M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement, pour la réplique, en quelques secondes.
M. Jean-Pierre Chevènement. Monsieur le ministre, il faudrait redéployer nos moyens vers une présence civile, conformément à une belle et grande tradition de la France. Je pense aux lycées, aux centres culturels, aux hôpitaux (M. Jean-Louis Carrère applaudit.), aux musées, aux fouilles archéologiques, ainsi qu’à la coopération universitaire et scientifique.
M. Jean-Louis Carrère. Très bien !
M. Jean-Pierre Chevènement. Il faudrait que ce retrait rapide de nos forces débouche sur un retour de la France dans des domaines où elle était traditionnellement présente.
M. Yvon Collin. Très bien !
M. Jean-Pierre Chevènement. Nous voyons l’Inde et la Chine multiplier leurs investissements en Afghanistan ; ces pays se disputeront son territoire dès lors que les Occidentaux l’auront quitté. La France doit cependant y rester présente ! (Applaudissements sur certaines travées du RDSE. – M. Jean-Louis Carrère applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. André Dulait, pour le groupe Union pour un mouvement populaire.
M. André Dulait. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, chacun de nous en est bien conscient, le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale a profondément modifié le fonctionnement du ministère de la défense, qui en est à sa deuxième réforme. Les restructurations ont été conduites avec un objectif principal : remettre l’homme au centre du dispositif. Cela est essentiel à un moment où nos troupes sont engagées dans un conflit qui n’est pas qualifié de « guerre ».
Avec notre présence en Afghanistan, la société redécouvre la notion de sacrifice suprême. Les blessés de l’hôpital Percy peuvent en témoigner.
Certes, ceux qui reviendront d’Afghanistan auront participé à des « opérations de sécurité », et non à une guerre. Toutefois, un certain nombre de nos concitoyens ont évoqué la possibilité d’une commémoration.
En tant que rapporteur du projet de loi relatif à la reconversion des militaires, je pense que celle-ci doit s’accompagner d’une nécessaire reconnaissance de la nation. Le « conflit » en Afghanistan et sa spécificité doivent être appréhendés sous un volet mémoriel, contribuant ainsi à resserrer le lien entre l’armée et la nation.
À l’heure du turn over que connaît l’armée, il s’agit de la place qu’occupera le futur ex-soldat dans la société, après son passage au sein de l’institution de la défense. Mais il est également question des rapports de l’armée avec ceux qu’elle a formés et qui l’ont quittée transformés.
Aussi, monsieur le ministre, je souhaiterais connaître les réflexions qui sont menées sur ce sujet par vous-même et par votre ministère.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Gérard Longuet, ministre. Cher André Dulait, votre question est d’une pertinence totale. (Sourires sur les travées du groupe CRC-SPG.)
Depuis vingt ans, plus de 200 000 soldats français ont été engagés dans des OPEX de natures extrêmement différentes. Cela me conduit, sur ce point précis, à vous indiquer que le ministère s’est mobilisé et a envoyé un questionnaire à plus de 5 000 militaires de tous grades, afin de comprendre le ressenti de ceux qui ont participé à ces OPEX au cours des vingt dernières années, et de savoir comment ils souhaitent qu’une reconnaissance nationale leur soit accordée.
Avant même de connaître les résultats de cette étude d’opinion, qui débouchera sur des propositions, le Gouvernement a accepté d’accorder le bénéfice de la campagne double aux militaires actuellement engagés en Afghanistan. (MM. André Dulait et Jacques Gautier marquent leur satisfaction.)
M. Alain Gournac. Très bien !
M. Gérard Longuet, ministre. Je voudrais développer certains points, que vous avez implicitement évoqués.
Le premier concerne les familles de nos soldats disparus. Le soutien matériel qui leur est accordé est solide, mais les procédures sont complexes. Mon prédécesseur, avec l’aide de ses collaborateurs, avait préparé un plan facilitant ces procédures. Ainsi, les familles n’auront plus à se battre pour s’orienter au sein d’un dédale administratif qui peut revêtir, dans certains cas, un caractère kafkaïen.
