Sommaire
Présidence de M. Bernard Frimat
Secrétaires :
Mme Michelle Demessine, M. Philippe Nachbar.
3. Demande d'avis sur une nomination
4. Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire croate
5. Financement de l'action publique locale. – Rejet d'une proposition de loi
Discussion générale : Mme Marie-France Beaufils, auteur de la proposition de loi ; MM. Charles Guené, rapporteur de la commission des finances ; Philippe Richert, ministre chargé des collectivités territoriales.
MM. Jean-Pierre Chevènement, Thierry Foucaud, Mme Nicole Bricq, M. Pierre-Yves Collombat.
Clôture de la discussion générale.
M. le ministre.
Mme Marie-France Beaufils, M. le rapporteur.
Rejet de l’article par scrutin public.
Aucun article n’ayant été adopté, la proposition de loi est rejetée.
6. Projets des collectivités locales d'Île-de-France. – Adoption d'une proposition de loi
Discussion générale : Mme Nicole Bricq, auteur de la proposition de loi ; MM. Dominique Braye, rapporteur de la commission de l’économie ; Maurice Leroy, ministre de la ville.
Mmes Françoise Laborde, Éliane Assassi, MM. Yves Pozzo di Borgo, David Assouline, Jean-Pierre Fourcade, Laurent Béteille, Mme Bariza Khiari.
Clôture de la discussion générale.
Amendements identiques nos 5 du Gouvernement et 7 de M. Jean-Pierre Fourcade. – MM. le ministre, Jean-Pierre Fourcade. – Retrait des deux amendements.
Amendement n° 12 de la commission. – MM. le rapporteur, le ministre, Mme Brigitte Gonthier-Maurin, MM. Jean-Pierre Caffet, Charles Revet, Jean-Pierre Fourcade, Jean Desessard. – Adoption.
Amendement n° 1 de la commission. – MM. le rapporteur, le ministre. – Adoption.
Amendement n° 8 rectifié de M. Jean-Pierre Fourcade et sous-amendement no 11 rectifié de Mme Nicole Bricq. – M. Jean-Pierre Fourcade, Mme Nicole Bricq, MM. le rapporteur, le ministre. – Adoption du sous-amendement et de l'amendement modifié.
Amendement n° 2 de la commission. – MM. le rapporteur, le ministre. – Adoption.
Amendement n° 3 de la commission. – MM. le rapporteur, le ministre. – Adoption.
Amendement n° 4 de la commission et sous-amendement no 10 de Mme Éliane Assassi. – M. le rapporteur, Mme Brigitte Gonthier-Maurin,
Amendement n° 9 de Mme Éliane Assassi. – Mme Brigitte Gonthier-Maurin.
MM. le rapporteur, le ministre, Laurent Béteille, Jean-Pierre Fourcade. – Rejet du sous-amendement no 10 ; adoption de l’amendement no 4, l’amendement no 9 devenant sans objet.
Adoption de l'article unique modifié.
Article additionnel après l’article unique
Amendement n° 6 rectifié de M. Philippe Paul. – MM. Philippe Paul, le rapporteur, le ministre. – Adoption de l'amendement insérant un article additionnel.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin, M. Jean Desessard, Mmes Marie-Agnès Labarre, Catherine Tasca.
Adoption de la proposition de loi.
MM. le ministre, le rapporteur, Jean-Paul Emorine, président de la commission de l'économie.
Suspension et reprise de la séance
7. Réserves militaires et civiles. – Adoption d'une proposition de loi (Texte de la commission)
Discussion générale : MM. Michel Boutant, auteur de la proposition de loi ; Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères, rapporteur de la proposition de loi ; Gérard Longuet, ministre de la défense et des anciens combattants.
Mme Michelle Demessine, MM. Didier Boulaud, Jean-Marie Bockel, Mme Gisèle Gautier.
M. le ministre.
Clôture de la discussion générale.
MM. le président de la commission, Michel Boutant.
Adoption de la proposition de loi.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE Mme Monique Papon
8. Candidatures à une commission mixte paritaire
9. Demande d'inscription à l’ordre du jour d'une proposition de résolution
10. Renvoi pour avis
11. Urbanisme commercial. – Discussion d'une proposition de loi (Texte de la commission)
Demande de réserve des amendements nos 4, 5, 2, 3, 43, 103, 55, 59, 41 et 60. – MM. Jean-Paul Emorine, président de la commission de l'économie ; Benoist Apparu, secrétaire d'État chargé du logement. – La réserve est ordonnée.
MM. le secrétaire d'État, Dominique Braye, rapporteur de la commission de l’économie.
MM. Jean-Claude Merceron, François Patriat.
Modification de l’ordre du jour
MM. le président de la commission, le secrétaire d'État.
Renvoi de la suite de la discussion
12. Nomination de membres d'une commission mixte paritaire
13. Ordre du jour
compte rendu intégral
Présidence de M. Bernard Frimat
vice-président
Secrétaires :
Mme Michelle Demessine,
M. Philippe Nachbar.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Commission mixte paritaire
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le Premier ministre la demande de constitution d’une commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi de simplification et d’amélioration de la qualité du droit.
Il sera procédé à la nomination des représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire selon les modalités prévues par l’article 12 du règlement.
3
Demande d'avis sur une nomination
M. le président. Conformément aux dispositions de la loi organique n° 2010–837 et de la loi n° 2010–838 du 23 juillet 2010, relatives à l’application du cinquième alinéa de l’article 13 de la Constitution, M. le Premier ministre, par lettre en date du 29 mars 2011, a demandé à M. le président du Sénat de lui faire connaître l’avis de la commission du Sénat compétente en matière de postes et communications sur le projet de reconduction de M. Jean-Paul Bailly, à la présidence de La Poste.
Cette demande d’avis a été transmise à la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire.
Acte est donné de cette communication.
4
Souhaits de bienvenue à une délégation parlementaire croate
M. le président. Mes chers collègues, il m’est particulièrement agréable de saluer la présence, dans notre tribune d’honneur, de M. le président du Sabor, le parlement croate. (M. le ministre, Mmes et MM. les sénateurs se lèvent.)
M. Luka Bebić, en l’honneur duquel un déjeuner a été organisé à la présidence, avait accueilli très chaleureusement M. le président du Sénat en 2009. Je lui souhaite, en votre nom à tous, la bienvenue.
Le président Bebić est accompagné d’une délégation de haut niveau et je salue notamment M. Petar Selem, député et président du groupe d’amitié Croatie–France, grand francophile, et traducteur en croate du théâtre complet d’Albert Camus et d’œuvres de Paul Claudel.
Notre groupe d’amitié France–Croatie, animé par la présidente Michèle André, est fort actif, et une délégation de ce groupe doit se rendre en Croatie dans les tout prochains jours.
En votre nom, je veux dire à nos hôtes combien nous sommes honorés de leur visite et combien nous sommes heureux de les recevoir. (Applaudissements.)
5
Financement de l'action publique locale
Rejet d'une proposition de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe CRC-SPG, de la proposition de loi tendant à assurer la juste participation des entreprises au financement de l’action publique locale et à renforcer la péréquation des ressources fiscales, présentée par Mme Marie-France Beaufils et les membres du groupe CRC-SPG (proposition n° 305, rapport n° 365).
Je vous rappelle, mes chers collègues, que ce débat ne doit pas dépasser deux heures.
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Marie-France Beaufils, auteur de la proposition de loi.
Mme Marie-France Beaufils, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les collectivités locales interviennent dans tous les aspects de la vie quotidienne.
De plus en plus de compétences leur ont été transférées au cours des années. La loi d’août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales en était une des plus importantes après celle sur la décentralisation.
À ces compétences se sont ajoutés au fil du temps des abandons de responsabilités, particulièrement avec la mise en œuvre de la révision générale des politiques publiques, ou RGPP.
On pourrait, bien sûr, prendre l’exemple de l’urbanisme où l’on constate l’abandon progressif de la gestion des permis de construire ou encore la réduction drastique des services d’ingénierie de l’équipement qui fragilise les petites communes et intercommunalités et les oblige à trouver d’autres réponses par l’intermédiaire de bureaux d’études ou par l’augmentation des personnels territoriaux.
Quant aux conseils généraux, ils sont devenus, au fur et à mesure de la mise en place de l’allocation personnalisée d’autonomie, l’APA, du revenu de solidarité active, le RSA, et de la loi pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées, de véritables prestataires de services pour les bénéficiaires de ces politiques définies par l’État.
Cher collègue Guené, votre rapport sur cette réalité, établi à l’occasion d’une proposition de loi présentée par notre groupe, mais aussi par le groupe socialiste et par le groupe RDSE, montre clairement que le budget de l’État est loin de compenser ces nouvelles obligations : l’allocation personnalisée d’autonomie est couverte à 30,8 %, la prestation de compensation du handicap est prise en charge à 60,4 %, selon les chiffres à partir du bilan de 2009.
Pour les conseils régionaux, la politique des transports engagée a démontré toute sa pertinence, mais, aujourd’hui, le Gouvernement veut pousser ces collectivités dans des financements qui auparavant étaient réalisés par le budget de l’État, celui de la SNCF et celui de Réseau ferré de France, RFF.
Le Gouvernement va même plus loin en les sollicitant pour financer de nouvelles lignes TGV qui ne sont pas de leur responsabilité. Les financements croisés sont tout à fait acceptables, y compris dans le cadre d’un partenariat public-privé.
Pourtant, lors de la présentation de la loi sur la réforme des collectivités territoriales, que n’a-t-on pas dit sur les dépenses inconsidérées des collectivités, ou le poids de leurs dépenses de personnels, sur leur refus de regarder la vérité en face concernant la situation financière de notre pays, son endettement ou le déficit du budget de l’État, sur les méfaits de ces financements de plusieurs collectivités sur un même projet qui, nous disait-on, incitaient les élus à proposer des projets surdimensionnés !
En même temps, vous avez mis en place la suppression de la taxe professionnelle et son remplacement par la contribution économique territoriale. Vous avez ainsi fait un cadeau de près de 12 milliards d’euros la première année aux entreprises, soit une perte d’autant pour le budget de l’État ! La compensation par le versement de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, ou CVAE, et la cotisation foncière des entreprises, ou CFE, semblent loin de couvrir le différentiel. Le reste à charge pour le budget de l’État, prévu à hauteur de 4 à 5 milliards d’euros, atteindrait plutôt aujourd’hui 7 à 8 milliards d’euros.
Ce ne sont pas les collectivités territoriales qui sont responsables de ce manque à gagner, ce sont les choix que vous avez proposés.
La suppression de la taxe professionnelle et son remplacement par la contribution économique territoriale, ou CET, n’est pas sans soulever des interrogations.
Ainsi, la contribution foncière des entreprises est sans commune mesure avec la réalité du chiffre d’affaires et nous avons clairement l’impression qu’elle constitue un sérieux problème pour les plus petites entreprises et singulièrement pour celles qui ne sont pas concernées par la CVAE mais dont le revenu est étroitement dépendant de la réalité de son contexte économique.
J’espère que nous aurons bientôt à notre disposition une juste évaluation de la nouvelle contribution dans le secteur artisanal et commercial. Les « remontées de terrain » qui me parviennent me laissent penser que la fiscalité semble peser bien plus sur les plus petites entreprises, les petits artisans et les commerçants que sur les grandes entreprises.
Pourtant, pour celles-ci, la fiscalité n’est qu’une variable ajustée, en tirant parti de tout moyen, au niveau admissible, en interne, au regard des objectifs de rentabilité fixés, ce que beaucoup appellent « optimisation fiscale ».
La financiarisation de l’économie est une réalité prégnante et de plus en plus présente. Elle s’accompagne d’ailleurs, comme chacun le sait, de transformations juridiques adaptées qui ont conduit à séparer les actifs financiers des actifs matériels, les activités de gestion et de stratégie des activités de production, pour aller à l’essentiel.
Des sommes de plus en plus importantes, qui sont pourtant le produit de l’activité économique, ont ainsi fait l’objet de placements divers, ont été cantonnées dans des structures ad hoc, et ont sollicité, à nouveau, la production et l’activité pour les rémunérer.
L’économie a changé sous certains aspects et c’est ainsi que les prélèvements opérés par les structures et circuits financiers sont devenus de plus en plus importants.
Évidemment, à ce stade du débat, vous allez nous demander pourquoi, sur le fond, nous souhaitons mettre plus à contribution les entreprises qu’elles ne le sont aujourd’hui.
Le rapporteur Charles Guené nous dit même que c’est un mauvais service rendu à l’économie en général que de décider d’un nouveau prélèvement, représentant neuf dixièmes de point de prélèvements obligatoires, acquitté par les seules entreprises.
Vous nous reprochez de proposer un texte dont le principal défaut serait de ne pas être exempt de motifs idéologiques, mais vous y opposez en même temps, de fait, une autre idéologie, la vôtre, bien sûr, celle dont la crise financière porte l’échec !
Nous ne voulons pas mettre à contribution les entreprises avec notre proposition. Ce que nous voulons, c’est que le travail des salariés, source unique de création de richesses dans les entreprises, soit en quelque sorte plus correctement rémunéré qu’il ne l’est aujourd’hui.
Il est plus que temps que nous rendions aux salariés eux-mêmes le produit de leur travail.
C’est le sens, entre autres éléments, de la mesure principale contenue dans notre texte.
Dans un pays où les salaires demeurent faibles et où il n’y a pas d’année pendant laquelle il n’a pas été procédé à un allégement de cotisations sociales – c’est-à-dire de suppression d’une partie du revenu socialisé tiré du travail –, il n’est pas forcément mauvais en soi de redonner un peu de sens à l’effort partagé en direction de tous.
Faire contribuer les entreprises, de manière significative, aux efforts accomplis par les collectivités locales en matière de lutte contre l’exclusion sociale, de développement d’infrastructures ou encore de création et d’animation d’équipements publics les plus divers ne semble pas incongru. Vous avez d’ailleurs fréquemment considéré que les efforts réalisés par les collectivités locales avaient constitué de véritables boucliers sociaux pendant la crise grâce aux services publics qu’elles font vivre pour leurs habitants et dont tout le monde reconnaît d’ailleurs qu’ils sont facteurs de réduction des inégalités.
Les entreprises elles-mêmes bénéficient de ces efforts des collectivités quand elles mènent des politiques d’aménagement du territoire et de développement d’infrastructures destinées aux activités économiques. Elles peuvent et doivent donc prendre leur part à l’effort collectif.
Mes chers collègues, pouvons-nous décemment mettre durablement en œuvre des politiques locales en les adossant à des ressources fiscales de plus en plus contraintes et transformées en dotations ?
La taxe professionnelle a été supprimée alors qu’elle était considérée comme un élément de lien entre les territoires et les entreprises. Nous vous proposons d’appréhender la question de la fiscalité des entreprises autrement, grâce à cette proposition de loi.
Depuis quelques années, on nous rebat les oreilles avec cette sorte de dogme, que l’on ne transgresse que lorsque la situation ne peut plus être prise en compte autrement : taxer les entreprises, les faire contribuer serait, par essence, par nature, mauvais pour l’économie, désastreux pour l’investissement et dramatique pour l’emploi.
Mais depuis 1985, loi de finances après loi de finances, et parfois en dehors de celles-ci, nous n’avons pas cessé de voir adoptées des mesures d’allégement des impôts et taxes, tantôt de l’impôt sur les sociétés, tantôt de la taxe professionnelle, sans parler des cotisations sociales.
Ces mesures diverses et variées d’abandon de recettes, de réduction des impôts, ont-elles permis, dans les faits, dans la réalité de l’appareil de production industrielle de notre pays, de créer les conditions de la croissance économique, de la création d’emplois et de l’amélioration de la qualité de vie du monde salarié ?
La réponse est claire, vous la connaissez tous. L’État a abandonné des recettes, creusant d’ailleurs de plus en plus ses déficits, et s’est de plus en plus souvent retourné vers les collectivités territoriales pour leur faire partager le fardeau de ces pertes de recettes. Pour quel résultat ?
Quelque huit millions de personnes vivent sous le seuil de pauvreté dans notre pays, autant de besoins et de sollicitations auxquels nous devons, nous, élus locaux, ensuite répondre, notamment par l’intervention sociale de nos collectivités.
Notre pays compte plusieurs millions de travailleurs précaires, victimes obligées de la flexibilité du travail – celle-ci n’est flexible que pour le patronat et elle est dure à vivre pour le salarié qui la subit. On dénombre également en France près de trois millions de chômeurs officiels, sans doute plus compte tenu des radiations accélérées et des pressions constantes sur les chômeurs pour qu’ils en rabattent sur leurs aspirations et leurs prétentions.
Notre pays connaît aussi depuis plusieurs années un déficit chronique de son commerce extérieur et à la facture énergétique s’ajoute, de plus en plus, un déficit industriel, notamment vis-à-vis de notre principal partenaire européen, à savoir l’Allemagne. Cela signifie que le long pari de la concurrence fiscale, de la défiscalisation compétitive, n’a pas atteint ses objectifs et a même, sous bien des aspects, conduit notre pays aux pires difficultés, mettant notamment en cause ses propres atouts et ses capacités de développement.
Le mouvement de défiscalisation compétitive est allé de pair avec un accroissement constant et permanent de la financiarisation de l’économie, le détournement de la richesse créée vers les placements spéculatifs, l’augmentation constante de la rémunération du capital au détriment des nécessaires investissements dans les nouveaux modes et processus de production, dans l’emploi et la formation des salariés.
Mettre à contribution les actifs financiers, comme nous le proposons, après des années de séparations juridique et comptable – bien encouragées – des unités de production, constitue, de notre point de vue, l’outil nécessaire d’une véritable péréquation.
Pourquoi un tel choix ? Tout simplement, entre autres éléments, parce que la domiciliation juridique des actifs tend à les faire figurer au haut des bilans des têtes de groupe et assez peu dans les plus petites entreprises.
Pour beaucoup de commerçants et d’artisans, les actifs financiers ne sont constitués que du compte en banque, même pas rémunéré, et parfois de quelques placements sur des livrets d’épargne ou quelque chose de semblable. Et comme ce qui valorise ces actifs ne peut pas toujours être clairement localisé, le choix de la péréquation s’impose de lui-même. D’autant que nous sommes tous conscients – enfin, je l’espère – des inégalités de situation entre collectivités et qu’il est nécessaire de mettre en place une péréquation permettant de les corriger. Nous ne pouvons nous contenter des quelques centaines de millions d’euros envisagées pour l’alimenter comme le prévoit la loi de finances pour 2011 si on veut que les collectivités répondent aux exigences actuelles.
Alors, évidemment, le rapport tente de laisser penser que nous avons recouru à l’approximation et que nous avons fait une sorte de cote mal taillée quant à l’affectation éventuelle des ressources nouvelles tirées de la mise à contribution des actifs financiers. Si l’on suit le rapport, nous l’aurions fait de manière sommaire, sans tenir compte de la réalité des efforts accomplis en matière de péréquation ni de celle des besoins de financement des collectivités locales.
Pour la péréquation, permettez-moi de souligner rapidement que, sur le fond, on se moque un peu de ce que nous proposons.
À quelle hauteur sont les fonds départementaux après la loi de finances pour 2011 ? Au mieux à 450 millions d’euros et les autres outils de péréquation mis en œuvre s’élèveront à près de 1 milliard à 2015 selon les estimations que la Caisse des dépôts et consignations nous a données dernièrement. C’est tout de même bien peu et cela souffre en plus des limites d’une péréquation horizontale qui prend aux uns pour tenter de donner aux autres afin d’atteindre ces montants.
Nous souhaitons clairement répondre à cette nécessité et faire en sorte que les prochaines discussions budgétaires nous conduisent à préciser les choses en donnant à la taxation des actifs financiers une première mission claire : celle d’alimenter les fonds départementaux de péréquation, tels qu’ils existent aujourd’hui au niveau qu’ils ont atteint.
Après cette consolidation des fonds départementaux, pour le solde des actifs, singulièrement important et que nous pouvons d’ailleurs faire varier chaque année en loi de finances, il nous est reproché d’avoir fait au plus simple, sans d’ailleurs être allé forcément très loin dans la manière de distribuer les ressources.
Le produit fiscal, fondé sur une assiette large et un taux faible, que nous attendons de la taxation des actifs financiers serait, nous dit-on, supérieur aux besoins de financement des collectivités. Si elles sont mises en situation, avec notre proposition, de disposer d’outils leur permettant de moins recourir à l’endettement, de modérer la pression fiscale sur les ménages, qui va s’en plaindre ?
Moins de dette publique des collectivités locales, c’est moins de dette publique au regard des critères européens et moins de pression fiscale sur les ménages. Cela peut donc signifier de moindres prélèvements obligatoires tout court. Peut-être est-il finalement temps de passer d’une réduction de la pression fiscale sur les entreprises à un petit rééquilibrage de la contribution de tel ou tel agent économique, dégageant des marges de manœuvre pour une meilleure égalité de traitement.
Alors, comme nous n’allons rien éluder, la question des critères de répartition que nous résolvons de manière un peu sommaire par la confection d’un décret ad hoc est en effet posée.
Nul besoin d’être grand clerc pour se douter, si l’on suit un tant soit peu les discussions qui ont lieu en ce moment, que nous avons déjà quelques éléments de mesure des inégalités ou des différences de ressources et de charges entre collectivités.
Les dotations de solidarité, telles que nous les connaissons, reposent sur des critères précis, dont certains nous semblent pour autant discutables et nécessitent, de fait, que nous nous centrions sur quelques données clés comme la réalité du revenu des ménages, celle de l’activité économique, des contraintes territoriales imposées parfois aux collectivités – on pourrait penser à la densité des équipements publics nécessaires sur certains territoires, à l’importance de la voirie et des charges d’entretien en découlant –, mais aussi la réalité du parc de logements locatifs pour établir une juste affectation du produit de notre nouvelle tranche de contribution économique territoriale.
Selon nous, il ne serait pas forcément inutile qu’une forme d’unification des critères de solidarité soit envisagée, à la lumière de cette nouvelle taxation des actifs financiers.
Nous pensons, d’ailleurs, qu’il faudra laisser aux futurs débats parlementaires le soin d’organiser et de régler les critères d’affectation des ressources dégagées, ce qui peut, par exemple, passer par une modification des taux de la clé de répartition.
Mes chers collègues, nous passons bien quelques instants, chaque année, à débattre d’articles budgétaires d’ajustement des compensations versées par l’État aux collectivités locales. Nous pouvons fort bien, à l’avenir, débattre des critères de péréquation de leurs ressources comme de la répartition des sommes mises en péréquation.
Sur la réalité des besoins de financement, permettez-moi aussi quelques mots. Nous ne savons pas encore, au point où nous en sommes, de quelle manière seront fixés dans les années à venir les critères de compensation de certaines charges transférées par l’État aux collectivités locales.
De même, nous devrions normalement avoir, à mon sens, des débats sur les compétences qui devraient être réparties entre nos différentes institutions. C’est en tout cas ce qui était prévu au moment du débat sur la réforme de nos collectivités territoriales.
Quant à l’expérience du RSA, elle montre, s’il en était besoin, – comme celle de l’APA, d’ailleurs – que l’écart se creuse entre les compensations d’État et les dépenses exposées. Si nous n’abordons pas tous les sujets et toutes les façons de les traiter dans la présente proposition de loi, c’est parce que nous savons que des débats doivent venir éclaircir d’autres aspects par la suite.
C’est là une situation qui frappe durement les territoires les plus vulnérables et je crois, monsieur le rapporteur, que votre département fait partie de ceux qui sont structurellement en difficulté, de par la situation de sa population, notamment le déclin et le vieillissement démographique. J’ai pris l’exemple de votre département, mais je pourrais prendre malheureusement celui de nombreux autres.
La recette que nous proposons pour la péréquation pourrait permettre d’éviter l’explosion du budget départemental ou, à tout le moins, sa dramatique rigidification, du fait de dépenses devenant trop « obligatoires ».
Dans un département où le secteur textile a été littéralement liquidé par les stratégies des grands groupes, où l’industrie métallurgique connaît plan social sur plan social, où le secteur agroalimentaire demeure tributaire des décisions prises par les grands opérateurs du secteur, on ne peut, on ne doit rejeter une telle proposition de loi qui vise à donner à la région Champagne-Ardenne, au département de la Haute-Marne, aux communes et structures de coopération qui les associent, des moyens nouveaux pour mieux répondre aux attentes des habitants eux-mêmes.
Comment résumer notre proposition ? L’économie ayant changé, il est temps que notre fiscalité prenne en compte cette évolution, singulièrement caractérisée par l’accumulation de trésors de guerre sans cesse plus élevés, en décidant de taxer les actifs financiers.
Nous le faisons non pas par idéologie mais parce que c’est là une mesure de simple bon sens, traduisant une nécessaire remontée de la contribution directe des catégories sociales les plus aisées comme des entreprises disposant de l’essentiel des ressources destinées à la production de biens et de services.
Quand nous proposons que l’effort sollicité évolue en fonction des choix faits par l’entreprise pour l’emploi et l’investissement, c’est tout simplement un choix politique que le Gouvernement fait régulièrement pour définir sa politique fiscale.
C’est donc de ce point de vue qu’il convient de traiter cette proposition de loi, faire en sorte que nous inversions, pour le bien de l’ensemble de la collectivité, une politique fiscale qui, depuis plusieurs décennies qu’elle est mise en œuvre, n’a rien fait d’autre qu’appauvrir les moyens de l’action publique sans favoriser un développement économique et social équilibré.
Nous disons oui au retour de l’intérêt général par une fiscalité locale adaptée aux réalités de son temps ! C’est le sens de notre proposition de loi. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG. – MM. Daniel Percheron et Pierre-Yves Collombat applaudissent également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Charles Guené, rapporteur de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous examinons aujourd’hui une proposition de loi tendant à assurer la juste participation des entreprises au financement de l’action publique locale et à renforcer la péréquation des ressources fiscales, qui émane du groupe communiste républicain et citoyen et des sénateurs du Parti de gauche.
Les auteurs de cette proposition de loi ont voulu mettre l’accent sur les difficultés résultant pour les collectivités territoriales de la suppression de la taxe professionnelle et de son remplacement par la contribution économique territoriale, la CET. Ils pointent le risque pour les collectivités d’avoir à accroître la charge fiscale pesant sur leurs contribuables ou à réduire leurs dépenses. En outre, ils estiment qu’aucune réponse n’a été apportée par le législateur sur la nécessaire péréquation des ressources des collectivités.
La solution préconisée par la proposition de loi n’a pas paru opportune à la commission des finances. Elle considère en effet, d’une part, qu’il n’est souhaitable d’accroître la charge fiscale pesant sur les entreprises françaises et, d’ autre part, que les dispositions du texte relatives à la péréquation ne sont pas satisfaisantes.
Je souhaite tout d’abord dire quelques mots sur les principes et les modalités de la nouvelle taxation envisagée par nos collègues. Il s’agit d’une taxation additionnelle à la CET qui reposerait sur les actifs financiers des entreprises.
Avant d’entrer dans le détail, je précise que, selon les auteurs de la proposition de loi, et je n’ai pas été en mesure de confirmer ou d’infirmer leur chiffrage, la base imposable résultant des dispositions qu’ils proposent s’élèverait à 6 000 milliards d’euros. Ainsi, avec un taux de 0,3 %, le dispositif permettrait de lever près de 18 milliards d’euros.
Mme Nicole Bricq. Ce n’est pas mal !
M. Charles Guené, rapporteur. Ce montant est proprement exorbitant ! En effet, 18 milliards d’euros représentent une augmentation d’à peu près un point du taux des prélèvements obligatoires (M. Michel Billout s’exclame.), ou encore de plus d’un tiers de la recette de l’impôt sur les sociétés. Nos collègues nous suggèrent donc de procéder à un alourdissement très substantiel de la fiscalité des entreprises.
En 2009, avec la réforme de la taxe professionnelle, nous avons allégé la charge fiscale des entreprises d’environ 5 milliards d’euros. La présente proposition de loi annulerait purement et simplement les effets bénéfiques de cette réforme. Plus encore, en période de reprise économique, elle ne manquerait pas d’envoyer un signal particulièrement négatif au secteur productif, avec toutes les conséquences sur l’emploi que nous pouvons imaginer.
Mais, me direz-vous, si le seul problème réside dans le montant du produit collecté, il suffit d’ajuster le taux de la taxation. Je veux donc m’attarder plus longuement sur son assiette. Celle-ci n’est pas exempte de motifs que je pourrais qualifier d’idéologiques,…
Mme Nicole Bricq. Et de l’idéologie, vous, vous n’en faites pas ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Charles Guené, rapporteur. … avec lesquels je suis bien évidemment en désaccord, comme vous l’avez souligné, madame Beaufils.
Permettez-moi de rappeler certains termes de l’exposé des motifs de la proposition de loi : « La suraccumulation de capital financier, y compris à visée spéculative, fondée sur une préemption constante et permanente des richesses créées par l’activité réelle, n’est toujours pas découragée ni prise en compte dans l’assiette fiscale de la contribution économique territoriale. [...] il nous a semblé nécessaire de procéder à un ajustement sensible de la base de contribution économique territoriale en y ajoutant, en tant que base imposable, les actifs financiers figurant au bilan des entreprises assujetties. [...] la prise en compte des actifs financiers peut contribuer à modifier les choix de gestion des entreprises en faveur de l’emploi et de l’investissement productif. »
La présente proposition de loi a donc également pour objet de lutter contre la spéculation et tend, à cette fin, à modifier les choix de gestion de l’entreprise, au mépris du principe de la liberté d’entreprendre.
J’entends bien que nos collègues du groupe CRC-SPG souhaitent alourdir la fiscalité du secteur financier, lequel serait, selon eux, peu touché par la nouvelle CET alors que les secteurs intensifs en main-d’œuvre seraient plus durement mis à contribution. Nous attendons les chiffres définitifs de la première collecte de CET en 2010, qui nous permettront de mesurer toutes les conséquences de la réforme. Pour le moment, nous sommes à peu près sûrs que le secteur industriel sera gagnant…
M. Pierre-Yves Collombat. Moins que les autres !
M. Charles Guené, rapporteur. … et pour le reste, nous demeurons dans l’expectative. (M. Pierre-Yves Collombat s’exclame.)
Je rappelle néanmoins que la dernière loi de finances a créé une taxe de risque systémique reposant uniquement sur le secteur financier et qui devrait rapporter, à terme, près de 1 milliard d’euros.
Mme Nicole Bricq. Ce n’est pas cher !
M. Charles Guené, rapporteur. Quoi qu’il en soit, il me semble que les auteurs de la proposition de loi font un raccourci un peu rapide entre « actifs financiers » et « spéculation » ou, à tout le moins, « activités improductives ». Or, les actifs financiers détenus par une entreprise sont le plus souvent la contrepartie d’une opération réelle. Par exemple, les immobilisations financières, c’est-à-dire les actifs de long terme, tels que les titres de participation, correspondent à des choix stratégiques de l’entreprise et non à des opérations spéculatives. De même, le plus souvent, les actifs financiers de court terme ne sont que des modalités de gestion d’un excédent de trésorerie.
Au demeurant, je doute que l’assiette d’imposition définie à l’article 1er permette d’atteindre l’objectif que se fixe la proposition de loi. En particulier, plusieurs imprécisions rédactionnelles, que je détaille dans le rapport écrit, pourraient permettre aux entreprises d’échapper à la taxation.
L’article 2 fixe le taux de la taxation à 0,3 % pour la première année. Ensuite, ce taux évolue chaque année et pour chaque entreprise assujettie, à proportion d’un coefficient issu du rapport entre actifs financiers et valeur ajoutée.
Il me semble que, pour les auteurs, le ratio entre actifs financiers et valeur ajoutée correspond à un indicateur de l’intensité spéculative de l’entreprise, ce qui est très contestable pour les raisons que j’évoquais précédemment. Par exemple, le ratio serait très élevé pour les entreprises du secteur financier puisque, par définition, leur bilan est majoritairement constitué d’actifs financiers. Elles verraient donc leur imposition augmenter de manière exponentielle année après année.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nous ne sommes vraiment pas d’accord !
M. Charles Guené, rapporteur. En tout état de cause, un tel système ne manquerait pas de créer une lourdeur administrative supplémentaire, tout aussi injuste qu’inutile.
Je précise enfin, pour en terminer avec les modalités de l’imposition, que l’article 4 prévoit que ladite imposition n’est pas considérée comme une charge déductible au titre de l’impôt sur les bénéfices. Il s’agit d’une dérogation au droit commun de la fiscalité des entreprises qui ne trouve, en l’occurrence, aucune justification particulière.
J’en viens aux dispositions de la proposition de loi relatives à la péréquation.
L’article 3 prévoit que le produit résultant de l’imposition mise en place par les articles 1er et 2 sera versé à un fonds national de péréquation, dont les ressources seraient réparties au profit de l’ensemble des collectivités territoriales françaises.
Cette répartition se ferait en deux temps : d’abord, un abondement des fonds départementaux de péréquation de la taxe professionnelle, les FDPTP, puis une répartition du surplus entre les régions, les départements et le bloc communal.
Le dispositif proposé par le présent article souffre de plusieurs insuffisances qui ont conduit la commission des finances à ne pas l’approuver.
Tout d’abord, l’abondement des FDPTP, s’il était opérant – et nous verrons qu’il ne l’est pas –, est redondant.
En effet, l’article 1648 A du code général des impôts, dans sa rédaction actuelle, dispose déjà que les fonds départementaux de péréquation de la taxe professionnelle perçoivent en 2011 une dotation de l’État. Le montant de cette dotation est égal à la somme des versements effectués par eux au titre de 2009 au profit des communes, des EPCI et des agglomérations nouvelles dits « défavorisés ».
Cette disposition s’articule avec l’article 125 de la loi de finances pour 2011, qui a prévu qu’à compter de l’année 2012 les fonds départementaux de péréquation de la taxe professionnelle perçoivent chaque année une dotation de l’État dont le montant est égal à celui qui leur a été versé en 2011. Il résulte de ces deux dispositions que les FDPTP sont déjà garantis, à partir de l’année 2011, à hauteur des versements qu’ils auront effectués au profit des communes dites « défavorisées » au titre de l’année 2009.
En outre, puisque le dispositif proposé ne supprime pas les dispositions de l’article 125 de la loi de finances pour 2011, il conduirait donc, s’il était opérant, à verser deux fois les sommes visées aux FDPTP, et si, dans votre optique, ce n’est peut-être pas ennuyeux, cela soulève tout de même une difficulté.
M. Pierre-Yves Collombat. On peut les répartir !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il suffit de déposer un amendement.
M. Charles Guené, rapporteur. Outre cette critique de fond que nous avons formulée, le dispositif proposé pour les fonds départementaux de péréquation de la taxe professionnelle est en pratique inopérant.
M. Charles Guené, rapporteur. D’une part, il ne traite que de l’année 2012 et rend donc incertaine l’alimentation des FDPTP à compter de l’année 2013. D’autre part, il a pour effet de supprimer la dotation de l’État qui doit, en 2011, alimenter les fonds départementaux de péréquation. Or le dispositif de l’article fait référence, pour calculer les montants reversés en 2012, à ceux de l’année 2011, qui auraient donc été nuls.
Enfin, en prévoyant que les bénéficiaires des reversements des FDPTP en 2011 percevront les mêmes montants en 2012, le dispositif proposé prive de toute marge de manœuvre les conseils généraux qui ont la charge de cette répartition.
Après abondement des fonds départementaux de péréquation de la taxe professionnelle, l’article 3 de la proposition de loi dispose : « Le surplus des ressources du fonds est alloué aux régions pour 20 %, aux départements pour 30 %, aux communes et aux établissements publics de coopération intercommunale pour le solde, à chaque échelon, en fonction d’un indice synthétique représentatif de leurs ressources et de leurs charges dont les caractères sont définis par décret. »
Ces modalités de répartition appellent également de nombreuses réserves.
En effet, si l’on se réfère aux évaluations des auteurs de la proposition de loi, les 17,55 milliards d’euros restant à répartir après abondement des FDPTP viendraient augmenter les recettes des collectivités territoriales à hauteur de 3,5 milliards d’euros pour les régions, 5,3 milliards d’euros pour les départements et 8,8 milliards d’euros pour le bloc communal.
Si l’on compare ces montants aux recettes actuelles de chaque catégorie de collectivités territoriales, on constate que ces ressources supplémentaires viendraient accroître, en 2012, de 12,6 % les recettes totales des régions, de 7,9 % celles des départements et de 7,4 % celles des communes et des EPCI à fiscalité propre.
Je ne peux souscrire à cette proposition, qui majorerait d’une manière que j’estime inconsidérée les ressources des collectivités territoriales, sans rapport avec leurs besoins de financement. Certes, certaines collectivités sont dans une situation financière difficile. Mais un travail a-t-il été fait pour déterminer dans quelle mesure les régions, par exemple, ont besoin d’augmenter leurs dépenses de 13 % ? Quelles sont les dépenses jugées nécessaires face à ces recettes nouvelles ? Dans le contexte actuel déjà tendu de nos finances publiques, une majoration de la dépense locale d’une telle ampleur ne me paraît pas pertinente. On ne voit d’ailleurs pas pourquoi les communes ne verraient leurs ressources croître que de 7 % tandis que celles des régions augmenteraient de près de 13 %. (Mme Marie-France Beaufils s’exclame.)
Enfin, je relève que les auteurs de la proposition de loi se contentent de se référer à une disposition réglementaire pour déterminer les modalités de répartition, au sein de chaque catégorie de collectivités territoriales, des ressources du fonds national de péréquation.
Notre commission des finances a créé un groupe de travail qui s’attache notamment à définir les critères de ressources et de charges les plus pertinents pour mettre en place des outils de péréquation efficaces. J’estime qu’il convient de mener à bien cette réflexion, en évitant de renvoyer au pouvoir réglementaire la définition des critères d’une juste péréquation. Il eût sans doute été intéressant que les auteurs de la proposition de loi présentent à cet égard quelques suggestions. (Mme Marie-France Beaufils s’exclame de nouveau.)
D’ailleurs, contrairement à ce qui est avancé dans l’exposé des motifs de la présente proposition de loi, plusieurs dispositifs législatifs ont déjà été votés : un fonds national de péréquation des droits de mutation à titre onéreux, ou DMTO, perçus par les départements, qui est opérationnel dès cette année, deux fonds nationaux de péréquation de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, la CVAE, des régions et des départements et un fonds national de péréquation des recettes fiscales pour le bloc communal, qui devraient être opérationnels en 2012.
Il n’est donc pas exact d’affirmer qu’aucune réponse n’est apportée en matière de péréquation des ressources des collectivités territoriales et le Sénat veillera, à travers son groupe de travail et lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2012, à ce que les outils de péréquation prévus par la loi soient justes et efficaces.
Avant de conclure, je tiens à rappeler que les propositions de loi contenant des dispositions fiscales ne seront bientôt plus constitutionnellement recevables. En effet, le Gouvernement a déposé un projet de loi constitutionnelle relatif à l’équilibre des finances publiques qui prévoit le monopole des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale en matière de fiscalité. Il s’agit d’une doctrine que la commission des finances a d’ores et déjà faite sienne depuis les conclusions de la seconde conférence sur le déficit, qui s’est tenue voilà un peu moins d’un an.
Pour l’ensemble des raisons que je viens d’évoquer, la commission des finances n’est pas favorable à cette proposition de loi et elle vous propose donc de rejeter chacun de ses articles et l’ensemble du texte. (M. le président de la commission des finances applaudit.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Philippe Richert, ministre auprès du ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration, chargé des collectivités territoriales. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, il est naturel que la réforme de la taxe professionnelle suscite encore des débats au sein de votre assemblée.
Cette réforme de grande ampleur vient d’être mise en œuvre et nous devrons compléter, en fin d’année, l’important travail entamé en matière de péréquation des ressources entre les collectivités territoriales.
J’ai d’abord pensé que la proposition portée par votre collègue Marie-France Beaufils s’inscrivait dans cette perspective. Malheureusement, cette initiative n’est pas dépourvue d’approximations, de contradictions et de partis pris. Pour résumer, elle semble quelque peu irréaliste, et c’est pourquoi je vous demanderai de la rejeter, mesdames, messieurs les sénateurs.
Cette proposition semble également faire fi de tout le travail qui a été mené ici même, au Sénat, lors de l’examen des projets de lois de finances pour 2010 et 2011, et dont nous commençons à récolter les fruits en matière de péréquation. (Mme Marie-France Beaufils le conteste. – Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’esclaffe.)
Tels sont les deux grands points que je souhaite développer devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs. Cette proposition de loi, outre qu’elle nous rappelle la vision du parti communiste en matière d’économie et de développement économique, me permettra aussi de faire le point sur la mise en œuvre des réformes de la taxe professionnelle et la situation des collectivités, notamment sur la réalité de la péréquation telle que le Sénat l’a votée à l’occasion de la loi de finances pour 2011.
Permettez-moi tout d’abord de vous rappeler que l’objectif de la réforme de la taxe professionnelle était avant tout économique. La taxe professionnelle était un impôt unique en son genre à l’échelle de l’Union européenne : elle renchérissait les investissements des entreprises françaises, encourageait les délocalisations et contribuait à l’affaiblissement de notre industrie, laquelle a déjà perdu près de 500 000 emplois en quinze ans. Indépendante des capacités contributives, cette taxe fragilisait aussi les entreprises confrontées à des difficultés financières.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Les bras nous en tombent !
M. Thierry Foucaud. Ce que l’on voit surtout, c’est que le pouvoir d’achat n’augmente pas !
M. Philippe Richert, ministre. Mais, en tant que voisin de l’Allemagne, je ne peux m’empêcher de m’interroger : comment expliquer que ce pays affiche un excédent commercial de 150 milliards d’euros, là où nous totalisons un déficit de 50 milliards d’euros. (Exclamations sur les travées du groupe CRC-SPG.)
M. Pierre-Yves Collombat. On en reparlera dans dix ans, de l’Allemagne !
M. Philippe Richert, ministre. Qu’on le veuille ou non, mesdames, messieurs les sénateurs, nous ne pourrons pas éternellement fermer les yeux sur cette réalité !
Notre objectif est de faire en sorte que notre pays soit compétitif (M. Gérard Le Cam s’exclame.) et qu’il soit, demain, à la hauteur des défis de la mondialisation.
M. Gérard Le Cam. Absurde !
M. Philippe Richert, ministre. La suppression de la taxe professionnelle permet de relancer l’investissement, de renouer avec des créations d’emplois plus dynamiques…
M. Philippe Richert, ministre. … et de restaurer l’attractivité de nos territoires.
Concrètement, le coût des investissements est réduit d’environ 20 % pour une entreprise, ce qui apporte une réponse pérenne à la faiblesse structurelle de l’investissement productif dans notre pays. (Exclamations sur les travées du groupe CRC-SPG.)
Corrélativement, la définition fiscale de la valeur ajoutée est profondément rénovée et les obligations déclaratives des entreprises sont simplifiées, avec la disparition de l’obligation de tenir une comptabilité spécifique pour les besoins du calcul de la TP.
La taxe professionnelle disparaît donc, au profit d’un nouveau prélèvement dénommé contribution économique territoriale, ou CET, composé, d’un côté, d’une cotisation foncière sur les entreprises, la CFE, dont le taux sera fixé par chaque commune, et, de l’autre, d’une cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, la CVAE, dont le taux est fixé au niveau national.
Par ailleurs, les bases foncières des établissements industriels sont réduites de 30 % pour le calcul de la CFE, et les règles de liaison des taux sont renforcées.
Afin de limiter le coût de la réforme pour les finances publiques, une imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux, l’IFER, est instaurée. Elle vient limiter les gains des grandes entreprises des secteurs des télécommunications, de l’énergie et du transport ferroviaire, qui bénéficient fortement de la suppression de la taxe professionnelle, alors même que leur activité n’est pas la plus vulnérable au risque de délocalisation.
Toutes les catégories d’entreprises, petites ou grandes, seront gagnantes, mais l’allégement sera plus important pour les PME. Par ailleurs, tous les secteurs de l’économie bénéficieront globalement d’un allégement de leur charge fiscale : l’industrie comme les services, les transports ou encore le commerce. Seule la charge fiscale des secteurs de l’énergie et des activités financières demeurera stable.
Votre proposition, madame Beaufils, signerait un retour en arrière, désastreux pour les entreprises.
Vous prévoyez en effet d’introduire une taxation supplémentaire sur les actifs financiers des entreprises soumises à la contribution économique territoriale, dès lors que leur valeur nette serait supérieure à la valeur locative des immobilisations corporelles.
Cela vient remettre en cause la bascule d’imposition des investissements vers la richesse produite par les redevables, à savoir la valeur ajoutée, afin d’en finir avec cet impôt qualifié d’imbécile. Nul besoin de vous rappeler, mesdames, messieurs les sénateurs de l’opposition, qui fut à l’origine de cette formule ! (Mme Nicole Bricq s’exclame.)
Par ailleurs, les entreprises qui disposent d’actifs financiers importants sont soumises, pour la majorité d’entre elles, à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, la CVAE, dont le taux peut aller jusqu’à 1,5 % de la valeur ajoutée produite. La CVAE permet donc déjà de corréler le poids de la cotisation économique aux capacités contributives des entreprises ; il ne semble par conséquent pas nécessaire d’aller au-delà.
En outre, je vous rappelle que les produits financiers sont déjà pris en compte pour la détermination de la valeur ajoutée de certaines entreprises. C’est notamment le cas des établissements de crédit ou des sociétés d’assurance. Ainsi, les produits financiers de ces entreprises sont d’ores et déjà retenus pour le calcul de leur CVAE, et la proposition de loi conduirait donc à une double imposition de ces dernières.
De plus, cette proposition pénaliserait les groupes de sociétés, y compris les groupes industriels et commerciaux, même de petite taille, dont l’organisation suppose la détention d’actions de leurs filiales. Or, le fait d’exploiter une activité sous la forme d’un groupe plutôt que d’une société unique n’est pas en soi le signe d’une capacité contributive supplémentaire.
Enfin, en réformant la taxe professionnelle, nous avions pour objectif de réduire la charge pesant sur les entreprises, notamment sur nos industries. Cet objectif est atteint, puisque la réforme de la taxe professionnelle permet d’alléger la charge fiscale des entreprises de 4,7 milliards d’euros.
Vous proposez, au contraire, d’alourdir la fiscalité pesant sur les entreprises de 18 milliards d’euros. Il suffit de faire le calcul : non seulement vous prévoyez de supprimer cet allégement de 4,7 milliards d’euros, mais vous remettez une couche d’imposition de l’ordre de 15 milliards d’euros.
Chacun est bien évidemment libre de penser ce qu’il veut, mais je tiens ici, au nom du Gouvernement, à attirer votre attention sur ce que peut représenter pour nos entreprises une charge supplémentaire de 15 milliards d’euros à l’heure où la concurrence internationale est au plus haut, où la compétitivité est de rigueur, et où notre pays commence tout juste à respirer de nouveau le développement économique.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. On voudrait des exemples !
M. Philippe Richert, ministre. Le poids d’une telle contribution, de l’ordre de 18 milliards d’euros, serait tout simplement inacceptable pour nos entreprises, et détériorerait la compétitivité de notre économie, alors même que la reprise de notre économie s’amorce après une année 2009 sinistrée par la crise internationale.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Tout le monde n’a pas été sinistré de la même manière !
