, commençons par accomplir un pas de plus dans cette voie, celle qui devra nous conduire non seulement à préserver nos langues régionales, mais aussi à les promouvoir, à les développer et à les transmettre.
C’est l’un des objectifs de cette proposition de loi, certes modeste, mais absolument nécessaire.
Vous avez bien voulu, madame le rapporteur, au nom de la commission de la culture, vous prononcer en faveur de ce texte, sous réserve de quelques modifications, que j’approuve d’ailleurs, et je vous en remercie vivement. J’espère que nous bénéficierons du même soutien de votre part, monsieur le ministre, ainsi que de celui de la Haute Assemblée tout entière. (Vifs applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – Plusieurs sénateurs du groupe socialiste félicitent l’auteur de la proposition de loi en occitan et en breton.)
M. le président. La parole est à Mme le rapporteur.
Mme Colette Mélot, rapporteur de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la présente proposition de loi, déposée par notre collègue Roland Courteau et les membres du groupe socialiste, dont certains collègues de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, vise à compléter la loi du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française, en précisant que les panneaux d’entrée et de sortie d’agglomération peuvent être complétés d’une traduction en langue régionale.
La défense des langues régionales est un sujet passionnant qui mobilise le Parlement, et ce quels que soient les courants politiques. En témoignent les propositions de loi qui se multiplient au Sénat comme à l’Assemblée nationale, telles que celles de nos collègues Robert Navarro et Jean-Paul Alduy, toutes deux relatives au développement des langues et cultures régionales, ainsi que les deux propositions de loi déposées au mois de décembre dernier par nos collègues députés Marc Le Fur et Armand Jung.
La vivacité du débat est déjà perceptible, ainsi que l’attestent les nombreuses questions orales ou écrites à ce sujet - en un an, près d’une dizaine au Sénat.
Cette mobilisation s’inscrit dans la dynamique suscitée par la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008. En effet, le nouvel article 75-1 de la Constitution reconnaît les langues régionales comme constitutives du patrimoine de la France.
Pour autant, il ne s’agit pas aujourd’hui de se prononcer sur la portée de cette réforme et d’entamer les débats qui ne manqueront pas de naître à l’occasion de l’examen de l’un des textes que je viens d’évoquer.
Loin de s’attaquer à la question très générale de la promotion des langues régionales, la présente proposition de loi vise à traiter une question très précise et circonscrite, celle de la signalisation des entrées et sorties de ville. L’objectif est de transcrire en droit positif une pratique qui n’est pas interdite, et qui est d’ailleurs courante dans de nombreux endroits en France.
Nous avons tous déjà constaté que de nombreuses communes ont fait le choix d’installer des panneaux bilingues, utilisant à la fois la langue française et une langue régionale.
Comme le rappelle l’exposé des motifs de la proposition de loi, la combinaison des articles 3 et 21 de la loi du 4 août 1994 relative à l’emploi de la langue française permet aux communes d’installer des panneaux d’entrée d’agglomération en langue régionale. Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 29 juillet 1994, l’a d’ailleurs confirmé, en précisant que « la loi relative à l’emploi de la langue française prescrit sous réserve de certaines exceptions l’usage obligatoire de la langue française dans les lieux ouverts au public, dans les relations commerciales, de travail, dans l’enseignement et la communication audiovisuelle ; qu’elle n’a toutefois pas pour objet de prohiber l’usage de traductions lorsque l’utilisation de la langue française est assurée ».
Les langues régionales peuvent donc figurer sur les panneaux d’entrée de ville, mais à condition qu’il s’agisse d’une signalisation bilingue comprenant le nom en langue française.
C’est d’ailleurs cette réponse qui a été régulièrement apportée aux parlementaires ayant abordé ce sujet par le biais des questions écrites ou orales.
Aussi peut-on se demander s’il est bien opportun d’inscrire dans la loi une disposition qui semble a priori inutile, car autorisant une pratique non proscrite.
L’élément décisif ayant conduit M. Courteau et les auteurs de cette proposition de loi à soutenir ce texte est une très récente décision du tribunal administratif de Montpellier enjoignant à une commune, Villeneuve-lès-Maguelone, de procéder à l’enlèvement de panneaux portant la transcription en occitan du nom de l’agglomération.