Le deuxième point a trait au statut de nos soldats blessés. Vous avez évoqué ceux qui sont hospitalisés à Percy. En effet, il nous faut prévoir des reconversions et des réorientations, à l’intérieur ou à l’extérieur de l’armée, pour les hommes qui ont été atteints par les mines, ces armes particulièrement meurtrières. Le ministère de la défense se mobilise pour leur apporter des solutions de bon sens et de suivi individualisé. Nous sommes en mesure de le faire. C’est le devoir, l’honneur et la tradition de notre armée. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Yves Pozzo di Borgo applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. André Dulait, pour la réplique.
M. André Dulait. Je tiens à vous remercier, monsieur le ministre, pour tous les éléments de réponse que vous m’avez apportés. La nation doit reconnaissance, sous la forme d’une commémoration, à tous ces hommes, ceux qui sont diminués physiquement à l’issue des conflits, comme ceux qui ont perdu la vie. Je me réjouis que vous ayez engagé cette démarche et que vous soyez en bonne voie pour la mener à son terme. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Bel, pour le groupe socialiste.
M. Jean-Pierre Bel. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je vais essayer de dire les choses simplement.
En Afghanistan, l’enjeu, c’est la guerre ou la paix. L’enjeu, c’est la stabilité d’une région traversée par des tensions de toute nature. L’enjeu, c’est le rôle de la France et de l’Europe dans les relations internationales.
C’est pourquoi nous devons bien sûr aborder ce dossier brûlant et sensible avec gravité et esprit de responsabilité.
Monsieur le ministre, nos collègues Jean-Louis Carrère, Michelle Demessine et Jean-Pierre Chevènement ont posé une question de fond sur le tragique conflit qui déchire l’Afghanistan et sur notre engagement dans ces combats.
Il faut, d’abord, éviter les malentendus et les mauvais procès. Un point, je crois, fait largement consensus : c’est la nécessité de nous donner les moyens – tous les moyens ! – de lutter contre le terrorisme international.
On a bien compris que l’objectif était de lutter contre les terroristes là où ils se trouvent, et avec des moyens appropriés.
Mais, ce matin, je tiens à apporter un éclairage sur ce qu’il faut bien appeler un angle mort de notre action : je veux parler de la prise en compte de la dimension régionale, et notamment du Pakistan, dans le cadre de la stratégie en cours.
Les informations recueillies lors d’un voyage que nous avions effectué ensemble, monsieur le ministre, dans le cadre de la mission sénatoriale diligentée par le président Larcher, et celles que nous détenons par ailleurs démontrent, d’une part, que les talibans recrutent localement et, d’autre part, qu’ils peuvent compter sur le soutien de forces venues du Pakistan. Ce flux-là semble loin de se tarir. Mais peut-être disposez-vous d’autres informations, monsieur le ministre, que vous souhaiteriez communiquer au Sénat ?
Dans ce contexte, les opérations menées par les États-Unis sur le territoire pakistanais soulèvent de nombreuses interrogations.
D’où mes questions, qui seront simples dans leur énoncé, mais ô combien complexes, bien sûr, dans leurs implications !
La France participe-t-elle, aux côtés des États-Unis, aux opérations menées dans les zones tribales qui servent de sanctuaires aux talibans afghans et à Al-Qaïda ?
Sommes-nous associés, et si oui, de quelle manière, aux décisions qui conduisent à des frappes militaires sur la zone frontalière pakistanaise ? Avons-nous des échanges diplomatiques avec le Pakistan sur cette question ?
Comment entendons-nous agir pour obtenir une clarification de la position du Pakistan, dont nous avions tous reconnu qu’elle était pour le moins ambiguë ? (MM. Jean-Louis Carrère, Daniel Reiner et Jacques Mézard applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Gérard Longuet, ministre. Je remercie M. Bel d’avoir évoqué le déplacement à Kaboul, organisé sur votre initiative, monsieur le président Larcher et que nous avons effectué il y a presque dix-huit mois. Ce déplacement m’a sans doute permis de connaître un peu plus rapidement ce dossier majeur du ministère que j’ai l’honneur de diriger.
Je vous le dis d’une façon catégorique, monsieur Bel : l’armée française, directement ou indirectement, n’intervient pas au Pakistan. Peut-être d’autres le font-ils – vous avez évoqué quelques hypothèses... –, mais pas l’armée française ! Sa mission se limite à l’Afghanistan et à l’application de la résolution 1386 du Conseil de sécurité des Nations unies. En aucun cas notre armée ne sort du mandat que nous tenons de cette résolution, et des territoires situés à l’est de Kaboul, mais très clairement à l’intérieur des frontières de l’Afghanistan.
