Sommaire
Présidence de M. Roland du Luart
Secrétaires :
Mme Michelle Demessine, M. François Fortassin.
2. Fin de mission d’un sénateur
3. Demande d'inscription à l’ordre du jour d’une proposition de résolution
4. Engagement de la procédure accélérée pour l’examen de projets de loi
5. Décisions du Conseil constitutionnel sur des questions prioritaires de constitutionnalité
6. Communication du Conseil constitutionnel
M. le président.
problèmes liés à l'hôpital transfrontalier de puigcerdá
Question de M. Paul Blanc. – MM. Henri de Raincourt, ministre chargé de la coopération ; Paul Blanc.
situation des enseignants résidents travaillant au lycée français théodore monod de nouakchott
Question de Mme Christiane Kammermann. – M. Henri de Raincourt, ministre chargé de la coopération ; Mme Christiane Kammermann.
création d'une prime au mérite pour les chefs d'établissement
Question de M. Yannick Bodin. – MM. Luc Chatel, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative ; Yannick Bodin.
suppression de postes dans l'éducation nationale en Lorraine
Question de M. Daniel Reiner. – MM. Luc Chatel, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative ; Daniel Reiner.
utilisation des téléphones portables en classe
Question de M. Alain Dufaut. – MM. Luc Chatel, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative ; Alain Dufaut.
maintien d'une classe de seconde au lycée martin nadaud à saint-pierre-des-corps
Question de Mme Marie-France Beaufils. – M. Luc Chatel, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative ; Mme Marie-France Beaufils.
Question de Yves Daudigny. – MM. Benoist Apparu, secrétaire d'État chargé du logement ; Yves Daudigny.
Question de M. Roland Courteau. – MM. Benoist Apparu, secrétaire d'État chargé du logement ; Roland Courteau.
Question de M. Daniel Laurent. – MM. Benoist Apparu, secrétaire d'État chargé du logement ; Michel Doublet, en remplacement de M. Daniel Laurent.
Suspension et reprise de la séance
Désertification médicale dans les Baronnies provençales
Question de M. Jean Besson. – Mme Nora Berra, secrétaire d'État chargée de la santé ; M. Jean Besson.
maintien du service de chirurgie cardiaque de l'hôpital henri-mondor de créteil
Question de Mme Odette Terrade. – Mmes Nora Berra, secrétaire d'État chargée de la santé ; Odette Terrade.
conséquences des restructurations hospitalières dans l'essonne
Question de M. Bernard Vera. – Mme Nora Berra, secrétaire d'État chargée de la santé ; M. Bernard Vera.
fabrication des terminaux de la française des jeux
Question de M. Thierry Foucaud. – MM. Georges Tron, secrétaire d'État chargé de la fonction publique ; Thierry Foucaud.
fiscalité des sociétés de recherche et d'exploitation des hydrocarbures liquides ou gazeux
Question de Mme Nicole Bricq. – M. Georges Tron, secrétaire d'État chargé de la fonction publique ; Mme Nicole Bricq.
service bancaire à wallis-et-futuna
Question de M. Robert Laufoaulu. – MM. Maurice Leroy, ministre de la ville ; Robert Laufoaulu.
Question de M. Bernard Piras. – MM. Maurice Leroy, ministre de la ville ; Bernard Piras.
coût des prestations de la gendarmerie pour les grandes manifestations
Question de M. Gérard Bailly. – MM. Maurice Leroy, ministre de la ville ; Gérard Bailly.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Raffarin
MM. Jean-Pierre Chevènement, le président.
9. Bioéthique. – Discussion d'un projet de loi (Texte de la commission)
Discussion générale : Mme Nora Berra, secrétaire d'État chargée de la santé ; MM. Alain Milon, rapporteur de la commission des affaires sociales ; François-Noël Buffet, rapporteur pour avis de la commission des lois.
MM. Bernard Cazeau, Bruno Retailleau, Gilbert Barbier, Guy Fischer, François Zocchetto, Mmes Marie-Thérèse Hermange, Raymonde Le Texier, Anne-Marie Escoffier, M. Antoine Lefèvre, Mme Anne-Marie Payet, M. Jean-Pierre Michel, Mmes Bernadette Dupont, Roselle Cros, MM. Jean Desessard, Jean-Louis Lorrain, Jean-Pierre Godefroy, Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, M. Dominique de Legge, Mlle Sophie Joissains, MM. André Lardeux, Jacques Blanc.
Mme le secrétaire d'État.
Clôture de la discussion générale.
Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales ; M. le président.
10. Communication du Conseil constitutionnel
Suspension et reprise de la séance
11. Lettre de M. le Premier ministre sur la situation en Côte d’Ivoire
12. Bioéthique. – Suite de la discussion d'un projet de loi (Texte de la commission)
M. Guy Fischer, Mme Marie-Thérèse Hermange.
Amendement no 170 du Gouvernement. – Mme Nora Berra, secrétaire d'État chargée de la santé ; MM. Alain Milon, rapporteur de la commission des affaires sociales ; Jean-Pierre Godefroy, Mme Marie-Thérèse Hermange, MM. Guy Fischer, Bernard Cazeau. – Rejet.
Amendement no 171 de la commission. – Retrait.
Adoption de l'article.
MM. Bernard Cazeau, Guy Fischer.
Amendement n° 8 de M. Bernard Cazeau. – MM. Jean-Jacques Mirassou, le rapporteur, Mme la secrétaire d'État. – Rejet.
Amendement n° 85 de M. Guy Fischer. – Mme Annie David, M. le rapporteur, Mme la secrétaire d'État, MM. Jean-Pierre Michel, Jean-Louis Lorrain. – Rejet.
Amendement n° 76 rectifié bis de Mme Valérie Létard. – Mme Valérie Létard, M. le rapporteur, Mme la secrétaire d'État, MM. Jean-Pierre Godefroy, Jean-Pierre Michel, Mme Marie-Thérèse Hermange, M. Gilbert Barbier. – Adoption.
Amendements nos 53 rectifié et 54 rectifié de M. Gilbert Barbier. – MM. Gilbert Barbier, le rapporteur, Mme la secrétaire d'État, MM. Jean-Louis Lorrain, Yann Gaillard, Jean-Pierre Godefroy, Guy Fischer. – Retrait de l’amendement no 53 rectifié ; adoption de l’amendement no 54 rectifié.
Amendement n° 10 de M. Jean-Pierre Godefroy. – MM. Jean-Pierre Godefroy, François-Noël Buffet, rapporteur pour avis de la commission des lois ; Mme la secrétaire d'État. – Retrait.
Adoption de l'article modifié.
Amendement n° 55 rectifié de M. Gilbert Barbier. – MM. Gilbert Barbier, le rapporteur, Mme la secrétaire d'État. – Retrait.
Mme Raymonde Le Texier.
Adoption de l'article.
Amendement n° 56 rectifié de M. Gilbert Barbier. – MM. Gilbert Barbier, le rapporteur, Mme la secrétaire d'État. – Retrait.
Amendement n° 86 de M. Guy Fischer. – Mme Isabelle Pasquet, M. le rapporteur, Mme la secrétaire d'État. – Rejet.
Amendement n° 57 rectifié de M. Gilbert Barbier. – MM. Gilbert Barbier, le rapporteur, Mme la secrétaire d'État. – Adoption.
Amendement n° 87 de M. Guy Fischer. – Mme Marie-Agnès Labarre, MM. le rapporteur, le rapporteur pour avis, Mme la secrétaire d'État. – Rejet.
Mme Patricia Schillinger.
Adoption de l'article modifié.
M. Guy Fischer.
Amendements nos 58 rectifié de M. Gilbert Barbier et 172 du Gouvernement. – MM. Gilbert Barbier, le rapporteur, Mme la secrétaire d'État, M. Jean-Pierre Godefroy, Mmes Marie-Thérèse Hermange, Annie David. – Rejet de l’amendement no 172 ; adoption de l’amendement no 58 rectifié.
Adoption de l'article modifié.
Amendement n° 11 rectifié de M. Jean-Pierre Godefroy. – MM. Jean-Pierre Godefroy, le rapporteur, Mme la secrétaire d'État, MM. Guy Fischer, Jacques Blanc. – Rejet.
L’article demeure supprimé.
Article additionnel après l'article 4 quater
Amendement n° 12 de M. Jean-Pierre Godefroy. – MM. Jean-Pierre Godefroy, le rapporteur, Mme la secrétaire d'État, MM. Guy Fischer, Bruno Retailleau. – Rejet.
M. le rapporteur.
Mme Claudine Lepage, MM. Bernard Cazeau, Guy Fischer.
Amendement n° 13 de Mme Raymonde Le Texier. – Mme Raymonde Le Texier, M. le rapporteur pour avis, Mme la secrétaire d'État. – Rejet.
Amendement n° 90 de M. Guy Fischer. – Mme Annie David, MM. le rapporteur, le rapporteur pour avis, Mme la secrétaire d'État. – Rejet.
Mme la secrétaire d'État.
Adoption de l'article.
Renvoi de la suite de la discussion.
13. Ordre du jour
compte rendu intégral
Présidence de M. Roland du Luart
vice-président
Secrétaires :
Mme Michelle Demessine,
M. François Fortassin.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Fin de mission d’un sénateur
M. le président. Par lettre en date du 4 avril 2011, M. le Premier ministre a annoncé la fin, à compter du 6 avril 2011, de la mission temporaire confiée à M. Denis Badré, sénateur des Hauts-de-Seine, auprès de M. le ministre d’État, ministre des affaires étrangères et européennes, dans le cadre des dispositions de l’article L.O. 297 du code électoral.
Acte est donné de cette communication.
3
Demande d'inscription à l’ordre du jour d’une proposition de résolution
M. le président. En application de l’article 50 ter de notre règlement, j’informe le Sénat que Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, présidente du groupe CRC-SPG, a demandé, le 31 mars 2011, l’inscription à l’ordre du jour de la proposition de résolution, présentée en application de l’article 34-1 de la Constitution, relative à la politique énergétique de la France (n° 397, 2010 2011), qu’il a déposée le 31 mars 2011.
Cette demande a été communiquée au Gouvernement dans la perspective de la prochaine réunion de notre conférence des présidents qui se tiendra le mercredi 6 avril 2011.
4
Engagement de la procédure accélérée pour l’examen de projets de loi
M. le président. En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen d’un projet de loi organique et de deux projets de loi, déposés sur le bureau de notre assemblée : le projet de loi organique portant diverses mesures de nature organique relatives aux collectivités régies par l’article 73 de la Constitution, le projet de loi relatif aux collectivités de Guyane et de Martinique, et le projet de loi autorisant la ratification du traité entre la République française et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du nord relatif à des installations radiographiques et hydrodynamiques communes.
5
Décisions du Conseil constitutionnel sur des questions prioritaires de constitutionnalité
M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a communiqué au Sénat, par courriers en date du 1er avril 2011, quatre décisions du Conseil sur des questions prioritaires de constitutionnalité (nos 2011-112 QPC, 2011-113/115 QPC, 2011-114 QPC et 2011-119 QPC).
Acte est donné de cette communication.
6
Communication du Conseil constitutionnel
M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le vendredi 1er avril 2011, qu’en application de l’article 61-1 de la Constitution la Cour de cassation a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité (2011-133 QPC).
Le texte de cette décision de renvoi est disponible au bureau de la distribution.
Acte est donné de cette communication.
7
Questions orales
M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions orales.
J’informe le Sénat que la question orale n° 1224 de M. David Assouline qui devait être examinée ce jour, est retirée du rôle des questions orales, à la demande de son auteur.
problèmes liés à l'hôpital transfrontalier de puigcerdá
M. le président. La parole est à M. Paul Blanc, auteur de la question n° 1229, adressée à M. le ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes.
M. Paul Blanc. Monsieur le ministre, j’attire votre attention sur les problèmes de différents ordres que pourrait poser la création de l’hôpital transfrontalier de Puigcerdá : déclaration de naissances d’enfants nés à l’étranger, transfert des corps de personnes décédées en Espagne et devant être incinérées en France, enquête de gendarmerie à la suite d’un accident de la circulation en France avec blessés hospitalisés en Espagne, enquête judiciaire auprès de délinquants également hospitalisés.
Un groupe de travail devait être constitué pour apporter des solutions et pour répondre à toutes les questions qui se posent.
Je souhaite savoir s’il est constitué – s’il ne l’est pas, quand le sera-t-il ? – et quand ses conclusions peuvent être espérées.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Henri de Raincourt, ministre auprès du ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes, chargé de la coopération. Monsieur le sénateur, vous avez souhaité attirer l’attention de M. le ministre d’État, ministre des affaires étrangères et européennes, sur la construction de l’hôpital transfrontalier de Puigcerdá.
La réalisation de cet hôpital est le fruit d’une volonté des élus locaux partagée par les gouvernements français et catalan.
La maîtrise d’ouvrage, puis, à terme, la gestion de cet hôpital de soixante-douze lits, est assurée par un groupement européen de coopération territoriale, ou GECT, constitué entre l’État français, la Généralité de Catalogne, l’agence régionale de santé du Languedoc-Roussillon et la Caisse nationale d’assurance maladie des travailleurs salariés, la CNAMTS.
Comme vous le soulignez à juste titre, monsieur le sénateur, la mise en service de l’hôpital n’est pas sans poser des difficultés sur le plan pratique, notamment pour nos ressortissants, s’agissant tant des remboursements de soins, de la compétence judiciaire en cas d’accident que du transfert des corps des personnes qui décéderaient en Espagne, lors de leur hospitalisation dans cet établissement.
C’est dans ce contexte particulier que nous avons été conduits à proposer à nos partenaires du GECT, comme vous l’avez rappelé, la constitution d’un groupe de travail visant à examiner l’ensemble de ces questions.
Côté français, ce groupe de travail sera conduit par le ministère des affaires étrangères et européennes. Des représentants des ministères de la justice, de l’intérieur et de la santé, ainsi que le préfet des Pyrénées-Orientales y seront associés. Les membres du GECT y participeront également, de même que les autorités centrales espagnoles compétentes.
La multiplicité des acteurs pour régler ces différents problèmes administratifs, en France comme en Espagne, a amené les autorités françaises à demander, en préambule à la réunion du groupe de travail, une identification exhaustive de tous les problèmes qui pourraient se poser, ainsi que du cadre juridique approprié à leur réponse.
Ces éléments seront très prochainement mis à la disposition du groupe de travail.
Monsieur le sénateur, notre objectif est d’aboutir à la stabilisation de la situation juridique de l’hôpital avant l’ouverture de ce dernier à la fin 2012. Nous œuvrons bien entendu avec vigueur en ce sens.
M. le président. La parole est à M. Paul Blanc
M. Paul Blanc. Monsieur le ministre, je vous ai bien entendu mais cette réponse avait déjà été faite en octobre 2009 à mon collègue et ami le député François Calvet.
L’ouverture de l’hôpital étant prévue pour le mois de juillet 2012, vous me permettrez, compte tenu de tout ce qu’il faut mettre en place, de nourrir quelques inquiétudes quant aux solutions à apporter à ces problèmes.
D’ailleurs, il existe peut-être des solutions très simples. Par exemple, pourquoi ne pas transcrire sur les registres d’état civil, lors d’un décès, ce qui a été déclaré à la commune de Puigcerdá et qui doit, ensuite, transiter par le consulat à Barcelone ? Il n’est pas utile d’essayer de trouver des solutions très compliquées.
En outre, des conventions doivent être passées et des solutions ont également déjà prouvé leur efficacité pour résoudre certains problèmes rencontrés entre la Belgique et la France.
Je souhaite que l’on sorte très rapidement de cette situation car le mois de juillet 2012, c’est demain, monsieur le ministre !
situation des enseignants résidents travaillant au lycée français théodore monod de nouakchott
M. le président. La parole est à Mme Christiane Kammermann, auteur de la question n° 1221, adressée à M. le ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes.
Mme Christiane Kammermann. Monsieur le ministre, de retour de Mauritanie, je souhaite attirer votre attention sur la situation particulière des enseignants résidents dans ce pays travaillant au lycée français Théodore Monod de Nouakchott, ainsi que sur la difficulté pour recruter des enseignants titulaires de l’éducation nationale française en Mauritanie.
En effet, depuis quelques années, le contexte sécuritaire en Mauritanie s’est fortement détérioré, avec, pour conséquence, la dégradation des conditions de vie des résidents. Le nécessaire respect des consignes de vigilance entraîne des restrictions de déplacement à Nouakchott et dans le pays, ce qui engendre des coûts supplémentaires pour sortir de la Mauritanie pour les enseignants et leurs familles.
L’insécurité entraîne également un sentiment d’angoisse exprimé par les résidents. Certains n’envisagent plus sereinement leur vie professionnelle et personnelle, et souhaitent vraiment quitter le pays.
Les conséquences sur le lycée français Théodore Monod peuvent être importantes et avoir des effets négatifs sur la qualité du recrutement de ses futurs enseignants résidents titulaires de l’éducation nationale, car il sera difficile, à l’avenir, d’attirer et de maintenir en poste ces enseignants.
De plus, les restrictions en termes de déplacement émanant du ministère des affaires étrangères et européennes obligent les futurs enseignants recrutés à entrer en Mauritanie par la voie aérienne et à organiser un déménagement beaucoup plus coûteux.
En conséquence, je demande au Gouvernement d’étudier très favorablement la prise en compte urgente de mesures financières compensatoires, en particulier la revalorisation de l’indemnité spécifique liée aux conditions de vie locale, l’ISVL, en Mauritanie, ainsi que la prise en charge du coût réel du déménagement pour la première installation en Mauritanie.
De telles mesures favoriseraient l’attractivité de ce lycée d’excellence qui participe au premier chef à la coopération franco-mauritanienne et lui permettraient, dans cette période de recrutement, de reconstituer un vivier d’enseignants investis et motivés.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Henri de Raincourt, ministre auprès du ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes, chargé de la coopération. Madame le sénateur, vous avez attiré l’attention du ministre d’État, ministre des affaires étrangères et européennes, sur la situation des enseignants du lycée français Théodore Monod de Nouakchott et plus généralement sur les difficultés de recrutement d’enseignants titulaires de l’éducation nationale en Mauritanie, où vous étiez voilà peu et où je me suis également rendu récemment.
Comme vous l’avez rappelé, la situation sécuritaire dans la bande sahélo-saharienne a conduit le Gouvernement à prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la protection des ressortissants français. Tout le monde convient de cette nécessité, même si nous pouvons regretter que la sécurité soit parfois relativement aléatoire.
Pour ce qui concerne le lycée français Théodore Monod de Nouakchott, des mesures spécifiques de sécurisation ont été prises.
Sur le plan scolaire, l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger, l’AEFE, détache vingt-neuf enseignants résidents en premier et second degrés dans cet établissement.
À l’issue des commissions consultatives paritaires locales de l’agence pour l’enseignement français à l’étranger, ou CCPLA, seul un poste d’enseignant résident se trouve encore non pourvu dans le premier degré. Ce poste a été proposé au candidat classé en seconde position à l’issue de la réunion des commissions locales de recrutement.
Pour ce qui concerne le second degré, trois postes demeurent non pourvus : deux en anglais et un en technologie. L’établissement recherche d’autres candidatures, et des solutions locales sont également envisagées.
Madame le sénateur, vous le savez, le ministère des affaires étrangères est particulièrement attentif à la situation délicate des établissements scolaires situés en zone subsaharienne, notamment au Mali, au Niger et en Mauritanie. C’est pourquoi, pour ces trois pays, les modalités de revalorisation de l’indemnité spécifique liée aux conditions de vie locale sont aujourd’hui examinées.
Enfin, une étude est actuellement en cours afin de déterminer les possibilités d’aide aux personnels résidents et recrutés locaux du lycée français Théodore Monod de Nouakchott. Deux représentants de l’AEFE sont actuellement sur place afin de trouver les meilleures solutions et de poursuivre le dialogue constructif qui a été engagé entre les enseignants, l’administration du lycée et le poste diplomatique.
M. le président. La parole est à Mme Christiane Kammermann.
Mme Christiane Kammermann. Je suis bien consciente de tous les efforts qui sont consentis en faveur de cet établissement et je vous en suis très reconnaissante, monsieur le ministre. Mais il faut continuer. Lors de mon séjour à Nouakchott, j’ai rencontré les professeurs du lycée Théodore Monod ; or beaucoup m’ont dit qu’ils partaient, d’où mon inquiétude. Il s’agit d’un établissement magnifique, et il faut vraiment faire un effort pour que les professeurs soient tous au rendez-vous.
création d'une prime au mérite pour les chefs d'établissement
M. le président. La parole est à M. Yannick Bodin, auteur de la question n° 1188, adressée à M. le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative.
M. Yannick Bodin. Monsieur le ministre, ma question concerne la création d’une prime au mérite pour les chefs d’établissement.
Le 25 janvier dernier, vous avez annoncé la création d’une prime, pouvant aller jusqu’à 6 000 euros sur trois ans, pour les principaux de collège et les proviseurs de lycées.
Le principe de cette prime se fonde sur la volonté du Gouvernement d’avoir, selon vos propres termes, monsieur le ministre, « un système éducatif moderne qui se fixe des objectifs et qui cherche à améliorer ses performances » […] « comme cela existe dans l’immense majorité des entreprises de notre pays ». À la seule différence, monsieur le ministre, que l’école est non pas une entreprise, mais une institution républicaine de service public.
La mise en œuvre de cette prime suscite de ma part quelques craintes. La plus importante porte sur les critères qui déterminent son obtention. Ces derniers ne sont, à ma connaissance, pas définitivement établis, mais ils pourraient concerner, entre autres, la lettre de mission du chef d’établissement, le projet pédagogique, les résultats scolaires ou encore la capacité à intégrer les élèves en grande difficulté ou en situation de handicap. La mise en place de contrats d’objectifs et de performance a également été abordée.
Monsieur le ministre, je m’interroge : comment évaluer l’apport individuel dans une action collective telle que l’éducation ? Et surtout, comment ces critères d’évaluation prendront-ils en compte la diversité des situations des établissements scolaires, notamment les données sociales et culturelles qui marquent des inégalités profondes, y compris entre les territoires ?
Une autre de mes craintes concerne le risque d’individualisation des carrières que va engendrer la création de cette prime. On sait pourtant que le travail d’équipe est une nécessité pour améliorer le projet éducatif dans un établissement scolaire. Dès lors, pourquoi rémunérer le chef d’établissement et non chacun de ceux qui ont participé au projet collectif ? L’instauration de cette prime risque de provoquer une rupture entre les enseignants et les chefs d’établissement.
Monsieur le ministre, je souhaite que vous nous précisiez les critères qui seront appliqués à l’évaluation des chefs d’établissement.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Luc Chatel, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative. Monsieur le sénateur, j’assume et je revendique pleinement la mise en place d’une prime au mérite pour les proviseurs.
L’État a besoin d’une organisation moderne de gestion de ses ressources humaines. D’ores et déjà – et j’insiste sur ce point –, la rémunération de quelque 40 000 cadres de l’État comprend une prime qui varie selon leurs performances, leurs résultats, et donc leur mérite. Et c’est une bonne chose ! Si nous voulons des collaborateurs et des cadres d’État motivés, impliqués dans leur mission, et qui s’attachent à atteindre les objectifs qui leur sont fixés, cet élément de rémunération me paraît nécessaire.
Nous considérons qu’une prime au mérite est applicable aux chefs d’établissement. Dans un système éducatif moderne, le pilotage est en effet une donnée capitale. Un lycée, un collège ne doivent pas fonctionner sous le mode de l’autogestion. Ils doivent être dirigés par un pilote, par un responsable. Le Gouvernement considère qu’il faut faire confiance aux acteurs locaux, donc accorder une marge de manœuvre aux établissements. Or, plus cette marge de manœuvre est importante, plus il faut déléguer, fixer des objectifs, évaluer, être transparent et associer les cadres, ce qui suppose de les rémunérer en fonction de leur engagement.
Les organisations syndicales représentant les chefs d’établissement, avec lesquelles nous avons engagé la discussion sur ce sujet depuis de nombreux mois, adhèrent au principe de ce dispositif. Il nous reste maintenant à fixer des critères objectifs de performance.
Monsieur le sénateur, en observateur avisé du système éducatif français, vous savez que la responsabilité de l’implication du chef d’établissement est capitale pour l’aboutissement du projet éducatif, les performances et la réussite des élèves. Lorsqu’on entre dans un lycée ou dans un collège, on comprend tout de suite combien l’implication du chef d’établissement est déterminante pour les résultats, les performances des élèves.
Je pense que nous pouvons nous accorder, sur toutes les travées de cette assemblée, pour reconnaître l’importance de critères tels que la réussite scolaire, le taux d’accès d’une classe d’âge au niveau du baccalauréat, la capacité à intégrer davantage d’enfants issus de milieux défavorisés. Nous travaillons, avec les recteurs, à la définition des différents critères qui seront retenus. Il reviendra ensuite à chaque académie de passer un contrat avec les lycées pour fixer des objectifs, puis évaluer les résultats obtenus. C’est ainsi que le système éducatif pourra améliorer ses performances.
M. le président. La parole est à M. Yannick Bodin.
M. Yannick Bodin. Monsieur le ministre, je vous remercie de votre réponse, même si la définition des critères appelle, me semble-t-il, des précisions supplémentaires.
Comme vous l’avez souligné – et je suis d’accord avec vous sur ce point –, le rôle du chef d’établissement est déterminant. Une fois les critères fixés, monsieur le ministre, il sera essentiel que vous mainteniez un climat de transparence dans les établissements. Il serait en effet très dommageable pour l’ambiance générale collective d’un collège ou d’un lycée que circulent des non-dits, de mauvaises interprétations concernant le fait que le proviseur de tel autre lycée ait bénéficié d’un avantage au mérite …
J’insiste sur la nécessité de la transparence. Grâce aux grilles de la fonction publique, tous les salaires des fonctionnaires de l’éducation nationale sont connus. Je vous demande donc de faire en sorte que la transparence reste la règle en ce qui concerne les chefs d’établissement.
Et puis, échaudé, en quelque sorte, par ce qui s’est passé dans d’autres administrations, j’espère que certains des critères qui seront retenus ne favoriseront pas ce que l’on appelle, dans la police, la « politique du chiffre ». Aussi, sans nier en rien le mérite des chefs d’établissement, je vous demande d’être attentif au climat moral et psychologique que le dispositif que vous proposez peut créer au sein des collèges et des lycées.
suppression de postes dans l'éducation nationale en lorraine
M. le président. La parole est à M. Daniel Reiner, auteur de la question n° 1230, adressée à M. le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative.
M. Daniel Reiner. Monsieur le ministre, je souhaite attirer votre attention sur le nombre à peine croyable de suppressions de postes dans l’académie de Nancy-Metz pour la rentrée de 2011.
Cette académie paie un lourd tribut à la politique de réduction des emplois dans l’éducation nationale puisque ce sont au total 841 postes qui seront supprimés : près de 300 dans le premier degré, plus de 500 dans le second degré et une vingtaine d’emplois administratifs. Cette annonce porte à près de 4 000, en six ans, les postes d’enseignant supprimés dans cette région. Ce seront ainsi 3,4 % des emplois en un an qui disparaîtront dans l’enseignement secondaire, soit un poste pour quatre élèves. La région Lorraine détient ainsi le triste record de ces coupes franches.
Pour le seul département de Meurthe-et-Moselle, ce sont 90 postes dans le premier degré et 53 postes dans les collèges qui vont disparaître, alors que le nombre de collégiens est en augmentation.
Comment oser parler de résorption d’un surnombre de postes alors que le niveau éducatif de la France se détériore dans les enquêtes internationales, que nous consacrons 15 % de moins que la moyenne des pays de l’OCDE à notre système éducatif, que la proportion des élèves éprouvant de graves difficultés de lecture augmente et que 150 000 jeunes par an sortent du système scolaire sans qualification ni diplôme ?
Ces décisions auront de dramatiques conséquences pour les élèves de notre région.
M. Roland Courteau. C’est sûr !
M. Daniel Reiner. Il est indéniable que les conditions de l’éducation des jeunes Lorrains seront dégradées : augmentation du nombre d’élèves par classe, impossibilité de mener un soutien individualisé, détérioration de la prise en charge des élèves en difficulté, impossibilité d’assurer les remplacements d’enseignants.
Cette décision touche tout particulièrement les lycées professionnels qui, nous le savons, joue un rôle important en Lorraine ; elle entraînera la suppression de certaines filières, mettant à court terme en difficulté des secteurs économiques qui finiront par recruter de la main-d’œuvre qualifiée.
Monsieur le ministre, quelles mesures le Gouvernement envisage-t-il pour soutenir réellement l’éducation des jeunes Lorrains ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Luc Chatel, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative. Monsieur le sénateur, conformément au projet de loi de finances pour 2011, dans l’éducation nationale, un fonctionnaire sur deux partant à la retraite ne sera pas remplacé, soit un total de 16 000 postes. J’ajoute immédiatement qu’il y aura plus de professeurs à la rentrée de 2011 qu’il n’y en avait voilà une quinzaine d’années, et ce malgré un nombre d’élèves moins élevé.
Le non-remplacement d’un enseignant sur deux partant à la retraite se fera sur la base d’un échange, d’un dialogue avec les acteurs de terrain. Nous agissons avec discernement, au niveau de chaque académie, afin de ne pas interférer sur l’offre scolaire.
Monsieur le sénateur, je voudrais vous rappeler les chiffres de l’académie de Nancy-Metz.
Depuis plusieurs années et de manière continue, on constate une diminution importante des effectifs dans votre académie, qui a perdu plus de 16 000 élèves en cinq ans. Vous pouvez donc aisément comprendre que, dans ce contexte, il y ait moins de professeurs.
Examinons à présent les chiffres dans votre département, la Meurthe-et-Moselle.