M. Philippe Richert, ministre. En premier lieu, l’investissement des entreprises non financières n’a cessé d’accélérer depuis début 2010, pour atteindre une progression de 2,2 % au dernier trimestre.
En second lieu, la reprise de l’activité est confirmée par toute une série d’indicateurs : la production manufacturière a augmenté de 1,8 % en janvier (M. Pierre-Yves Collombat s’exclame.), les indicateurs de conjoncture ont progressé de trois points en mars et la consommation des ménages a crû de 0,9 % en février.
M. Philippe Richert, ministre. L’effet sur l’emploi est déjà perceptible : 125 000 emplois nets ont été créés en 2010, un chiffre que personne ne peut contester.
M. Pierre-Yves Collombat. Nous contestons ce chiffre !
M. Philippe Richert, ministre. La réalité des chiffres est ce qu’elle est, monsieur Collombat ! Vous ne pouvez pas la contester.
J’ajoute que 21 000 emplois nets ont été créés au cours des deux premiers mois de 2011.
M. Pierre-Yves Collombat. Tu parles !
M. Philippe Richert, ministre. Enfin, en 2010, la France a vu les investissements étrangers progresser de 22 % par rapport à 2009. C’est encore une réalité, même si vous refusez également de l’admettre.
Certains auraient évidemment préféré se réjouir de la persistance du marasme économique. (M. Pierre-Yves Collombat s’exclame.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est le Front national qui se réjouit du marasme de votre politique !
M. Philippe Richert, ministre. Pour notre part, nous nous réjouissons lorsque l’économie de notre pays redémarre, et lorsque la création d’emplois est au rendez-vous.
La réforme de la taxe professionnelle contribue indéniablement à cette meilleure attractivité, tout en maintenant un lien entre activités économiques et territoires.
Votre proposition conduirait simplement à revenir sur cette avancée et à décourager les investissements étrangers. Il y a de meilleures façons de soutenir nos territoires !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nous sommes les rois des investissements étrangers, mais quels sont au juste leurs résultats ?
M. Philippe Richert, ministre. Quant à l’impact de cette proposition de loi sur les collectivités territoriales, il serait, lui aussi, significatif, sans que l’on sache réellement pour quelle raison et au titre de quelles compétences il faudrait subitement leur affecter 18 milliards d’euros de ressources supplémentaires.
À cet égard, permettez-moi de déplorer l’absence d’étude d’impact de votre proposition. Les travaux de M. le rapporteur permettent heureusement de percevoir l’impact d’une telle mesure pour les collectivités territoriales : elle procurerait 12,6 % de recettes supplémentaires pour les régions, 7,9 % pour les départements et 7,4 % pour le bloc communal.
Aucun transfert, aucune création de compétence ne justifierait aujourd’hui un tel surcroît de ressources.
Tous ces éléments m’incitent donc à émettre un avis défavorable sur cette proposition de loi. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’exclame.)
Pour autant, votre texte, madame Beaufils, aborde plusieurs sujets d’ores et déjà pris en compte ou inscrits dans le programme de travail du Gouvernement.
Votre présentation oublie en effet les garanties apportées dans le cadre de la réforme de la TP et les travaux engagés en matière de péréquation.
En premier lieu, l’exposé des motifs de votre proposition laisse accroire que la taxe professionnelle n’aurait pas été intégralement compensée et que sa réforme menacerait l’autonomie de gestion des collectivités territoriales.
Vous ne pouvez pourtant pas ignorer que l’engagement pris par le Gouvernement de compenser intégralement la taxe professionnelle aux collectivités territoriales a été respecté, tant en 2010, avec la compensation-relais de la TP, qu’en 2011, avec le nouveau panier de recettes fiscales et la dotation de compensation de la réforme de la taxe professionnelle.
Ainsi, la TP a été remplacée par la cotisation économique territoriale, à laquelle s’ajoute l’imposition forfaitaire sur les entreprises de réseaux et ses neuf composantes, que vous avez oublié de mentionner.
De plus, les collectivités territoriales bénéficient de transferts d’impôts – taxe sur les surfaces commerciales, droits de mutation à titre onéreux, transfert des frais de gestion et de recouvrement –, si bien qu’au final la compensation de la taxe professionnelle est essentiellement assurée par des recettes fiscales.
En second lieu, cette compensation s’accompagne d’un développement sans précédent de la péréquation.
Je suis étonné, madame la sénatrice, de lire dans l’exposé des motifs de votre proposition de loi que, selon vous, « aucune réponse n’est apportée sur la question de la péréquation des ressources ». Il s’agit certainement d’une inattention de votre part puisque, au contraire, nous développons la péréquation des ressources plus qu’aucun autre gouvernement de la Ve République – ce point avait, me semble-t-il, été relevé ici même, à l’occasion de l’examen du projet de loi de finances pour 2011, par l’un de vos collègues président de conseil général, habitué à gérer des masses budgétaires extrêmement évolutives, notamment en raison des compétences sociales des départements !
En effet, l’on assiste pour la première fois en 2011 au développement de la péréquation horizontale, c’est-à-dire la péréquation entre les ressources des collectivités territoriales.
Ainsi, la péréquation sur les droits de mutation à titre onéreux des départements permet, dès cette année, de redistribuer 440 millions d’euros au profit des départements dont le potentiel financier est inférieur à la moyenne.
Mme Nicole Bricq. Nous n’avons pas les mêmes chiffres !
M. Philippe Richert, ministre. Nous avons tout simplement constaté, de 2009 à 2010, une augmentation de 35 % en moyenne des droits de mutation à titre onéreux, les DMTO. Les recettes sont donc passées de 5,2 milliards à 7 milliards d’euros, soit une augmentation de 1,8 milliard d’euros.
Mme Nicole Bricq. Mais nous ne sommes pas revenus aux recettes de 2007 !
M. Philippe Richert, ministre. Cette péréquation, qui a permis de répartir 440 millions d’euros, ne peut toutefois dépasser 10 % du montant des recettes, ce qui fait qu’aucun département ne voit ses recettes progresser de moins de 20 %. Il était important de le rappeler.
Ensuite, dès l’an prochain, une péréquation sur l’ensemble des recettes intercommunales et communales sera mise en place. Je remettrai un rapport sur ce sujet d’ici au 1er septembre prochain, et je ferai naturellement en sorte qu’il prenne en compte les propositions que la commission que vous présidez pourra établir, cher Jean Arthuis, tout comme celles du groupe de travail présidé par Gilles Carrez au sein du Comité des finances locales.
Enfin, une péréquation sera mise en place sur les écarts de croissance de CVAE des départements et des régions à l’horizon 2013, conformément à ce qui a été voté au Sénat.
De surcroît, les dispositifs existants sont maintenus. Ainsi, contrairement à ce que vous indiquez, il n’est pas nécessaire de prévoir un abondement des fonds départementaux de péréquation de la taxe professionnelle, les FDPTP : il est déjà en place ! En effet, la loi de finances pour 2011 prévoit explicitement un prélèvement sur les recettes de l’État destiné à garantir le niveau de ressources des FDPTP consacré au soutien des communes dites défavorisées.
Quant à la part des fonds départementaux de péréquation de la taxe professionnelle autrefois consacrée aux communes dites « concernées », elle est intégrée dans le calcul de la compensation des collectivités territoriales concernées.
Ainsi, un véritable changement de paradigme est en train de s’instaurer en vue d’une meilleure équité entre nos territoires. Cette évolution s’opère tout en allégeant la charge fiscale qui pèse sur nos entreprises et en maintenant le lien nécessaire entre les activités économiques et les territoires.
Mesdames, messieurs les sénateurs, nous aurons évidemment l’occasion de débattre de ces questions essentielles au cours de l’année, notamment en septembre prochain lors de la remise du rapport élaboré par le Gouvernement, rapport qui doit être débattu au Parlement, mais aussi, bien sûr, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2012. Nous disposerons alors de propositions étayées.
Dans l’immédiat, je souhaite exprimer un avis défavorable, vous l’aurez compris, sur cette proposition de loi dont la réelle utilité, au fond, et comme le suggère votre commission des finances, a permis de susciter un débat et de rappeler quelques-uns des engagements constants du Gouvernement dans cette réforme majeure de la fiscalité locale, qui s’inscrit dans la volonté de réforme de notre État. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. le président de la commission des finances applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement.
M. Jean-Pierre Chevènement. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi déposée par le groupe communiste républicain et citoyen et des sénateurs du Parti de gauche nous donne l’occasion de revenir sur l’évolution de la fiscalité locale, à la suite de la suppression de la taxe professionnelle par la loi de finances pour 2010, et plus généralement sur l’insuffisance des mécanismes de péréquation entre les collectivités locales, compte tenu de l’écart de potentiel fiscal par habitant : celui-ci varie du simple au double pour les régions, du simple au quadruple pour les départements et de un à mille pour les communes !
La péréquation devrait permettre de corriger les inégalités les plus choquantes. Or, l’insuffisance des recettes fiscales des collectivités locales après la suppression de la taxe professionnelle ne le permet guère, monsieur le ministre. C’est le principal mérite de la proposition de loi qui nous est soumise d’abonder très significativement le montant des ressources fiscales perçues par les collectivités locales.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Évidemment !
M. Jean-Pierre Chevènement. Je vous ai bien entendu, monsieur le ministre : 18 milliards d'euros, c’est beaucoup trop… (Sourires sur les travées du groupe CRC-SPG.)
M. Gérard Le Cam. On ne sait pas quoi en faire ! (Même mouvement.)
M. Jean-Pierre Chevènement. … puisque 4,7 milliards d'euros, c’est ce que vous avez « rendu » aux entreprises, si l’on peut dire, parce que la fiscalité des entreprises n’est pas « imbécile » par principe. Le fait de taxer les entreprises n’est pas plus imbécile que de taxer les ménages.
M. Pierre-Yves Collombat. Si ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Pierre Chevènement. Toujours est-il que j’entends bien l’argument de M. Charles Guené et le vôtre, monsieur le ministre : vous nous faites observer que cet alourdissement de la fiscalité des entreprises irait à l’encontre de l’objectif poursuivi par la suppression de la taxe professionnelle.
M. Jean-Pierre Chevènement. Certes, mais Mme Beaufils a parlé d’une flat tax de 0,3 %. Son montant pourrait être ramené à 0,2 %, voire à 0,1 %, ce qui représenterait encore 6 milliards d’euros,…
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Oui !
M. Jean-Pierre Chevènement. … c’est toujours bon à prendre et cela permettrait une péréquation efficace. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)
M. Yvon Collin. Très bien !
M. Jean-Pierre Chevènement. Surtout, ce n’est pas la même assiette qui est visée.
Mme Marie-France Beaufils. Exactement !
M. Jean-Pierre Chevènement. L’assiette de la taxe professionnelle est une chose, les actifs financiers, c’est autre chose.
M. Philippe Richert, ministre. On sent déjà qu’il est en train de convaincre le président de la commission des finances !
M. Jean-Pierre Chevènement. La proposition de loi présentée par Mme Marie-France Beaufils ouvre une piste intéressante en prévoyant l’imposition des actifs financiers. Elle a pour but de lutter contre la financiarisation de l’économie. J’approuve cette volonté dans la mesure où elle pourrait favoriser l’investissement industriel et décourager les placements spéculatifs. D’ailleurs, monsieur le ministre, vous vous êtes fait vous-même l’avocat de l’investissement industriel.
La proposition de loi de Mme Beaufils suppose cependant le problème résolu – je le lui fais amicalement remarquer –, en l’absence d’un rétablissement des contrôles sur les mouvements de capitaux permettant d’enrayer la fuite des capitaux et les délocalisations industrielles.
M. le ministre a évoqué les investissements étrangers en France.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. C’est, pour l’essentiel, la souscription de bons du Trésor !
M. Jean-Pierre Chevènement. C’est bon à prendre ! Mais regardez les investissements français à l’étranger ! Cela n’a rien à voir, monsieur le ministre : 80 milliards d'euros en 1982 quand j’étais ministre de l’industrie ; 1 500 milliards d'euros aujourd'hui. L’essentiel de notre épargne se place à l’étranger, s’investit à l’étranger.
M. Yvon Collin. Eh oui !
M. Jean-Pierre Chevènement. Vous vous réjouissez de l’augmentation de l’investissement industriel, je m’en réjouis aussi ! Sauf que la base sur laquelle vous faites votre calcul est 2009, une année de crise, et nous sommes encore loin d’avoir rattrapé le niveau de 2008. Ce n’est pas M. le président de la commission des finances qui me contredira…
M. Jean-Pierre Chevènement. Donc, tout cela est une présentation un peu « optique »…
L’intérêt de cibler la financiarisation de l’économie, ce serait de permettre que cette épargne, qui est un des grands atouts de la France – 17 % du revenu national – soit placée davantage en France au bénéfice de l’industrie car l’industrie tire tout le reste, l’exportation à 90 %, la recherche et même l’emploi parce qu’il faut compter les services aux entreprises qui représentent 16 % de l’emploi global.
Mme Marie-France Beaufils. Tout à fait !
M. Jean-Pierre Chevènement. Par conséquent, l’instauration d’une flat tax sur les exportations de capitaux serait une bonne idée, un peu différente, je l’admets, de celle qui a été développée par Mme Beaufils, mais répondant à la même préoccupation. Toutefois, c’est autre chose.
À défaut d’accroître le montant des ressources fiscales consacrées à la péréquation, je crains que celle-ci ne reste très insuffisante ; nous en reparlerons lors de l’examen du projet de loi de finances.
M. Jean-Pierre Chevènement. Mais la loi de finances pour 2011 fixe des objectifs très modestes, puisque l’objectif de ressources, s’agissant du Fonds national de péréquation des recettes fiscales intercommunales et communales, est fixé à 2 % seulement des recettes fiscales à l’horizon 2015, soit 1 milliard d’euros – bien loin des 18 milliards d'euros de Mme Beaufils ; ce n’est tout de même pas la même chose, un dix-huitième – …
M. Jean-Pierre Chevènement. … avec une montée en charge progressive : 215 millions d’euros l’année prochaine, ce n’est quand même pas grand-chose. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat rit.) Ces montants sont très faibles eu égard aux ressources fiscales perçues en 2010 par les communes, environ 30 milliards d’euros, et par les EPCI, quelque 15 milliards d’euros. Par ailleurs, la dotation au profit des fonds départementaux « structures défavorisées » correspond à une dotation de 445 millions d’euros, vous l’avez évoquée.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Le problème, c’est de baisser les dépenses !
M. Jean-Pierre Chevènement. Le débat parlementaire a conduit à considérer que les 2 % s’entendaient « hors FDPTP »,…
Mme Nicole Bricq. Certes !
M. Jean-Pierre Chevènement. … et je vous remercie de bien vouloir me le confirmer, monsieur le ministre.
La péréquation horizontale ne doit pas se substituer à la péréquation nationale définie par l’État et organisée de manière verticale. La péréquation horizontale entre collectivités doit avoir pour but d’affiner cette péréquation nationale et, en particulier, de mieux prendre en compte les charges particulières d’un territoire.
La disposition que je viens d’évoquer est favorable à l’intercommunalité, je m’en réjouis. Encore faudrait-il redéfinir les notions de potentiel fiscal et de potentiel financier. Quoi qu’on fasse, je vous le répète, monsieur le ministre, les efforts de péréquation resteront insuffisants tant que l’on n’agira pas sur le volume des montants financiers concernés. Vous ne pouvez pas l’ignorer !
S’agissant de la péréquation départementale et régionale portant sur le produit de la CVAE, créée par la loi de finances pour 2010, le rapport Durieux-Subremon avait pointé la faiblesse des effets péréquateurs entre les régions : 0,6 %, et même entre les départements : 2,5 %.
Un groupe de travail a été mis en place par la commission des finances du Sénat, mais l’absence d’objectif chiffré résultant de la volonté d’affiner les simulations – si j’ai bien lu les textes émanant de ladite commission – ne traduit-elle pas tout simplement l’absence d’ambition ?
M. Jean-Pierre Chevènement. Cette question s’adresse aussi bien à M. le président Arthuis qu’à vous-même, monsieur le ministre.
M. Jean-Pierre Chevènement. Le thème de la péréquation ne doit pas servir de feuille de vigne pour dissimuler la grande misère de beaucoup de collectivités.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Le volontarisme politique de M. Chevènement !
M. Jean-Pierre Chevènement. Il faut aller plus loin, comme l’avait affirmé notre président du groupe RDSE, M. Yvon Collin, lors d’un débat le 27 septembre 2010, pour affirmer la volonté républicaine d’une plus grande solidarité au niveau des territoires.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Ah oui !
M. Jean-Pierre Chevènement. Je rappelle aussi la proposition de M. Jacques Mézard de prendre en compte deux critères qui pourraient remplacer celui de potentiel fiscal et rendre ainsi la péréquation plus efficace : d’abord, le revenu global des habitants sur le modèle allemand ; …
M. Jean-Pierre Chevènement. … ensuite, la population, tant il est vrai que l’efficacité péréquatrice s’en trouverait renforcée.
La commission des finances a désigné un groupe de travail sur la péréquation. Je rejoins les préconisations de l’Association des maires de France en faveur d’objectifs qui pourraient se résumer de la façon suivante : gommer les effets de seuil ; définir un périmètre de ressources aussi large que possible ; …
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Oui !
M. Jean-Pierre Chevènement. … éviter une « double peine » pour les territoires accueillant des activités industrielles – je pense, par exemple, à la communauté d’agglomération de Belfort ou à la communauté d’agglomération du pays de Montbéliard avec Alstom, General Electric, Peugeot – nous sommes, à l’évidence, pénalisés ; …
M. Yvon Collin. Eh oui !
M. Jean-Pierre Chevènement. … enfin, intégrer la notion de revenu par habitant, suggestion formulée par Jacques Mézard.
Si poussée et méritoire que puisse être la réflexion du groupe de travail désigné par la commission des finances, je crains malheureusement que l’objectif de péréquation qui résulte du pacte républicain, impliquant la solidarité des territoires, ne puisse être atteint s’il n’y a pas une ressource fiscale additionnelle.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Voilà ! Toujours plus !
M. Jean-Pierre Chevènement. Vous êtes pris dans des marges beaucoup trop étroites.
C’est le mérite de la proposition de loi de Mme Beaufils d’avoir lancé le débat. Elle permet de voir tout l’intérêt pour les collectivités et pour le pays de la création d’une taxe qui découragerait la fuite de l’épargne nationale et favoriserait à l’inverse le réinvestissement en France de cette épargne et la contribution à la relocalisation industrielle de beaucoup de nos grands groupes, qui ont largement bénéficié du soutien de la collectivité nationale et de tous les gouvernements, de droite comme de gauche. Ces grands groupes – dix-huit parmi les deux cents premiers mondiaux, nous en avons plus que l’Allemagne et autant que la Grande-Bretagne – sont un atout pour la France, mais à une condition : ils devraient se préoccuper davantage de « renvoyer l’ascenseur »,…
M. Roland Courteau. Oui !
M. Jean-Pierre Chevènement. … bref, de maintenir et de développer en France une part plus substantielle de leur activité,…
M. Yvon Collin. Absolument !
M. Jean-Pierre Chevènement. … d’y favoriser le développement d’entreprises sous-traitantes, de contribuer, comme vous l’avez souhaité, à l’investissement industriel.
Voilà une piste que j’ouvre à mon tour : réfléchissez-y !
Ces propositions pourraient nourrir l’emploi, les cotisations sociales, les plus-values fiscales, au bénéfice des collectivités locales, comme le souhaite Mme Beaufils.
C’est vraiment l’intérêt de cette proposition de loi : elle nous fait découvrir un paysage,…
M. Jean-Pierre Chevènement. … à vous aussi, je l’espère.
Le groupe RDSE, pour ce qui le concerne, émettra un vote d’abstention positive…
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Voilà !
M. Jean-Pierre Chevènement. … sur la proposition de loi déposée par le groupe communiste républicain et citoyen et des sénateurs du Parti de gauche. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE. – M. le président de la commission des finances et M. Pierre-Yves Collombat applaudissent également.)
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Ça se termine mieux que ça n’avait commencé !
M. le président. La parole est à M. Thierry Foucaud.
M. Thierry Foucaud. En vous écoutant, monsieur le rapporteur, monsieur le ministre, j’ai commencé à rédiger une déclaration dans laquelle on peut lire : les parlementaires du groupe CRC-SPG regrettent que l’aveuglement idéologique de la droite sénatoriale (M. le président de la commission des finances rit.) n’ait pas permis d’avancer sur la justice fiscale ni sur la mise en question de choix de défiscalisation qui n’ont empêché ni le chômage de masse, ni la précarité du travail. (M. Gérard Le Cam opine.)
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Exactement !
M. Thierry Foucaud. M. le rapporteur nous parle d’idéologie.
Vous le savez, notre démarche est fondée sur les besoins de notre pays et de ses habitants et, bien évidemment, sur la lutte contre les pratiques spéculatives : 18 milliards d'euros, cela vous fait bondir, mais 360 milliards d'euros pour les banques, c’est normal ! Les 15 milliards d'euros de la loi TEPA, la loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, vous vous rappelez le « gagner plus en travaillant plus » ! Eh bien, la plupart de ceux qui croyaient gagner plus sont au chômage aujourd'hui. Cela coûte 15 milliards d'euros, monsieur le ministre, à comparer aux 18 milliards d'euros pour les collectivités qui s’en serviront pour créer des emplois, satisfaire les besoins dans les quartiers…
Mme Marie-France Beaufils. Faire vivre les entreprises !
M. Thierry Foucaud. … et pour que l’on ne voit plus à la télévision ces reportages sur les quartiers en difficulté, par exemple.
Je voudrais tout de même dire – car il y a un peu de public dans les tribunes – que ces 18 milliards d'euros ne visent pas à faire mal aux entreprises, ces 18 milliards d'euros visent à taxer la spéculation de certaines entreprises. Il ne s’agit pas de taxer celles qui vont investir dans la production ou créer des emplois. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Le Gouvernement est à fond pour la spéculation !
M. Thierry Foucaud. Je me permets donc de rappeler ici que, effectivement, nous sommes partisans, avec cette proposition de loi déposée par notre collègue Marie-France Beaufils, de prélever plus à partir de l’entreprise afin de financer l’action des collectivités locales plutôt que de laisser ces sommes être mobilisées pour financer la spéculation financière, de longue haleine ou non !
Oui, nous trouvons plus moral, plus juste et plus logique de faire en sorte que la richesse créée par le travail revienne vers celles et ceux qui l’ont créée, c’est-à-dire les travailleurs, les salariés eux-mêmes, plutôt que de persévérer dans la voie tracée jusqu’alors, celle de l’exemption continue et surtout grandissante de la participation des entreprises au financement de l’action publique.
Oui, nous estimons que les différentes réformes de la fiscalité locale menées de longue date n’ont toujours répondu qu’au seul credo de l’allégement de la responsabilité des entreprises au regard de la collectivité des citoyens et qu’elles ont échoué à garantir à notre pays un avenir industriel, le plein-emploi, la sécurité de l’emploi et que sais-je encore !
Depuis vingt-cinq années, nous sommes confrontés aux zones urbaines sensibles, à la cristallisation de la crise économique et sociale, aux discriminations territoriales. Or que nous dit-on aujourd’hui ? Que ce serait un mauvais signe pour les entreprises que de leur demander de mettre la main au porte-monnaie et d’apporteur leur écot à l’action des élus locaux en cette période de reprise économique. Quelle reprise économique ? L’INSEE annonce une baisse de 6,5 points des commandes dans l’industrie en janvier dernier !
Dites-moi, mes chers collègues, que faut-il préférer ? Que les sommes que nous entendons prélever servent au financement de l’action publique locale ou qu’elles soient stérilisées dans des trésors de guerre ou mobilisées dans la guerre boursière que les grands groupes, les banques et les autres féodalités financières et économiques se mènent sur les marchés ?
Je suis l’humble représentant d’un département de forte tradition industrielle, où les centres de décision se situent souvent plutôt du côté de la Défense ou des Champs-Élysées que des quais des ports du Havre ou de Rouen !
Nous ne sommes pas le département le moins peuplé ni le plus pauvre de France, mais la jeunesse haute-normande subit de plein fouet les choix stratégiques des grands groupes.
Vous parliez de la finance, mais je pourrais reprendre l’exemple de Renault : 1 % de ce qui a été redistribué aux actionnaires aurait permis de payer le travail des salariés que l’entreprise a mis au chômage partiel ! (Mmes Marie-France Beaufils et Nicole Borvo Cohen-Seat opinent.)
Vous parliez de délocalisations, monsieur le ministre. Mais où sont fabriquées nos voitures Renault ?
M. Roland Courteau. Bonne question !
M. Thierry Foucaud. Cela va donc à l’encontre de ce que vous indiquiez tout à l’heure !
Monsieur le ministre, il faut que nous donnions aux collectivités territoriales les moyens de leur action pour qu’elles répondent aux défis sans cesse révélés et mis en évidence par la vie quotidienne. Cette nécessité a été mise en lumière à l’occasion des élections cantonales, aussi bien par le vote de gauche que par l’abstention, car des populations entières n’en peuvent plus mais !
Alors que de jeunes habitants de mon département, des familles entières, sont victimes de discriminations, d’exclusions, nous devrions, parce que cela fait bien dans le décor, tenter de répondre à leur appel avec les moyens du bord, au motif qu’il n’y aurait pas lieu de le faire en sollicitant un peu plus les entreprises à partager la charge publique ?
Notre proposition de loi reviendrait sur la réforme de la taxe professionnelle et créerait une insécurité juridique, nous dit-on. Je serais tenté de répondre : la belle affaire !
J’ai examiné la situation des communes et des collectivités de mon département. Monsieur le ministre, voici quelques éléments pour résumer tous les bienfaits de la réforme de la taxe professionnelle !
Il est acquis que les entreprises de la Seine-Maritime ont tiré parti de la réforme.
La région, pour près de 90 millions d’euros, sollicite en effet la dotation de compensation nouvelle formule et le fonds national de garantie individuelle des ressources afin de pouvoir disposer des mêmes ressources fiscales qu’auparavant !
Mme Marie-France Beaufils. Tout à fait !
M. Thierry Foucaud. Le département en est pour 31 millions d’euros de compensation et 34 millions d’euros de fonds de garantie !
Les quatre plus importants établissements publics de coopération intercommunale, dont l’agglomération de Rouen et celle du Havre, vont récupérer pour près de 70 millions d’euros de compensation et près de 120 millions d’euros au titre du Fonds de garantie !
Quand on fait les comptes, ce sont donc près de 250 millions d’euros qui auront été rendus aux entreprises de la Seine-Maritime... Et pour quel résultat ?
Soit dit en passant, monsieur Charles Guené, dans le département en 2010 l’évolution du chômage ne semble pas valoriser le choix qui a été fait de supprimer la taxe professionnelle.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est clair !
M. Thierry Foucaud. L’année 2010 a en effet été marquée par une consolidation du nombre des demandeurs d’emploi, lequel ne progresse plus que grâce aux radiations administratives et aux départs en retraite d’une population ouvrière et salariée quelque peu vieillissante !
Malgré la réforme de la taxe professionnelle immédiatement applicable, plus de 125 000 habitants de mon département sont totalement privés d’emploi ou victimes du temps partiel imposé, et nous avons battu les records de progression du chômage en début d’année 2010.
Mes chers collègues, il est donc temps que nous changions notre fusil d’épaule.
Les sommes considérables qu’au travers de multiples dispositions fiscales et sociales l’État a pu engloutir pour alléger les impôts des entreprises ou leurs cotisations sociales ont, pour une large part, été utilisées au bénéfice de la sphère financière, des guerres de conquête, des raids boursiers, des opérations spéculatives et du financement des plans sociaux et des restructurations juridiques et industrielles.
Monsieur le président, mon temps de parole est terminé, mais permettez-moi de poursuivre encore un peu, comme l’a fait le collègue qui m’a précédé. (Sourires.)
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Madame Marie-France Beaufils n’avait pas tout dit, c’est ça !
M. Thierry Foucaud. Eh oui, on compte tous pour un, monsieur le président !
Les sommes que nous entendons consacrer au développement de l’action publique locale ne serviront pas à la spéculation pure, à la rémunération sans cesse plus exigeante du capital, aux gaspillages financiers qui précèdent et accompagnent la spéculation...
J’en ai fini, monsieur le président.
Redonnons donc aux acteurs du développement local que sont les élus locaux les moyens financiers de leur intervention, pour leur action pugnace et quotidienne, dans leurs choix de service public, dans le respect de l’intérêt général !
C’est le sens profond de cette proposition de loi bien défendue par notre collègue Marie-France Beaufils. Étant au plus près des attentes et des besoins de la population, je ne peux que voter ce texte des deux mains, et même plutôt deux fois qu’une !
En conclusion, permettez-moi une brève remarque : puisqu’on a parlé d’idéologie, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, je ne comprends pas que, sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP, on ne réponde pas à l’intervention de notre collègue Marie-France Beaufils. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG. – M. Roland Courteau applaudit également.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Question d’idéologie !
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq.
Mme Nicole Bricq. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues, nous comprenons parfaitement la motivation du groupe CRC-SPG pour défendre sa proposition de loi.
Ce texte vise non seulement à faire contribuer les entreprises, au travers de leurs actifs financiers, au financement de l’action publique locale, donc au service public local qui, on le sait, profite à ceux qui en ont le plus besoin, c’est-à-dire nos concitoyens les plus pauvres, mais également à renforcer la péréquation fiscale.
Lors de l’examen de la loi de finances, monsieur le ministre, nous avons relevé que la suppression de la taxe professionnelle pourrait coûter au budget de l’État entre 7 milliards et 8 milliards d’euros,...
Mme Marie-France Beaufils. Tout à fait !
Mme Nicole Bricq. ... et non le chiffre annoncé de 5 milliards d’euros !
Mme Nicole Bricq. Ce n’est pas moi qui le dis, c’est le rapporteur général de la commission des finances à l’Assemblée nationale ! Et encore, cela ne tient pas compte des dégrèvements dus au titre de la contribution économique territoriale !
Monsieur le ministre, j’ai bien noté que vous en restiez aux chiffres initiaux.
Mme Marie-France Beaufils. Regardez les chiffres !
Mme Nicole Bricq. Monsieur le président de la commission des finances, il faudra bien, à un moment ou à un autre, connaître le coût réel de cette réforme pour l’État !
M. Roland Courteau. Ça s’impose !
Mme Nicole Bricq. Je veux aussi souligner que la perte d’autonomie fiscale pour les collectivités territoriales se chiffre à hauteur de 2,5 milliards d’euros et non de 800 millions d’euros comme on nous l’avait dit !
Quoi qu’il en soit, les collectivités sont privées de prévisibilité, car la volatilité de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, qui la remplace pour partie, n’est plus à démontrer.
Qui plus est, dans les travaux sur la péréquation que nous menons au sein de la commission des finances – je vais en dire un mot –, nous avons appris par la directrice de la législation fiscale que certaines entreprises contestaient les calculs de l’administration fiscale.
Le plus important, c’est la perte très significative de l’effet taux de la fiscalité économique, car elle condamne les communes à actionner le seul levier qui leur reste, celui de la fiscalité des ménages. Mais c’était peut-être le but de la manœuvre...
Les collectivités sont donc mises au régime maigre, ce qui n’est tout de même pas très bon pour le cycle économique dans lequel nous nous trouvons.
Quant à la péréquation, que nous prenons très au sérieux au groupe socialiste, c’est un sujet qui, lors de la dernière loi de finances, est tout de même resté sans réponses vraiment opératoires, faute de disposer de bonnes simulations. Or, d’après ce que nous avons appris en commission des finances, celles-ci ne seront disponibles qu’au mois de septembre, et dans le meilleur des cas ! C’est tout de même court pour l’examen de la loi de finances pour 2012 ! Mais il est vrai que ce sera une année très particulière...
Une chose est claire : la dotation globale de fonctionnement, dont les composants sont gelés par ailleurs, génère en son sein un effet contre-péréquateur au travers de sa part forfaitaire. Cela explique sans doute que, faute de vouloir envisager une péréquation d’importance à caractère national, la majorité et le Gouvernement se sont limités aux seuls fonds des droits de mutation à titre onéreux, dont vous avez rappelé le chiffrage pour 2011.
Monsieur le ministre, vous avez insisté sur le fait qu’au cours de la dernière période, le dernier trimestre 2010, la manne des droits de mutation à titre onéreux est remontée. Permettez-moi de vous répondre ceci : d’abord, ce n’est pas vrai partout, j’y insiste,...
Mme Nicole Bricq. ... ni de la même ampleur...
Mme Nicole Bricq. ... et, surtout, – c’est sur ce point que je veux insister – ils ne retrouvent pas le niveau de 2007, avant la crise. Il faut quand même le dire !
Mme Nicole Bricq. Je voudrais vous faire remarquer aussi qu’en plafonnant à 5 % les prélèvements non seulement la péréquation est limitée en montant, mais le dispositif est privé de progressivité. Les autres fonds sont renvoyés pour les communes et les intercommunalités à 2012 et, pour les régions, à 2013.
Je vais rappeler les idées que défend le groupe socialiste. Nous avons en effet quelques principes en la matière.
Fixer un objectif de réduction des écarts de richesse et mesurer ces écarts régulièrement.
Augmenter la part péréquatrice de la dotation globale de fonctionnement, car le rôle de l’État est bien d’assurer la solidarité. C’est pourquoi nous sommes attachés au principe d’un fonds national.
Prendre en compte le critère du « revenu par habitant ».
M. Roland Courteau. Oui !
Mme Nicole Bricq. Si rien n’avance sur ces principes d’action d’ici à 2012, nous considérerons que cette majorité portera la responsabilité d’avoir entretenu, voire aggravé, les inégalités territoriales et donc les inégalités sociales qu’elles recouvrent.
M. Roland Courteau. Exactement !
Mme Nicole Bricq. Par conséquent, nous partageons les constats des auteurs de la proposition de loi et leurs objectifs.
Premier constat : la contribution économique territoriale ne remplace pas la base imposable de la taxe professionnelle.
Deuxième constat : la contribution économique territoriale ne prend pas en compte la réalité de l’activité économique.
Troisième constat : l’absence de réforme de la péréquation est inquiétante.
Les auteurs cherchent donc à augmenter les recettes des collectivités locales en élargissant la base d’imposition économique, à orienter les entreprises vers l’investissement et l’emploi et, enfin, à redonner du sens et, surtout, des effets à la péréquation.
Ce faisant, ils proposent de créer une nouvelle taxe basée sur les actifs financiers.
Le groupe socialiste souhaite bien évidemment augmenter les recettes des collectivités territoriales. Je rappelle du reste que, lors de l’examen de la loi de finances pour 2010, nous avions proposé de remonter le plafond de la contribution économique territoriale à 3,5 % au lieu du taux de 3 % prévu par le Gouvernement et finalement arrêté.
Quant à la réhabilitation de ce qu’il est convenu d’appeler l’économie réelle à rebours de la financiarisation de l’économie, la proposition de loi que, sur l’initiative de François Marc et de François Rebsamen, le groupe socialiste défendra le 28 avril prochain, vise précisément à orienter les profits des entreprises vers l’investissement plutôt que vers la distribution de dividendes.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Investissements financiers !
Mme Nicole Bricq. Il s’agit pour nous d’utiliser un outil de la fiscalité nationale, l’impôt sur les sociétés, dont on sait qu’il est très faible pour les plus grandes entreprises, celles du CAC 40, qui, si elles créent des emplois, les créent à l’étranger.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Vous savez pourquoi !
Mme Nicole Bricq. Monsieur le président de la commission des finances, je sais que vous êtes d’accord avec moi.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Oui, mais quel remède ? Ne soyons pas les chroniqueurs d’un sinistre annoncé !
Mme Nicole Bricq. J’en viens aux réserves que nous inspirent les mesures proposées par nos collègues du groupe CRC-SPG.
La première tient à l’absence de localisation territoriale du nouvel impôt qui serait créé et qui ne permettra donc pas de renforcer l’autonomie fiscale sérieusement entravée par la réforme du Gouvernement.
Concernant la péréquation, si nous nous retrouvons sur la nécessité de prendre en compte à la fois des critères de ressources et de charges, nous ne souhaitons pas nous égarer dans une multiplicité de critères. Il faut en effet assurer la lisibilité, la prévisibilité et l’efficacité de la péréquation, dont le but est de faire reculer et de résorber, fût-ce sur une longue période, les inégalités.
La proposition de loi vise à organiser la répartition en fonction d’un indice synthétique représentatif des ressources et des charges – cela pourrait ne pas correspondre aux principes que j’ai énoncés tout à l’heure – et elle renvoie à un décret la définition des critères, ce qui est très ennuyeux car le Parlement se verrait privé d’un acte essentiel et les collectivités, de toute marge de manœuvre.
En conclusion, nous estimons qu’une politique fiscale nationale est nécessaire ; elle permettrait la prise en compte de critères de revenus, le renforcement de l’autonomie fiscale et l’attribution aux collectivités locales d’assiettes à la fois prévisibles et dynamiques.
Pour autant, les arguments développés par M. le rapporteur pour s’opposer à cette proposition de loi sont essentiellement de nature politique, donc idéologique. (M. le rapporteur proteste.) Il n’y a pas de mal à cela, monsieur Guené ! C’est la raison pour laquelle il y a une gauche et une droite !
M. Roland Courteau. Évidemment ! Il faut le reconnaître !
Mme Nicole Bricq. Nous ne saurions souscrire à vos conclusions, qui m’ont quelque peu choquée, puisqu’elles visent notamment à restreindre le champ de l’initiative parlementaire et, singulièrement, des propositions de loi émanant de l’opposition, en renvoyant celles-ci au cadre de la loi de finances, au motif qu’elles seraient de nature à créer des niches fiscales.
Je souligne qu’une telle réforme constitutionnelle n’a pas encore eu lieu. Au demeurant, je souhaite m’arrêter un instant sur la question des niches fiscales. D’une part, la majorité a toujours la possibilité d’être majoritaire en séance lorsqu’une proposition de loi présentée par l’opposition est examinée. D’autre part, cette majorité oublie que, au cours des dix dernières années, elle a multiplié, dans les lois de finances, le nombre de niches fiscales. Pour ce qui concerne la période plus récente des cinq dernières années, le coût des niches nouvelles destinées aux entreprises est estimé à 15 milliards d’euros par le Conseil des prélèvements obligatoires. Si vous ajoutez à ces 15 milliards d’euros le coût final de la réforme de la taxe professionnelle, vous êtes au-delà des 18 milliards d’euros que nous propose Mme Beaufils.
M. Roland Courteau. Bien au-delà.
Mme Nicole Bricq. Lors de l’examen par le Sénat du dernier projet de loi de finances rectificative, le rapporteur général comme le ministre présent ont accepté un amendement visant à créer une niche fiscale prétendument « peu importante », bien qu’elle représente tout de même 15 millions d’euros par an. Elle est réservée aux sociétés d’extraction et d’exploitation de gaz et d’huiles de schiste, dont on parle beaucoup par ailleurs. (M. Pierre-Yves Collombat sourit.)
Vous avez évoqué, monsieur le ministre, les finances publiques de nos voisins allemands.
Mme Nicole Bricq. Il importe à cet égard de faire un bref rappel historique. Dans les années 2000, il ne faut pas l’oublier, leur déficit augmentait de jour en jour. Par conséquent, en la matière, l’efficacité d’une règle d’or est toute virtuelle.
M. Philippe Richert, ministre. Ils sont passés des 35 heures aux 42 heures dans les collectivités locales !
Mme Nicole Bricq. Rappelons en outre que les Allemands possèdent une culture de la négociation…
Mme Nicole Bricq. … que nous n’avons pas en France.
M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Nicole Bricq. Je pense notamment aux rapports entre les collectivités territoriales et l’État. En tant qu’Alsacien, vous savez très bien que des négociations sont menées avec les länder. Elles débouchent sur des décisions auxquelles chacun se tient, un bilan étant réalisé l’année suivante.
Cette proposition de loi se révèle très utile, puisqu’elle nous aura permis d’exposer nos points de vue. Vous avez compris, mes chers collègues, que, faute d’expertise en la matière, les réserves que nous venons de formuler nous conduisent à nous abstenir. (M. Roland Courteau applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.
M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, cela a été dit et redit, l’affaire est entendue, la taxe professionnelle est un « impôt imbécile ».
Toutefois, cette proposition de loi du groupe CRC-SPG montre opportunément que remplacer un « impôt imbécile », par une contribution comme la CVAE, sensible à la conjoncture et d’un rendement inférieur pour l’État et les collectivités territoriales, sans améliorer significativement la péréquation entre ces dernières, n’est pas vraiment un progrès.
Mme Nicole Bricq et M. Roland Courteau. Ce n’est pas plus intelligent !
M. Pierre-Yves Collombat. Je passe sous silence ce que cette réforme signifie en termes de perte, pour les collectivités, d’autonomie fiscale et de capacité d’anticipation de l’évolution de leurs ressources.
Ainsi, début mars 2011, les élus des villes moyennes s’inquiétaient, dans un communiqué de leur fédération, « du flou pesant sur les recettes réelles des villes moyennes et de leurs EPCI dans les prochaines années : en l’absence de données chiffrées précises sur les futures ressources fiscales (CVAE en particulier), les maires des villes et présidents de communautés s’interrogent sur la possibilité de voter des budgets rigoureux en 2011. »
Un mois avant l’échéance du 30 avril prochain, les collectivités ne connaissent toujours pas le produit de leur fiscalité économique. Gageons que les chiffres qui leur parviendront prochainement seront plus précis que fiables !
Cette proposition de loi traitant principalement de deux des défauts de la réforme fiscale, je me limiterai à leur évocation.
Le premier défaut majeur de la contribution économique territoriale est d’entraîner une perte immédiate de ressources pour l’État, estimée entre 7 milliards et 8 milliards d’euros en vitesse de croisière, soit le double de ce qui était prévu et annoncé (M. Roland Courteau opine.), comme l’a rappelé ma collègue. Cette somme viendra bien entendu s’ajouter aux précédents cadeaux fiscaux.
Si la perte pour les collectivités est différée, elle représente toutefois 2,5 milliards d’euros de recettes fiscales, lesquelles seront remplacées soit par des dotations, qui, à la différence de la taxe professionnelle, n’évolueront pas, soit par des recettes fiscales qui évolueront moins vite que la TP.
Ces pertes sont très inégalement réparties, les collectivités les plus touchées étant les communes et intercommunalités dont la fiscalité économique constituait une ressource importante, ainsi que les départements et les régions. (M. Roland Courteau s’exclame.)
Quoi qu’il en soit, il faut avoir un solide culot pour affirmer tout à la fois, comme le rapport Durieux, que les bases de la CVAE évolueront comme le PIB et que la nouvelle contribution sera plus dynamique que la taxe professionnelle.
On le sait, depuis 1980, la base locative et la base « investissement » de la taxe professionnelle ont augmenté plus vite que le PIB, lequel a quadruplé sur la période, la base valeur locative des matériels et outillages ayant été multipliée par sept.
Ainsi, depuis 1980, le produit de la taxe professionnelle aura été multiplié, selon les sources, par six ou sept. Selon le cabinet Klopfer, la taxe professionnelle aura été l’impôt le plus dynamique que les collectivités locales aient jamais connu.
Sur la période récente, de 2000 à 2008, son produit a augmenté de 30 %, soit de 3,75 % par an. Une telle hausse renvoie à celle des bases et des taux, ce qui ne sera plus le cas pour la CVAE.
Et l’on voudrait nous faire croire que le produit de la taxe professionnelle en période économique normale augmenterait moins vite que les seules bases de la CVAE en période de crise ! Évidemment, personne n’y croit, si ce n’est Mme la ministre de l’économie et des finances.
Ainsi une toute récente étude de la Fédération des maires des villes moyennes portant sur 155 territoires évalue-t-elle le « manque à gagner » pour les communes et intercommunalités à l’horizon 2015 à 160 millions d’euros, soit une perte de dynamique des ressources de 0,7% par an.
Cette étude montre également que les villes moyennes et leurs EPCI sont particulièrement touchés.
Le second défaut majeur concerne l’insuffisance de la péréquation, alors que la nouvelle base du principal impôt économique, la valeur ajoutée, aurait pu permettre d’adopter des mécanismes plus satisfaisants.
D’abord, et cela rejoint le point précédent, la recette fiscale globale diminuant, on ne voit pas bien comment la part à répartir pourrait augmenter. L’État n’envisage en effet aucunement d’apporter sa contribution en la matière.
Pour le reste, notre collègue Jean-Pierre Chevènement l’a rappelé, même le complaisant rapport Durieux admet que « pour les régions et départements, l’efficacité des dispositifs de péréquation créés par la loi de finances pour 2010 paraît limitée ». Cette litote révèle l’étendue du problème.
La mise en place en 2011 d’un Fonds national de péréquation des DMTO ne constitue qu’un progrès limité, le prélèvement sur les contributeurs ne pouvant excéder 5 % des droits perçus au titre de l’année précédente. Et on ignore encore tout en ce qui concerne les dispositifs relatifs aux communes et intercommunalités ainsi qu’aux départements.
Voilà pour le constat ! Il nous reste l’espoir, qui est très exactement ce qui nous permet de vivre jusqu’à présent.
La proposition de loi qui nous est soumise apporte-t-elle une réponse suffisante au problème ainsi posé ?
Nicole Bricq l’a dit tout à l’heure, tel n’est pas totalement le cas, dans la mesure où, si ce texte vise à améliorer les ressources fiscales des collectivités, il tend à mobiliser une base particulièrement sensible à la conjoncture, volatile et, donc, difficile à capter.
On comprend bien l’intention des auteurs : il s’agit de taxer l’utilisation spéculative des actifs volatils des entreprises, ce qui, à nos yeux, serait une bonne chose.
Le jugement de M. le rapporteur, qui dénonce le caractère idéologique de cette proposition de loi, m’a, je l’avoue, beaucoup amusé. En effet, selon lui, penser que la fonction des entreprises n’est pas d’enrichir les propriétaires en spéculant mais de produire de la richesse est un choix idéologique. Penser l’inverse relèverait d’une autre dimension, n’est-ce pas, cher Charles Guené ? À vos yeux, l’orthodoxie libérale n’est pas une idéologie, c’est une science ! (MM. Roland Courteau et Gérard Le Cam s’esclaffent.) Permettez-moi de rire !
Nous nous interrogeons également sur l’efficacité du dispositif péréquateur proposé.
En la matière, il importe de tout remettre à plat : quelle péréquation est-elle possible si l’on prend en compte la fiscalité et les dotations ? C’est cet ensemble qu’il faut considérer, sans se contenter d’apporter à la marge un certain nombre de modifications.
Voilà pourquoi, tout en saluant l’initiative de nos collègues, laquelle a permis de susciter un débat animé sur une question pourtant examinée un mercredi après-midi, nous nous abstiendrons, mais de façon positive, comme notre collègue Jean-Pierre Chevènement. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Jean-Pierre Chevènement applaudit également.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
La parole est à M. le ministre.
M. Philippe Richert, ministre. C’est par courtoisie, monsieur le président, que je souhaite répondre brièvement. Sur un sujet de cette importance, il ne serait pas acceptable que le ministre ne reprenne pas la parole, notamment pour apporter quelques éclairages supplémentaires sur certaines interrogations qui ont été soulevées, en particulier par Mme Bricq.