En revanche, vous avez mille fois raison de dire que nous avons le devoir, sur le plan diplomatique, – mais ce dossier relève de la responsabilité de mon collègue Alain Juppé ! – d’aider le Pakistan à rétablir des relations apaisées avec la communauté internationale.
Je me garderai bien de porter un jugement sur les inquiétudes et les conflits qui traversent ce pays, mais nous savons bien que ceux-ci troublent la sérénité du sous-continent indien. Des conflits majeurs l’opposent en effet à son grand voisin, et l’on peut tout à fait supposer que les décisions prises par le Pakistan concernant son voisin de l’ouest sont conditionnées par les inquiétudes qu’il ressent à l’est. Le débat international est donc au cœur du sujet.
L’Afghanistan est l’un des éléments d’un système complexe, qui comprend la société afghane, dont j’ai parlé lors d’une réponse à un précédent orateur, et la situation particulière de ce pays, d’où sont parties les dynasties mogholes qui ont contrôlé l’Inde.
Vus de l’extérieur, il s’agit de pays différents. Lorsqu’on les connaît, la réalité s’avère être plus complexe. Vous avez donc raison, une réflexion diplomatique d’ensemble est nécessaire, mais celle-ci relève de la responsabilité du ministère des affaires étrangères, sous l’autorité du Président de la République. C’est donc M. Juppé que vous devriez interroger sur ce sujet.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Bel, pour la réplique.
M. Jean-Pierre Bel. Tout le monde, qu’il s’agisse des experts, des analystes, des diplomates ou des militaires, reconnaît qu’une victoire militaire en Afghanistan est désormais impossible.
La France se trouve dans une situation délicate du fait de sa stratégie au sein de l’OTAN, qui nous interdit de définir nos propres objectifs stratégiques. C’est pourquoi nous demandons une nouvelle fois un débat au Parlement, suivi d’un vote, sur l’engagement militaire en Afghanistan.
Le courage et le sens du devoir de nos soldats sur place ne changent rien à un constat de fait : notre stratégie est insuffisante et ne peut aboutir. Par conséquent, il faut nous engager sur un calendrier précis, comportant l’annonce d’un retrait progressif et planifié, concerté avec nos alliés, nos partenaires européens et les autorités afghanes. Tel est le sens de nos interventions d’aujourd’hui. (M. Jean-Louis Carrère applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Didier Boulaud, pour le groupe socialiste.
M. Didier Boulaud. Monsieur le ministre, ma question portera sur la communication publique de la mission française dans le cadre de la FIAS, la force internationale d’assistance et de sécurité, en Afghanistan.
Le sujet a été déjà évoqué par mon collègue Jacques Gautier, à qui vous avez apporté un certain nombre de réponses, mais celles-ci, malheureusement, ne nous ont pas convaincus. (Exclamations sur les travées de l’UMP.)
M. Josselin de Rohan. Quelle surprise !
M. Didier Boulaud. Quand on veut communiquer, on trouve les moyens pour le faire.
Savez-vous, monsieur le ministre, que, tous les mois, le général français qui commande nos troupes en Afghanistan est invité ou, plus exactement, convoqué par le Pentagone pour rencontrer les journalistes américains et s’entretenir avec eux ?
Savez-vous, monsieur le ministre, que, tous les trois mois, le gouvernement canadien remet à tous les parlementaires un rapport public de plusieurs dizaines de pages, parfois même de plusieurs centaines de pages.
Il est trop facile, monsieur le ministre, de faire porter la responsabilité du problème de communication à la presse !
À ce sujet, j’adresse une pensée toute particulière aux deux journalistes français encore retenus en Afghanistan après 429 jours, et je leur rends hommage.
J’ai le sentiment que la communication sur la situation en Afghanistan est le reflet de l’attitude du Gouvernement et, surtout, du Président de la République à propos des événements qui ont lieu dans ce pays.
Nous n’avons pu que constater, au fil des mois puis des années, à quel point il était difficile d’obtenir qu’un débat soit organisé – quand bien même nous évoquons le sujet aujourd'hui – ou que nous puissions nous exprimer par un vote, à la différence de ce qui se passe dans les autres pays : aux États-Unis, en Allemagne, en Grande-Bretagne (M. Jean-Louis Carrère opine.), où n’existent ni la peur d’affronter la presse, ni la crainte face aux critiques parlementaires.