Dans le premier degré, c’est bien parce qu’il y aura 269 élèves de moins à la prochaine rentrée que la dotation de postes est revue à la baisse.
Malgré ces réajustements, le nombre de postes pour 100 élèves reste dans votre département bien plus élevé que la moyenne nationale.
Pour le second degré, la dotation de chaque collège a été calculée dans l’objectif de maintenir les taux d’encadrement actuels, taux qui sont également conservés dans l’éducation prioritaire.
Vous m’interpellez également sur la situation des lycées professionnels : là encore, la baisse des moyens est avant tout liée à la baisse prévisionnelle des effectifs : 1 671 élèves de moins à la prochaine rentrée par rapport aux 22 959 élèves qui avaient choisi cette voie à la rentrée 2010.
Pour autant, nous nous sommes mobilisés pour faire en sorte que ces lycées professionnels permettent à un nombre plus important d’élèves d’être diplômés. C’est ainsi que, dans l’académie de Nancy-Metz, nous avons réussi, dès 2008, à transformer plus de 50 % des brevets d’études professionnelles, les BEP, en baccalauréat professionnel.
Enfin, monsieur le sénateur, un dialogue véritablement concerté avec le conseil régional et les branches professionnelles est absolument nécessaire afin d’obtenir une meilleure organisation de la carte des formations. Tel est l’enjeu de la préparation du schéma qui est en cours dans votre région comme dans l’ensemble des autres régions françaises.
Vous le voyez, monsieur le sénateur, dans le contexte budgétaire contraint que vous connaissez, nous nous efforçons, en Lorraine comme ailleurs, d’agir avec discernement pour ne pas réduire l’offre scolaire.
M. le président. La parole est à M. Daniel Reiner.
M. Daniel Reiner. Je vous écoute, monsieur le ministre, mais je vous entends mal : vous me parlez chiffres, gestion des ressources et contraintes budgétaires, quand, moi qui étais professeur, je vois des enfants qui entrent à la maternelle – autrefois acceptés à l’âge de deux ans, ils doivent maintenant attendre trois ans –, des écoliers, des collégiens, des lycéens, des étudiants, des maîtres ; je vois tous ces visages de Lorraine, cette région qui a tellement souffert !
Peut-être ne savez-vous pas que, au début des années quatre-vingt, seulement 30 % des élèves de Lorraine atteignaient le baccalauréat, alors que la moyenne nationale était déjà de 50 % ?
Nous avons accompli un effort exceptionnel pour que le taux de bacheliers dans cette région industrielle passe en moins de vingt ans de 30 % à 65 % – ce chiffre a été atteint aux alentours des années 2 000, et depuis, nous ne progressons plus –, un effort en termes de moyens, d’équipements, mais aussi un effort de persuasion des familles. Autrefois, les filles quittaient le collège en classe de cinquième pour entrer en apprentissage, avant d’intégrer une usine de chaussures ou de textile ; de la même manière, les garçons allaient facilement à l’usine ou à la mine. Évidemment, ce n’était plus possible après.
Monsieur le ministre, vous êtes en train de casser cette évolution dont je viens de rappeler les étapes ! (M. le ministre fait un signe de dénégation.) Vous abîmez l’école en Lorraine ! L’ensemble des personnels qui participent au fonctionnement de cette institution ont le sentiment que vous n’accompagnez pas la Lorraine dans cette reconversion.
Permettez-moi de vous le dire, ce que traduisent vos chiffres – ces 841 postes supprimés, ces classes surchargées –,…
M. Daniel Reiner. … c’est le refus de réaliser un effort au bénéfice de la région !
M. le président. La parole est à M. Alain Dufaut, auteur de la question n° 1235, adressée à M. le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative.
M. Alain Dufaut. Monsieur le ministre, la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement, dite « loi Grenelle 2 », a instauré l’interdiction pour les élèves d’utiliser un téléphone mobile dans l’enceinte d’une école maternelle, d’une école élémentaire et au collège afin de les protéger des ondes électromagnétiques.
Toutefois, le texte ne précise pas s’il reviendra aux enseignants de faire respecter la loi et ce que pourraient risquer les contrevenants, surtout les parents, en cas d’infraction.
Ces imprécisions entraînent bien sûr la non-application de cette mesure.
Or une récente enquête réalisée par TNS Sofres montre que 47 % des adolescents de 12 à 17 ans utilisent leur portable en cours et que 54 % d’entre eux reçoivent des appels. De plus, depuis l’explosion des ventes de smartphones, les jeunes jouent et prennent des photos avec leur téléphone mobile. À ce propos, on observe le développement important du sexting : les jeunes se photographient dans des postures plus ou moins sexy, puis s’échangent les clichés en classe par le biais de leur téléphone mobile, avant de les diffuser sur internet ; 7 % des jeunes avouent d’ailleurs avoir filmé leur professeur à leur insu.
Face à cette utilisation croissante des téléphones portables en classe, qui perturbent les cours et exaspèrent les professeurs, on ne peut plus se contenter de dire que la décision d’interdire ces appareils dans l’enceinte des établissements scolaires relève simplement des conseils d’administration de ces derniers et du règlement intérieur.
Il serait souhaitable que le Gouvernement s’engage vraiment. Ce serait une marque de soutien, un signe fort donné aux enseignants pour les aider à lutter efficacement contre ce fléau envahissant face auquel ils se sentent seuls et désemparés.
Monsieur le ministre, que comptez-vous faire en la matière ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Luc Chatel, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative. Monsieur le sénateur, comme vous, je suis tout à fait convaincu que les élèves et les équipes pédagogiques ont besoin du meilleur environnement éducatif possible pour travailler sereinement.
Il est évident que l’utilisation du téléphone portable peut nuire à la réalisation de cette ambition. Elle peut en effet entraîner, comme vous l’avez rappelé, des troubles de l’attention préjudiciables pour nos élèves et ainsi perturber l’organisation des enseignements.
Dès que l’usage du téléphone portable s’est répandu dans les établissements scolaires, ces derniers l’ont pris en compte dans leur règlement intérieur. Aujourd’hui, le processus est quasiment généralisé dans l’ensemble des collèges et des lycées, une disposition spécifique à l’usage de ces appareils au sein des établissements figurant dans les règlements intérieurs.
Récemment, vous avez voulu aller plus loin – vous l’avez rappelé – dans le cadre de la loi « Grenelle 2 ». Nous avons réaffirmé le principe que je viens d’évoquer s’agissant des écoles et des collèges, en modifiant le code de l’éducation.
Pour autant, les débats parlementaires qui ont eu lieu ici même – vous vous en souvenez, monsieur le sénateur – et à l’Assemblée nationale ont montré la nécessité de prendre en compte la réalité du terrain : l’usage des portables étant entré dans les pratiques quotidiennes, nous ne pouvons ignorer le besoin de communiquer, notamment entre les enfants et leurs parents, qui sont eux-mêmes demandeurs, naturellement en dehors des heures de cours.
Il nous faut donc trouver un bon équilibre quant à l’utilisation de ces téléphones, et il faut surtout que l’école soit un lieu où l’on éduque à l’utilisation de ce type d’instruments.
Nous disposons aujourd’hui d’un outil pour informer et sensibiliser les élèves aux précautions d’usage des portables : la validation du brevet informatique et internet, B2i, qui aborde, je le rappelle, le principe du droit à l’image et du respect de l’autre sur internet – vous avez cité des cas récents contre lesquels nous devons absolument lutter – et permet de traiter directement avec les collégiens de ce thème et de les sensibiliser aux enjeux.
La loi a posé un principe : à partir de ce cadre formel, c’est à chaque établissement, dans le cadre du règlement intérieur, d’établir les modalités pratiques de sa mise en œuvre. Certaines dispositions permettent d’aller jusqu’à la confiscation. En cas de manquements répétés et de récidive, il est possible d’imposer des punitions scolaires, voire des sanctions disciplinaires.
Grâce au débat qui est intervenu l’année dernière et au vote de la loi précitée, les établissements scolaires bénéficient aujourd’hui d’un arsenal comprenant à la fois des mesures destinées à lutter contre les dérives de l’utilisation de ces appareils et un volet éducatif, qui me semble aller dans le sens d’un équilibre entre le respect du bon déroulement des cours et l’utilisation de ce type d’appareils à laquelle sont attachés les parents.
M. le président. La parole est à M. Alain Dufaut.
M. Alain Dufaut. Monsieur le ministre, j’ai bien écouté le rappel des principes, que je connaissais. Il faut effectivement trouver un juste équilibre, parce que les enfants ont de plus en plus besoin de communiquer avec leurs parents par le biais des téléphones portables.
Toutefois, pour siéger moi-même dans des conseils d’administration d’établissements scolaires, je sais qu’il est très difficile d’établir des règles et de sanctionner leur non-respect.
Monsieur le ministre, dès que ma question a été mise en ligne sur le site du Sénat, j’ai reçu beaucoup d’emails, notamment de la part de parents d’élèves me signalant que, avant de se préoccuper des enfants, il faudrait interdire l’utilisation des portables aux professeurs ! Un tel usage par les enseignants, s’il est extrêmement rare, doit cependant être signalé, car les enseignants doivent être les premiers à respecter la règle, qui s’applique à tous.
maintien d'une classe de seconde au lycée martin nadaud à saint-pierre-des-corps
M. le président. La parole est à Mme Marie-France Beaufils, auteur de la question n° 1216, adressée à M. le ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative.
Mme Marie-France Beaufils. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la situation de tous les établissements scolaires va être fortement dégradée à la prochaine rentrée scolaire. La suppression de 16 000 postes aura une incidence certaine sur la qualité des enseignements.
Les dispositions de la réforme des lycées viennent tout juste d’être intégrées dans les actes que des décisions sont prises sans laisser de temps à leur mise en place. La suppression de la classe de seconde au lycée Martin Nadaud est en cela fort symptomatique. Le rapport qui vous a été remis le 15 mars dernier reconnaît qu’il « faut donc respecter cette durée nécessaire, permettre aux professeurs d’expérimenter, de faire eux aussi des erreurs, les rassurer et les accompagner dans ces transformations... »
C’est tout simplement le contraire qui a été fait dans notre ville : peu de temps après la création de cette classe de seconde, le recteur a décidé que cette dernière ne pouvait continuer à exister pour la simple raison qu’elle n’aurait pas rempli ses objectifs.
Le procédé est particulièrement cavalier. Sans aucune évaluation dans un temps raisonnable, l’administration décide de la disparition brutale d’une classe, qui répond à un réel besoin. Lors des portes ouvertes de l’établissement, nombre de familles étaient venues pour inscrire leurs enfants sans savoir que la classe était fermée…
Les inspecteurs généraux, dans leur rapport, considèrent qu’il faudrait « accompagner plutôt que prescrire, valoriser et mutualiser les expériences réussies, aider à l’évaluation. »
Dans le cas qui nous préoccupe, c’est l’inverse qui a été fait, sans tenir compte de l’avis de la communauté éducative. La montée en charge des effectifs a été forte, passant de 8 à 19 élèves l’an dernier. Avant l’annonce de cette décision de suppression, l’établissement prévoyait une augmentation de 15 élèves à la prochaine rentrée. Il avait même engagé un partenariat avec les clubs sportifs de football et de rugby situés à proximité immédiate.
Le travail effectué en amont avec les collèges laissait aussi entrevoir un potentiel réel de développement. La décision rectorale n’a réussi qu’à annihiler ces bonnes volontés. Pourquoi le moratoire qui a été accepté pour certains établissements similaires de notre région ne le serait-il pas pour Martin Nadaud ?
Placer les gens devant le fait accompli : telle est la méthode employée, puisque, avec la révision générale des politiques publiques, ou RGPP, les moyens sont de plus en plus diminués. Pourtant, la population rajeunit en Indre-et-Loire.
Que ce soit dans l’enseignement secondaire ou dans l’enseignement élémentaire, cette situation devient intenable. Avec 116 élèves supplémentaires à la rentrée prochaine dans l’enseignement élémentaire, 28 postes devraient disparaître, ce qui est, me semble-t-il, très contradictoire avec la réponse que vous avez apportée tout à l’heure à notre collègue Daniel Reiner.
J’ai rencontré récemment les maires et les parents d’élèves de plusieurs communes de mon département et j’ai constaté qu’aucune concertation n’a vraiment eu lieu pour préparer cette future rentrée.
Les maires de Bossay-sur-Claise et de Chaumussay, dans le sud du département, sont très inquiets pour l’avenir de leur école, qui annonce de fait la mort de leurs villages. Ceux de Lerné, Seuilly – je pourrais en citer bien d’autres – sont dans une situation identique et ne comprennent pas que de telles questions, qui touchent non seulement à l’existence future de leurs enfants mais aussi à la pérennité de la vie de leurs communes, soient traitées sans tenir compte des conséquences humaines qu’elles entraînent.
Dans ma commune, c’est la capacité à prendre en charge l’éducation des enfants de deux ans et demi dans les zones d’éducation prioritaire, les ZEP, qui est mise en cause.
La colère monte chez les parents, les enseignants et les élus.
Alors que notre pays pouvait s’enorgueillir d’avoir un système éducatif des plus modernes et des plus performants, vous n’avez fait que le dégrader, à tel point qu’il se situe désormais à la quatre-vingt-douzième place mondiale pour ce qui concerne le taux d’encadrement des élèves.
M. Roland Courteau. C’est la triste réalité !
M. Daniel Reiner. Vous avez abîmé notre école !
Mme Marie-France Beaufils. Monsieur le ministre, je vous demande ce que vous comptez faire pour le lycée des métiers Martin Nadaud, mais aussi pour l’avenir de tous nos collégiens et élèves des écoles maternelles et élémentaires, qui subissent de plein fouet des restrictions budgétaires insupportables.
Demander aux dirigeants d’autres pays d’écouter leurs peuples me semble être une bonne chose, mais commencer par écouter les Français me paraîtrait tout aussi pertinent.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Luc Chatel, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative. Madame le sénateur, vous attirez mon attention sur la situation du lycée Martin Nadaud de Saint-Pierre-des-Corps.
Je vous rappelle tout d’abord que le projet de fermeture de l’unique classe de seconde de ce lycée repose sur le constat objectif d’un manque d’élèves et s’appuie sur une procédure qui, contrairement à vos affirmations, avait été annoncée dès le mois de novembre 2009.
Plus généralement, le recteur de l’académie d’Orléans-Tours a demandé aux lycées professionnels dotés d’une seule classe de seconde générale et technologique à faible effectif de se constituer en réseau, ce afin de pouvoir alimenter correctement les classes de première technologique.
Le lycée Martin Nadaud est dans cette situation : son unique classe de seconde accueille, depuis 2006, entre dix et dix-huit élèves par an.
Ainsi, dès 2009, le maintien de cette classe à la rentrée 2011 avait été subordonné à l’inscription de plus de vingt-quatre élèves pour l’année scolaire 2010-2011. Or, comme vous le savez, madame le sénateur, cette classe ne compte actuellement que dix-huit élèves.
Vous évoquez la qualité du service public de l’éducation nationale, madame Beaufils… Mais il me semble précisément que le maintien de cette classe se ferait au détriment des élèves. Ainsi, à titre d’exemple, il serait impossible de proposer l’ensemble des enseignements d’exploration créés par la réforme du lycée dans un établissement comprenant une classe unique de seconde composée de dix-huit élèves. Voilà pourquoi la suppression de cette classe a été décidée.
J’évoquais tout à l’heure le discernement dont nous faisons preuve : il se trouve que, dans le même lycée, nous avons également décidé de mener une politique active afin d’attirer des élèves – et pas seulement ceux qui sont issus de la classe de seconde de cet établissement – en première STI, ou Sciences et technologies industrielles, et de conforter ainsi cette dernière filière. C’est la raison pour laquelle les services académiques ont décidé d’ouvrir dans ce lycée une nouvelle spécialité, « Architecture et construction ».
Nous nous efforçons donc de tenir compte de la réalité locale, madame la sénatrice. Cette décision de fermeture avait été anticipée et concertée, mais nous sommes aussi capables de créer de nouvelles filières lorsque des besoins et, surtout, des perspectives d’insertion professionnelle existent.
M. le président. La parole est à Mme Marie-France Beaufils.
Mme Marie-France Beaufils. Je souhaite brièvement réagir à vos propos, monsieur le ministre, notamment livrer quelques réflexions sur la qualité de l’enseignement.
La presse vient précisément de se faire l’écho du travail exceptionnel d’accompagnement des élèves et de soutien pédagogique accompli dans cette classe de seconde du lycée Martin Nadaud. Ces efforts ont permis une réussite des élèves bien au-delà de ce que l’on constate habituellement dans ce type de classes.
En outre, et même si des éléments avaient en effet été communiqués dès le mois de novembre 2009, c’est seulement en 2010 que l’inspection académique a commencé à délivrer une information adéquate en direction de dix collèges, afin d’élargir le périmètre de recrutement du lycée Martin Nadaud.
On le voit, de multiples obstacles ont été placés sur le chemin d’une intégration véritable de cette classe de seconde au paysage éducatif de notre département. La mobilisation dans le domaine des formations sportives, qui avait été décidée et que j’ai évoquée précédemment, aurait notamment pu y contribuer.
Quant à l’ouverture de cette classe « architecture et construction », elle ne fait que concrétiser le travail mené depuis de nombreuses années par ce lycée du bâtiment en vue de modifier la perception étriquée que l’on a traditionnellement de ces établissements.
Toutes les expériences conduites dans cet établissement auraient à mon avis mérité qu’un moratoire soit appliqué dans ce lycée, comme cela a été le cas par ailleurs à Orléans et à Vierzon. Je regrette qu’une telle décision n’ait pas été prise.
évolution des crédits d'entretien des routes nationales et ses conséquences pour la sécurité des usagers
M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny, auteur de la question n° 1203, adressée à Mme la ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement.
M. Yves Daudigny. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nos routes restent aujourd’hui le principal vecteur de mobilité de nos concitoyens et assurent toujours 90 % du transport de voyageurs et 88 % de celui des marchandises.
Pourtant, les crédits affectés à l’entretien de notre réseau routier national n’ont de cesse de baisser alors même que le schéma national d’infrastructures de transport, ou SNIT, présenté en janvier dernier, fait le constat que 16 % des chaussées sont en mauvais état et qu’il ne faudrait pas moins de 120 millions d’euros supplémentaires par an pendant sept ans pour rattraper le retard, auxquels il conviendrait d’ajouter 10 millions d’euros par an pour les ouvrages d’art.
Si le plan de relance a permis, par l’injection de 70 millions d’euros, de porter le taux de renouvellement annuel des revêtements à 8 % en 2008, celui-ci est retombé à 5 % en 2010.
Une comparaison des crédits strictement liés à l’entretien et à l’exploitation des routes montre, entre 2010 et 2011, une baisse de 25 % des crédits pour l’entretien routier et de presque 30 % pour les actions de rénovation de la chaussée. À titre d’exemple, pour la direction interdépartementale des routes du Nord, les crédits d’entretien sont ainsi passés de 51 millions d’euros en 2010 à 36 millions d’euros pour cette année.
Voilà peut-être un début d’explication au fait que l’état de nos routes ne cesse de se dégrader !
Récemment, dans un article publié par le journal Le Monde, le président de l’Union des syndicats de l’industrie routière française, par ailleurs directeur général adjoint d’Eurovia, s’est inquiété de cette diminution des crédits. Il a ainsi jugé très insuffisant les 74,5 millions d’euros crédités cette année pour l’entretien préventif et la réparation des chaussées, compte tenu de la nécessité de rénover les revêtements tous les sept à douze ans.
Sur ce point, le rapport général sénatorial fait au nom de la commission des finances sur le projet de loi de finances pour 2011 regrettait lui aussi que « la gestion budgétaire de l’entretien des routes relève plutôt du coup par coup que d’une stratégie durable ». Pourtant, il y a urgence à agir, car, si l’on n’investit pas aujourd’hui, on payera plus cher demain, et ce coût sera bien sûr porté à la charge du contribuable !
On laissera aussi les usagers emprunter des routes potentiellement dangereuses.
C’est ainsi que, à l’heure actuelle, certains secteurs voient s’accumuler les nids de poule. Dans l’Aisne, sur la RN 2, il a fallu limiter la vitesse et le tonnage, et même neutraliser une voie à Crouy, dans l’agglomération de Soissons, depuis maintenant quatre ans !
En outre, la situation paraît d’autant plus critique que ces crédits servent aussi à payer la viabilité hivernale qui, au vu du dernier mois de décembre, va fortement amputer des budgets déjà très contraints. L’abondance de neige va en effet accélérer la détérioration des chaussées, entre gel et dégel et, au printemps, les restes de crédits d’entretien ne suffiront vraisemblablement pas à masquer les dégâts. D’ailleurs, les directeurs interdépartementaux des routes le reconnaissent, eux qui sont déjà appelés depuis le printemps dernier à opérer des économies substantielles en diminuant si nécessaire les niveaux de service.
Le réseau routier de l’État constitue pourtant le maillage stratégique des transports routiers. Il est également une fierté nationale de par sa longue histoire.
Qu’entendez-vous faire pour éviter ce que l’on pourrait appeler, si le sujet n’était pas aussi grave, une « sortie de route » ? Quels moyens comptez-vous mettre en œuvre pour financer l’entretien et l’exploitation de nos routes afin d’assurer la sécurité des usagers et de ceux qui y travaillent ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Benoist Apparu, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement, chargé du logement. Monsieur Daudigny, il est exact que, pour faire face à notre objectif global de réduction des dépenses de l’État, le budget de l’entretien du réseau routier national non concédé a diminué en 2011.
Le Gouvernement assume sa volonté claire, nette et précise de réduire les dépenses publiques.
Pour déterminer les besoins d’entretien du réseau routier national, les services du ministère disposent d’indicateurs qui permettent de suivre l’état du patrimoine.
Les chaussées représentent une part importante du patrimoine de l’État, et le suivi de l’évolution de leur état qualitatif est assuré grâce à la démarche IQRN, ou image qualité du réseau national. Des campagnes de mesure sont faites tous les trois ans sur le réseau.
Le réseau est globalement en état correct, avec un faible pourcentage de chaussées en mauvais état nécessitant des interventions lourdes. Ce chiffre est toutefois en légère augmentation.
Depuis 2008, des moyens importants et croissants ont pu être mobilisés, notamment grâce au plan de relance de 2009.
La succession de deux hivers rigoureux a provoqué une dégradation sensible du réseau routier national. Cette situation nécessitera sans doute d’effectuer des redéploiements de moyens par rapport aux prévisions pluriannuelles.
Dans cette attente, les services sont évidemment mobilisés pour assurer, en priorité, la sécurité des usagers. Ils interviendront au plus tôt, dès l’apparition des dégradations, d’une part en opérant une signalisation adéquate du danger, voire en imposant des restrictions de circulation, d’autre part en réparant temporairement les dégradations – je pense évidemment aux nids de poule, problème que vous venez d’évoquer, monsieur le sénateur.
Puis, au printemps, dès que les conditions atmosphériques le permettront, des travaux de remise en état définitive seront programmés.
M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny.
M. Yves Daudigny. Je vous ai écouté avec attention, monsieur le secrétaire d’État. Je ne puis toutefois partager l’idée selon laquelle l’application d’un dogme budgétaire aurait pour conséquence une grave détérioration de l’état de nos routes nationales.
Les chiffres sont têtus : le schéma du projet de loi de finances pour 2011 indique bien que les crédits destinés à l’entretien préventif et à la réparation des chaussées, qui s’élevaient à 179 millions d’euros en 2008, ont été réduits à 74,5 millions d’euros pour 2011. À cette diminution considérable des crédits s’ajoute aujourd’hui la nouvelle réorganisation faisant suite à la disparition des directions départementales de l’équipement. L’efficience des nouvelles directions interdépartementales des routes ne semble pas encore maximale, et de nombreux témoignages marquent aujourd’hui le désarroi des salariés qui y travaillent.
Il ne faut pas négliger ce problème, car il en va de la sécurité des usagers comme du développement économique, en raison des volumes de travaux confiés à nos entreprises.
biodiversité en méditerranée
M. le président. La parole est à M. Roland Courteau, auteur de la question n° 1140, adressée à Mme la ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement.
M. Roland Courteau. Le transport de marchandises polluantes ou dangereuses par la mer s’est accru de 40 % depuis dix ans. Aujourd’hui, un navire convoyant des marchandises dangereuses ou polluantes passe toutes les trente minutes au large d’Ouessant, soit un total de 17 000 navires par an. La tendance reste à la hausse, avec le projet des « autoroutes de la mer » qui vise à transférer sur le transport maritime une grande partie du fret routier européen.
Or, comme vous le savez, de nouveaux risques sont également apparus avec les substances nocives et potentiellement dangereuses, qu’il s’agisse de produits chimiques ou de produits toxiques que l’on sait difficilement gérer en pleine mer lors d’une fuite, et dont le transport ne cesse de croître.
Cette insécurité est renforcée par le design des navires modernes, imposé par les réglementations récentes – double coque, Marpol Annex IV –, qui ont eu pour effet de rendre les cuves de ces navires encore plus inaccessibles par l’extérieur en cas d’accident.
Ainsi, les gigantesques navires d’aujourd’hui ne sont absolument pas équipés pour limiter les conséquences environnementales des accidents de mer. Tout ou presque est prévu à bord pour éviter l’accident, mais rien pour mieux gérer ce dernier lorsqu’il n’a pas pu être évité. Nous savons maintenant que le risque zéro n’existe pas, et pourtant, en cas de problème, les navires d’aujourd’hui sont toujours aussi démunis et passifs qu’il y a vingt ans.
À ce défi technique du navire accidenté, une filière jeune et « verte », la sécurité passive embarquée, propose des réponses fiables et certifiées. La France est en pointe sur ce sujet et développe, avec les Fast Oil Recovery Systems, des solutions agréées par les sociétés de classification, recommandées par les compagnies de sauvetage et soutenues par les associations de protection de l’environnement.
En cas d’accident de mer, ces systèmes permettent d’accéder plus rapidement aux cuves et font gagner un temps précieux pour limiter la diffusion des hydrocarbures sur la côte. En fait, ce type d’intervention sur l’épave exigera dix fois moins d’efforts que si les hydrocarbures parviennent à la côte et préservera véritablement l’environnement.
Face à l’émergence de ces nouveaux risques et à l’apparition simultanée d’innovations technologiques pertinentes de nature à renforcer la sécurité environnementale en mer, il semble que les réglementations internationales, ainsi que les dispositifs nationaux de prévention et de lutte contre les pollutions marines, doivent être revus.
Monsieur le secrétaire d'État, pouvez-vous, d’une part, m’indiquer si une révision des plans nationaux d’organisation et des moyens de lutte contre les pollutions marines accidentelles est prévue et, d’autre part, me faire connaître la position de la France, et les éventuelles initiatives qu’elle défend en la matière auprès de l’Organisation maritime internationale et de l’Union européenne concernant notamment un éventuel « paquet ERIKA IV ».
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Benoist Apparu, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement, chargé du logement. Monsieur le sénateur, la question des pollutions marines a été abordée de manière approfondie dans le cadre des travaux du Grenelle de la mer.
Le comité opérationnel spécialisé dans les « pollutions marines » a rendu ses conclusions au printemps 2010. La réponse de l’État dans ce domaine doit être globale et intégrée.
Elle doit d’abord porter sur la prévention des accidents. Telle est la mission des seize centres de sécurité des navires chargés du contrôle des navires sous pavillon français et du contrôle des navires sous pavillon étranger. Ces centres sont rattachés aux nouvelles directions interrégionales de la mer, mises en place au début de l’année 2010.
Le socle réglementaire dont ces centres contrôlent l’application a été considérablement renforcé. Sur l’initiative de la France, l’Union européenne a récemment adopté le paquet de mesures relatives à la sécurité maritime, dit « paquet ERIKA III ». Ainsi, depuis le 1er janvier 2011, 100 % des navires qui fréquentent les ports de l’Union européenne doivent faire l’objet de contrôles périodiques et rigoureux, ce qui va dans le sens d’un renforcement de la sécurité maritime.
Notre réponse doit porter également sur la surveillance des espaces maritimes, la détection des pollutions et la lutte contre les auteurs des pollutions maritimes. Cette mission est pleinement assurée par les sept CROSS français, les centres régionaux opérationnels de surveillance et de sauvetage, qui agissent en liaison avec les préfets maritimes et les procureurs de la République.
Vous le savez, monsieur le sénateur, la loi du 1er août 2008 relative à la responsabilité environnementale et à diverses dispositions d’adaptation au droit communautaire dans le domaine de l’environnement a ainsi porté à 15 millions d’euros et à dix ans d’emprisonnement les peines encourues en cas de rejet volontaire.
Enfin, en cas d’accident maritime entraînant une pollution maritime, il s’agit pour l’État d’assurer la lutte en mer et à terre sous l’autorité des préfets maritimes et des préfets terrestres grâce aux différentes dispositions de l’ORSEC.
Les équipements de lutte et les moyens d’intervention sont mis en œuvre par le ministère de la défense pour la lutte en mer et par le ministère chargé de la mer pour la lutte à terre. Un travail interministériel d’actualisation et de mise en cohérence des différentes instructions est en cours, sous l’égide du secrétariat général de la mer.
Enfin, sur le plan international, je citerai deux initiatives françaises.
En premier lieu, le système des navires à double coque, ainsi que, plus récemment, celui de la protection des soutes, ont été largement soutenus par la France auprès de l’Organisation maritime internationale, qui les a adoptés.
En second lieu, ainsi que vous l’avez évoqué, monsieur le sénateur, il existe en France une société spécialisée dans le développement du système FORS, dont l’objet est le développement de la sécurité passive embarquée à bord des navires.
Mis en contact avec les services du ministère en vue de promouvoir l’installation de ce système sur les navires de commerce, nous avons favorisé la participation d’experts de cette société aux travaux du sous-comité Design Equipment de l’Organisation maritime internationale.