Nous l’avons bien compris, il existe deux approches de la question des ressources des collectivités.
La première consiste à mieux répartir les ressources dont nous disposons.
Dans la seconde, qui a été développée par l’auteur de la proposition de loi, on considère que, pour mieux répartir, il convient de créer une nouvelle taxe, qui handicapera davantage les entreprises. (Protestations sur les travées du groupe CRC-SPG.) Je me contente de rappeler, de façon tout à fait objective, le texte !
Dans ce domaine, chacun a le droit d’avoir sa propre analyse. Ce n’est pas la première fois que le groupe CRC-SPG insiste sur le besoin de mettre davantage à contribution les entreprises. Pour ma part, préférant privilégier leur compétitivité, je ne partage pas ce choix.
Je souhaite revenir sur la question de la péréquation, qui a été évoquée par plusieurs intervenants, et notamment M. Chevènement. À ce propos, je souhaite dire à l’ensemble de la représentation nationale qu’il s’agit d’un choix fondamental.
À mon avis, nous devons écarter l’idée selon laquelle la péréquation ne peut se faire qu’en s’appuyant sur des dotations de l’État résultant de taxes nouvelles.
Tout à l’heure, Mme Bricq a évoqué le cas de l’Allemagne. Comment notre voisin a-t-il financé sa réunification ? Grâce à un système de péréquation des ressources des collectivités locales !
M. Pierre-Yves Collombat. Elles sont endettées jusqu’au cou !
M. Philippe Richert, ministre. Nous-mêmes, nous avons commencé à mettre en place un système similaire, qui, vous avez raison de le dire, ne va pas encore assez loin. Mais observons la réalité : le fonds national de péréquation des DMTO atteint 440 millions d’euros.
On peut toujours dire que ce montant n’est pas très important.
Mme Marie-France Beaufils. C’est vrai !
M. Philippe Richert, ministre. Mais permettez-moi, mesdames, messieurs les sénateurs, pour la clarté du débat, de vous redonner quelques chiffres : les recettes issues des DMTO étaient de 7,3 milliards d’euros en 2008, de 5,2 milliards d’euros en 2009, et de 7 milliards d’euros en 2010, soit, pour cette dernière année, 0,3 milliard d’euros de moins par rapport à 2008. Certes, je concède qu’il subsiste encore un écart, mais celui-ci est bien faible si l’on se réfère au chiffre pour 2009, soit 5,2 milliards d’euros.
Par ailleurs, Mme Bricq a déclaré que les progressions ne sont pas identiques dans l’ensemble des départements. C’est tout à fait juste. Le département qui a le moins progressé, c’est la Haute-Marne : 9,6 % en une année. Mais, grâce au système de péréquation que nous avons mis en place pour permettre notamment d’accompagner les départements qui ont connu les plus faibles taux de progression, c’est en réalité de 30 % qu’a progressé le département de la Haute-Marne, et non de 9,6 %.
Je prends un autre exemple, au hasard, celui des Hauts-de-Seine (M. Jean-Pierre Fourcade sourit.) Ce département a progressé de plus de 50 % en 2010. Par conséquent, il a dû contribuer au fonds de péréquation. À l’issue de cette opération, le taux de progression des recettes issues des DMTO est de 38 %.
Aussi, grâce au fonds de péréquation que nous avons créé, nous avons pu porter, dans chaque département, à 20 %, voire à 30 %, le taux de progression des recettes issues des DMTO, cependant que, dans les quatre ou cinq départements où, initialement, celui-ci était supérieur à 50 %, le taux était ramené à 37 % ou 38 %, ce qui est encore acceptable.
Les recettes globales tirées des DMTO représentent 7 milliards d’euros. Certes, elles sont inférieures à celles qu’escomptent tirer de leur mesure les auteurs de cette proposition de loi, mais elles ne sont pas pour autant anecdotiques.
Madame Bricq, vous avez par ailleurs expliqué que, en 2010, concernant la taxe professionnelle, le chiffre était en réalité de 7,3 milliards d’euros et non de 4,7 milliards d’euros. (Mme Nicole Bricq s’exclame.) En fait, et vous le savez bien en tant que spécialiste de ces questions, l’État, en 2010, a dû continuer à rembourser les dégrèvements pour 2009, soit plus 2,6 milliards d’euros : les dégrèvements d’une année n sont toujours remboursés en année n+1. S’y ajoutent les conséquences de la réforme pour 2010, soit 4,7 milliards d’euros, et l’on arrive bien à un total de 7,3 milliards d’euros payés par l’État en 2010.
Le plus souvent, le produit de la taxe professionnelle commençait à stagner. Dans certains cas, nombreux, il diminuait même. De fait, à force de taxer les entreprises, certaines sont parties tandis que d’autres ont été confrontées à des situations difficiles.
La CVAE sera plus dynamique que la taxe professionnelle.
M. Pierre-Yves Collombat. Faux !
Mme Nicole Bricq. Qu’est-ce qui vous permet de dire cela, monsieur le ministre ?
M. Philippe Richert, ministre. Vous verrez ! Nous en reparlerons !
Lorsque nous avons affirmé que les compensations se feraient à l’euro près, tout le monde, à gauche, a dit que ce n’était pas vrai. Or c’est ce qui s’est passé : tout a été intégralement compensé…
Mme Nicole Bricq. Pas la première année !
M. Philippe Richert, ministre. … et l’État a versé non pas 98 milliards d’euros, mais 99 milliards d’euros, soit 1,1 milliard d’euros de plus. La compensation a donc été intégrale, je le répète, et, de surcroît, les collectivités territoriales disposeront demain de recettes plus dynamiques grâce à la CVAE.
Pour conclure, je remercie le groupe CRC-SPG à la fois de nous avoir rappelé sa conception de l’économie et de nous avoir offert l’occasion de préciser les conditions dans lesquelles a été remplacée la taxe professionnelle.
M. le président. La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi initiale.
Article 1er
L’article 1447-0 du code général des impôts est complété par trois alinéas ainsi rédigés :
« La contribution économique territoriale est complétée par la taxation des actifs financiers des entreprises.
« Cette taxation porte sur l’ensemble des titres de placement et de participation, les titres de créances négociables, les prêts à court, moyen et long terme. Ces éléments sont pris en compte pour la moitié de leur montant figurant à l’actif du bilan des entreprises assujetties. Pour les établissements de crédits et les sociétés d’assurances, le montant net de leurs actifs est pris en compte après réfaction du montant des actifs représentatifs de la couverture des risques, contrepartie et obligations comptables de ces établissements.
« La valeur nette des actifs, déterminée selon les dispositions du précédent alinéa, est prise en compte après réfaction de la valeur locative des immobilisations. »
M. le président. La parole est à Mme Marie-France Beaufils, pour explication de vote.
Mme Marie-France Beaufils. Je voudrais formuler quelques remarques sur notre proposition de créer une taxation sur les actifs financiers.
Monsieur le ministre, contrairement à ce que certains pourraient supposer, je le dis clairement, nous ne proposons pas de créer une taxation indifférenciée sur les entreprises ; nous ne voulons taxer que les actifs financiers, dont nous pensons qu’ils sont des facteurs de spéculation et qu’ils ne contribuent, précisément, ni au développement économique, que nous ne voulons aucunement mettre en cause, ni à l’emploi.
Nous considérons qu’un certain nombre d’entreprises préfèrent utiliser la richesse produite pour spéculer et non pour promouvoir le dynamisme économique. Je le répète : il ne s’agit pas de créer une nouvelle taxe générale sur les entreprises. Voilà le fond de notre proposition.
Par ailleurs, je ne partage pas votre vision d’une CVAE dynamique. Un certain nombre d’économistes sont d’ailleurs très dubitatifs quant à son rendement au profit des collectivités territoriales. Par conséquent, à défaut de recettes nouvelles, je crains fort qu’il ne soit bien difficile de faire de la péréquation. De plus, vous le savez comme moi, autant il est possible de connaître assez précisément ce que rapportera la CVAE la première année, autant l’optimisation fiscale reprendra de plus belle par la suite.
Monsieur le ministre, vous avez, dans votre propos liminaire, faussement interprété l’exposé des motifs de cette proposition de loi. Nous disons que « cette péréquation est aujourd’hui largement inachevée ».
Mme Marie-France Beaufils. Nous ne disons pas que vous n’en avez pas fait !
Vos propos, tels qu’ils étaient formulés, pouvaient donner l’impression que nous avions affirmé que vous n’aviez jamais fait de péréquation.
Nous avons d’ailleurs ajouté « que la répartition de la cotisation sur la valeur ajoutée s’apparent[e] de fait à une sorte de “cote mal taillée” destinée à compenser la disparition de la taxe professionnelle et le dynamisme des recettes qui découlait de son assiette ».
Mme Marie-France Beaufils. Cette remarque est d’autant plus pertinente quand on sait que, à l’échéance de 2015, vous envisagez de mettre dans le pot commun de la péréquation au mieux 1 milliard d’euros. (M. le ministre s’exclame.) Ce sont en tout cas les estimations qui ont été fournies au groupe de travail sur la péréquation des recettes fiscales des collectivités territoriales, dont je suis membre.
Mme Marie-France Beaufils. Nous ne devons pas avoir la même perception de ce que sont les besoins des collectivités territoriales.
Mme Marie-France Beaufils. Monsieur le rapporteur, vous disiez tout à l’heure qu’il aurait fallu joindre une étude d’impact à cette proposition de loi. Nous en reparlerons quand les groupes politiques disposeront d’autant de moyens que les commissions ou le Gouvernement pour procéder à des études d’impact ! Je note d’ailleurs que ce dernier ne peut même pas nous fournir une telle étude sur la CVAE puisqu’il faudra attendre le mois de septembre pour savoir ce que celle-ci rapportera.
Aussi, monsieur le rapporteur, rejeter une proposition de loi d’un groupe au motif qu’il ne lui est pas joint une étude d’impact – que ce groupe n’a pas les capacités de réaliser – n’est pas un argument acceptable.
En outre, la commission utilise un autre argument pour rejeter notre proposition de loi ; voici ce qui est écrit dans le rapport : « Enfin, les propositions de loi contenant des dispositions fiscales ne seront bientôt plus constitutionnellement recevables. En effet, le Gouvernement a déposé un projet de loi constitutionnelle relatif à l’équilibre des finances publiques qui prévoit le monopole des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale en matière de fiscalité. Il s’agit d’une doctrine que notre commission a d’ores et déjà faite sienne depuis les conclusions de la seconde conférence sur les déficits, qui s’est tenue voici un peu moins d’un an. »
Je suis d’accord avec Nicole Bricq : ce texte n’existe pas pour le moment, il n’a pas été débattu. En outre, que fait-on de l’initiative parlementaire ? Interdire l’examen de propositions de loi dès lors qu’elles contiendraient des dispositions fiscales dénoterait quand même une sacrée conception de la démocratie ! Si tel devait être le cas, le Parlement serait en vacances un bon nombre de mois dans l’année ! J’ai rarement vu des textes ne contenant aucune mesure d’ordre financier, ou alors ce sont des textes vides et creux dont les dispositions sont destinées à rester lettre morte.
Nous venons de vivre une crise financière importante qui a montré l’aspect négatif de la spéculation. C’est elle que nous voulons combattre et notre proposition de loi a essentiellement pour objectif de permettre de nouveau aux collectivités territoriales de répondre aux besoins des habitants et de donner aux services publics les moyens de fonctionner, puisque l’évolution des dotations de l’État en faveur de ces mêmes collectivités, qui est fixée à « zéro volume », constitue une baisse de capacité. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)
M. Gérard Le Cam. Très bien !
M. le président. La parole est à M. le rapporteur, à qui je demande d’être bref compte tenu de nos contraintes horaires.
M. Charles Guené, rapporteur. Également par courtoisie, je voudrais dire brièvement quelques mots.
Sans vouloir reprendre l’évocation de notre ami Pierre-Yves Collombat sur l’idéologie et la science – je ne prétends pas être du bon côté –, je lui dirai cependant que, plus on se rapproche de la réalité, plus on a de chance d’être proche de ce qui est scientifique. L’idée de lutter contre la spéculation est sympathique en soi, mais les actifs financiers, pour résumer, ne sont ni la bonne cible ni le bon moyen. C’est ce que nous avons tenté de démontrer.
Mme Marie-France Beaufils. Je n’ai pas compris la démonstration !
M. le président. Je mets aux voix l'article 1er.
J'ai été saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe CRC-SPG.
Je rappelle que la commission et le Gouvernement ont émis un avis défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 175 :
Nombre de votants | 337 |
Nombre de suffrages exprimés | 209 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 105 |
Pour l’adoption | 24 |
Contre | 185 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Article 2
L’article 1636 du même code est rétabli dans la rédaction suivante :
« Art. 1636. – Le taux grevant les actifs définis au dernier alinéa de l’article 1447-0 est fixé à 0,3 %. Il évolue chaque année, pour chaque entreprise assujettie, à proportion d’un coefficient issu du rapport entre la valeur relative à ces actifs au regard de la valeur ajoutée de l’entreprise. »
M. le président. Je mets aux voix l'article 2.
(L'article 2 n’est pas adopté.)
Article 3
L’article 1648 A du même code est ainsi rédigé :
« À compter du 1er janvier 2012, le produit de l’imposition définie par les deuxième à quatrième alinéas de l’article 1447-0 du même code est affecté à un fonds national de péréquation.
« Pour 2012, ce fonds alloue aux collectivités territoriales bénéficiaires de l’attribution des ressources des fonds départementaux de péréquation un montant de ressources au moins équivalent à celui perçu en 2011.
« Le surplus des ressources du fonds est alloué aux régions pour 20 %, aux départements pour 30 %, aux communes et aux établissements publics de coopération intercommunale pour le solde, à chaque échelon, en fonction d’un indice synthétique représentatif de leurs ressources et de leurs charges dont les caractères sont définis par décret. »
M. le président. Je mets aux voix l'article 3.
(L'article 3 n’est pas adopté.)
Article 4
Le premier alinéa du 4° du 1 de l’article 39 du même code est complété par les mots : « et de l’imposition résultant de la prise en compte des actifs financiers définis au deuxième alinéa de l’article 1447-0. »
M. le président. Je mets aux voix l'article 4.
(L'article 4 n’est pas adopté.)
Article 5
La perte de recettes résultant pour l’État de la mise en œuvre des articles 1er à 4 ci-dessus est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
M. le président. Les cinq articles de la proposition de loi ayant été successivement repoussés, il n’y a pas lieu de procéder à un vote sur l’ensemble.
La proposition de loi est rejetée.
6
Projets des collectivités locales d'Île-de-France
Adoption d'une proposition de loi
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe socialiste, de la proposition de loi visant à faciliter la mise en chantier des projets des collectivités locales d’Île-de-France, présentée par Mme Nicole Bricq et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés (proposition n° 299, rapport n° 364).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme Nicole Bricq, auteur de la proposition de loi.
Mme Nicole Bricq, auteur de la proposition de loi. Monsieur le ministre, je ne sais pas si le protocole signé entre le Gouvernement – en votre personne – et la région d’Île-de-France – en la personne de son président – peut être qualifié d’« historique » ; c’est le temps qui le dira.
Il faudra lever les ambiguïtés, et celles qui pèsent sur le financement du réseau de transport ne sont pas les moindres. Trente-deux milliards d’euros, au moins, à l’horizon de 2025, c’est beaucoup d’argent à mobiliser, et ce dans une période que l’on sait difficile. À cet égard, 2013 sera une année cruciale.
Le protocole du 26 janvier 2011 permet au moins des convergences par le haut – ce n’est déjà pas si mal – et il faut mettre à profit la « dynamique d’accord », pour reprendre la formule utilisée par M. Dominique Braye dans son rapport écrit.
Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, la proposition de loi que je vous présente au nom du groupe socialiste vise à traduire cette dynamique dans la réalité, ici, au Sénat, afin de débloquer les projets des collectivités locales restés sans suite du fait de l’absence d’adoption définitive du schéma directeur de la région d’Île-de-France, le SDRIF, trois ans après son adoption par le conseil général.
Je tiens à souligner que cette adoption avait été précédée d’une concertation inédite, lancée en octobre 2004, dont la chronologie est fidèlement retracée dans le rapport de M. Braye.
Notre collègue Jean-Pierre Caffet l’a fait remarquer en commission, vivre presque vingt ans avec un SDRIF rejeté par les collectivités locales est assez exceptionnel, tout comme est exceptionnelle la procédure elle-même qui consiste, pour un document d’urbanisme, à ouvrir la révision par un décret et à la clore par un décret, décret que nous attendons, comme vous le savez, monsieur le ministre !
Lors du débat, souvent vif, que nous avions mené au Sénat l’année dernière sur la loi du 3 juin 2010 relative au Grand Paris, nous avions défendu avec ardeur le SDRIF de 2008, mais, à l’époque, nous nous étions heurtés au silence et parfois, il faut bien le dire, au mépris du représentant du Gouvernement.
Je veux croire, monsieur le ministre, que la situation s’est apaisée depuis lors. (M. le ministre de la ville sourit.) Je me contenterai donc de rappeler que nous défendons ce SDRIF de 2008, dont l’ambition est de contribuer à la résorption des inégalités territoriales, donc des inégalités sociales, et d’orienter la région d’Île-de-France sur la voie de la transition vers une économie durable, capable de dégager des richesses, lesquelles pourraient être mieux reparties. Le réseau de transport y contribue. Il doit être modernisé et développé, afin de rattraper les retards accumulés par l’État.
Il s’agit de conforter la place de la première région d’Europe, une région dont le produit intérieur brut atteint presque 550 milliards d’euros. À ce propos, je voudrais dire à ceux de nos collègues qui nous reprochent souvent cette opulence que, si cette région est la plus riche, elle concentre aussi les plus grandes inégalités et redistribue, au travers de la fiscalité nationale, une large part de ses richesses vers l’ensemble du territoire.
En d’autres termes, ce qui est bon pour l’Île-de-France est bon pour la France !
Mme Nicole Bricq, auteur de la proposition de loi. Ces objectifs ne devraient donc pas nous diviser et j’ai compris, lors de mon audition par le rapporteur, comme lors de l’audition du ministre devant la commission spéciale sur le Grand Paris, ressuscitée pour l’occasion, que nous voulions, les uns et les autres, avancer dans l’intérêt des collectivités locales et des Franciliens.
Je remercie le rapporteur, Dominique Braye, de nous avoir écoutés avec toute l’attention nécessaire et le président Jean-Paul Emorine d’avoir su se rendre disponible pour réunir la commission spéciale en présence du ministre et suivre très attentivement les travaux de la commission qu’il a l’honneur de présider.
À la vérité, les uns comme les autres, nous appelons à ce que notre collègue Jean-Pierre Fourcade jugeait possible voilà un an, c’est-à-dire – j’ai relu les débats de l’année dernière et je ne fais que le citer – à « un partenariat loyal et fécond » entre État et collectivités locales.
Mme Nicole Bricq, auteur de la proposition de loi. Nous sommes d’accord ! Nous allons essayer d’y parvenir !
M. Jean-Pierre Fourcade. Bravo !
Mme Nicole Bricq, auteur de la proposition de loi. C’est donc dans l’esprit d’une vision partagée du territoire francilien que cette proposition de loi s’inscrit.
Quant à la lettre, nous avons retenu des travaux en commission que le rapporteur et la majorité sénatoriale entendent s’inscrire strictement dans le protocole du 26 janvier 2011, c'est-à-dire adopter une disposition législative permettant par dérogation de libérer les projets des collectivités territoriales compatibles et avec le SDRIF voté par le conseil régional en 2008 et avec la loi du 3 juin 2010.
C’est l’objet du véhicule législatif que nous mettons ici à la disposition du Sénat.
À notre sens, cette solution est garante d’efficacité, de rapidité et de sécurité juridique des projets territoriaux, qui seraient ainsi libérés à la fois pour le développement économique – on sait qu’il est important – et pour la préservation de l’environnement.
M. Dominique Braye dresse fidèlement la liste des projets les plus importants dans son rapport. À cette lecture, on comprendra qu’en tant qu’élue du beau département de Seine-et-Marne, j’aie pris l’initiative de cette action législative. Il s’agit bien sûr aussi d’accompagner les négociations ouvertes sur les contrats de développement territorial.
La rédaction de l’article unique de cette proposition de loi reflète, en l’état, notre interprétation du protocole du 26 janvier 2011.
Cet article est en effet découpé en trois parties.
La première partie organise une dérogation au principe de compatibilité entre le SDRIF et les autres documents d’urbanisme, afin de permettre les révisions rendues nécessaires pour la mise en œuvre des projets stratégiques mais que les dispositions du SDRIF de 1994 n’autorisent pas. Dans cette hypothèse, la proposition de loi prévoit que les documents doivent être rendus compatibles avec les dispositions du SDRIF de 2008, non encore applicable, dès lors qu’il s’agit de dispositions compatibles avec la loi relative au Grand Paris. Nous parlons donc bien, ici, d’une mesure dérogatoire.
La deuxième partie précise que lesdites révisions ne peuvent pas venir faire obstacle à la mise en œuvre des contrats de développement territorial.
La troisième partie porte sur la relance de la procédure de révision du SDRIF pour sortir du point d’arrêt consécutif à l’avis du Conseil d’État.
En commission, la discussion s’est focalisée sur le degré d’obligation pour les communes. Le rapporteur s’est montré particulièrement attentif aux communes qui, sans projet stratégique, pourraient souhaiter réviser leurs documents conformément au SDRIF de 2008. Le débat s’est donc cristallisé sur la question de savoir s’il fallait- écrire « doivent » ou « peuvent ».
Nous souhaitions, pour notre part, écarter l’option à la carte que signerait l’utilisation du verbe pouvoir. Néanmoins, nous sommes favorables au compromis finalement trouvé en commission ce matin. Il faut sortir du blocage dans la plus grande sécurité juridique possible.
Mme Nicole Bricq, auteur de la proposition de loi. Nos collègues veulent faire du préfet de région le juge de paix de la compatibilité des dispositions qui seraient prises par les collectivités locales avec la loi relative au Grand Paris et avec le SDRIF adopté par le conseil régional. Dès lors que la commission de l’économie a adopté notre sous-amendement visant à réintroduire le président du conseil régional d’Île-de-France dans le dispositif, nous acceptons cette proposition.
Si nous votons à l’unanimité la formulation arrêtée ce matin en commission, nous aurons d’autant plus de chances de la voir adoptée par l’Assemblée nationale, ce qui me paraît très important, et le Sénat aura ainsi rempli sa fonction de représentant des collectivités locales.
Je fais remarquer, monsieur le ministre, que le groupe socialiste a renoncé à déposer un amendement concernant le partage de la maîtrise d’ouvrage des infrastructures, faute de parvenir, avec ce véhicule, à un accord, qu’il faudra pourtant bien trouver rapidement et en bonne forme.
Nous pensons que c’est souhaitable et que c’est possible, car la loi relative au Grand Paris, je le rappelle, a entériné le fait que la maîtrise d’ouvrage du réseau revenait en totalité à la Société du Grand Paris, au mépris, il faut bien le dire, de la compétence d’autorité organisatrice détenue depuis moult années par le STIF, le Syndicat des transports d’Île-de-France.
Or le protocole d’accord du 26 janvier – je sais combien vous êtes attaché à la lettre de ce protocole, que j’ai repris dans ma proposition de loi –…
Mme Nicole Bricq, auteur de la proposition de loi. … revient sur cette organisation – elle date de 1959 – et dispose que « l’État et la région s’engagent à trouver les moyens d’un partage de la maîtrise d’ouvrage des projets susmentionnés, conformément aux contributions de chacun » - c’est important – « et dans un objectif d’efficacité opérationnelle. Le cadre juridique de ce partage sera élaboré au cours du premier semestre 2011 ».
Nous y sommes.
Bien que ce passage du protocole ne mentionne pas explicitement le recours à la loi, nous aurions souhaité profiter de l’occasion de notre proposition de loi.
En commission spéciale, monsieur le ministre, vous avez répondu à l’interrogation que je formulais à cet endroit. Vous avez détaillé les financements de l’État et ceux de la région. Nous ne verrons cependant la réalité des premiers, qui sont encore quelque peu virtuels, …
Mme Nicole Bricq, auteur de la proposition de loi. … qu’en 2013, alors que ceux de la région, des départements et de la Ville de Paris – par exemple, l’extension de la ligne 14 du métro – sont, eux, bien réels ; ils sont sur la table et nous autorisent à honorer le protocole du 26 janvier.
Il serait donc paradoxal de ne pas autoriser le partage de la maîtrise d’ouvrage entre le STIF et la SGP. Je rappelle que le conseil de surveillance de la SGP, qui doit se réunir avant l’été, déterminera le tracé définitif du réseau de transport et le nombre de gares, ce qui n’est pas sans conséquence sur les coûts et leur prise en charge.
Monsieur le ministre, vous nous avez indiqué hier, en réponse à une question crible thématique de ma collègue Catherine Tasca, que vous aviez conforté l’accord concernant la ligne 14, et vous avez ajouté qu’une décision réglementaire viendrait modifier le code des transports. Nous considérons que c’est de bon augure et nous vous remercions d’être allé encore plus loin que la semaine passée devant la commission spéciale.
En conclusion, nous nous contenterons, à ce stade, du volet territorial pour autant, monsieur le rapporteur, monsieur le ministre, que nous tombions définitivement d’accord sur la rédaction commune adoptée ce matin lors de la réunion de la commission de l’économie, dont je ne suis d'ailleurs pas membre. Il est possible et il est nécessaire que nous trouvions la bonne rédaction, ici et maintenant ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Dominique Braye, rapporteur de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, près de huit mois après l’adoption de la loi du 3 juin 2010 relative au Grand Paris, nous sommes saisis d’une proposition de loi déposée par notre collègue Nicole Bricq et les membres du groupe socialiste tendant à faciliter la mise en chantier des projets des collectivités locales d’Île-de-France et de l’État.
Après des mois de conflit entre l’État et la région, marqués par le refus de l’État de transmettre au Conseil d’État le projet de schéma directeur de la région d’Île-de-France adopté par la région en 2008, un accord a fini par se concrétiser le 26 janvier dernier, avec la signature d’un protocole relatif aux transports publics en Île-de-France. Le présent texte s’inscrit dans son prolongement.
Rappelons qu’à l’heure actuelle c’est toujours le SDRIF adopté en 1994 qui s’applique. Depuis, la loi du 4 février 1995 a donné à la région compétence pour élaborer le SDRIF, en l’encadrant toutefois sensiblement puisqu’il faut un décret en Conseil d’État pour ouvrir la procédure et un autre pour la clore.
En 2005, un décret a ouvert la procédure de révision, à la demande de la région, qui s’est engagée dans un large processus de concertation, jusqu’en février 2007. Le projet alors arrêté a été transmis pour avis aux personnes publiques associées.
L’État, dans son avis rendu en septembre 2007, exprimait de fortes réserves tant sur le contenu des dispositions retenues dans le projet que sur sa fragilité juridique. Il jugeait notamment que certains enjeux majeurs pour l’Île-de-France, comme le développement de l’activité économique, n’étaient pas suffisamment pris en compte.
Dans le même temps, le 17 septembre 2007, le Président de la République lançait une consultation internationale pour l’avenir du Paris métropolitain et créait, en mars 2008, le secrétariat d’État pour le développement de la région capitale, tandis qu’en septembre 2008 le conseil régional adoptait le projet de SDRIF, après l’avoir soumis à enquête publique.
Pour les raisons exposées dans son avis de 2007, le Gouvernement refusait alors de transmettre au Conseil d’État le projet de SDRIF, au motif que le texte manquait d’ambition pour la région capitale.
L’année suivante, en juillet 2009, le Gouvernement transmettait à la région l’avant-projet de loi relatif au Grand Paris et les négociations entre l’État et la région sur un protocole d’accord relatif au SDRIF et au Grand Paris échouaient.
C’est dans ce contexte que le Parlement, vous l’avez d'ailleurs rappelé, chère Nicole Bricq, a examiné, entre l’automne 2009 et l’été 2010, le projet de loi relatif au Grand Paris. Notre collègue Jean-Pierre Fourcade, qui en était le rapporteur, se souvient des tensions qui existaient alors.
Définitivement adoptée le 5 juin 2010, la loi vise la construction d’une nouvelle ligne de métro automatique de grande capacité, sur 130 kilomètres, en rocade, projet dit de la « double boucle » et le développement des territoires situés autour des futures gares de ce nouveau réseau, au moyen de contrats de développement territorial, et la valorisation du pôle scientifique et technologique du plateau de Saclay.
Le projet de « double boucle » différait sensiblement du projet de transport public de la région dénommé « Arc Express », présenté dans le SDRIF de 2008 comme « le projet d’infrastructure fondamental et prioritaire ». La loi relative au Grand Paris avait prévu, à cet égard, que soient menés conjointement les deux débats publics relatifs au schéma d’ensemble et au projet « Arc Express », qui furent lancés le 30 septembre 2010.
Au lendemain de l’adoption de la loi relative au Grand Paris, le Gouvernement saisissait le Conseil d’État du projet de décret portant approbation du SDRIF, contre l’engagement de la région de mettre celui-ci en révision pour qu’il intègre les options d’aménagement du Grand Paris.
Or le Conseil d’État a rendu, le 27 octobre 2010, un avis défavorable sur le projet de décret, considérant notamment que la loi relative au Grand Paris affectait la cohérence interne du projet de SDRIF qui repose de manière très significative sur le projet « Arc Express » et ignore le futur réseau de transport du Grand Paris.
Mais, le 26 janvier 2011, un protocole d’accord est intervenu entre le ministre de la ville, Maurice Leroy, et le président du conseil régional d’Île-de-France, Jean-Paul Huchon, prévoyant 32,4 milliards d’euros d’investissements d’ici à 2025 dans les transports franciliens.
Je tiens, au nom de tous les élus de la région d’Île-de-France, à vous féliciter, monsieur le ministre, ainsi que Jean-Paul Huchon d’être parvenus à un accord équilibré qui sera très bénéfique, à toutes les collectivités franciliennes, à tous les Franciliens, mais aussi à l’État.
Aux termes de ce protocole, l’État et la région s’accordent sur la mise en œuvre d’une solution législative relative au SDRIF « permettant de libérer les projets des collectivités territoriales et de l’État compatibles avec le projet SDRIF 2008 et avec la loi relative au Grand Paris, jusqu’à l’approbation de la révision du SDRIF ».
Cet accord tire les conséquences de l’avis du Conseil d’État, aux termes duquel le SDRIF de 1994 continuera de s’appliquer tant que le SDRIF de 2008 n’aura pas intégré les éléments relatifs au Grand Paris. En conséquence, au moment où je parle, les documents d’urbanisme franciliens doivent toujours être compatibles avec le SDRIF de 1994.
Or celui-ci, vous l’avez rappelé, madame Bricq, classe en espaces naturels des espaces ouverts à l’urbanisation dans le SDRIF de 2008, ce qui bloque la réalisation de nombreux projets d’envergure, importants pour le développement économique de la région d’Île-de-France.
Cette proposition de loi, composée d’un article unique, vise donc essentiellement à permettre une application anticipée des dispositions du SDRIF de 2008 qui ne sont pas contraires à la loi sur le Grand Paris, afin que puissent se réaliser des projets actuellement bloqués par le SDRIF de 1994.
Par ailleurs, elle prévoit une procédure dérogatoire pour la révision du SDRIF : celle-ci sera ouverte par le décret relatif au tracé du réseau de transport public du Grand Paris et ne nécessitera pas la consultation des personnes publiques associées.
La commission de l’économie salue cette initiative de Mme Bricq et du groupe socialiste, qui devrait permettre de débloquer de nombreux projets.
Elle a néanmoins souhaité apporter des modifications, et ce dans un triple objectif.
Il importe, premièrement, de sécuriser le dispositif : il est préférable de ne pas mettre à la charge des collectivités franciliennes l’obligation de se mettre en compatibilité avec le SDRIF de 2008, document qui n’a aujourd’hui pas d’existence juridique à proprement parler. Cela reviendrait à le valider législativement, ce que le Conseil d’État a écarté explicitement.
Il convient, deuxièmement, de donner une souplesse maximale aux collectivités, afin de débloquer les projets au plus vite.
C’est dans l’esprit de ces deux premiers objectifs, sécurité juridique et souplesse offerte aux collectivités locales, que la commission vous proposera un amendement au premier alinéa.
Enfin, troisièmement, il s’agit d’accélérer les procédures. Ainsi, la commission propose d’inscrire une date butoir - la fin de l’année 2013 -, pour inciter la région et l’État à conduire à son terme au plus vite le processus de révision du SDRIF.
Toujours dans cet objectif, la commission ne proposera pas de rétablir le recueil en amont des propositions des personnes publiques associées que les auteurs de la proposition de loi ont supprimées – je réponds ainsi, par avance, au groupe CRC-SPG, qui a déposé un amendement et un sous-amendement. Elle propose, en revanche, de recueillir leur avis sur le projet de SDRIF, mais en l’encadrant dans un délai de deux mois.
Tout cela a pour but d’accélérer le déblocage des projets que nous attendons tous.
En conclusion, la commission se félicite du chemin parcouru respectivement par la région et par l’État depuis un an, quand, à cette même époque, le Sénat examinait le projet de loi relatif au Grand Paris dans un climat que l’on aurait difficilement pu qualifier de serein. (Mme Bariza Khiari applaudit.)
C’est dans un esprit de consensus qu’elle a examiné le présent texte, qu’elle souhaite voir adopté le plus largement possible, car il est attendu par de très nombreuses collectivités locales d’Île-de-France, toutes sensibilités politiques confondues. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Maurice Leroy, ministre de la ville. Monsieur le président, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, depuis cent cinquante ans, Paris se réinvente et se projette dans l’avenir. À travers l’héritage du baron Haussmann, des urbanistes visionnaires du début du XXe siècle qu’étaient Le Corbusier ou les frères Perret, des bâtisseurs de l’après-guerre ou des architectes contemporains des grands projets, vous avez donné aux pouvoirs publics les moyens de construire la métropole du XXIe siècle.
La loi dont vous avez été, il y a un an, les artisans fera date, j’en suis sûr. Car la question urbaine est la question politique centrale de notre temps.
Le projet du Grand Paris, auquel vous avez donné vie, est une façon nouvelle de penser la ville du XXIe siècle et son environnement, une façon nouvelle de penser le monde de demain.
Mme Bricq et M. le rapporteur l’ont dit, la région capitale n’est pas une région comme les autres. Première région économique d’Europe, elle concentre à elle seule près de 30 % de la richesse nationale et elle est le moteur de notre économie nationale.
Parce qu’elle n’est pas comme les autres, la région capitale a besoin, encore plus qu’une autre région, d’une vision prospective de son développement et d’une formalisation de ses axes de développement dans un document unique, partagé entre la région d’Île-de-France et les autres collectivités locales, évidemment, mais également entre la région d’Île-de-France et l’État. Et c’est d’ailleurs tout le sens du SDRIF, comme l’explicite de façon claire, complète et synthétique M. Braye dans son excellent rapport.
Je tiens à saluer, après le rapporteur, l’engagement du président de la région d’Île-de-France, Jean-Paul Huchon, avec lequel j’ai conclu l’accord du 26 janvier 2011. Sans lui, il n’y aurait bien évidemment jamais eu d’accord.
Madame Bricq, pour être honnête avec vous, je ne sais pas si cet accord est ou sera « historique ». Selon moi, il n’appartient ni au pouvoir exécutif ni aux parlementaires de légiférer sur cette question. (Sourires.) Rappelez-vous les ennuis que nous ont causés les lois mémorielles ! Pour avoir été vice-président de l’Assemblée nationale chargé d’un groupe de travail sur ce sujet, je me garderai bien de reprendre un tel adjectif. Je considère que l’Histoire appartient aux historiens. Le terme a d’ailleurs plutôt été employé par les journalistes, voire par les architectes.
Mme Nicole Bricq. Nous sommes d’accord !
M. Maurice Leroy, ministre. Je ne sais donc pas si cet accord sera historique, mais, en revanche, je suis certain, et le président Huchon pourrait le confirmer, que, si nous n’étions pas parvenus à cet accord avant la date couperet du 31 janvier, il n’y avait plus de projet du Grand Paris : voilà qui aurait sans doute été historique ! J’aurais aimé que Mme Voynet soit présente aujourd'hui pour m’entendre le dire, mais je ne doute pas qu’elle lira le compte rendu intégral de nos débats dans le Journal officiel.
J’ai parlé de « date couperet » ; il me faut à cet instant tenter, modestement, de compléter le brillant exposé – écrit comme oral – de Dominique Braye. Compte tenu des échéances électorales prochaines – les élections sénatoriales de septembre, mais aussi l’élection présidentielle de 2012 – et du fait que le débat public était déjà engagé depuis près de six mois, si nous n’avions pas abouti à l’accord du 26 janvier, chacun sait ici que la relance du projet de Grand Paris était renvoyée au plus tôt après 2013 et, par conséquent, le déblocage du SDRIF était empêché, préoccupation qui est l’objet de notre débat de cet après-midi.
Je me réjouis de l’accord que nous avons conclu avec le président Huchon le 26 janvier dernier, un accord important à bien des égards : nous avons ensemble choisi de faire converger les différentes propositions et de porter ensemble un projet ambitieux de transport pour l’agglomération parisienne. Lors des réunions du débat public, les vingt mille Franciliens qui y ont participé, dont de nombreux élus, nous ont adressé un message clair : « De grâce, que l’État et la région se mettent d’accord pour qu’enfin nous ayons un seul projet de transport ! » C’est ce que scelle l’accord du 26 janvier.
Mais cet accord, outre ce projet ambitieux de transport pour l’agglomération parisienne, est aussi une manière de partager une vision de l’avenir – on parle d’ailleurs de « projet partagé » – de Paris en tant que métropole, de Paris en tant que ville-monde durable.
Mesdames, messieurs les sénateurs, il ne s’agit pas ici de l’un de ces effets d’annonces qui ne sont que des annonces sans effets ! Je le réaffirme fermement devant la Haute Assemblée, tous les engagements de l’État qui y sont consignés seront tenus.
Depuis le 26 janvier, nous travaillons collectivement, avec un sens aigu de notre responsabilité et une réelle volonté d’aboutir, pour mettre en œuvre les engagements du protocole.
Un comité de suivi des engagements sera très prochainement mis en place. Il se tiendra sous ma présidence et celle de Jean-Paul Huchon le 18 avril prochain. L’occasion nous sera alors donnée de faire un point sur la maîtrise d’ouvrage du réseau de transport, que j’ai évoquée hier en répondant à une question crible thématique de Mme Tasca, sur la coordination entre le Syndicat des transports d’Île-de-France et la Société du Grand Paris ou encore sur l’avancée des discussions sur l’arc Est du projet de rocade.
Le Gouvernement a pris l’engagement, dans l’accord, de « proposer et faire adopter une disposition législative permettant de libérer les projets des collectivités territoriales et de l’État compatibles avec le projet SDRIF adopté par le Conseil régional d’Île-de-France et avec la loi n° 2010-597 du 3 juin 2010 relative au Grand Paris, jusqu’à l’approbation de la révision du SDRIF ». Je note, et cela me semble être de bon augure, que Mme Bricq et M. le rapporteur ont également cité cet engagement à l’instant.
Pour tenir cet engagement, j’ai personnellement souhaité soutenir la proposition de loi déposée par Mme Bricq et le groupe socialiste du Sénat, pour deux raisons.
D’abord, pour des raisons de calendrier. Le rapport dresse la liste, à laquelle je vous renvoie et que je confirme, de tous les projets actuellement bloqués : il faut aller vite afin de ne pas empêcher inutilement des projets locaux prêts à démarrer et enclencher au plus vite une nouvelle révision du SDRIF.
Ensuite, parce que la proposition de loi s’inscrit pleinement dans l’esprit de consensus qui a présidé à l’accord du 26 janvier dernier. Comme l’ont rappelé Mme Bricq et M. le rapporteur, le texte permet, pour les collectivités dont les projets sont bloqués par le SDRIF de 1994, de déroger à ce schéma directeur jusqu’à sa nouvelle mise en révision.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez vous-mêmes indiqué, lors de l’examen des amendements en commission, qu’un dispositif automatique de dérogation ne pourrait qu’engendrer des blocages locaux contraires aux objectifs de la proposition de loi. Mme Bricq et M. le rapporteur l’ont, là encore, dit avant moi, il faut débloquer et sécuriser la situation en évitant, d’une part, toute atteinte à la liberté des collectivités locales et, d’autre part, toute validation législative du projet de SDRIF de 2008, validation dont le Conseil d’État a très clairement pointé les risques.
Vous le voyez, le Gouvernement est soucieux de trouver, malgré un calendrier exigeant, des réponses ambitieuses aux questions d’aménagement de la métropole francilienne.
Ce que vous examinez aujourd’hui est un dispositif transitoire, limité dans le temps, qui ne saurait empêcher la mise en œuvre des objectifs de la loi du 3 juin 2010.
Notre but commun est de nous doter d’un outil à la mesure de l’avenir de la région capitale et d’approuver, dans les meilleurs délais et dans les conditions les plus satisfaisantes, bien évidemment en concertation, un nouveau SDRIF qui deviendra le document de référence pour le Grand Paris des quinze prochaines années.
Vous avez adopté, en commission des affaires économiques, le rapport sur la proposition de loi à la quasi-unanimité, dans un climat de confiance, de concorde et de sérénité. Je ne doute pas que, en séance publique, nous saurons maintenir ce climat. Ainsi, nous gagnerons un temps précieux, dans l’intérêt des projets de toutes les collectivités territoriales, actuellement bloqués.
Aujourd’hui, nous ouvrons ensemble un nouveau chapitre de l’aménagement francilien et sortons d’une impasse qui n’a que trop duré.
Monsieur Pozzo di Borgo, vous m’avez interpellé hier sur la question, importante, de la place de Paris comme ville universitaire. Je tiens à compléter la réponse que je vous ai apportée.
Je veux réaffirmer très clairement que Paris est une ville d’excellence et de tradition universitaire, comme vous avez eu raison de le souligner. Elle est au cœur des enjeux de développement de l’économie de la connaissance. L’avenir du paysage universitaire du cœur de Paris doit faire, et fait déjà, l’objet d’une attention particulière du Gouvernement, singulièrement de ma collègue Valérie Pécresse. Je m’engage à poursuivre la réflexion avec vous sur ce point, car il s’agit d’un enjeu stratégique, d’un enjeu d’avenir.
Je ne doute pas que nous soyons capables collectivement de nous rassembler lorsqu’il s’agit du futur de notre capitale, c’est-à-dire de l’intérêt national.
Enfin, je ne peux terminer mon propos sans répondre à Mme Bricq sur la question de la maîtrise d’ouvrage car, en accord avec tous les groupes, nous passerons directement à l’examen des amendements à la fin de la discussion générale.
Je m’engage avec force, au nom du Gouvernement,…
M. Jean Desessard. Jusqu’au prochain changement de gouvernement !
M. Maurice Leroy, ministre. Encore un moment, monsieur le bourreau ! (Sourires.)
Je prends donc l’engagement de chercher, aux termes de l’accord du 26 janvier, toutes voies et moyens conventionnels ou réglementaires pour une association pleine et entière du STIF aux décisions de la Société du Grand Paris sur le projet de rocade.
J’espère vous avoir démontré que nos engagements sont tenus, sinon vous ne seriez pas tous là à discuter de ce texte pour l’approuver, majorité et opposition. La raison en est simple : la loi du 3 juin 2010 a institué la Société du Grand Paris pour réaliser ce projet.
Très sincèrement, et en dépassionnant le débat, madame Bricq, je ne suis pas certain que le STIF lui-même soit suffisamment « outillé » – disons-le ainsi afin d’être bien compris – pour appréhender l’ensemble du projet de rocade. En revanche, il est tout à fait légitime et normal, comme je l’ai dit hier, que le STIF dispose de toutes les garanties lorsque l’exploitation de la rocade et de l’ensemble des projets qui seront mis en œuvre lui seront confiés.
Mesdames, messieurs les sénateurs, ces engagements sont clairs. Nous sommes, vous comme moi, des élus expérimentés, quelle que soit notre couleur politique. Il faut lire les annexes du rapport de Dominique Braye, car – je l’ai constaté depuis belle lurette – quelquefois on parle beaucoup sans s’être forcément bien documenté.
Vous trouverez, dans les accords que nous avons signés avec le président Jean-Paul Huchon, des engagements précis et chiffrés dans le temps. C’est tellement rare que je me dois de le souligner.
Quant au financement, madame Bricq, il ne s’agit pas de « paroles verbales », comme le disait un ancien député du Loir-et-Cher, il est prévu par la loi de finances que le Parlement a adoptée ; celle-ci engage donc l’État. Je reviendrai d’ailleurs sur ce point, si vous le souhaitez, lors de l’examen des amendements.
Les 500 millions d’euros pour la ligne C du RER, ce n’est pas une parole verbale de l’État : ils figurent dans la loi de finances et dans le plan de mobilisation. Il en va de même pour les 500 millions d’euros de travaux de modernisation du RER D.
Je le répète, il s’agit d’un engagement ferme de l’État. Je tenais à le réaffirmer devant votre Haute Assemblée afin qu’il n’y ait aucune ambiguïté. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. le président. Mes chers collègues, je vous demande de respecter scrupuleusement votre temps de parole.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Françoise Laborde.
Mme Françoise Laborde. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est présentée par Mme Bricq et ses collègues du groupe socialiste a une triple finalité.
En premier lieu, elle oblige toute collectivité territoriale francilienne qui engage une révision ou une modification de son document d’urbanisme à rendre celui-ci compatible avec les dispositions conformes à la loi du 3 juin 2010 relative au Grand Paris au sein du schéma directeur de la région d’Île-de-France adopté en septembre 2008.
En deuxième lieu, elle précise qu’aucun document d’urbanisme ne peut être révisé ou modifié pour faire obstacle à la mise en œuvre des contrats de développement territorial ou au schéma d’ensemble du réseau de transport public du Grand Paris.
En troisième lieu, elle prévoit une procédure dérogatoire pour la révision du schéma directeur de la région d’Île-de-France.
Ce texte, au demeurant largement consensuel, permet en fait de tenir compte des dispositions prévues par la loi du 3 juin 2010 relative au Grand Paris afin de rendre possible la révision du SDRIF de 1994. En effet, un processus de révision de ce document avait été autorisé par le Gouvernement, dès 2005, aboutissant à son adoption par la région en septembre 2008. Il était pourtant resté inapplicable, faute d’avis favorable du Conseil d’État.
Il a résulté de ce blocage de nombreuses difficultés pour les collectivités de l’Île-de-France.
Le projet de modification du SDRIF ne manquait ni d’ambition ni d’originalité. Il confortait le rôle de la région dans une perspective socio-économique mondiale et européenne. Par ailleurs, il fixait des objectifs raisonnables et des orientations judicieuses en matière de construction de logements, de transports, d’emploi, de préservation de l’environnement et d’infrastructures.
À l’heure de la concurrence entre les grands territoires du monde, il est indispensable de donner à l’Île-de-France l’envergure de ses homologues, à l’échelle des grands pôles européens et mondiaux. La région doit tenir son rang !