Personnellement, je crois que, si la Grande Muette est aujourd'hui muette, c’est parce qu’elle en a reçu l’instruction.
Nous vous demandons, monsieur le ministre, de « libérer » les moyens d’information, en particulier ceux de la DICOD, la délégation à l’information et à la communication de la défense, en direction de la presse de manière que celle-ci puisse faire son travail dans de meilleures conditions.
Par ailleurs, monsieur le ministre, je vais empiéter sur le temps de parole qui m’est alloué pour la réplique à votre réponse pour vous poser une dernière petite question, relative elle aussi, bien sûr, à l’Afghanistan.
Dans le cadre du plan de relance, cinq hélicoptères Caracal ont été financés. Or, nous avons appris qu’un de ces hélicoptères, au lieu d’être attribué à l’armée de l’air, était destiné à l’exportation.
Considérez-vous, monsieur le ministre, que c’est le moment d’exporter des hélicoptères dont nous avons le plus grand besoin sur les théâtres d’opération, en particulier en Afghanistan ?
Pouvez-vous d’ailleurs nous indiquer si cet hélicoptère Caracal a été vendu à l’export ou si sa destination est bien toujours l’Afghanistan ? (M. Jean-Louis Carrère applaudit.)
MM. François Trucy et Alain Gournac. Vous n’avez plus de temps de parole pour la réplique !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Gérard Longuet, ministre. D’abord, monsieur le sénateur, vous avez eu raison d’évoquer les deux journalistes de France 3 enlevés en décembre 2009 dans l’exercice de leur mission et bloqués depuis.
L’armée française avait tout fait pour qu’ils soient en mesure d’assurer leur mission en les faisant bénéficier de son soutien ; ils ont souhaité aller au-delà, avec un courage dont, très clairement, ils sont aujourd'hui les victimes.
Je m’incline devant ce courage qui est partagé par tous les journalistes qui font l’effort de venir en Afghanistan pour essayer de comprendre et d’expliquer.
J’ajoute que, toutes les semaines, un haut fonctionnaire permanent de la direction de la communication du ministère de la défense est à la disposition des journalistes dans un point de presse au cours duquel il expose très clairement la situation des opérations sur le terrain et répond à l’ensemble des questions qui lui sont posées.
Très honnêtement, j’estime donc que l’armée fait son travail d’information sur la mission qu’elle assume pour le compte de la FIAS et celui de la communauté internationale.
Ensuite, s’agissant des hélicoptères Caracal déployés en Afghanistan, je dois avouer que ce sujet très précis ne m’est pas encore parfaitement familier, mais, s’il y avait eu à un moment une perspective d’exportation d’un appareil, elle n’a manifestement pas été suivie d’effet. La priorité est effectivement que le matériel soit disponible sur le théâtre des opérations. Je me dois donc de dire très clairement que le risque que vous avez évoqué n’est pas confirmé. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. François Trucy. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Didier Boulaud, pour la réplique.
M. Didier Boulaud. Je n’ajouterai rien, monsieur le président.
M. le président. Monsieur le ministre, au nom de mes collègues, je vous remercie. Au cours de ces questions cribles, nous avons bien sûr tous eu en pensées nos troupes, mais aussi les deux journalistes retenus en Afghanistan ; à ces pensées, associons collectivement tous les otages retenus en Afrique et ailleurs. (M. Alain Gournac opine.)
Mes chers collègues, nous en avons terminé avec les questions cribles thématiques sur la situation en Afghanistan.
L’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures vingt, est reprise à quatorze heures trente, sous la présidence de M. Guy Fischer.)
PRÉSIDENCE DE M. Guy Fischer
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
4
Candidatures à des organismes extraparlementaires
M. le président. Je rappelle que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation de sénateurs appelés à siéger au sein de deux organismes extraparlementaires.
La commission des affaires étrangères et la commission de la culture proposent respectivement les candidatures de Mme Catherine Tasca et de M. Louis Duvernois pour siéger au sein du conseil d’administration de l’Institut français, créé en application de l’article 6 du décret n° 2010-1695 du 30 décembre 2010.