Dans ce cadre, une proposition a été déposée en 2011 auprès de cette organisation, en vue de favoriser la mise en place de cet équipement sur les navires.
M. le président. La parole est à M. Roland Courteau.
M. Roland Courteau. Je vous remercie, monsieur le secrétaire d'État, de votre réponse.
Les nouveaux systèmes que j’ai évoqués permettent, je le répète, d’accéder plus rapidement aux cuves pour traiter les produits dangereux des navires accidentés. Surtout, ils permettent de gagner du temps, et donc de limiter les fuites ou le déversement des produits polluants sur la côte, et ce avec dix fois moins d’efforts que si lesdits produits parviennent à la côte. Il faut donc impérativement encourager l’installation de ces systèmes, mais nous aurons l’occasion de reparler de cette question prochainement.
conséquences de l'article 28 de la loi du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l'environnement
M. le président. La parole est à M. Michel Doublet, en remplacement de M. Daniel Laurent, auteur de la question n° 1194, transmise à M. le ministre de la culture et de la communication.
M. Michel Doublet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, je vous prie, tout d’abord, de bien vouloir excuser l’absence de notre collègue Daniel Laurent, retenu par les obsèques d’un adjoint au maire de sa commune.
L’article 28 de la loi n° 2010-788 du 12 juillet 2010 portant engagement national pour l’environnement a modifié le dispositif relatif aux zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager, les ZPPAUP, pour les remplacer par des aires de mise en valeur de l’architecture et du patrimoine, les AVAP.
Cette nouvelle disposition s’applique aux ZPPAUP en cours de création, de révision ou de modification, ainsi qu’aux zones existantes.
Dans le cadre de l’examen de la proposition de loi visant à faciliter la mise en chantier des projets des collectivités locales d’Île-de-France, le Sénat a adopté un amendement de notre collègue Philippe Paul, auquel nous nous sommes associés, Daniel Laurent et moi-même, et dont l’objet visait à rectifier l’article L. 642-8 du code du patrimoine, issu de l’article 28 de la loi « Grenelle 2 ».
Ainsi, l’article L. 642-8 du code du patrimoine, qui précise les conditions du passage d’une procédure à l’autre, prévoit que les ZPPAUP « en cours de révision » sont instruites conformément à la nouvelle procédure lorsqu’elles n’ont pas encore fait l’objet d’une enquête publique.
Cette disposition permet d’approuver immédiatement la révision dès lors que celle-ci a été réalisée. Elle a, toutefois, involontairement oublié le cas des ZPPAUP en cours d’élaboration qui ont été soumises à enquête publique avant la publication de la loi. L’amendement ainsi adopté vise à réparer cet oubli. Gageons que cette disposition sera actée dans le texte définitif.
Un autre cas de figure mérite d’être mis en exergue, celui des communes dont la révision du PLU, le plan local d’urbanisme, aurait été approuvée par le conseil municipal avant la loi Grenelle 2, et qui aurait souhaité, après l’entrée en vigueur de cette même loi, procéder à une modification du règlement de la ZPPAUP pour intégrer, qui un nouveau projet urbanistique, qui une opération de développement touristique, etc.
Or que constate-t-on ? Il est tout simplement impossible de débuter une nouvelle modification de ZPPAUP, aussi modeste soit-elle, sans adopter une AVAP, aucune mesure transitoire n’étant prévue.
Comment peut-on imaginer qu’une modification, qui n’obère en rien la philosophie d’une zone de protection patrimoniale et architecturale, puisse nécessiter plusieurs mois d’instruction, pour ne pas dire plus, et entraîner des surcoûts injustifiés pour les finances de nos collectivités ?
Dans son discours du 2 mars 2010, le Président de la République a demandé aux parlementaires de consacrer une partie de l’ordre du jour de l’Assemblée nationale et du Sénat à « délégiférer » et nous l’a rappelé encore lors de la présentation des vœux en janvier dernier.
Par ailleurs, le Président de la République a demandé au président Larcher de formuler des propositions concernant les normes applicables aux collectivités territoriales. La commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire s’en est saisie, et nous avons dès lors identifié plusieurs domaines, dont l’urbanisme.
Je ferai enfin référence à l’excellent rapport d’information de notre collègue et ami Claude Belot, fait au nom de la délégation aux collectivités territoriales et à la décentralisation, au titre pour le moins explicite : La maladie de la norme, qui ne dit pas autre chose. Les procédures de modification et de révision des documents d’urbanisme sont contraignantes, longues et coûteuses pour les finances publiques.
Dès lors qu’il s’agit d’adaptations mineures et marginales de ces règles, ne pourrait-on pas envisager la réalisation de ces projets sans une modification du document d’urbanisme ou en simplifiant significativement la procédure ? Les élus locaux, notamment en milieu rural, nous font savoir qu’ils sont dépassés, voire exaspérés, par l’empilement des textes et l’excès normatif, tout particulièrement en matière d’urbanisme, qui pénalisent, voire freinent la mise en œuvre de projets qui peuvent paraître modestes d’un point de vue réglementaire mais se révéler importants pour le dynamisme de nos communes.
Je partage pleinement ces légitimes préoccupations, que nous avions anticipées avec mon collègue Daniel Laurent, en nous abstenant lors du vote de la loi Grenelle 2.
Monsieur le secrétaire d'État, quelles réponses concrètes pouvez-vous nous apporter sur cette problématique et quelles mesures comptez-vous mettre en œuvre pour simplifier le code de l’urbanisme ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Benoist Apparu, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement, chargé du logement. M. Laurent a souhaité attirer l’attention du Gouvernement sur les difficultés rencontrées par les modifications des ZPPAUP en AVAP, telles qu’elles sont prévues par les dispositions de la loi portant engagement national pour l’environnement.
La représentation nationale a souhaité une mise en œuvre rapide de la loi Grenelle 2, et c'est la raison pour laquelle il ne peut effectivement plus être créé, depuis le 14 juillet 2010, de ZPPAUP, mais seulement des AVAP.
Cette volonté du législateur manifeste le désir que les objectifs liés au développement durable soient pris en compte le plus rapidement possible dans les documents d’urbanisme. Ainsi, le fait qu’il n’existe pas de dispositions transitoires pour l’entrée en vigueur de cette loi traduit non pas un frein à la mise en place des projets de ZPPAUP en voie d’aboutissement, mais la volonté de ne plus créer de telles zones, appelées à être remplacées dans tous les cas par des AVAP.
Cependant, lors de la première lecture de la proposition de loi visant à faciliter la mise en chantier des projets des collectivités locales d’Île-de-France, le Sénat a adopté, le 30 mars 2011, un article 2 visant à permettre de continuer à instruire, selon la procédure applicable au ZPPAUP, les projets en cours d’élaboration à la date de publication de la loi portant engagement national pour l’environnement.
En tout état de cause et dans l’attente du vote de l’Assemblée nationale sur ce dernier texte, je tiens à préciser que les acquis des études patrimoniales réalisées et du projet établi ne sont nullement remis en cause.
La poursuite de la démarche nécessite de compléter le dossier par un diagnostic environnemental, dont la synthèse et les conclusions devront figurer au rapport de présentation, et de mettre au point les prescriptions nécessaires à la prise en compte des objectifs de développement durable, en particulier en matière d’économie d’énergie et d’exploitation des énergies renouvelables.
Un acte portant mise à l’étude d’une AVAP peut d’ores et déjà être pris par délibération du ou des organes délibérants des collectivités territoriales compétentes, sans que soit encore paru le décret d’application de cette loi. Cet acte devra mentionner les modalités de concertation prévues par le code du patrimoine. Cependant, le décret d’application, qui doit être soumis prochainement au Conseil d’État, précise les dispositions législatives relatives à la composition de la commission locale, et la procédure de création ne peut être poursuivie avant la parution de ce décret.
Je précise, enfin, que le ministère de la culture et de la communication, qui a la charge de ce dispositif et de sa mise en œuvre, a prévu, dès le présent exercice budgétaire, un accroissement des crédits concernés, de manière à poursuivre l’attribution de subventions conséquentes auprès des collectivités territoriales qui s’engageront en particulier dans la transformation de ZPPAUP existantes ou en cours d’instruction en AVAP. Cet effort budgétaire, qui se répartira nécessairement dans le temps, sera consenti au moins jusqu’au terme du délai de cinq ans prévu par la loi pour la mise en œuvre de cette transformation.
M. le président. La parole est à M. Michel Doublet.
M. Michel Doublet. Je prends acte des déclarations de M. le secrétaire d’État, que je transmettrai bien sûr à notre collègue Daniel Laurent, et j’espère que celles-ci seront suivies d’effet.
M. le président. Mes chers collègues, en raison de l’absence de l’auteur de l’une des questions orales, qui s’est excusé de ne pouvoir être présent ce matin, nous avons pris un peu d’avance. Aussi devons-nous attendre l’arrivée de Mme la secrétaire d'État chargée de la santé.
Nous allons donc interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix heures quarante-cinq, est reprise à dix heures cinquante.)
M. le président. La parole est à M. Jean Besson, auteur de la question n° 1196, adressée à Mme la secrétaire d'État chargée de la santé.
M. Jean Besson. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, je me fais ici l’écho du cri d’alarme lancé par les élus de la Drôme, et plus particulièrement des Baronnies provençales, concernant la baisse continue du nombre de médecins généralistes.
M. Roland Courteau. C’est un vrai problème !
M. Jean Besson. La situation sur ce territoire n’est malheureusement pas une exception dans notre pays.
M. Roland Courteau. C’est vrai !
M. Jean Besson. Elle illustre parfaitement la désertification médicale en marche, dont on connaît bien maintenant les rouages ainsi que les conséquences.
Au sein de nos cantons ruraux, il suffit du décès ou du départ à la retraite d’un seul médecin pour que l’ensemble de la chaîne des soins médicaux s’enraye.
En effet, dans ce cas d’espèce, les praticiens en exercice, déjà surchargés de travail, se retrouvent le plus souvent dans l’obligation de refuser toute nouvelle clientèle. Moyennant quoi les tours de garde ne peuvent plus être assurés, les permanences de nuit et les visites à domicile sont supprimées.
Ce scénario noir que nous connaissons tous dans nos territoires n’est pas le fruit de la fatalité ; il est bien plutôt le résultat d’une politique d’abandon. C’est pourquoi, dans la Drôme, à l’image de nombreux départements, les élus locaux luttent d’arrache-pied aux côtés des professionnels de santé pour essayer d’attirer de nouveaux généralistes. Mais il est fort à craindre que, sans l’intervention volontariste et rapide de l’État, l’offre de soins ne continue localement à se dégrader.
La situation est d’autant plus préoccupante que, dans le sud de mon département, les Baronnies et le Tricastin, les statistiques montrent que 62 % des médecins ont plus de cinquante-cinq ans.
Aussi, madame la secrétaire d'État, devant cet état des lieux alarmant, je souhaite connaître les mesures que vous et vos services comptez prendre dans les Baronnies provençales et, d’une manière plus générale, dans la Drôme, afin de redynamiser une médecine de proximité bien mal en point.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Nora Berra, secrétaire d'État auprès du ministre du travail, de l'emploi et de la santé, chargée de la santé. Monsieur le sénateur, la démographie de la médecine générale appelle une vigilance particulière, dans la Drôme comme dans de nombreux départements.
M. Roland Courteau. Tout à fait !
Mme Nora Berra, secrétaire d'État. Prenant en compte les évolutions inéluctables de la démographie médicale, les ministres chargés de l’enseignement supérieur et de la santé ont progressivement augmenté le numerus clausus des études médicales depuis 2000. Celui-ci a été relevé de 3 850 en 2000 à 7 400 en 2009, ce chiffre ayant été confirmé depuis lors.
Parallèlement, le nombre de postes offerts aux épreuves classantes nationales en médecine générale dans la région Rhône-Alpes a été porté de 195 en 2004-2005 à 316 en 2010-2011 ; tous les postes ouverts cette dernière année ont été pourvus.
En complément, la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relatif aux patients, à la santé et aux territoires, dite loi HPST, prévoit la détermination du nombre d’internes à former par spécialité et subdivision territoriale pour une période de cinq ans. Ces quotas sont établis en fonction des besoins de soins, au vu des propositions de l’Observatoire national de la démographie des professions de santé, l’ONDPS, sur la base de travaux réalisés par les comités régionaux de cet observatoire. Il est désormais possible d’adapter la proposition des postes d’internes au plus près des besoins de prise en charge spécialisée.
Ainsi, monsieur le sénateur, en Rhône-Alpes, votre région, il est prévu que le nombre de postes ouverts en médecine générale serait croissant les prochaines années, pour atteindre un total de 1 940 internes à former entre 2010 et 2015.
Par ailleurs, la mise en place de la filière universitaire de médecine générale est une volonté forte du Gouvernement. Les efforts continuent à se porter sur l’orientation des étudiants et internes vers la médecine générale, et sur la valorisation de la filière universitaire de médecine générale.
Ainsi, la généralisation du stage de deuxième cycle de médecine générale permettra à chaque étudiant de découvrir la spécialité et, éventuellement, de s’y orienter ultérieurement. De plus, il est prévu d’offrir aux futurs internes, pour la période 2010-2014, plus de la moitié des postes en médecine générale, afin de favoriser des vocations dans cette spécialité.
Par ailleurs, l’article 47 de la loi HPST prévoit la montée en charge concrète de la filière universitaire de médecine générale en programmant chaque année, pendant quatre ans, la nomination de vingt professeurs, de trente maîtres de conférences et de cinquante chefs de clinique.
Enfin, l’article 46 de cette même loi a instauré un contrat d’engagement de service public, CESP, à destination des étudiants admis à poursuivre des études médicales à l’issue de la première année du premier cycle ou ultérieurement. Les étudiants bénéficiaires se verront verser une allocation mensuelle de 1 200 euros jusqu’à la fin de leurs études. En contrepartie, ces étudiants s’engagent à exercer leurs fonctions, à compter de la fin de leur formation, dans des lieux d’exercice spécifiques proposés dans des zones où la continuité des soins fait défaut pour une durée correspondant à celle du versement de l’allocation.
À ce jour, sept contrats ont été signés en région Rhône-Alpes sur les 34 postes ouverts, dont deux avec des internes en médecine générale. L’un d’entre eux est en dernière année d’étude et est donc sur le point de s’installer.
M. le président. La parole est à M. Jean Besson.
M. Jean Besson. Je vous remercie de votre réponse, madame la secrétaire d'État.
Étant également de Rhône-Alpes, vous savez que la région ne se limite pas à l’axe Lyon-Grenoble, qui attire davantage les étudiants. Les parties drômoise et ardéchoise, plus éloignées, posent des problèmes !
Madame la secrétaire d'État, permettez-moi de profiter de votre présence pour, au-delà des médecins généralistes, vous faire part de nos inquiétudes sur ce secteur.
En effet, nos hôpitaux ruraux rencontrent de nombreux problèmes. Je citerai, de tête, ceux de Nions, Buis-les-Baronnies, Dieulefit et Die. Mais des problèmes se posent également à la maternité à Valréas. Voilà pourquoi je tenais à attirer votre attention.
maintien du service de chirurgie cardiaque de l'hôpital henri-mondor de créteil
M. le président. La parole est à Mme Odette Terrade, auteur de la question n° 1225, adressée à Mme la secrétaire d'État chargée de la santé.
Mme Odette Terrade. Madame la secrétaire d’État, ma question concerne votre décision de fermeture du centre de chirurgie cardiaque du centre hospitalier universitaire Henri-Mondor, unique service de ce type de tout l’est francilien.
Dans le cadre du plan stratégique de l’AP-HP, l’agence régionale de santé d’Île-de-France confirmait en janvier dernier, alors qu’aucune concertation n’avait été menée avec les élus locaux et le monde hospitalier, la fermeture du service de cardiochirurgie d’Henri-Mondor, afin de transférer ses activités vers l’hôpital de la Salpêtrière à Paris.
Cette décision inique va à l’encontre d’une organisation cohérente du territoire. Elle est inconcevable tant en ce qui concerne la prise en charge des patients que les conditions de travail du personnel ou d’enseignement des étudiants et chercheurs.
Faut-il rappeler la qualité de ce service de pointe, à la renommée internationale, également service de proximité de la banlieue sud, assurant les urgences cardiologiques vingt-quatre heures sur vingt-quatre, pour un bassin de population de 1 800 000 habitants ?
C’est donc l’accès à la santé et la vie de nos concitoyens que vous mettez en jeu avec cette décision de fermeture. En effet, vous le savez bien, plus on éloigne les lieux de soins des lieux d’habitation, plus on multiplie les risques pour les patients.
La mobilisation commune et déterminée des élus et de la population le montre bien, cette décision est contraire au simple bon sens, dans le cadre d’une politique d’accès à la santé égal pour tous.
Puisque l’hôpital public est aujourd’hui ausculté sous le seul angle comptable, sachez que ce service de chirurgie cardiaque contribue à l’activité de tout l’hôpital Henri-Mondor. Avec 600 opérations et plus de 3,6 millions d’euros d’excédents par an, c’est un service rentable et bénéficiaire qui assure plus de 20 % des recettes de cet établissement et, par là même, son équilibre financier.
Enfin, je tiens à signaler que le CHU Henri-Mondor, indissociable de l’image d’excellence hospitalière du département du Val-de-Marne, est l’objet de plusieurs projets, notamment dans le cadre du contrat État-région.
Ainsi, alors que l’État et la région d’Île-de-France s’associent et investissent pour que l’hôpital Henri-Mondor devienne un campus incontournable dans l’enseignement supérieur et la recherche aux niveaux national et européen, aucun argument autre que politique ne justifie l’annonce de cette fermeture.
Une telle décision est même contraire à la notion de Grand Paris, destinée à rééquilibrer l’offre de services publics entre Paris et sa banlieue.
Maintenir la programmation de cette fermeture reviendrait à cautionner une organisation territoriale de la santé bénéficiant aux seuls hôpitaux parisiens, au détriment de ceux qui sont implantés en banlieue.
Élue d’un département francilien de première couronne, je m’insurge contre le manque de concertation et l’absence de dialogue avec l’ARS et l’AP-HP. Je refuse que l’on vide la banlieue de ses forces vives, de ses équipements de pointe et de ses réussites humaines et scientifiques.
Par vos décisions, vous ne défendez pas le droit légitime de nos concitoyens à un service public de santé de qualité et vous ne respectez pas les promesses faites aux élus lors de la conférence de territoire et concernant le maintien du plateau chirurgical de cardiologie sur le site Henri-Mondor.
Plutôt que d’opposer les services, n’y a-t-il pas lieu de rechercher des coopérations ?
Madame la secrétaire d’État, avec les 20 000 Val-de-Marnais et professionnels de santé qui ont déjà signé une pétition contre cette fermeture, je vous demande de revenir sur votre décision de supprimer le service de chirurgie cardiaque du CHU Henri-Mondor et d’engager le plus rapidement possible la concertation avec les différents partenaires, afin de travailler à une restructuration qui soit guidée non pas uniquement par la recherche systématique de la rentabilité financière, mais bien par l’amélioration de l’offre de soins.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Nora Berra, secrétaire d'État auprès du ministre du travail, de l'emploi et de la santé, chargée de la santé. Madame la sénatrice, la région d’Île-de-France compte actuellement quatorze sites autorisés à pratiquer la chirurgie cardiaque adulte et trois sites consacrés à la chirurgie cardiaque infantile. Le schéma régional d’organisation des soins prévoit de réduire le nombre de sites, qui passerait de quatorze à dix.
Il s’agit en effet de doter la région d’Île-de-France de centres de tailles plus significatives qu’aujourd’hui, par le regroupement de cette activité dans un nombre plus restreint de centres.
C’est dans ce contexte que l’ARS prévoit la fermeture de certains sites de chirurgie cardiaque et qu’il a été demandé à l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris de réduire le nombre d’implantations de tels services.
Le regroupement de la chirurgie cardiaque doit permettre à l’AP-HP de figurer aux premières places des comparaisons internationales, dans un contexte où les centres de chirurgie cardiaque britanniques ou allemands, notamment, présentent des niveaux d’activité très nettement supérieurs à ceux de chacun des sites de l’AP-HP.
Vous avez raison, madame la sénatrice, il est nécessaire que l’AP-HP engage sans délai une réflexion sur l’organisation que pourraient mettre en place, conjointement, les équipes de l’hôpital Henri-Mondor et celles d’autres centres, éventuellement dans le cadre de coopérations, pour l’organisation des soins, le renforcement des activités de recherche et le maintien des capacités d’enseignement.
Cette réflexion doit concerner non seulement la chirurgie cardiaque générale, mais également, et plus spécifiquement, les modalités de prise en charge des patients susceptibles de bénéficier de techniques peu invasives pour la pose de valves cardiaques.
Compte tenu des enjeux d’articulation entre les facultés de médecine et les territoires, il est essentiel – je vous rejoins sur ce point – que cette réorganisation puisse se faire de manière concertée.
Le ministère a demandé à l’ARS d’être particulièrement attentive aux impacts hospitalo-universitaires que ce projet pourrait avoir, notamment sur la stratégie de l’hôpital Henri-Mondor, et plus particulièrement sur sa collaboration avec le centre hospitalier intercommunal de Créteil.
M. le président. La parole est à Mme Odette Terrade.
Mme Odette Terrade. Madame la secrétaire d’État, j’ai bien entendu vos remarques. Si des évolutions sont nécessaires, ce que personne ne conteste, il faut toutefois revoir la décision de fermeture du service de chirurgie cardiaque à l’hôpital Henri-Mondor. Certaines évolutions techniques, il est vrai, permettent des opérations moins invasives que par le passé, qui nécessitent donc moins de matériels.
Comprenez-le, cet établissement est essentiel, car il ne concerne pas uniquement le Val-de-Marne, mon collègue de l’Essonne vous en parlera tout à l’heure. C’est en fait toute la banlieue sud qui est concernée. Nous le savons bien, la population et les personnels de santé se mobilisent également contre le projet impliquant l’hôpital Albert-Chenevier, à propos duquel il est question d’opérations immobilières.
C’est la raison pour laquelle nous souhaitons que toute l’attention soit apportée à cette situation, en vue du maintien, à terme, de ces services. Les nécessaires restructurations ne doivent pas toujours se faire au détriment de la banlieue. C’est la situation de l’ensemble de la région parisienne, et notamment de Paris, qu’il convient d’examiner !
conséquences des restructurations hospitalières dans l'essonne
M. le président. La parole est à M. Bernard Vera, auteur de la question n° 1280, adressée à M. le ministre du travail, de l'emploi et de la santé.
M. Bernard Vera. Madame la secrétaire d’État, les hôpitaux de mon département traversent une crise profonde. L’année dernière, j’interrogeais la ministre de la santé, Mme Bachelot-Narquin, sur la situation de l’hôpital de Juvisy-sur-Orge et les risques de fermeture pesant sur ses services de chirurgie, sa maternité et son centre IVG.
Aujourd’hui, ces services ont fermé, comme le seront demain d’autres services. En effet, l’agence régionale de santé, l’ARS, impose la fusion de services hospitaliers à Évry-Corbeil, Dourdan-Étampes et Orsay-Longjumeau. De plus, elle prévoit de fermer, à la fin de l’année 2011, l’hôpital Georges-Clemenceau à Champcueil et l’hôpital Joffre-Dupuytren à Draveil.
La décision de l’ARS de fermer les urgences des hôpitaux de proximité de dix-huit heures trente à huit heures du matin pour les concentrer sur un seul site, celui du futur hôpital sud-francilien à Évry-Corbeil, est tout aussi inquiétante. Deux hôpitaux assureront les urgences chirurgicales la nuit, au lieu de cinq actuellement. Les Essonniens seront confrontés à une réduction sans précédent de l’offre publique de soins, cette politique de restructurations hospitalières, de fermetures de lits et de suppressions d’emplois étant en réalité une politique de réduction du service public hospitalier propre à restreindre toujours davantage l’accès aux soins.
Deux solutions s’imposeront alors aux patients : soit retarder cet accès aux soins, voire y renoncer, ce qui est une catastrophe en termes de santé publique, soit se tourner vers des établissements de santé privés, ce que tous ne pourront pas faire en raison du coût que représente un tel choix.
La politique de fermeture de services hospitaliers répondant au seul objectif de réduction de la dépense publique est de nature à accentuer le déséquilibre sanitaire, social et territorial de l’offre publique de soins, si on la rapporte aux besoins croissants des populations.
De plus, une telle logique rompt avec le principe de subsidiarité, selon lequel la continuité des soins s’organise à partir d’un maillage hospitalier adapté aux pathologies. L’exemple de l’hôpital Georges-Clemenceau à Champcueil est édifiant à ce propos. Avec sa fermeture, à laquelle il faut ajouter la perte de 230 lits à la suite de la fermeture de l’hôpital Joffre-Dupuytren à Draveil, c’est l’offre de soins dans le domaine de la gériatrie qui est ici menacée. C’est aussi le démantèlement de l’AP-HP, à laquelle sont rattachés ces deux établissements, qui est visé, et notamment la faculté d’une telle structure à développer de nouvelles avancées scientifiques et médicales.
Pourtant, la question de la dépendance liée au grand âge est au cœur des débats. À l’horizon 2040, la proportion de personnes concernées devrait augmenter de 1,5 % par an. Alors que l’Essonne connaîtra une croissance exponentielle, la plus forte d’Île-de-France, de sa population âgée de plus de quatre-vingts ans, la décision de fragiliser l’offre de soins en gériatrie est inacceptable.
Madame la secrétaire d’État, la politique comptable revendiquée dans la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires ne peut tenir lieu de politique de santé publique.
Un an s’est écoulé depuis l’entrée en vigueur de cette loi. Il est aujourd’hui urgent d’apprécier ses répercussions sur le terrain. Je vous demande par conséquent d’engager un moratoire concernant les fermetures d’hôpitaux. Je pense à l’hôpital Georges-Clemenceau à Champcueil, ainsi qu’à différents services implantés dans le département de l’Essonne.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Nora Berra, secrétaire d'État auprès du ministre du travail, de l'emploi et de la santé, chargée de la santé. Monsieur Vera, vous le savez, la réorganisation et la restructuration de l’offre de soins sur l’ensemble du territoire national représentent un objectif affiché et assumé du Gouvernement.
Les agences régionales de santé, créées par la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, ont pour mission d’opérer cette réorganisation globale, région par région, dans le cadre des schémas régionaux de l’offre de soins.
Concernant le cas spécifique que vous évoquez, il est exact que des réflexions sont actuellement menées sur l’éventuelle réorganisation des activités du groupe hospitalier Mondor-Chenevier-Dupuytren-Clemenceau.
Contrairement aux informations erronées qui ont pu circuler, il n’est pas prévu de fermer l’hôpital Georges-Clemenceau à la fin de cette année. La destination de cet établissement, dont l’activité est très majoritairement orientée vers la prise en charge de patients résidant dans le département de l’Essonne, n’est donc pas remise en cause.
En tout état de cause, si des restructurations devaient être opérées, elles ne se feraient pas sans une concertation préalable avec l’ensemble des acteurs, laquelle serait conduite par l’agence régionale de santé, dans le cadre du projet régional de santé.
M. le président. La parole est à M. Bernard Vera.
M. Bernard Vera. Je vous remercie de votre réponse, madame la secrétaire d’État. Toutefois, mes inquiétudes sont loin d’être apaisées.
Lorsque l’on regarde une carte de l’Essonne et de ses hôpitaux publics, on constate que tous sont menacés, ici par des fermetures pures et simples, là par des suppressions de lits ou de services.
C’est pourquoi les mobilisations des personnels et les inquiétudes des patients sont grandissantes, au niveau du département comme de la région.
Nous avons d’ailleurs pu le constater samedi dernier, lors de la manifestation destinée à défendre notre santé, l’accès aux soins et nos hôpitaux publics. C’est également dans ce contexte que vont être organisées les Assises régionales de la santé, regroupant des professionnels, des usagers, des organisations syndicales et des élus. Leurs exigences en termes de santé publique seront ainsi rappelées, ainsi que leurs propositions pour améliorer le service public de santé.
Animé par le souci de la démocratie sanitaire, madame la secrétaire d’État, je souhaite l’instauration d’un moratoire, à la fois sur les fusions, comme à Étampes-Dourdan, les fermetures, comme à Champcueil, bien que vous nous ayez indiqué que celle-ci n’aurait pas lieu cette année, et les partenariats public-privé, lesquels – je pense notamment au centre hospitalier sud-francilien – coûteront au final plusieurs milliards d’euros à l’État.
J’espère, madame la secrétaire d’État, que le Gouvernement saura entendre ces revendications.
fabrication des terminaux de la française des jeux
M. le président. La parole est à M. Thierry Foucaud, auteur de la question n° 1170, transmise à M. le ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'État, porte-parole du Gouvernement.
M. Thierry Foucaud. Monsieur le secrétaire d’État, la Française des Jeux a confié à une grande entreprise, en l’occurrence Sagem Sécurité, filiale du groupe Safran, le marché du renouvellement de ses terminaux.
La Française des Jeux est détenue à 72 % par l’État ; le Gouvernement ne peut donc rester indifférent à son activité et aux décisions d’ordre économique qui y sont prises.
Au début de l’année 2014, le parc de 40 000 terminaux de jeux présents chez les buralistes va être renouvelé. Or il est quasi avéré que la production de ces machines a été confiée par ladite entreprise à des sociétés chinoises. Cette fabrication va être étalée sur deux ans à compter de janvier 2012. Jusqu’à présent, les pièces y afférentes étaient construites sur notre territoire, plus particulièrement dans le département de la Seine-Maritime.
Ainsi, voilà une décennie, lors de la mise en place du précédent parc de terminaux, l’usinage, la tôlerie, la plasturgie, le traitement de surface, le montage et d’autres activités avaient été assurés par des PME françaises.
