M. Guy Fischer. C’est vrai !
M. Alain Milon, rapporteur. Elle a toutefois un grand mérite, celui de la clarté : clarté pour les scientifiques, clarté pour l’image internationale de la France. Pour moi, il vaut mieux des choix assumés et étroitement contrôlés que des positions ambiguës, toujours moralement contestables. (MM. Gilbert Barbier et Guy Fischer applaudissent.)
Par ailleurs, il me semble que, lorsque l’on parle de recherche impliquant l’embryon, on se focalise trop souvent sur les thérapies utilisant les cellules souches embryonnaires. Il existe aussi des recherches conduites au profit des embryons, dans le but de mieux comprendre l’embryogenèse, de soigner les maladies dès les premiers stades de la vie et d’améliorer les procédures d’assistance médicalisée à la procréation. Elles ne doivent pas être négligées. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste.)
De la même manière, il existe des recherches sur d’autres catégories de cellules souches qui ne posent pas les mêmes problèmes éthiques et qui doivent être encouragées. Il s’agit des cellules du sang de cordon, du cordon ombilical et du placenta. La France est en avance dans ce domaine ; nous devons poursuivre nos efforts dans cette voie. À cet égard, je me réjouis que le projet de loi accorde un statut à ces cellules.
J’ajoute que le devoir de ne pas nuire qui incombe à la médecine nous impose la plus grande prudence en matière de choix de politique de santé publique. Jusqu’à ce que les pratiques de diagnostic évoluent en 2008, le recours à l’amniocentèse a causé la perte de six cents à sept cents embryons sains par an pour le diagnostic de trois cents cas de trisomie 21. La balance entre les bénéfices et les risques demande à être toujours exactement prise en compte.
Le débat nous donnera l’occasion de revenir sur l’ensemble des mesures de ce texte essentiel, mais, avant de conclure, je me permets de le resituer dans la durée.
Si je souscris pleinement à la nécessité de stabilité des normes, je suis convaincu que le Parlement doit être tenu informé de l’évolution de la biomédecine, afin de pouvoir reprendre l’initiative législative si nécessaire. (Approbations sur les travées du groupe socialiste.)
De la même manière, les citoyens doivent pouvoir se saisir régulièrement de l’ensemble de ces sujets. C’est pourquoi la commission des affaires sociales a prévu qu’un débat public, sous la forme d’états généraux très ouverts, devra avoir lieu avant chaque projet de réforme et, en tout état de cause, au moins une fois tous les cinq ans.
M. Jacky Le Menn. Très bien !
M. Alain Milon, rapporteur. Mes chers collègues, je ne doute pas que notre débat aura la hauteur de vue et la dignité qu’appellent des sujets aussi essentiels pour notre société et les générations futures. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. François-Noël Buffet, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la commission des lois s’est saisie pour avis de onze articles du projet de loi adopté par les députés le 15 février dernier.
La compétence de la commission des lois se justifie par la nature de certaines questions bioéthiques qui intéressent directement le droit de la famille, le droit de la responsabilité civile ou certains principes fondateurs inscrits dans notre code civil, comme le principe de l’anonymat du don ou celui de non-patrimonialité du corps humain.
Les lois fondatrices du 29 juillet 1994 ont posé le socle de la législation bioéthique. Conscient du caractère novateur de celle-ci et de la nécessité qu’elle soit appréciée à l’épreuve des faits et des évolutions scientifiques, le législateur avait posé le principe d’une révision périodique de cette législation tous les cinq ans. La première révision intervint en 2004, sans qu’elle s’accompagnât de remises en cause majeures des équilibres établis en 1994. Tel est aussi le cas du présent projet, qui constitue donc la deuxième occasion de révision.
En effet, ce projet de loi est d’une ampleur limitée : les principes édictés en 1994 sont solides et pertinents, et il n’y a pas de raison de les remettre en cause. Le seul principe nouveau est celui de l’abandon du principe de la révision. Sans doute peut-on y voir le signe de la maturité de cette législation, qui rentre dans le champ du droit commun et sera soumise à la vigilance continue du législateur. La mesure est judicieuse, à la condition que le débat soit organisé et se poursuive, comme l’a proposé la commission des affaires sociales.
Si cette législation doit s’adapter aux progrès scientifiques ou médicaux, il est souhaitable que les principes sur lesquels elle repose ne soient pas remis en cause, à moins que des bouleversements scientifiques ou des évolutions sociales ne le requièrent.