À l’évidence, la croissance économique des villes-mondes et des grands espaces urbanisés est aujourd’hui un moteur de croissance pour les pays. Cette dynamique passe par une maîtrise de l’espace, une planification des transports et de l’urbanisation. L’exemple de la Chine nous le prouve, avec ses territoires « locomotives », comme Hong-Kong, Shanghai, Pékin et Canton.
Mes chers collègues, vous pourriez trouver étrange qu’une élue du Sud-Ouest s’intéresse tout particulièrement à des dispositions qui ne concernent en rien sa région.
Mme Françoise Laborde. Comme nombre de mes collègues ici, je ne pense pas qu’il soit nécessaire d’affaiblir l’une pour privilégier l’autre. Je le rappelle, car on l’oublie trop souvent, l’Île-de-France a une très forte capacité de redistribution à l’égard des autres régions.
Mme Françoise Laborde. En outre, toutes les régions de France sont le plus souvent confrontées aux mêmes problèmes de transports, d’habitat et d’équipement. Elles doivent faire face à des difficultés similaires, inhérentes aux impératifs de gestion de projets et d’investissement.
En l’espèce, la proposition de loi de nos collègues socialistes permettrait de satisfaire un projet d’investissement de plus de 32 milliards d’euros à l’horizon de 2025 dans le domaine des transports. Ce n’est pas rien !
Les enjeux sont donc considérables : il s’agit d’offrir aux Franciliens un réseau de transports qui leur facilite la vie ainsi que des collectivités locales attractives dans un cadre de vie épanouissant.
Concentrant près de 30 % du produit intérieur brut national, l’Île-de-France joue un rôle moteur indéniable. Avec sept gares de TGV, deux grands aéroports, un axe fluvial majeur, la région francilienne constitue un carrefour exceptionnel.
À la suite du blocage du schéma directeur de la région d’Île-de-France depuis 2008, blocage que j’ai eu l’occasion de dénoncer hier lors de la séance de questions cribles thématiques consacrée au Grand Paris, il était devenu urgent de dynamiser ce potentiel économique dans l’espoir d’un effet d’entraînement bénéfique pour le reste du pays. C’est pourquoi il était tout à fait justifié de soumettre à notre vote un texte comme celui que nous examinons aujourd’hui. Je tiens d’ailleurs à féliciter ses auteurs d’avoir pris cette initiative.
En effet, depuis plusieurs mois, les élus franciliens se sont fortement mobilisés pour exprimer leurs attentes, leurs interrogations. La déception a donc été forte pour un grand nombre d’entre eux de ne pas voir aboutir le projet de modification du SDRIF, alors qu’il était le résultat d’une vaste concertation avec les élus du territoire et d’une enquête publique lancée en automne 2007.
La proposition de loi, une fois adoptée, permettra d’appliquer – enfin ! – les dispositions du SDRIF de 2008 conformes à la loi relative au Grand Paris et de libérer ainsi des projets très importants pour le développement de la région d’Île-de-France. C’est pourquoi les membres du groupe du RDSE approuveront à l’unanimité la proposition de notre collègue Nicole Bricq et des membres de son groupe. (Applaudissements sur les travées du RDSE et du groupe socialiste, ainsi qu’au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il y a presque une année, à l’occasion de l’examen du projet de loi relatif au Grand Paris, les élus de mon groupe exprimaient leurs craintes et leurs désaccords suscités par la vision placée au cœur du projet d’aménagement métropolitain tant sur le plan institutionnel, avec la création de la Société du Grand Paris assurant la reprise en main par l’État de l’aménagement francilien, que sur le plan urbain, en raison d’un développement inégalitaire de la région capitale sous forme de pôle de développement concentrant l’ensemble des ressources et des moyens au détriment du reste du territoire.
Depuis, le temps a passé, le projet de loi a été adopté et le débat public autour des projets de transport s’est tenu de septembre à la fin de janvier. Reconnaissons qu’il fut important tant du point de vue quantitatif, puisque plus de vingt mille personnes y ont participé, que du point de vue qualitatif. Nous devons donc nous en féliciter.
Ce débat, démocratique, participatif, a permis de dégager un projet commun de transports assurant, pour partie, la convergence entre les projets de la région et le Grand huit, projet porté par le Gouvernement.
Nous pensons que cette concertation a été plus qu’utile, puisqu’elle a façonné un nouveau projet de transports remettant en cause l’objectif même du Grand huit en diminuant, notamment, les distances entre les gares. Je le dis avec force : il s’agit pour nous d’un progrès significatif et qualitatif qui peut permettre la mise en place d’un vrai réseau interbanlieues et non d’un métro rapide reliant exclusivement des pôles de développement à venir.
Cette volonté de sortir de l’affrontement État-région a d’ailleurs été symbolisée par le protocole d’accord signé le 26 janvier dernier, qui a abouti à des prises d’engagements partagés tant sur les financements que sur les tracés.
Parallèlement, depuis le vote de la loi, le schéma directeur de la région d’Île-de-France a enfin été transmis par le Président de la République au Conseil d’État. Chacun le sait ici, celui-ci a émis un avis négatif le 27 octobre 2010 au motif que ce SDRIF était incompatible avec la loi relative au Grand Paris. Les projets engagés en ont été bouleversés et les collectivités doivent aujourd’hui se référer au SDRIF de 1994…
La proposition de loi qui nous est soumise par nos collègues du groupe socialiste répond à la volonté de sortir le SDRIF de l’impasse dans laquelle celui-ci a été progressivement enfermé, objectif auquel nous ne pouvons que souscrire.
Pour autant, comme nous le disions en préambule et malgré les avancées réelles issues du débat public, nous restons sur le fond opposés à la loi relative au Grand Paris dont toute la nocivité demeure, malgré le compromis trouvé sur le tracé du métro Grand Paris Express. C’est ce qui motive nos réserves sur le deuxième paragraphe de l’article unique.
En effet, nous refusons toujours la prédominance des contrats de développement territorial sur l’ensemble des documents locaux d’urbanisme, y compris sur le SDRIF. Nous estimons que ces contrats vont à l’encontre de la cohérence du développement en Île-de-France, où l’ensemble des territoires situés sur le Grand huit seraient exemptés, par le biais des contrats de développement territorial, de toute compatibilité avec le SDRIF. Une telle vision revient à un « localisme » dangereux en matière urbaine et dont notre région capitale a déjà tant souffert durant des décennies.
Je ne reviendrai pas sur nos interrogations, nos craintes et nos désaccords sur la loi relative au Grand Paris, qui fait de ces contrats de développement local des sources de financement de la SGP. Ces opérations d’aménagement risquent ainsi d’être assujetties à des objectifs de rentabilité avant de répondre aux exigences d’intérêt général fondées sur la mixité sociale et la nécessaire réalisation d’équipements publics tout en préservant des espaces naturels pour répondre aux attentes et aux besoins des populations.
Sur cet aspect du financement, permettez-moi de rappeler que le métro Grand Paris Express dispose de financements pour le moins incertains, voire contestables. En effet, alors que, l’année dernière, on nous promettait, la main sur le cœur, l’abondement de la part de l’État d’une subvention en capital de 4 milliards d’euros à la SGP lui permettant de lever les emprunts, aujourd’hui, l’État n’a toujours pas respecté sa parole. Comment accepter également que le financement de ce projet de transport repose de manière indue sur l’ensemble des Franciliens, par le biais de la nouvelle taxe spéciale d’équipement créée par la loi de finances rectificative ?
En outre, rien ne permet d’infirmer aujourd’hui l’analyse que nous réalisions à l’époque concernant la tentative de reprise en main par l’État de l’aménagement en Île-de-France.
Si nous sommes favorables à la coélaboration, à la concertation entre les acteurs, nous estimons qu’il est parfaitement utile que s’engage aujourd’hui une discussion entre l’État et la région sur l’avenir de ce territoire métropolitain. Cependant, nous estimons que, pour rétablir la confiance avec l’ensemble des élus franciliens, l’État devrait renoncer à la mainmise de la SGP sur un périmètre de 400 mètres autour des gares.
Mais revenons à cette proposition de loi.
Nous l’avons dit : accord de principe afin que l’ensemble des travaux du SDRIF de 2008 ne tombent pas dans l’abîme et que ce soit encore le SDRIF de 1994 qui s’applique. Il fallait trouver un véhicule législatif, et celui-ci paraît approprié, avec les réserves que nous venons de formuler sur le paragraphe II de l’article unique.
Cependant, nous ne pouvons adhérer au paragraphe III de ce même article unique, qui préconise de raccourcir les délais et le recueil des avis autour de la révision du SDRIF.
En effet, nous estimons que la révision du SDRIF ici prévue doit avoir la même ampleur que les débats publics tenus cet hiver. Pour le moins, elle doit respecter les prescriptions légales en termes de consultation, sans que soient obligatoirement remis en branle l’ensemble des groupes de travail comme cela s’était produit pour le SDRIF de 2008. Il ne faudrait pas nous faire dire ce que nous ne disons pas !
Sur le fond, la prise en compte des nouveaux éléments relatifs au réseau de transport du Grand Paris ainsi que de tous les événements qui ont pu marquer le paysage francilien depuis 2008 devrait conduire la région à ne pas se satisfaire d’une révision clandestine, rapide, avec une date butoir arbitrée en 2013. À l’inverse, la région pourrait se saisir de cette occasion pour réinterroger le projet régional francilien afin de dessiner les contours d’une métropole de progrès toujours plus au service de tous les habitants.
Ainsi, comme en commission, nous réitérerons notre proposition, non plus par un amendement, mais sous la forme d’un sous-amendement, visant à ne pas déroger au droit commun pour la révision du SDRIF en termes de consultation et de recueil des propositions des conseils généraux, du conseil économique, social et environnemental régional ainsi que des chambres consulaires.
Vous l’aurez compris, nous sommes non pas pour une limitation des consultations obligatoires mais bien pour un élargissement de celles-ci, afin de faire du SDRIF un projet ambitieux pour le territoire, au plus près des besoins de ses habitants. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo.
M. Yves Pozzo di Borgo. Monsieur le président, monsieur le ministre de la ville chargé du Grand Paris, mes chers collègues, la loi relative au Grand Paris, que nous avons adoptée il y a environ un an, est un texte d’aménagement économique du territoire. Pour nombre d’entre nous, il constitue les prémices d’une nouvelle organisation territoriale.
Cette loi apporte des propositions cruciales pour favoriser le développement économique de l’Île-de-France et, par ce biais, tirer vers le haut l’ensemble de l’économie nationale et européenne, alors que l’économie européenne pourrait passer de 25° % du PIB mondial aujourd’hui à 12,5° % en 2050.
M. Yves Pozzo di Borgo. Pour faire du Grand Paris une métropole à l’échelle mondiale, à l’instar de Londres ou de New York, la loi a mis en place quelques piliers fondateurs sur lesquels il appartiendra aux élus, par le biais d’une gouvernance appropriée, de construire le projet économique et humain du Grand Paris.
Parmi ces piliers fondateurs, l’on retrouve le Grand Paris Express.
J’avais conclu l’explication de vote que j’avais faite, au nom de mon groupe, lors du vote de la loi relative au Grand Paris en espérant que le dialogue et la concertation entre le secrétariat d’État au Grand Paris – désormais ministère de la ville – et le conseil régional d’Île-de-France, permettent une mise en œuvre concertée et coordonnée de ce projet ambitieux. En effet, les Franciliens et les Français ont besoin du Grand Paris.
Je me réjouis donc qu’un ministre centriste soit aujourd’hui chargé de ces questions, et que mon vœu se soit réalisé à l’occasion de la signature du protocole d’accord, le 26 janvier dernier.
Le deuxième poumon économique de ce projet métropolitain réside dans le regroupement de l’excellence scientifique sur le territoire de Saclay. C’est une condition sine qua non de la compétitivité économique de demain, même si, comme je l’ai rappelé hier, il ne faut pas pour autant vider Paris de ses chercheurs, de ses écoles et de ses universités, mais, au contraire, rechercher une complémentarité et des synergies entre Saclay et Paris intra-muros.
Dans ce domaine, bien que je sois président d’un groupe opposé au maire de Paris, je soutiens la politique du maire de Paris. Je voudrais vous remercier, monsieur le ministre, des paroles que vous avez eues tout à l’heure. Pour nous en effet, il faut que vous le sachiez, vous n’êtes pas simplement le ministre de la « grande boucle », vous êtes également le ministre du Grand Paris, fonction qui suppose une vision prospective de la région.
M. Yves Pozzo di Borgo. Je ne m’attarde pas sur ce point, mais préfère souligner ce qui fait l’objet de la présente proposition de loi, et constitue le ciment de cette œuvre monumentale qu’est le Grand Paris. Je veux parler ici du rôle fondamental des élus franciliens dans l'aménagement concerté du territoire, en termes tout à la fois de logements et d'aménagement économique du territoire.
Pour mettre en œuvre ce projet urbain hors norme, il était absolument indispensable que les collectivités franciliennes puissent réaliser les aménagements nécessaires à la réalisation de ce projet.
Or le Conseil d’État, après de longs mois de retenue, a émis un avis négatif sur le projet de SDRIF adopté en 2008 par le conseil régional d’Île-de-France. Les collectivités franciliennes restent donc jusqu’à présent soumises au SDRIF de 1994.
Bien sûr, l’urbanisme, les besoins et les priorités – notamment en termes de développement durable – ont considérablement évolué depuis ce temps-là, notamment du fait de l’adoption de la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, ou du Grenelle de l’environnement, qui ont rendu peu pertinent le SDRIF de 1994 au regard de l’ambition actuelle de l’État et de la région d’Île-de-France s’agissant du développement de la région capitale.
Par exemple, le SDRIF de 1994 classe en espaces naturels des espaces ouverts à l’urbanisation dans le SDRIF de 2008, ce qui empêche les projets sur ces zones.
À l’inverse, le SDRIF de 1994 comporte des emprises foncières réservées pour des projets routiers aujourd’hui abandonnés.
M. Dominique Braye, rapporteur. En effet, cela figure dans le rapport.
M. Yves Pozzo di Borgo. La proposition de loi qui nous est soumise va donc dans le bon sens, puisqu’elle permet justement aux élus de mettre en œuvre leurs projets bloqués à cause du SDRIF de 1994.
M. Yves Pozzo di Borgo. En outre, comme nous l’avons souligné en commission, elle permet de renforcer la sécurité juridique des opérations d’aménagement menées par les élus, et donc de prévenir les risques de contentieux.
Pour s’assurer que les projets des élus franciliens seraient aussi compatibles avec la mise en œuvre du Grand Paris, il était nécessaire de subordonner l’opposabilité des dispositions du projet de SDRIF de 2008 à la condition de leur compatibilité avec la loi relative au Grand Paris.
Cette proposition de loi est donc pragmatique – c’est positif –, et j’espère qu’elle permettra effectivement de « libérer les projets des collectivités territoriales et de l’État compatibles avec le projet de SDRIF [...] jusqu’à l’approbation de la révision du SDRIF ».
Je salue encore la qualité du dialogue entre l’État et la région sur ce sujet – bravo, monsieur le ministre ! –, ainsi que la qualité de la proposition de notre collègue Nicole Bricq.
Néanmoins, je partage l’avis, commun au Gouvernement et à la commission, selon lequel il est préférable que, dans cette période transitoire, les élus « puissent », et non « doivent », appliquer les dispositions du projet de SDRIF, dans le cadre de la révision ou de la modification de leurs documents d’urbanisme.
Sous cette réserve, le groupe de l’Union centriste apportera son soutien à la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. David Assouline.
M. David Assouline. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, chers collègues, j’évoquerai d’abord, et très brièvement, les termes de notre débat passé, au moins pour mettre en évidence que le climat a changé.
Le Grand Paris, tel que l’exigeait Christian Blanc, qui « savait tout, mieux que tout » – il est d’ailleurs légitime de se demander comment nous pouvons encore, en son absence, parler savamment (Sourires) –, interrogeait notre modèle de développement métropolitain, mais ne fournissait pas de réponses adéquates. En effet, ce projet semblait relever du passé en termes de pratiques d’aménagement.
Contrairement à ce que le Gouvernement avait voulu faire croire, ce projet de loi ne constituait pas un simple projet de métro automatique doublé d’un cluster. Symboliquement, en imposant un mode de gouvernance vertical – par l’État – et en privant le Syndicat des transports d’Île-de-France de son rôle d’organisateur des transports, il était surtout la négation d’acquis de la décentralisation.
L’État semblait en effet chercher à imposer un projet aux acteurs locaux – pourtant porteurs d’une autre parole –, sans concertation.
L’Île-de-France souffre, dans le domaine des transports, d’un désinvestissement patent, depuis vingt ans, que la région, progressivement, a dû pallier. Le retard ayant découlé de cette situation rend nécessaires des réalisations fortes, afin de faire face à l’enjeu majeur que sera la ville durable dans les prochaines décennies. L’actuel prix du carburant laisse augurer d’importantes évolutions des formes urbaines dans un futur proche.
L’étalement urbain, fruit de la généralisation du « tout voiture », semble appartenir à un modèle de développement appartenant au passé. Les formes urbaines futures reposeront avant tout sur la compacité, qui permet des transports en commun efficaces et efficients économiquement.
Pierre Veltz notait, lors d’un colloque sur les villes du futur organisé par notre collègue Jean-Pierre Sueur, que ces évolutions étaient déjà notables, puisque l’on observait une décroissance partielle de la population des franges des départements de la grande couronne.
Ces mutations impliquent une politique de transport ambitieuse, où l’ensemble des acteurs participent à l’élaboration d’un projet viable, développant notamment les radiales pour favoriser des déplacements « banlieue-banlieue » sans passer par le centre.
Il nous revient de tout faire pour organiser un service public de la mobilité. Nous ne saurions donc blâmer l’État de vouloir investir dans ce domaine, mais nous estimons que sa politique de transport doit être au service de l’ensemble des habitants, et non de quelques usagers seulement.
Le projet du Grand Paris fournissait donc une réponse partielle, et parfois biaisée, à un défi bien réel et identifié. Nous avons tenté - vainement - d’infléchir la politique gouvernementale au cours des débats. Nous cherchions notamment à intégrer ce projet au SDRIF de 2008 pour harmoniser le développement francilien et permettre une bonne insertion de tous les réseaux prévus dans l’existant.
Un réseau de transport se juge en effet à la qualité de ses nœuds, qui sont autant d’interconnexions possibles et de déplacements potentiels. Rien n’est pire qu’une ligne isolée, qui ne suscite que peu d’interactions.
Il aura finalement fallu patienter quelque peu pour que la raison l’emporte et que l’État accepte de prendre en compte les revendications que nous portions.
Après de longues discussions, le Grand Paris semble enfin pouvoir s’inscrire dans une perspective apaisée.
Le protocole signé le 26 janvier 2011 ouvre la voie à un accord pour les transports en Île-de-France d’ici à 2030, accord que je qualifierai sinon d’historique – vous refusez ce terme – du moins d’inédit ! Cela faisait longtemps que nous n’avions pas vu cela en Île-de-France ! Il faut dire que l’on ne s’occupait pas beaucoup de nous…
Je vois dans cet accord le résultat de négociations assagies menées dans le respect de chacun.
M. David Assouline. Les deux principaux protagonistes, que je salue pour leur action, MM. Leroy et Huchon, ont trouvé le chemin d’un dialogue constructif, dans l’intérêt général.
M. Charles Revet. Que de compliments, monsieur le ministre !
M. David Assouline. Cet accord est également le fruit d’un formidable débat démocratique auquel ont participé plus de vingt mille Franciliens.
M. Jean-Pierre Fourcade. Grâce à nous ! Grâce au Parlement !
M. David Assouline. Les Franciliens ont, lors de chaque débat public, fait entendre leur lassitude devant des trains rarement ponctuels, un matériel roulant fatigué et des lignes saturées. L’amélioration de l’existant leur a paru, à juste titre, être une priorité ! Nous vous rappelions en toutes circonstances cette priorité l’année dernière, lors des débats sur le Grand Paris.
Au final, ces milliers de voix ont été entendues.
Dans le projet initial, le Grand Paris n’était qu’un réseau rapide et déconnecté des lignes existantes. Toutefois, il n’aura pas résisté aux débats publics, qui ont plébiscité un maximum de correspondances avec les lignes de métro et de RER. Par ailleurs, c’est bien à l’autorité organisatrice - au STIF, pour ne pas le nommer –, que revient la responsabilité d’assurer la cohérence du futur réseau et la charge d’exploiter le futur métro. Sur ce sujet au moins, les querelles de gouvernance sont, je l’espère – je suis d’un naturel optimiste –, derrière nous.
Ce protocole doit désormais être concrétisé en actes. C’est à cela que nous œuvrons aujourd’hui ! Permettez-moi de vous exposer l’objet du texte que les socialistes soumettent cet après midi.
La proposition de loi que nous examinons constitue, en quelque sorte, le premier acte fondateur du protocole, sa première concrétisation. Elle permettra de « donner le ton » des relations qu’entretiendront l’État et la région dans les semaines et les mois à venir. Constituant un premier stade, cette proposition de loi, comme cela a été dit, a une dimension uniquement territoriale. D’autres points de l’accord devront trouver une réalité par la suite pour prouver le bon vouloir de l’État dans ce domaine.
Au travers de ce texte, nous tâchons de graver dans le marbre ce qui doit être gravé, même si beaucoup de questions restent en suspens.
Nous ignorons ainsi dans quelle mesure l’État compte respecter ses engagements financiers dans un contexte de crise et de réduction de la dépense publique. Vous nous en avez d’ores et déjà dit quelques mots. Comme l’a rappelé Nicole Bricq, nous savons la hauteur de l’investissement régional qui est budgété depuis quelque temps. Pour l’heure, rien n’est certain du côté de l’État. Peut-être nous en direz-vous davantage sur ce point, monsieur le ministre.
M. David Assouline. Nous attendons des engagements forts, des modes de financement correctement décrits et des prévisions de recettes ! C’est à l’aune de la validité et du degré de précision de ces documents que la sincérité de l’État sera appréciée. Vous nous avez dit que ce qui était déjà inscrit avait pour vous valeur d’engagement.
Le présent texte se concentre sur le SDRIF, qu’il veille à élever au statut de document d’urbanisme opposable. Cela concerne en premier lieu les projets métropolitains – c’est la première partie de l’article unique – puis l’ensemble des communes, au travers de la relance du processus de révision du schéma directeur, révision qui se fera sous la houlette du préfet de région auquel nous souhaitons adjoindre un étroit contrôle du président de la région d’Île-de-France.
Le déblocage nous semble dès lors nécessaire au bon fonctionnement de la région et évite d’entraver davantage les projets métropolitains, sources de la croissance future de notre région.
À cet égard, nous aurions souhaité que le SDRIF soit un document d’urbanisme à part entière et non un plan que chaque commune serait libre de suivre ou non. L’urbanisme ne saurait reposer sur une mosaïque de statuts variant au bon vouloir des édiles, mais doit se fonder sur des règles communes. En ce sens, animés uniquement par la raison, un souci d’efficacité et d’intérêt général, sans autre considération, nous demandions son caractère obligatoire. En tout cas, un caractère purement facultatif ne pouvait être satisfaisant.
Entre ces deux formulations possibles, il semblerait qu’un compromis ait été trouvé par la commission et nous le soutenons.
Cette proposition de loi constitue donc un jalon nécessaire, mais laisse ouvertes un certain nombre de portes qu’il nous faudra emprunter pour permettre une réelle coordination de l’État et de l’ensemble des acteurs. Il reste que le temps passe et que c’est bien la variable qui nous fait le plus cruellement défaut. Nous souhaitons vraiment que cette proposition de loi fasse l’objet d’un vote consensuel…
M. David Assouline. … et soit examinée très rapidement par l’Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Fourcade.
M. Jean-Pierre Fourcade. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, en tant que porte-parole du groupe UMP et rapporteur de ce qui allait devenir la loi du 3 juin 2010, je me félicite de l’accord intervenu entre la région d’Île-de-France et le Gouvernement.
Le rapporteur a parlé de dynamique d’accord, certains ont même évoqué un accord historique, en tout cas, la conclusion de cet accord change complètement les conditions du travail en commun qu’il nous revient d’accomplir.
Ce protocole d’accord prévoit 32,4 milliards d’euros d’investissements d’ici à 2025. C’est le partenariat que j’avais appelé de mes vœux l’année dernière et que Mme Bricq a très justement rappelé. Je tiens par conséquent à féliciter les auteurs de cet accord, le ministre de la ville comme le président du conseil régional d’Île-de-France, présent dans les tribunes. (Sourires.)
S’agissant du réseau de transport, l’État et la région ont décidé de porter ensemble à la connaissance de la Commission nationale du débat public – instance que nous devons nous féliciter d’avoir mise en place, mes chers collègues,…
M. Charles Revet. Eh oui !
M. Jean-Pierre Fourcade. … car elle a permis d’intéresser à l’opération de nombreux Franciliens, notamment des jeunes - …
M. Jean-Pierre Fourcade. … une contribution sur les évolutions qui pourraient être apportées aux projets de métro automatique. Mais l’accord ne traite pas uniquement du futur métro automatique, il porte aussi sur la réhabilitation des lignes du réseau express régional, le développement des lignes de transport en site propre et le prolongement d’Eole.
En fait, c’est un grand projet commun auquel nous parvenons.
L’accord a également prévu de proposer une solution législative permettant la libération des projets bloqués par l’application du SDRIF de 1994. Depuis cette date, évidemment, la population a crû, des migrations très importantes se sont produites et de nombreux problèmes sont pendants.
Si nous parvenions à débloquer ces projets – c’est l’objet de la présente proposition de loi – nous pourrions rattraper en partie notre retard, non seulement en matière de transport, mais également – ce qui me paraît tout aussi important – en matière de logement.
M. Jean-Pierre Fourcade. Nous devons vraiment prendre à bras-le-corps la question, difficile, de la construction de logements en Île-de-France.
La proposition de loi déposée par notre excellente collègue Mme Bricq et les membres du groupe socialiste vise donc à débloquer les projets actuellement impossibles à mettre en œuvre.
Le paragraphe III de l’article unique m’a paru tout à fait important, car il permet de relancer le processus de révision. Une précédente démarche de révision s’était heurtée à quelques difficultés politiques. Le SDRIF adopté en 2008 n’est pas pleinement satisfaisant, notamment en termes de création d’emplois, d’intensification de la recherche et, surtout, de liaison sur toute la vallée de la Seine jusqu’au Havre.
M. Charles Revet. Eh oui !
M. Jean-Pierre Fourcade. Ce dernier objectif est essentiel, car une grande région capitale doit avoir des ports, et nos ports sont naturellement Rouen et Le Havre.
La révision du SDRIF prévue au paragraphe III est donc particulièrement opportune.
Le texte soulève toutefois deux difficultés ; j’ai donc déposé deux amendements.
Premièrement, l’obligation qui serait faite aux collectivités territoriales de réviser la totalité de leurs documents d’urbanisme pour qu’ils soient compatibles avec le SDRIF de 2008 reviendrait à légaliser ce document. Or le Conseil d’État, dans son avis, a écarté cette possibilité et, si nous passions outre, cela ne serait pas sans conséquences d’ordre constitutionnel…
De surcroît, les acteurs courraient le risque d’une multiplication des contentieux du fait de la difficulté pour apprécier la double compatibilité prévue par le paragraphe I, à la fois avec le nouveau SDRIF et avec la loi relative au Grand Paris.
Permettez-moi de citer un exemple concret, que je connais bien. La commune de Boulogne-Billancourt a engagé la modification de son plan local d’urbanisme pour rectifier un alignement place Marcel-Sembat et relever la hauteur d’un immeuble qui sera installé sur cette modification. Faut-il que la commune s’astreigne à rendre compatible cette modification de son PLU à la fois avec le nouveau SDRIF et avec la loi du 3 juin 2010 ? Cela me paraît tout à fait exclu. Il ne peut donc s’agir que d’une faculté, et non d’une obligation.
C'est la raison pour laquelle le premier amendement que j’ai déposé remplace l’obligation prévue au premier paragraphe par une possibilité, afin de permettre la réalisation des projets bloqués.
L’initiative des collectivités de base doit primer pour l’ensemble des révisions. Il s’agit de débloquer des projets. Le cas des routes, évoqué précédemment, me paraît excellent ; il permettra de lancer la construction de nouveaux quartiers, notamment.
J’ai constaté que la commission avait trouvé, ce matin, les voies d’un accord permettant d’éviter le fameux conflit entre « peuvent » et « doivent ». L’examen des amendements nous permettra d’apprécier la validité juridique de ce compromis.
Deuxièmement, je souhaite préciser – c’est l’objet du second amendement - que le préfet de région appréciera la compatibilité des révisions des documents d’urbanisme et avec le SDRIF de 2008 et avec la loi relative au Grand Paris. Cela permet de supprimer la possibilité d’invoquer ultérieurement, par voie d’exception, à l’occasion de la délivrance d’un permis de construire, l’illégalité d’un document d’urbanisme au motif qu’il serait incompatible avec le SDRIF de 1994, le SDRIF de 2008 ou la loi relative au Grand Paris.
Nous le savons bien, toute opération d’urbanisme d’une certaine importance fait l’objet de recours ; il nous faut presque les considérer comme normaux. Par conséquent, il faut sécuriser le dispositif en raccourcissant les délais.
Il importe également d’associer au préfet le président du conseil régional, comme le prévoit le sous-amendement déposé par Mme Bricq ce matin, pour apprécier si l’opération envisagée par une collectivité a la double compatibilité, avec les dispositions du SDRIF et avec la loi de 2010.
Ces propositions apportent donc une sécurisation juridique indispensable à la bonne application du dispositif.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, beaucoup reste à faire concernant notamment le financement, le partage de la maîtrise d’ouvrage ou encore la desserte du plateau de Saclay, que mon ami Laurent Béteille évoquera probablement dans son intervention. Toutefois, je me réjouis que, grâce au talent du ministre de la ville et à la compréhension du président du conseil régional, nous soyons arrivés à un accord qui permet d’envisager ce grand ouvrage qu’est la remise à jour de Paris capitale à l’horizon 2025, pour une ville compétitive capable à la fois d’attirer des investissements extérieurs, de créer des emplois et de développer la recherche, comme c’est le cas aujourd’hui grâce au grand emprunt.
Voilà pourquoi le groupe UMP votera cette proposition de loi opportune, sous réserve des quelques modifications que j’ai présentées. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, de l’Union centriste, du RDSE et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Laurent Béteille.
M. Laurent Béteille. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le temps de parole de cinq minutes qui m’est imparti sera suffisant pour exposer mon point de vue, dans la mesure où je souscris largement aux propos que vient de tenir Jean-Pierre Fourcade.
La proposition de loi qui nous est présentée aujourd’hui par Mme Bricq et ses collègues du groupe socialiste reprend dans son article unique les termes de l’accord conclu le 26 janvier dernier entre l’État et la région d’Île-de-France, baptisé « Grand Paris Express », après des mois de conflit difficile entre les deux parties.
Ce protocole prévoyait expressément la mise en œuvre d’une solution législative relative au schéma directeur de la région d’Île-de-France, après l’avis négatif rendu le 27 octobre 2010 par le Conseil d’État pour cause d’incompatibilité avec la loi du 3 juin 2010 relative au Grand Paris.
Or cet avis bloque actuellement le lancement de nombreux projets prévus par les collectivités franciliennes. C’est le cas dans mon département, l’Essonne, avec le plateau de Vert-le-Grand. À l’inverse, le SDRIF de 1994 comporte des contraintes qui ne sont plus justifiées, en particulier en ce qui concerne les emprises foncières réservées pour des projets routiers aujourd’hui abandonnés.
Pour autant, cette proposition de loi ne prévoit que des dispositions transitoires, car on nous dit d’emblée que le SDRIF doit être révisé selon un calendrier ambitieux, ce qui ne doit cependant pas exclure la concertation. À cet égard, je partage le souhait du rapporteur, Dominique Braye, que la concertation ne se limite pas aux chambres consulaires et aux conseils généraux, mais s’étende aux communes d’une manière plus approfondie que lors de la révision de 2008.
Certes, M. David Assouline évoquait le risque d’aboutir à une mosaïque. Je rappelle toutefois que, les communes étant compétentes en matière d’urbanisme, leur consultation est absolument indispensable.
Lors de l’élaboration du SDRIF de 2008, la part des collectivités territoriales et locales dans les ateliers thématiques territoriaux m’a semblé insuffisante. Je souhaite vivement que cette situation soit revue et corrigée.
L’objectif premier de la proposition de loi est de libérer les projets qui pourraient être bloqués du fait d’un SDRIF aujourd’hui inadapté et dépassé. Le deuxième objectif est la sécurité juridique et le troisième, qui me paraît aller de soi, est la préservation de la liberté des collectivités locales.
Des amendements déposés notamment par notre rapporteur doivent permettre, s’ils sont adoptés, la réalisation de projets importants actuellement bloqués.
Il s’agit, entre autres, d’inscrire une date butoir, fixée au 31 décembre 2013, pour l’application de la dérogation prévue au paragraphe I de l’article unique et de rétablir l’avis des conseils généraux, des chambres consulaires et du conseil économique, social et environnemental régional sur le projet du SDRIF, mais en l’encadrant dans un délai.
La disposition législative envisagée par le Gouvernement doit laisser tout pouvoir d’initiative aux collectivités territoriales compétentes en matière d’urbanisme.
Les amendements présentés par le Gouvernement ne remettent pas en cause le SDRIF de 1994, qui restera en vigueur jusqu’à la nouvelle révision, mais reconnaissent au projet de SDRIF de 2008 son statut de document d’orientation ; ils autorisent les documents d’urbanisme – PLU, SCOT, notamment – à être incompatibles avec le SDRIF de 1994 dès lors qu’ils sont compatibles avec le projet de SDRIF de 2008. Ces dispositions du SDRIF doivent elles-mêmes être compatibles avec la loi relative au Grand Paris et préservent la nécessaire liberté des collectivités territoriales chargées de l’élaboration de ces documents d’urbanisme. C’était, pour nous, une nécessité.
Permettez-moi enfin de revenir, comme m’y a invité Jean-Pierre Fourcade, sur le développement du plateau de Saclay et sur ses connexions avec Versailles, Paris-La Défense, les gares TGV et les aéroports, car c’est la condition essentielle du renforcement de l’attractivité de la région capitale. On ne peut pas vouloir faire du plateau de Saclay un projet d’envergure internationale et prévoir une desserte en char à bancs, même de haut niveau de service ! (M. Yves Pozzo di Borgo, M. Jean-Pierre Fourcade et M. Jacques Gautier applaudissent.) Un métro automatique doit véritablement être mis en place, tout en respectant la zone de protection naturelle, agricole et forestière.
Je ne doute pas que nous serons capables de nous rassembler sur ce projet, dans l’intérêt des Franciliens, de la région d’Île-de-France et de la France tout entière. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. Charles Revet. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Bariza Khiari.
Mme Bariza Khiari. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, voilà environ un an, nous étions nombreux à appeler l’attention du secrétaire d’État chargé du développement de la région capitale sur les fragilités de son texte et sur l’impossibilité de bâtir un projet métropolitain sans obtenir l’aval des principaux intéressés, à savoir les citoyens et leurs représentants, sans même prendre le temps de les écouter.
Malgré le savoir-faire de Jean-Pierre Fourcade, nous nous sommes rarement heurtés à tant de mépris et d’indifférence pleine de certitudes.
À en croire le secrétaire d’État chargé du développement de la région capitale de l’époque, seul l’État était porteur d’une vision stratégique pour l’Île-de-France. Il n’y avait plus qu’à signer des deux mains le projet de métro souterrain et de cluster sur le plateau de Saclay. Et il fallait le faire vite, car le temps manquait pour hisser notre région au niveau mondial.
Aussi fallait-il déroger au droit en ce qui concerne la tenue du débat public. Je rappelle que c’est à l’arraché que nous avons finalement obtenu des débats publics concomitants, en commission mixte paritaire.
Aussi fallait-il bloquer les projets régionaux, car le Grand huit était seul porteur de sens et de modernité. Sa réalisation devait être une priorité.
« Le temps presse ! » répétait à satiété M. Blanc, « Mes tunneliers attendent ! » Nous avons passé quelques nuits mémorables avec les fameux tunneliers de M. Blanc… (Sourires.)
Un an a passé, je n’ai pas encore vu l’ombre d’un tunnelier. Le débat public s’achève à peine ; nous en attendons les conclusions. Le tracé vient juste d’être arrêté pour une grande part, tandis que les contrats de développement territorial, véritables symboles et cœur du projet de loi, n’ont toujours pas fait l’objet du décret d’application qui leur permettrait d’émerger.
On a confondu vitesse et précipitation, estimant que le Grand Paris pourrait servir de levier électoral. Il fallait donner vie à un projet pour gagner le cœur des Franciliens. Force est de constater que ces mêmes Franciliens ne furent guère convaincus !
La région capitale est un territoire à part dans notre pays. Elle mérite bien évidemment une attention particulière de la part de l’État, car elle joue un rôle spécifique. La « métropolisation » va de pair avec l’essor de la globalisation et donne de plus en plus d’importance à certaines villes, qui concentrent richesses et opportunités à l’échelle mondiale et cherchent à attirer toujours plus d’investisseurs et de talents afin de conserver leur rang.
Se nouent ainsi des relations étranges de concurrence et de complémentarité entre des villes de taille similaire. Des travaux récents montrent l’émergence progressive d’un duopole Londres-Paris fondé sur des spécialisations différentes des deux villes. Au passage, une telle analyse va à l’encontre des discours d’un secrétaire d’État au Grand Paris qui comparait le taux de croissance de Londres et celui de Paris sans comprendre que les deux sont de plus en plus liés et interdépendants.
Dans ce contexte de compétition-coopération accrue entre grandes métropoles à l’échelle mondiale, il est heureux que l’État cherche à investir pour renforcer le poids de l’Île-de-France. C’est le moins que l’on puisse attendre. Nous sommes tous convaincus ici qu’un tel renforcement est nécessaire, mais il ne doit pas prendre la forme d’un projet ex nihilo qui conduirait à nier les acquis de trois décennies de décentralisation. L’action de l’État serait alors contre-productive, puisqu’elle entraînerait blocages, pertes d’énergie et de temps.
Nous estimions l’an passé que le Grand Paris ne pourrait se faire sans les collectivités locales, au premier rang desquelles la région d’Île-de-France. Les faits nous ont donné raison.
Notre collègue Nicole Bricq l’a rappelé à juste titre, il a fallu un an de discussions et de négociations pour que le texte que nous avions examiné au pas de course fasse finalement l’objet d’un consensus entre les différents acteurs concernés.
Comme vous tous, je tiens à saluer le protocole d’accord signé le 26 janvier 2011 entre la région d’Île-de-France et l’État. Les discussions dépassionnées, où seul était pris en compte l’intérêt général, ont ainsi permis de mettre un terme à un an d’errements.
Je rends hommage au travail que vous avez effectué, monsieur le ministre, avec le président de la région d’Île-de-France, Jean-Paul Huchon. Cet accord a pu être obtenu entre personnes responsables et pragmatiques. Vous avez su trouver les voies de la raison, monsieur le ministre, c’est bien pour les Franciliens.
Mme Bariza Khiari. La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui est la traduction juridique de ce protocole, qu’elle vise à protéger légalement.
Mme Bariza Khiari. Il s’agit notamment de réhabiliter le SDRIF, que nous ne cessions de défendre, et d’y intégrer le Grand Paris.
Cette proposition de loi permet l’articulation entre le projet du Grand Paris et le schéma directeur de la région d’Île-de-France voté en 2008, dont la mise en œuvre est pour l’heure bloquée par l’avis du Conseil d’État. Elle permet également au SDRIF de devenir un document de référence par rapport au PLU des différentes communes et de se substituer progressivement aux anciens schémas d’aménagement. Tel est le sens des trois parties de l’article unique de la proposition de loi, dans le strict respect du protocole du 26 janvier.
Le schéma d’aménagement de l’Île-de-France date de plus de vingt ans. Cet état de fait ne peut raisonnablement plus durer. Préparer la croissance d’une métropole avec des plans aussi anciens n’a pas de sens et nuit à son bon équilibre.
À titre d’exemple, aujourd'hui, du fait de l’obsolescence du schéma de 1994, le développement de tout l’est de Roissy et la mise en œuvre des projets de zones d’activités portés par les collectivités de Tremblay-en-France, de Mitry-Mory ou de Compans risquent d’être remis en cause. Alors que le projet de loi relatif au Grand Paris semblait faire de Roissy un pôle de croissance et d’avenir de la région capitale, les schémas d’urbanisme actuels freinent sa croissance et entravent son développement, si bien que l’action du Gouvernement est entravée par son refus parallèle de valider le SDRIF !
Nous avons combattu l’an dernier la relégation du SDRIF, car nous estimions qu’il était nécessaire au développement de la métropole parisienne, caractérisée par l’émergence de fortes disparités territoriales et l’accroissement des inégalités interurbaines.
En permettant la mise en œuvre du SDRIF, l’État organise enfin un réel développement de la région capitale. À cet égard, nous étions plutôt favorables à ce que le SDRIF soit un document réellement opposable, et non une simple possibilité pour les communes. En effet, que deviendront les éventuels projets communs si le SDRIF de 2008 prime dans une commune, mais que sa voisine préfère le schéma de 1994 ? Quel juge sera en mesure d’apprécier le bien-fondé du choix de telle commune par rapport au choix de telle autre ?
On risque bien d’assister à une multiplication des contentieux et des contestations. À l’inverse, la primauté d’un schéma assure une cohérence régionale et permet une continuité de l’action.
Néanmoins, nous nous rangerons derrière la solution de compromis de la commission, dont je tiens à saluer la qualité d’écoute et la volonté d’aboutir. Je tiens également à saluer le sens du dialogue dont a fait preuve notre collègue Nicole Bricq.
Il nous semble essentiel de faire avancer les projets au plus vite. Un an aura été nécessaire pour que les esprits s’apaisent et qu’une réelle concertation aboutisse à un projet de transport et de développement territorial cohérent. Beaucoup reste à faire, car l’article unique de la proposition de loi ne porte que sur le volet territorial du projet.
Nous souhaitons réellement que ce texte fasse l’objet d’un consensus...
Mme Bariza Khiari. ... et qu’il soit rapidement examiné par l’Assemblée nationale. Pour le coup, aujourd'hui, monsieur le ministre, ce ne sont plus les tunneliers qui attendent – ils sont toujours aux abonnés absents ! –, mais bien les Franciliens, qui espèrent une amélioration de leur vie quotidienne en matière de logement et de transport. C’est cela, et cela seulement, qui nous oblige tous. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du RDSE, ainsi que sur certaines travées de l’UMP.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion de l’article unique de la proposition de loi initiale.
Article unique
I. – Par dérogation à l’article L. 111-1-1 du code de l’urbanisme, les schémas de cohérence territoriale, et en l’absence de schéma de cohérence territoriale, les plans locaux d’urbanisme, les cartes communales ou les documents en tenant lieu, lorsqu’ils sont révisés ou modifiés, doivent être rendus compatibles avec les dispositions du schéma directeur de la région d’Île-de-France adopté par délibération du Conseil régional en date du 25 septembre 2008 compatibles avec la loi n° 2010-597 du 3 juin 2010 relative au Grand Paris .
Cette dérogation s’applique jusqu’à l’approbation de la révision du SDRIF prévue au III du présent article.
II. – La révision ou la modification d’un schéma de cohérence territoriale, d’un plan local d’urbanisme, d’une carte communale ou d’un document en tenant lieu ne peut avoir pour effet de faire obstacle à la mise en œuvre des contrats de développement territorial mentionnés à l’article 1er de la loi susmentionnée et du schéma d’ensemble du réseau de transport public du Grand Paris mentionné au II de l’article 2 de cette même loi.
Les procédures prévues au 3e alinéa de l’article L. 122-11 et à l’article L. 123-12 du code de l’urbanisme peuvent être appliquées en vue de la mise en œuvre du premier alinéa du présent article.
III. – Par dérogation au neuvième alinéa de l’article L. 141-1 du code de l’urbanisme, le décret prévu au II de l’article 2 de la loi n° 2010-597 du 3 juin 2010 relative au Grand Paris vaut mise en révision du schéma directeur de la région d’Île-de-France adopté par délibération du Conseil régional en date du 25 septembre 2008.
Cette révision est effectuée par la région Île-de-France en association avec l’État selon les règles fixées au septième alinéa de l’article précité. Le schéma directeur révisé est approuvé par décret en Conseil d’État.
Elle porte au moins sur la mise en œuvre du décret prévu au II de l’article 2 de la loi n° 2010-597 du 3 juin 2010 relative au Grand Paris et, s’il y a lieu, sur la mise en œuvre des contrats de développement territorial prévus à l’article 1er de cette même loi.
M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
Les deux premiers sont identiques.
L’amendement n° 5 est présenté par le Gouvernement.
L’amendement n° 7 est présenté par M. Fourcade.
Tous deux sont ainsi libellés :
Alinéa 1
Rédiger ainsi cet alinéa :
I. – Par dérogation à l’article L. 111-1-1 du code de l’urbanisme, les schémas de cohérence territoriale, et en l’absence de schéma de cohérence territoriale, les plans locaux d’urbanisme, les cartes communales ou les documents en tenant lieu, lorsqu’ils sont révisés ou modifiés, peuvent être rendus compatibles avec celles des dispositions du projet de schéma directeur de la région d’Île-de-France adopté par délibération du Conseil régional en date du 25 septembre 2008 qui ne sont pas contraires à la loi n° 2010-597 du 3 juin 2010 relative au Grand Paris.
La parole est à M. le ministre, pour présenter l’amendement n° 5.
M. Maurice Leroy, ministre. Au préalable, permettez-moi, monsieur le président, de remercier l’ensemble des orateurs qui sont intervenus dans la discussion générale.
Cet amendement tend à préciser que les documents d’urbanisme pourront déroger à l’obligation de compatibilité avec le SDRIF s’ils sont compatibles avec les dispositions du projet de SDRIF de 2008 non contraires à la loi relative au Grand Paris. C’est bien une faculté qui est mise en place et non une obligation.
Le Conseil d’État, dans son avis du 28 octobre 2010, a en effet souligné l’impossibilité de toute validation législative globale du SDRIF. Ainsi, tout ce qui irait dans le sens de l’automaticité irait également dans le sens de la fragilité juridique. Je tiens à vous rendre attentifs à ce point, mesdames, messieurs les sénateurs.
J’ai bien sûr pris connaissance de l’amendement n° 12 de M. le rapporteur. Il s’agit d’un compromis qui permet d’éviter précisément le risque d’automaticité de l’application du SDRIF de 2008 à chaque modification ou révision du document d’urbanisme.
Votre amendement, monsieur le rapporteur, et je vous en félicite, permettra d’éviter une insécurité juridique. Tel est l’objectif que je cherchais à atteindre avec l’amendement n° 5, tout comme sans doute M. Fourcade avec l’amendement n° 7. Le travail que vous avez réalisé ces jours derniers est remarquable et je tiens à vous en remercier, ainsi que les collaborateurs de la commission.
L’amendement n° 12 faisant l’objet d’un consensus, j’indique dès à présent, afin de gagner du temps, que j’y suis très favorable.
En conséquence, je retire l’amendement n° 5.