Ce sont près de 10 millions d’heures de travail par an réparties dans une quarantaine d’entreprises de la Seine-Maritime qui risquent ainsi d’être perdues.
Des agglomérations, par exemple celles de Rouen et de Dieppe, vont être impactées économiquement. De ce fait, des emplois y sont menacés. On sait qu’un premier lot de prototypes va être livré à la Française des Jeux en juin 2011. Celle-ci devra en examiner la fiabilité.
Monsieur le secrétaire d'État, au regard de l’implication de l’État dans la Française des Jeux, pouvez-vous garantir que le panel de fournisseurs qui seront en définitive choisis sera composé exclusivement d’entreprises françaises ?
De plus, puis-je avoir l’assurance que l’appellation made in France ne sera pas détournée ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Georges Tron, secrétaire d'État auprès du ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'État, chargé de la fonction publique. Monsieur le sénateur, au préalable, je vous prie de bien vouloir excuser l’absence de François Baroin, lequel m’a demandé de vous apporter les éléments de réponse suivants.
Vous m’interrogez sur un marché confié par la Française des Jeux à une entreprise du CAC 40.
Le renouvellement des terminaux de jeux de la Française des Jeux installés chez les buralistes suscite de nombreuses interrogations de la part des élus de la Seine-Maritime. Cela fait en effet plusieurs semaines que le Gouvernement est régulièrement interrogé à ce sujet.
S’agissant d’un monopole de l’État, ce sont des interrogations légitimes et je veux vous apporter quelques éclairages.
Je souhaite toutefois vous rappeler que nous parlons d’un contrat commercial conclu entre la Française des Jeux et un groupe industriel français, Safran. Ce contrat doit être protégé par le secret des affaires. Ainsi, le détail des modalités de fabrication tout comme les éléments commerciaux de ce contrat ne peuvent être divulgués sans mettre en difficulté l’entreprise en question, c’est-à-dire sans profiter indûment à ses concurrents.
Il n’en demeure pas moins, monsieur le sénateur, que l’État, principal actionnaire de la Française des Jeux, demeure attentif à la stratégie industrielle de celle-ci.
D’ailleurs, plusieurs éléments de nature à rassurer les élus des territoires concernés peuvent être rappelés.
D’une part, la chaîne de fabrication des terminaux est installée près de Rouen, précisément à Saint-Étienne-du-Rouvray, et elle le restera.
D’autre part, la maintenance des terminaux sera réalisée pendant la durée du contrat, soit neuf ans, au même endroit.
L’emploi local sera donc préservé, comme cela a d’ailleurs été précisé à plusieurs reprises, aussi bien par le Gouvernement que par la direction de la Française des Jeux.
Nous sommes, croyons-nous sincèrement, victimes d’une rumeur qui est née à partir de chiffres faux. J’en veux pour exemple le volume d’heures de travail nécessaire à la production et à la maintenance des terminaux de jeux de la Française des Jeux, qui est sans rapport avec celui qui a été avancé, à savoir 10 millions d’heures.
M. le président. La parole est à M. Thierry Foucaud.
M. Thierry Foucaud. « Rumeur, rumeur », dites-vous, monsieur le secrétaire d'État… Il n’y a pas de fumée sans feu, dit-on.
J’ai ici un courrier de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises patrimoniales. Cela démontre bien que, outre certains salariés et élus, ce sont bien sûr l’ensemble des PME et des PMI qui se posent des questions.
Vos propos, dans votre réponse, se sont voulus rassurants. J’ose espérer que la réalité, sur le terrain, sera bien celle du maintien de ces terminaux et de ces emplois au cours des neuf prochaines années. En tout état de cause, je ne manquerai pas de m’en assurer.
Par ailleurs, je comprends bien la nécessité de préserver le secret des affaires, mais, monsieur le secrétaire d'État, je le rappelle, l’État détient 72 % du capital de la Française des Jeux. C’est pourquoi je vous demande, une nouvelle fois, de veiller à ce que l’appellation made in France ne soit pas détournée et à ce que ces marchés restent en France, de manière que le département de la Seine-Maritime conserve ces centaines de milliers d’heures de travail.
fiscalité des sociétés de recherche et d'exploitation des hydrocarbures liquides ou gazeux
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq, auteur de la question n° 1220, adressée à M. le ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'État, porte-parole du Gouvernement.
Mme Nicole Bricq. En réponse à la vive émotion suscitée par l’octroi des permis de recherche d’hydrocarbures de schiste, Mme la ministre de l’écologie a annoncé, le 4 février dernier, la mise en place d’une mission pour évaluer les enjeux environnementaux et sanitaires liés aux gaz et huiles de schiste. Le rapport d’étape devrait être connu dans quelques jours.
Mon département, la Seine-et-Marne, est particulièrement concerné par cette nouvelle activité. De nombreux permis – plus de trente – ont été déposés, notamment le « permis de Château-Thierry », qui autorise l’exploration aux alentours de Doue et de Jouarre sur une superficie de 779 kilomètres carrés. Ce permis a été accordé le 4 septembre 2009 à la société Toreador, une société française cotée au New York Stock Exchange. Elle s’est associée avec Hess, une société nord-américaine, pour explorer et exploiter l’huile présente dans les roches.
Cette société annonce et espère des perspectives d’exploitation de l’ordre de 90 millions de barils, avec de substantiels profits à la clé, comme c’est le cas aux États-Unis, où Exxon espère que, d’ici à 2030, la moitié de la demande portera sur les ressources en schiste.
On comprend donc que les réserves subodorées en Île-de-France notamment aiguisent les appétits.
La prévention des risques environnementaux induits par cette technique particulière d’exploitation, le souci de préservation de nos espaces naturels ainsi que de l’agriculture et du tourisme, qui sont deux leviers économiques essentiels dans le département de la Seine-et-Marne, sont légitimes. Ils soulèvent la question du soutien fourni à l’activité de forage, notamment les incitations fiscales.
Il convient donc de connaître la position exacte du Gouvernement. En effet, la loi de finances pour 2011 a modifié le dispositif relatif à la détermination des bénéfices imposables de ces sociétés de recherche et d’exploitation prévu à l’article 39 ter du code général des impôts. L’Assemblée nationale avait supprimé cet article, avec l’avis favorable du ministre du budget. Or, au Sénat, nos collègues de la majorité ont défendu son rétablissement. Finalement, la commission mixte paritaire a décidé de maintenir l’article 39 ter, mais en excluant de son bénéfice les exercices clos à compter du 31 décembre 2010.
À l’époque, alors même que la chasse aux niches fiscales était déclarée, cette gymnastique parlementaire n’avait pas manqué de m’étonner.
La position de la ministre de l’environnement face à la montée des protestations, le changement d’attitude, d’une chambre à l’autre, du Gouvernement, tout cela n’est pas de nature à lever l’ambiguïté sur les intentions réelles de celui-ci. Si le bénéfice du dispositif fiscal était prolongé par le Gouvernement lors d’un prochain exercice budgétaire, la mission diligentée par Mme la ministre de l’écologie n’aurait été qu’un leurre.
Monsieur le secrétaire d'État, qu’en est-il réellement de la position du Gouvernement ? Est-il favorable à la suppression définitive de la disposition fiscale destinée à favoriser le développement d’exploitations aujourd’hui contestées ? Prendra-t-il l’initiative, lors d’une prochaine loi de finances, d’abroger cet article 39 ter du code général des impôts ?
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Georges Tron, secrétaire d'État auprès du ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'État, chargé de la fonction publique. Madame la sénatrice, vous m’interrogez sur l’exploration et l’exploitation de pétrole et de gaz de schiste en France.
La France étant importatrice d’hydrocarbures malgré ses lourds investissements dans les énergies renouvelables, gaz et huiles de schiste présentent un potentiel économique important et une opportunité de réduire notre dépendance énergétique.
Toutefois, compte tenu des préoccupations environnementales importantes que suscite ce sujet complexe, la ministre de l’écologie et du développement durable et le ministre de l’industrie et de l’énergie ont décidé de confier une mission, d’une part, au Conseil général de l’industrie, de l’énergie et des technologies, le CGIET, d’autre part, au Conseil général de l’environnement et du développement durable, le CGEDD, afin d’éclairer le Gouvernement sur les enjeux économiques, sociaux et environnementaux des gaz et huiles de schiste.
Un rapport d’étape doit être remis le 15 avril 2011, tandis que le rapport final le sera le 31 mai 2011. Les rapports seront rendus publics et les conclusions en seront tirées avant la fin du mois de juin 2011.
Sur le plan fiscal, les dispositions de l’article 39 ter du code général des impôts dont bénéficiaient les entreprises, sociétés et organismes de toute nature qui effectuaient la recherche et l’exploitation d’hydrocarbures liquides ou gazeux en France métropolitaine et dans les départements d’outre-mer ont été supprimées, pour l’avenir, par l’article 18 de la loi de finances pour 2011, c’est-à-dire pour la détermination des résultats des exercices clos à compter du 31 décembre 2010.
Madame la sénatrice, je vous rappelle que ce dispositif permettait aux entreprises concernées de déduire de leur bénéfice net d’exploitation une provision pour reconstitution des gisements d’hydrocarbures dans la limite de certains plafonds.
Le Gouvernement, après s’être montré favorable à cette suppression lors des débats devant l’Assemblée nationale, s’en est effectivement remis par la suite à la sagesse de la Haute Assemblée. En effet, tout en estimant que le dispositif présentait un coût non négligeable pour un intérêt très limité, il ne souhaitait pas non plus qu’une telle suppression aboutisse à fragiliser les quelques entreprises de taille modeste du secteur.
Il faut en effet comprendre que la première version du texte consistait à abroger purement et simplement la provision.
Mme Nicole Bricq. C’était la bonne version !
M. Georges Tron, secrétaire d'État. Toutefois, cette abrogation créait un flou juridique dès lors que le texte ne prévoyait pas le sort des provisions antérieurement dotées et non encore reprises à la date de l’abrogation. Ces provisions devaient-elles être utilisées et reprises dans les conditions prévues par le dispositif antérieur ou bien, au contraire, devaient-elles être intégralement reprises à la date de l’abrogation du dispositif ? C’est ce qui explique ce revirement de position.
C’est la raison pour laquelle le Sénat a choisi de rétablir l’article 39 ter précité, laissant expressément à la commission mixte paritaire le soin de trouver, comme l’a dit le président de la commission des finances au cours de la séance du 19 novembre 2010, un « mécanisme de transition ».
Ainsi, en commission mixte paritaire, la provision pour reconstitution de gisements d’hydrocarbures a été définitivement supprimée pour les exercices clos à compter du 31 décembre 2010. Cette rédaction vise simplement à maintenir les règles jusqu’alors applicables pour les entreprises ayant constitué une telle provision au cours d’un exercice clos avant le 31 décembre 2010.
Cette rédaction garantit la sécurité juridique des entreprises ayant bénéficié de la mesure, sans pour autant la maintenir.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Bricq.
Mme Nicole Bricq. Pour ma part, je n’ai pas été « sage » au cours de cette séance de nuit du 19 novembre, séance à laquelle vous étiez d’ailleurs présent, monsieur le secrétaire d'État. (M. le secrétaire d’État acquiesce.)
En ce qui me concerne, je suis favorable à l’abrogation définitive de l’article 39 ter du code général des impôts. Je note d’ailleurs, monsieur le secrétaire d'État, que vous avez repris en partie les arguments qui sont généralement avancés pour justifier son maintien.
Premièrement, c’est certes une niche, mais elle est peu coûteuse, environ 15 millions d’euros par an. Une société en bénéficiait, en l’occurrence Vermilion.
Je répondrai que cette niche fiscale étant assise sur le volume des ventes des produits d’exploitation, son importance ne fera que croître à l’avenir puisque les modèles économiques prévoient une explosion de leurs ventes.
Deuxièmement, monsieur le secrétaire d'État, vous avez avancé un argument juridique.
Toujours est-il qu’il est parfaitement possible de disposer dans la seconde partie d’une loi de finances que telle ou telle disposition ne prendra effet qu’à compter d’une certaine date, en l’occurrence en 2012 ou en 2013.
Le Gouvernement n’a pas choisi cette voie et argué du fait qu’il ne fallait pas fragiliser une entreprise de taille modeste, en l’occurrence la société Vermilion. Je vous signale tout de même que l’entreprise Toreador, après avoir rapatrié tous les actifs qu’elle détenait en Turquie et en Hongrie, a vu sa capitalisation boursière multipliée par dix !
Il y a donc bien un modèle économique et financier dont il faut tenir compte : voilà pourquoi le lobbying ne s’est pas arrêté à 2010 ou à 2011 et reprendra par la suite. On verra bien ce que décidera le Gouvernement, mais sachez que la mobilisation ne faiblira pas. Au-delà des problèmes environnementaux et sanitaires, pour lesquels on attend les conclusions de la mission, n’oublions donc pas le poids du modèle économique, et surtout financier.
service bancaire à wallis-et-futuna
M. le président. La parole est à M. Robert Laufoaulu, auteur de la question n° 1208, adressée à Mme la ministre de l’économie, des finances et de l’industrie.
M. Robert Laufoaulu. Monsieur le ministre, ma question porte sur la situation du service bancaire à Wallis-et-Futuna, et plus particulièrement à Futuna.
Unique banque présente sur le territoire, la banque de Wallis-et-Futuna, ou BWF, filiale de BNP-Paribas, ne dispose que d’une seule agence, située à Wallis, avec un seul distributeur automatique de billets.
Cet état de fait est déjà difficile à gérer pour les Wallisiens, qui font longtemps la queue au guichet. Rappelons aussi que la BWF, profitant de sa situation de monopole, n’effectue que les opérations courantes et des prêts à la consommation à des taux prohibitifs.
Pour les 4 000 habitants de Futuna, île distante de Wallis de 280 kilomètres, la situation est insupportable : deux agents de la BWF ne s’y rendent qu’une seule fois par mois pendant deux ou trois jours consécutifs, au cours desquels ils assurent les opérations de guichet et quelques conseils commerciaux pour le millier de comptes existant ; l’accueil y est effectué dans un espace loué, qui ne respecte ni la confidentialité ni la sécurité des clients.
La BWF, arguant de la rentabilité pour refuser d’installer un distributeur automatique et un comptoir digne de ce nom à Futuna, souhaite l’assistance des agents publics. Je tiens toutefois à dire ici que la BWF a dégagé un résultat de 123 millions de francs Pacifique en 2008 et de 78 millions en 2009, alors que le coût estimé d’un distributeur automatique à Futuna, y compris le personnel à mettre en place, n’est que de 12 millions de francs Pacifique.
Je voudrais aussi établir une comparaison avec les autres collectivités françaises du Pacifique : en Nouvelle-Calédonie et en Polynésie française, on trouve une offre bancaire concurrentielle et 353 guichets automatiques ; de plus, l’Office des postes et télécommunications de ces deux territoires y exerce une activité de services financiers.
La situation bancaire de Wallis-et-Futuna est dramatique et dure depuis des années. Nous ne pouvons plus continuer à crier dans le désert.
Monsieur le ministre, seules l’intervention et la médiation de l’État sont susceptibles de permettre une résolution du problème, et le préfet a d’ores et déjà attiré l’attention du Gouvernement sur le sujet.
Je demande donc instamment au Gouvernement de s’impliquer sérieusement dans ce dossier afin qu’une solution soit trouvée. Il pourrait solliciter BWF, filiale, je le répète, de BNP-Paribas, banque qui a bénéficié du soutien de l’État il n’y a pas si longtemps, ou, mieux encore, mettre à contribution les services de l’État pour que les habitants de Futuna ne soient plus traités avec un tel mépris. Je le rappelle, par dérogation à la métropole, le Trésor public est en droit, à Wallis-et-Futuna, d’exercer une activité bancaire pour les particuliers, ce qu’il fait seulement actuellement avec les dépôts à vue.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Maurice Leroy, ministre de la ville. Monsieur Laufoaulu, je vous prie tout d’abord d’excuser Mme Christine Lagarde, qui, ne pouvant être présente ce matin, m’a chargé de répondre à votre interpellation bien légitime.
L’État, conscient de la situation très spécifique de Wallis-et-Futuna en ce qui concerne les services bancaires, a décidé, en 2002, d’y maintenir la possibilité, pour le Trésor public, de continuer à gérer des comptes de dépôts pour les particuliers, alors que, vous le savez, cette possibilité a été supprimée partout ailleurs sur le territoire de la République.
Ainsi, aujourd’hui, la banque de Wallis-et-Futuna et le payeur apportent-ils des services bancaires.
En août dernier, Mme Lagarde a demandé au préfet, administrateur supérieur des îles Wallis et Futuna, d’ouvrir une concertation avec les partenaires financiers qui y exercent une activité.
Cette concertation n’a pas permis, à ce stade, de trouver un accord, en raison d’une faible bancarisation des habitants de Futuna. Dans un rapport, l’Institut d’émission d’outre-mer indique une baisse de 4 % du nombre de porteurs de cartes bancaires en 2009 et constate que le nombre de cartes en circulation n’a cessé de diminuer depuis 2004.
Malgré tout, Mme Lagarde soutient le souhait des habitants de Futuna de pouvoir accéder aux services bancaires dans des conditions satisfaisantes. Il ressort de la concertation menée par l’administrateur supérieur qu’un partenariat entre les services du payeur et la banque de Wallis-et-Futuna pourrait permettre l’installation d’un distributeur automatique de billets à Futuna.
Aussi, Mme Lagarde a demandé à M. Baroin de faire étudier par la Direction générale des finances publiques les modalités d’un partenariat exceptionnel envisageable entre la régie de Futuna et la Banque de Wallis-et-Futuna.
Monsieur le sénateur, le Gouvernement est et restera attentif à ce qu’une solution pratique, pragmatique et acceptable pour tous les acteurs puisse être trouvée.
M. le président. La parole est à M. Robert Laufoaulu.
M. Robert Laufoaulu. Monsieur le ministre, je vous remercie de ces précisions et salue l’implication du Gouvernement. Je répercuterai vos propos auprès de la population de Futuna, qui sera certainement très satisfaite des perspectives envisagées, car le fait de disposer au moins d’un distributeur automatique de billets sur Futuna arrangerait déjà beaucoup la situation.
modification des modalités de répartition des crédits d’intervention de la politique de la ville entre les territoires
M. le président. La parole est à M. Bernard Piras, auteur de la question n° 1215, adressée à M. le ministre de la ville.
M. Bernard Piras. Monsieur le ministre, l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances, l’ACSE, a revu, à la fin du mois de décembre 2010, les modalités de répartition des crédits d’intervention de la politique de la ville entre les territoires.
Il semblerait que le principal critère retenu soit la part, dans chaque département, de la « population ZUS », autrement dit le nombre d’habitants en zones urbaines sensibles.
Or, les trois ZUS drômoises sont nettement sous-dimensionnées par rapport à d’autres. Ce sous-dimensionnement permet, comme à Romans-sur-Isère et à Montélimar, de cibler de petits quartiers très homogènes socialement, mais dont les indicateurs sociaux sont nettement plus préoccupants que ceux de la moyenne des ZUS en France.
S’il est confirmé que la population ZUS sert de critère à la réaffectation des crédits par l’ACSE, cela risque de pénaliser les quartiers homogènes dont la population est plus réduite.
Une telle orientation conduit à s’interroger sur plusieurs points.
Tout d’abord, si, comme l’indique le Livre vert présenté en mars 2009, une réforme de la géographie prioritaire s’impose, pourquoi s’appuyer sur une géographie à réformer pour prendre une décision ?
Ensuite, si la définition d’une règle doit permettre de sortir de l’attribution intuitive des crédits de la politique de la ville – point également souligné dans le Livre vert –, cette règle ne doit-elle pas être discutée devant la représentation nationale plutôt qu’au sein du conseil d’administration de l’ACSE ?
Au-delà, comment imagine-t-on à l’ACSE l’impact de réduction de crédits pouvant dépasser les 30 % sur certains territoires ? Qui doit être en capacité de se substituer aux financements étatiques ? Doit-on laisser les porteurs de projet, essentiellement des associations, faire leur affaire de réductions de recettes drastiques à leur échelle ?
Enfin, peut-on disposer d’un tableau de synthèse présentant, département par département et quartier par quartier, les évolutions des enveloppes affectées à la politique de la ville – relatives, pour l’essentiel, aux contrats urbains de cohésion sociale et aux dispositifs de réussite éducative – entre 2010 et 2011 ?
Monsieur le ministre, êtes-vous aujourd'hui en mesure de répondre à toutes ces questions, que de nombreux acteurs locaux de la politique de la ville se posent ?
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Maurice Leroy, ministre de la ville. Monsieur Piras, vous vous inquiétez des modifications que l’Agence nationale pour la cohésion sociale et l’égalité des chances a apportées aux modalités de répartition des crédits d’intervention de la politique de la ville entre les territoires.
Comme vous le soulignez, le Livre vert présenté en mars 2009 suggérait de revoir les critères de répartition territoriale des crédits de la politique de la ville.
Le Gouvernement a souhaité approfondir cette réflexion en 2011, de manière à dégager des hypothèses envisageables dans le cadre d’une future réforme de la géographie prioritaire. Il a voulu donner de la lisibilité et de la visibilité aux acteurs de terrain, au premier rang desquels figure l'ensemble du tissu associatif – auquel vous avez rendu un hommage tout à fait justifié –, en prolongeant les contrats urbains de cohésion sociale jusqu’en 2014. Il s’agit d’une décision importante prise très officiellement lors d’une réunion du Comité interministériel des villes présidée par le Premier ministre, François Fillon. Voilà qui mérite d’être souligné, car, comme tous les maires le savent, le système manquait jusqu’à présent de clarté.
Il n’en demeure pas moins qu’il a fallu, dans un contexte de nécessaire maîtrise des dépenses publiques, procéder à la répartition territoriale des crédits de la politique de la ville.
Cette répartition, qui n’anticipe en aucune manière la réforme de la géographie prioritaire, a été effectuée, sous le contrôle de son conseil d’administration, par l’ACSE, en utilisant des critères classiques et éprouvés, notamment l’importance de la population des quartiers, critère objectif et absolument incontestable utilisé sous tous les gouvernements qui se sont succédé dans notre pays au cours des vingt dernières années.
Par ailleurs, j’ai souhaité que l’ACSE privilégie l’utilisation des crédits sur les axes thématiques qui m’apparaissent comme prioritaires : l’éducation, l’emploi, le développement économique, la prévention de la délinquance et la santé. Je suis sûr que vous partagez ces priorités. De plus, j’ai demandé à l’Agence de veiller à une mobilisation maximale des moyens de droit commun, notamment là où les crédits de la politique de la ville ne doivent être qu’un complément.
J’ai souhaité qu’un effort particulier soit engagé en faveur des associations, afin, d’une part, de simplifier la procédure de demande de subventions et, d’autre part, de leur verser celles-ci beaucoup plus rapidement pour réduire de manière très sensible les frais financiers qu’elles supportent.
Je m’arrête un instant sur ce point car il est à mes yeux très important. Les crédits en question ont été votés à l’ACSE le 20 décembre dernier, puis, sur mon instruction, délégués très rapidement, en janvier, aux préfets de tous les départements concernés. J’ai demandé à ces derniers de les mettre à disposition au plus tôt, le dernier délai étant fixé à la fin du mois : ce sera d’ailleurs une première en France. Je considère en effet que les crédits de l’État ne doivent pas servir aux associations à payer à la banque les agios nés de la subvention de l’année n-1.
Monsieur Piras, comme vous le savez, il faut aussi resituer ces crédits dans le cadre des moyens que l’État consacre à la politique de la ville, qui ne se résument pas aux seuls crédits du programme budgétaire du même nom.
Ainsi, la dotation de solidarité urbaine a été augmentée de 6 % et la dotation de développement urbain maintenue à son niveau de 2010 : vous conviendrez aisément que, dans un contexte de maîtrise des dépenses publiques, c’est un effort substantiel, d’autant qu’il n’est trop souvent question que des crédits de l’ACSE. Or, je le dis sans esprit polémique, la dotation de solidarité urbaine permet également aux communes de financer le tissu associatif et les actions de la politique de la ville.
M. le président. La parole est à M. Bernard Piras, que la réponse de M. le ministre a dû convaincre ! (Sourires.)
M. Bernard Piras. Vous anticipez mes propos, monsieur le président ! Laissez-moi parler ! Après quoi, vous verrez si je suis convaincu ! (Nouveaux sourires.)
Pour l’instant, je note que des efforts sont faits pour instaurer le dialogue. Et je remercie M. le ministre pour la rapidité avec laquelle les crédits seront débloqués afin d’éviter aux associations de payer des agios.
Je voudrais, en revanche, vous sensibiliser sur un point, le critère « population ». Je ne conteste nullement la hiérarchie des priorités que vous établissez pour les actions que vous menez. Ces priorités, je les partage. Je veux simplement attirer votre attention sur le fait que le seul critère de la population ne me semble pas suffisant. Il y a des « poches » dans lesquelles la population est plus faible qu’ailleurs et où les problèmes se posent avec une acuité plus forte. Cet élément devrait, à mon sens, être pris en compte, en tout cas dans le cadre de la réforme que vous envisagez de mettre en place en 2011. Si je suis assez sensible à cet aspect et vous interpelle à son propos, c’est parce que ma commune s’est vue quelque peu spoliée sur un certain nombre de crédits.
coût des prestations de la gendarmerie pour les grandes manifestations
M. le président. La parole est à M. Gérard Bailly, auteur de la question n° 1175, adressée à M. le ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration.
M. Gérard Bailly. Monsieur le ministre, j’aimerais attirer votre attention sur les nouveaux barèmes horaires des forces de gendarmerie fixés par l’arrêté du ministère de l’intérieur en date du 28 octobre 2010.
De 2,40 euros de l’heure, le taux horaire est passé à 12,33 euros au 1er janvier 2011, soit plus de 400 % d’augmentation ! Le taux devrait augmenter chaque année début juillet pour atteindre environ 20 euros de l’heure en 2014.
L’explication donnée est la volonté d’harmoniser les barèmes des prestations de la gendarmerie nationale sur ceux de la police, d’autant que, depuis 2009, les gendarmes relèvent non plus du ministère de la défense mais du ministère de l’intérieur.
Une autre explication consiste à recentrer les forces de l’ordre sur leurs vrais métiers, qui consistent à assurer la sécurité, à lutter contre la délinquance et à inciter les organisateurs de manifestations à recourir davantage à des personnels bénévoles ou rémunérés. Nous pouvons nous accorder sur ces points sans pour autant méconnaître leurs incidences.
Ce nouvel état de fait risque d’avoir des conséquences très dommageables, allant jusqu’à mettre en cause la pérennité de manifestations sportives, culturelles ou festives qui ont lieu dans nos territoires.
Je vais citer deux exemples : d’abord, la Percée du Vin Jaune. Organisée dans mon département, le Jura, elle a lieu tous les premiers week-ends de février depuis plus de quatorze ans et rassemble 50 000 personnes. Cette année, 60 000 personnes se sont réunies en Arbois. Cet événement, qui est un immense succès populaire, a des retombées très importantes pour notre filière viticole jurassienne et pour le tourisme de la région. Mais cette année, il nous en a coûté une augmentation de 500 % pour la prestation de la gendarmerie. Elle est passée de 8 500 euros en 2010 à près de 30 000 euros en 2011. Or nous savons que les dépenses liées à la sécurité sanitaire ont également augmenté dans des proportions considérables.
Course de ski de fond internationalement connue, la Transjurassienne, qui réunit 4 400 participants et s’est tenue le deuxième week-end de février, a, elle aussi, subi cette très grosse augmentation.
Il est bien évident que de tels coûts compromettent, à terme, l’équilibre de telles manifestations, qui jouent pourtant un rôle déterminant pour l’image de notre région, la Franche-Comté. Elles mobilisent près d’un demi-millier de bénévoles. Il n’en demeure pas moins impératif de prévoir, dans certains domaines, la présence du gendarme, beaucoup plus dissuasive pour faire respecter la réglementation que celle d’un simple bénévole, même pourvu d’un signe distinctif.
J’aimerais donc attirer votre attention, monsieur le ministre, pour que nous recherchions et trouvions ensemble des solutions afin de permettre aux organisations en charge de ces manifestations de faire face à ces dépenses importantes pour leurs budgets.
Nous voudrions surtout savoir, sur le long terme, comment assurer l’avenir de telles manifestations. Je pense aussi à celles qui, pour être moins importantes, sont toutefois l’essence même de la vie de nos associations dans nos bourgs et petites villes, déjà fragilisées financièrement par le statu quo ou les baisses des subventions publiques et de sponsoring.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Maurice Leroy, ministre de la ville. Monsieur le sénateur, permettez-moi d’excuser Claude Guéant, ministre de l’intérieur, qui ne pouvait être présent ce matin et me charge de vous répondre.
S’il est normal que l’État satisfasse, pour leur bon déroulement, aux obligations normales qui incombent à la puissance publique, il est tout aussi naturel que, lorsque l’intervention des forces de sécurité dépasse ces obligations, le coût ne soit pas exclusivement assumé par l’État et donc mis à la charge des contribuables.
Le ministre de l’intérieur a donc proposé un nouveau dispositif de tarification, qui a fait l’objet d’un décret en Conseil d’État du 28 octobre 2010, suivi d’un arrêté. Conformément aux règles de la loi organique relative aux lois de finances, la LOLF, la ratification du décret a eu lieu par le projet de loi de finances rectificative pour 2010.
Ainsi, pour ne pas remettre en cause les événements et les manifestations qui font la richesse de nos territoires, ce nouveau dispositif se fixe, quant à lui, deux objectifs.
Le premier objectif consiste à recentrer les forces de la police et de la gendarmerie sur leur priorité, qui est la lutte contre la délinquance. Pour cela, il convient de facturer aux organisateurs à un coût adapté au coût réel la mise à disposition de forces pour la partie non liée à l’ordre public, afin de les inciter à recourir de préférence à des personnels bénévoles ou rémunérés. Ainsi, le nouvel arrêté de tarification prévoit une réévaluation progressive étalée dans le temps.