Par ailleurs, la commission de la culture propose la candidature de Mme Claudine Lepage pour siéger au sein du conseil d’orientation stratégique de l’Institut français, créé en application de l’article 5 du décret n° 2010-1695 du 30 décembre 2010.
Ces candidatures ont été affichées et seront ratifiées, conformément à l’article 9 du règlement, s’il n’y a pas d’opposition à l’expiration du délai d’une heure.
5
Garde à vue
Suite de la discussion d'un projet de loi
(Texte de la commission)
M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, relatif à la garde à vue.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. François Pillet.
M. François Pillet. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, pour la première fois depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, notre assemblée est saisie d’un projet de loi visant à tirer les conséquences d’une décision rendue dans le cadre d’une question prioritaire de constitutionnalité par le Conseil constitutionnel.
En abrogeant le support légal de la garde à vue, tout en renvoyant les effets de sa décision au 1er juillet prochain, le Conseil constitutionnel a plus largement mis le législateur en demeure de définir un nouvel équilibre entre les droits de la défense et la protection de l’ordre public, au cours d’une mesure progressivement devenue un symbole de l’enquête policière.
Le 1er juillet prochain, nous serons donc dans l’obligation d’avoir réformé la garde à vue en préservant l’équilibre fragile entre le respect des droits individuels, du gardé à vue mais aussi des victimes, et le respect des droits de la société, que nous sommes chargés de protéger face au crime et à la délinquance.
La clef de la réussite de cet équilibre réside dans des règles procédurales claires, excluant tout risque d’arbitraire ou de laxisme. L’exercice qui nous incombe aujourd’hui est donc très délicat.
Au surplus, la navette parlementaire entre nos deux assemblées devra être un véritable marathon, afin de permettre au Conseil constitutionnel, le cas échéant, d’effectuer son contrôle dans les délais impartis.
En réalité, ce calendrier pose une question de fond. Nous devons faire évoluer notre garde à vue en dehors de la réforme globale de la procédure pénale, et préalablement à celle-ci, c’est-à-dire avant même que nous ayons mis en chantier la nécessaire refondation de notre code de procédure pénale.
La réforme que nous examinons doit ainsi se frayer un étroit chemin entre divers intérêts, souvent contradictoires.
Elle doit reconnaître que la personne mise en cause puisse exercer les droits légitimes à sa défense. À cet égard, la possibilité pour le suspect d’être accompagné d’un avocat dès le début de la garde à vue est actée. En posant ce principe dans la loi, nous allons tourner une page de l’histoire de la procédure pénale de notre pays.
La réforme doit donner les moyens de mener l’enquête sans entrave, afin de permettre la manifestation de la vérité, malgré les difficultés de la tâche des services chargés de mener l’enquête, en particulier dans un contexte où la criminalité évolue, où elle est sans doute plus complexe, mieux organisée, souvent de dimension internationale. Nous devons donc éviter que le déroulement de la garde à vue ne gêne ou n’entrave la mission de l’enquêteur.
Elle doit aussi accorder à la victime les moyens d’être respectée et protégée, et éviter que celle-ci n’ait dans les faits, comme c’est hélas ! le cas, le sentiment que les rôles sont inversés, en d’autres termes qu’elle est mise en accusation tandis que l’auteur du délit apparaîtrait comme une victime du système qu’il faudrait protéger à tout prix.
C’est sans doute sur ce point qu’il existe un défi très important à relever.
Nous devons donc veiller à ce que nos concitoyens s’approprient cette réforme et qu’ils y adhèrent en ayant acquis la certitude qu’elle ne se fera pas au détriment de la vérité – celle des faits, celle des préjudices –, en somme qu’elle n’empêchera pas la justice de passer.
Le projet de loi que vous nous présentez, monsieur le ministre, est un progrès. Le renforcement du rôle tenu par l’avocat lors de la garde à vue constitue désormais un point consensuel du débat.
Le Président de la République lui-même déclarait devant la Cour de cassation, le 7 janvier 2009 : « Parce que [les avocats] sont auxiliaires de justice et qu’ils ont une déontologie forte, il ne faut pas craindre leur présence dès les premiers moments de la procédure. Il ne le faut pas parce qu’elle est, bien sûr, une garantie pour leurs clients, mais elle est aussi une garantie pour les enquêteurs, qui ont tout à gagner d’un processus consacré par le principe du contradictoire. »
C’est là, monsieur le garde des sceaux, une vision partagée : le progrès qui n’est perçu aujourd’hui que pour le gardé à vue est également un progrès pour les policiers et les forces de gendarmerie. Il n’y a pas de contradiction dans le texte, il ne me semble pas inutile de le réaffirmer.