À cet égard, la commission des lois a constaté qu’aucune des dispositions dont elle s’est saisie n’est imposée par une avancée scientifique ou médicale déterminante. Au contraire, qu’il s’agisse de l’anonymat des donneurs de gamètes ou du transfert post mortem d’embryon, les questions qui se posent aujourd’hui sont les mêmes que celles auxquelles le législateur a répondu en 1994 et en 2004 en réaffirmant sa position de principe.
Les souhaits de modification de la législation, qui reposent souvent sur une souffrance que nul ne peut nier, sont légitimes. Toutefois, ils ne sauraient justifier à eux seuls une remise en cause de principes essentiels si cela a pour effet de porter atteinte à des intérêts tout aussi légitimes que ceux qu’ils défendent.
À l’issue de ses travaux, la commission des lois a adopté six amendements, qui ont tous été intégrés par la commission des affaires sociales au texte soumis à notre examen.
Avant de vous présenter brièvement le sens des conclusions de la commission des lois sur les onze articles dont elle s’est saisie, je souhaite remercier la commission des affaires sociales et son excellent rapporteur, M. Alain Milon, de la qualité du débat et des travaux qu’ils ont menés sur le projet de loi relatif à la bioéthique.
Le premier point concerne la procédure d’information de la parentèle en cas d’anomalie génétique grave.
Madame la secrétaire d’État, la commission des lois partage l’objectif du Gouvernement de simplifier cette procédure, pour garantir une diffusion plus efficace de l’information médicale à caractère génétique.
Cependant, elle a été attentive à ce que les intérêts de chacun soient préservés, qu’il s’agisse de la personne diagnostiquée ou de ses apparentés. À cet égard, il lui a semblé plus judicieux de renvoyer sans exception au droit commun de la responsabilité civile et de la représentation légale.
Le deuxième point porte sur l’extension du cercle des donneurs vivants.
L’Assemblée nationale propose d’étendre un peu plus le cercle des donneurs vivants d’organe à toute personne avec laquelle le receveur possède un lien affectif étroit, stable et avéré.
Dans son principe, cette extension ne pose pas de problème. Cependant, on peut craindre qu’elle ne soit détournée par certains pour permettre des trafics. Il est effectivement plus facile de simuler un lien affectif stable qu’un lien familial établi par un acte d’état civil. Au cours de son audition, le délégué du président du tribunal de grande instance de Paris, chargé de vérifier le consentement du donneur d’organe et le respect des conditions légales, a confirmé à votre serviteur la nécessité d’appuyer cette extension sur des éléments objectifs, notamment une durée minimale fixe. Tel est le sens du délai de deux ans prévu dans les dispositions de l’article 5.
Le troisième point a trait à la suppression de toute condition liée à la stabilité du couple souhaitant recourir à une assistance médicale à la procréation.
En droit français, l’assistance médicale à la procréation est conçue en miroir de la procréation naturelle : elle vise à permettre à un couple de pallier l’infertilité qui l’empêche de procréer naturellement.
Elle n’a pas pour objet de rendre possible des procréations impossibles. Pour cette raison, elle répond à des conditions médicales strictes.
À ces conditions médicales s’ajoutent des conditions sociales qui rendent compte de l’intérêt, d’une part, de l’enfant à naître dans un couple parental stable et uni et, d’autre part, de la société, qui consacre certaines formes de parentalité. Le couple doit ainsi répondre au critère d’une certaine stabilité en étant, soit marié, soit en mesure d’apporter les preuves d’une vie commune d’au moins deux ans.
Initialement, le projet de loi prévoyait d’étendre cette condition de stabilité aux partenaires hétérosexuels ayant conclu un pacte civil de solidarité, un PACS. L’Assemblée nationale est allée plus loin puisqu’elle a supprimé cette exigence de stabilité au motif que la durée d’une assistance médicale à la procréation et les épreuves que cette dernière impliquait manifestaient suffisamment l’engagement du couple demandeur.