M. le président. L’amendement n° 5 est retiré.
La parole est à M. Jean-Pierre Fourcade, pour présenter l'amendement n° 7.
M. Jean-Pierre Fourcade. Je partage la préoccupation du Gouvernement : cet amendement visait à éviter que la compatibilité obligatoire avec le nouveau SDRIF et avec la loi de 2010 n’ait des conséquences juridiques dangereuses et qu’elle n’ouvre la voie à un nombre considérable de contentieux. C’était le fameux débat entre le « peuvent » et le « doivent ».
Toutefois, la formule que va nous proposer la commission me paraissant acceptable, je retire également mon amendement.
M. le président. L’amendement n° 7 est retiré.
L'amendement n° 12, présenté par M. Braye, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 1
Rédiger ainsi cet alinéa :
I. – Par dérogation à l’article L. 111-1-1 du code de l’urbanisme, dès lors qu’elles sont compatibles avec les dispositions du projet de schéma directeur de la région d’Île-de-France adopté par délibération du conseil régional en date du 25 septembre 2008 qui ne sont pas contraires à la loi n° 2010-597 du 3 juin 2010 relative au Grand Paris, les révisions et les modifications des schémas de cohérence territoriale, des plans locaux d’urbanisme ou des documents en tenant lieu, ou des cartes communales ne sont pas illégales du seul fait qu’elles sont incompatibles avec le schéma directeur de la région d’Île-de-France de 1994.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Dominique Braye, rapporteur. Cet amendement est le fruit des échanges approfondis que nous avons eus tant avec les signataires de l’accord du 26 janvier 2011 – le ministre de la ville et le président du conseil régional d’Île-de-France – qu’avec les auteurs de la présente proposition de loi.
L’objectif de la commission était de respecter parfaitement, comme je m’y étais engagé devant vous tous, mes chers collègues, cet accord et de permettre la mise en œuvre au plus vite des nombreux projets franciliens actuellement bloqués.
Toutes les communes ayant un projet bloqué doivent pouvoir se mettre en conformité le plus rapidement possible avec les dispositions du SDRIF de 2008. La procédure devant être la plus légère possible, il ne faut pas obliger ces communes à mettre tous leurs documents d’urbanisme en conformité avec ce SDRIF.
Par ailleurs, toute commune souhaitant également modifier son PLU afin de le rendre conforme à certaines dispositions du SDRIF de 2008, même si elle n’a pas de projet bloqué du fait du SDRIF de 1994, doit également pouvoir le faire.
Naturellement, les communes qui souhaitent se mettre en conformité avec la totalité des dispositions du SDRIF de 2008 doivent pouvoir le faire, à condition que ces mesures ne soient pas contraires à la loi relative au Grand Paris.
Je tiens enfin à rassurer M. Fourcade, cet amendement permet d’atteindre le triple objectif de la proposition de loi : assurer la sécurité juridique, offrir une certaine souplesse aux collectivités locales et permettre de débloquer leurs projets.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Maurice Leroy, ministre. Le Gouvernement confirme son avis très favorable sur cet amendement.
Par ailleurs, je m’engage à défendre devant l’Assemblée nationale la version que le Sénat aura adoptée.
M. Jean-Pierre Fourcade. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, pour explication de vote sur l’amendement n° 12.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Pour notre part, nous n’aurions pas voté les amendements que le Gouvernement et M. Fourcade viennent de retirer.
L’amendement n° 12, amendement de dernière minute destiné à trouver un compromis afin de sortir de l’impasse, ne nous satisfait pas entièrement, même si nous notons une évolution.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. La commission l’a déposé ce matin !
M. Maurice Leroy, ministre. Ce n’est pas très élégant pour la commission ! (Exclamations sur les travées du groupe CRC-SPG.)
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Monsieur le ministre, n’allez pas susciter de crispations inutiles !
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Caffet, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Caffet. Nous avons eu de longues discussions en commission, notamment lors de l’audition de M. le ministre, pour savoir s’il devait s’agir d’une faculté ou d’une obligation.
Au-delà de la signification politique de ces deux notions, nous avons été confrontés à un problème d’ordre juridique : l’impossibilité de validation législative du projet de SDRIF de 2008.
Nous avons formulé un certain nombre de propositions et M. le rapporteur s’est d’ailleurs très largement inspiré de nos débats.
De notre point de vue, l’amendement de la commission va doublement dans le bon sens. D’une part, il permet de libérer des projets aujourd'hui bloqués par le texte de 1994, dont j’espère que nous n’aurons pas à fêter le vingtième anniversaire. D’autre part, il donne aux collectivités territoriales qui révisent leurs documents d’urbanisme la possibilité de se mettre en compatibilité avec le projet de SDRIF adopté par le conseil régional, dès lors que ses dispositions ne sont elles-mêmes pas contraires à la loi du 3 juin 2010 relative au Grand Paris.
Je remercie M. le ministre et M. Fourcade d’avoir retiré leurs amendements identiques, dont la rédaction soulevait un problème politique. Nous voterons donc avec plaisir l’amendement de M. le rapporteur.
M. le président. La parole est à M. Charles Revet, pour explication de vote.
M. Charles Revet. Lors de l’examen du projet de loi relatif au Grand Paris, nous avons tous insisté, et à de nombreuses reprises, sur l’enjeu majeur que représentent l’axe Seine et l’ouverture sur l’océan via les grands ports maritimes du Havre et de Rouen.
Mme Nicole Bricq. Ah ! la Normandie ! (Sourires.)
M. Charles Revet. Les dispositions visées par cet amendement peuvent-elles également, le cas échéant, s’appliquer à des territoires qui ne se situent pas en Île-de-France mais qui sont concernés par un tel projet ?
M. Dominique Braye, rapporteur. Mais non ! Il s’agit du schéma directeur de l’Île-de-France ! À moins que vous n’ayez l’intention d’intégrer certaines communes de Normandie à la région capitale… (Sourires.)
Mme Nicole Bricq. Il faudrait annexer la Normandie !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Maurice Leroy, ministre. Je répondrai évidemment par la négative à la question de M. Revet, puisque la présente proposition de loi concerne le SDRIF et les projets bloqués en Île-de-France.
Pour autant, j’ai bien compris le sens de son interpellation, et je tiens à le rassurer : l’axe Seine est toujours un axe majeur dans le cadre du Grand Paris.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Fourcade, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Fourcade. L’amendement que M. le rapporteur présentera dans quelques instants me paraît essentiel ; il s’agit de prévoir un délai pour l’approbation du nouveau schéma directeur.
En effet, nous nous apprêtons à décider d’une dérogation. Et même si nous ne pouvons évidemment pas demeurer dans un système dérogatoire pendant vingt ans, je pense qu’il est de l’intérêt de la région et des collectivités locales de pouvoir libérer des projets actuellement bloqués par le SDRIF de 1994.
C’est pourquoi la rédaction de M. le rapporteur, qui propose de partir du texte de 1994, me semble pertinente. Les documents devront être compatibles à la fois avec le nouveau SDRIF et avec la loi du 3 juin 2010 relative au Grand Paris. Cela étant, bien évidemment, la dérogation doit avoir un terme.
Je tenais à préciser ce point afin de clarifier l’orientation que nous avons adoptée avec l’ensemble de nos collègues socialistes.
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.
M. Jean Desessard. Comme cela a été dit, il s’agit d’un amendement de dernière heure qui n’a pas permis d’associer l’ensemble des parties prenantes, notamment les écologistes, défenseurs des zones naturelles. Pour notre part, nous étions attachés à l’idée d’une obligation.
Je voterai donc contre cet amendement.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 12.
M. le président. L'amendement n° 1, présenté par M. Braye, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Rédiger ainsi cet alinéa :
Cette dérogation s’applique jusqu’à la première approbation d’un schéma directeur de la région d’Île-de-France suivant l’entrée en vigueur de la présente loi et au plus tard le 31 décembre 2013.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Dominique Braye, rapporteur. Cet amendement vise à inscrire une date butoir pour l’application de la dérogation. La fin de l’année 2013 nous paraît une échéance pertinente.
Toutefois, monsieur le ministre, une telle disposition engage non seulement la région, mais également l’État, car elle ne pourra être mise en œuvre que si le décret lançant la procédure de révision est pris avant l’été. À défaut, la région ne pourrait pas respecter le délai que nous lui fixons.
Enfin, pour faire plaisir à notre collègue Jean-Pierre Caffet, qui souhaitait que le SDRIF de 1994 ne fête pas son vingtième anniversaire, nous avons retenu la date du 31 décembre 2013 : le SDRIF n’aura alors que dix-neuf ans ! (Sourires.)
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Maurice Leroy, ministre. Je suis sensible à l’argument de M. le rapporteur, qui souhaite faire plaisir à Jean-Pierre Caffet. (Sourires.)
M. Jean-Pierre Caffet. Vous voyez, tout arrive ! (Nouveaux sourires.)
M. Maurice Leroy, ministre. Je ne voudrais donc pas troubler cette belle entente. (Mêmes mouvements.)
Plus sérieusement, cet amendement vise à réaffirmer le caractère dérogatoire et temporaire du dispositif.
L’objectif politique partagé est bien d’avoir un SDRIF révisé, de droit commun, prenant en compte les objectifs de la loi du 3 juin 2010 relative au Grand Paris, le plus rapidement possible et, je le confirme, avant les échéances de 2014.
Je vous rassure, monsieur le rapporteur : le Gouvernement prendra le décret avant l’été.
L’objectif technique est donc de circonscrire au maximum les risques d’insécurité juridique à certaines dispositions, et sur une période de temps donnée.
Le Gouvernement émet un avis très favorable sur l’amendement de M. le rapporteur.
M. le président. L'amendement n° 8 rectifié, présenté par M. Fourcade, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 2
Insérer cinq alinéas ainsi rédigés :
Lorsqu’il est fait application des dispositions du premier alinéa, le projet de modification ou de révision est transmis au représentant de l’État dans la région d’Île-de-France qui se prononce, dans un délai de deux mois à compter de la transmission, sur :
1° la non-contrariété des dispositions invoquées du projet de schéma directeur de la région d’Île-de-France adopté par délibération du conseil régional en date du 25 septembre 2008 à celles de la loi n° 2010-597 du 3 juin 2010 relative au Grand Paris ;
2° la compatibilité du projet de révision ou de modification avec les dispositions invoquées du projet de schéma directeur de la région d’Île-de-France adopté par délibération du conseil régional en date du 25 septembre 2008.
À défaut de réponse dans le délai de deux mois, l’accord du représentant de l’État dans la région est acquis. Mention de la décision ou de l’accord tacite sont publiés, à l’initiative de la commune ou de l’établissement public de coopération intercommunale qui en est à l’origine, dans un journal diffusé dans le département.
L’illégalité du schéma de cohérence territoriale, du plan local d’urbanisme ou du document en tenant lieu et de la carte communale ainsi révisé ou modifié, ne peut être invoquée, par voie d’exception, à l’occasion d’un recours administratif ou contentieux formé après l’expiration d’un délai de quatre mois à compter de l’entrée en vigueur de ces documents, au motif que les conditions prévues aux 1° et 2° ne sont pas satisfaites.
La parole est à M. Jean-Pierre Fourcade.
M. Jean-Pierre Fourcade. À partir du moment où nous instituons un dispositif dérogatoire assorti d’une exigence de compatibilité avec, d’une part, un schéma directeur – c’est un épais document – et, d’autre part, une loi comprenant de nombreuses mesures, le représentant de l’État dans la région doit pouvoir se prononcer sur cette compatibilité, si nous voulons pouvoir rejeter les recours. Il faut prévoir des délais courts pour éviter de se lancer dans des procédures allant bien au-delà de 2013.
Par conséquent, je propose un système juridique plus complet que celui qui figure dans la proposition de loi. Il s’agit à la fois d’accélérer la procédure, en faisant intervenir le préfet de région, et d’éviter qu’il n’y ait trop de recours, en accordant un délai normal de quatre mois après la décision du préfet de région pour l’extinction des contentieux.
Ainsi, l’ensemble du dispositif dérogatoire que nous venons d’adopter sera juridiquement solide.
M. le président. Le sous-amendement n° 11 rectifié, présenté par Mme Bricq, M. Caffet et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Amendement n° 8 rectifié
1° Alinéa 3
Rédiger ainsi cet alinéa :
Lorsqu’il est fait application des dispositions du premier alinéa, le projet de modification ou de révision est transmis au président du conseil régional d’Île-de-France, qui rend un avis dans un délai d’un mois à compter de la transmission, et au représentant de l’État dans la région d’Île-de-France, qui prend une décision dans un délai de deux mois à compter de la transmission. L’avis et la décision susmentionnés portent sur :
2° Alinéa 6, première phrase
Rédiger ainsi cette phrase :
À défaut de réponse dans les délais mentionnés au troisième alinéa, la décision du représentant de l’État dans la région ou l’avis du président du conseil régional sont réputés favorables.
La parole est à Mme Nicole Bricq.
Mme Nicole Bricq. Ce sous-amendement a pour objet d’introduire dans le dispositif l’avis préalable du président de la région d’Île-de-France, à titre évidemment consultatif, le contrôle de légalité étant assuré par le représentant de l’État, en l’occurrence le préfet de région.
En effet, compte tenu de la compétence de la région d’Île-de-France en termes d’aménagement, il nous semble légitime que le président du conseil régional puisse faire part de son avis.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Dominique Braye, rapporteur. La commission émet un avis favorable tant sur le sous-amendement n° 11 rectifié que sur l’amendement n° 8 rectifié, qui nous paraissent tous deux respecter l’équilibre auquel nous sommes parvenus. En Île-de-France, la compétence étant partagée entre la région et l’État, il nous semble pertinent que le président de la région puisse donner son avis.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Maurice Leroy, ministre. Le Gouvernement partage l’avis de la commission.
D’une part, j’émets un avis favorable sur le sous-amendement n° 11 rectifié, qui a pour objet de donner un rôle au président du conseil régional d’Île-de-France dans l’appréciation de la compatibilité des dispositions du SDRIF avec la loi du 3 juin 2010 relative au Grand Paris.
Une telle disposition est quasiment sans incidences sur les délais de révision des documents d’urbanisme – j’y ai été extrêmement attentif –, car le président du conseil régional doit rendre son avis dans un délai strictement encadré. Les auteurs de ce sous-amendement suggèrent un mois, ce qui est sage. La commission proposait un délai de deux mois.
En outre, aux termes de ce sous-amendement, si le président du conseil régional d’Île-de-France et le préfet n’ont pas répondu au bout de respectivement un mois et deux mois à compter de leur saisine, leur avis est réputé favorable, ce qui garantit un peu plus le délai de la procédure et la sécurité juridique. C’est d’ailleurs l’objectif que nous cherchons tous à atteindre.
D’autre part, le Gouvernement émet un avis très favorable sur l’amendement n° 8 rectifié ainsi sous-amendé.
Comme l’ont expliqué M. le rapporteur et M. Fourcade, le dispositif institué par la proposition de loi initiale sera susceptible par lui-même de créer une insécurité juridique, puisqu’il repose sur une mise en compatibilité non pas avec le SDRIF de 2008 dans son intégralité, mais avec celles de ses dispositions qui ne sont pas contraires à la loi relative au Grand Paris, ce qui est par nature porteur d’incertitudes.
C'est la raison pour laquelle il faut permettre au représentant de l’État de porter à la connaissance des collectivités procédant à une révision de leurs documents d’urbanisme les dispositions du projet de SDRIF de 2008 non contraires à la loi du 3 juin 2010 relative au Grand Paris, qui peuvent s’appliquer.
Comme M. Fourcade l’a expliqué tant en commission qu’à l’instant, une telle mesure permet de purger les contentieux sur les documents d’urbanisme révisés et sur tous ceux qui en découlent au motif d’une incompatibilité des dispositions du projet de SDRIF de 2008 avec la loi du 3 juin 2010 relative au Grand Paris.
M. le président. Je mets aux voix le sous-amendement n° 11 rectifié.
(Le sous-amendement est adopté.)
M. le président. L'amendement n° 2, présenté par M. Braye, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Supprimer les mots :
et du schéma d'ensemble du réseau de transport public du Grand Paris mentionné au II de l'article 2 de cette même loi
La parole est à M. le rapporteur.
M. Dominique Braye, rapporteur. L’article 4 de la loi du 3 juin 2010 relative au Grand Paris précise que les projets d'infrastructures constituent des projets d’intérêt général à compter de la date de publication du décret.
En conséquence, nous vous proposons de supprimer une disposition superfétatoire.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Maurice Leroy, ministre. Cet amendement vise à éviter de mettre en avant l’objectif de construction annuelle de 70 000 nouveaux logements avant que les objectifs de territorialisation ne soient fixés, et ce afin de ne pas fournir un moyen supplémentaire aux recours juridictionnels.
Le Gouvernement émet donc un avis favorable sur cet amendement, dont l’objet est de ne pas accroître l’insécurité des révisions dérogatoires.
M. le président. L’amendement n° 3, présenté par M. Braye, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Après les mots :
Grand Paris
rédiger ainsi la fin de cet alinéa :
vaut nouvelle mise en révision du schéma directeur de la région d’Île-de-France.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Dominique Braye, rapporteur. Il s’agit d’un amendement de clarification juridique.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 4, présenté par M. Braye, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 6, première phrase
Remplacer cette phrase par trois phrases ainsi rédigées :
Cette révision est effectuée par la région Île-de-France en association avec l’État selon les règles fixées à la seconde phrase du sixième alinéa et au septième alinéa de l’article L. 141-1 du code de l’urbanisme. L’avis visé à la seconde phrase du sixième alinéa est rendu dans un délai de deux mois à compter de la transmission par le conseil régional du projet de schéma directeur de la région d’Île-de-France. À l’expiration de ce délai, l’avis est réputé favorable.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Dominique Braye, rapporteur. Dans un souci d’accélération des procédures, le III de l’article unique de la présente proposition de loi supprime la consultation des personnes publiques associées dans le cadre de la procédure de révision du SDRIF qui va être lancée. L’élaboration du SDRIF de 2008 a donné lieu à une consultation extrêmement poussée, au cours de laquelle l’avis des conseils généraux a été recueilli. En commission, notre collègue Dominique Voynet a indiqué qu’aucune collectivité locale n’était disposée à recommencer cet exercice, certes important mais très long.
Cet amendement tend donc à conserver une consultation des conseils généraux, mais en aval de la procédure d’élaboration : le projet de schéma directeur leur sera soumis et ils auront deux mois pour se prononcer. S’ils ne l’ont pas fait à l’expiration de ce délai, leur avis sera réputé favorable.
La commission est animée par le seul souci d’accélérer les choses : une consultation très large ayant été menée récemment, il paraît superflu d’en lancer une nouvelle, qui conduirait seulement les collectivités territoriales concernées à se répéter.
M. le président. Le sous-amendement n° 10, présenté par Mmes Assassi et Gonthier-Maurin, M. Vera et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Amendement n° 4, alinéa 3, première phrase
Remplacer les mots :
à la seconde phrase du
par le mot :
au
La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Lors de l’examen de cette proposition de loi en commission, le rapporteur et l’auteur du texte ont expliqué à notre collègue Odette Terrade que, sans être opposés sur le fond à l’amendement que nous déposions, celui-ci présentait l’inconvénient majeur de rallonger de six mois les délais de révision du SDRIF. Si nous comprenons cet argument, nous ne pouvons l’admettre. D’ailleurs, le fait que le rapporteur ait lui-même déposé un amendement sur la question montre bien que la rédaction initiale du texte posait problème.
Je vais donc réexposer cet amendement, devenu un sous-amendement.
Si nous souhaitons ardemment l’entrée en vigueur du SDRIF, qui, je le rappelle, aurait dû être mis en œuvre depuis bien longtemps, nous estimons, pour autant, que la révision prévue par cette proposition de loi ne peut faire l’impasse sur la procédure légale de consultation et de collecte des avis, telle qu’elle est prévue à l’article L. 141-1 du code de l’urbanisme.
Nous pensons que l’amendement du rapporteur va dans le bon sens, sans pour autant considérer, comme cela a été dit en commission, qu’il satisfaisait le nôtre.
Ainsi, nous restons attachés à ce que les conseils généraux, les chambres consulaires ainsi que le conseil économique, social et environnemental de la région puissent émettre des propositions lors de l’élaboration du SDRIF, et pas simplement formuler un avis une fois celui-ci mis au point. Lors de la procédure de révision engagée en 2005, le conseil économique, social et environnemental régional ne s’était d’ailleurs pas privé d’user de cette faculté et avait émis trois avis : deux en 2006 et un en 2007.
En outre, nous estimons que le SDRIF aurait besoin d’une révision d’ampleur, puisque, pour reprendre les termes très clairs utilisés par le Conseil d’État pour justifier son avis négatif rendu en octobre 2010, « la loi relative au Grand Paris affecte la cohérence interne du SDRIF ». Ainsi, nous voyons bien que si nous nous bornons à insérer dans ce document les mesures relatives au Grand Paris, nous lui ferons perdre une partie de sa cohérence et de son sens.
Nous estimons que les enjeux, en termes de développement de la région capitale, sont trop importants pour que l’on ne respecte pas le cadre légal de procédure de révision du SDRIF, simplement pour gagner quelques mois, d’autant que ce projet du Grand Paris façonne l’avenir de la région capitale à l’horizon de 2025 !
C’est après avoir pesé le pour et le contre que nous vous proposons, mes chers collègues, d’adopter ce sous-amendement. Si tel devait ne pas être le cas, nous nous replierions sur l’amendement n° 9, dont l’objet est analogue.
M. le président. L’amendement n° 9, présenté par Mmes Assassi et Gonthier-Maurin, M. Vera et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Alinéa 6, première phrase
Remplacer les mots :
au septième alinéa
par les mots :
aux sixième et septième alinéas
La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. L’amendement est défendu, monsieur le président.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Dominique Braye, rapporteur. La procédure de révision du SDRIF lancée en 2005 a donné lieu à une concertation très approfondie, avec de nombreuses réunions, des états généraux et des forums. La plupart des personnes publiques associées à cette concertation ont rendu leur avis, qui ne doit pas avoir changé depuis, comme l’a dit Mme Voynet.
Si nous entendons tenir l’échéance de 2013, il n’est pas possible de répéter cette procédure. D’ailleurs, les collectivités territoriales ne sont pas disposées à relancer une concertation qui n’a été close que très récemment. Je partage entièrement l’avis de Mme Voynet sur ce point.
M. Jean Desessard. Elle est vraiment devenue la référence !
M. Dominique Braye, rapporteur. Multiplier les réunions peut convenir à certains, mais d’autres ont mieux à faire !
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Parler aux citoyens, ce n’est jamais superflu !
M. Dominique Braye, rapporteur. Les citoyens ont été entendus, nous n’allons pas recommencer pour le plaisir !
Les conseils généraux pourront donner leur avis avant l’adoption du document, et il sera naturellement pris en compte. Je vous suggère donc de retirer votre sous-amendement et votre amendement ; à défaut, j’émettrais un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Maurice Leroy, ministre. L’amendement n° 4 tend à instaurer une procédure dérogatoire et simplifiée pour cette révision du SDRIF, conformément au souhait tant de la région que des services de l’État.
À cette fin, la proposition de loi supprime la phase formelle de consultation des conseils généraux, du conseil économique, social et environnemental régional et des chambres consulaires, leurs avis ayant déjà été recueillis lors de l’élaboration du SDRIF de 2008. Comme l’a très bien dit M. le rapporteur, cela va dans le sens des propos qu’avait tenus Mme Voynet lors de l’audition organisée le 22 mars dernier par la commission de l’économie et la commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif au Grand Paris.
M. Jean Desessard. Décidément, c’est la star !
M. Maurice Leroy, ministre. C’est pourquoi je ne peux souscrire au sous-amendement n° 10, qui tend à réintroduire cette phase de consultation. Sincèrement, je ne pense pas qu’il réponde aux préoccupations de l’ensemble des collectivités territoriales, un très large débat ayant déjà eu lieu. Celles-ci attendent désormais que les projets soient mis en œuvre. (Mme Éliane Assassi manifeste sa désapprobation.) Parlez-en à M. le président du conseil général du Val-de-Marne, madame la sénatrice, et vous verrez ce qu’il en pense !
Mme Éliane Assassi. Nous sommes des législateurs, pas des présidents de conseil général !
M. Dominique Braye, rapporteur. Le Sénat représente les collectivités territoriales !
M. Maurice Leroy, ministre. L’avis des collectivités territoriales concernées est néanmoins requis dans le délai de deux mois. La procédure ainsi adaptée s’inscrit bien dans la continuité de la précédente procédure de révision.
J’émets donc un avis défavorable sur le sous-amendement n° 10, ainsi que sur l’amendement n° 9, et un avis très favorable sur l’amendement n° 4.
M. le président. La parole est à M. Laurent Béteille, pour explication de vote sur le sous-amendement n° 10.
M. Laurent Béteille. Je partage en partie les préoccupations de nos collègues du groupe CRC-SPG. Je ne voterai cependant pas ce sous-amendement, compte tenu des contraintes de délais qui s’imposent à nous.
En tout état de cause, nous ne sommes pas là pour valider législativement le projet de SDRIF adopté en 2008 par la région : le futur SDRIF sera nécessairement différent.
M. Jean-Pierre Caffet. Il fallait peut-être conserver le SDRIF de 1994 !
M. Laurent Béteille. Par conséquent, les collectivités territoriales doivent pouvoir s’exprimer, notamment les communes, comme je le disais lors de la discussion générale.
Mme Éliane Assassi. Exactement !
M. Laurent Béteille. En effet, ce sont elles qui sont compétentes en matière d’urbanisme, et le SDRIF de 2008 comporte un certain nombre de « scories » dues au fait que, si la concertation a certes été très étendue, elle a quelque peu négligé les communes. Je souhaite donc vivement que l’on recueille leur avis.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Dominique Braye, rapporteur. Je souhaite rappeler qu’il n’a jamais été question de consulter les communes. Il s’agit exclusivement ici de la consultation des conseils généraux, du conseil économique, social et environnemental régional et des chambres consulaires. Les communes ne sont pas visées.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Fourcade, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Fourcade. La rédaction initiale, qui ne visait que le septième alinéa de l’article L. 141-1 du code de l’urbanisme, privait les conseils généraux de toute intervention dans la procédure.
Si nous suivions la proposition de nos collègues du groupe CRC-SPG, la procédure deviendrait beaucoup trop longue et l’échéance de la fin de 2013 ne pourrait être tenue.
Le compromis trouvé par la commission, qui prévoit d’accorder un délai de deux mois aux conseils généraux pour donner leur avis, me paraît acceptable. Je suivrai donc l’avis de la commission.
M. le président. En conséquence, l’amendement n° 9 n’a plus d’objet.
Je mets aux voix l’article unique, modifié.
M. Jean Desessard. Les sénateurs Verts s’abstiennent.
(L’article unique est adopté.)
Article additionnel après l’article unique
M. le président. L’amendement n° 6, présenté par M. Paul, est ainsi libellé :
Après l’article unique, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au troisième alinéa de l’article L. 642-8 du code du patrimoine, les mots : « en cours de révision » sont remplacés par les mots : « en cours d’élaboration ou de révision ».
La parole est à M. Philippe Paul.
M. Philippe Paul. Ce problème concerne, au-delà de l’Île-de-France, d’autres points du territoire national, notamment Douarnenez, ville dont je suis le maire.
Mme Nicole Bricq. Le cavalier a réussi à sauter la haie !
M. Philippe Paul. L’article 28 de la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement a modifié le code du patrimoine pour instituer des aires de mise en valeur de l’architecture et du patrimoine, ou AVAP, destinées à remplacer les zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager, ou ZPPAUP.
L’article L. 642-8 du code du patrimoine prévoit que les dossiers des ZPPAUP « en cours de révision » sont instruits conformément à la nouvelle procédure lorsqu’elles n’ont pas encore fait l’objet d’une enquête publique. Cette disposition permet d’approuver immédiatement la révision dès lors que cette enquête a été réalisée.
En revanche, le cas des ZPPAUP en cours d’élaboration qui ont été soumises à enquête publique avant la publication de la loi a été involontairement omis par le législateur. Or les ZPPAUP sont créées au terme de procédures souvent étalées sur plusieurs années, et il est essentiel que les collectivités concernées puissent mettre en œuvre des projets résultant de longues démarches de concertation, comprenant notamment une enquête publique, sans avoir à entamer une nouvelle procédure.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Dominique Braye, rapporteur. La commission a émis un avis favorable sur cet amendement, qui permet de réparer un oubli de la loi portant engagement national pour l’environnement, dite loi Grenelle II.
L’entrée en vigueur de la loi Grenelle II a permis aux collectivités comptant une ZPPAUP « en cours de révision » de ne pas recommencer toute la procédure, mais nous avions oublié le cas des ZPPAUP « en cours d’élaboration ».
Je rappelle à nos collègues socialistes que, lors de la discussion de ce projet de loi, en tant que rapporteur, j’avais accueilli favorablement un amendement similaire de M. Ries concernant les plans locaux d’urbanisme : au-delà des problèmes de forme, il m’avait paru important de ne pas imposer à certaines collectivités de recommencer entièrement les procédures d’élaboration de leurs documents d’urbanisme.
Nous nous trouvons en l’espèce dans une situation identique, c’est pourquoi j’émets un avis favorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article unique.
Vote sur l'ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, pour explication de vote.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Indéniablement, la discussion de cette proposition de loi de nos collègues socialistes a été intéressante. Elle était même nécessaire, pour plusieurs raisons.
Premièrement, cela nous a permis de revenir sur l’historique de l’élaboration du SDRIF, qui, après une phase de concertation extrêmement large entre 2005 et 2008, a fait l’objet d’un blocage inqualifiable de la part du Président de la République, jusqu’à l’adoption de la loi relative au Grand Paris. Aujourd’hui, comme si c’était un acquis du protocole d’accord, la majorité concède qu’il faut trouver une solution pour que le SDRIF de 2008 s’applique. Il serait temps !
Deuxièmement, nous sentons bien, derrière ce débat, tout l’enjeu du protocole d’accord, qui peut être sujet à des interprétations différentes, voire divergentes, comme en témoignent notamment tous les échanges sur la compatibilité entre les documents locaux et le SDRIF de 2008, afin d’établir s’il s’agit ou non d’un impératif.
Ainsi, pour résumer, l’avancée permise par cette proposition de loi consisterait en la faculté, pour les collectivités qui le souhaitent, de réviser leurs documents d’urbanisme en fonction du SDRIF de 2008, à condition de ne prendre en considération que les parties du SDRIF compatibles avec la loi relative au Grand Paris, cette révision ne devant pas avoir pour objet, en outre, de faire obstacle à la mise en œuvre d’un contrat de développement territorial.
Nous sommes donc bien dans le cadre d’une application limitative du SDRIF de 2008. C’est mieux que rien, nous dira-t-on ! Certes, mais je ne peux m’empêcher de penser que les choses auraient tout de même été bien plus simples si le SDRIF de 2008 avait été transmis au Conseil d’État en temps et en heure. Aujourd’hui, sa révision serait rendue obligatoire par l’adoption de la loi relative au Grand Paris, et nous ne serions pas obligés de « bricoler » dans la hâte des dispositifs législatifs qui, comme le souligne le rapporteur, ne peuvent perdurer trop longtemps !
Troisièmement, nous savons bien qu’en toile de fond de ces débats reste la mise en œuvre de la loi relative au Grand Paris, pour ce qui concerne son volet relatif aux transports, mais aussi, ne l’oublions pas, son volet concernant l’aménagement.
Si des avancées indéniables s’agissant du réseau de transport ont été obtenues grâce au débat public, la question de l’aménagement reste problématique, comme le rappelait ma collègue Éliane Assassi, notamment en ce qui concerne le périmètre de 400 mètres autour des gares.
La position des sénateurs du groupe CRC-SPG n’a pas changé depuis l’année dernière : nous sommes contre la vision métropolitaine qui sous-tend la loi relative au Grand Paris. Loin de répondre aux défis d’un aménagement solidaire, celle-ci va engendrer ségrégation sociale et éloignement du centre des populations les moins favorisées. Cela ne correspond pas à notre vision d’un aménagement équilibré du territoire, d’une métropole de progrès.
De plus, nous restons convaincus que l’État devrait s’engager dans le financement immédiat des infrastructures, mais aussi dans la réalisation des aménagements rendus nécessaires et possibles par ces nouveaux réseaux de transport. Cela constituerait un point d’appui permettant de répondre aux enjeux urbains actuels.
Vous l’aurez compris, les sénateurs de mon groupe sont attachés à permettre enfin l’émergence du SDRIF de 2008. Pour autant, ils ne renient nullement leur analyse de ce projet du Grand Paris qui s’inscrit dans la volonté de l’Élysée, dans le droit fil du volet relatif à l’urbanisme de la loi Grenelle II et d’une recentralisation active de l’aménagement du territoire, dans une conception libérale de mise en concurrence des territoires et des populations qui y vivent.
Je conclurai en regrettant que notre amendement portant sur le respect des consultations relatives à la révision du SDRIF prévues par le code de l’urbanisme n’ait pas été adopté.
Si nous entendons vos arguments concernant la nécessité d’adopter rapidement un SDRIF qui puisse faire l’objet d’un avis favorable du Conseil d’État et entrer en vigueur, nous maintenons que cet impératif ne doit pas conduire à en rabattre sur les consultations obligatoires, notamment sur la prise en compte des propositions du conseil économique, social et environnemental régional, le CESER, qui a adopté un avis fort intéressant sur les territoires interrégionaux et ruraux.
Ce document souligne que « les pouvoirs publics en se concentrant sur la zone agglomérée et ses extensions possibles conduisent certains élus et acteurs économiques […] et les populations […] à partager le sentiment d’être délaissées. […] Cette situation […] augmente les déséquilibres sociaux et territoriaux déjà constatés en Île-de-France et en crée de nouveaux. »
Ce rapport indique très clairement que le projet du Grand Paris induit une nouvelle donne et perturbe très fortement la cohésion régionale, en laissant sur le bord du chemin 1,2 million d’habitants de la région francilienne qui vont pourtant tout de même contribuer, par le biais de la taxe spéciale d’équipement, au financement de la double boucle. Ils subiront donc en quelque sorte la double peine !
Cette révision du SDRIF devrait notamment conduire, comme le préconise ce rapport du CESER, à repenser le développement de ces territoires et à conforter les activités agricoles et industrielles.
Pour l’ensemble des raisons que j’ai évoquées, mon groupe s’abstiendra sur cette proposition de loi.
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard.
M. Jean Desessard. Nous nous trouvons aujourd’hui dans une situation ubuesque, l’aménagement du territoire de l’Île-de-France, la région capitale, étant régi par un texte vieux de dix-sept ans !
Pourquoi un tel retard ? Après quatre ans de travaux, dans lesquels les écologistes se sont particulièrement impliqués, la région d’Île-de-France a adopté en 2008 un schéma directeur tourné vers l’avenir, à la hauteur des enjeux sociaux et environnementaux de la métropole du xxie siècle.
Malheureusement, le Président de la République a décrété, au mépris de la décentralisation et de l’esprit de la loi, qui accorde cette prérogative à la région, que lui seul avait une vision pour le développement de l’Île-de-France et que celle-ci était incapable de décider de son avenir. La consultation –factice – de dix grands architectes urbanistes, qui se sont eux-mêmes émus d’avoir été instrumentalisés, n’a pas donné au projet le crédit que l’on aurait pu malgré tout espérer.
Le Gouvernement a donc logiquement bloqué le parcours juridique du SDRIF, dans le même temps qu’il faisait voter une loi, dite « relative au Grand Paris », qui entérinait le projet, opposé à celui de la région, arrêté solitairement par le Président de la République.
Lorsque le Gouvernement a ensuite transmis le schéma directeur au Conseil d’État, celui-ci n’a bien sûr pu que constater qu’il était contradictoire avec la loi, et donc émettre un avis défavorable.
C’est ainsi que l’aménagement de l’Île-de-France est aujourd’hui toujours régi par un texte de 1994, qui bloque la mise en œuvre de nombreux projets indispensables au développement des collectivités territoriales et de la région elle-même. Bel exploit !
La proposition de loi initiale, dans la mesure où elle prévoyait l’application immédiate des dispositions du SDRIF non contradictoires avec la loi, représentait un petit pas en avant. Pour autant, l’accord intervenu le 26 janvier entre l’État et la région laisse en suspens des questions cruciales : le tracé du nouveau réseau de métro ignore largement la desserte des bassins de vie et des zones enclavées, notamment à l’est de Paris ; rien n’est prévu pour protéger le plateau de Saclay, qui concentre les terres les plus fertiles d’Île-de-France, d’une urbanisation anarchique ; la région et les élus locaux sont dessaisis de leurs prérogatives en matière de transports au profit de la Société du Grand Paris, à la main de l’État ; enfin, le financement de ce projet pharaonique comporte encore de trop nombreuses zones d’ombre !
En conclusion, je regrette qu’un amendement adopté aujourd’hui permette des constructions ou des aménagements conformes au SDRIF de 1994 ou au SDRIF de 2008. On pourrait penser que cela offre deux protections au lieu d’une, mais, au contraire, cela multiplie les possibilités, puisque ce qui est interdit par l’un peut être autorisé par l’autre.
Nous craignons donc que ne se multiplient les atteintes aux zones naturelles, agricoles et forestières. Alors que nous jugions que cette proposition de loi marquait une petite avancée, nous redoutons un recul environnemental du fait de l’adoption de cet amendement. C’est pourquoi les écologistes s’abstiendront.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Agnès Labarre.
Mme Marie-Agnès Labarre. Je m’exprimerai plus particulièrement au nom des sénateurs du Parti de gauche.
Si nous soutenons la mise en œuvre du schéma directeur de la région Île-de-France adopté par le conseil régional en 2008 et bloqué pendant deux ans par le Gouvernement, nous n’entendons pas passer sous silence les méthodes utilisées tant par le Gouvernement que par le président du conseil régional, M. Huchon. Alors que ce dernier s’était présenté devant les électeurs en faisant campagne contre le Grand Paris, il a tout de même signé un protocole d’accord qui entérine l’existence même de la Société du Grand Paris, bafouant ainsi l’assemblée régionale, qui s’était exprimée le 16 décembre sur les conditions d’une concertation.
C’est là non seulement une renonciation, mais aussi l’expression d’un mépris à l’encontre des Franciliens et de leurs associations, ainsi que des règles démocratiques. Ce protocole d’accord sera, pour les habitants de la région d’Île-de-France, au mieux sans effet, au pire très coûteux.
En le signant, le président Huchon a validé la loi votée le 3 juin 2010, instaurant une Société du Grand Paris chargée de transformer Paris et sa région pour en faire une ville-monde, notamment en développant des modes de transport à grande vitesse entre les grands centres financiers régionaux. Il accepte de voir la région dépossédée de ses prérogatives en matière d’aménagement, alors qu’elle a la charge d’élaborer le SDRIF. Il entérine également le dessaisissement du STIF de la maîtrise de la politique régionale des transports, désormais dévolue à la Société du Grand Paris.
C’est ainsi une privatisation des compétences des collectivités en matière d’aménagement au profit de grands groupes économiques qui est validée. De plus, comme si cela ne suffisait pas, M. Huchon accepte que, pour financer cette forfaiture, l’État se serve dans les caisses de la région !
Mme Marie-Agnès Labarre. L’argent est l’argument choc du projet : avec autant de milliards, tous les problèmes seront résolus, les trains seront à l’heure, le réseau existant pourra être rénové et la rocade de métro de banlieue à banlieue réalisée !
En 2008, suite à la décentralisation du STIF, son conseil d’administration a voté un plan de mobilisation des transports qui avait pour objectif de répondre aux urgences, vu les retards d’investissement en matière de modernisation du réseau, d’accélérer significativement l’achèvement des projets en cours et d’engager la réalisation des grands projets Éole, à l’ouest, et Arc Express.
Il était prévu que 12 milliards d’euros seraient à la charge des collectivités, l’État apportant une participation de 5,8 milliards d’euros.
Deux ans après, les collectivités ont engagé près de 13 milliards d’euros, tandis que le Gouvernement dit être disposé à verser 3 milliards d’euros… La directrice du STIF confirme elle-même qu’il manque 3,6 milliards d’euros pour boucler le plan de financement.
Certes, pour financer ce métro en rocade, sont prévus des taxes et impôts affectés à la Société du Grand Paris. Mais les 6,5 milliards d’euros de recettes attendus entre 2011 et 2025 seront loin de financer la réalisation du métro, dont le coût est estimé à 22,7 milliards d’euros.
Non seulement le financement n’est pas garanti, mais comme le protocole d’accord ne prévoit aucun phasage des travaux, c’est la seule Société du Grand Paris qui choisira les priorités ; amis et redevables du Président de la République auront à cœur de le satisfaire en mettant en œuvre le Grand Huit, au détriment de tous les autres projets.
Toute infrastructure nouvelle engendre des dépenses de fonctionnement nouvelles. Le coût d’exploitation supplémentaire annuel lié au Grand Paris est évalué à 1,2 milliard d’euros. De quelque manière que l’on effectue les calculs, en ajoutant les recettes attendues, il manque toujours 400 millions d’euros par an.
Pendant que l’on se demande, à juste titre, comment financer le fonctionnement, certains se préparent à jouer aux petits spéculateurs, notamment sur l’aménagement des terrains : 50 hectares autour de chacune des gares. Ces terrains, dont la gestion est confiée à la SGP, seront autant de chevaux de Troie de la spéculation qui va, dans les villes, alimenter la bulle immobilière et contribuer à réserver les logements aux plus nantis. À partir de ces quelques terrains bien placés, on développe le modèle de la loi de la jungle et un projet de ségrégation urbaine pour garantir aux promoteurs immobiliers des profits indécents. Les terrains autour des gares vont se transformer en terrains de jeu pour riches spéculateurs et contribuer à l’explosion des inégalités.
C’est pour toutes ces raisons que les élus du Parti de gauche et alternatifs au conseil régional d’Île-de-France se sont opposés au protocole d’accord. Bien que nous soyons favorables à l’adoption du SDRIF, ainsi qu’à sa révision, les sénateurs du Parti de gauche s’abstiendront sur cette proposition de loi, dont l’adoption revient à avaliser le projet du Grand Paris.
Par ailleurs, on peut regretter les arrangements entre l’exécutif de la région et le Gouvernement. Ce sont ces manquements à la parole donnée qui font le jeu de l’abstention ou, pire, du Front national.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Tasca.
Mme Catherine Tasca. Je voudrais d’abord saluer l’excellent travail effectué par Nicole Bricq et par M. le rapporteur. C’est l’occasion de souligner l’importance de l’initiative parlementaire, qui doit trouver toute sa place au sein de notre assemblée.
L’accord qui se dégage sur ce texte met en lumière la nécessité d’une réelle cohérence de l’organisation du territoire de l’Île-de-France. La raison l’a emporté pour sortir d’un blocage vieux déjà de trois ans sur le SDRIF de 2008. En effet, la réalisation de nombreux projets des collectivités locales se trouve empêchée, comme l’a relevé M. Braye, par exemple ceux de Boinville-le-Gaillard et de La Minière, dans les Yvelines, que lui et moi connaissons bien.
La mise en œuvre de la loi du 3 juin 2010 exigeait donc un dispositif transitoire. Nous y arrivons avec cette proposition de loi, chacun y ayant mis du sien. C’est une issue heureuse qui, pour autant, ne vaut pas validation globale de la loi relative au Grand Paris.
Si ce texte permettra d’engager la réalisation des projets en matière de transports, sous réserve bien sûr de mobiliser les financements nécessaires et de définir clairement et rapidement le partage de la maîtrise d’ouvrage, comme vous vous y êtes engagé, monsieur le ministre, hier et aujourd’hui encore,…
Mme Catherine Tasca. … il reste beaucoup à faire pour que le Grand Paris réponde véritablement aux attentes nombreuses des Franciliens et de leurs élus.
Nous devons en particulier rester très vigilants sur un point essentiel : l’élaboration des contrats de développement territorial. Il est indispensable que prévale le même esprit de concertation que pour l’élaboration du protocole État-région de janvier et la rédaction de la présente proposition de loi.
S’agissant des contrats de développement territorial, c’est évidemment avec les élus locaux concernés que doit être menée la concertation pilotée par le préfet de région. Puisque le contrat de développement territorial pourra s’imposer à toute modification des documents locaux d’urbanisme, il serait impensable de ne pas associer étroitement les élus locaux à sa conception. Nous avons besoin, monsieur le ministre, que vous nous donniez des assurances sur ce point.
Pour l’heure, en tout cas, le groupe socialiste votera avec fierté cette proposition de loi et souhaite qu’elle recueille une large approbation. (Applaudissements.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Le groupe CRC-SPG s’abstient.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Maurice Leroy, ministre. Je tiens à remercier Mme Bricq et le groupe socialiste d’avoir pris l’initiative de déposer ce texte. Étant personnellement très attaché à l’initiative parlementaire et à la revalorisation du rôle du Parlement, je suis très heureux que ce dossier puisse avancer par le biais d’une proposition de loi.
Je voudrais également féliciter M. le rapporteur, M. le président de la commission et M. Fourcade de l’excellent travail accompli tant en commission qu’en séance plénière, et remercier la majorité sénatoriale de son soutien toujours actif et vigilant au Gouvernement.
Comme vient de le dire Mme Tasca, s’il faut se réjouir du vote de cette proposition de loi, tout reste à faire. En tout cas, les avancées obtenues ces derniers mois témoignent qu’il est possible d’aller vite,…
M. Jean Desessard. On aurait pu gagner du temps !
M. Maurice Leroy, ministre. … dans la concertation. Vous l’avez encore démontré aujourd’hui.
Dans cet esprit, je tiens à redire devant la Haute Assemblée que j’ai demandé au préfet de la région d’Île-de-France qu’une véritable concertation soit menée avec les élus locaux sur les contrats de développement territorial. C’est ainsi qu’il convient de travailler sur ce dossier, en lien étroit avec les maires et leurs équipes municipales. L’avis des élus compte beaucoup à mes yeux, monsieur Assouline, d’abord parce qu’ils sont l’émanation du suffrage universel.
Par ailleurs, je m’engage à ce que cette proposition de loi soit transmise dans les meilleurs délais à l’Assemblée nationale. Je m’en suis entretenu avec le ministre chargé des relations avec le Parlement, Patrick Ollier. Je souhaite qu’un accord puisse se dégager sur la base du travail très fructueux qui a été conduit par la Haute Assemblée. C’est donc le texte du Sénat que je défendrai devant l’Assemblée nationale. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Dominique Braye, rapporteur. Je voudrais moi aussi remercier tous ceux qui ont participé à l’élaboration de cette proposition de loi, en particulier l’auteur de celle-ci, Mme Bricq, le ministre et ses collaborateurs, les membres de la commission et M. Jean-Pierre Fourcade, qui a joué un grand rôle en tant que rapporteur du projet de loi relatif au Grand Paris. Je voudrais également me féliciter du soutien constant et résolu que m’a accordé M. le président de la commission.
Je crois avoir rempli la mission qui m’avait été confiée, puisque je m’étais engagé à m’en tenir au protocole d’accord.
M. Charles Pasqua. Très bien !
M. Dominique Braye, rapporteur. Je présentais ce soir mon dernier rapport devant la Haute Assemblée. En effet, j’ai décidé de ne pas me présenter aux élections sénatoriales de septembre prochain.