Je tiens à souligner un point fondamental : le juge administratif n’a pas remis en cause le principe du bilinguisme. Il a même rappelé, au contraire, la possibilité offerte par la loi et confirmée par le Conseil constitutionnel.
Si le tribunal administratif a rendu ce jugement, c’est pour deux autres motifs.
Premièrement, les panneaux litigieux ne respectaient pas les règles de sécurité routière.
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. C’est secondaire !
Mme Colette Mélot, rapporteur. Étant de même taille ou plus grands que les panneaux d’entrée de l’agglomération et ne portant pas le nom usuel de celle-ci, ils prêtaient à confusion et pouvaient être une source d’insécurité routière. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Je ne fais que rappeler les arguments du tribunal administratif de Montpellier, chers collègues.
En outre, le juge a considéré que la lettre « ò », donc un « o » affecté d’un accent grave, ne pouvait figurer sur un panneau, ce signe diacritique n’étant répertorié dans aucune des annexes de l’arrêté du 7 juin 1977 relatif à la signalisation des routes et des autoroutes. Cela signifierait donc que la signalisation bilingue est autorisée, mais seulement si elle respecte les normes de la langue française !
Ce qu’autorisent la loi et le juge constitutionnel peut donc être limité par les contraintes typographies réglementaires…
La réglementation devrait, à tout le moins, être adaptée pour que les langues régionales puissent effectivement vivre dans le respect de leurs éventuelles spécificités typographiques.
Deuxièmement, le juge a invoqué l’absence de fondement historique de la traduction occitane. La commune visée n’a pas été en mesure d’invoquer l’existence d’un usage local suffisamment ancien et constant de la toponymie employée.
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Depuis 1419 !
Mme Colette Mélot, rapporteur. Dès lors, selon le juge, aucune circonstance particulière ou tenant à l’intérêt général ne justifiait l’installation de ces panneaux.
Ce dernier point est très important, parce que l’on est en droit de se demander si cette nouvelle condition d’intérêt général ou de circonstance particulière ne pourrait pas être à la source d’une interprétation restrictive de la possibilité d’installer des panneaux bilingues,…
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Exactement !
Mme Colette Mélot, rapporteur. … dans le cadre de contentieux à venir.
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. En effet !
Mme Colette Mélot, rapporteur. Il serait dommage de revenir sur une pratique autorisée jusqu’à aujourd’hui par la loi et le juge constitutionnel.
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Très bien !
Mme Colette Mélot, rapporteur. Les incertitudes que je viens d’évoquer peuvent justifier que l’on soutienne cette proposition de loi, même si, à première vue, il est légitime de penser qu’il est inutile de légiférer pour autoriser ce qui n’est pas interdit.
Sur le fond, la proposition de loi paraît donc à la fois utile pour asseoir une pratique déjà courante, sans être révolutionnaire, puisqu’elle ne fait que rappeler ce qui est déjà autorisé.
Je tiens à insister sur un point fondamental : il ne faudrait pas interpréter la volonté du législateur dans le sens d’une restriction de la pratique du bilinguisme pour les autres installations, notamment les panneaux de rue.
L’esprit de cette proposition de loi doit être clair : il s’agit de consolider une pratique qui concerne les panneaux d’entrée et de sortie d’agglomération, non de remettre en cause les autres installations existantes.
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Exactement !
Mme Colette Mélot, rapporteur. Permettez-moi également de préciser le sens des mots choisis : il s’agit de « compléter » les panneaux en langue française. Nous sommes donc bien dans la logique de la loi du 4 août 1994 : la langue française doit bien être respectée...
M. Claude Bérit-Débat. C’est clair !
Mme Colette Mélot, rapporteur. ... et les mentions en langue française figurer en premier, l’inscription en langue régionale devant suivre en second, pour compléter le nom de l’agglomération en français.
M. Jacques Legendre, président de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Très bien !
M. Roland Courteau, auteur de la proposition de loi. Nous sommes d’accord !
Mme Colette Mélot, rapporteur. Ces précisions techniques relèvent évidemment du règlement, mais il n’est pas inutile de procéder à ce rappel à l’occasion de cette discussion générale.
M. Jacques Legendre, président de la commission de la culture. Très utile !