Le deuxième objectif consiste, bien évidemment, à accompagner les manifestations. Cette réforme n’a pour vocation ni de faire gagner de l’agent à l’État ni de mettre en péril certaines manifestations. Nous veillerons tout particulièrement à une application équitable à l’ensemble des événements et organisateurs concernés.
Un dialogue a ainsi été engagé depuis plusieurs mois avec les organisateurs. Ces concertations ont déjà abouti à la signature de conventions-cadre entre le ministère de l’intérieur et, par exemple, les responsables nationaux des courses cyclistes, le 7 janvier 2011, ou la Fédération française du sport automobile et la Fédération française motocycliste, le 31 mars 2011.
Parmi les mesures, un principe de plafonnement à 15 % de l’augmentation de la facturation par rapport au coût réellement facturé l’année précédente a ainsi été instauré.
Par ailleurs, l’objectif de l’évolution vise à définir de façon plus précise pour chaque événement un diagnostic de sécurité concerté entre les représentants de l’État et les organisateurs de manifestations sportives ou culturelles.
Monsieur le sénateur, c’est précisément sur ce fondement qu’ont été engagées des concertations entre la préfète du Jura et les organisateurs des manifestations que vous avez citées : Percée du Vin Jaune et Transjurassienne. Après l’établissement d’un diagnostic de sécurité pour chacun de ces deux événements, la hausse de la facturation a été inférieure à 15 % par rapport à la facturation observée lors de l’édition précédente.
Si le Gouvernement veillera au respect de cette équité et continuera d’assumer toutes ses missions, il ne veut pas perdre de vue l’objectif essentiel, qui nous est commun, j’en suis sûr, et qui consiste à faire en sorte que les forces de l’ordre assurent le service attendu des citoyens : la sécurité et la tranquillité de tous.
M. le président. La parole est à M. Gérard Bailly.
M. Gérard Bailly. Monsieur le ministre, la dernière partie de votre intervention va dans le bon sens, celui d’instaurer une discussion en prévision de ces événements. Je sais, monsieur le ministre, combien vous êtes attaché à un territoire et à un département que vous connaissez bien. Je vous sais très proche de tout le monde associatif et des collectivités qui organisent des manifestations. Comme l’ensemble du Gouvernement, vous ne souhaitez pas voir disparaître ces manifestations qui font l’essence même de la richesse de la vie dans nos bourgs et nos territoires.
M. Gérard Bailly. On le sait bien, certaines actions ne peuvent être menées que par des policiers ou des gendarmes, principalement dans nos secteurs ruraux où leur présence est indispensable. Il ne faudrait pas que le coût vienne en quelque sorte à bout de ces manifestations ! Essence même de nos territoires ruraux, elles mobilisent déjà 500 bénévoles, qui s’emploient à les préparer pendant presque un an.
Certes, cette année, nous avons pu régler ces deux grandes manifestations. Mais ma crainte porte pour l’avenir. Et j’aimerais sensibiliser le Gouvernement à mon propos pour que soit pérennisée toute la richesse de ces manifestations organisées par nos associations.
M. le président. Mes chers collègues, l’ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quatorze heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à onze heures cinquante-cinq, est reprise à quatorze heures trente-cinq, sous la présidence de M. Jean-Pierre Raffarin.)
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Raffarin
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
8
Rappel au règlement
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement, pour un rappel au règlement.
M. Jean-Pierre Chevènement. Mon rappel au règlement se fonde sur l’article 35 de la Constitution.
Monsieur le président, à la suite d’une lettre en date du dimanche 3 avril 2011 adressée par M. Ban Ki-moon, secrétaire général des Nations unies, à M. Nicolas Sarkozy, Président de la République française, plusieurs sites tenus par les forces de Laurent Gbagbo dans la capitale ivoirienne ont été frappés le lundi 4 avril à partir de dix-sept heures trente par des hélicoptères français, en vertu de la résolution 1975 du 30 mars 2011 du Conseil de sécurité des Nations unies autorisant l’emploi des moyens nécessaires pour neutraliser les armes lourdes pouvant mettre en danger la vie de civils à Abidjan.
Or le deuxième alinéa de l’article 35 de la Constitution dispose : « Le Gouvernement informe le Parlement de sa décision de faire intervenir les forces armées à l’étranger, au plus tard trois jours après le début de l’intervention. Il précise les objectifs poursuivis. Cette information peut donner lieu à un débat qui n’est suivi d’aucun vote. »
Je pose donc une question au Gouvernement : a-t-il l’intention d’informer le Parlement de sa décision de faire intervenir les forces armées et d’organiser un débat dans les trois jours ? (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. Mon cher collègue, acte vous est donné de votre rappel au règlement. Je transmettrai votre question à M. le président du Sénat – il a reçu cette nuit une lettre du Gouvernement à ce sujet – afin que réponse vous soit apportée.
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Bioéthique
Discussion d'un projet de loi
(Texte de la commission)
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, relatif à la bioéthique (projet n° 304, texte de la commission n° 389, rapports nos 388 et 381).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Nora Berra, secrétaire d'État auprès du ministre du travail, de l'emploi et de la santé, chargée de la santé. Monsieur le président, madame la présidente de la commission des affaires sociales, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi qui vous est soumis répond à l’obligation de révision prévue par la loi du 6 août 2004 relative à la bioéthique.
La France s’est progressivement dotée d’une législation importante afin de garantir le respect des valeurs fondamentales dans les applications biomédicales, notamment le respect de la dignité humaine, l’indisponibilité et l’inviolabilité du corps humain, le refus de la marchandisation, l’anonymat du don.
Pour élaborer son projet de loi, le Gouvernement a disposé de multiples travaux et avis d’instances. Les états généraux de la bioéthique ont donné la parole aux citoyens.
L’Assemblée nationale avait modifié sur certains points le texte déposé par le Gouvernement. La commission des affaires sociales du Sénat est revenue sur certains de ces points et a fait d’autres propositions, au terme de débats d’une grande qualité. À cet égard, je tiens à saluer le travail de votre commission et de son rapporteur, qui a permis de débattre avec justesse et profondeur des grands enjeux de ce texte.
Il revient maintenant à votre assemblée, mesdames, messieurs les sénateurs, d’examiner ce texte et de se prononcer sur ces questions sensibles et complexes de la bioéthique, qui touchent à l’individu et à la société, à l’intime et au « vouloir vivre ensemble ».
Le Gouvernement sera, bien évidemment, très attentif à vos échanges.
Le projet de loi précise et complète la législation actuelle dans quatre grands domaines : la génétique, le diagnostic prénatal, l’assistance médicale à la procréation, l’AMP, et les recherches sur l’embryon.
Avant de vous laisser la parole, mesdames, messieurs les sénateurs, je m’arrêterai sur les enjeux liés à quatre questions particulièrement sensibles de ce projet de loi : la clause de révision, la levée de l’anonymat, l’accès à l’assistance médicale à la procréation, notamment avec la grossesse pour autrui, la GPA, et le transfert post mortem, les recherches sur l’embryon.
J’évoquerai tout d’abord la clause de révision, dont le projet de loi prévoit la suppression. Il faut, bien sûr, exercer toute la vigilance nécessaire sur les avancées biomédicales et apporter des réponses aux nouvelles attentes de la société, mais une clause de révision périodique n’est pas le seul moyen d’y parvenir.
Réviser les lois de bioéthique tous les cinq ans présente, en effet, de sérieux inconvénients. Une telle clause risque d’empêcher le législateur de faire preuve de réactivité face à de nouvelles menaces. Elle bloque tous les ajustements, utiles et nécessaires, qui se trouveront différés à l’échéance de la révision. Elle nécessite une procédure lourde, qui aboutit dans les faits à allonger sensiblement les délais prévus. Enfin, elle tend à radicaliser les positions des uns et des autres, alors que la bioéthique est un sujet qui nécessite, au contraire, de cheminer sereinement vers de justes compromis.
En outre, les lois relatives à la bioéthique constituent aujourd’hui un socle juridique abouti et équilibré, qui ne nécessite plus de remise en chantier récurrente.
Enfin, le projet de loi prévoit d’organiser une procédure de veille et de suivi, ainsi que des débats publics autour des questions soulevées. Le Parlement disposera ainsi de tous les éclairages nécessaires pour proposer, le cas échéant, des ajustements et des novations, avec toute la fluidité requise.
À l’inverse, une clause de révision figerait toute adaptation et toute évolution des textes. Sa suppression est donc pleinement justifiée.
La levée de l’anonymat est assurément une question délicate. La version initiale du projet de loi du Gouvernement comportait une mesure de levée de l’anonymat. Le dispositif prévu visait à assurer l’équilibre des intérêts de toutes les parties : l’enfant issu d’une assistance médicale à la procréation avec tiers donneur, le donneur de gamètes et les parents de l’enfant. L’enfant pouvait accéder à l’identité du donneur à sa majorité, sous réserve du consentement de ce dernier.
L’Assemblée nationale avait supprimé ces dispositions. La commission les a rétablies.
Les positions sont très partagées sur cette question difficile. Le droit de l’enfant à connaître ses origines a été rappelé. Ce n’est pas une mauvaise chose que le débat se poursuive en séance publique.
Pour ma part, j’ai entendu les arguments des députés sur les inconvénients de la levée de l’anonymat. Toutes les options en comportent. Certains députés ont craint l’importance donnée au biologique par rapport à l’éducatif et une baisse des dons de gamètes.
Je note par ailleurs que le dispositif voté en commission ne prévoit pas le consentement du donneur pour la levée de l’anonymat, celui-ci étant implicite. Je pense que c’est un risque accru de voir diminuer le don de gamètes. En outre, les parents ne seront-ils pas tentés de taire aux enfants leur mode de conception ?
Enfin, les enfants nés avant 2014 seraient exclus du bénéfice de la mesure. Pour remédier à la souffrance des uns, on risque d’attiser celle des autres.
J’en viens maintenant à la gestation pour autrui et au transfert post mortem.
La gestation pour autrui vise à supprimer une cause de souffrance individuelle, et pas n’importe laquelle : celle de ne pas pouvoir donner la vie. Les progrès remarquables de l’assistance médicale à la procréation ont permis de remédier à de multiples causes de stérilité. Les personnes qui ne peuvent malheureusement pas en bénéficier sont confrontées à une souffrance d’autant plus difficile à accepter.
Néanmoins, vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement est résolument opposé à la légalisation de la gestation pour autrui, et ce pour trois raisons essentielles. Tout d’abord, la gestation pour autrui est incompatible avec le respect de la dignité humaine.
M. Charles Revet. Oui !
Mme Nora Berra, secrétaire d'État. Ensuite, elle porte atteinte au principe d’indisponibilité du corps humain. Enfin, elle ouvre inéluctablement la voie à la marchandisation du corps humain. Il s’agit d’enjeux particulièrement lourds, que je vous demande solennellement de bien peser.
Autoriser la gestation pour autrui ouvrirait une brèche dangereuse et fragiliserait le socle même de notre législation en matière de bioéthique. C’est une pente assurément glissante. Si cette mesure était adoptée, des voix ne manqueraient pas de s’élever demain pour autoriser la rémunération des mères porteuses, au motif d’encadrer des pratiques de fait. Peut-on, en effet, raisonnablement croire que, au-delà de quelques personnes remarquablement altruistes, les femmes qui accepteront de porter un enfant pour le compte d’autrui ne se feront pas rémunérer ? Peut-on accepter qu’un enfant à naître fasse l’objet de transactions, qu’il soit cédé à sa naissance par la femme qui l’a porté ?
En définitive, la question soulevée est la suivante : devons-nous, parce qu’une technique est aujourd’hui disponible et parce qu’elle fait l’objet d’une demande sociale, nécessairement y faire droit ? Devons-nous renoncer à fixer des limites ? Les aspirations individuelles doivent-elles être satisfaites, quelles qu’en soient les conséquences pour la société et les valeurs qui la soudent ?
Les questions soulevées par le transfert des embryons post mortem sont de même nature. Toute souffrance mérite d’être entendue, accompagnée et soulagée, dans la mesure du possible, mais la souffrance ne peut être créatrice de droits. Dans le cas du transfert post mortem, la souffrance de la veuve est à mettre en balance avec celle de l’enfant, délibérément privé de père. La vocation de la loi doit rester de protéger les plus vulnérables.
Les dons d’organes ont également fait l’objet d’une réflexion, qui a progressivement évolué.
Il existe, vous le savez, une pénurie préoccupante d’organes pouvant être greffés. Pourtant, les techniques chirurgicales et les traitements anti-rejet ont fait la preuve de leur efficacité. De même, la qualité de vie des patients ayant bénéficié d’une greffe s’est incomparablement améliorée.
Or, depuis 2004, le nombre de greffes n’a que très faiblement augmenté, de 3 900 à 4 600, avec un nombre très réduit et stable de donneurs vivants : 213 en 2004, 235 en 2009.
Le Conseil d’État, dans son rapport d’avril 2009, comme l’Agence de la biomédecine avaient insisté sur le fait que cette pratique du don croisé d’organes devait être rigoureusement encadrée, dans la mesure où, en élargissant le cercle des donneurs, elle rompt le lien direct entre le donneur et le receveur. Il était impératif d’empêcher toute possibilité de pression sur le donneur : je pense aux dons en retour et au danger de marchandisation du corps humain.
Le projet de loi présente une avancée significative car il prévoit la possibilité d’organiser la pratique du don croisé entre donneurs vivants, en ne réservant donc plus ce type de greffes à la seule parentèle proche, mais en assurant un encadrement renforcé de ce type de prélèvement.
Ces dispositions sont de nature à augmenter de 25 % à 50 % le nombre de greffes, cela concernerait cinquante à cent greffes par an.
Toutefois, en 2009, les donneurs vivants ont représenté moins de 8 % des donneurs et ils constituent, en fait, un complément aux dons post mortem.
Il s’agit donc de tout faire pour augmenter le nombre de dons post mortem, car c’est une procédure délicate. Il convient de mieux accompagner les équipes hospitalières dans un moment éprouvant pour les proches afin de développer la confiance à l’égard des greffes d’organes et d’augmenter ainsi les dons.
En ce qui concerne l’exclusion des personnes homosexuelles du don d’organes et de sang, la question a été débattue en commission et je souhaite y revenir.
Lors de la discussion du projet de loi en commission des affaires sociales la semaine dernière, un amendement précisant que « nul ne peut être exclu du don en raison de son orientation sexuelle » a été débattu. M’appuyant sur l’exemple du don de sang, j’ai notamment évoqué le fait que, si des hommes ayant des relations avec des hommes se voyaient écartés du don, il s’agissait non pas d’une exclusion mais d’une contre-indication, cette dernière s’expliquant par un risque sanitaire avéré. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Bernard Cazeau. C’est honteux !
Mme Catherine Tasca. Quel est le risque sanitaire ?
Mme Nora Berra, secrétaire d'État. Mes propos visaient à rappeler que les homosexuels masculins sont parmi les premières victimes du VIH/sida avec un nombre de nouvelles infections VIH environ 200 fois supérieur à celui de la population française. Ce sont des données statistiques produites par l’Institut de veille sanitaire. Mais c’est bien la notion de comportements ou de situations « à risques » qui doit être prise en compte en tant que facteur d’exposition au VIH et non pas, évidemment, le fait d’être homosexuel.
Pour moi, il ne s’agissait aucunement de stigmatiser l’homosexualité…
M. Guy Fischer. À peine !
Mme Nora Berra, secrétaire d'État. … et je regrette que mes propos aient pu blesser.
Aujourd’hui, cette polémique me peine profondément car elle ne reflète en rien mes opinions personnelles, celles-ci ayant été nourries, pendant près de vingt ans, par les moments partagés avec les patients infectés ou malades que j’ai pu suivre et soigner ainsi qu’avec les associations aux côtés desquelles je me suis engagée dans la lutte contre le VIH.
M’accuser aujourd’hui d’homophobie, attitude qui est très loin de mon état d’esprit, me semble particulièrement offensant. (Très bien ! sur les travées de l’UMP.)
Enfin, le projet de loi qui vous est soumis pérennise les recherches sur l’embryon, c’est un point essentiel.
En revanche, la commission a souhaité passer du régime d’interdiction assorti de dérogations à un régime d’autorisation dans un cadre strict.
Le Gouvernement souhaite maintenir le régime d’interdiction actuel assorti de dérogations.
M. Guy Fischer. C’est regrettable !
Mme Nora Berra, secrétaire d'État. C’est un choix de continuité avec les lois de 1994 et de 2004, et de cohérence avec l’ensemble des dispositions relatives à l’embryon qui visent à garantir sa protection.
C’est refuser de considérer que les embryons surnuméraires ont vocation à entrer dans la recherche, tout en autorisant des recherches si leur finalité le justifie, mais seulement dans le cadre de dérogations strictes.
La recherche sur l’embryon n’est pas une recherche comme les autres parce qu’elle touche à l’origine de la vie. Je tiens à souligner que le bilan de l’Agence de la biomédecine montre que ce régime juridique de l’embryon n’a pas pénalisé la recherche française. Il n’y a donc pas de raison d’en changer et d’opter pour un régime d’autorisation encadré.
Cela peut sembler symbolique, mais dans le domaine si sensible du respect de l’embryon et de la vie humaine dès son commencement, les symboles ont leur importance.
Mme Marie-Thérèse Hermange. Ah oui !
Mme Nora Berra, secrétaire d'État. Certains proposent de distinguer les recherches sur l’embryon des recherches sur les cellules souches embryonnaires et de faire bénéficier ces dernières d’un régime d’autorisation. Cette proposition peut paraître séduisante, mais, à l’examen, elle n’est ni justifiée, ni pertinente.
Elle n’est pas justifiée, parce que le prélèvement de cellules souches embryonnaires aboutit à détruire l’embryon. On ne peut donc mettre en place ce régime d’autorisation sans remettre en cause la protection due à l’embryon. Elle n’est pas non plus pertinente, parce qu’elle alimente la défiance vis-à-vis des recherches sur l’embryon in toto. Or, certaines de ces recherches, par exemple sur l’embryogenèse, sont porteuses de progrès médicaux décisifs et sont menées par des équipes renommées.
M. Guy Fischer. On ne va rien changer !
Mme Nora Berra, secrétaire d'État. Au total, il n’y a pas lieu de modifier le régime instauré en 2004, qui a permis de concilier le haut degré de protection accordé à l’embryon avec une qualité de la recherche internationalement reconnue.
M. Guy Fischer. C’est le statu quo ! On fait du sur place !
Mme Nora Berra, secrétaire d'État. Mesdames, messieurs les sénateurs, tels sont les points qu’il m’a paru important de souligner. Il vous revient d’examiner de nouveau ces propositions. Je ne doute pas que, au-delà de positions partisanes, le débat permettra d’approfondir l’ensemble des enjeux de ce texte. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Alain Milon, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, rarement débat aura été aussi préparé que celui de ce projet de loi relatif à la bioéthique. Depuis deux ans, de nombreux rapports ont été établis par l’Agence de la biomédecine, le Conseil d’État, le Comité consultatif national d’éthique, l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques ou la mission d’information de l’Assemblée nationale, pour étudier l’ensemble des aspects juridiques, scientifiques et éthiques de la biomédecine.
Pour la première fois, une grande consultation nationale, sous la forme d’états généraux de la bioéthique, a été organisée. En associant panels de citoyens, spécialistes et experts de tous ordres, elle a permis d’ouvrir largement le débat et de recueillir des avis qui complètent de manière très utile les rapports publics sur cette question.
Pour notre part aussi, vous le savez, dès l’année dernière, sur l’initiative de la présidente de la commission des affaires sociales, Muguette Dini, nous avons engagé la réflexion sur les sujets couverts par la loi et sur les pistes d’évolution possibles, grâce aux « quatre rencontres de la bioéthique » organisées sous le haut patronage du président Gérard Larcher. Qu’il me soit permis de rendre ici de nouveau un hommage tout particulier à Marie-Thérèse Hermange, qui a introduit chacune de ces rencontres par un exposé liminaire complet et ouvert, favorisant des échanges riches entre nous et avec plusieurs grands témoins, acteurs des différents domaines concernés.
Les lois de bioéthique sont nées en 1994 d’un constat, celui de la capacité nouvelle de la médecine à agir sur les fondements mêmes de la vie. Les progrès de la génétique fondés sur la connaissance complète du génome, le développement des pratiques d’assistance médicalisée à la procréation, la possibilité d’agir sur la matière même de la vie au travers des cellules souches embryonnaires, ont amené le législateur à prévoir un encadrement spécifique des activités médicales et de la recherche dans ces domaines.
Les principes posés en 1994 pour l’encadrement de la biomédecine constituent le socle de la conception française de la bioéthique. Le premier d’entre eux est la primauté de la personne inscrite à l’article 16 du code civil. Cette primauté signifie que les considérations techniques, scientifiques et économiques doivent toujours être secondaires par rapport au respect de la vie. Le second principe fondant la bioéthique est celui de la non-patrimonialité du corps humain, qui figure à l’article 16-1 du même code, selon lequel on ne peut vendre tout ou partie de son corps. La seule possibilité d’utiliser des éléments du corps humain en médecine repose donc sur le don et celui-ci doit être libre, éclairé, anonyme et gratuit.
Mes chers collègues, ces principes n’ont pas varié depuis 1994 et il n’est pas question de les remettre en cause aujourd’hui. Toutefois, à l’intérieur du cadre éthique ainsi fixé, les dispositions précises encadrant les activités biomédicales sont susceptibles d’évoluer.
Pour décider si des évolutions sont effectivement nécessaires, la commission des affaires sociales s’est d’abord attachée à écouter l’ensemble des acteurs de ce secteur.
Nous avons, bien sûr, entendu des médecins qui utilisent les techniques biomédicales et cherchent à les améliorer pour soigner, d’autant qu’ils ont, en plus de cette lourde tâche, celle – peut-être plus dure encore – d’annoncer les mauvaises nouvelles aux patients et aux familles. La volonté de ces femmes et de ces hommes de tout mettre en œuvre pour surmonter la maladie et sauver les vies, la qualité de la médecine et de la recherche françaises, qu’ils incarnent, forcent notre respect.
Nous avons aussi prêté une attention particulière aux messages portés par les associations qui travaillent au quotidien avec les parents et les enfants malades ou qui se font l’écho des greffés, des donneurs d’organes, des personnes nées d’un don, et qui luttent pour que l’éthique se traduise dans les faits.
Nous avons également eu à cœur de nous entourer de l’avis des juristes, tant il est vrai que la clarté de la loi et la cohérence des dispositions que nous adoptons sont essentielles dans le domaine de la bioéthique.
Enfin, l’apport des sciences humaines et sociales a été particulièrement important. L’éclairage des sociologues et des philosophes a permis à chacun d’entre nous de faire ses choix en étant pleinement informé et en ayant réfléchi.
Dans le prolongement de ces auditions, la commission s’est fondée, pour élaborer son texte, sur le respect de la dignité des personnes, qui repose sur celui de leur autonomie, et sur la raison d’être de la médecine, qui est de soigner et de ne pas nuire.
Respecter la dignité de la personne, c’est d’abord ne pas la soumettre aux contraintes économiques ou sociales quand il est question d’atteinte à son corps ou à ses produits. Concrètement, nous savons tous que la France manque de donneurs d’organes, de tissus et de cellules, et le projet de loi, dans sa version issue des travaux de l’Assemblée nationale, a cherché à remédier à cette situation de plusieurs manières.
Tout d’abord, il a amélioré l’information du public sur le dispositif de la loi Caillavet de 1976, selon laquelle, sauf opposition expresse, nous sommes tous potentiellement donneurs d’organes au moment de notre mort. Ensuite, il a élargi le cercle des donneurs vivants au-delà de la famille proche. Enfin, il a autorisé une nouvelle procédure pour le don de rein entre vifs, le don croisé, qui permettra de surmonter certains cas d’incompatibilité en procédant à un échange de greffons entre deux couples donneur-receveur.
La commission des affaires sociales est favorable à toutes les mesures qui encouragent le don et qui améliorent l’encadrement législatif en ce domaine. Elle a d’ailleurs pris, à son tour, des initiatives en ce sens, mais elle n’a pas admis la mise en place de contreparties pour le donneur d’organes ou de gamètes. La frontière entre encouragement au don altruiste et ce qui le transforme, ou risque de le transformer, en obligation ou en démarche intéressée est fragile et la plus grande prudence s’impose en ce domaine.
Respecter l’autonomie des personnes, c’est leur donner tous les moyens de décider librement de la manière dont elles souhaitent conduire leur existence face aux informations que fournit la science et aux choix qu’elle propose. Garantir la liberté de choix n’est pas chose facile.
La décision de l’interruption médicale de grossesse en cas de diagnostic de trisomie 21 est-elle vraiment une décision libre quand on sait que 96 % des diagnostics positifs conduisent les familles à demander la fin de la grossesse ?
Face au risque d’eugénisme, la commission des affaires sociales est convaincue qu’il n’appartient ni à l’État ni à la société de décider à la place des parents quels enfants ils doivent faire naître et élever. Mais elle considère que la préservation de leur choix suppose de leur permettre de disposer de l’ensemble des informations sur les maladies diagnostiquées et, autant qu’il est possible, d’éviter que les contraintes liées à la difficulté d’élever un enfant handicapé ne dictent leur conduite. De ce point de vue, la médecine doit informer et, si elle le peut, soigner. Mais il y a une chose qu’elle ne peut, ni ne doit faire : décider en substituant la volonté du médecin à celle des principaux intéressés !
M. Charles Revet. Bien sûr !
M. Alain Milon, rapporteur. La médecine conforte l’autonomie des personnes, mais il importe tout autant de protéger l’autonomie de ces dernières par rapport à elle. Je pense aux tests génétiques, pour lesquels le droit de ne pas savoir est aussi important que la possibilité de connaître la maladie dont on est porteur ou les risques que l’on encourt. De même, face à l’offre mondiale de tests génétiques de qualité diverse disponibles sur internet, une information sur leur degré de fiabilité est une précaution qui me semble nécessaire.
Affirmer l’autonomie par rapport à la science, c’est encore remettre l’humain au cœur des procédures d’assistance médicalisée à la procréation. La demande de levée de l’anonymat du don de gamètes peut se comprendre ainsi. Certaines personnes nées grâce à un don ne veulent pas devoir leur existence à la seule technique médicale. Elles revendiquent le fait qu’un gamète est non pas un simple matériau thérapeutique,...
M. Charles Revet. Tout à fait !
M. Alain Milon, rapporteur. ... mais le vecteur de la transmission de la vie et qu’il est, à ce titre, porteur d’une histoire et d’une identité.
Sur mon initiative, la commission a mis en place un système inspiré du modèle anglais, qui dispose que tous les donneurs soient désormais informés du caractère automatique de la levée de l’anonymat si l’enfant issu du don et devenu majeur le demande. À mon sens, un tel système, qui ne sera effectif qu’une fois les enfants nés après le 1er janvier 2014 devenus adultes, nous permettra de lever les ambiguïtés et les non-dits qui entourent actuellement le don de gamètes pour passer à un régime de responsabilité éthique n’entraînant ni responsabilité civile ni responsabilité pénale.
J’insiste par ailleurs sur un point : préserver la dignité des personnes et leur autonomie, c’est refuser de tirer le bénéfice de pratiques conduites à l’étranger hors du cadre éthique qui est le nôtre. En les acceptant, nous cautionnerions l’exploitation des plus faibles ailleurs, tout en nous donnant la bonne conscience de ne pas nous livrer à de telles pratiques chez nous. Ce serait là une hypocrisie cynique. Je pense, bien sûr, aux pratiques des mères porteuses dans des pays où le niveau de vie est très inférieur au nôtre.
Assumer nos choix éthiques suppose d’être sûrs qu’ils soient solides, c’est-à-dire conformes à leurs fondements. La médecine, et à plus forte raison la biomédecine doivent soigner et ne pas nuire. Est-ce à dire que nous pouvons utiliser dans la perspective du soin toutes les ressources possibles, y compris en extrayant les cellules souches qui composent les embryons entre le cinquième et le septième jour de la fécondation ? Nous nous sommes penchés sur les progrès scientifiques, et la perspective de donner à des cellules adultes le même potentiel que les cellules souches embryonnaires, au travers des cellules souches dites « induites », nous permettra peut-être un jour de nous dispenser des cellules souches embryonnaires. Cependant, pour l’instant, les chercheurs qui travaillent sur l’ensemble des types de cellules nous ont indiqué que ce moment n’était pas encore venu.
Je voudrais insister sur un point. Non, les chercheurs ne souhaitent pas spécialement travailler sur les cellules souches embryonnaires ! Mais ils tiennent à pouvoir utiliser tous les moyens offerts par la science pour trouver les remèdes utiles à notre santé. J’en veux pour preuve que très peu d’équipes ne travaillent que sur les cellules souches embryonnaires ou ne le font qu’après avoir tenté de faire aboutir leurs travaux en utilisant d’autres types de cellules. Je pense que nous ne pouvons pas, en conscience, et vis-à-vis des générations futures, décider de fermer une voie du progrès médical.
Pour la commission des affaires sociales, il convient de sortir de l’ambiguïté qui est la nôtre à l’heure actuelle. Nous considérons que le système d’interdiction avec dérogation en matière de recherches sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires n’est plus tenable en l’état actuel de la science. La commission a donc suivi sur ce point les préconisations du Conseil d’État, de l’Académie de médecine et de la grande majorité des médecins et chercheurs que nous avons entendus en passant d’un régime d’interdiction avec dérogation à un régime d’autorisation strictement encadré.
Pour des raisons que j’exposerai au cours du débat, l’autorisation encadrée, dans les mêmes conditions qu’aujourd’hui, me paraît aussi respectueuse de la spécificité de l’embryon que l’interdiction de principe avec dérogation.