Mme Nicole Bricq. On va vous regretter !
M. Dominique Braye, rapporteur. En cette circonstance, je voudrais remercier particulièrement les fonctionnaires qui m’ont aidé, au sein de la commission, à accomplir ma tâche. Leur compétence et leur disponibilité m’ont été infiniment précieuses, et j’ai eu grand plaisir à travailler avec eux. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission de l’économie.
M. Jean-Paul Emorine, président de la commission de l’économie. À cet instant, je voudrais redire combien le Bourguignon que je suis a eu plaisir à présider la commission spéciale sur le Grand Paris.
Je salue l’initiative des auteurs de cette proposition de loi. Dès le début, au sein de la commission, une volonté commune de la faire aboutir s’est dégagée ; ce n’est pas si fréquent s’agissant d’un texte émanant de l’opposition.
Mme Nicole Bricq. À la commission des finances, on n’en a pas l’habitude !
M. Jean-Paul Emorine, président de la commission de l’économie. Je remercie l’ensemble des participants à ce débat, qui a débouché sur un vote presque unanime, ce dont je me réjouis.
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures dix, est reprise à dix-neuf heures quinze.)
M. le président. La séance est reprise.
7
Réserves militaires et civiles
Adoption d'une proposition de loi
(Texte de la commission)
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, de la proposition de loi tendant à faciliter l’utilisation des réserves militaires et civiles en cas de crise majeure, présentée par M. Michel Boutant et Mme Joëlle Garriaud-Maylam (proposition n° 194, texte de la commission n° 344, rapport n° 343).
Mes chers collègues, M. Boutant, auteur de cette proposition de loi, devant rejoindre ce soir son département de la Charente pour participer demain à l’élection du président du conseil général, j’invite tous les orateurs à la concision.
Dans la discussion générale, la parole est à M. Michel Boutant, auteur de la proposition de loi.
M. Michel Boutant, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que j’ai l’honneur de présenter avec ma collègue Mme Garriaud-Maylam, qui, retenue au Chili, vous prie d’excuser son absence, est le résultat d’une mission sur l’utilisation des réserves militaires et civiles en cas de crise majeure qui nous a été confiée par la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées .
Au cours de cette mission, nous avons auditionné une cinquantaine de personnes. Ce travail de six mois a débouché sur un rapport qui dresse un tableau des différentes réserves, établit un diagnostic et émet des propositions concrètes pour améliorer l’efficacité des réserves. La présente proposition de loi reprend l’une des conclusions de ce rapport.
Nous sommes partis du constat que la France devait se préparer à faire face à des crises de toute nature, qu’elles soient d’ordre militaire, sécuritaire ou sanitaire, ou encore consécutives à une catastrophe naturelle ou à un désastre technologique, voire les deux à la fois, comme celle que connaît actuellement le Japon.
Le pire n’est jamais sûr, mais il est du devoir des pouvoirs publics de s’y préparer, tout en ayant conscience que le danger se présentera sous une forme que nous n’aurons sans doute pas prévue.
Dans le prolongement du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, nous nous sommes interrogés sur la capacité des pouvoirs publics à faire face à ces crises, en fonction de chaque type de scénario.
Nous avons donc étudié le recours aux réserves sous l’angle des situations de crise. Nous avons dressé un bilan de la montée en puissance des réserves militaires, bien sûr, qui forment plus de 90 % des effectifs, mais aussi de celle des réserves civiles, qui se sont constituées plus récemment : réserve de la police, réserve sanitaire ou réserve communale de sécurité civile.
Nous avons constaté que ces réserves remplissent aujourd’hui deux fonctions majeures.
Tout d’abord, elles constituent un renfort ponctuel dans le cadre d’activités programmées du quotidien. Les réserves servent alors d’appoint, de forces intérimaires. Le cas le plus emblématique est celui de la gendarmerie, qui utilise l’été plus de mille réservistes par jour, pour faire coïncider au mieux ses effectifs avec ses engagements. Cette activité programmée, qui mobilise les réservistes en moyenne vingt jours par an, permet d’entraîner et d’entretenir des réserves professionnelles. Elle est essentielle à la deuxième fonction des réserves, celle qui nous intéresse aujourd’hui, consistant à compléter les forces d’active en situation de crise.
Les crises majeures sont celles qui peuvent conduire à saturer, dans la durée, les capacités des forces d’active, des administrations et des services de secours.
Dans les premières heures d’une crise, ce sont évidemment les professionnels qui interviennent. En revanche, les réserves peuvent être très utiles, voire indispensables, pour tenir dans la durée et pour permettre une rotation des effectifs.
À petite échelle, c’est un système qui fonctionne déjà de façon assez remarquable dans les états-majors des zones de défense. Ces états-majors comptent 75 % de réservistes, comme nous l’avons constaté à Bordeaux, où une telle structure a dû gérer la crise consécutive à la tempête Xynthia, voilà maintenant un peu plus d’un an.
Dans le contexte structurel de diminution des effectifs des personnels de l’État, il nous paraît important que les pouvoirs publics puissent, en cas de crise majeure, faire appel à des renforts de professionnels entraînés. Les réserves militaires et civiles ont vocation à répondre à ce besoin.
Il faudrait, nous dit-on, évacuer plus de 800 000 personnes en cas de crue de la Seine, sécuriser des milliers de sites en cas de vague d’attaques terroristes. Il est donc important, sinon essentiel, que les pouvoirs publics puissent compter sur un renfort constitué de volontaires formés, intégrés aux forces d’active et pleinement opérationnels.
Or, lors de notre mission, nous avons constaté que les réserves, telles qu’elles sont organisées aujourd’hui, ne sauraient contribuer efficacement à la gestion de crises majeures, pour deux raisons principales, tenant au manque de disponibilité et de réactivité des réservistes.
Le premier constat est que la disponibilité réelle des réservistes n’est pas vérifiée.
Il y a, d’un côté, le problème de la multiplication des filières de réserve et de la possibilité, pour un réserviste, d’appartenir à plusieurs réserves. Ce problème est réel, mais relativement marginal.
Il y a, de l’autre côté, la question des réservistes ayant comme activité principale un emploi où ils sont fortement sollicités en période de crise. Cela concerne toutes les personnes qui travaillent dans des services de sécurité ou de secours, comme les policiers ou les pompiers, mais aussi les policiers municipaux, ainsi que tous les salariés qui sont intégrés dans des plans de continuité d’activité d’administrations ou d’entreprises essentielles au bon fonctionnement du pays. Je pense en particulier ici à France Télécom, à la SNCF, à EDF, bref à ce que le code de la défense appelle les opérateurs d’importance vitale.
S’il est nécessaire de pouvoir disposer des réservistes en cas de crise, il faut s’assurer que ces salariés-là ne soient pas mobilisés. Il est en effet dans l’intérêt collectif qu’ils participent dans leur poste de travail à la gestion de la crise. D’ailleurs, dans la plupart des cas, ils ne viendraient pas si on le leur demandait, mais encore faut-il le savoir, et déterminer sur qui les réserves peuvent réellement compter. Aujourd’hui, aucun dispositif d’identification ne permet de mesurer l’importance de ces doubles appartenances, ni d’organiser des priorités.
Le second constat est celui de l’absence de réactivité des réservistes en cas de crise.
Actuellement, le code de la défense prévoit, par exemple, que le réserviste militaire ayant signé un contrat d’engagement à servir dans la réserve, ou ESR, qui souhaite accomplir une mission pendant son temps de travail doit prévenir son employeur avec un préavis d’un mois. Si la durée de cette activité dépasse cinq jours, l’employeur a la possibilité de refuser le départ de son salarié. On comprend, dans ces conditions, que la réserve n’est pas conçue et pensée comme un outil de réponse aux situations de crise : un mois de préavis, cinq jours de disponibilité, ce n’est pas adapté !
Nous sommes donc partis de ce constat pour élaborer un mécanisme qui permette de mobiliser les réservistes plus rapidement, pour des durées plus longues, sans pour autant modifier les règles de gestion quotidienne des réserves.
En effet, il nous a paru important de ne pas alourdir les contraintes qui pèsent au quotidien sur les réservistes et sur les entreprises qui les emploient. Il y a là un équilibre fragile qu’il convient de préserver, si l’on ne veut pas tarir le recrutement de volontaires.
En conséquence, nous n’avons pas voulu modifier les règles de gestion des réserves pour les activités programmées des réservistes. En revanche, nous avons souhaité créer un instrument pour répondre à des besoins exceptionnels, dans des circonstances exceptionnelles.
Nous l’avons fait après avoir constaté que les régimes juridiques d’exception, comme l’état d’urgence ou la mobilisation générale, n’étaient pas adaptés. Certains d’entre eux ne visent pas les réservistes, les autres sont tellement attentatoires aux libertés publiques que l’on imagine mal qu’ils puissent être utilisés en cas de catastrophe naturelle, de pandémie ou de crise terroriste.
Accroître la réactivité, mieux cerner la disponibilité des réservistes, ne pas alourdir les contraintes des employeurs, voire faciliter l’emploi des réservistes au sein des entreprises par le biais d’une disposition fiscale : monsieur le ministre, mes chers collègues, telles furent nos motivations.
Partant de là, nous avons été amenés à élaborer un régime juridique d’exception temporaire, définissant, en cas de crise majeure, des règles de mobilisation des réserves contraignantes et dérogatoires au droit commun.
Le dispositif que nous vous présentons, dit « de réserve de sécurité nationale », est distinct des régimes juridiques d’exception, mais il s’insère lui aussi dans le chapitre du code de la défense dédié aux régimes d’application exceptionnelle. Nous contournons ainsi la question de la modernisation de ces régimes d’exception, pour nous concentrer sur celle des réserves. Cette modernisation reste néanmoins une nécessité.
Ce texte définit un régime spécifique aux cas de crise majeure, dont la mise en œuvre sera déclenchée par décret du Premier ministre. Ce régime d’exception temporaire ne concerne évidemment que les citoyens engagés dans les réserves militaires et civiles. Le décret définira la durée du préavis et celle de la mobilisation, dans la limite de trente jours renouvelables.
Ce texte offre aux forces armées et aux administrations disposant de réserves civiles un régime juridique qui leur permettra, si elles le souhaitent, de mobiliser, en plus des forces d’active immédiatement engagées dans la gestion de la crise, des forces de réserve, dans un délai plus rapide et pour une période plus longue que ce qui est prévu dans le cadre des activités programmées des réservistes.
Ce cadre juridique vise ainsi à fiabiliser l’engagement de réservistes dans la gestion d’une crise majeure. Il devrait permettre leur intégration dans les différentes planifications de crise.
À l’évidence, le recours à cette forme de contrainte qu’est la mobilisation doit être réservé à des événements majeurs qui, par leur ampleur ou leur durée, saturent les capacités des forces d’active des armées, des forces de protection civile et des services de secours.
Il ne s’agit pas de mobiliser les réservistes tous les quatre matins, et c’est pourquoi nous avons prévu que le dispositif ne puisse être utilisé qu’« en cas de survenance d’une crise majeure dont l’ampleur met en péril la continuité des services de l’État, la sécurité de la population ou la capacité de survie de la nation ». Dans ces circonstances, et dans ces circonstances seulement, le Premier ministre pourra recourir à cette forme de mobilisation. Les réservistes seront alors dans l’obligation de rejoindre leur affectation, sous peine d’amendes, lorsque l’autorité dont ils relèvent au titre de leur engagement les convoquera.
Ce n’est pas le Premier ministre qui les convoquera, mais bien les autorités gestionnaires des réserves. Le dispositif proposé prévoit que les prérogatives des ministères en matière de gestion de leurs réservistes seront strictement respectées. Les réservistes seront ainsi convoqués et employés par le ministère dont ils dépendent.
Sur ce point, le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale suggérait une autre solution, en préconisant une gestion interministérielle des réserves militaires et civiles. Nous avons étudié cette hypothèse. Elle nous est apparue, à l’examen, contradictoire avec l’intégration de ces réserves aux forces d’active.
Dans les armées et la gendarmerie nationale, les réservistes sont gérés et entraînés parmi les autres militaires et avec eux. Dès lors, parler d’une gestion interministérielle des réserves militaires et civiles, mettre en place une sorte de « pot commun » des réserves n’a guère de sens. Les réservistes sont à la fois attirés par un engagement volontaire et par un métier spécifique au titre duquel ils ont choisi de servir. Modifier de façon importante le fonctionnement actuel des différentes réserves pourrait entraîner un effondrement des effectifs. Pour toutes ces raisons, nous avons souhaité préserver leur autonomie de gestion.
Il nous semblerait toutefois utile, monsieur le ministre, d’harmoniser certaines règles. Il est sans doute peu compréhensible, pour les employeurs, qu’un réserviste ait un droit non opposable à cinq jours d’activité par an quand il sert dans l’armée, mais à dix jours quand il relève de la police, et que la durée du préavis soit également différente.
Tout au long de notre travail, nous avons estimé que les entreprises, en tant qu’employeurs de réservistes, constituaient un élément central du dispositif. Nous avons la conviction que la qualité et les performances de nos réserves dépendront de la qualité des relations que les différentes réserves sauront nouer avec les employeurs.
C’est pourquoi nous avons proposé, dans le titre II de la proposition de loi, intitulé « Des entreprises employant des réservistes », l’extension aux réservistes des dispositions relatives au mécénat. Il s’agissait de permettre que les entreprises, qui maintiennent les salaires des réservistes pendant leur activité au titre de la réserve, puissent déclarer ces dépenses au titre du mécénat.
La commission a supprimé cette disposition. Je comprends les réticences de son rapporteur, mais je crois que des actions doivent être menées pour valoriser les entreprises qui emploient des réservistes. Tous les rapports sur les réserves soulignent cette nécessité, mais peu de choses ont été faites à cet égard.
Monsieur le ministre, nous n’avancerons pas sur ce dossier si nous n’impliquons pas davantage les employeurs des réservistes. Vous nous avez dit, en commission, que vous nous présenteriez des propositions visant à inciter les entreprises à contribuer au bon fonctionnement des réserves : sachez que ces propositions sont attendues.
Les entreprises sont également au cœur d’un des amendements de la commission concernant la rénovation du service de défense. Cette rénovation permettra, en cas de crise, aux opérateurs d’importance vitale de maintenir à leur poste les salariés participant aux plans de continuité d’activité et de les exempter de toute mobilisation. C’est une bonne chose. Comme nous l’avons vu après la tempête Xynthia, l’enjeu, une fois passé le pic de la crise, est le rétablissement de la distribution d’électricité et d’eau, des télécommunications, des liaisons routières et ferroviaires.
En conclusion, mes chers collègues, j’ai la conviction que ce texte peut être utile, mais j’ai aussi le sentiment qu’après son adoption il faudra aller plus loin, notamment dans deux directions.
En premier lieu, l’intervention des réserves en temps de crise sera d’autant plus performante que leur mode de fonctionnement en période normale sera efficace. C’est particulièrement vrai des réserves militaires. De ce point de vue, je crois que nous sommes tous d’accord sur la nécessité d’aborder une nouvelle étape dans la définition et la gestion d’une réserve militaire plus compacte, plus réactive et mieux formée.
Monsieur le ministre, je souhaiterais que vous saisissiez cette occasion pour nous indiquer vos intentions dans ce domaine. Vos prédécesseurs avaient lancé des chantiers sur la définition des besoins, sur le format et l’organisation territoriale des réserves, sur la gestion des ressources humaines. Après le temps de la réflexion, voici venu, nous semble-t-il, le temps de la décision. Les réserves et les réservistes ont besoin de savoir où ils vont, comment ils s’intègrent dans la transformation des armées qui est en cours.
En second lieu, il est nécessaire de renforcer les réserves civiles.
La tentation de recourir aux réserves militaires pour des missions civiles ou celle de fondre les réserves dans une réserve commune de citoyens volontaires résultent, dans une large mesure, de la faiblesse des réserves civiles, de création, il est vrai, beaucoup plus récente. Je pense ici à la réserve sanitaire, qui peine à atteindre les objectifs assignés, ainsi qu’aux réserves communales de sécurité, qu’il convient de relancer. Les retours d’expérience montrent qu’on ne dispose pas, en France, d’une réserve suffisante pour accompagner la montée en puissance d’un plan « pandémie », que ce soit sur le plan médical ou sur le plan administratif.
Notre pays ne dispose pas non plus, comme l’Allemagne, d’une réserve de protection civile susceptible de venir au secours des populations lors de ce que j’appellerai « l’après-après-crise ». Lorsque les secours sont déjà intervenus, les pompiers partis, les projecteurs des médias tournés vers de nouveaux événements, de nombreuses opérations de déblayage et de soutien aux personnes sont nécessaires.
Or, dans cette phase, les services publics sont débordés, les services de secours, qui ont donné toute leur mesure au moment de la crise, considèrent que la situation ne relève plus du secours ni de l’urgence. Dès lors, les victimes de ces catastrophes se trouvent démunies, sans assistance pour dégager les voies de circulation ou vider les maisons dévastées. Certes, les bonnes volontés s’organisent. Mais elles sont parfois peu nombreuses au regard des besoins. Elles sont naturellement peu structurées. Bien sûr, des leaders naturels s’imposent, soit par leur charisme, soit par leurs fonctions, notamment électives. Mais je regrette qu’il n’existe pas, pour cette phase-là, un mode d’organisation structuré qui permettrait de décupler les moyens des services publics en vue d’assurer le retour à la normale.
Or, une des pistes pour répondre à ce besoin est de renforcer les réserves de sécurité civile. C’est pourquoi cette proposition de loi devra, me semble-t-il, être complétée, dans un second temps, par un volet relatif au code général des collectivités territoriales.
Je voudrais, à travers vous, monsieur le ministre de la défense, interpeller votre collègue le ministre de l’intérieur sur la nécessité de réfléchir à l’opportunité de plusieurs mesures : l’instauration d’une obligation, pour les plans communaux de sauvegarde, de comporter un volet relatif aux réserves communales de sécurité civile ; la création de réserves départementales de sécurité civile, d’autant plus souhaitable depuis que les effectifs des directions départementales de l’équipement ont été transférées au département ; la possibilité de rémunérer les réservistes communaux au même titre que les autres réservistes.
Je suggère par ailleurs, au vu des retours d’expérience des tempêtes Martin, Klaus et Xynthia, d’engager une réflexion sur la mise en place d’une réserve de protection civile destinée à renforcer les moyens des préfectures. Ces dernières ont besoin de renforts pour le suivi et la gestion des crises, sur le modèle de ce qui est fait dans les états-majors militaires. Une piste serait d’ouvrir cette réserve aux pompiers professionnels retraités.
J’invite donc le ministère de l’intérieur à se saisir de ce dossier, au titre de ses compétences en matière de collectivités locales, mais également de conduite et de planification de la gestion des situations de crise sur le territoire national.
En attendant, je souhaite que ce texte apporte une modeste contribution, venant s’ajouter à l’ensemble des mesures prises à la suite de la parution du Livre blanc pour améliorer la capacité de la France à répondre à des crises tant sur la scène internationale que sur le territoire national. Je crois qu’il peut être utile pour accroître la capacité du pays et des pouvoirs publics à résister aux conséquences d’une agression ou d’une catastrophe majeure.
C’est pourquoi je vous demande, mes chers collègues, en mon nom et en celui de Mme Garriaud-Maylam, de bien vouloir voter ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des affaires étrangères, rapporteur.
M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, rapporteur. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je voudrais, en préambule, remercier et féliciter très chaleureusement M. Boutant et Mme Garriaud-Maylam du remarquable travail qu’ils ont effectué. Ils sont allés au fond du sujet, et leur rapport est un document de référence, dont tous les destinataires disent, à juste titre, le plus grand bien.
En étudiant la question des réserves sous l’angle des situations de crise, ils ont, me semble-t-il, abordé le problème de la bonne manière.
En effet, les crises sont des moments de vérité, des circonstances où les forces d’active des armées, des services de police et de secours sont mises à l’épreuve, une épreuve où leurs capacités peuvent se trouver saturées en raison de la durée ou de l’intensité de la crise.
C’est dans ces instants-là que l’existence des forces d’appoint que constituent les réserves prend tout son sens. C’est dans ces moments-là que l’on voit si un dispositif comme celui des réserves fonctionne ou pas.
De ce point de vue, le travail remarquable de nos collègues n’a pas manqué, monsieur le ministre, de susciter certaines inquiétudes. À la vérité, nous ne sommes pas sûrs, comme l’a dit Michel Boutant, que si demain la France connaissait le même drame que le Japon, que si nous avions à revivre une vague d’attentats ou à intervenir, massivement et dans la durée, sur plusieurs théâtres d’opération, nous pourrions compter sur un dispositif de réserves pleinement opérationnel.
Cette proposition de loi est née de cette inquiétude. Ses auteurs, et c’est tout l’intérêt de leur démarche, sont partis de la question des besoins des forces d’active. Au-delà du dispositif juridique, que la commission – je le souligne – a adopté à l’unanimité, il faudra, me semble-t-il, monsieur le ministre, prolonger cette interrogation sur les besoins.
En matière de recrutement, d’entraînement et d’affectation, l’État doit savoir dans quel cadre, pour quel emploi, pour quels scénarios les pouvoirs publics auront besoin de recourir à des réservistes. C’est cette question-là qui doit guider la définition du format des réserves, de leur composition et de leur organisation.
Les réservistes doivent être utiles à leurs employeurs, et les besoins ont changé. Ils ont changé, parce que les menaces se sont diversifiées, parce que les armées se sont professionnalisées. La réserve de masse des journées de mobilisation des deux guerres mondiales ou même de la guerre d’Algérie n’a plus lieu d’être. Il nous faut une réserve de professionnels à temps partiel ; il nous faut oublier les schémas anciens de la mobilisation générale, de la nation en armes, pour mettre en place une réserve professionnalisée, entraînée et intégrée aux forces d’active.
Or, l’organisation actuelle des réserves conserve, à certains égards, les traces de cette réserve de conscription. La professionnalisation des armées est aujourd’hui achevée. Sans doute devons-nous franchir une étape dans la professionnalisation des réserves. Cette proposition de loi y contribuera, en renforçant la réactivité et la fiabilité du recours aux réservistes en cas de crise majeure.
Ce texte concerne les réserves militaires, bien sûr, mais également les réserves civiles naissantes. En cela aussi, il répond à l’évolution des besoins.
Les menaces qui pèsent sur notre territoire national sont aujourd’hui aussi bien militaires que civiles. Les risques potentiels, qu’ils soient d’origine naturelle, sanitaire, technologique ou terroriste, sont autant de puissants facteurs de déstabilisation pour la population et les pouvoirs publics. Les illustrations de ce fait ne manquent pas, hélas !
Le dispositif proposé, dit « de réserve de sécurité nationale », offre une réponse adaptée à ces menaces, qui sont au cœur du continuum sécurité-défense.
Cela ne signifie pas qu’il ne faille pas rester dans une logique de métier. Je suis de ceux qui pensent que les réserves militaires doivent demeurer affectées à des tâches militaires. Nous perdrions, me semble-t-il, en compétences à constituer un grand réservoir de bonnes volontés, composé de réservistes civils et militaires.
Les réserves militaires – faut-il le rappeler ? – doivent d’abord servir de complément aux forces militaires d’active, notamment en cas de projection massive des armées françaises à l’étranger. Il faut savoir que, en l’état de nos effectifs, une projection massive et simultanée de nos forces sur plusieurs théâtres d’opération ne pourrait durer plusieurs mois sans le recours aux réservistes, soit pour remplacer des hommes sur le territoire national, soit pour les envoyer eux-mêmes sur les théâtres d’opération. Je ne crois pas que l’environnement international soit suffisamment prévisible pour que l’on puisse totalement exclure cette seconde hypothèse. L’actualité témoigne tous les jours que ce qui était impensable hier peut devenir demain notre quotidien.
Cela ne veut pas dire que les armées ne doivent pas être mises à contribution lors de crises d’ordre civil, en particulier à l’occasion de catastrophes naturelles. Bien au contraire, chaque fois que leur savoir-faire et leurs matériels sont indispensables, les armées doivent, pour la gestion des crises, se mettre à la disposition des autorités civiles. On l’a vu lors de la tempête Xynthia : sans l’intervention des hélicoptères Super Puma, le nombre de morts aurait été autrement plus important. Les Français doivent pouvoir compter sur le savoir-faire des armées pour assurer leur sécurité.
En ce sens, cette proposition de loi va contribuer à renforcer la résilience de la nation. C’est une réforme peut-être modeste dans sa formulation, mais utile pour accroître la capacité des pouvoirs publics à assurer la continuité de l’État. Car on le voit, dans un Japon meurtri par le séisme et le tsunami, ce qui est au cœur de la demande des citoyens à l’égard de l’État, c’est le rétablissement du fonctionnement régulier des services publics de base. Or, les réserves militaires et civiles ont vocation, lorsque les forces d’active sont débordées, à contribuer à ce rétablissement. L’objet même de cette proposition de loi est de rendre cette contribution opérationnelle.
En ce qui concerne le dispositif lui-même, le texte proposé par nos collègues nous a semblé à la fois pragmatique et utile. Je voudrais en souligner un aspect important, à savoir la souplesse de l’instrument. En effet, il s’agit non pas d’une mobilisation générale des réservistes, mais de la possibilité, pour le Premier ministre, de permettre aux administrations qui gèrent les réserves de mobiliser, selon leurs besoins, des réservistes de leur choix.
Paradoxalement, on aboutit, il est vrai, à l’introduction d’une forme de contrainte dans un régime de volontariat, par la réquisition de volontaires.
Au quotidien, le réserviste est, à chaque instant, en mesure d’accorder ou non son temps à son corps de rattachement. Ce dernier a, de son côté, le choix d’utiliser ou non ce réserviste. La mise en œuvre du dispositif de la proposition de loi viendra rompre temporairement cet équilibre, en permettant de contraindre le réserviste à répondre présent. Il restera un volontaire, librement engagé dans la réserve, mais il sera, en cas de circonstances exceptionnelles, requis d’accepter la mission qu’on lui confiera au nom de l’intérêt général d’une nation en crise.
La commission que j’ai l’honneur de présider a adopté ce dispositif à l’unanimité. Elle a, en revanche, supprimé le volet fiscal de la proposition de loi ; je voudrais m’en expliquer.
Sur le fond, nous estimons justifié d’aider les entreprises qui emploient des réservistes. Il est normal d’aider des employeurs qui acceptent de se séparer de leurs salariés vingt jours par an : c’est une forme de civisme qu’il convient d’encourager.
Cependant, la solution trouvée nous a laissés sceptiques. Une telle disposition fiscale risquait d’être assez complexe à mettre en œuvre. Le dernier dispositif de ce genre a été rendu d’ailleurs tellement complexe par les services fiscaux que pratiquement aucune entreprise n’a cherché à en bénéficier. De plus, symboliquement, il était difficile d’expliquer que lorsqu’une entreprise laisse partir ses réservistes pour qu’ils aillent porter secours aux victimes d’une catastrophe, elle puisse être rétribuée au titre du mécénat.
Au-delà de ces objections, nous considérons que cette mesure de nature fiscale devait être discutée lors de l’examen du projet de loi de finances. À un moment où le Gouvernement souhaite inscrire dans la Constitution un monopole des lois de finances pour l’ensemble des mesures fiscales, il ne paraissait pas opportun de déroger à cette règle de bonne gestion qui s’impose déjà à l’exécutif.
Il reste que la motivation de fond demeure. Je crois, avec Michel Boutant et Joëlle Garriaud-Maylam, que la qualité de nos réserves dépendra de la qualité des relations que l’État saura entretenir avec les entreprises employant des réservistes. Dès lors, monsieur le ministre, qu’entendez-vous faire pour inciter les entreprises à employer des réservistes ?
La commission a par ailleurs adopté, sur mon initiative, un nouvel article, afin d’adjoindre à la proposition de loi un toilettage du dispositif dit « du service de défense ».
Le texte de nos collègues prévoit, lorsque le dispositif de réserve de sécurité nationale sera déclenché, que les réservistes seront dans l’obligation de rejoindre leur affectation. Toutefois, ceux qui sont employés au sein d’une entreprise ou d’une administration essentielle au bon fonctionnement du pays pourront déroger à cette obligation.
Les personnes indispensables au fonctionnement de leur administration ou de leur entreprise, notamment dans les domaines des télécommunications, des transports ou de l’énergie, ne doivent évidemment pas être réquisitionnées. Elles doivent contribuer, dans leur poste, à la gestion de la crise et au rétablissement de la situation au sein de leur entreprise. C’est de bonne gestion, et cela a été prévu.
Mais cette préoccupation liée à la continuité de l’action des services de l’État et des opérateurs est également au cœur du dispositif dit « de service de défense ». Or, la proposition de loi ne modifie pas ce dispositif, qu’il est pourtant nécessaire de rénover.
Ce système, créé à la fin des années cinquante, souffre en effet, sous sa forme actuelle, d’insuffisances importantes. Bien qu’il ait été adapté en 1999, il n’est pas mis en œuvre. Son dispositif juridique le lie étroitement à des situations, telle la mobilisation, devenues aujourd’hui improbables.
Rénover ce dispositif présente l’intérêt de bien coordonner les obligations qui résultent du service de défense avec celles qui sont liées à la proposition de loi. Mais cela permet surtout de rendre opérationnel un mécanisme essentiel à la capacité des opérateurs d’importance vitale à résister aux conséquences d’une agression ou d’une catastrophe majeure, puis à rétablir rapidement leur fonctionnement normal. Nous retrouvons cette préoccupation d’assurer, en toute circonstance, la continuité de l’État et des services publics de base.
En conclusion, je voudrais souligner plusieurs points.
Je dirai d’abord quelques mots sur la méthode.
On a parfois douté de la capacité d’initiative du Parlement. Certains jugent que la qualité des propositions de loi ne peut pas rivaliser avec celle des projets de loi, qui font l’objet d’une longue préparation, fruit d’un diagnostic approfondi que seules les administrations prennent le temps d’établir. Le travail de nos collègues apporte un démenti à cette idée. Partant des travaux du Livre blanc, les auteurs de la proposition de loi ont mené, depuis près d’un an, un travail de réflexion méthodique, qui débouche aujourd’hui sur ce texte, lequel a fait l’objet, au cours de la mission, d’un dialogue fourni au sein d’un groupe de travail animé par le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale. Celui-ci a bien voulu assurer, avec les services du Sénat, une coordination interministérielle, afin que ce texte puisse être analysé, commenté et enrichi par l’ensemble des administrations concernées.
Cette proposition de loi est donc le fruit d’un dialogue construit entre le législatif et l’exécutif, selon une démarche qui nous semble être de bonne méthode et à l’honneur du travail parlementaire.
Ce travail est une première étape. Je crois que ce texte doit être accompagné d’une remise à plat de la politique des réserves, qui permette, dans un premier temps, de préciser les besoins, les emplois et le format des réserves dont les pouvoirs publics ont besoin.
Avons-nous besoin d’un million de jours d’activité de réservistes pas an ? Les armées savent-elles former, entraîner et employer 40 000 réservistes hors gendarmerie ? Ne faut-il pas réduire le format et augmenter la durée moyenne d’activité ?
Rien ne sert de faire du chiffre, d’afficher des formats qui reflètent la nostalgie des armées de conscription. Je ne citerai à cet égard qu’un chiffre, que je vous laisse méditer : 60 % des réservistes qui ne renouvellent pas leur contrat ont effectué moins de cinq jours d’activité dans l’année qui précède leur départ. Des réservistes quittent la réserve faute de se sentir utiles : doit-on les en blâmer ?
Dans un second temps, il faut, me semble-t-il, améliorer la gestion quotidienne des réserves. On ne peut que s’étonner des délais de paiement des soldes des réservistes ou de la lourdeur des procédures, sujets dont on parlait déjà voilà dix ans et qui demeurent d’actualité…
On s’interroge souvent sur ce que l’on pourrait faire pour valoriser l’engagement des réservistes. Je crois qu’il n’est pas nécessaire de chercher bien loin : il faut bien les gérer, c’est-à-dire les payer en temps utile et avoir une gestion du personnel adaptée à leur condition ; il faut bien les utiliser, c’est-à-dire dans des emplois utiles et si possible en rapport avec leur qualification. Je rejoins ce qui a été dit : la meilleure valorisation du réserviste, c’est sa satisfaction. C’est en l’assurant que nous attirerons des jeunes.
Enfin, il faut à mon sens réfléchir à une refonte du contrat d’engagement des réservistes.
On ne peut que constater le caractère ambigu du contrat passé entre le réserviste et les armées : ambiguïté quant aux obligations réciproques des deux parties, ambiguïté quant au statut de l’employeur, qui, sans être partie au contrat, se trouve de fait engagé.
Les auteurs de la proposition de loi s’étaient inquiétés à juste titre, au cours de leur mission, de voir tant de volontaires taire leur appartenance à la réserve. Ils devraient, au contraire, pouvoir en être ouvertement fiers. Il est pour le moins anormal qu’il faille se cacher pour servir son pays ! Cette situation de clandestinité jette un doute sur l’efficacité du dispositif en cas de crise : peut-on vraiment compter sur un dispositif composé en majorité de clandestins ?
On comprend que les réservistes accomplissent l’essentiel de leurs jours d’activité pendant les week-ends et les vacances, mais le jour où les pouvoirs publics auront vraiment besoin d’eux ne tombera pas forcément un dimanche. Le chef d’entreprise ne doit pas découvrir ce jour-là l’appartenance de son salarié à la réserve ; il doit en avoir connaissance bien avant et pouvoir en anticiper les conséquences : c’est l’intérêt des entreprises, c’est aussi l’intérêt des armées que de disposer de réserves fiables.
C’est pourquoi la commission se demande si les armées n’auraient pas intérêt à sortir de l’ambiguïté du contrat actuel, pour consacrer le réserviste comme un militaire à temps partagé, et s’il ne faut pas aller vers un contrat tripartite de temps partiel adapté à la situation des réservistes.
Cette réflexion vaut pour l’ensemble des réserves, car, à n’en pas douter, il faudra, à terme, harmoniser les caractéristiques des contrats des réserves militaires et civiles. Michel Boutant l’a dit tout à l’heure, il n’est pas compréhensible, pour un employeur, que les règles soient différentes selon que le salarié est réserviste dans la police ou dans la gendarmerie. Tout n’a pas à être identique, mais il faut au minimum harmoniser les règles de préavis et de durée d’activité opposable.
Avec un contrat tripartite de temps partiel adapté à la situation des réservistes, il y aura peut-être de la « perte en ligne », mais ce que vous perdriez en termes d’effectifs, vous le gagneriez sans doute en fiabilité. C’est pourquoi nous vous demandons, monsieur le ministre, de bien vouloir réfléchir, dans un cadre interministériel, à l’opportunité d’instaurer un contrat tripartite de temps partiel fondé sur la polyactivité, équilibré au regard des responsabilités des deux employeurs, civil et militaire, cohérent avec les dispositifs fiscaux et sociaux.
La commission s’interroge également sur le statut des disponibles, c’est-à-dire des anciens militaires d’active soumis à une obligation de disponibilité pendant cinq années après leur départ des armées, qui forment la réserve opérationnelle de deuxième niveau.
Il convient, là encore, de sortir de l’ambiguïté, de bien peser les avantages et les inconvénients de l’abandon ou du maintien des disponibles et d’en tirer les conséquences. Les termes du débat sont aujourd’hui connus. Il faudra trancher et nous doter d’une véritable politique de réserves crédible, cohérente et opérationnelle, répondant aux besoins véritables de la nation.
En attendant, je vous invite, mes chers collègues à adopter ce texte, que la commission a voté à l’unanimité.
À cet instant, permettez-moi d’avoir une pensée pour nos soldats actuellement en opération en Afghanistan ou en Libye, mais aussi de saluer les réservistes qui participent aux opérations extérieures menées par notre pays et qui font preuve d’un très grand civisme.
Dans une société qui valorise plus que jamais la sphère privée, l’engagement dans les réserves suppose des arbitrages délicats avec son métier et sa vie de famille. Je salue cet engagement au service de la collectivité. Un réserviste, disait Churchill, c’est quelqu’un qui est deux fois citoyen : Churchill avait raison ! (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Gérard Longuet, ministre de la défense et des anciens combattants. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je souscris totalement à la présentation faite par M. Michel Boutant de la proposition de loi dont il est l’auteur avec Mme Joëlle Garriaud-Maylam, ainsi qu’aux observations extrêmement justes et convaincues de M. le président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
Il s’agit d’un travail parlementaire né de la volonté d’aller plus loin sur une piste qui avait été ouverte par le Livre blanc, mais dont toutes les implications n’avaient pas été examinées dans le détail.
Le Gouvernement soutient totalement cette démarche et accepte bien volontiers les pistes de réflexion qui ont été ouvertes tant par M. Boutant que par M. de Rohan, même si je ne suis peut-être pas en mesure d’apporter ce soir toutes les réponses qu’ils attendent.
Avant d’évoquer les problèmes, je voudrais, au nom des pouvoirs publics, rendre hommage aux 33 000 réservistes qui se sont engagés volontairement dans une action civique, citoyenne, altruiste, au bénéfice de la collectivité tout entière, et qui relèvent, pour l’immense majorité d’entre eux, du ministère que j’ai l’honneur de diriger.
Le Gouvernement soutient ce texte parce qu’il est équilibré et réaliste. S’il n’épuise pas le sujet en totalité, il nous permet de progresser utilement.
Son dispositif est réaliste, parce qu’il place les réservistes sous l’autorité des ministères concernés, le décret permettant leur mobilisation étant bien entendu pris par le Premier ministre.
En outre, il mettra fin à une conception héritée du passé, selon laquelle les réservistes ne pouvaient être mobilisés qu’en cas d’engagement militaire extrême. Désormais, il pourra également être fait appel à eux en cas de catastrophe naturelle, aucune forme de passivité ou de résignation n’étant plus tolérée dans de telles circonstances où l’État et les ministères compétents doivent pouvoir disposer des moyens nécessaires. Cette proposition de loi permettra de compléter ces moyens par la mobilisation des réservistes.
Cela étant, monsieur de Rohan, les entreprises assurant la continuité d’un service public devront en effet pouvoir conserver leurs salariés.
Le dispositif proposé est également équilibré. Vous avez évoqué, monsieur le président de la commission, les relations avec l’employeur et la possibilité d’établir un contrat tripartite. Il s’agit effectivement d’une voie qui mérite d’être explorée. Vous avez raison de ne pas chercher pour l’heure à imposer cette solution, car le monde de l’entreprise n’y est pas préparé et la ressentirait peut-être, par manque d’explication, comme une nouvelle contrainte. Assurément, précipiter les choses ne serait pas rendre service à nos réservistes, dont un tiers sont des salariés du secteur privé. Pour autant, cette question mérite d’être soulevée.
Conformément au principe de la continuité républicaine, je reprends un dossier que mes prédécesseurs ont suivi. Si la commission a travaillé en partenariat avec le Secrétariat général de la défense nationale, le ministère, de son côté, s’est efforcé d’approfondir les pistes de réflexion ouvertes par le Livre blanc, en commandant trois études.
Une première étude, confiée à l’état-major des armées, a trait à la doctrine d’emploi et aux missions de la réserve opérationnelle.
Une deuxième étude porte très directement sur la question des réserves disponibles et de la règle des cinq ans, laquelle mérite manifestement d’être réexaminée.
Enfin, le Contrôle général des armées doit présenter des propositions sur la gouvernance et la gestion de la réserve militaire proprement dite, tandis que l’Inspection générale des armées se penchera sur la réserve citoyenne, question plus générale qui dépasse la compétence de mon seul ministère.
Ces travaux ayant commencé bien avant que je ne prenne mes fonctions, je peux prendre devant vous l’engagement que les conclusions de ces différentes études seront présentées avant la fin du mois de mai prochain, peut-être à l’occasion de la journée nationale du réserviste, le 4 mai.
D’ores et déjà, monsieur Boutant, je puis vous indiquer que, sur proposition de l’état-major des armées, le ministère lancera dès cet été une expérimentation portant sur la mise en place d’unités élémentaires de réserve employables sur le territoire national en cas de crise majeure de nature civile. Constituées chacune d’une centaine de réservistes militaires opérationnels, elles seront mises à la disposition des délégués militaires départementaux. Elles seront organisées par les états-majors des zones de défense, qui, comme vous l’avez rappelé à juste titre tout à l’heure, sont eux-mêmes composés majoritairement de réservistes. À l’échelon de chaque zone de défense, nous allons nous efforcer d’identifier, parmi les réservistes, ceux qui sont le plus opérationnels, à travers une analyse des situations individuelles. Ces réservistes seront alors placés sous l’autorité des délégués militaires départementaux.
Il est important de rappeler que ces réservistes militaires opérationnels continueront à exercer le mandat initial de leur engagement, l’emploi d’un réserviste militaire à temps partiel devant être de même nature que celui de son compagnon d’active.
Concernant les entreprises du secteur privé qui emploient des réservistes, vous avez sagement demandé à la commission, monsieur de Rohan, de ne pas envisager, pour l’heure, d’instituer un dispositif fiscal tel qu’un crédit d’impôt ou une formule de mécénat, considérant qu’une telle mesure doit être discutée dans le cadre de l’élaboration de la loi de finances.
Vous craignez en outre que certains employeurs ne dissuadent leurs salariés de s’engager en tant que réservistes, ces derniers ayant déjà souvent tendance à rester discrets sur leur qualité.
Conscients de cette difficulté, nous allons mettre en place une politique de communication active en direction des entreprises pour valoriser le label « Partenaire de la défense nationale ». Aujourd’hui, si 313 entreprises peuvent déjà s’en prévaloir, il faut admettre que ce label n’est pas suffisamment connu. Le 4 mai prochain, nous mettrons donc en valeur, à l’occasion de la journée nationale du réserviste, les employeurs privés les plus innovants et les plus actifs en la matière, en créant un prix de l’« entreprise réserviste » qui récompensera deux entreprises, une grande et une petite.
Par ailleurs, nous élaborons avec trois grandes entreprises, MBDA, EADS et GDF-Suez, des conventions concernant l’emploi des salariés réservistes engagés dans des opérations extérieures.
Monsieur le président de la commission, la question n’est pas, en effet, de faire du chiffre : il convient de privilégier la qualité. Notre politique des réserves n’a de sens que si ceux qui s’engagent ont le sentiment d’être utilisés et mobilisés dans des fonctions qui correspondent à leurs qualifications et dans des dispositifs pour lesquels ils ont été préparés et formés.
Je rappelle cependant que nous avions un objectif d’un million de jours d’activité par an pour les réservistes. Si nous atteignons le seuil de 40 000 réservistes – 33 000 sont aujourd’hui en activité –, nous pourrons financer vingt-cinq journées d’activité par an et par réserviste en moyenne, une part significative de celles-ci étant effectuées durant les congés. Nous avons la possibilité de trouver un équilibre entre l’accroissement de l’effectif des réservistes et le maintien d’un niveau suffisant d’activité pour chacun d’entre eux.
À cet égard, monsieur le président de la commission, vous avez indiqué que 60 % des réservistes qui ne renouvellent pas leur contrat ont effectué moins de cinq jours d’activité au cours de la dernière année. Ce chiffre m’interpelle, car il témoigne que nombre de bonnes volontés ne sont pas mobilisées. Nous allons creuser cette question et tenter d’apporter des réponses, notamment le 4 mai prochain.
Vous avez également évoqué à très juste titre la lourdeur des procédures. Nous vivons aujourd’hui dans une société de l’instantané : d’un « double-clic », on peut acheter à peu près n’importe quoi – et s’endetter d’une façon irresponsable ! Nous devons faire en sorte que les soldes des réservistes soient payées plus rapidement, d’autant que des crédits sont disponibles. Ce serait la moindre des choses !
En conclusion, je voudrais indiquer à M. Boutant que le travail qu’il a accompli avec Mme Garriaud-Maylam est soutenu par le Gouvernement et que nous allons approfondir le sujet.
Monsieur le président de la commission, nous connaissons tous vos convictions patriotiques et partageons votre sentiment qu’une collectivité ne saurait être une somme d’individualités indifférentes à l’intérêt commun. L’engagement est nécessaire, dans une association, dans la vie locale ou dans la réserve. Faisons en sorte que les réservistes n’aient plus à cacher leur engagement à leur employeur, public ou privé, comme s’il s’agissait d’une sorte de hobby inavouable ! Cet engagement doit être au contraire une forte et fière expression d’un sens particulièrement aigu de la collectivité. Pour que celle-ci puisse vivre, il est indispensable qu’une minorité de citoyens acceptent de se dévouer pour faire face aux défis que constituent les catastrophes naturelles ou prolonger l’effort de défense au côté des militaires de carrière. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine.
Mme Michelle Demessine. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les événements dramatiques survenus au Japon nous incitent à réfléchir au rôle que les réserves militaires et civiles pourraient jouer, en France, dans l’organisation des secours en cas de crise majeure. En l’occurrence, la catastrophe technologique qui a succédé à la catastrophe naturelle a révélé une relative impréparation des autorités gouvernementales et de l’exploitant nucléaire pour faire face à une telle situation.
Dans leur excellent rapport d’information, nos collègues Joëlle Garriaud-Maylam et Michel Boutant ont brossé un tableau exhaustif et lucide de l’état réel de nos différentes catégories de réserves. Il ressort clairement de ce bilan sans complaisance que la composition et l’organisation actuelles de nos réserves ne leur permettraient pas de réagir rapidement ni d’être opérationnelles dans ce type de situation. En filigrane est posée la question suivante : à quoi servent aujourd’hui nos réserves ?
La proposition de loi que nous examinons reprend quelques-unes des préconisations de ce rapport et a pour ambition d’améliorer le dispositif des réserves.
Malheureusement, je constate que, contrairement au rapport, les solutions qui nous sont proposées ne tiennent pas compte de l’état réel des réserves. Je doute qu’elles permettent de les rendre plus efficaces.
Par ailleurs, cette proposition de loi est ambiguë. Elle s’appuie en effet sur des missions et des effectifs théoriques pour anticiper des crises aux contours mal définis.
En outre, au nom du nouveau concept élaboré dans le Livre blanc, qui amalgame les notions de défense et de sécurité, elle prévoit une utilisation sans discernement de réserves aux vocations différentes. C’est l’un des objectifs principaux de ce texte, dont l’article 2 précise que les membres de la réserve opérationnelle militaire font partie intégrante du dispositif de réserve de sécurité nationale créé par la proposition de loi.
Cela aboutit ainsi très clairement à mettre sur le même plan les réserves militaires et les réserves civiles, sans que les besoins aient été préalablement identifiés ni les missions précisées.
Certes, comme l’indique le rapporteur, en vertu de ce que l’on appelle désormais le « continuum » entre la sécurité et la défense, la frontière entre les missions de protection civile et celles de protection militaire est devenue floue ou « ténue », pour reprendre son expression.
Je suis en désaccord avec une telle conception. En effet, la mise en œuvre de la nouvelle stratégie de sécurité nationale élaborée au travers du Livre blanc, qui a pour conséquence une diminution du format de nos armées, donne une priorité à la gestion des crises avec tous les moyens de sécurité intérieure et de sécurité civile.