La commission des lois n’a pas jugé cette suppression opportune : la condition juridique de stabilité offre aux équipes médicales un fondement juridique pour refuser l’assistance médicale à la procréation à un couple qui ne présenterait pas les qualités de stabilité requises, et ce dans l’intérêt de l’enfant. Faire disparaître cette exigence de stabilité, c’est concrètement supprimer toute possibilité de contrôle sur la réalité du couple qui demande à recourir à l’assistance médicale à la procréation. Symboliquement, cela revient à réduire encore un peu les dispositions qui renvoient, implicitement, à l’intérêt de l’enfant à naître. La commission des lois a, en conséquence, déposé un amendement, adopté par la commission des affaires sociales, visant à revenir à la rédaction du Gouvernement, en substituant toutefois à l’exigence d’une durée de vie commune de deux ans les conditions fixées pour le concubinage.
Le quatrième point concerne la levée de l’interdiction du transfert post mortem d’embryons.
Le droit en vigueur interdit à la fois le transfert posthume d’embryons et l’insémination à titre posthume. Pour que l’assistance médicale à la procréation puisse avoir lieu, les deux membres du couple doivent être vivants. Le décès de l’un d’eux interrompt irrémédiablement le processus. L’Assemblée nationale a proposé de lever cette interdiction, dans des conditions très encadrées.
La question du transfert post mortem d’embryons s’est déjà posée en 1994 et en 2004. Chaque fois, le législateur a écarté cette solution. La question revient devant nous alors qu’elle ne concerne, mes chers collègues, qu’à peine un cas par an.
Aussi légitime et respectable que soit la détresse des femmes confrontées à une situation si dramatique, celle-ci ne peut, à elle seule, guider le législateur lorsque cela aurait pour conséquence une remise en cause majeure de principes et de garanties essentiels.
La commission des lois a jugé nécessaire que l’intérêt de l’enfant prime : l’assistance médicale à la procréation ne peut être conçue que dans l’intérêt de ce dernier, qui est de naître dans une famille constituée de deux parents qui pourront l’élever. L’intérêt d’un enfant ne peut être de naître orphelin. Le projet parental qui fonde le recours à l’assistance médicale à la procréation est celui d’un couple parental : il disparaît avec ce couple, lorsque celui-ci se sépare ou lorsqu’un des deux partenaires décède.
En outre, il faut souligner la complexité et l’incertitude du régime dérogatoire mis en place, notamment en matière de succession et d’établissement de la filiation.
Enfin, la commission des lois a considéré qu’autoriser le transfert post mortem d’embryons conduisait à ouvrir la voie de l’insémination posthume ainsi que celle de procréations envisagées dans un contexte de mort prévisible ou imminente. Ni l’une ni l’autre de ces voies ne sont, selon nous, souhaitables.
Pour toutes ces raisons, après avoir rappelé que le transfert post mortem d’embryons ne concerne qu’un nombre extrêmement faible de cas – à peine un par an, je le répète –, la commission des lois a déposé un amendement, adopté par la commission des affaires sociales, et qui a supprimé le dispositif proposé par l’Assemblée nationale.
Le cinquième point a trait à l’encadrement des neurosciences et de l’imagerie cérébrale.
L’essor des neurosciences et le développement des techniques d’imagerie cérébrale, qui ne font aujourd’hui l’objet d’aucun encadrement juridique, suscitent de nouvelles interrogations éthiques.
Les députés ont souhaité apporter un certain nombre de garanties juridiques à l’utilisation de ces technologies. Ils se sont, pour ce faire, inspirés de l’encadrement juridique prévu pour l’examen des caractéristiques génétiques des individus, car le souci sous-jacent est identique dans les deux cas de figure : la crainte que l’on puisse considérer que les gènes ou les configurations neuronales du cerveau, siège de la pensée, constituent la vérité de la personne et que l’on utilise ces savoirs pour prédire les comportements ou les représentations relevant du for intérieur de chacun.
Le dispositif proposé présente donc le mérite d’apporter un cadre juridique à une pratique dont on ne mesure pas encore suffisamment les vertus et les risques. Il appartiendra donc au législateur d’être vigilant sur les évolutions futures de la discipline et des usages qui en seront faits, afin d’apporter toutes les garanties requises.
Le sixième point concerne la levée partielle de l’anonymat des donneurs de gamètes.
L’Assemblée nationale a supprimé la levée partielle de l’anonymat des donneurs de gamètes, que le texte prévoyait initialement d’autoriser.
La commission des lois partage l’analyse des députés sur ce point : la levée de l’anonymat est susceptible de perturber l’équilibre que le législateur a tenté d’instaurer, dans le respect des principes bioéthiques généraux, entre l’intérêt de tous ceux qui prennent part à l’assistance médicale à la procréation avec tiers donneur et l’intérêt des enfants nés de cette technique médicale.