Avant d’aborder plusieurs points essentiels, je veux rappeler un aspect doublement fondamental de ce projet de loi.
Tout d’abord, la garde à vue fait, pour la première fois dans notre procédure pénale, l’objet d’une définition. Ensuite, elle ne peut être mise en œuvre que pour atteindre six objectifs clairement définis. Ces objectifs sont d’autant plus protecteurs que, s’agissant de textes pénaux, ils doivent recevoir une interprétation restrictive.
La garde à vue ne peut désormais trouver application que pour des délits et crimes passibles d’une peine d’emprisonnement.
Le déroulement de la garde à vue présente en outre des droits nouveaux ou plus étendus.
Parmi ceux-ci, je souhaite relever la consécration du droit de se taire, le droit de faire prévenir un proche, son représentant légal et son employeur, la garantie immédiate d’un interprète pour la notification des droits, la limitation de la force probante des déclarations faites hors l’intervention de l’avocat et l’extension de l’assistance de l’avocat.
Ce dernier point est sans doute celui qui fit l’objet des plus larges commentaires.
Le débat sur la présence d’un avocat en garde à vue est ancien. Il achoppait jusqu’alors à l’une de nos traditions juridiques, celle d’une conception de la procédure pénale selon laquelle le caractère contradictoire des phases d’instruction puis de jugement permettait de poser certaines restrictions aux droits de la défense lors de la phase policière, sans remettre en cause pour autant ni la présomption d’innocence ni l’équilibre du procès pénal lui-même.
Incontestablement, l’année écoulée a fait voler en éclats les lignes de fracture qui marquaient traditionnellement ce débat.
Le droit à l’assistance effective d’un avocat durant toute la durée de la mesure est affirmé et organisé.
De même, et ce parallélisme est important, la victime pourra aussi être assistée d’un avocat lors des éventuelles confrontations.
Ces dispositions s’accompagnent d’un point important : la résolution de la question de l’accès au dossier.
L’avocat peut ainsi consulter dès le début de l’instruction non seulement le procès-verbal de notification du placement en garde à vue et le procès-verbal de notification des droits, mais aussi les procès-verbaux des auditions qui ont déjà été réalisées, y compris le certificat médical si un examen de ce type a eu lieu.
L’avocat pourra assister la personne en garde à vue dès le début de la mesure, il pourra même poser des questions à la fin de l’audition et le texte va plus loin dans la définition des possibilités qu’il aura dans ce domaine.
Ce dispositif novateur est, pour moi, fondamental et équilibré dès lors qu’il trouve uniquement sa limite dans les hypothèses où il serait illégitimement porté atteinte au bon déroulement de l’enquête ou à la dignité de la personne.
C’est à mon sens avec sagesse que l’Assemblée nationale a prévu un délai de carence de deux heures pour tenir compte de la situation concrète des barreaux et donner à l’avocat le temps de se rendre sur les lieux où s’exerce la garde à vue.
Ici encore, l’idée est de sécuriser le processus, et non de gêner ou de favoriser les uns ou les autres. Il s’agit de faire en sorte qu’il n’y ait pas de contestation ultérieure du processus de la garde à vue. Ainsi, l’effectivité du droit accordé à la personne gardée à vue est renforcée, tout en tenant compte de certains obstacles susceptibles de retarder l’arrivée de l’avocat sans que, parallèlement, l’indisponibilité de celui-ci soit de nature à retarder une enquête qui souvent réclame des diligences et des constatations rapides.
Nous notons enfin, avec satisfaction, que la création d’un régime d’auditions libres sans recours nécessaire à un avocat, bien que tentée, a été définitivement écartée.
Je souhaiterais m’arrêter un instant sur la place du juge et du parquet.
Tout d’abord, je veux rendre hommage à la qualité du travail accompli par les procureurs de la République et à la manière dont, avec les services de police et de gendarmerie, ils assument leurs responsabilités.