La place et le rôle que devrait alors tenir la réserve opérationnelle militaire ne sont pas sérieusement envisagés. Je n’évoque même pas la folklorique réserve citoyenne, deuxième composante de la réserve militaire…
Il me semble ainsi que le principal objectif de cette proposition de loi, faisant suite au constat de l’inexistence de réserves civiles, est tout simplement de faciliter l’utilisation de réserves militaires pour des actions civiles dans des situations exceptionnelles, ce qui ne correspond pas à la vocation première de ces réserves.
Par ailleurs, la proposition de loi de nos collègues tire implicitement les conséquences d’un autre constat.
Nos dispositifs de sécurité et de secours ont été, en théorie, conçus pour fonctionner sans l’apport de réserves. Nous savons tous qu’il est toujours fait appel aux forces militaires d’active dans les situations de crise importante. Ainsi, les régiments du génie apportent régulièrement leur concours aux populations civiles, comme ils l’ont fait par exemple lors de la grande tempête de 1999 ou de la tempête Xynthia.
Par conséquent, prévoir que les quelques réservistes de ces régiments interviendront désormais sur la base de l’obligation, et non plus du volontariat, ne changera pas fondamentalement la situation des réserves.
En revanche, la mise en œuvre de la politique de révision générale des politiques publiques, qui a provoqué une diminution parfois drastique des effectifs des forces d’active des armées et des services de sécurité et de secours, risque d’imposer le recours à des apports extérieurs pour faire face à certaines situations.
Cette tendance à la diminution des effectifs s’accentuera avec la politique aveugle de réduction à tout prix des déficits publics qui est menée. Ainsi, si les procédures du plan ORSEC sont excellentes, leur mise en œuvre risque d’être d’une efficacité limitée, faute de moyens humains et matériels suffisants.
Cette proposition de loi vise donc aussi à prévenir, grâce à des palliatifs, notamment le recours à des supplétifs, les défaillances éventuelles de nos services publics de secours.
Ce texte n’est pas à la hauteur de la profonde révision de la politique des réserves évoquée dans le rapport d’information et par notre rapporteur.
Cette révision devrait concerner tout particulièrement la réserve opérationnelle militaire, qui seule, en l’état actuel des choses, serait à même de fournir, en situation de crise, des réservistes formés et entrainés. Or la réflexion sur son format, la réalité de son emploi et la définition de ses missions n’est pas actualisée. Son format est prioritairement conçu en fonction de critères budgétaires et de prévisions de recrutement, avant même toute estimation des besoins qualitatifs et quantitatifs des armées pour mener à bien leurs activités habituelles ou leurs interventions en situation de crise.
L’insuffisance des moyens que l’État consacre à la réserve opérationnelle militaire montre d’ailleurs qu’elle n’est pas vraiment considérée comme une composante à part entière et nécessaire des armées.
Ainsi que le soulignait fort justement le rapport d’information de nos collègues, les moyens affectés aux réserves militaires ne permettront pas, si le Gouvernement poursuit son action à ce rythme, d’atteindre les objectifs fixés par la loi de programmation militaire au titre du Livre blanc : disposer, en fin de programmation, de 40 000 réservistes opérationnels, qui accompliraient des périodes d’activité pour un total de vingt-cinq jours par an.
Or, contrairement aux prévisions sur la montée en puissance de la réserve opérationnelle, nos armées avaient perdu, au début de l’année 2010, 1 269 réservistes par rapport à 2009, et la gendarmerie 549. Cette diminution est essentiellement due à des départs et à des non-renouvellements de contrat.
Eu égard à ce constat, il est d’autant plus nécessaire que l’institution et le Gouvernement s’interrogent rapidement sur les besoins, le format des réserves et l’état d’esprit des réservistes.
La dotation prévue dans la loi de finances a tout juste permis de maintenir un effort budgétaire pourtant déjà insuffisant. Pourra-t-elle vraiment permettre d’atteindre cette année une durée moyenne d’activité de nos réservistes de vingt-deux jours ?
C’est un minimum, car le maintien d’un taux d’activité suffisant, qui doit bien sûr être différencié suivant l’emploi et les unités, est une condition essentielle pour que la valeur des réserves militaires soit réelle et reconnue.
Je sais, monsieur le ministre, que cette réflexion sur la politique des réserves militaires est engagée et que la commission aura bientôt à débattre de ce sujet.
C’est pourquoi je m’interroge sur l’utilité réelle des mesures présentées dans le texte que nous examinons.
Dans la pratique, ces mesures seront d’une portée très limitée, sauf d’un point de vue juridique, car elles n’amélioreront aucunement la situation des réservistes militaires opérationnels, qui, j’y insiste, sont les seuls à avoir une activité réelle et régulière.
Je pense donc que le seul mérite de cette proposition de loi est d’appeler l’attention sur la nécessité de disposer de forces de réserve pour pallier les défaillances éventuelles de nos services publics de sécurité et de secours dans une situation de crise exceptionnelle. Elle a pour principal défaut d’envisager des hypothèses sur le fondement de situations tout à fait théoriques.
Tout est suspendu à une réflexion plus globale sur le rôle et la place de l’ensemble des réserves, concernant évidemment les réserves militaires, mais aussi la réserve de la police nationale, qui est en train de changer de nature depuis l’adoption de la seconde loi sur la sécurité intérieure, ou encore les fantomatiques réserves communales de sécurité civile, sans même parler de la réserve sanitaire ou de la réserve pénitentiaire, qui restent à créer.
Nous avons tous conscience ici que l’organisation de la réserve militaire et du service de défense, après la réforme du service national de 1997, qui a suspendu la conscription, ne correspond plus à la réalité et aux nouvelles missions.
Le texte issu des travaux de la commission, à la suite de l’adoption des amendements de M. de Rohan, vise dans un premier temps à apporter une réponse juridique en rénovant l’ensemble du dispositif des réserves. À cette fin, il tend à améliorer celui-ci en coordonnant un service de défense, qui pourrait mieux fonctionner, avec un dispositif de sécurité nationale qui n’existe encore que sur le papier.
Or, tant que les réserves militaires n’auront pas été repensées et que des forces de réserve civiles n’auront pas vu le jour, nous légiférerons sur du virtuel.
Pour toutes ces raisons, le groupe CRC-SPG s’abstiendra sur cette proposition de loi.
M. le président. La parole est à M. Didier Boulaud.
M. Didier Boulaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui est le fruit d’une coproduction législative rare et remarquable.
Le travail effectué par Mme Garriaud-Maylam et M. Boutant sur la situation de nos réserves a abouti à l’élaboration du rapport d’information adopté par notre commission en décembre dernier. Ce document est à l’origine de la présente proposition de loi, qui définit, pour les réserves, un régime spécifique aux cas de crise majeure, qu’il reviendrait, le cas échéant, au Premier ministre de déclencher par décret.
Le texte offre aux forces armées et aux administrations disposant de réserves civiles un nouveau régime juridique afin de mobiliser des forces de réserve, dans un délai plus rapide et pour une période plus longue que ce qui est prévu dans le cadre des activités programmées des réservistes.
La présentation et l’illustration de la proposition de loi déjà faites par MM. Boutant et de Rohan me dispensent de vanter à mon tour ses qualités.
Nous soutenons les préconisations de bon sens figurant dans le rapport de nos collègues.
Nous approuvons le contenu de la proposition de loi, somme toute assez modeste au regard du vaste chantier ouvert par M. Boutant et Mme Garriaud-Maylam. Le Gouvernement lui-même a soutenu ce texte législatif et l’a, si j’ose dire, parrainé.
Le diagnostic posé par les auteurs du rapport est très clair : dix années après la réforme des réserves militaires et quelques années après l’émergence des réserves civiles, beaucoup reste à faire pour qu’elles soient opérationnelles et efficaces.
Je fais mienne la remarque suivante, formulée par M. de Rohan lors de l’examen de la proposition de loi en commission : « Ce texte doit s’accompagner d’une révision de la politique des réserves. »
En conséquence, mon propos s’adresse en particulier au ministre de la défense.
Monsieur le ministre, les observations et les interrogations du groupe socialiste que je vais maintenant exposer méritent votre attention et appellent des réponses de votre part.
En premier lieu, je ne m’attarderai pas sur le concept quelque peu nébuleux de « continuum sécurité-défense » sacralisé par le dernier Livre blanc et qui sera, de toute façon, remis en débat à l’occasion de la prochaine révision de ce même document, dont la réécriture est devenue inévitable au regard des derniers événements internationaux survenus, y compris dans l’environnement de sécurité qui nous est le plus proche : la Méditerranée et l’Afrique.
Sa révision est aussi devenue incontournable en raison de l’état lamentable des finances publiques, dont le Gouvernement porte la responsabilité… Je n’y insiste pas, mais cette question devra dans quelques mois être abordée in extenso, y compris au sein de notre commission.
En deuxième lieu, les réserves, civiles et militaires, doivent être utiles et utilisées en cas de crise grave. Toutefois, il faudrait aussi qu’une doctrine d’emploi soit explicitée et discutée publiquement. Elle fait défaut actuellement. Quel sera le rôle des réservistes en cas de crise majeure ? Dans quelle hypothèse doivent-ils être utilisés ? Quelle est donc la doctrine d’emploi ? Dans le domaine militaire et surtout dans le domaine civil, des éclaircissements sont nécessaires.
En troisième lieu, à l’heure actuelle, l’État, incapable d’assumer certaines de ses fonctions, y compris régaliennes, est tenté de faire appel aux réservistes pour pallier ses carences. La réponse aux méfaits de la révision générale des politiques publiques se trouve-t-elle dans l’utilisation de la réserve ? Je le dis tout de go : si c’est de cela qu’il s’agit, c’est une mauvaise réponse.
Les militaires forment plus de 90 % des effectifs des réservistes. Dans la gendarmerie, ils sont déjà indispensables au bon fonctionnement de la force. Il y a aussi les réserves civiles, constituées plus récemment : réserve de la police, réserve sanitaire ou réserve communale de sécurité civile. Ces réserves civiles sont-elles destinées exclusivement à constituer un renfort ponctuel en cas de crise grave ou très grave, ou s’agit-il de les utiliser en tant que forces d’appoint, qui viendraient suppléer un État devenu squelettique ?
Ce n’est pas la même chose. Or, dans le contexte actuel de diminution des effectifs des forces d’active des armées, mais aussi, et surtout, de ceux des services de sécurité et de secours, l’État est obligé d’avoir recours à des réserves militaires et civiles en cas de crise majeure. Cependant, l’état actuel de nos réserves – le rapport de nos collègues le montre clairement – ne permet pas de faire face convenablement aux besoins.
Voilà une nouvelle illustration de la nécessité de remettre à plat la politique des réserves.
Ma quatrième remarque découle des précédentes et concerne le nerf de la guerre, c’est-à-dire le budget octroyé aux réserves.
Tout juste suffisant pour la réserve militaire actuelle, ce budget sera, à défaut de modification en cours de route, rapidement dépassé si le contrat sur les réserves contenu dans le Livre blanc est respecté par le Gouvernement.
Si l’on entend disposer de réserves civiles et militaires aptes, bien formées, opérationnelles et rapidement mobilisables, il faudra établir un budget ad hoc et le respecter.
Une autre question se pose : est-ce au ministère de la défense d’assumer ce coût, tout ce coût ?
Dès lors que la réserve pourra être sollicitée pour des impératifs autres que ceux de défense, que la sécurité civile sera de plus en plus concernée, que les réserves sanitaires et communales se développeront, ne serait-il pas envisageable, ainsi que je l’ai proposé en commission, de négocier avec le ministère du budget, comme cela fut le cas pour les OPEX, une ligne spécifique, hors budget de la défense ? Comment, monsieur le ministre, comptez-vous financer cette floraison de réserves ?
Telles sont, mes chers collègues, nos réflexions et nos interrogations sur cette proposition de loi. Le groupe socialiste votera bien sûr ce texte, qui constitue malgré tout un premier pas. Je remercie nos collègues Joëlle Garriaud-Maylam et Michel Boutant d’avoir fait œuvre de pionniers en ouvrant le chantier du renouveau de la réserve dans notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – M. Charles Pasqua applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Marie Bockel.
M. Jean-Marie Bockel. Monsieur le président, monsieur le président de la commission, monsieur le ministre, mes chers collègues, en 2006, lorsque nous avons complété la loi du 22 octobre 1999 portant organisation de la réserve militaire et du service de défense, j’avais eu l’occasion de rappeler ici même combien il était important de conserver un dispositif suffisamment souple pour s’adapter aux évolutions permanentes de nos sociétés et de leurs environnements internationaux.
À mon tour, je tiens à saluer la richesse et la qualité du rapport de nos collègues Michel Boutant et Joëlle Garriaud-Maylam.
Mon statut de réserviste opérationnel et l’implication qui a été la mienne, lorsque j’étais secrétaire d’État à la défense, sur les questions liées à la réserve m’amènent à porter aujourd’hui un regard positif sur cette proposition de loi, même si, comme cela a été dit, ses objectifs sont limités.
Comme l’ont souligné de manière prémonitoire les auteurs de la proposition de loi, la France doit être en mesure de faire face à plusieurs types de crise, y compris des crises qualifiées à juste titre de « majeures » à l’article 1er du texte.
Les événements dramatiques qui se déroulent actuellement au Japon nous rappellent que des catastrophes technologiques peuvent aussi survenir dans notre pays, particulièrement dans une région comme l’Alsace, qui, à l’instar de la Côte d’Azur, est une zone à fort risque sismique. D’ores et déjà, les pouvoirs publics y ont adopté, compte tenu de ces risques technologiques particuliers, des dispositifs de crise adaptés. Ainsi, à Mulhouse, nous avons mis en place un plan communal de sauvegarde, le MO.C.A.MU., qui s’appuie notamment sur des professionnels de la réserve communale. C’est d’ailleurs à cette occasion que je me suis rendu compte de l’utilité que pouvait avoir ce type de réserve, qui permet, en cas de crise, d’apporter une assistance technique et humaine aux personnes sinistrées.
La proposition de loi suggère une interrogation : aurions-nous, le cas échéant, les moyens humains de faire face aux conséquences d’une crise majeure ?
Il est vrai que les forces d’active sont théoriquement en mesure d’affronter une telle situation. Cependant, on sait très bien que, à partir d’une certaine ampleur et d’une certaine durée, le recours aux réservistes serait indispensable, comme il l’est d’ailleurs déjà au bon fonctionnement de l’armée, et pas seulement de la gendarmerie. En effet, les différentes armes ne pourraient assumer leurs missions habituelles ni leurs interventions sur les théâtres d’opération extérieurs si elles étaient privées du concours des réservistes.
Avec un peu plus de 115 000 personnes théoriquement mobilisables, les réserves militaires – y compris celle de la gendarmerie – et civiles constituent donc, sur le plan quantitatif, un apport très important et indispensable à la sécurité nationale.
J’ajouterai que la contribution de la réserve est également essentielle sur le plan qualitatif. Elle constitue un vivier riche de compétences. Cette richesse s’accroît d’ailleurs encore avec le développement des réserves civiles. Je pense ici à la réserve de la police nationale, créée sur le modèle de celle de la gendarmerie, ainsi qu’aux réserves communales, à la réserve sanitaire, à la réserve pénitentiaire.
Tous ces outils, dont la maturation se poursuit en vue de la constitution d’une vaste réserve de sécurité nationale, que suggère le rapport d’information, ont besoin d’être confortés. C’est aussi de cela qu’il est question aujourd’hui, même si, bien entendu, toutes les préconisations du rapport ne sont pas reprises dans la proposition de loi. C’est une première étape, j’espère qu’il y en aura d’autres.
En effet, il faut s’employer à faciliter le déclenchement du dispositif de sécurité nationale en introduisant davantage de souplesse pour la mobilisation et la réquisition des réservistes salariés du privé ou du public. Une crise majeure est généralement soudaine, et la réponse doit être immédiate.
Toutefois, ces dispositifs pouvant apparaître contraignants pour les entreprises qui emploient un ou des réservistes, il est préférable de les assortir d’une protection juridique. Sur ce point, la proposition de loi va également dans le bon sens.
Les réservistes sont des hommes et des femmes animés par l’esprit de défense ou de service, ce qui n’est évidemment pas dans l’air du temps d’une société marquée par l’individualisme et génératrice de nombreuses contraintes professionnelles ou familiales.
Un potentiel existe néanmoins, notamment chez les jeunes : il n’est qu’à voir l’enthousiasme avec lequel un certain nombre d’entre eux s’engagent dans la réserve militaire ou dans d’autres réserves.
C’est pourquoi il est fondamental de ne pas décourager les réservistes, qui s’engagent au service de leur pays et de leurs concitoyens. Il faut leur offrir des garanties juridiques appropriées. Dans le même temps, nous pourrions faire davantage pour encourager de nouvelles vocations. L’esprit de défense n’est pas spontané. Le souvenir des dernières grandes guerres s’éloignant, le lien entre l’armée et la nation s’est effiloché au fil des ans.
Je pense, monsieur le ministre, qu’un important effort de communication pourrait être fait pour promouvoir la réserve de sécurité nationale. La journée nationale du réserviste, qui aura lieu cette année le 4 mai, a le mérite d’exister ; elle prend chaque année un peu plus d’ampleur, mais elle demeure encore trop méconnue. Elle mériterait d’être davantage soutenue et médiatisée. Je sais, monsieur le ministre, que vous ferez des propositions dans ce sens.
Valoriser l’image du réserviste suppose aussi que celui-ci soit plus reconnu. Son parcours citoyen doit être mieux identifié, voire gratifié.
Je n’oublie pas, bien sûr, l’aspect financier, qui contraint sans doute le développement de la réserve.
La commission a supprimé l’article 3 de la proposition de loi qui visait à étendre le dispositif relatif au mécénat aux entreprises mettant des salariés à disposition des réserves pendant les heures de travail. Le président Josselin de Rohan a expliqué dans quel esprit cette décision a été prise. Nous n’aurons donc pas un débat de fond sur le sujet, ce qui est regrettable.
Néanmoins, il n’est pas inutile de rappeler que les moyens budgétaires, quel que soit le degré d’engagement et de satisfaction, sont indispensables au partenariat entre le réserviste et l’employeur, ainsi qu’à la fidélisation des réservistes.
En 2009, alors que cette question était devenue un vrai sujet, je me suis penché sur les conditions de défraiement des réservistes et j’avais lancé le principe d’un « chèque volontariat nation personnalisé », permettant au réserviste de bénéficier du fruit de son travail immédiatement après la période d’instruction, de manœuvre ou d’engagements opérationnels.
Je compte sur vous, monsieur le ministre, pour progresser encore sur ce point, ainsi que sur la question d’une meilleure traçabilité des crédits de l’État intéressant la réserve. On le sait bien, ces derniers font parfois office de variable d’ajustement, ce qui est évidemment préjudiciable.
Parce que comme vous, mes chers collègues, je suis convaincu de l’utilité des réserves militaires et civiles, je souscris, à l’instar de tous les autres membres du RDSE, à la proposition de loi visant à faciliter leur utilisation en cas de crise majeure. Ce texte améliore les conditions de mobilisation de ces réserves et instaure de nouveaux dispositifs de fidélisation très attendus.
Il faudra poursuivre ce débat pour aller plus loin. Je pense notamment – le rapport y fait allusion – à la question de la gouvernance et de la coordination des réserves. En attendant, les membres du groupe RDSE approuveront le présent texte, qui contribue au renforcement du pacte républicain. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Gisèle Gautier.
Mme Gisèle Gautier. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant d’aborder la proposition de loi, je souhaite, au nom du groupe UMP, rendre hommage à Joëlle Garriaud-Maylam et Michel Boutant et les remercier du remarquable travail qu’ils ont fourni au cours de la mission qui leur a été confiée. Leur rapport est, selon moi, lucide, objectif et contient des propositions tout à fait pragmatiques.
Afin de comprendre dans quelle mesure les réserves militaires et civiles contribuent à la gestion de crises majeures, les rapporteurs ont su en dresser un véritable état des lieux. Cette « photographie panoramique » a été accompagnée d’un dialogue approfondi avec les administrations concernées, en particulier avec le Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale.
La multiplicité des échanges qu’ont eus nos collègues avec un très grand nombre d’interlocuteurs illustre tant le large champ que recouvre la problématique des réserves que sa complexité.
Nous nous trouvons aujourd’hui à un moment particulier : au bilan nécessaire et attendu, nous devons joindre la décision politique.
Dix ans après la professionnalisation des armées, trois ans après le Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, deux ans après le vote de la loi du 29 juillet 2009 relative à la programmation militaire pour les années 2009 à 2014 et portant diverses dispositions concernant la défense, il nous faut agir – je dirais presque réagir.
Conformément aux constats du Livre blanc précité, notre pays doit faire face à des menaces plus grandes et plus diffuses.
La France doit en effet être en mesure de répondre à des crises multiples : agression du territoire national ou acte de terrorisme, comme celui du 11 septembre 2001 ; gestion de crises humanitaires sur un théâtre d’opération national ou se déroulant à des milliers de kilomètres ; catastrophes naturelles telles que les tempêtes Klaus ou Xynthia, ou encore inondations, à l’instar de celle qu’a connue le département du Var au mois de juin dernier. Et n’oublions pas non plus les catastrophes technologiques, comme l’accident de l’usine AZF ou, aujourd’hui, celui plus dramatique de la centrale de Fukushima pour les raisons que nous connaissons.
La professionnalisation des armées a mis fin à un système qui fournissait à notre pays une « réserve de masse », pouvant aller jusqu’à 3 millions d’hommes.
Ce que certains appelaient parfois « l’armée fantôme » a été remplacé par des réserves militaires professionnelles, opérationnelles et tout à fait intégrées, de 60 000 hommes. S’y ajoutent les réserves civiles, créées en 2004, et les réserves de la police nationale fortes de 4 000 hommes. Ces dernières, exclusivement composées jusqu’à ce jour d’anciens policiers, devraient s’ouvrir à la société civile, à l’instar des réserves militaires.
Les conclusions du rapport ont débouché sur cinq séries de propositions, qui sont à l’origine du texte que nous examinons. Je ne reviendrai pas sur ce sujet, notre rapporteur, Michel Boutant, et le président de la commission, Josselin de Rohan, s’étant déjà brillamment livré à cet exercice.
D’ailleurs, permettez-moi, monsieur le ministre, de me réjouir du consensus qui a prévalu au sein de la commission, preuve non seulement d’un travail de concertation réalisé en amont, mais également de la nécessité de légiférer en la matière.
Ultérieurement, je reviendrai – brièvement puisqu’elles ont déjà été évoquées – sur les réserves sanitaires et communales de sécurité civile. Je souhaiterais particulièrement attirer votre attention sur ce point.
À cet instant, il est primordial pour l’État, lors de crises graves, de pouvoir tant prévoir la continuité du fonctionnement des services publics que garantir la sécurité et la protection de nos concitoyens.
L’État doit pouvoir s’appuyer sur des réserves qui viennent en soutien des forces actives. Aussi, ces réserves doivent répondre à une double exigence : assurer d’une part, un renfort au plus fort de l’urgence et, d’autre part – cela va de soi –, un relais permettant le repos crucial des forces actives.
Néanmoins, pour que les réserves puissent participer au « continuum sécurité-défense », il est indispensable de revoir les conditions de gestion de leur mobilisation et de répondre aux questions : Qui ? Pour quelle crise ? Pour quels moments de la crise ?
Cela ne peut être envisageable que si les états-majors disposent de bases de données chiffrées – j’insiste sur ce point important – et remises à jour annuellement – cette actualisation est impérative du fait de l’âge de certains réservistes –, avec comme postulat la spécificité et la qualification de ces réservistes.
Ces statistiques, qui sont malheureusement rares, concourraient à une meilleure coordination de chacun des acteurs de la crise et combleraient la déficience relevée par nos collègues.
La gestion de la crise ne peut être optimale sans de telles données, qui permettront l’anticipation et la définition des besoins pour les forces actives et une projection immédiate des réservistes.
Les préfets de zone de défense et de sécurité doivent pouvoir s’y référer, afin de connaître la disponibilité des engagés. En effet, ce point est souligné dans le rapport, les réserves sont sous-employées, ce qui engendre de la démotivation et pousse les réservistes à ne pas renouveler leur contrat d'engagement à servir en leur sein.
La fidélisation des réserves est aussi un défi auquel nous devons faire face. Pour y répondre, nous devons impérativement favoriser les relations avec les entreprises employant des réservistes.
D’aucuns ont évoqué la création d’un « label citoyen », à l’instar de ce qui existe dans le domaine environnemental ou en matière de parité entre hommes et femmes. Ce label ne me paraissant pas suffisamment pertinent, à titre personnel, je n’y suis pas vraiment favorable.
Toutefois, l’engagement des réservistes recoupe des enjeux beaucoup plus grands. Il est l’expression concrète, au quotidien, du lien entre les armées et la nation.
Par ailleurs, au moment où la diminution des effectifs de la fonction publique est indispensable à la réduction des déficits publics, le recours aux réserves prend tout son sens.
Dans cet esprit, la participation de la communauté à la défense et à la sécurité des citoyens se justifie pleinement.
Les départements ruraux doivent faire face à un double phénomène : une désertification médicale et l’augmentation de la dépendance. Lors de pandémies, telles que celle de la grippe, ou lors d’épisodes graves, comme la canicule de 2003, les réserves sanitaires doivent donc jouer un rôle majeur et, bien qu’elles soient au stade embryonnaire, il est primordial qu’elles se développent.
On peut également penser à la saturation des services de secours, en particulier pendant les périodes estivales, du fait de l’isolement des personnes âgées, du coût souvent prohibitif des maisons de retraite, du manque de personnel paramédical, voire de l’absence de famille.
De la même manière, lors de catastrophes naturelles, les réserves communales de sécurité civile doivent être considérées comme des acteurs incontournables. Leur connaissance du terrain, mais aussi leur connaissance « humaine » dépassent le seul stade du soutien.
Je prendrai pour exemple le cas de la tempête Xynthia. Dans le cadre de la mission commune d’information présidée par Bruno Retailleau et chargée d’étudier les conséquences de cette catastrophe, m’étant rendue sur le site trois jours après que celle-ci se soit produite, j’ai pu constater à quel point les réserves communales étaient disponibles et compétentes pour rendre le service que l’on pouvait espérer.
À mon sens, ces réserves ont un rôle très important, tant au début de la crise que dans la phase de l’après-crise. Elles peuvent assurer un rôle de soutien psychologique auprès des populations touchées par des dégâts matériels et ébranlées affectivement. Quand les secours ont quitté les lieux, elles sont indispensables au retour et à la réorganisation de la vie quotidienne dans les zones sinistrées, par exemple, pour assurer le déblayage ou la gestion des personnes déplacées.
Encore faut-il, bien sûr, recenser ces réserves en amont et les organiser…
Les membres du groupe UMP voteront la présente proposition de loi. Ils comptent sur vous, monsieur le ministre, pour que l’immense travail des auteurs de ce texte et du président de la commission soit optimisé. Il vous revient de transformer cet essai législatif. Cet état des lieux minutieux et les préconisations qui en ont découlé doivent être le début d’une réforme de nos réserves, celles-ci devant bénéficier d’une véritable politique de gestion à différents niveaux ministériels.
Pour conclure, je me permettrai un propos familier : monsieur le ministre, à vous de jouer maintenant ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Gérard Longuet, ministre. Je regrette l’abstention de Mme Demessine, mais je la comprends comme un hommage au texte.
Monsieur Boulaud, l’effort sur les réserves n’est pas essentiellement la conséquence des carences de l’État. Le ressort de la réserve réside avant tout dans une éthique individuelle et collective des citoyens qui s’engagent pour participer à un projet collectif. Évidemment, cela renforce les moyens de l’État. Nous devons nous en féliciter, sans dénigrer la portée de cette démarche.
C’est d’ailleurs l’esprit de l’intervention de Jean-Marie Bockel. L’expérience menée dans sa commune est extrêmement intéressante : alors que les réserves civiles ont fait l’objet de commentaires quelque peu interrogatifs, la très grande métropole dont il est l’élu a organisé la lutte contre les risques majeurs en mobilisant une réserve civile. La Haute Assemblée, tout comme moi, j’en suis certain, aura été attentive à ce témoignage.
Madame Gautier, en tant que ministre de la défense et des anciens combattants, je porte évidemment la mission, mais je ne suis heureusement pas seul ; les travaux de l’état-major, de l’Inspection générale des armées, du Contrôle général des armées, du Secrétariat général de la défense et de la sécurité nationale me permettent d’espérer vous apporter des réponses allant dans le sens que vous avez souhaité.
Certes, il faut faire en sorte d’améliorer la coordination à l’échelon des préfets de zone de défense et de sécurité et de l’autorité militaire, mais l’objectif est bien le même : identifier les réservistes immédiatement utilisables. C’est la raison pour laquelle je pense profondément que nous pourrons vous donner satisfaction.
Je regrette que vous ne partagiez pas mon idée de label « défense ». L’expérience prouve que, avec un peu d’obstination, on peut mettre en place un tel système. Je comprends néanmoins votre réserve et je vais essayer de vous donner tort, pour une fois, en montrant que, grâce à la communication, on peut déclencher des comportements civiques chez nos grands employeurs. C’est une clé pour les salariés du secteur privé, qui, je le rappelle, constituent un tiers des réservistes à l’heure actuelle.
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
TITRE Ier
DISPOSITIF DE RÉSERVE DE SÉCURITÉ NATIONALE
Article 1er
Le livre Ier de la deuxième partie du code de la défense est complété par un titre VII ainsi rédigé :
« TITRE VII
« DISPOSITIF DE RÉSERVE DE SÉCURITÉ NATIONALE
« CHAPITRE UNIQUE
« Art. L. 2171-1. – En cas de survenance, sur tout ou partie du territoire national, d’une crise majeure dont l’ampleur met en péril la continuité des services de l’État, la sécurité de la population ou la capacité de survie de la Nation, le Premier ministre peut recourir au dispositif de réserve de sécurité nationale par décret.
« Le dispositif de réserve de sécurité nationale a pour objectif de renforcer les moyens mis en œuvre par les services de l’État, les collectivités territoriales ou par toute autre personne de droit public ou privé participant à une mission de service public.
« Il est constitué des réservistes de la réserve opérationnelle militaire, de la réserve civile de la police nationale, de la réserve sanitaire, de la réserve civile pénitentiaire et des réserves de sécurité civile.
« Art. L. 2171-2. – Le décret mentionné à l’article L. 2171-1 précise la durée d’emploi des réservistes, laquelle ne peut excéder trente jours consécutifs. Cette durée d’activité peut être augmentée dans des conditions et selon des modalités fixées par décret en Conseil d’État.
« Art. L. 2171-3. – Les périodes d’emploi réalisées au titre du dispositif de réserve de sécurité nationale ne sont pas imputables sur le nombre annuel maximum de jours d’activité pouvant être accomplis dans le cadre de l’engagement souscrit par le réserviste.
« L’engagement du réserviste arrivant à terme avant la fin de la période d’emploi au titre de la réserve de sécurité nationale est prorogé d’office jusqu’à la fin de cette période.
« Art. L. 2171-4. – Lorsqu’ils exercent des activités au titre du dispositif de réserve de sécurité nationale, les réservistes demeurent, sauf dispositions contraires prévues par le présent chapitre, soumis aux dispositions législatives et réglementaires régissant leur engagement.
« Art. L. 2171-5. – Aucun licenciement ou déclassement professionnel, aucune sanction disciplinaire ne peuvent être prononcés à l’encontre d’un réserviste en raison des absences résultant de l’application du présent chapitre.
« Aucun établissement ou organisme de formation public ou privé ne peut prendre de mesure préjudiciable à l’accomplissement normal du cursus de formation entrepris par un étudiant ou un stagiaire en raison des absences résultant de l’application du présent chapitre.
« Art. L. 2171-6. – Lors du recours au dispositif de réserve de sécurité nationale, les réservistes sont tenus de rejoindre leur affectation, dans les conditions fixées par les autorités civiles ou militaires dont ils relèvent au titre de leur engagement.
« En cas de nécessité inhérente à la poursuite de la production de biens ou de services ou à la continuité du service public, les réservistes employés par un opérateur public ou privé mentionné aux articles L. 1332-1 et L. 1332-2 peuvent être dégagés de ces obligations.
« Les conditions de convocation des réservistes sont fixées par décret en Conseil d’État. Ce décret détermine notamment le délai minimum de préavis de convocation.
« Art. L. 2171-7. – Un décret en Conseil d’État détermine les conditions d’application du présent chapitre. »
M. le président. Je mets aux voix l'article 1er.
(L'article 1er est adopté.)
Article 2
Après l’article L. 4211-1 du même code, il est inséré un article L. 4211-1-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 4211-1-1. – Les membres de la réserve opérationnelle militaire font partie du dispositif de réserve de sécurité nationale mentionné à l’article L. 2171-1 dont l’objectif est de renforcer les moyens mis en œuvre par les services de l’État, les collectivités territoriales ou par toute autre personne de droit public ou privé participant à une mission de service public en cas de survenance sur tout ou partie du territoire national d’une crise majeure. » – (Adopté.)
TITRE II
DES ENTREPRISES EMPLOYANT DES RÉSERVISTES
(Division et intitulé supprimés)
CHAPITRE IER
Extension du dispositif mécénat aux entreprises qui mettent à disposition des réserves des salariés pendant les heures de travail
(Division et intitulé supprimés)
Article 3
(Supprimé)
CHAPITRE II
Incidences sur les recettes de l’État et compensation
(Division et intitulé supprimés)
Article 4
(Supprimé)
TITRE III
DU SERVICE DE SECURITÉ NATIONALE
(Division et intitulé nouveaux)
Article 4 bis (nouveau)
Les dispositions du titre V du livre 1er de la partie II du code de la défense sont remplacées par les dispositions suivantes :
« TITRE V
« SERVICE DE SÉCURITÉ NATIONALE
« CHAPITRE UNIQUE
« Art. L. 2151-1. – Le service de sécurité nationale est destiné à assurer la continuité de l'action de l'État, des collectivités territoriales, et des organismes qui leur sont rattachés, ainsi que des entreprises et établissements dont les activités contribuent à la sécurité nationale.
« Le service de sécurité nationale est applicable au personnel, visé par un plan de continuité ou de rétablissement d’activité, d’un des opérateurs publics et privés ou des gestionnaires d’établissements désignés par l’autorité administrative conformément aux articles L. 1332-1 et L. 1332-2 du présent code.
« Seules les personnes majeures de nationalité française, ressortissantes de l’Union européenne, sans nationalité ou bénéficiant du droit d’asile peuvent être soumises aux obligations du service de sécurité nationale.
« Art. L. 2151-2. – Dans les circonstances prévues aux articles L. 1111-2 et L. 2171-1 du présent code ou à l’article 1er de la loi n° 55-385 du 3 avril 1955, le recours au service de sécurité nationale est décidé par décret en Conseil des ministres.
« Art. L. 2151-3. – Lors du recours au service de sécurité nationale, les personnes placées sous ce régime sont maintenues dans leur emploi habituel ou tenues de le rejoindre.
« Elles continuent d'être soumises aux règles de discipline et aux sanctions fixées par les statuts ou les règlements intérieurs de leur organisme d'emploi.
« Art. L. 2151-4. – Les employeurs mentionnés au deuxième alinéa de l’article L. 2151-1 sont tenus d’élaborer des plans de continuité ou de rétablissement d’activité et de notifier aux personnes concernées qu’elles sont susceptibles d’être placées sous le régime du service de sécurité nationale.
« Art. L. 2151-5. – Les modalités d'application des dispositions du présent titre sont déterminées par décret en Conseil d'État. – (Adopté.)
Vote sur l’ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. le rapporteur.
M. Josselin de Rohan, rapporteur. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens d’abord à remercier Michel Boutant, car, sans le travail remarquable que lui-même et Joëlle Garriaud-Maylam ont effectué, travail dont le Sénat peut s’enorgueillir, nous n’aurions pas été saisis de cette proposition de loi.
Cher Michel Boutant, vous me permettrez d’associer, en votre nom, les collaborateurs de la commission, dont le travail considérable a également permis l’élaboration de cette proposition de loi et du rapport qui lui est attaché.
Monsieur le ministre, j’ai écouté avec beaucoup d’attention l’annonce que vous avez faite des trois rapports concernant la réserve opérationnelle, la réserve disponible et la réserve citoyenne. Je forme le vœu que, lorsque ces rapports nous auront été remis, vous puissiez venir les commenter devant la commission, car ils sont évidemment le prolongement du travail qui a été effectué, même si, par leur importance, ils vont bien au-delà.
Pour ce qui concerne la réserve disponible, beaucoup reste à faire. Il est tout à fait regrettable qu’une évaporation aussi marquée de cette réserve se produise, et c’est sans doute ce que fera apparaître le rapport.
La réserve citoyenne, quant à elle, nécessite à mon sens d’être entièrement refondée ; il faut réfléchir de nouveau à ce qu’elle peut apporter. Je ne suis pas sûr que, dans l’état actuel des choses, l’apport soit égal suivant les armées où elle a été instituée. Dans certains cas, elle a, je crois, été efficace, dans d’autres, elle l’a été moins. Elle demeure un dispositif intéressant dans la mesure où elle permet de resserrer, si elle est bien pensée, le lien entre l’armée et la nation, dont on peut craindre, à juste titre, la distension à la suite de la suppression de la conscription.
Ces trois rapports devraient fonder une véritable politique des réserves, à laquelle nous aspirons et que nous attendons avec impatience. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Michel Boutant.
M. Michel Boutant. Aux remerciements que vient de formuler le président Josselin de Rohan, je voudrais associer deux personnels des armées, le colonel Trochu et le colonel Nuyttens, qui nous ont également accompagnés avec tout leur savoir-faire dans cette mission qui fut longue mais passionnante de bout en bout.
En conclusion, comme disait Winston Churchill, un réserviste est deux fois citoyen ! (Applaudissements.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.
(La proposition de loi est adoptée.)
M. le président. Je constate que la proposition de loi a été adoptée à l’unanimité des présents.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures cinquante.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures cinquante, est reprise à vingt-deux heures cinquante, sous la présidence de Mme Monique Papon.)
PRÉSIDENCE DE Mme Monique Papon
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
8
Candidatures à une commission mixte paritaire
Mme la présidente. J’informe le Sénat que la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale m’a fait connaître qu’elle a procédé à la désignation des candidats qu’elle présente à la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi de simplification et d’amélioration de la qualité du droit.
Cette liste a été affichée et la nomination des membres de cette commission mixte paritaire aura lieu conformément à l’article 12 du règlement.
9
Demande d'inscription à l’ordre du jour d'une proposition de résolution
Mme la présidente. En application de l’article 50 ter de notre règlement, j’informe le Sénat que M. Jean-Pierre Bel, président du groupe socialiste, a demandé l’inscription à l’ordre du jour de la proposition de résolution, présentée en application de l’article 34-1 de la Constitution, relative à la tenue des sessions plénières du Parlement européen à Strasbourg (n° 358, 2010-2011), déposée le 15 mars 2011.
Cette demande a été communiquée au Gouvernement dans la perspective de la prochaine réunion de notre conférence des présidents qui se tiendra le mercredi 6 avril 2011.
10
Renvoi pour avis
Mme la présidente. J’informe le Sénat que le projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, relatif aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge (n° 361, 2010-2011), dont la commission des affaires sociales est saisie au fond, est renvoyé pour avis, à sa demande, à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale.
11
Urbanisme commercial
Discussion d'une proposition de loi
(Texte de la commission)
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, relative à l’urbanisme commercial (proposition n° 558 [2009-2010], texte de la commission n° 181, rapport n° 180).
Demande de réserve
M. Jean-Paul Emorine, président de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire. Pour faciliter le déroulement de nos débats lors de l’examen des amendements, je suis conduit à demander la réserve de l’examen de deux séries d’amendements.
Premièrement, je souhaite réserver la discussion des amendements nos 4, 5, 2 et 3, qui traitent des critères de saisine des commissions départementales d’aménagement commercial, les CDAC.
Cette question est secondaire par rapport à celle, plus fondamentale, de savoir s’il faut conserver les CDAC ou les remplacer par les CRAC, les commissions régionales d’aménagement commercial, comme le prévoit l’article 5 de la présente proposition de loi.
En outre, si nous choisissons de créer les CRAC, la disparition des CDAC sera entérinée à l’article 8 et il n’y aura alors plus lieu de discuter de leurs critères de saisine.
C’est pourquoi je propose de réserver la discussion de ces quatre amendements après l’article 8.
Deuxièmement, je demande la réserve de la discussion des amendements nos 43, 103, 55, 59, 41, 60, ainsi que l’amendement que la commission vient d’adopter qui tendent à modifier l’article 2 relatif à la commission régionale d’aménagement commercial. Il me paraît plus opportun d’en discuter après l’article 5 qui traite, quant à lui, de la commission régionale d’aménagement commercial, laquelle aura à délibérer sur les permis de construire pendant la période transitoire, dans l’attente de l’entrée en vigueur du document d’aménagement commercial.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement sur cette demande de réserve ?
M. Benoist Apparu, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement, chargé du logement. Avis favorable, madame la présidente.
M. Benoist Apparu, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement, chargé du logement. Madame la présidente, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, depuis plus de trente ans, nombreux sont les législateurs et les ministres à avoir tenté de résoudre l’éternel problème de l’urbanisme commercial. Les lois se sont succédé sans pour autant trouver le bon équilibre entre les grandes surfaces et les petits commerces, entre le centre-ville et la périphérie. Le résultat de ces décennies de législation doit tous nous inciter à la modestie.
Le sujet est complexe compte tenu, comme toujours dans le domaine de l’urbanisme, de la diversité des situations locales. Nous ne devons pas juger la situation du territoire national à l’aune de la réalité des territoires que nous connaissons et de notre expérience d’élus. Tous les maires, quelles que soient les villes dont ils sont les représentants, peuvent dresser le même constat de la multiplication des supermarchés en périphérie et des difficultés d’installation ou de maintien en centre-ville du commerce de proximité. Nous avons tous vu s’implanter des « boîtes à sardines », qui défigurent nos entrées de villes, et fermer des petits commerces dans les centres.
De ce point de vue, nous ne pouvons pas dire que la loi de modernisation de l’économie ait permis une meilleure cohérence urbaine. L’objet de ce texte n’était d’ailleurs pas urbanistique ; il était avant tout économique et commercial. Cette loi a permis d’accroître la concurrence et, comme l’a récemment souligné l’association UFC-Que Choisir, de faire baisser les prix, ce qui était une finalité au regard de la question du pouvoir d’achat.
M. Claude Bérit-Débat. Une question sensible !
M. Benoist Apparu, secrétaire d'État. L’aménagement d’un territoire ne peut cependant dépendre de seuls objectifs économiques. Le traitement du commerce comme un secteur « à part » en matière d’urbanisme, nécessitant des autorisations « à part » et des discussions « à part », pose de nombreux problèmes. Les équipements commerciaux sont de grands consommateurs de foncier périurbain, ils génèrent des déplacements importants et sont le plus souvent mal intégrés à leur environnement immédiat.
Il ne s’agit pas uniquement de questions d’architecture ou de plantations paysagères : au-delà de ces deux questions, réelles, la cohérence entre les politiques de transport, d’activité, d’habitat ou encore de commerce est un enjeu majeur. C'est la raison pour laquelle le Gouvernement est favorable au principe qui guide la présente proposition de loi, à savoir le transfert du code de commerce au code de l’urbanisme des autorisations d’ouverture commerciale. Cette mesure devrait permettre aux élus de mieux appréhender la construction de leur territoire dans leurs documents d’urbanisme en intégrant l’ensemble des politiques menées par une ville et que je viens de citer. Bref, les élus doivent disposer dans leurs documents d’urbanisme de l’ensemble des outils qui « font » la ville.
L’état actuel du droit laisse au maire des marges de manœuvre, mais cela n’est pas suffisant. C’est pourquoi nous souhaitons de ce point de vue procéder à une réorganisation, de concert avec le rapporteur Dominique Braye et son homologue de l’Assemblée nationale, Michel Piron.
Là encore, en fonction des situations locales, les cohérences et les impératifs diffèrent.
Prenons l’exemple de Châlons-en-Champagne où je suis élu. Dans cette ville de 65 000 habitants, nous faisons face à une double problématique : l’équilibre entre le centre-ville et la périphérie – préoccupation commune à l’ensemble des territoires – et, sur la zone de chalandise globale de cette commune, le risque d’évasion commerciale vers d’autres territoires urbains, notamment la ville de Reims qui est située à quarante kilomètres. Nous devons par conséquent développer la périphérie de cette commune pour éviter une évasion commerciale plus lointaine, mais également, en parallèle, maintenir un équilibre entre la périphérie et le centre-ville.
Je prends cet exemple pour ne pas circonscrire le débat à la seule concurrence entre la périphérie et le centre-ville. La problématique est évidemment beaucoup plus complexe que cela : en effet, si nous souhaitons conserver une attractivité territoriale dans certains territoires où existent des phénomènes de « concurrences urbaines », nous devons aussi participer au développement des périphéries.
Par ailleurs, dans l’état actuel du droit, les élus, notamment les maires, disposent d’outils très importants. C’est essentiellement le projet urbain qui permet de tenter d’équilibrer le territoire.
Je cite de nouveau l’exemple de Châlons-en-Champagne. Lorsque nous avons été confrontés à cette question de la concurrence entre le centre-ville, la périphérie et les autres périphéries urbaines, nous avons souhaité mener une action très dynamique en centre-ville, en créant un centre commercial à ciel ouvert, afin de redynamiser le tissu commercial dans cette zone.
Des actions similaires ont été menées par d’autres élus, parmi lesquels figure l’un des auteurs de la présente proposition de loi devenu aujourd’hui ministre des relations avec le Parlement : ce dernier utilise très régulièrement le droit de préemption urbain, dont il a d’ailleurs demandé le renforcement dans le cadre du texte que nous examinons, afin d’organiser le commerce en centre-ville et d’éviter un autre déséquilibre fréquemment observé dans ces zones : la séparation entre le commerce réel d’un coté, et le développement de services de l’autre.
Renforcer les documents d’urbanisme permettra donc d’asseoir les pouvoirs du maire sur une réalité tangible, et le Gouvernement partage pleinement ce souhait du législateur, et plus globalement des élus.
En intégrant l’ensemble des données commerciales dans le code de l’urbanisme, le texte que nous étudions ce soir va dans ce sens. Il s’agit d’une avancée majeure. Selon le Gouvernement, seules des règles d’urbanisme, et non des éléments de nature économique, doivent guider nos choix.
Quelle contradiction devons-nous gérer aujourd’hui ?
D’un coté, il existe un droit commercial lié à la loi de modernisation de l’économie, qui prévoit que l’autorisation commerciale d’ouverture est soumise à l’autorisation de la commission départementale d’aménagement commercial, ou CDAC, avec une possibilité de recours devant la commission nationale d’aménagement commercial, ou CNAC.
De l’autre coté, il existe une autorisation d’urbanisme classique : le permis de construire.
L’objet du présent texte est de transférer l’ensemble des règles concernant les autorisations commerciales dans le seul droit de l’urbanisme.
Je vous rappelle cependant que les règles du droit de l’urbanisme, notamment celles qui sont relatives au permis de construire, résultent d’une décision non pas d’opportunité, mais de conformité.
D’autre part, un document d’urbanisme ne doit pas intégrer des choix économiques ou commerciaux, mais doit être régi par les seules règles d’urbanisme.