Autoriser, par la levée de l’anonymat, le donneur à prendre une place dans l’histoire personnelle et familiale de l’enfant, fût-ce avec son consentement, fait surgir au cœur de la filiation un primat biologique qui menace à la fois le lien familial que la loi tente de créer et la perception que chacun peut avoir de ce lien.
La commission des affaires sociales a adopté un amendement de son rapporteur, visant à rétablir la levée partielle de l’anonymat. Ce dispositif peut apparaître plus cohérent puisqu’il prévoit que la levée de l’anonymat ne jouera que pour l’avenir et que les futurs donneurs donneront en toute connaissance de cause, sans pouvoir s’opposer à la transmission de leur identité aux enfants nés de leur don qui souhaiteront la connaître. Cependant, les mêmes objections peuvent être opposées à ce dispositif. La commission des lois vous proposera donc de ne pas adopter ces articles.
Enfin, plus que toute autre, la législation bioéthique appelle un examen prudent et responsable. Elle porte autant d’espoirs que de risques, de certitudes que d’incertitudes. Il revient au législateur d’arbitrer entre des exigences parfois contraires : répondre à une souffrance avérée, garantir la protection de la personne humaine, privilégier le respect de principes directeurs, pour mieux préserver les équilibres fondamentaux de nos sociétés. Les questions débattues nous imposent de choisir en conscience afin de concilier au mieux les intérêts de chacun, au bénéfice de tous. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste. – M. Jean-Claude Frécon applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Cazeau.
M. Bernard Cazeau. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, en 1994, la France a fait le choix de confier la définition des règles collectives en matière de bioéthique à la représentation nationale.
Ce faisant, notre société a considéré que ces règles n’étaient pas intangibles, qu’elles n’étaient pas limitables à de quelconques tabous moraux ou politiques. Au contraire, notre société a estimé qu’elles pouvaient à tout moment évoluer en réponse aux aspirations sociales et qu’il incombait au Parlement, aux élus du peuple, d’en être les arbitres et les garants.
Depuis cette date, grâce notamment aux révisions des années 2000, de nombreux progrès ont été accomplis.
Sur le terrain juridique, une codification du droit de plus en plus précise a été opérée. Sur le terrain démocratique, les modalités de la concertation et du débat public ont sans cesse été améliorées, comme le prouve d’’ailleurs l’association permanente des organismes consultatifs, du Conseil d’État et de la société civile aux travaux du Parlement sur ces sujets. Sur le terrain de l’analyse scientifique, la création de l’Agence de la biomédecine, qui autorise et évalue les protocoles de recherche, a permis – dans une certaine hypocrisie parfois – à la recherche de ne pas régresser.
Nous nous trouvons aujourd’hui dans la situation où le Parlement, après avoir écouté la société, loin des pressions et des conceptions intimes des uns et des autres, doit trancher.
Quelle est notre responsabilité en cet instant ? Il nous faut distinguer, parmi les évolutions rapides de la biologie et de la médecine, celles qui peuvent constituer de réels espoirs d’amélioration de la santé humaine et de la vie sociale et celles qui viseraient à servir des entreprises lucratives ou qui bafoueraient les droits de l’homme, socle fondateur de notre vie en commun.
Réguler le champ des sciences de la vie en les confrontant à l’éthique de la dignité de la personne humaine est donc une tâche complexe, mais aujourd’hui impérieuse. Aussi est-il légitime que nous réexaminions la législation en ce domaine afin de rechercher une nouvelle convergence entre le développement des techniques biomédicales et la continuité des normes bioéthiques.
Le texte que vous nous avez soumis, madame la secrétaire d'État, ne nous semble pas y parvenir complètement. Selon nous, il s’agit davantage d’un texte de réaffirmation, de précision, d’ajustement, que d’un texte de développement, en quelque sorte, encore incomplet sur plusieurs points majeurs.
Heureusement, dans un certain nombre de domaines, la commission des affaires sociales l’a bien fait évoluer. Je salue, à ce propos, la volonté dont a fait preuve M. le rapporteur.
Espérons, madame la secrétaire d'État, que nos débats permettront d’améliorer ce projet de loi et que vous aurez le souci d’être à l’écoute de nos propositions.
Je reprendrai les principaux aspects du texte, en commençant par ses points positifs.