Au besoin, je conseille à mes collègues qui n’ont pas eu l’occasion de le faire de visiter un tribunal de grande instance et d’y observer la permanence du parquet, le jour et la nuit, et le travail effectué par les magistrats de ces unités. C’est une tâche extrêmement difficile, remplie de pièges pouvant ensuite avoir des conséquences redoutables dans les procédures et effectuée avec un dévouement remarquable. Cela aussi me paraît devoir être rappelé.
Il nous faut ici, dans le respect des jurisprudences de la Cour européenne des droits de l’homme, la CEDH, et de la Cour de cassation, trouver un dispositif qui définisse le plus précisément possible le rôle du procureur de la République ainsi que le rôle du juge.
Je ne m’engagerai pas dans un débat dogmatique sur ce point. Essayons d’être pratiques : nous devons mettre en place un dispositif juridique qui fonctionne.
La spécificité française a beaucoup été critiquée à cette tribune, mais le parquet à la française a aussi souvent démontré ses avantages. Il s’agit non pas uniquement de la garde à vue, mais du fonctionnement général de la justice.
Au surplus, le débat sur l’évolution du statut du parquet dans le cadre de l’étude du prochain code de procédure pénale sera ouvert.
Je tiens donc à rappeler que nous soutenons le processus d’intervention du procureur et du juge tel que notre rapporteur l’a évoqué, les responsabilités étant confiées au procureur de la République au début du processus et le juge intervenant le plus rapidement possible.
Je rappellerai aussi, comme cela a déjà été fait, que la CEDH n’a jamais imposé que la garde à vue soit contrôlée par un magistrat du siège. Elle exige seulement qu’au-delà d’un délai variant entre trois et quatre jours une personne privée de liberté soit présentée à un juge indépendant. Le Conseil constitutionnel et la Cour de cassation n’ont d’ailleurs jamais dit autre chose.
En matière de police des gardes à vue, il faut éviter que le législateur ne stigmatise la profession d’avocat en préjugeant d’un mauvais comportement. Je soutiens donc ardemment le rapporteur dans son souhait de partir de l’assurance que l’avocat se comportera selon sa déontologie.
En tant qu’avocat et ancien bâtonnier, je peux vous assurer que cette réforme est un véritable défi pour la profession d’avocat. Cette dernière attend que, dans ce domaine, une juste rémunération lui soit reconnue et assurée.
Mais, au-delà de cette question, il ne faut pas se cacher les difficultés que rencontreront certains barreaux pour assurer, dans la pratique, l’application de cette loi et la satisfaction de ses exigences. Je ne doute pas néanmoins que la profession prendra très rapidement les dispositions et les initiatives nécessaires.
Mes chers collègues, nous ne pouvons pas prendre le risque de donner un coup de frein à la lutte contre la délinquance menée inlassablement par le Gouvernement.
Ce serait un mauvais signal pour les Français, qui nous disent tous les jours leur besoin de sécurité.
Ce serait un mauvais signal pour les délinquants, qui pourraient croire que tout est permis, en totale impunité.
Ce serait un mauvais signal, enfin, pour nos forces de l’ordre qui, voyant leur efficacité mise à mal pour des questions procédurales, nourriraient non seulement un sentiment de lassitude mais, pire, souffriraient d’une véritable démotivation dans leur lutte quotidienne contre la délinquance.
Ce serait également une injustice envers les victimes d’infraction.
Nous devons aussi éviter de faire une réforme pour rien. J’entends par là que nous ne pouvons pas nous permettre de mettre en place un dispositif qui pourrait encourir dans les mois qui viennent de nouvelles sanctions, soit du Conseil constitutionnel, soit de la Cour européenne des droits de l’homme, soit encore de nos plus hautes juridictions.
Nous sommes aujourd’hui face à une réforme essentielle, très attendue par le Sénat pour les raisons qui ont été développées ce matin par notre rapporteur. Elle est cependant, en raison de ses objectifs, techniquement complexe.
Au nom du groupe dont je suis le porte-parole, je veux vous dire que la réforme que vous nous présentez, monsieur le ministre, nous convient. Elle permet de parvenir à un certain équilibre entre les différentes contraintes que j’ai évoquées. Quant aux dispositions qui nous semblaient initialement poser problème, elles ont été modifiées, voire supprimées.
Les apports dus à la qualité du travail et de l’écoute de notre rapporteur doivent être salués. Vous l’aurez compris, mes chers collègues, nous voterons avec satisfaction le texte qui nous est soumis. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi qu’au banc des commissions.)