M. Guy Fischer. C’est vrai !
M. Alain Milon, rapporteur. Elle a toutefois un grand mérite, celui de la clarté : clarté pour les scientifiques, clarté pour l’image internationale de la France. Pour moi, il vaut mieux des choix assumés et étroitement contrôlés que des positions ambiguës, toujours moralement contestables. (MM. Gilbert Barbier et Guy Fischer applaudissent.)
Par ailleurs, il me semble que, lorsque l’on parle de recherche impliquant l’embryon, on se focalise trop souvent sur les thérapies utilisant les cellules souches embryonnaires. Il existe aussi des recherches conduites au profit des embryons, dans le but de mieux comprendre l’embryogenèse, de soigner les maladies dès les premiers stades de la vie et d’améliorer les procédures d’assistance médicalisée à la procréation. Elles ne doivent pas être négligées. (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste.)
De la même manière, il existe des recherches sur d’autres catégories de cellules souches qui ne posent pas les mêmes problèmes éthiques et qui doivent être encouragées. Il s’agit des cellules du sang de cordon, du cordon ombilical et du placenta. La France est en avance dans ce domaine ; nous devons poursuivre nos efforts dans cette voie. À cet égard, je me réjouis que le projet de loi accorde un statut à ces cellules.
J’ajoute que le devoir de ne pas nuire qui incombe à la médecine nous impose la plus grande prudence en matière de choix de politique de santé publique. Jusqu’à ce que les pratiques de diagnostic évoluent en 2008, le recours à l’amniocentèse a causé la perte de six cents à sept cents embryons sains par an pour le diagnostic de trois cents cas de trisomie 21. La balance entre les bénéfices et les risques demande à être toujours exactement prise en compte.
Le débat nous donnera l’occasion de revenir sur l’ensemble des mesures de ce texte essentiel, mais, avant de conclure, je me permets de le resituer dans la durée.
Si je souscris pleinement à la nécessité de stabilité des normes, je suis convaincu que le Parlement doit être tenu informé de l’évolution de la biomédecine, afin de pouvoir reprendre l’initiative législative si nécessaire. (Approbations sur les travées du groupe socialiste.)
De la même manière, les citoyens doivent pouvoir se saisir régulièrement de l’ensemble de ces sujets. C’est pourquoi la commission des affaires sociales a prévu qu’un débat public, sous la forme d’états généraux très ouverts, devra avoir lieu avant chaque projet de réforme et, en tout état de cause, au moins une fois tous les cinq ans.
M. Jacky Le Menn. Très bien !
M. Alain Milon, rapporteur. Mes chers collègues, je ne doute pas que notre débat aura la hauteur de vue et la dignité qu’appellent des sujets aussi essentiels pour notre société et les générations futures. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. François-Noël Buffet, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la commission des lois s’est saisie pour avis de onze articles du projet de loi adopté par les députés le 15 février dernier.
La compétence de la commission des lois se justifie par la nature de certaines questions bioéthiques qui intéressent directement le droit de la famille, le droit de la responsabilité civile ou certains principes fondateurs inscrits dans notre code civil, comme le principe de l’anonymat du don ou celui de non-patrimonialité du corps humain.
Les lois fondatrices du 29 juillet 1994 ont posé le socle de la législation bioéthique. Conscient du caractère novateur de celle-ci et de la nécessité qu’elle soit appréciée à l’épreuve des faits et des évolutions scientifiques, le législateur avait posé le principe d’une révision périodique de cette législation tous les cinq ans. La première révision intervint en 2004, sans qu’elle s’accompagnât de remises en cause majeures des équilibres établis en 1994. Tel est aussi le cas du présent projet, qui constitue donc la deuxième occasion de révision.
En effet, ce projet de loi est d’une ampleur limitée : les principes édictés en 1994 sont solides et pertinents, et il n’y a pas de raison de les remettre en cause. Le seul principe nouveau est celui de l’abandon du principe de la révision. Sans doute peut-on y voir le signe de la maturité de cette législation, qui rentre dans le champ du droit commun et sera soumise à la vigilance continue du législateur. La mesure est judicieuse, à la condition que le débat soit organisé et se poursuive, comme l’a proposé la commission des affaires sociales.
Si cette législation doit s’adapter aux progrès scientifiques ou médicaux, il est souhaitable que les principes sur lesquels elle repose ne soient pas remis en cause, à moins que des bouleversements scientifiques ou des évolutions sociales ne le requièrent.
À cet égard, la commission des lois a constaté qu’aucune des dispositions dont elle s’est saisie n’est imposée par une avancée scientifique ou médicale déterminante. Au contraire, qu’il s’agisse de l’anonymat des donneurs de gamètes ou du transfert post mortem d’embryon, les questions qui se posent aujourd’hui sont les mêmes que celles auxquelles le législateur a répondu en 1994 et en 2004 en réaffirmant sa position de principe.
Les souhaits de modification de la législation, qui reposent souvent sur une souffrance que nul ne peut nier, sont légitimes. Toutefois, ils ne sauraient justifier à eux seuls une remise en cause de principes essentiels si cela a pour effet de porter atteinte à des intérêts tout aussi légitimes que ceux qu’ils défendent.
À l’issue de ses travaux, la commission des lois a adopté six amendements, qui ont tous été intégrés par la commission des affaires sociales au texte soumis à notre examen.
Avant de vous présenter brièvement le sens des conclusions de la commission des lois sur les onze articles dont elle s’est saisie, je souhaite remercier la commission des affaires sociales et son excellent rapporteur, M. Alain Milon, de la qualité du débat et des travaux qu’ils ont menés sur le projet de loi relatif à la bioéthique.
Le premier point concerne la procédure d’information de la parentèle en cas d’anomalie génétique grave.
Madame la secrétaire d’État, la commission des lois partage l’objectif du Gouvernement de simplifier cette procédure, pour garantir une diffusion plus efficace de l’information médicale à caractère génétique.
Cependant, elle a été attentive à ce que les intérêts de chacun soient préservés, qu’il s’agisse de la personne diagnostiquée ou de ses apparentés. À cet égard, il lui a semblé plus judicieux de renvoyer sans exception au droit commun de la responsabilité civile et de la représentation légale.
Le deuxième point porte sur l’extension du cercle des donneurs vivants.
L’Assemblée nationale propose d’étendre un peu plus le cercle des donneurs vivants d’organe à toute personne avec laquelle le receveur possède un lien affectif étroit, stable et avéré.
Dans son principe, cette extension ne pose pas de problème. Cependant, on peut craindre qu’elle ne soit détournée par certains pour permettre des trafics. Il est effectivement plus facile de simuler un lien affectif stable qu’un lien familial établi par un acte d’état civil. Au cours de son audition, le délégué du président du tribunal de grande instance de Paris, chargé de vérifier le consentement du donneur d’organe et le respect des conditions légales, a confirmé à votre serviteur la nécessité d’appuyer cette extension sur des éléments objectifs, notamment une durée minimale fixe. Tel est le sens du délai de deux ans prévu dans les dispositions de l’article 5.
Le troisième point a trait à la suppression de toute condition liée à la stabilité du couple souhaitant recourir à une assistance médicale à la procréation.
En droit français, l’assistance médicale à la procréation est conçue en miroir de la procréation naturelle : elle vise à permettre à un couple de pallier l’infertilité qui l’empêche de procréer naturellement.
Elle n’a pas pour objet de rendre possible des procréations impossibles. Pour cette raison, elle répond à des conditions médicales strictes.
À ces conditions médicales s’ajoutent des conditions sociales qui rendent compte de l’intérêt, d’une part, de l’enfant à naître dans un couple parental stable et uni et, d’autre part, de la société, qui consacre certaines formes de parentalité. Le couple doit ainsi répondre au critère d’une certaine stabilité en étant, soit marié, soit en mesure d’apporter les preuves d’une vie commune d’au moins deux ans.
Initialement, le projet de loi prévoyait d’étendre cette condition de stabilité aux partenaires hétérosexuels ayant conclu un pacte civil de solidarité, un PACS. L’Assemblée nationale est allée plus loin puisqu’elle a supprimé cette exigence de stabilité au motif que la durée d’une assistance médicale à la procréation et les épreuves que cette dernière impliquait manifestaient suffisamment l’engagement du couple demandeur.
La commission des lois n’a pas jugé cette suppression opportune : la condition juridique de stabilité offre aux équipes médicales un fondement juridique pour refuser l’assistance médicale à la procréation à un couple qui ne présenterait pas les qualités de stabilité requises, et ce dans l’intérêt de l’enfant. Faire disparaître cette exigence de stabilité, c’est concrètement supprimer toute possibilité de contrôle sur la réalité du couple qui demande à recourir à l’assistance médicale à la procréation. Symboliquement, cela revient à réduire encore un peu les dispositions qui renvoient, implicitement, à l’intérêt de l’enfant à naître. La commission des lois a, en conséquence, déposé un amendement, adopté par la commission des affaires sociales, visant à revenir à la rédaction du Gouvernement, en substituant toutefois à l’exigence d’une durée de vie commune de deux ans les conditions fixées pour le concubinage.
Le quatrième point concerne la levée de l’interdiction du transfert post mortem d’embryons.
Le droit en vigueur interdit à la fois le transfert posthume d’embryons et l’insémination à titre posthume. Pour que l’assistance médicale à la procréation puisse avoir lieu, les deux membres du couple doivent être vivants. Le décès de l’un d’eux interrompt irrémédiablement le processus. L’Assemblée nationale a proposé de lever cette interdiction, dans des conditions très encadrées.
La question du transfert post mortem d’embryons s’est déjà posée en 1994 et en 2004. Chaque fois, le législateur a écarté cette solution. La question revient devant nous alors qu’elle ne concerne, mes chers collègues, qu’à peine un cas par an.
Aussi légitime et respectable que soit la détresse des femmes confrontées à une situation si dramatique, celle-ci ne peut, à elle seule, guider le législateur lorsque cela aurait pour conséquence une remise en cause majeure de principes et de garanties essentiels.
La commission des lois a jugé nécessaire que l’intérêt de l’enfant prime : l’assistance médicale à la procréation ne peut être conçue que dans l’intérêt de ce dernier, qui est de naître dans une famille constituée de deux parents qui pourront l’élever. L’intérêt d’un enfant ne peut être de naître orphelin. Le projet parental qui fonde le recours à l’assistance médicale à la procréation est celui d’un couple parental : il disparaît avec ce couple, lorsque celui-ci se sépare ou lorsqu’un des deux partenaires décède.
En outre, il faut souligner la complexité et l’incertitude du régime dérogatoire mis en place, notamment en matière de succession et d’établissement de la filiation.
Enfin, la commission des lois a considéré qu’autoriser le transfert post mortem d’embryons conduisait à ouvrir la voie de l’insémination posthume ainsi que celle de procréations envisagées dans un contexte de mort prévisible ou imminente. Ni l’une ni l’autre de ces voies ne sont, selon nous, souhaitables.
Pour toutes ces raisons, après avoir rappelé que le transfert post mortem d’embryons ne concerne qu’un nombre extrêmement faible de cas – à peine un par an, je le répète –, la commission des lois a déposé un amendement, adopté par la commission des affaires sociales, et qui a supprimé le dispositif proposé par l’Assemblée nationale.
Le cinquième point a trait à l’encadrement des neurosciences et de l’imagerie cérébrale.
L’essor des neurosciences et le développement des techniques d’imagerie cérébrale, qui ne font aujourd’hui l’objet d’aucun encadrement juridique, suscitent de nouvelles interrogations éthiques.
Les députés ont souhaité apporter un certain nombre de garanties juridiques à l’utilisation de ces technologies. Ils se sont, pour ce faire, inspirés de l’encadrement juridique prévu pour l’examen des caractéristiques génétiques des individus, car le souci sous-jacent est identique dans les deux cas de figure : la crainte que l’on puisse considérer que les gènes ou les configurations neuronales du cerveau, siège de la pensée, constituent la vérité de la personne et que l’on utilise ces savoirs pour prédire les comportements ou les représentations relevant du for intérieur de chacun.
Le dispositif proposé présente donc le mérite d’apporter un cadre juridique à une pratique dont on ne mesure pas encore suffisamment les vertus et les risques. Il appartiendra donc au législateur d’être vigilant sur les évolutions futures de la discipline et des usages qui en seront faits, afin d’apporter toutes les garanties requises.
Le sixième point concerne la levée partielle de l’anonymat des donneurs de gamètes.
L’Assemblée nationale a supprimé la levée partielle de l’anonymat des donneurs de gamètes, que le texte prévoyait initialement d’autoriser.
La commission des lois partage l’analyse des députés sur ce point : la levée de l’anonymat est susceptible de perturber l’équilibre que le législateur a tenté d’instaurer, dans le respect des principes bioéthiques généraux, entre l’intérêt de tous ceux qui prennent part à l’assistance médicale à la procréation avec tiers donneur et l’intérêt des enfants nés de cette technique médicale.
Autoriser, par la levée de l’anonymat, le donneur à prendre une place dans l’histoire personnelle et familiale de l’enfant, fût-ce avec son consentement, fait surgir au cœur de la filiation un primat biologique qui menace à la fois le lien familial que la loi tente de créer et la perception que chacun peut avoir de ce lien.
La commission des affaires sociales a adopté un amendement de son rapporteur, visant à rétablir la levée partielle de l’anonymat. Ce dispositif peut apparaître plus cohérent puisqu’il prévoit que la levée de l’anonymat ne jouera que pour l’avenir et que les futurs donneurs donneront en toute connaissance de cause, sans pouvoir s’opposer à la transmission de leur identité aux enfants nés de leur don qui souhaiteront la connaître. Cependant, les mêmes objections peuvent être opposées à ce dispositif. La commission des lois vous proposera donc de ne pas adopter ces articles.
Enfin, plus que toute autre, la législation bioéthique appelle un examen prudent et responsable. Elle porte autant d’espoirs que de risques, de certitudes que d’incertitudes. Il revient au législateur d’arbitrer entre des exigences parfois contraires : répondre à une souffrance avérée, garantir la protection de la personne humaine, privilégier le respect de principes directeurs, pour mieux préserver les équilibres fondamentaux de nos sociétés. Les questions débattues nous imposent de choisir en conscience afin de concilier au mieux les intérêts de chacun, au bénéfice de tous. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste. – M. Jean-Claude Frécon applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Cazeau.
M. Bernard Cazeau. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, en 1994, la France a fait le choix de confier la définition des règles collectives en matière de bioéthique à la représentation nationale.
Ce faisant, notre société a considéré que ces règles n’étaient pas intangibles, qu’elles n’étaient pas limitables à de quelconques tabous moraux ou politiques. Au contraire, notre société a estimé qu’elles pouvaient à tout moment évoluer en réponse aux aspirations sociales et qu’il incombait au Parlement, aux élus du peuple, d’en être les arbitres et les garants.
Depuis cette date, grâce notamment aux révisions des années 2000, de nombreux progrès ont été accomplis.
Sur le terrain juridique, une codification du droit de plus en plus précise a été opérée. Sur le terrain démocratique, les modalités de la concertation et du débat public ont sans cesse été améliorées, comme le prouve d’’ailleurs l’association permanente des organismes consultatifs, du Conseil d’État et de la société civile aux travaux du Parlement sur ces sujets. Sur le terrain de l’analyse scientifique, la création de l’Agence de la biomédecine, qui autorise et évalue les protocoles de recherche, a permis – dans une certaine hypocrisie parfois – à la recherche de ne pas régresser.
Nous nous trouvons aujourd’hui dans la situation où le Parlement, après avoir écouté la société, loin des pressions et des conceptions intimes des uns et des autres, doit trancher.
Quelle est notre responsabilité en cet instant ? Il nous faut distinguer, parmi les évolutions rapides de la biologie et de la médecine, celles qui peuvent constituer de réels espoirs d’amélioration de la santé humaine et de la vie sociale et celles qui viseraient à servir des entreprises lucratives ou qui bafoueraient les droits de l’homme, socle fondateur de notre vie en commun.
Réguler le champ des sciences de la vie en les confrontant à l’éthique de la dignité de la personne humaine est donc une tâche complexe, mais aujourd’hui impérieuse. Aussi est-il légitime que nous réexaminions la législation en ce domaine afin de rechercher une nouvelle convergence entre le développement des techniques biomédicales et la continuité des normes bioéthiques.
Le texte que vous nous avez soumis, madame la secrétaire d'État, ne nous semble pas y parvenir complètement. Selon nous, il s’agit davantage d’un texte de réaffirmation, de précision, d’ajustement, que d’un texte de développement, en quelque sorte, encore incomplet sur plusieurs points majeurs.
Heureusement, dans un certain nombre de domaines, la commission des affaires sociales l’a bien fait évoluer. Je salue, à ce propos, la volonté dont a fait preuve M. le rapporteur.
Espérons, madame la secrétaire d'État, que nos débats permettront d’améliorer ce projet de loi et que vous aurez le souci d’être à l’écoute de nos propositions.
Je reprendrai les principaux aspects du texte, en commençant par ses points positifs.
J’insisterai, premièrement, sur l’accord de fond qui s’est dégagé entre les différentes sensibilités sur le terrain des frontières morales de nos travaux : d’une part, l’intégrité de la personne humaine et, d’autre part, le refus de la marchandisation du vivant. Ce consensus est primordial, car il nous préserve de toute dérive et constitue le socle d’un débat serein.
Nous approuvons la redéfinition de la procédure d’information de la parentèle en cas de repérage d’anomalie génétique. Les notions complexes telles que le respect du secret médical et le droit d’information des tiers concernés nous semblent être conjuguées habilement.
De la même façon, les ouvertures qui sont faites en matière de facilitation du don d’organe sont utiles. Les risques mercantiles sont écartés et les possibilités d’échange devraient être augmentées par l’autorisation encadrée du don croisé. Il ne faut toutefois pas perdre de vue que des efforts importants restent à développer en matière d’information et de promotion de la transmission d’organes, dans un pays où – il faut bien le dire – certaines pesanteurs culturelles continuent d’entourer cette pratique. Les articles 5 bis à 5 sexies portant, notamment, sur l’information en direction de la jeunesse vont, me semble-t-il, dans le bon sens.
En ce qui concerne la gestation pour autrui et la légalisation de la pratique des mères porteuses, dont il n’est d’ailleurs pas question dans le texte, mais qui ont été introduites à l’Assemblée nationale et qui ont également fait irruption – il faut bien le dire – dans le débat national depuis quelque temps, les avis convergent face aux dangers d’un détournement marchand d’une telle faculté. Sans nier la douleur des personnes dans l’incapacité d’avoir un enfant, nous pensons néanmoins que la société doit avant tout se prémunir de tout danger d’aliénation du corps humain. L’enfant n’est pas un produit, le corps de la femme n’est pas une matrice utilisable à loisir et par épisodes.
Reste, toutefois, le problème de la prolifération internationale de telles pratiques, qui exerce, il est vrai, une véritable pression sur la société française.
L’amendement présenté par M. le rapporteur sur ce sujet me paraît sinon empreint de naïveté, intéressant à analyser, car il est important que la législation française permette d’éviter la marchandisation dont je parlais précédemment. Et j’ai hâte de voir le sort qui lui sera réservé.
Pour beaucoup d’entre nous, l’adoption, qui est non pas un moindre mal, mais l’expression alternative d’un projet parental, répond parfaitement à notre conception de la parenté : le lien affectif et éducatif par-delà le lien génétique. Elle doit permettre de remédier aux souffrances vécues. Encore faut-il en améliorer les conditions d’accès, mais c’est un autre sujet qu’il conviendra de ne pas laisser de côté.
Mme Catherine Tasca. C’est très important !
M. Bernard Cazeau. J’en viens, maintenant, aux hésitations du texte et à des problématiques qui nous paraissent, pour l’heure, insuffisamment traitées ou précisées.
Concernant le problème de la levée de l’anonymat du don de gamètes en faveur des enfants majeurs qui souhaiteront connaître leurs origines, trois options nous sont actuellement offertes : le texte de l’Assemblée nationale, qui préconise le maintien de l’anonymat, faisant fi en cela de la demande de connaissance de leur identité d’un nombre toujours croissant de jeunes receveurs ; le texte du Gouvernement, qui lève l’anonymat, sous réserve de l’accord du donneur ; enfin, le texte de la commission qui ouvre toutes grandes les portes du refus de l’anonymat, mais en... 2032 ! Cela laisse augurer d’un débat long et acharné, mais certainement passionnant !
Pour ma part, à titre personnel, je pencherais plutôt pour l’adoption du texte du Gouvernement – une fois n’est pas coutume, madame la secrétaire d’État ! La filiation n’a pas un fondement exclusivement biologique ni exclusivement affectif ou éducatif, elle mêle intimement les deux. Le compromis gouvernemental, si je puis m’exprimer ainsi, me semble représenter un léger progrès, au moins aujourd’hui. Il constitue certainement une étape sur le chemin qui permettra de répondre à la nécessité éprouvée par un nombre de plus en plus important de personnes d’associer à la reconnaissance éducative la connaissance de leurs origines biologiques.
Dans le même ordre d’idée, nous regrettons, en ce qui concerne la restriction de l’accès à l’assistance médicale à la procréation, le maintien d’un critère de durée minimale de vie commune. La commission a ainsi fait le choix de rétablir la rédaction initiale du Gouvernement, alors que les députés avaient décidé de supprimer toute référence à une condition de stabilité du couple souhaitant s’engager dans un protocole d’assistance médicale à la procréation. En cela, la commission revient à une vision conservatrice de sa doctrine familiale, ce qui semble paradoxal, au vu de ce qui précède.
Je m’attarderai enfin sur la question fondamentale de la recherche sur les cellules souches embryonnaires à partir d’embryons surnuméraires destinés à la destruction. Nous demeurions, jusqu’alors, plus que sceptiques sur ce point essentiel et je dois avouer que nous apprécions à sa juste mesure l’évolution résultant des travaux de la commission.
Le glissement de la notion « d’interdiction sauf dérogation » – assez curieuse, d’ailleurs – au principe « d’autorisation sous conditions » nous paraît un message positif adressé à la société tout entière. Que de chemin parcouru depuis notre proposition rejetée en 2004 !
Si une telle disposition venait à être adoptée, la France trouverait là l’occasion de rectifier l’un des archaïsmes majeurs de sa pensée scientifique et morale. (Mme Catherine Tasca manifeste son approbation.) En effet, alors que notre pays figure, dans son histoire, à l’avant-garde de la recherche sur l’éthique, il demeurait sur ce point comme « congelé » par la glaciation des conservatismes d’inspiration religieuse.
Alors, disons-le aussi nettement que possible, coupons court à l’hypocrisie coupable qui dure depuis dix-sept ans ! Oui, si l’utilité médicale collective en est la visée, la recherche génétique doit être autorisée. Nous effacerons alors la sémantique peureuse de l’« interdiction sauf dérogation », qui se solde, depuis 2004, par 90 % de suites favorables accordées aux demandes d’autorisations...
Mme Raymonde Le Texier. Très bien !
M. Bernard Cazeau. À nos yeux, l’immense promesse du progrès médical est un espoir qu’il faut encourager et non restreindre. Ayons confiance en nos chercheurs ! Ne mettons pas en doute, par une forme de scepticisme craintif, l’intérêt ni la légitimité de leurs travaux ! La France a la chance de disposer d’un système universitaire de recherche qui nous préserve assez bien des logiques purement économiques.
La liberté de recherche et le respect de la personne humaine ne s’opposent pas, surtout lorsque la perspective ultime du travail scientifique donne corps au droit des malades à espérer un traitement pour les maux dont ils souffrent.
M. Jacky Le Menn. Très bien !
M. Bernard Cazeau. Ne privons pas d’espoir ceux qui sont en attente de soins, ceux dont un proche est atteint d’une maladie incurable, ceux qui souffrent d’être laissés sans solution ! Songeons au « bébé médicament », ce bébé mal nommé qui est en réalité celui de l’espoir et de la guérison ! (Mme Marie-Thérèse Hermange manifeste son désaccord.) N’est-ce pas aussi cela, le respect de la vie et de la personne humaine ? Alors, cessons de faire aux médecins le sourd procès de ne pas être respectueux de ces principes ni de leur propre déontologie !
Personne, en médecine, ne cherche à créer un être post-humain, en dehors des règles de la nature ! Personne ne cherche à annuler le cycle de la vie humaine, comme le prétendait récemment un dignitaire de l’épiscopat. Ne jouons pas à nous faire peur ! En matière médicale, nous savons toutes et tous que la connaissance n’est pas synonyme de bonheur humain, mais qu’elle n’en est pas moins une condition incontournable.
Nous veillerons particulièrement, lors des débats, à ce qu’aucun recul ne vienne affecter ce texte dans le domaine de la recherche : ce sera une raison essentielle de notre choix au moment du vote.
Nous aborderons ce débat avec l’ambition de faire progresser le texte de la commission, de lui imprimer la marque laïque qui caractérise notre pensée politique. La science progresse, la famille se transforme, la société change et le simple catalogue de pratiques permises, tolérées, conditionnées ou interdites ne prendrait pas la mesure de ces bouleversements, madame la secrétaire d’État.
La société a besoin d’une déontologie adaptée à son temps, pas d’une pensée figée ! Aussi apporterons-nous le plus grand soin à compléter et à améliorer la loi, quand nous le pourrons, en gardant bien présent à l’esprit qu’il faudra y revenir, dans quelques années, pour promouvoir de nouveaux droits et pour permettre des avancées thérapeutiques et médicales, tout en protégeant la dignité des êtres humains. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau.
M. Bruno Retailleau. Monsieur le président, madame le secrétaire d’État, mes chers collègues, ce projet de loi relatif à la bioéthique revêt une portée singulière et essentielle.
Une portée singulière, parce qu’il nous interroge, dans notre for intime, sur notre conception de l’existence humaine et, finalement, sur l’avenir de l’homme, au moment où la science ouvre des perspectives vertigineuses, souvent pleines d’espoir, mais parfois aussi inquiétantes. Ce débat est singulier, parce qu’il nous incite à sonder notre conscience et à dépasser, évidemment, les réflexes partisans habituels. Quelles que soient notre sensibilité et notre appartenance politique, nous savons bien qu’une appartenance commune plus profonde, plus large aussi, nous rassemble : l’appartenance à une même humanité. Nous partageons, quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons, cette idée simple et forte que la dignité d’une personne, dans sa singularité, n’est pas négociable.
M. Jacques Blanc. Très bien !
M. Bruno Retailleau. Ce projet de loi est également essentiel par ses enjeux : jusqu’où peut-on aller, jusqu’où ne doit-on pas aller, pour ne pas franchir des seuils anthropologiques au risque de blesser l’essence même de l’homme ? Ce projet de loi est essentiel parce qu’il n’a rien d’uniquement scientifique ou technique. En repoussant toujours plus loin les limites dans la maîtrise du vivant, nous modifions aussi l’échelle des valeurs qui fondent la vie en société. Les choix que nous effectuerons n’exprimeront pas seulement une vision de l’homme, ils renforceront ou affaibliront le lien social. En ce sens, ce débat est profondément politique.
Sur le fond, ce texte pose trois questions : quelles limites l’éthique doit-elle donner à la science et comment s’assurer que la science reste bien au service de l’homme ? Quels repères l’éthique doit-elle poser face aux demandes particulières, face à la liberté individuelle ? Enfin, quelles bornes l’éthique doit-elle imposer au marché, aux intérêts financiers qui, dans chaque avancée, voient d’abord une occasion de profit ?
La première question touche aux rapports de l’éthique et de la science. Bien sûr, la science est un formidable facteur de progrès. Elle s’identifie même à l’idée de modernité, mais notre modernité ne doit pas être uniquement l’emballement d’une grande machinerie qui, au nom d’une ambition prométhéenne, déclasserait une promesse d’humanité au rang de matériau de laboratoire.
De ce point de vue, l’abandon du régime d’interdiction, pour la recherche sur l’embryon humain, me paraît constituer une erreur.
Tout d’abord, le passage du régime de l’interdiction assortie d’exceptions au régime d’autorisation encadrée représente une évolution considérable, car il induit tout simplement une inversion radicale du principe de protection, qui s’inscrit dans une logique de déshumanisation progressive de l’embryon : en 1994, nous posons le principe d’interdiction stricte de toute recherche sur l’embryon humain ; en 2004, nous maintenons ce principe en l’assortissant de dérogations et, aujourd’hui, vous nous proposez d’autoriser la recherche sur l’embryon humain. Cet engrenage nous conduit à traiter l’embryon de plus en plus comme un objet et de moins en moins comme une personne humaine potentielle !
Ensuite, la rupture radicale que constitue cet abandon du principe d’interdiction ne se justifie pas, et ce pour deux raisons essentiellement.
La première est fondamentale : la loi civile, comme M. le rapporteur l’a rappelé, pose le principe intangible du respect de la personne « dès le commencement de sa vie » ; ce sont les termes de l’article 16 de notre code civil. Or le problème n’est pas de savoir si l’être humain est intouchable, mais à partir de quand on devient un être humain. Comment, en effet, définir et dater un seuil d’entrée dans l’humanité ? Le Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé n’a pas apporté de réponse définitive à cette question, mais il indique que l’embryon est « une personne humaine potentielle ». Effectivement, chaque étape de son développement est comme contenue dans l’étape qui la précède. Quand bien même aurions-nous un doute à cet égard, mes chers collègues, ce doute ne serait-il pas suffisant pour nous abstenir de traiter l’embryon comme un simple produit de laboratoire ?