J’insisterai, premièrement, sur l’accord de fond qui s’est dégagé entre les différentes sensibilités sur le terrain des frontières morales de nos travaux : d’une part, l’intégrité de la personne humaine et, d’autre part, le refus de la marchandisation du vivant. Ce consensus est primordial, car il nous préserve de toute dérive et constitue le socle d’un débat serein.
Nous approuvons la redéfinition de la procédure d’information de la parentèle en cas de repérage d’anomalie génétique. Les notions complexes telles que le respect du secret médical et le droit d’information des tiers concernés nous semblent être conjuguées habilement.
De la même façon, les ouvertures qui sont faites en matière de facilitation du don d’organe sont utiles. Les risques mercantiles sont écartés et les possibilités d’échange devraient être augmentées par l’autorisation encadrée du don croisé. Il ne faut toutefois pas perdre de vue que des efforts importants restent à développer en matière d’information et de promotion de la transmission d’organes, dans un pays où – il faut bien le dire – certaines pesanteurs culturelles continuent d’entourer cette pratique. Les articles 5 bis à 5 sexies portant, notamment, sur l’information en direction de la jeunesse vont, me semble-t-il, dans le bon sens.
En ce qui concerne la gestation pour autrui et la légalisation de la pratique des mères porteuses, dont il n’est d’ailleurs pas question dans le texte, mais qui ont été introduites à l’Assemblée nationale et qui ont également fait irruption – il faut bien le dire – dans le débat national depuis quelque temps, les avis convergent face aux dangers d’un détournement marchand d’une telle faculté. Sans nier la douleur des personnes dans l’incapacité d’avoir un enfant, nous pensons néanmoins que la société doit avant tout se prémunir de tout danger d’aliénation du corps humain. L’enfant n’est pas un produit, le corps de la femme n’est pas une matrice utilisable à loisir et par épisodes.
Reste, toutefois, le problème de la prolifération internationale de telles pratiques, qui exerce, il est vrai, une véritable pression sur la société française.
L’amendement présenté par M. le rapporteur sur ce sujet me paraît sinon empreint de naïveté, intéressant à analyser, car il est important que la législation française permette d’éviter la marchandisation dont je parlais précédemment. Et j’ai hâte de voir le sort qui lui sera réservé.
Pour beaucoup d’entre nous, l’adoption, qui est non pas un moindre mal, mais l’expression alternative d’un projet parental, répond parfaitement à notre conception de la parenté : le lien affectif et éducatif par-delà le lien génétique. Elle doit permettre de remédier aux souffrances vécues. Encore faut-il en améliorer les conditions d’accès, mais c’est un autre sujet qu’il conviendra de ne pas laisser de côté.
Mme Catherine Tasca. C’est très important !
M. Bernard Cazeau. J’en viens, maintenant, aux hésitations du texte et à des problématiques qui nous paraissent, pour l’heure, insuffisamment traitées ou précisées.
Concernant le problème de la levée de l’anonymat du don de gamètes en faveur des enfants majeurs qui souhaiteront connaître leurs origines, trois options nous sont actuellement offertes : le texte de l’Assemblée nationale, qui préconise le maintien de l’anonymat, faisant fi en cela de la demande de connaissance de leur identité d’un nombre toujours croissant de jeunes receveurs ; le texte du Gouvernement, qui lève l’anonymat, sous réserve de l’accord du donneur ; enfin, le texte de la commission qui ouvre toutes grandes les portes du refus de l’anonymat, mais en... 2032 ! Cela laisse augurer d’un débat long et acharné, mais certainement passionnant !
Pour ma part, à titre personnel, je pencherais plutôt pour l’adoption du texte du Gouvernement – une fois n’est pas coutume, madame la secrétaire d’État ! La filiation n’a pas un fondement exclusivement biologique ni exclusivement affectif ou éducatif, elle mêle intimement les deux. Le compromis gouvernemental, si je puis m’exprimer ainsi, me semble représenter un léger progrès, au moins aujourd’hui. Il constitue certainement une étape sur le chemin qui permettra de répondre à la nécessité éprouvée par un nombre de plus en plus important de personnes d’associer à la reconnaissance éducative la connaissance de leurs origines biologiques.