Autrement dit, les règles d’urbanisme consistent à autoriser les implantations là où existe une desserte en transport, à les éviter là où sont situées les meilleures terres agricoles du secteur – solution qui, j’en suis sûr, sera accueillie favorablement par la Haute assemblée –, à définir un nombre de places de parking, des voies d’accès, etc.
Tels sont les critères sur lesquels doivent, à mon sens, reposer les autorisations d’urbanisme.
De ce point de vue, j’imagine que chacun – notamment le président de la commission et le rapporteur avec qui j’ai souvent abordé la question – aura compris le sens de notre démarche : pour le Gouvernement, l’introduction d’une typologie soulève un problème. Sur la base de quels éléments peut-on définir si des commerces offrant des équipements de la maison sont nécessaires à tel endroit et si des commerces d’alimentation sont indispensables à tel autre ? Cela ne revient-il pas à introduire dans des documents d’urbanisme des questions économiques et commerciales ?
Je sais qu’il s’agit d’un point de désaccord avec M. le rapporteur. La discussion nous permettra, je l’espère, d’aboutir à un consensus sur ce sujet, même si j’ai le pressentiment que cela ne sera pas aisé.
M. Dominique Braye, rapporteur de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire. Vous êtes bien renseigné !
M. Benoist Apparu, secrétaire d'État. Nous aurons évidemment l’occasion d’en discuter de nouveau lors de l’examen des amendements, aussi ne m’attarderai-je pas sur ce sujet dans l’immédiat.
Une autre question importante concerne les surfaces. Lors de la discussion de la loi de modernisation de l’économie, ou loi LME, les débats portant sur les seuils de surface à définir – 300, 500, 1 000 mètres carrés – ont été particulièrement longs. Je sais que de nombreux amendements déposés par des membres de la Haute Assemblée visent à revenir au seuil de 300 mètres carrés ou à retenir le seuil de 500 mètres carrés de surface de vente.
Sur ce point, je vous rappelle, mesdames, messieurs les sénateurs, que dans la présente proposition de loi, le seuil de 1 000 mètres carrés de surface de vente cède la place à un seuil correspondant à une notion d’urbanisme, à savoir 1 000 mètres carrés de surface hors œuvre nette, ou SHON. Globalement, cette mesure a pour effet de diminuer la surface de vente.
En outre, il paraît impossible au Gouvernement de revenir aux seuils de 300 ou 500 mètres carrés sans rompre tout l’équilibre existant et encourir la censure de Bruxelles. Si l’on veut y encourager l’implantation de commerces, il faut donner de la souplesse aux centres-villes en matière d’urbanisme. C’est tout le sens de ce texte.
Par ailleurs, un schéma de cohérence territoriale, ou SCOT, n’est probablement pas la bonne échelle pour apprécier l’impact d’une petite construction ; les permis de construire classiques bien instruits suffisent en la matière.
Permettez-moi d’évoquer à présent un autre sujet sur lequel nous avons un désaccord : celui de la période transitoire entre aujourd’hui et l’application de la future loi. Le Gouvernement vous proposera donc quelques modifications par rapport au texte adopté par la commission.
Selon le Gouvernement, tant que les documents d’urbanisme n’ont pas été élaborés et adoptés – deux à trois ans sont nécessaires pour élaborer un document d’aménagement commercial, ou DAC –, le droit positif actuel issu de la loi LME doit continuer à s’appliquer.
Je ne suis pas convaincu, en termes de simplicité et de lisibilité de notre droit, qu’il soit judicieux de faire se succéder une période pendant laquelle les dispositions de la LME seraient applicables, puis une période transitoire pendant laquelle une nouvelle règle aurait cours, et enfin, deux ou trois ans plus tard, une période définitive correspondant à une troisième règle.
Il me semble que la succession de ces trois systèmes, en si peu de temps, serait source d’instabilité. Nous aurons tout loisir d’en discuter dans quelques instants.
Au-delà de ces quelques désaccords, nous devrons évidemment essayer de définir ensemble le bon équilibre, même si le sujet est délicat, au point d’avoir occupé pendant de nombreuses heures le Parlement et le Gouvernement depuis de très nombreuses années. Il nous appartient de trouver une solution équilibrée.
Pour conclure, je tiens à saluer le travail de la commission et de son président, Jean-Paul Emorine. Nous avons travaillé ensemble à de nombreuses reprises sur ce sujet.
Je remercie également, vivement et sincèrement, votre rapporteur, Dominique Braye : après des heures d’auditions, de consultations, de confrontations même, il vous propose aujourd’hui, mesdames, messieurs les sénateurs, de nouvelles solutions pour l’urbanisme commercial. Il n’a pas hésité à traverser les frontières, avec son homologue Michel Piron de l’Assemblée nationale, pour rencontrer la direction générale compétente à Bruxelles et vérifier si le présent texte était compatible avec le droit communautaire.
Je note également les très forts liens qui ont uni les rapporteurs des deux chambres pour tenter d’élaborer un texte ensemble. Je ne vous cache pas que cette entente s’est souvent faite au détriment du Gouvernement,… (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Roland Courteau. Cela arrive !
M. Benoist Apparu, secrétaire d'État. … mais c’est tout à l’honneur du Parlement, investi de nouvelles prérogatives par la réforme constitutionnelle que nous avons adoptée ensemble et qui renforce ses pouvoirs, que d’user de sa liberté.
Malgré un travail acharné donc, le Gouvernement et la commission ne sont pas parvenus à un accord, fait rare. Ce n’est pas un drame ! Nous tenterons de trouver des voies d’accord au cours de la discussion qui va s’engager. Quoi qu’il en soit, le vote de la Haute assemblée s’imposera, en tout état de cause, à tous.
M. Roland Courteau. Heureusement !
M. Benoist Apparu, secrétaire d'État. Je vous le répète, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement souhaite fondamentalement que l’urbanisme commercial intègre les documents d’urbanisme.
Mais au-delà de la question de l’urbanisme commercial, tout le travail entrepris par le Gouvernement et par les groupes que nous avons constitués avec des représentants de la Haute Assemblée consacré à « l’urbanisme de projet » repose sur l’idée suivante : la France ne peut plus continuer à avoir des urbanismes sectoriels.
En effet, l’habitat est traité dans un cadre spécifique, celui du projet local de l’habitat, ou PLH, tandis que le transport est abordé dans le cadre du plan de déplacement. Le commerce, élément fondamental de la vie de la cité, fait lui l’objet d’un traitement séparé. Ces dispositifs sectoriels coexistent avec un document d’urbanisme, le PLU, le plan local d’urbanisme, ou le SCOT, qui essaie vaguement d’assurer la coordination.
Il nous faut modifier cette situation. Le Gouvernement a commencé cette réforme avec le Grenelle de l’environnement et il poursuit aujourd’hui. D’autres débats concernant les documents d’urbanisme auront lieu devant la Haute Assemblée. Je pense notamment à celui portant sur la superficie pertinente pour organiser les territoires. Sur ce sujet essentiel nous devrons, ensemble, travailler de nouveau.
En conclusion, je vous rappelle la conviction qui guide le Gouvernement dans la présente réforme : l’urbanisme commercial doit devenir une composante essentielle du droit de l’urbanisme. Il nous appartient de définir le bon équilibre pour y parvenir. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Dominique Braye, rapporteur de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, notre incapacité collective, au cours des trente dernières années, à penser de manière cohérente la place du commerce sur nos territoires a produit, reconnaissons-le, un désastre en termes d’aménagement du territoire et d’urbanisme.
Laideur des entrées de villes, qualifiées à l’étranger « d’entrées de villes à la française », localisations périphériques qui gaspillent le foncier et créent des obligations de déplacement coûteuses et polluantes : les manifestations de ces catastrophes sont nombreuses, mais la pire d’entre elles est certainement la situation de nos petites et moyennes villes, dont le centre se vide de son animation, de façon inexorable au profit des zones périphériques.
M. Roland Courteau. C’est vrai !
M. Dominique Braye, rapporteur. La difficulté à réaliser une intégration harmonieuse du commerce sur nos territoires, ancienne, comme vous l’avez rappelé, monsieur le secrétaire d’État, et l’incapacité que nous avons eue à résoudre ce problème doivent certes, comme vous le préconisez, nous pousser à rester modestes, mais doivent surtout nous contraindre à faire enfin preuve de volonté et de détermination, et à refuser les demi-mesures pour régler ce problème de société qui dégrade profondément la qualité de vie dans un très grand nombre de nos villes, petites et moyennes.
Le texte adopté au mois de décembre dernier par la commission de l’économie peut devenir l’outil dont nous avons besoin pour bâtir enfin une politique de régulation des implantations commerciales ambitieuse, novatrice et efficace. Il y a urgence, et je ne crois pas que le Sénat soit prêt à adopter un texte que l’on aurait vidé de sa substance et qui ne serait pas à la hauteur des enjeux !
Monsieur le secrétaire d’État, pourquoi la France, qui se targuait autrefois, à défaut de pétrole, d’avoir des idées, serait-elle incapable de régler un problème que de très nombreux pays européens ont résolu depuis fort longtemps ? Allez donc au Danemark ou dans d’autres pays du Nord et vous verrez ce que sont des villes où il fait bon vivre, où l’on peut se déplacer en vélo même quand il pleut et où les commerces, les bureaux et l’habitat ne sont pas séparés.
Je dirai quelques mots pour présenter brièvement la philosophie et le contenu du texte en discussion ce soir.
Il faut avant tout être conscient que le respect du droit européen impose désormais d’abandonner les objectifs de nature économique. Vous le constatez, monsieur le secrétaire d’État, nous trouvons des points d’accord. On ne peut plus aujourd’hui restreindre les implantations commerciales sur la base de « tests économiques » cherchant à apprécier l’impact sur le commerce de l’arrivée de nouveaux concurrents. Il n’est plus possible non plus de discriminer les commerces selon leur format ou leur « concept ». Seules les exigences relevant de l’aménagement du territoire sont recevables.
Encore faut-il que les restrictions à la liberté d’implantation imposées au nom de ces exigences soient non discriminatoires et qu’elles restent proportionnées aux objectifs recherchés. La Commission européenne, qui suit ce dossier de près, sera très sourcilleuse sur toutes ces questions, notamment celle des seuils de surface, mais j’y reviendrai.
En cohérence avec son souci de fonder l’urbanisme commercial exclusivement sur des exigences d’aménagement du territoire et d’urbanisme, la présente proposition de loi réalise l’intégration de l’urbanisme commercial dans le droit commun de l’urbanisme. Désormais, comme l’a rappelé M. le secrétaire d’État, une seule autorisation d’urbanisme – le permis de construire, le permis d’aménager ou la déclaration préalable selon la nature du projet – sera nécessaire. Cela permettra une simplification et donc une accélération des procédures d’autorisation.
Pour réaliser cette intégration, le texte s’appuie sur les schémas de cohérence territoriale. Ces derniers devront être complétés dans un délai de trois ans par un document d’aménagement commercial, le DAC, qui sera le volet « commerce » du SCOT. La disposition votée dans le Grenelle de l’environnement, sur l’initiative du président Emorine, qui tend à généraliser les SCOT sur l’ensemble du territoire national, devrait permettre à terme à tous les territoires de disposer d’un outil d’aménagement commercial.
À travers le DAC, le SCOT définira tout d’abord quels sont les objectifs d’aménagement du territoire avec lesquels les implantations commerciales devront être compatibles.
Le DAC délimitera ensuite précisément des secteurs d’implantation.
Dans les centralités urbaines, les implantations, quelle que soit leur surface, seront réglementées par le plan local d’urbanisme sans que le SCOT puisse imposer des prescriptions ou des limitations. En un mot, dans les centralités urbaines ou de quartier, que vous aurez délimitées, mes chers collègues, les installations seront complètement libres, à condition de respecter les règles d’urbanisme. Dans les secteurs périphériques, les implantations commerciales de grande taille pourront être autorisées par le DAC seulement sous réserve de respecter les conditions fixées par ce document. Partout ailleurs, les implantations de plus de mille mètres carrés seront interdites.
Les règles fixées par le DAC s’imposeront ensuite aux demandes d’autorisations individuelles. Lorsqu’il existera un PLU compatible avec le document d’aménagement commercial, le permis de construire sera délivré en conformité avec ce plan. En l’absence de PLU, ou bien s’il existe un PLU qui n’a pas encore été rendu compatible avec le document d’aménagement commercial, celui-ci sera directement opposable aux demandes d’autorisations individuelles. C’est ce cas de figure qui impose, chère Valérie Létard – je le dis pour anticiper la discussion qui aura lieu lors de l’examen des amendements –, que le DAC soit suffisamment précis, notamment dans son zonage. Nous aurons l’occasion d’y revenir.
Enfin, dans la période transitoire au cours de laquelle les DAC seront élaborés, des commissions régionales d’aménagement commercial, les CRAC, devraient donner leur accord préalable à la délivrance des permis de construire pour les implantations de plus de mille mètres carrés. Les critères de décisions de ces CRAC, majoritairement composées d’élus, seront plus stricts que ceux des actuelles CDAC.
Voilà, à grands traits, la logique de ce texte, qui introduit un bouleversement assez profond dans le contrôle des implantations commerciales – la situation dans notre pays le justifie – et qui a un impact fort sur les relations entre les documents d’urbanisme et les procédures de délivrance des autorisations individuelles.
Je veux maintenant dire quelques mots afin de préciser les grands principes qui guideront mes prises de position sur les deux principaux enjeux du texte dont nous allons débattre.
Premier enjeu : le régime de transition. Dans l’attente de la généralisation des DAC, le Gouvernement souhaiterait prolonger les actuelles CDAC plutôt que de créer les CRAC. Or, depuis l’adoption de la loi de modernisation de l’économie, voilà un plus de deux ans, on a vu que plus de 4 millions de mètres carrés d’implantations commerciales ont été autorisés en 2009 et plus de 4,1 millions de mètres carrés en 2010. Ce constat nous impose d’intervenir rapidement. C’est notamment la raison pour laquelle la commission de l’économie estime que la prolongation des CDAC présente des inconvénients majeurs.
En premier lieu, je le rappelle, le principe fondamental du présent texte est d’intégrer l’urbanisme commercial dans le droit de l’urbanisme. Or le maintien des CDAC reviendrait à conserver, pour de nombreuses années encore, la dichotomie entre code de commerce et code de l’urbanisme. Vous avez là le contraire de ce que vous m’avez dit, monsieur le secrétaire d’État. Où est la cohérence de ce texte dont vous avez parlé dans votre intervention si, d’un côté, on claironne qu’il est nécessaire d’intégrer l’urbanisme commercial dans le droit de l’urbanisme et que, de l’autre, on maintient encore pendant au moins cinq ans un régime basé sur le commerce et l’économie et qui, tout le monde le reconnaît, est à bout de souffle ?
M. Dominique Braye, rapporteur. En deuxième lieu, il faut noter que les élus locaux ont beaucoup moins d’influence avec le régime des CDAC qu’avec celui des CRAC. Nous savons que les décisions des CDAC sont maintenant systématiquement contestées en appel devant la CNAC, qui est devenue, selon l’expression totalement banalisée, une véritable « machine à dire oui ».
M. Gérard Cornu. Très bien !
M. Dominique Braye, rapporteur. Il est vrai que les élus ne sont pas représentés en tant que tels dans cette instance. La connaissance des réalités locales de celle-ci est donc forcément très limitée.
M. Gérard Cornu. Eh oui !
M. Dominique Braye, rapporteur. Dans les CRAC, en revanche, les élus locaux seront majoritaires pour décider de l’avenir de leurs territoires. Leurs décisions pourront bien sûr être contestées par un juge, mais pas, comme c’est le cas avec la CNAC, par des fonctionnaires ou des personnalités qualifiées sans légitimité élective ni connaissance suffisante des territoires sur lesquels ils ont à se prononcer.
Enfin, les critères de décision des CRAC seront plus stricts que ceux des actuels CDAC. Faire le choix des CRAC, plutôt que des CDAC, c’est donc faire le choix d’un régime transitoire qui ne remet pas à demain la solution des problèmes. Voilà qui évitera d’avoir encore quatre à cinq millions de mètres carrés d’implantations commerciales par an, soit vingt millions de mètres carrés dans les cinq prochaines années. Je tiens à le préciser, parce que cet aspect est important.
Je vais vous donner un exemple. Hier, je suis intervenu lors d’une conférence organisée par l’Institut pour la ville et le commerce. Nous avons constaté que les surfaces commerciales avaient considérablement augmenté ces dix dernières années – de près de 40 % – pendant que les dépenses des ménages progressaient, elles, de 10 % à 15 %. Or certaines enseignes sur les 240 que regroupe Procos, la fédération pour l’urbanisme et le développement du commerce spécialisé, je pense à Bricorama – je cite cette marque, bien que je ne sache pas si j’en ai le droit –, ont vu leur chiffre d’affaires stagner depuis dix ans, alors que le nombre d’unités commerciales a considérablement augmenté. En conséquence, les bénéfices de chaque unité ont nettement diminué et certains magasins sont actuellement à la limite de la viabilité économique. Nous voyons donc déjà apparaître des friches commerciales, même dans le secteur du bricolage que tout le monde considérait comme un secteur d’avenir.
M. Claude Bérit-Débat. Cela ne change rien !
M. Dominique Braye, rapporteur. Deuxième gros enjeu de nos débats : la question de la typologie des secteurs d’activité commerciale.
Je crois utile, pour comprendre pourquoi cette disposition a été intégrée dans le texte, de retracer le cheminement qui m’a conduit à la proposer.
Comme je l’ai déjà indiqué, les implantations commerciales seront autorisées à l’avenir, comme l’a très bien dit M. le secrétaire d’État, par une décision de conformité du permis de construire avec les documents d’urbanisme. « Décision de conformité », cela signifie que le maire devra se borner à vérifier si le projet qui lui est soumis satisfait aux règles objectives des documents d’urbanisme.
Personnellement, cela me convient, mais à une seule condition : les DAC devront disposer d’outils assez forts pour réguler les implantations commerciales. Sans ces capacités prescriptives fortes, les documents d’aménagement commercial ne seront en effet rien d’autre que des machines à délivrer sans réserve des permis de construire et donc des autorisations d’implantations de commerce. Si nous devions remplacer les CDAC et la CNAC par des DAC du même acabit, l’opération n’aurait aucun intérêt. Je dirai même qu’elle serait plus nuisible que le système actuel dans lequel les élus ont encore un peu la possibilité de se prononcer à travers les CDAC.
En effet, les CDAC, malgré toutes les critiques dont elles font l’objet, restent un lieu qui permet aux élus d’exprimer leurs opinions sur les implantations commerciales et, le cas échéant, de s’opposer à celles qu’ils jugent néfastes pour la structuration de leur territoire. La disparition des CDAC ne doit donc pas se faire sans avoir la garantie que les élus locaux gagneront avec le nouveau régime un meilleur pouvoir de régulation.
Or, après avoir étudié longuement le texte voté par les députés en première lecture, et en accord avec le rapporteur de l’Assemblée nationale, j’ai bien dû constater que rien, absolument rien, dans la boîte à outils du DAC, ne lui permettait de renforcer le pouvoir de contrôle des élus et d’empêcher la poursuite de la dévitalisation des centres-villes. C’est la raison pour laquelle j’ai proposé à la commission de l’économie d’encadrer les conditions susceptibles d’être fixées par le DAC. Cet encadrement ne pouvait, si l’on y réfléchit, se faire que selon deux voies.
La première est celle de l’abaissement des seuils de surface. La commission de l’économie a partiellement suivi ce chemin en exprimant, comme vous l’avez rappelé, monsieur le secrétaire d’État – vous voyez que nous avons de nombreux points d’accord –, ces seuils en SHON plutôt qu’en surface de vente, ce qui correspond à une baisse des seuils de 20 % environ.
Je n’ai pas proposé à la commission d’aller plus loin dans cette direction pour plusieurs raisons.
Tout d’abord, s’il suffisait d’abaisser les seuils pour réguler efficacement les implantations commerciales, cela se saurait. Nous avions des seuils de 300 mètres carrés avant 2008 et notre urbanisme commercial n’en est pas moins dans un état déplorable. Je pense donc que la régulation par les seuils est dans l’ensemble peu efficace.
Ensuite, un abaissement excessif des seuils est contraire au droit européen. Revenir à des seuils de 300 mètres carrés ou de 500 mètres carrés, ce serait clairement, pour l’Europe, franchir la ligne jaune.
Enfin, le relèvement des seuils par la loi LME n’a pas eu que des effets négatifs, au moins pour les centres-villes, chère Élisabeth Lamure. Nous connaissons tous des exemples d’implantations commerciales de moyenne surface en centre-ville qui sont devenues de véritables petites locomotives, continuant ainsi à animer des secteurs urbains qui avaient tendance à péricliter.
Compte tenu des limites inhérentes à la régulation par les seuils de surface, j’ai souhaité proposer une voie alternative, plus novatrice, en l’occurrence une régulation des implantations sur la base d’une typologie des secteurs d’activité commerciale.
Le texte adopté par la commission prévoit que le DAC pourra poser, dans les secteurs périphériques, des règles de localisation différentes selon la catégorie de commerce considérée : alimentation, équipement de la personne, équipement de la maison, loisir-culture. Cet outil permettra aux élus de réserver ou de limiter les secteurs géographiques périphériques aux commerces qui porteraient atteinte à la vitalité des centres-villes.
De toute façon, tout le monde le sait, mes chers collègues, s’installer en périphérie coûte moins cher, car les charges foncières y sont moins importantes, l’accessibilité y est meilleure grâce à la présence de nombreux parkings et les bénéfices sont plus élevés. Ceux qui ne saisiraient pas cette opportunité de s’installer en périphérie seraient donc de très mauvais entrepreneurs. En l’acceptant, ils sont dans leur rôle. Le nôtre, c’est de réguler. En effet, la finalité n’est pas de favoriser le bénéfice de ces commerçants, même s’il doit exister, mais d’éviter que leur activité ne se fasse au détriment des centres-villes.
La disposition en cause, novatrice, a été adoptée à l’unanimité par la commission de l’économie, qui l’a estimée fondamentale.
Cela n’empêche pas certains acteurs, qui voudraient pouvoir continuer à développer de façon totalement anarchique les bâtiments commerciaux, d’émettre à son égard certaines critiques, à mon sens infondées ou exagérées, auxquelles je souhaite répondre.
Certains lui reprochent d’être contraire à la liberté d’établissement. Il y a sur ce sujet beaucoup de confusion. La typologie permet certes, éventuellement, d’interdire l’installation de commerces d’un certain type à tel endroit précis, mais en aucun cas de leur fermer l’accès à la zone de chalandise.
Juridiquement, le seul critère pertinent pour juger du respect de la liberté d’établissement est celui-ci : les contraintes imposées à cette liberté restent-elles proportionnées à l’objectif recherché ? La réponse est sans conteste « oui ».
En effet, l’utilisation de la typologie est purement facultative ; la liberté d’implantation des commerces ne peut être bridée que dans des zones géographiques bien délimitées – les secteurs périphériques déterminés par le DAC – puisque la typologie ne s’applique pas ailleurs ; les contraintes imposées concernent uniquement les commerces d’au moins 1 000 mètres carrés, la typologie ne s’appliquant pas en deçà de ce seuil ; enfin, le renforcement de la régulation en périphérie est compensé par une totale liberté d’implantation dans les centralités urbaines.
La loi concilie donc liberté d’établissement et aménagement du territoire. D’ailleurs, monsieur le secrétaire d’État, la Commission européenne, consultée sur cette question, n’a pas considéré que la disposition proposée était contraire au droit européen. Elle a même déclaré que le texte qui lui était présenté par Michel Piron, rapporteur de la proposition de loi à l’Assemblée nationale, et moi-même était « exemplaire et pouvait servir de modèle à d’autres pays européens ».
Autre élément du débat, le Gouvernement s’inquiète des modalités concrètes de mise en œuvre de cette mesure. Il craint, comme toujours, que certains élus ne détournent la typologie pour en faire un outil de régulation de la concurrence et non d’aménagement du territoire.
On doit rappeler d’abord que rien dans la loi n’autorise les élus à faire la police de la concurrence sur le marché local ni à opérer une discrimination entre les enseignes ou les concepts commerciaux. Le permis de construire, qui sert d’autorisation d’implantation, ne le permet pas.
En outre, il est clair que la typologie n’est pas un outil discrétionnaire. Le DAC devra justifier que les conditions restrictives qu’il pose sont proportionnées aux exigences d’aménagement du territoire qu’il fixe. Le juge y veillera le cas échéant et les SCOT trop malthusiens seront annulés au nom de la liberté de commerce. Des DAC ont d’ores et déjà été annulés en France pour ce motif.
Les travaux préparatoires à l’examen du présent texte montrent sans ambiguïté que le principe qui structure ce dernier est bien de concilier la liberté de commerce et l’aménagement du territoire, et non de subordonner l’un à l’autre. C’est sur ce point fondamental, monsieur le secrétaire d’État, que nos vues divergent avec le Gouvernement. Au nom du pouvoir d’achat de nos concitoyens, au moment où le gaz augmente de 9 %, où les produits de base enregistrent d’importantes hausses de prix, il faudrait laisser les promoteurs commerciaux s’installer où ils veulent, comme ils le souhaitent ; nous pensons pour notre part que la situation dans laquelle se trouve notre pays justifie largement l’instauration d’une certaine régulation.
Avant d’en arriver au contentieux, le texte prévoit cependant plusieurs garde-fous pour empêcher les détournements ou les erreurs de conception des DAC.
Ces garanties sont les suivantes : les commerçants seront associés à l’élaboration de ces documents d’urbanisme, de même, mon cher Gérard Cornu, que les chambres consulaires, qui donneront leur avis, comme le prévoit la procédure normale pour un SCOT ou un PLU. La commission régionale d’aménagement commercial sera consultée pendant l’élaboration du DAC. Il convient d’ajouter le contrôle du préfet avant l’entrée en vigueur du SCOT et des mécanismes de modification simplifiée des DAC qui permettront rapidement de rectifier le tir.
Tous ces arguments montrent que la typologie des secteurs d’activité commerciale constitue un outil à la fois efficace et mesuré.
Je le dis en toute franchise, notamment à vous, monsieur le secrétaire d’État, avec qui j’en ai longuement discuté et avec qui j’entretiens des relations plus que cordiales : si vous êtes en mesure de nous proposer une autre solution qui réponde au problème de l’agonie des centres-villes, nous sommes preneurs ! C’est bien parce que l’implantation commerciale sur notre territoire n’a pas été régulée depuis trente-cinq ans que nous sommes parvenus à une situation aussi anarchique. Restons modestes, mais soyons déterminés et volontaires pour y mettre fin !
Je parle naturellement d’une véritable solution, ce que ne comportent pas les nombreuses propositions que vous nous avez faites jusqu’à ce jour, comme le renforcement du droit de préemption ou la hausse de la taxe sur les surfaces commerciales, la TASCOM, en périphérie, qui sont des outils complémentaires certes intéressants, mais très insuffisants, vous le savez, pour régler la question capitale de la désertification des centres des villes moyennes.
La solution que je préconise n’a sans doute pas que des avantages, mais ne pas la présenter reviendrait, j’en suis persuadé, à faire preuve d’un immobilisme coupable, dont je ne voudrais en aucun cas être coresponsable.
Telle est ma lecture de cette proposition de loi. Je suis convaincu que si l’on ne donne pas au DAC les outils puissants que je vous propose d’adopter – à charge pour les élus de les utiliser à bon escient – l’aménagement du territoire sera une fois de plus, et pour longtemps encore, sacrifié. Dans dix ans, la situation sera toujours la même, faute de nous être dotés des moyens adéquats. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Claude Merceron.
M. Jean-Claude Merceron. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, depuis le début des années soixante, l’urbanisme commercial a subi une mutation profonde, marquée par deux phénomènes majeurs.
D’une part, le développement du commerce de grande surface a été conforté depuis très longtemps par une forte pression à la baisse sur les prix des produits de consommation courante, notamment dans les secteurs de l’alimentation et de l’habillement.
D’autre part, une conception de l’urbanisme qui consistait à attribuer une fonctionnalité spécifique à chaque quartier de la ville a prévalu. Ce vieux rêve de Le Corbusier, aujourd’hui dépassé, a poussé à la création de zones exclusivement commerciales dans la périphérie des villes.
Succès apparent de cette politique : 70 % du chiffre d’affaires commercial en France est aujourd’hui réalisé en zone périurbaine, contre 30 % en Allemagne.
Mais l’on constate aussi, avec regret, les effets de cette conception irrationnelle de l’urbanisme commercial : dévitalisation de nos centres-villes, érosion des commerces de proximité, implantation anarchique de hangars défigurant le paysage, sans parler des effets sur l’environnement d’une ville dont la séparation entre zones commerciales et zones d’habitation rend indispensable l’usage de la voiture.
Depuis quarante ans se sont donc développées sous nos yeux des « métastases » périurbaines, spécialisées pour les unes dans les commerces de grande surface, et pour les autres dans le logement.
Face à cette situation, nous avons tenté, en vain, depuis la loi Royer et jusqu’à la loi Raffarin de 1996, de contrôler les implantations commerciales.
Mais la tendance s’est inversée, puisque la loi de modernisation de l’économie du 4 août 2008 a relevé les seuils d’autorisation pour les implantations commerciales, privilégiant ainsi une lecture économique et concurrentielle par rapport à une conception soucieuse d’un aménagement et d’un développement urbains harmonieux et durables.
Le Parlement semble heureusement se réapproprier cette question.
L’excellent rapport du député Charié, décédé depuis lors, dressait un constat à la fois réaliste et accablant de la situation, tout en suggérant des pistes d’amélioration. Certaines d’entre elles ont d’ailleurs trouvé leur place dans le texte que nous examinons.
L’adoption par le Sénat, à la fin de l’année 2009, de la proposition de loi relative à l’amélioration des qualités urbaines, architecturales et paysagères des entrées de villes de notre collègue Jean-Pierre Sueur a en outre permis de souligner la piètre qualité de l’environnement offert par les zones périurbaines. Ce sujet avait ému la Haute Assemblée tout entière.
Je salue aujourd’hui l’initiative du député Patrick Ollier, devenu ministre. Elle doit permettre de redonner à l’urbanisme commercial ses lettres de noblesse.
Le texte qui nous est soumis favorise en effet, par le biais des documents d’aménagement commercial, le développement harmonieux, concerté et prospectif du commerce sur nos territoires, selon des objectifs pertinents : la limitation de l’étalement urbain, la prise en compte des transports collectifs, la diversité commerciale, la revitalisation des centres-villes…
Si ces objectifs sont louables, la proposition de loi issue de l’Assemblée nationale était loin d’être satisfaisante. Je salue donc le travail de la commission, notamment de son rapporteur, notre collègue Dominique Braye, qui a en partie corrigé les insuffisances du texte voté à l’Assemblée nationale.
J’espère encore, monsieur le rapporteur, après la discussion tonique et quelque peu fermée de ce matin en commission, que vous prendrez en considération les propositions des sénateurs centristes.
Dans ce débat sur l’urbanisme commercial, les membres du groupe de l’Union centriste attachent une importance particulière à trois principes majeurs, qui ont dicté les amendements qu’ils ont déposés.
Premièrement, la loi doit être de qualité. Il est inopportun et de toute façon impossible de tout prévoir dans un texte législatif. Plus la loi se perd dans les détails, moins elle est cohérente et applicable en pratique.
À l’inverse, la sécurité juridique, la clarté et, in fine, l’efficacité du texte que nous allons adopter sont essentielles, puisque ce dernier fixe un cadre dans lequel les élus locaux pourront constituer les documents d’aménagement commercial en fonction du contexte local, au terme d’une réflexion qui prendra en compte les besoins des habitants.
Le respect de la liberté des élus locaux est la deuxième valeur que le groupe de l’Union centriste entend défendre.
Respecter les libertés locales est d’autant plus important que l’urbanisme est une compétence essentielle des maires, qu’ils exercent en concertation dans le cadre des intercommunalités. Respecter la liberté de ces élus ne signifie pas pour autant ne rien exiger d’eux. Encore une fois, la loi peut fixer un cadre dans lequel s’exerce cette liberté.
Troisièmement, nous devons nous attacher à poursuivre un aménagement commercial durable. Or ce ne sera le cas que si celui-ci porte sur l’amélioration de l’existant, par opposition à la construction de zones toujours nouvelles, prises sur des espaces naturels et agricoles.
Tant les lois sur le Grenelle de l’environnement que la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche érigent la limitation de la consommation des espaces agricoles en principe de valeur législative. Il est de bon sens que le cadre que nous allons fixer à l’urbanisme commercial réponde à ce même souci.
Cette triple démarche a donc conduit le groupe de l’Union centriste à déposer un certain nombre d’amendements.
Afin d’assurer une perfection juridique au texte que nous allons voter, je vous soumettrai, mes chers collègues, non seulement un amendement rédactionnel, mais aussi des amendements de fond. Je pense en particulier à celui qui tend à ce que les élus fixent les conditions ou prescriptions d’urbanisme dans les zones périurbaines. C’est une condition de l’opposabilité, c’est-à-dire de la portée réglementaire du document d’aménagement commercial.
Si cette proposition n’était pas adoptée, le DAC connaîtrait sans aucun doute le même échec que les schémas départementaux de développement commercial, puisque personne ne pourrait se prévaloir, en cas de recours contre un permis de construire, d’une méconnaissance de ses objectifs ou de ses prescriptions.
Bien entendu, rendre obligatoire la réflexion sur les prescriptions prévues aux alinéas 7 à 9 de l’article 1er, notamment sur celles qui concernent la desserte et la qualité architecturale, ne signifie pas que les élus devront retenir obligatoirement toutes les prescriptions. Ils pourront estimer que l’une d’entre elles n’est pas nécessaire si les contingences locales le justifient.
L’idée clairement exprimée dans l’objet de l’amendement auquel je fais référence est de rendre indispensable la conduite d’une réflexion sur chacune des prescriptions du DAC, faute de quoi nous passerons à côté de l’objectif recherché par les auteurs de la proposition de loi !
Le DAC doit pouvoir en outre être révisé pour s’adapter à nos modes de consommation, marqués aujourd’hui par l’essor des commandes sur Internet livrées à domicile, ou le retour des moyennes surfaces dans les centralités urbaines.
Par ailleurs, afin de garantir le respect de la liberté des élus, il nous a semblé opportun de n’intégrer dans les schémas de cohérence territoriale qu’un cadre laissant aux élus la possibilité de déterminer les implantations commerciales parcelle par parcelle, au travers du plan local d’urbanisme. Ma collègue Valérie Létard, auteur d’un amendement ayant cet objet, aura l’occasion de défendre plus avant cette proposition ultérieurement.
Enfin, en vue de limiter l’étalement urbain, nous avons déposé un amendement visant à privilégier les implantations commerciales dans le tissu urbain existant grâce à la rénovation des quartiers.
Tels sont, mes chers collègues, le sens de la démarche des membres du groupe de l’Union centriste et les points sur lesquels porteront leurs amendements.
Nous soutiendrons la présente proposition de loi si nous obtenons des réponses satisfaisantes aux préoccupations que je viens d’exposer. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. François Patriat.
M. François Patriat. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, malgré la force de conviction dont M. le rapporteur a fait preuve pour nous vanter les objectifs louables de la présente proposition de loi, les insuffisances de celle-ci, voire ses contradictions, la rendent à nos yeux pour partie inopérante. Cette proposition de loi est en quelque sorte un texte de repentance.
En effet, au début de la législature, la majorité a fortement dérégulé le secteur de la grande distribution en réformant les relations entre fournisseurs et distributeurs, ainsi que les conditions d’implantation des établissements : la loi de modernisation de l’économie de 2008 visait tout simplement à libéraliser le secteur pour faire baisser les prix.
Avant d’aborder la proposition de loi, permettez-moi de revenir quelques instants sur le problème des prix. Depuis un an, les prix d’achat aux producteurs laitiers se sont effondrés, alors que les prix du lait en grande surface n’ont, eux, pas baissé. Il en est de même pour le porc et pour le poulet. Tel est le résultat d’une enquête réalisée dans 140 antennes locales par l’association de consommateurs UFC-Que Choisir.
L’association a relevé les prix suivants : le porc, acheté 1,34 euro le kilo aux producteurs, est vendu 6,58 euros en rayon ; le poulet, acheté 2,11 euros le kilo, est vendu 11,50 euros aux consommateurs ; le lait, acheté 0,29 euro le litre, est vendu 0,73 euro.
L’association ne s’explique pas ces différentiels importants. Malgré les promesses de la loi LME, nous ne savons toujours pas comment les distributeurs forment leurs prix et quelles sont leurs marges. Entre les mois d’août 2007 et de juillet 2008, les intermédiaires et les distributeurs ont invoqué l’inflation des prix des matières premières agricoles pour justifier leurs hausses de tarifs. Mais nous le savons parfaitement, les grands distributeurs sont bien plus enclins à répercuter les hausses que les baisses des coûts des matières premières !
Cette enquête UFC-Que Choisir excluait les hard discounters. Pourtant, entre 2007 et 2009, mes chers collègues, toutes les enseignes de hard discount se sont étoffées : Lidl a ainsi ouvert 173 nouveaux magasins, Aldi 170, Leader Price 134, ED 108 seulement, soit une légère progression.
Vouloir lever les barrières à l’entrée du marché afin d’intensifier la concurrence entre enseignes au profit des consommateurs était peut-être louable, mais en réalité, comme nous le redoutions, la loi LME a seulement permis l’explosion des surfaces commerciales en France, notre pays étant pourtant déjà l’un des plus pourvus d’Europe.
La majorité applique des solutions dogmatiques, qui se révèlent catastrophiques sur le terrain.
La progression spectaculaire des magasins de hard discount n’a pas rendu possible les baisses de prix escomptées. Vous vous êtes trompés. Je vous propose donc, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, d’engager ce débat avec une certaine humilité. Je pense qu’elle s’impose. Certes, j’ai noté une volonté politique effective sur cette question, mais de réels désaccords subsistent entre nous.
Aujourd’hui, votre objectif de libéralisation des implantations commerciales a été atteint : toute régulation nationale des implantations a été supprimée et les quelques verrous que vous avez consenti à mettre en œuvre en 2008 n’ont pas permis aux élus de juguler l’explosion, parfois complètement anarchique, des mètres carrés dans les zones commerciales.
Pis, le cafouillage dans la production des décrets d’application et des circulaires correspondantes a eu pour effet de laisser les territoires dans le flou pendant plus d’un an, au grand bénéfice des surfaces qui souhaitaient s’agrandir. Résultat : non seulement les constructions se sont multipliées, mais aussi les agrandissements, parfois de manière totalement illégale.
À l’instar de M. le rapporteur, je pense que la législation de l’urbanisme commercial devrait d’abord être un outil urbanistique d’organisation de l’espace pour les collectivités territoriales, ce que n’était pas la loi de modernisation de l’économie.
La proposition de loi de Patrick Ollier que nous examinons aujourd'hui est une tentative de rectifier le tir. Même si nous souscrivons à la démarche, force est de constater que vous n’utilisez malheureusement pas toutes les capacités qu’offrent le droit européen et les textes nationaux pour doter nos territoires des outils les plus performants.
Certes, monsieur le rapporteur, nous avons l’obligation de respecter le droit européen en matière de concurrence et de liberté d’établissement. Celui-ci interdit les procédures d’autorisation des implantations commerciales qui reposeraient uniquement sur des tests économiques. Toutefois, les textes autorisent également la définition de critères d’intérêt général et d’aménagement équilibré du territoire.
Comme d’habitude, la majorité a une vision très restrictive de l’intérêt général et du service ! En effet, depuis 2002, elle interprète les textes européens de la manière la plus libérale qui soit. Pis, mes chers collègues, vous invoquez la liberté d’installation et de concurrence. Pourtant, lorsque des enseignes différentes sont alimentées par une même centrale d’achat, dans les faits, il n’y a pas beaucoup de concurrence ! La proposition de loi contient-elle des mesures relatives à cette question ? Non !
Cette proposition de loi, qui prévoit d’intégrer le droit de l’urbanisme commercial dans le droit commun de l’urbanisme, devrait permettre, en théorie, de simplifier les procédures d’autorisation. Désormais, seul le permis de construire devient nécessaire.
Le texte généralise le document d’aménagement commercial, le fameux DAC, qui serait adossé aux SCOT et, à défaut, aux PLU. Ce document définirait les grandes orientations relatives à l’organisation du commerce.
En apparence, vous redonnez la main aux élus en leur offrant la possibilité, dans certains secteurs, de définir des règles en vue de l’implantation des grandes surfaces de plus de 1 000 mètres carrés. En revanche, partout ailleurs, en particulier dans les centralités des villes, tout reste permis.
Je regrette donc que, à ce stade, les amendements déposés par les membres du groupe socialiste tendant à inscrire dans la proposition de loi les seuls critères introduisant de réels outils de régulation, à savoir l’abaissement du seuil et le principe d’une validation des permis de construire par le président du SCOT, n’aient pas été retenus.
M. Martial Bourquin. Absolument !
M. François Patriat. Pourtant, monsieur le rapporteur, vous êtes sensible à nos arguments, et je vous en sais gré. Nous avons, par exemple, proposé d’abaisser le seuil d’autorisation à 300 mètres carrés. Nous sommes prêts à admettre, comme lors du débat sur la loi LME, un seuil de 500 mètres carrés. Il ne faut pas se réfugier derrière la Commission européenne, comme vous l’avez fait. Vous savez comme moi que la question du seuil ne figure dans aucun texte européen. Il n’existe pas de seuil obligatoire.
Je tiens également à souligner que certaines des dispositions introduites dans le texte par la majorité sénatoriale peuvent avoir des effets pervers, car elles conduiraient à entériner de facto les situations de monopole.
Monsieur le rapporteur, sur votre initiative, dans les secteurs où seront autorisées les surfaces supérieures à 1 000 mètres carrés, les élus pourront distinguer le type de commerce – commerces d’alimentation, d’équipement de la personne, d’équipement de la maison, de loisirs.
Mais, à y regarder de plus près, cette typologie, qui pourrait avoir un sens si les règles locales étaient applicables sur tout le territoire, aurait des effets pervers si elle n’était appliquée qu’à quelques zones commerciales. Ainsi, dans les villes où existent des situations de monopole, personne n’a intérêt à l’implantation d’un concurrent, à part évidemment le consommateur.
Donner la possibilité aux élus d’autoriser l’implantation de tel ou tel type de grande surface revient à les autoriser à interdire certains commerces et, de facto, à permettre aux commerçants et aux lobbies locaux de faire pression lors de l’élaboration du DAC, puis de contester les décisions qui en découleront. Comme l’indique notre collègue Jacques Mézard dans l’objet de l’un de ses amendements, c’est là un facteur de complexité et d’incertitude.
Le problème, vous l’aurez compris, monsieur le rapporteur, c’est que votre typologie ne s’applique pas aux commerces de moins de 1 000 mètres carrés. Partout, les surfaces comprises entre 300 mètres carrés et 999 mètres carrés demeurent libres d’installation. Certes, nous le constaterons lorsque nous examinerons les amendements, certaines choses sont sur le point de changer, des progrès – nous les approuvons – ont été réalisés lors des travaux de la commission.
En l’espèce, le danger réside non pas dans la liberté d’installation, mais dans la capacité des monopoles, quand ils existent, à faire pression sur les élus locaux. Or les monopoles que nous évoquons sont précisément ceux qui refusent obstinément de baisser les prix.
Au risque de me répéter, je rappelle que c’est l’absence de toute régulation en deçà de 1 000 mètres carrés qui a conduit à l’explosion des surfaces intermédiaires à laquelle les élus doivent aujourd’hui faire face. Le risque est que ces enseignes fassent faillite et que les élus se retrouvent avec de nouvelles friches commerciales.
Aujourd’hui, on le constate, ce sont ces surfaces qui se diversifient. Ainsi, par exemple, des hard discounters intermédiaires imposent des conditions de concurrence déraisonnables pour les artisans – boulangers, charcutiers, fleuristes et cavistes – des centres-villes. Après les villages, ce sont les villes moyennes que vous allez vider de leur animation !
Enfin, le texte issu de la commission ne permet pas de résoudre les problèmes posés par la confusion entre autorisation de construire et autorisation d’implantation.
Au vu des pièces demandées pour l’obtention d’un permis de construire, les élus ne peuvent pas disposer de critères sur lesquels s’appuyer afin de décider de l’opportunité ou non d’une implantation commerciale.
C’est la raison essentielle pour laquelle nous présenterons de nouveau en séance les amendements qui ont été rejetés en commission, notamment ceux qui sont relatifs aux seuils et celui qui tend à instaurer le principe d’une validation des permis de construire à vocation commerciale par le président du SCOT.
À l’issue de nos débats, nous tirerons les conclusions qui s’imposent. Si la proposition de loi entérinait la dérégulation introduite par la loi de modernisation de l’économie, si elle confirmait une vision ultralibérale des territoires, si les solutions proposées n’étaient pas suffisantes pour permettre aux centres-villes de retrouver leurs activités, nous ne pourrions pas la voter à vos côtés. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Modification de l’ordre du jour
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission de l'économie.
M. Jean-Paul Emorine, président de la commission de l'économie. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, en application de l’article 29 bis du règlement, je vous propose de modifier l’ordre du jour de l’après-midi du jeudi 31 mars, afin d’y ajouter, compte tenu du nombre d’amendements déposés, la suite de l’examen de la proposition de loi relative à l’urbanisme commercial.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
12
Nomination de membres d'une commission mixte paritaire
Mme la présidente. Il va être procédé à la nomination de sept membres titulaires et de sept membres suppléants de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi de simplification et d’amélioration de la qualité du droit.
La liste des candidats établie par la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale a été affichée conformément à l’article 12 du règlement.
Je n’ai reçu aucune opposition.
En conséquence, cette liste est ratifiée et je proclame représentants du Sénat à cette commission mixte paritaire :
Titulaires : MM. Jean-Jacques Hyest, Bernard Saugey, Patrice Gélard, François Zocchetto, Jean-Pierre Sueur, Richard Yung, Mme Josiane Mathon-Poinat ;
Suppléants : Mme Nicole Bonnefoy, M. Pierre Bordier, Mmes Françoise Henneron, Virginie Klès, MM. Hervé Maurey, Jacques Mézard, François Pillet.
13
Ordre du jour
Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au jeudi 31 mars 2011 :
De neuf heures à treize heures :
1. Suite de la proposition de loi, adoptée par l’Assemblée nationale, relative à l’urbanisme commercial (n° 558, 2009-2010).
Rapport de M. Dominique Braye, fait au nom de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire (n° 180, 2010-2011).
Texte de la commission (n° 181, 2010-2011).
À quinze heures :
2. Proposition de résolution, présentée en application de l’article 34-1 de la Constitution, de Mme Annie David et plusieurs de ses collègues du groupe CRC-SPG, relative à la mise en conformité du droit français concernant le régime des astreintes et le système de forfaits en jours sur l’année considérés par le Comité européen des droits sociaux comme violant différentes dispositions de la Charte sociale européenne (n° 328 rectifié, 2010-2011).
3. Suite de l’ordre du jour du matin.
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à minuit.)
Le Directeur du Compte rendu intégral
FRANÇOISE WIART