D’autant plus qu’il existe désormais des solutions de rechange. Telle est la deuxième raison pour laquelle le principe de l’autorisation de la recherche sur l’embryon ne me paraît pas souhaitable, puisque d’autres techniques sont désormais disponibles…
M. Guy Fischer. Elles sont à peine naissantes !
M. Bruno Retailleau. Finalement, la science vient au secours de l’éthique en offrant au progrès d’autres voies moins intrusives et plus respectueuses. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
La seconde question porte sur les repères que l’éthique doit poser face aux demandes particulières, face à la liberté individuelle. Cette interrogation n’a rien de théorique, car la liberté individuelle devient une sorte d’horizon indépassable. Il suffit désormais qu’une demande s’exprime pour que l’on somme le législateur de l’entériner par la loi ! Ma conviction est que la tâche du politique n’est pas d’être le greffier des particularités ; au contraire, il lui appartient de promouvoir la chose commune. Comme disait Malraux, « l’individu s’oppose à la collectivité, mais il s’en nourrit ».
Deux sujets expriment bien cette tension entre les désirs des uns et notre identité collective.
L’assistance médicale à la procréation, tout d’abord : les innovations scientifiques ne doivent pas avoir pour objet de satisfaire toutes les aspirations individuelles et il ne saurait y avoir de « droit à l’enfant ». Sur ce sujet, je voudrais d’ailleurs saluer la position de notre commission, favorable à l’interdiction du transfert d’embryon post mortem.
Le dépistage prénatal illustre également ce conflit entre individu et société. La quête de l’enfant parfait, avec zéro défaut, est une tentation dangereuse.
Mme Raymonde Le Texier. Il ne s’agit pas de cela !
M. Bruno Retailleau. Le diagnostic anténatal comporte de fait un risque grave et sérieux d’eugénisme. (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.) Bien sûr, comment ne pas comprendre le désarroi des parents devant un enfant handicapé qui va bouleverser leur vie ? Et pourtant, aucun de ceux que je connais ne m’a jamais confié que le handicap ait diminué l’amour qu’il portait à son enfant, au contraire !
M. Jacques Blanc. Très bien !
M. Bruno Retailleau. Comment comprendre ce chiffre terrible : 96 % des grossesses diagnostiquées trisomiques font aujourd’hui l’objet d’un avortement ?
Peut-on sereinement affirmer, dans ces cas, que l’application systématisée de ces techniques mène à un progrès, nous qui pensons tous qu’une civilisation, une société, se juge au sort qu’elle réserve aux plus faibles, aux plus petits ?
M. Guy Fischer. Une société se juge au sort qu’elle réserve à ses enfants !
M. Bruno Retailleau. Parce que l’humanité blessée, mes chers collègues, l’humanité différente, c’est encore l’humanité, c’est encore nous-mêmes !
MM. Charles Gautier et Jean-Pierre Michel. Conclusion ! Votre temps de parole est dépassé !
M. Bruno Retailleau. Alors, madame le secrétaire d’État, faisons au moins en sorte de consacrer au traitement de la maladie les mêmes moyens que ceux que nous dépensons pour ce seul dépistage.
Je conclus : l’enjeu de ce débat n’est pas l’opposition du progrès contre l’éthique, de la liberté individuelle contre le pacte collectif. C’est la défense même de l’humanisme qui est en cause. Dans l’histoire récente, il est souvent arrivé à l’homme de dégrader la nature ; ne prenons pas le risque d’abîmer, dans l’avenir, notre propre humanité ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme Raymonde Le Texier. Voilà un discours progressiste…
M. le président. La parole est à M. Gilbert Barbier.
M. Gilbert Barbier. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd’hui est l’aboutissement de la clause de révision inscrite dans la loi du 6 août 2004 relative à la bioéthique.
En réalité – comme il a été dit –, aucune recherche n’est venue bouleverser fondamentalement le champ de la bioéthique, ni poser de nouveaux défis depuis la promulgation de cette loi, si ce n’est l’émergence de la biologie de synthèse, dont il faudra un jour se préoccuper.
C’est surtout l’approfondissement des techniques existantes et leur diffusion croissante qui changent la dimension des problèmes.
Notamment, la mondialisation de la recherche engendre des tensions économiques et risque de favoriser à court terme le « moins-disant éthique », car elle s’accompagne d’une concentration des moyens financiers. Aussi est-il assez compréhensible que les chercheurs souhaitent une simplification des procédures. Il est vrai que celles-ci sont parfois inutilement contraignantes et qu’il est difficile de connaître à l’avance l’impact thérapeutique d’une découverte.
Comme le rappelait le professeur Henri Atlan, le chercheur s’efforce avant tout de sauvegarder sa liberté, de conduire ses travaux pour découvrir. C’est l’un des enjeux de la recherche fondamentale que la loi de 2004 paraît limiter, non sans une certaine hypocrisie d’ailleurs, mais j’y reviendrai.
Parallèlement, l’information scientifique et juridique circule très rapidement ; elle est très médiatisée. Juste ou fausse, elle suscite réactions, mais aussi espérances. L’utilisation du réseau internet permet aussi à chacun d’évaluer l’offre juridique en fonction de ses besoins. Un interdit peut être facilement contourné par un déplacement opportun vers un pays voisin dans lequel la loi est plus permissive.
Le « dumping juridique » et le « moins-disant éthique » font recette dans tous les champs couverts par la biomédecine : explosion des tests génétiques via internet, tourisme de transplantation et de procréation.
On voit bien, dans ce contexte, l’importance de notre débat de ce jour. Personnellement, je ne crois pas que le législateur se doive d’être « à la remorque » de la science pour toujours adapter la loi aux découvertes en cours et de répondre aux nouvelles demandes sociales.
Si la liberté du chercheur et celle de l’individu existent, le législateur doit – c’est sa vocation – créer le cadre et les conditions du « vivre ensemble ». « On entre véritablement en éthique », disait Paul Ricoeur, « quand, à l’affirmation par soi de la liberté, s’ajoute la volonté que la liberté de l’autre soit ». C’était poser comme valeur universelle, non pas la simple juxtaposition des libertés, mais la réciprocité. C’est tout le propos d’Axel Kahn sur le caractère au fond universel et intemporel des valeurs de respect de la personne.
Sur trois sujets, les attentes s’expriment désormais avec plus de force.
Le premier de ces sujets est la levée de l’anonymat dans le cadre des actes d’assistance médicale à la procréation, au nom du droit à connaître ses origines, sujet dont l’acuité se manifeste aussi par l’explosion des tests génétiques en accès libre sur le réseau internet. Dans bien des cas, il s’agit de satisfaire la curiosité de chacun sur ses origines familiales.
L’Assemblée nationale avait finalement décidé, à une large majorité, de maintenir le principe de l’anonymat. La commission des affaires sociales, sur l’initiative de son rapporteur, est revenue au texte initial. À mon sens, c’est une erreur : la rupture de l’anonymat comporte des éléments bien plus perturbants que l’ignorance de l’identité de son géniteur.
Elle aura vraisemblablement des conséquences sur le nombre des donneurs, qui risque de diminuer dans un premier temps. Par ailleurs, les parents seront tentés de cacher à leur enfant le mode de sa conception.
Compte tenu du recours toujours possible aux tests génétiques par les enfants devenus adultes, la découverte d’un secret aura des conséquences bien plus néfastes que la méconnaissance de ses origines. Comment réagira un enfant si sa mère ou son père biologique ne manifeste pas le souhait de le rencontrer ? Ou encore quelle sera la réaction de la famille du donneur en apprenant l’existence d’un autre enfant ? Les risques de conflits et de traumatismes psychologiques ne sont pas à écarter, particulièrement dans le cas où le donneur est une mère.
Il eût été plus raisonnable de permettre un accès aux seules motivations et données non identifiantes sur le donneur.
Le second sujet concerne l’accès à l’assistance médicale à la procréation. Certains souhaitent en effet l’ouvrir à des femmes célibataires ou à des couples de femmes. D’autres réclament la légalisation du recours à la mère porteuse.
Je ne juge pas les nouvelles formes de parentalité existantes ni les familles recomposées ou monoparentales. L’aspiration à « faire famille » ou à devenir parents n’est certes pas réservée à quelques-uns, mais crée-t-elle pour autant des droits sur la société ? Gardons aussi à l’esprit l’intérêt de l’enfant à naître…
Les techniques d’assistance médicale à la procréation étant lourdes et difficiles à mettre en œuvre, je considère qu’elles doivent être réservées aux stérilités médicalement avérées. Sur ce point, le projet de loi me satisfait.
Reste la question du transfert d’embryon post mortem, qui a déjà été évoquée. Dans le projet de loi adopté par l’Assemblée nationale, celui-ci était autorisé. La commission en a décidé autrement. Cette décision apparaît sévère pour le membre du couple survivant, qui peut, par ailleurs, consentir au don de ses embryons en vue d’un accueil par un autre couple.
J’ai donc déposé un amendement visant à autoriser le transfert d’embryon post mortem dans les conditions proposées par l’Assemblée nationale : consentement écrit du conjoint, délai de six à dix-huit mois après le décès de celui-ci, suivi psychologique de la mère.
Certains ont souhaité à nouveau porter le débat sur la gestation pour autrui en séance publique. L’encadrement strict qu’ils proposent à travers leurs amendements ne lève pas, selon moi, les objections de fond.
Cette technique remet en cause une règle fondamentale du droit de la filiation de la plupart des États occidentaux, selon laquelle la maternité légale résulte de l’accouchement : « Mater semper certa est ». Mais, surtout, elle ramène la gestation à une période neutre, impersonnelle, sans effet sur le devenir de l’enfant. C’est en définitive vouloir considérer que l’utérus n’est qu’un simple incubateur.
Pour Mme Badinter, « on peut porter un enfant sans faire de projet, sans fantasmer, sans tricoter une relation avec lui ». Je ne saurais affirmer le contraire, bien que les médecins démontrent chaque jour l’importance des échanges fœto-maternels.
Quoi qu’il en soit, une grossesse, ce n’est pas toujours simple : la mère porteuse n’est pas à l’abri de complications ; elle doit aussi affronter le regard des autres, celui de sa famille en particulier.
Qu’adviendra-t-il si sa grossesse se déroule mal ? Qui sera responsable ? Quel sera le sort de l’enfant si le couple d’intention ne le reconnaît pas ou, entre-temps, est dissous par la mort, une séparation ou un divorce ?
Toutes ces questions ainsi que celle du défraiement impliquent un contrat. Je le dis sincèrement, cela me choque et me bouleverse qu’on puisse établir un contrat sur un enfant à venir. Il est évidemment des couples que l’on souhaiterait aider, mais la loi doit poser des limites.
Enfin, le troisième sujet qui suscite des attentes concerne les recherches sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires.
Contrairement à la position de l’Assemblée nationale, la commission des affaires sociales a supprimé l’interdiction de telles recherches au profit d’un régime d’autorisation strictement encadrée. On ne peut en effet que s’interroger sur la valeur d’un interdit de principe qui s’appuie sur des valeurs profondes et intangibles et pour lequel est aménagé de façon permanente un régime dérogatoire.
N’y a-t-il pas une hypocrisie à justifier le maintien du principe de l’interdiction par le souci de protéger l’embryon alors que la loi autorise le tri des embryons grâce au diagnostic préimplantatoire et la conception d’embryons surnuméraires qui sont voués à être détruits ?
Sur le plan scientifique, il n’y a plus grand sens, depuis que les cellules iPS ont été découvertes, à opposer recherche sur les cellules souches embryonnaires et recherche sur les cellules souches adultes, même si certaines pathologies doivent être traitées de préférence par les unes plutôt que par les autres.
Par ailleurs, un système qui interdit tout en organisant une transgression est illisible, malsain et culpabilisant pour les chercheurs. Les équipes françaises sont confrontées à un défi d’innovations technologiques très important. Le régime dérogatoire induit une instabilité juridique peu propice à attirer les jeunes chercheurs, les chercheurs étrangers et les investissements des industriels et des sociétés de capital-risque.
Il convient donc de mettre fin à cette sorte de suspicion à l’égard de la recherche sur l’embryon alors que tout le monde s’accorde à reconnaître la qualité des contrôles auxquels procède l’Agence de la biomédecine.
Il faut simplifier les démarches administratives imposées aux chercheurs, créer une banque de cellules souches gérée par l’Agence de la biomédecine et encourager la poursuite de la recherche fondamentale, sans privilégier telle ou telle approche.
Mes chers collègues, il est indispensable de s’interroger en permanence sur les meilleurs moyens d’utiliser les remarquables avancées de la recherche biomédicale, de prévenir au mieux les risques de dérive auxquels ces avancées peuvent conduire – en premier lieu, comme le révèle le grand livre de Stephen Jay Gould, le risque d’une Mal-mesure de l’homme, d’une réduction de la complexité, de l’identité et du devenir de la personne à ce que peut en dire la biologie.
Le texte de la commission, malgré les quelques questions que j’ai soulevées, me semble conserver les équilibres nécessaires entre les valeurs fondant notre société et les libertés individuelles. En l’état actuel, je le voterai. (Applaudissements sur les travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Guy Fischer.
M. Guy Fischer. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, ce projet de loi, le troisième depuis 1994 à concerner le domaine de la bioéthique, a cela de spécifique qu’il nous interpelle tous au-delà de nos convictions politiques. Et pour cause ! La matière dont nous traitons n’est rien de moins que l’humain, avec la question fondamentale de l’humain en devenir, le vivant, avec la question de son inaccessibilité, ainsi que la place que nous entendons réserver à la science dans le cadre précis des deux précédentes interrogations.
Autant dire que les lois de bioéthique font systématiquement appel à des positions personnelles, à des convictions que chacun s’est intimement forgées, plus qu’à des positions partisanes ou politiques…
L’obligation qui nous incombe, à toutes et à tous, de définir pour l’avenir les règles d’éthique en matière de santé, de médecine et de recherche fait peser sur nous une responsabilité particulière. Il s’agit de trouver ce subtil équilibre entre ce que la science peut faire techniquement et le souci scrupuleux du respect de l’éthique.
Cette question primordiale entre le possible et le souhaitable ne doit pas être la propriété des seuls scientifiques. Elle doit être la ligne conductrice d’un véritable débat citoyen.
À cet égard, je me réjouis de l’adoption par l’Assemblée nationale d’un amendement qui est devenu, en l’état actuel du projet de loi, l’article 24 ter A, lequel tend à prévoir la possibilité d’organiser un débat public sous forme d’états généraux avant tout projet de réforme dans le domaine de la bioéthique. Cette proposition, que le groupe communiste et républicain avait avancée en 2003 et qui, à cette époque, ne fut pas retenue, trouve aujourd’hui sa concrétisation et permettra d’instaurer un véritable débat démocratique dans notre pays sur le sujet.
Ce débat est indispensable quand on mesure l’importance des décisions prises pour l’avenir. C’est un signal très positif envoyé à nos concitoyens.
Toutefois, cette satisfaction s’accompagne d’une déception. Nous sommes convaincus, au sein du groupe CRC-SPG, que l’importance des sujets traités, ainsi que la vitesse à laquelle progresse la science devraient conduire à prévoir dans la loi le principe d’une révision régulière – quinquennale, par exemple – des lois de bioéthique. Nous savons ce choix non partagé… Nous serons néanmoins très attentifs sur la question et nous rallierons aux propositions formulées dans ce domaine.
Par ailleurs, nous avons retenu une double approche pour nous interroger sur ce projet de loi : d’une part, l’application à la matière bioéthique d’un principe de responsabilité politique pouvant se résumer en une phrase, celle utilisée par le philosophe Hans Jonas – « Agis de façon que les effets de ton action soient compatibles avec la permanence d’une vie authentiquement humaine sur terre » ; d’autre part, le principe de non-commercialisation du vivant.
À cet égard, il est temps que notre législation aille encore plus loin. En effet, la directive européenne 98/44/CE sur la protection juridique des inventions biotechnologiques, adoptée en juillet 1998, reconnaît que le vivant est « brevetable sous certaines conditions ». Ce texte permet l’usage commercial d’une séquence génétique en vue d’une application industrielle mais, surtout, il vise à harmoniser les pratiques juridiques des différents États de la Communauté et à élargir le champ d’application du droit des brevets à l’ensemble du vivant.
Alors, me direz-vous, l’article L. 611-18 du code de la propriété intellectuelle, en prévoyant que « le corps humain, aux différents stades de sa constitution et de son développement, ainsi que la simple découverte d’un de ses éléments, y compris la séquence totale ou partielle d’un gène, ne peuvent constituer des inventions brevetables » est plus protecteur que cette directive. Soit !
Mais tout cela n’est pas suffisant puisque, d’une certaine manière, est autorisée la brevetabilité de certains éléments au titre de l’inventivité dans la mesure où, selon ce même article, sont brevetables les inventions constituant « l’application technique d’une fonction d’un élément du corps humain ». Nous sommes par ailleurs persuadés que notre droit doit prévoir expressément l’interdiction de l’appropriation économique, sous la forme de brevets, de tout ce qui est vivant, que cela soit humain, végétal ou animal.
On le voit d’ailleurs aujourd’hui dans l’agriculture : cette logique qui conduit certaines entreprises, bien souvent des multinationales, à s’approprier une plante ou un animal au prétexte qu’elles en auraient modifié un ou deux gènes pour le rendre plus résistant joue contre les agriculteurs et, dans une certaine mesure, contre les équilibres naturels actuels. Ce qui a préexisté à l’homme ne peut pas être breveté.
De la même manière, nous sommes satisfaits de la rédaction actuelle de l’article 7, qui pose le principe de l’utilisation allogénique des cellules hématopoïétiques du sang de cordon et du sang placentaire ainsi que des cellules du sang de cordon et du placenta, interdisant de fait les banques à finalité autologue.
Mme Marie-Thérèse Hermange. Très bien !
M. Guy Fischer. Nous considérons effectivement que l’existence de telles banques aurait constitué un retournement fondamental dans notre droit actuel puisque le don n’aurait plus eu qu’une finalité personnelle, et ce alors même que le procédé est loin d’être abouti.
Pour notre part, nous faisons nôtre l’analyse développée par le Comité consultatif national d’éthique, le CCNE, dans son avis n° 74, selon lequel « une autoconservation systématique, en dehors d’une justification médicale exceptionnelle, nie le don et constitue un obstacle à la constitution de banques pour les autres, qui supposerait une identification immunogénétique préalable au coût très important ». Et le CCNE de conclure : « Il semble que la conservation systématique de sang placentaire pour utilisation exclusivement autologue soit dans l’état actuel de la science, une illusion thérapeutique qui réponde davantage à des objectifs de marché. »
Cette conservation, mes chers collègues, si elle devait être autorisée, constituerait immanquablement une discrimination à l’égard de nos concitoyens les moins riches, le coût exorbitant de ces procédés les excluant de fait.
Nous considérons d’ailleurs qu’il nous faut aller encore plus loin et prévoir dans la loi expressément, comme nous le faisons dans l’amendement que nous avons déposé en ce sens, l’interdiction pure et simple des banques privées commerciales. Celles-ci suscitent des utopies et déguisent un but mercantile sous le prétexte de rendre service à l’enfant.
C’est la même préoccupation du refus de la commercialisation du vivant qui a conduit notre groupe, à l’issue d’une période de débats et de réflexion, à nous opposer à la gestation pour autrui, c’est-à-dire ce choix qui consiste pour un couple à demander à une tierce personne de porter en son ventre leur enfant.
Certes, les progrès de la technique permettent aujourd’hui de séparer la fécondation de l’enfantement lui-même, c’est-à-dire de distinguer en deux phases la grossesse de l’accouchement. Pour autant, nous ne souhaitons pas que se développe en France un commerce lié à la capacité des femmes à donner la vie. Cette capacité biologique ne peut faire l’objet d’aucun contrat ni d’aucun commerce, car l’inverse conduirait à les réduire à cette capacité. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : d’un commerce.
Comme le dit justement l’appel « contre le marché des ventres », « là où elle est permise, cette pratique donne toujours lieu à une rétribution de la grossesse », ce qui a par ailleurs pour objet, et de manière indirecte, de donner un prix à l’enfant, comme on pourrait le faire pour tout produit commandé dont on attendrait la livraison. Convenez, mes chers collègues, que cela n’est pas souhaitable.
L’enfantement devient alors un service social où la sphère économique s’empare de la vie, avec cette particularité notable que, comme le souligne la philosophe Sylviane Agacinski, « dans les pays qui ont légalisé la gestation pour autrui, on constate que ce sont les femmes pauvres qui portent l’enfant des couples riches, et jamais le contraire ». Cela se vérifie en Californie, où fleurissent les annonces affichant clairement et sans détour : « Ventres à louer ». Et, comme le souligne l’appel contre le commerce des ventres que j’ai précédemment mentionné, « là où elle est autorisée, même très encadrée, comme au Royaume-Uni, la maternité pour autrui est toujours rémunérée, sous forme de salaire ou de “dédommagement”, bien au-delà de la couverture des frais médicaux. Et comment pourrait-il en être autrement ? ».
Tout cela n’empêche pas que, même en Californie, s’organise une forme de dumping social des ventres les moins chers, conduisant les couples désireux d’avoir des enfants à se rendre en Inde, où le prix d’un utérus, puis d’un ventre est plus faible. Comme le souligne encore une fois, et à raison, Sylvianne Agacinski, « la marchandisation n’est pas une dérive, elle est au cœur de cette pratique ». Cela tend à réduire, neuf mois durant, la mère dite de substitution à un simple espace dans lequel prendrait forme la vie. C’est assimiler la femme à un outil, inscrit dans une logique à laquelle nous refusons d’adhérer : la fabrication d’un enfant.
C’est pourquoi, malgré le désir compréhensible des couples qui veulent connaître les joies de la parentalité, nous voterons contre des amendements prévoyant de telles dispositions s’ils devaient être débattus, comme ce fut le cas en commission des affaires sociales.
Par ailleurs, nous saluons la rédaction de l’article 23, concernant les recherches sur les cellules souches, tel qu’il a été modifié par la commission des affaires sociales. L’état actuel du droit, c’est-à-dire le principe de l’interdiction de la recherche sauf dérogation, n’était plus approprié aux réalités scientifiques, et ses fondements reposent sur une chimère à laquelle nous n’adhérons pas.
Je tiens à le dire avec force, ce n’est pas dépasser notre humanité que de permettre aux scientifiques de faire, dans l’intérêt de tous, des recherches sur des embryons qui, parce qu’il n’y a plus de projet parental, sont destinés in fine à être détruits.
Le principe d’autorisation encadrée, tel qu’il est proposé dans cet article, nous paraît être aujourd’hui le cadre juridique le plus approprié, permettant à la fois aux scientifiques de travailler dans des conditions plus claires, notamment vis-à-vis de leurs partenaires européens, tout en évitant certaines dérives naturellement contestables.
Les conditions fixées dans cet article nous semblent suffisamment protectrices dans la mesure où, s’il existe une alternative à la recherche sur l’embryon, celle-ci sera privilégiée. Toutefois, à ce jour, contrairement à ce que prétendent les auteurs des amendements déposés en commission ou pour la séance plénière, qui affirment que ces recherches ne se concrétisent pas, celles-ci s’avèrent indispensables. Mieux, elles permettent de véritables avancées.
Ainsi, le journal La Croix, dans sa publication du 1er janvier dernier, mettait en évidence un cas important de réussites issues de ces recherches. On y découvre par exemple que le biologiste Marc Peschanski, qui mène des études sur la maladie de Steinert concernant près de 7 000 personnes, a pu mieux comprendre certains désordres dans la communication entre le système nerveux et les muscles. Mieux, il semblerait également qu’il ait pu identifier des composés pharmacologiques ayant un effet thérapeutique sur cette maladie. Ces résultats n’auraient pas été obtenus s’il n’avait pu disposer de la possibilité d’effectuer des recherches sur des cellules souches issues d’embryons atteints de cette pathologie et triés à l’occasion d’un diagnostic préimplantatoire. Cécile Martinat, chercheuse à l’INSERM et qui a contribué à ces travaux, le confirme elle-même : « Aucune autre approche expérimentale n’aurait permis aujourd’hui d’élucider ces mécanismes. »
Dès lors, pourquoi continuer à nous priver, dans un cadre juridique précis et protecteur, de telles capacités de recherches ? Pourquoi maintenir un système dont chacun s’accorde à dire, y compris ceux qui sont opposés à la recherche sur les embryons, qu’il est hypocrite ? Rien, d’un point de vue tant scientifique que social, ne nous y invite.
En outre, l’adoption en commission des affaires sociales d’un amendement interdisant la fabrication d’embryons chimériques, c’est-à-dire mêlant des cellules humaines et animales, s’inscrit précisément dans le cadre du respect de nos valeurs fondamentales.
Nous partageons également le souci de la commission des lois d’interdire le transfert post mortem des embryons. S’il est indiscutable que l’embryon a été conçu dans le cadre d’un projet parental, nous considérons que celui-ci est automatiquement dissout avec le décès du père potentiel et qu’il n’est pas dans l’intérêt d’un enfant de le faire naître orphelin au motif que les progrès de la médecine auraient rendu possible une telle situation.
Malgré le travail considérable réalisé par la commission des affaires sociales, qui aurait d’ailleurs peut-être nécessité, comme l’ont suggéré nos collègues du groupe socialiste, la constitution d’une commission spéciale, nous considérons que, sur certains aspects, le texte actuel n’est pas suffisant.
Tel est le cas de l’article 7, qui exclut enfin le placenta et le cordon ombilical de la catégorie des déchets et des résidus opératoires. Il nous semble que les extraire d’un régime existant, sans préciser de quel régime ils relèvent dorénavant, n’est pas satisfaisant ; c’est pourquoi nous avons déposé un amendement précisant que ces éléments sont dorénavant considérés comme des éléments du corps humain. Ce faisant, nous entendons leur apporter les protections juridiques nécessaires, évitant ainsi que ces éléments, qui peuvent dans l’avenir jouer des rôles importants, puissent faire l’objet d’une commercialisation.
C’est également le cas des mesures d’information à destination du grand public en matière de dons d’organes. Nous regrettons que la commission des affaires sociales les ait considérées comme redondantes avec le droit existant.
En effet, comme le souligne Guiseppe Poretto, le président de l’association France Adot, « même s’il y a eu une légère augmentation des greffes, on se trouve toujours en situation de pénurie d’organes, alors que le nombre de personnes inscrites sur la liste d’attente de don d’organe en France est, lui, en augmentation constante : 14 400 personnes en 2010, qui devraient pourtant pouvoir bénéficier d’une nouvelle vie, grâce à une transplantation ».
C’est la preuve, s’il en est, qu’il est urgent de renforcer tout ce qui favorise le don de vie. Et l’information du grand public est, en la matière, capitale. Car, si le taux de refus exprimé de son vivant est inchangé depuis des années, environ 32 %, alors qu’il n’était que de 28 % en 2007, les équipes médicales disent toutes être confrontées à une difficulté particulière, la réticence des proches lorsqu’ils ignorent la volonté du défunt. Une plus grande information nous paraît donc indispensable, et nous avons déposé des amendements en ce sens.
Nous considérons également qu’il est aujourd’hui urgent d’instaurer, à côté du registre national des refus, un registre positif qui pourrait regrouper le nom des personnes ayant clairement fait connaître leur volonté de donner leurs organes en cas de décès. Si le cadre juridique actuel protège la volonté de ceux qui ont décidé de ne pas donner leurs organes, rien ne garantit que le consentement de ceux qui souhaitent participer à leur manière au don de vie soit pleinement respecté. C’est à croire qu’il y aurait deux poids, deux mesures, selon que l’on refuse ou que l’on accepte de donner, comme s’il était légitime, en quelque sorte, de respecter l’autonomie de la décision des personnes refusant les prélèvements et de ne pas respecter celle des donneurs. Pour notre part, la volonté des uns vaut celle des autres, et les proches doivent accepter de respecter une volonté exprimée du vivant, quelle qu’elle fût.
C’est pourquoi nous avons déposé un second amendement afin de limiter la possibilité de s’opposer aux prélèvements, en cas de silence du défunt, aux seuls parents des enfants mineurs et, pour les majeurs, à la personne de confiance.
Toujours avec la volonté de garantir l’information de nos concitoyens en ce qui concerne le don d’organes, nous avons déposé un amendement prévoyant que le livret d’accueil remis à chaque patient hospitalisé intègre une information compréhensible par tous et que des locaux soient mis, dans les hôpitaux, à la disposition des associations qui promeuvent le don de vie.
Enfin, il ne faut pas le nier, nous sommes en désaccord sur quelques points.
Je pense par exemple à l’article 6, qui tend à opérer une harmonisation des règles juridiques quant au don de cellules souches hémiopatiques issues des prélèvements de moelle osseuse ou de prélèvement de sang périphérique. Ces derniers dons ne pourraient plus être effectués qu’après expression du consentement devant le président du tribunal de grande instance ou son représentant.
Pour notre part, nous estimons que le renforcement du formalisme prévu dans cet article peut avoir un caractère dissuasif, ce qui n’est pas souhaitable eu égard au faible nombre de donneurs actuels. Considérant toutefois que cette harmonisation est souhaitable, nous proposons que soit institué un formalisme identique, sous la forme d’un consentement par écrit, étant entendu que, selon nous, les équipes médicales sont naturellement capables de délivrer aux éventuels donneurs toutes les informations nécessaires.
Nous sommes également en désaccord sur l’article 20 ter de ce projet de loi, qui vise à informer les couples du devenir de leurs ovocytes, comme cela se fait pour les embryons. Cette information ne nous semble ni opportune ni souhaitable. Les couples qui ont accepté de donner leurs ovocytes à des fins de recherche scientifique consentent, de fait, à ce que des recherches soient effectuées ; cette information n’apportera rien de plus. Pis, on peut craindre que, au moment du don, les équipes médicales qui les reçoivent ne soient pas en capacité d’informer précisément les donneurs de l’utilisation précise qui sera faite des ovocytes. Cette disposition les placerait alors dans une situation délicate, vis-à-vis tant de la loi que des donneurs. C’est la raison pour laquelle nous proposons de supprimer cet article.