Dans le même ordre d’idée, nous regrettons, en ce qui concerne la restriction de l’accès à l’assistance médicale à la procréation, le maintien d’un critère de durée minimale de vie commune. La commission a ainsi fait le choix de rétablir la rédaction initiale du Gouvernement, alors que les députés avaient décidé de supprimer toute référence à une condition de stabilité du couple souhaitant s’engager dans un protocole d’assistance médicale à la procréation. En cela, la commission revient à une vision conservatrice de sa doctrine familiale, ce qui semble paradoxal, au vu de ce qui précède.
Je m’attarderai enfin sur la question fondamentale de la recherche sur les cellules souches embryonnaires à partir d’embryons surnuméraires destinés à la destruction. Nous demeurions, jusqu’alors, plus que sceptiques sur ce point essentiel et je dois avouer que nous apprécions à sa juste mesure l’évolution résultant des travaux de la commission.
Le glissement de la notion « d’interdiction sauf dérogation » – assez curieuse, d’ailleurs – au principe « d’autorisation sous conditions » nous paraît un message positif adressé à la société tout entière. Que de chemin parcouru depuis notre proposition rejetée en 2004 !
Si une telle disposition venait à être adoptée, la France trouverait là l’occasion de rectifier l’un des archaïsmes majeurs de sa pensée scientifique et morale. (Mme Catherine Tasca manifeste son approbation.) En effet, alors que notre pays figure, dans son histoire, à l’avant-garde de la recherche sur l’éthique, il demeurait sur ce point comme « congelé » par la glaciation des conservatismes d’inspiration religieuse.
Alors, disons-le aussi nettement que possible, coupons court à l’hypocrisie coupable qui dure depuis dix-sept ans ! Oui, si l’utilité médicale collective en est la visée, la recherche génétique doit être autorisée. Nous effacerons alors la sémantique peureuse de l’« interdiction sauf dérogation », qui se solde, depuis 2004, par 90 % de suites favorables accordées aux demandes d’autorisations...
Mme Raymonde Le Texier. Très bien !
M. Bernard Cazeau. À nos yeux, l’immense promesse du progrès médical est un espoir qu’il faut encourager et non restreindre. Ayons confiance en nos chercheurs ! Ne mettons pas en doute, par une forme de scepticisme craintif, l’intérêt ni la légitimité de leurs travaux ! La France a la chance de disposer d’un système universitaire de recherche qui nous préserve assez bien des logiques purement économiques.
La liberté de recherche et le respect de la personne humaine ne s’opposent pas, surtout lorsque la perspective ultime du travail scientifique donne corps au droit des malades à espérer un traitement pour les maux dont ils souffrent.
M. Jacky Le Menn. Très bien !
M. Bernard Cazeau. Ne privons pas d’espoir ceux qui sont en attente de soins, ceux dont un proche est atteint d’une maladie incurable, ceux qui souffrent d’être laissés sans solution ! Songeons au « bébé médicament », ce bébé mal nommé qui est en réalité celui de l’espoir et de la guérison ! (Mme Marie-Thérèse Hermange manifeste son désaccord.) N’est-ce pas aussi cela, le respect de la vie et de la personne humaine ? Alors, cessons de faire aux médecins le sourd procès de ne pas être respectueux de ces principes ni de leur propre déontologie !
Personne, en médecine, ne cherche à créer un être post-humain, en dehors des règles de la nature ! Personne ne cherche à annuler le cycle de la vie humaine, comme le prétendait récemment un dignitaire de l’épiscopat. Ne jouons pas à nous faire peur ! En matière médicale, nous savons toutes et tous que la connaissance n’est pas synonyme de bonheur humain, mais qu’elle n’en est pas moins une condition incontournable.
Nous veillerons particulièrement, lors des débats, à ce qu’aucun recul ne vienne affecter ce texte dans le domaine de la recherche : ce sera une raison essentielle de notre choix au moment du vote.
Nous aborderons ce débat avec l’ambition de faire progresser le texte de la commission, de lui imprimer la marque laïque qui caractérise notre pensée politique. La science progresse, la famille se transforme, la société change et le simple catalogue de pratiques permises, tolérées, conditionnées ou interdites ne prendrait pas la mesure de ces bouleversements, madame la secrétaire d’État.
La société a besoin d’une déontologie adaptée à son temps, pas d’une pensée figée ! Aussi apporterons-nous le plus grand soin à compléter et à améliorer la loi, quand nous le pourrons, en gardant bien présent à l’esprit qu’il faudra y revenir, dans quelques années, pour promouvoir de nouveaux droits et pour permettre des avancées thérapeutiques et médicales, tout en protégeant la dignité des êtres humains. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)