Vous le voyez, mes chers collègues, notre appréciation de ce texte est mesurée, même si nous reconnaissons que les apports de la commission des affaires sociales n’ont pas été négligeables et qu’ils vont même – permettez-moi de le dire – dans le bon sens.
Toutefois, nous n’ignorons pas que les dispositions de ce projet de loi peuvent être très mouvantes et que, parfois, la séance publique peut défaire ce que la commission a fait ou revenir sur des dispositions que nous jugeons pour notre part intéressantes. C’est pourquoi le groupe CRC-SPG ne prendra de décision sur son vote qu’à l’issue de l’examen du texte par notre Haute Assemblée. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. François Zocchetto.
M. François Zocchetto. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, les lois de bioéthique sont à la frontière du philosophique et du juridique. En effet, la biomédecine permet d’agir sur les fondements mêmes de la vie que sont le génome et l’embryon. Ces matières, qui échappent au tout-modélisable, au tout-conceptualisable, renvoient chacun d’entre nous aux limites de ses propres connaissances à un moment donné. Cette situation impose, plus qu’en toute autre matière, une grande vigilance de chacun afin de ne pas confondre le droit et la morale, l’intime conviction et les règles souhaitables compte tenu de l’état de la société.
Le double diagnostic préimplantatoire est un exemple emblématique de la réflexion que nous avons à mener. La morale – certains diraient l’éthique – commande d’en terminer immédiatement avec l’appellation et avec la pratique des « bébés-médicaments ». Le droit est sans doute plus nuancé : la technique doit pouvoir être permise comme ultime recours, mais uniquement comme tel. Et je me réjouis que, grâce à notre collègue Anne-Marie Payet, cette précision clé ait été apportée lors de l’examen en commission.
Le double diagnostic préimplantatoire n’est qu’un exemple. Plus généralement, pour se livrer à cet exercice à la fois fondamental et malaisé de législation, la France s’est dotée d’outils uniques au monde : les lois de bioéthique, dont voici la troisième génération.
Notre pays apparaît pionnier en la matière et nos lois de bioéthique sont reprises en droit international dans la convention d’Oviedo. Nous ne pouvons que nous réjouir que, sur l’initiative de notre commission des affaires sociales, le Parlement puisse – je l’espère – autoriser la signature de cette convention dans le présent texte.
Avec les lois de bioéthique, la France, contrairement à d’autres pays qui refusent d’approfondir la réflexion, prend le problème à bras-le-corps, ce qui est tout à son honneur, en posant les grands principes avec lesquels nous ne souhaitons pas transiger.
En tant que législateur, notre tâche est d’aider la recherche et la médecine à avancer sans porter atteinte à l’inviolabilité de l’humain, ce qui implique – les orateurs, dans leurs diversités, l’ont tous dit – que l’on ne puisse ni tout faire ni tout laisser faire. Tel est le principe qui gouvernera la façon dont le groupe Union centriste appréhendera le texte.
C’est ainsi que nous nous opposerons, comme 1’a fait la commission, au transfert d’embryons post mortem, ne serait-ce que dans l’intérêt de l’enfant. Après les « bébés-médicaments », nous ne voulons pas voir arriver – disons-le clairement – les « bébés-souvenirs ».
Bien sûr, une fois les grands principes posés, pour savoir exactement où placer le curseur, des divergences peuvent se faire jour au sein de notre groupe, comme au sein d’autres groupes d’ailleurs. En effet, les questions de bioéthique transcendent les clivages politiques traditionnels.
Ainsi en est-il de la question de la levée de l’anonymat du don de gamètes. Au sein de notre groupe, des voix, comme celle de Roselle Cros, s’élèveront pour défendre la position originelle du Gouvernement. D’autres soutiendront celle de l’Assemblée nationale ; d’autres encore celle de la commission des affaires sociales. Pour ma part, je m’exprimerai plutôt en faveur du maintien de l’anonymat.
Les opinions seront également diverses sur des sujets aussi sensibles que la gestation pour autrui ou la recherche sur l’embryon. À titre personnel, je ne suis pas favorable à la gestation pour autrui et je suis enclin à conserver le principe de l’interdiction de la recherche sur l’embryon, assorti d’exceptions. Mais, je le dis à l’intention des membres de mon groupe, en particulier de Mme la présidente de la commission des affaires sociales, cette position n’engage que moi.
Il est en revanche certains sujets importants sur lesquels les centristes parleront d’une seule voix. Ainsi sommes-nous favorables au droit à l’information concrétisé par la procédure d’information de la parentèle. Ainsi sommes-nous favorables, comme je l’ai déjà indiqué, à l’interdiction du transfert d’embryons post mortem.
Nous sommes également favorables à l’élargissement du cercle des donneurs, compte tenu de la pénurie d’organes vitaux, comme nous sommes favorables aux dons croisés. L’élargissement du cercle des donneurs vivants aux personnes qui ont un lien affectif étroit et stable avec le receveur est évidemment plus problématique. Mais, tel qu’il est encadré, il ne devrait cependant pas poser de difficultés.
Pour conclure, j’aborderai un point beaucoup moins éthique et plus technique : l’ordonnance relative à la biologie médicale,…
M. Guy Fischer. C’est d’actualité !
M. François Zocchetto. … qui n’a été que peu évoquée jusqu’à présent. Notre groupe soutient la démarche de la commission des affaires sociales du Sénat, laquelle a supprimé l’article qui en portait abrogation.
En effet, même si l’ordonnance pose certains problèmes réels, mais également bien identifiés, elle ne mérite pas d’être abrogée dans son entier. D’ailleurs, le Gouvernement s’est engagé – j’espère, madame la secrétaire d'État, que vous nous le confirmerez – à répondre, dans les plus brefs délais à toutes les questions que cette ordonnance a fait naître.
Nous voulons éviter la financiarisation et la concentration excessive des laboratoires entre les mains de certains groupes intéressés.
M. Guy Fischer. Cela fait plaisir à entendre !
M. Jacques Blanc. Très bien !
M. François Zocchetto. Sur ce sujet, nous voulons obtenir des assurances du Gouvernement.
Il ne me reste plus qu’à rendre hommage au remarquable travail fourni par la commission des affaires sociales, qui a préparé ce débat fondamental très en amont en y associant tous les parlementaires dans leur diversité. La présidente de la commission, Muguette Dini, et le rapporteur, Alain Milon, ont su, au-delà de leurs propres convictions, faire vivre un débat dans lequel chacun semble avoir trouvé sa place. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Thérèse Hermange.
Mme Marie-Thérèse Hermange. Au moment où le pacte entre l’homme, la nature et la technique est brisé à l’autre bout du monde, nous voilà, monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, convoqués pour nous prononcer sur la maîtrise du vivant. Convoqués moins par vous, monsieur le président, que par la science, comme si celle-ci avait besoin de scribes exigeant des prescriptions légales et se retranchant derrière l’autorité des textes pour réaliser la matérialité des pratiques biomédicales actuelles, obérant bien souvent les déplacements anthropologiques que nous opérons au fil des années.
Car, en réalité, il est demandé au législateur de fixer des limites à des pratiques médicales et, du même coup, de consacrer, en les rendant licites, celles qui sont techniquement possibles pour opérer le passage du « tout est possible » au « tout doit être possible ». Or je crains, mes chers collègues, que, quel que soit notre vote, les scientifiques nous disent : « Vous avez juridiquement tort parce que nous avons scientifiquement raison. »
Tort, parce que nombre de scientifiques partagent les propos de Gaston Bachelard selon lesquels l’opinion, que nous représentons, « pense mal » tandis que la science a toujours raison.
Tort, parce que nous ne sommes pas des sachants et qu’en conséquence nous ne pouvons comprendre ce qui se cache et s’exprime sous les termes très savants de méiose, pluripotence, totipotence, cellules souches, cellules germinales ou somatiques… Tort donc, parce que, ne les comprenant pas, nous ne pouvons prendre la mesure de toutes ces techniques. Celles-ci peuvent être facteurs d’amélioration de vie, ce que nous ne pouvons nier, comme nous ne pouvons nier qu’il nous faudra toujours des Pasteur ou des Fleming pour espérer nous arracher à la fatalité de la maladie. Soit, mais jusqu’à quel prix ?
Ce prix, c’est la dignité de l’homme, qui n’est pas négociable. Or, que l’on approuve ou que l’on réprouve ces évolutions, les banaliser et les entériner comme un fait accompli serait, à mon sens, une erreur, car elles instaurent une rupture de sens et d’égalité par rapport à notre condition humaine. Une rupture de sens, puisqu’il s’agit d’opérer une nouvelle conception de l’homme en le confectionnant. Une rupture d’égalité, puisque la science, qui est la servante de la vie et doit l’aider sans la manipuler, sans l’anéantir et sans la détruire, peut aujourd’hui opérer l’inverse. En effet, elle a la capacité de sélectionner l’homme, de le stocker hors du temps et de le détruire.
Elle a la possibilité de sélectionner l’homme, d’abord.
Le dépistage systématique de la trisomie 21, dont le coût est de 100 millions d’euros pour la sécurité sociale, qu’aucun autre pays ne pratique avec un tel souci de performance et qui aboutit de surcroît à la disparition de 700 enfants sains par an en raison de faux positifs, finit par introduire une discrimination entre des êtres humains sur des critères biologiques. Si la décision prise appartient à chacun et est infiniment respectable, il en va tout autrement lorsque médecine et société considèrent d’un même élan qu’une telle pathologie fait partie de ce que l’on ne veut plus voir. C'est la raison pour laquelle je m’étonne, monsieur le rapporteur, que l’on puisse parler de balance bénéfices–risques à ce sujet. Je soutiendrai donc les amendements de Bernadette Dupont.
Le principe de sélection opéré par le diagnostic prénatal est manifeste à travers la technique de l’assistance médicale à la procréation avec tiers donneur, comme avec celle du diagnostic préimplantatoire. Dans le premier cas, le généticien choisit de sélectionner le donneur pour l’appareiller au receveur ; dans le deuxième cas, il choisit quel embryon réimplanter.
Aujourd’hui, nous allons passer du diagnostic préimplantatoire à la pérennisation du « bébé-médicament », ce que le Conseil d’État considère comme une double transgression. C’est la raison pour laquelle je vous proposerai un amendement en la matière.
N’opérons-nous pas, dans toutes ces situations, le passage d’une logique aléatoire à une logique de détermination, passage aussi de la réalité du mystère de l’homme à cet homme défini biologiquement à partir d’un certain barème vital et fonctionnel ?
À quoi servent nos belles lois sur l’accessibilité pour les handicapés ? Ce qui constitue l’homme, n’est-ce pas sa capacité d’accueillir et d’aimer, éventuellement au prix de sa propre vie, pour que le plus vulnérable puisse vivre pleinement ?
À partir du moment où le souci de sécurité et le désir démesuré de tout connaître dominent la vie, n’aboutit-on pas à l’inverse, à ce qu’elle soit réduite et dévitalisée, à penser la vie moins comme un don que comme une réalité objectivable, jusqu’à vouloir maîtriser le temps ?
En effet, via la technique, le corps est désormais considéré comme un gisement précieux. Il fait l’objet d’un stockage, avec la cryoconservation du sperme, d’embryons et, demain, d’ovocytes. Nous sommes prêts à autoriser, sans contrepartie éthique, la vitrification ovocytaire alors qu’elle constitue un pas de plus vers une offre de fécondation in vitro qui dépassera de loin les seules indications médicales pour répondre aux demandes individuelles de femmes ménopausées, mais aussi pour la constitution, demain – les chercheurs le savent –, d’embryons anonymes.
De plus, comme le souligne Sylviane Agacinski, dans bon nombre de techniques, c’est toujours le corps de la femme qui se trouve instrumentalisé : un corps qui devient laboratoire, expérimentation, médicament, au profit des laboratoires, voire pour permettre la gestation pour autrui qui conduirait à la légalisation de l’abandon d’enfant.
Un homme est stocké hors du temps puisque la congélation d’embryons à moins 196 degrés a pour effet de suspendre le temps entre la conception et la venue au monde. Ainsi de cette femme de quarante-deux ans donnant naissance en 2010 à un enfant issu d’un embryon congelé depuis vingt ans, donné ensuite pour adoption à un autre couple !
Quelles limites fabriquons-nous ? Pour qui ? Pour quoi ? Pourquoi ces 150 000 embryons surnuméraires ? Ils sont en réalité destinés à la recherche, qui déroge à l’interdiction de créer des embryons pour les travaux des scientifiques en confiant aux seuls parents la responsabilité de fournir les embryons comme objets de recherche. Étrange conception, au regard de nos responsabilités, qui fait des parents soit les promoteurs soit les censeurs de la recherche !
Mais alors, l’embryon humain perdrait-il son droit à la dignité, faute de projet parental ? La personne âgée le perdrait-elle sans un projet filial porté par ses enfants ? Pourquoi, demain, ne pas retirer sa dignité à une personne isolée parce qu’elle n’aurait pas de projet fraternel porté par ses frères en humanité ?
La pratique du surnuméraire, qui va perdurer puisque le projet de loi la pérennise, validera une autorisation systématique de la recherche sur l’embryon, occultant les autres possibilités offertes par la science.
La science nous demande donc de ratifier un débat qu’elle estime avoir tranché. Sachons éviter cet écueil ! C’est la raison pour laquelle je vous proposerai un amendement tendant à limiter le nombre d’embryons surnuméraires.
Enfin, je veux évoquer la capacité de détruire l’être humain pour la recherche.
Sous la pression médiatique, les effets d’annonce occultent bien souvent les réelles avancées de la recherche et de la thérapie cellulaire. Pourquoi cette omerta sur les cellules souches issues du sang de cordon ombilical, alors que nous avons fait la première mondiale en 1987 et que, sans l’impulsion du Sénat, les cellules souches issues du sang de cordon seraient toujours considérées comme un déchet opératoire ?
Pourquoi invoquer toujours la difficulté de les stocker ? Pourquoi ne pas mettre en avant les travaux de nos médecins militaires qui offrent des applications thérapeutiques en cas de risque nucléaire, alors que les cellules souches embryonnaires ne permettent aujourd’hui – les médecins qui sont parmi nous le savent bien – que la modélisation de pathologies réalisables avec des cellules animales et des cellules souches pluripotentes induites ? Pourrions-nous faire comme si celles-ci n’avaient jamais existé ?
Pourrions-nous aussi omettre la récente révolution de nature juridique énoncée le 10 mars par le procureur de la Cour de justice de l’Union européenne ? Celui-ci indique : premièrement, que la notion d’embryon humain s’applique dès le stade de la fécondation à toutes les cellules souches embryonnaires totipotentes, dans la mesure où la caractéristique essentielle de celles-ci est de pouvoir évoluer en un être humain complet ; deuxièmement, qu’une invention doit être exclue de la brevetabilité lorsque la mise en œuvre du procédé technique soumis au brevet utilise des cellules souches embryonnaires dont le prélèvement a impliqué la destruction ou même l’altération de l’embryon.
Allons-nous nous mettre en porte-à-faux avec le droit européen en encourageant le criblage et la modélisation sur les cellules souches embryonnaires, alors que ces techniques, d’une part, n’ont qu’un but industriel et, d’autre part, peuvent être aussi bien faites sur des cellules souches pluripotentes induites ?
C’est la raison pour laquelle je vous proposerai de maintenir l’interdiction de la recherche quand celle-ci porte atteinte à la viabilité et à l’intégrité de l’embryon, car c’est bien ce qui fait une différence fondamentale.
On le voit, mes chers collègues, les développements biomédicaux confèrent à notre responsabilité des dimensions inouïes d’ambiguïté. Par les choix que nous ferons, nous traduirons une vision de l’humanité : soit nous considérons que c’est la science qui crée la vie, et donc que l’homme peut être un produit fabriqué par la science, soit nous considérons que c’est la vie qui crée la science et que la vie est un mystère qui nous dépasse, qui nous est donné et qui se donne, mais que nous voulons, avec notre raison, sans cesse maîtriser en la confectionnant nous-mêmes.
Oui, les avancées de la science doivent être souhaitées et saluées lorsqu’elles servent les êtres humains. Mais oui, ces avancées doivent être combattues lorsqu’elles se servent des êtres humains. C’est sur cette distinction et sur elle seule, mes chers collègues, que nous devons concentrer notre attention pour être parfaitement dans notre rôle de législateur. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – Mmes Anne-Marie Payet et Anne-Marie Escoffier applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Raymonde Le Texier.
Mme Raymonde Le Texier. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, au sein des commissions, que ce soit au cours des débats ou lors des auditions, le travail autour de ce projet de loi sur la bioéthique a été passionnant, riche et déstabilisant.
Nombreux sont ceux qui ont vu, au fil des discussions, leur avis se préciser ou, au contraire, les doutes surgir. Une chose est sûre : de telles interrogations appellent non pas tant des avis tranchés qu’un travail de raison, parfois ardu, quelquefois insatisfaisant mais toujours stimulant.
Le débat est passionnel parce qu’il touche à la vie et à sa transmission, parce qu’il parle à l’individu autant qu’il renvoie à la notion d’espèce.
Préserver la dignité de l’individu, tout en permettant le progrès médical, c’est accepter de gérer une tension permanente entre des valeurs à affirmer et un inconnu à déchiffrer.
La manipulation du vivant fait peur. Elle heurte la notion de sacré chez certains, mais fascine les hommes depuis très longtemps. Elle porte aussi en elle nombre de promesses et répond à nombre de détresses. Les couples qui ont fait appel à la procréation médicalement assistée peuvent en témoigner, ceux en attente d’un avenir possible pour un enfant aujourd’hui condamné également.
Vouloir donner la vie ou vouloir la sauver est toujours noble. Ce qui l’est moins, c’est la tentation d’en faire un commerce et de réduire l’humain à une marchandise. Cet écueil, les lois bioéthiques ont été mises en place pour l’éviter et elles y sont parvenues.
Pour autant, les progrès de la médecine comme l’avancée de la société impliquent que cet équilibre puisse être régulièrement « interrogé », à l’aune de l’évolution de la science, mais aussi de celle des mentalités. Voilà pourquoi nous trouvons dommage que la clause de révision ait été abandonnée.
Certes, la loi a pour vocation de tracer des cadres durables, au sein desquels peuvent s’inscrire des changements. Mais les questions de bioéthique que posent les avancées scientifiques en sont encore à leurs prémisses et il serait prématuré de trancher un débat alors que l’objet même de nos discussions est en pleine mutation et que notre société entame à peine son processus de réflexion.
J’en veux pour preuve la situation dans laquelle se retrouvent tous les groupes politiques. Les lignes de fracture traversent, en effet, l’ensemble des courants politiques, au point que, sur nombre de sujets que nous allons aborder, le vote sera individuel.
Si, au sein du groupe socialiste, nous pensons tous que la recherche sur l’embryon ou les cellules souches embryonnaires doit être soumise au régime de l’autorisation encadrée, nous sommes partagés dès que nous abordons la question de l’anonymat des dons de gamètes, la gestation pour autrui ou encore l’implantation post mortem.
S’agissant de la recherche embryonnaire, si nous sommes favorables à un régime d’autorisation encadrée, c’est d’abord parce que la situation actuelle, faite d’interdiction assortie de dérogations temporaires ou permanentes, est illisible pour les citoyens et ingérable pour les chercheurs. De fait, elle assimile ainsi la recherche à une transgression et dévalorise une approche scientifique en la transformant en une démarche sulfureuse. Cette situation a une incidence sur l’investissement nécessaire à la recherche, car les autres pays ne comprennent pas ce choix, et nos médecins, nos chercheurs, nos laboratoires s’interrogent sur la pérennité des travaux qu’ils pourraient entreprendre.
Une telle attitude nous a déjà fait prendre beaucoup de retard puisque, ailleurs, ces recherches avancent. Or je crois vraiment qu’il vaut mieux favoriser la recherche dans les pays où l’encadrement éthique est réel, comme le nôtre, plutôt que se réfugier dans une posture d’interdiction et laisser ainsi le champ libre à des pays moins scrupuleux et moins attachés à la notion de dignité humaine.
C’est pourquoi je tenais à saluer le travail effectué en commission et l’implication de notre rapporteur, qui nous a fait sortir de l’hypocrisie d’une vraie-fausse interdiction pour enfin mettre en place ce régime d’autorisation encadrée que les praticiens attendent tous.
M. Guy Fischer. Très bien !
Mme Catherine Tasca. Très juste !
Mme Raymonde Le Texier. Je ne doute pas que, sur ce point, notre assemblée confirmera l’avancée réalisée par la commission des affaires sociales et reconnaîtra ainsi l’investissement remarquable des chercheurs de renom que nous avons auditionnés.
En ce qui concerne le don de gamètes, la levée de l’anonymat a fait l’objet de débats particulièrement intéressants sur la question des origines. Ceux qui veulent préserver l’anonymat s’inscrivent souvent dans une démarche où le projet parental suffit à établir l’origine. Ils privilégient la notion d’histoire à écrire par rapport à l’origine biologique. Pour eux, l’intérêt de l’enfant réside dans l’amour qu’il peut recevoir, l’éducation qu’on lui dispense, l’avenir.
Tout en partageant ce point de vue, ceux pour qui l’anonymat doit être levé considèrent néanmoins que nul n’a le droit d’empêcher un enfant d’avoir accès à ses origines.
M. Charles Revet. C’est vrai !
Mme Raymonde Le Texier. Voilà pourquoi, après avoir longtemps hésité, j’ai décidé, pour ma part, de me prononcer en faveur de la levée de l’anonymat.
M. Charles Revet. Très bien !
Mme Raymonde Le Texier. Pour autant, je comprends fort bien la position de mes amis socialistes qui ont signé un amendement en sens contraire. Les observations qu’ils font sont pertinentes : pour un couple qui a un projet parental, il est plus facile de s’approprier le don de gamètes si celui-ci est désincarné ; les risques de baisse des dons et l’éventuelle augmentation du secret au sein des familles méritent également d’être pris en compte.
Toutes ces raisons, je les entends. Pour autant, peut-on refuser à une personne l’accès à l’intégralité de son histoire ?
Des débats de cette nature montrent bien que certaines questions ont besoin d’être revisitées, car nous ne pouvons pas aujourd’hui en mesurer toutes les conséquences. Se revoir dans cinq ans ne serait pas inutile, d’autant que nous n’avons pu dégager un consensus clair. Qui sait si, dans cinq ans, mes positions, ou les vôtres, n’auront pas évolué ! Et je choisis le terme de « position » à dessein, tant celui de « conviction » me semble, en la matière, inapproprié !
Autre point sur lequel les avis sont partagés, même si le groupe socialiste a clairement choisi de ne pas opérer de distinction entre stérilité médicale et stérilité sociale : la question de l’accès à la procréation médicalement assistée pour les couples homosexuels.
À partir du moment où nous nous accordons à dire que la filiation réside dans le projet parental et non dans la capacité biologique, pourquoi refuser l’accès à la procréation médicalement assistée – ou à l’adoption, d’ailleurs – à des couples homosexuels ?
Certes, si l’autorisation encadrée de la recherche sur l’embryon est finalement adoptée, nous aurons réglé des problèmes essentiels. Mais je considère que nous ne pouvons pas trancher définitivement les questions de nature sociétale. Elles méritent que l’on y revienne régulièrement, tant qu’un véritable consensus ne se fait pas jour.
La loi n’est pas un éteignoir ni un couvercle posé sur ce qui nous bouscule le plus. Sur ces thèmes-là, elle doit aussi faire confiance à l’évolution de sa société. Le débat sur la gestation pour autrui en est la preuve. L’amendement que certains membres du groupe socialiste présenteront sur ce sujet a pour objet d’ouvrir le débat. Cet amendement, qui émane d’une proposition de loi déposée par Michèle André, vise à autoriser la gestation pour autrui, tout en en définissant strictement le cadre : la gestation pour autrui ne concernerait notamment que les couples hétérosexuels dont la femme, faute d’utérus, ne peut porter un enfant.
La multiplication de ces pratiques à l’étranger et leurs conséquences en France s’imposent déjà à nous de manière très concrète. Nous connaissons tous le cas d’enfants nés d’une mère porteuse à l’étranger et dont l’état civil fait l’objet d’une bataille juridique. Des dizaines d’enfants se retrouvent aujourd’hui ainsi apatrides. Or, en privant ces enfants d’état civil, est-ce que l’on agit vraiment dans leur intérêt ?
Je ne crois pas qu’il soit possible d’apporter une réponse, quelle qu’elle soit, à cette question au détour d’un amendement, même si, en l’occurrence, j’en suis signataire. Je n’en regrette que plus l’absence d’une clause de révision ; mais peut-être n’est-il pas trop tard pour revenir sur ce point. C’est tout le sens d’un autre amendement du groupe socialiste. N’ayons pas peur d’assumer notre part d’incertitude en rétablissant l’obligation d’organiser de nouveaux rendez-vous législatifs autour des lois de bioéthique, et, surtout, acceptons la nécessité de laisser du temps au temps.
Souvent mauvaise conseillère, l’urgence n’est jamais un bon maître. À ce titre, la future loi ne prendra tout son sens qu’à la condition de ne pas constituer le cadre définitif que certains espèrent. L’immobilisme en la matière serait délétère.
À partir du texte frileux issu de l’Assemblée nationale, le travail réalisé au sein de la commission des affaires sociales a permis de proposer une rédaction à la hauteur des enjeux de notre recherche.
Soutenir le passage d’un principe d’interdiction des recherches sur les cellules souches embryonnaires à une autorisation encadrée serait tout à l’honneur des sénateurs. Le maintien de l’interdiction a certes ses partisans, mais nous souhaitons ardemment trouver ici une majorité afin que la future loi relative à la bioéthique ne soit pas un rendez-vous manqué. C’est donc avec autant d’espoirs que d’inquiétudes que le groupe socialiste aborde la discussion du présent texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier.
Mme Anne-Marie Escoffier. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme » : comment, en cet instant, ne pas nous remémorer cette sentence de Rabelais, homme de science, médecin et humaniste qui, déjà à la Renaissance, alertait les hommes sur le difficile équilibre entre le progrès scientifique et le respect des valeurs essentielles des vertus aristotéliciennes ?
Aujourd’hui, au milieu des grands cataclysmes que nous vivons, et dont certains ont été fabriqués par la main de l’homme, nous avons le devoir de nous interroger.
Mme Colette Mélot. Absolument !
Mme Anne-Marie Escoffier. Et ce devoir est absolu, incontournable lorsque la science s’intéresse non plus seulement aux choses, à la nature, mais à l’homme dans son essence même.
C’est là tout l’objet de l’éthique, dont la bioéthique n’est que l’une des formes, mais une forme qui touche à un enjeu d’humanité et met en cause, au plus profond de nous, notre conception de la vie. C’est un débat difficile – le plus difficile de tous – auquel nous sommes aujourd’hui confrontés, car, en ce domaine, il n’est pas de vérité.
Chacun des points de vue exprimés dans cette Haute Assemblée est respectable. Il est le reflet de la perception que l’on a du sens de la vie. Il est l’expression de notre conscience. Dès lors, notre devoir de parlementaire n’est-il pas d’inscrire dans une sorte de code de déontologie des principes pour ainsi dire universels, partagés, en faisant abstraction des techniques par définition évolutives, adaptables, qui contraindraient le législateur à un travail récurrent de mise à jour ?
C’est, me semble-t-il, le parti pris avec sagesse depuis la loi de 1994 qui a reconnu la primauté de la personne humaine et « le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie ».
Le principe de dignité de la personne humaine est le fondement même de la loi de bioéthique, revue une première fois en 2004 et soumise à une nouvelle révision aujourd’hui.
C’est d’ailleurs à ce titre que, fort opportunément, le premier article du texte de la commission – l’article 1er A – autorise la ratification de la convention du Conseil de l’Europe signée à Oviedo en 1997 et protège ainsi l’homme d’une application incontrôlée de la biologie et de la médecine.
Il n’en reste pas moins que se pose le problème grave de la distorsion entre les législations et réglementations des différents pays qui ne partagent ni les mêmes façons de penser ni les mêmes modes d’action. De là les dérives, dont nous avons déjà de trop nombreux exemples, que constituent la marchandisation des organes, voire du corps, le tourisme procréateur. De là, aussi, le risque, souvent évoqué, d’eugénisme lorsque l’homme joue au démiurge.
Mme Marie-Thérèse Hermange. Eh oui !
Mme Anne-Marie Escoffier. Le texte présenté par le rapporteur de la commission des affaires sociales et par le rapporteur pour avis de la commission des lois s’attache à trouver la voie médiane, juste, entre une attitude par trop conservatrice et une attitude progressiste à l’excès, hardie, répondant à certaines actions appuyées de lobbying, portées par une société qui me paraît parfois en perte de repères. Je n’en examinerai ici que quelques dispositions.
Si, aujourd’hui, le don d’organes et de moelle osseuse ne fait plus débat, assis sur le double principe de gratuité et d’anonymat, en revanche, le don de gamètes et d’ovocytes pose la difficile question, derrière l’aspect génétique, de l’hérédité et de l’héritage. À mon sens, la raison – mais s’agit-il bien là de raison ? – voudrait que ce don restât anonyme, pour que soient protégés tant le receveur que le donneur, mais en évitant au demeurant que, si cet anonymat est levé à la demande du receveur à sa majorité, le nombre des donneurs ne diminue dangereusement, risque que certains ont évoqué.
S’agissant des tests génétiques et de la médecine prédictive, le texte proposé me paraît avoir trouvé un juste équilibre parce qu’il prévoit un encadrement clair et laisse toujours à la personne concernée la liberté de sa décision : savoir ou ne pas savoir, être ou non informée des risques encourus si une anomalie génétique grave devait être décelée.
Juste équilibre, mais équilibre fragilisé par le sens donné aux formules « anomalie génétique grave » et « affection d’une particulière gravité » dans le diagnostic prénatal, selon que l’on se place du point de vue du patient ou de celui du médecin prescripteur. Chacun de nous a vécu ou connu des situations qui ne prenaient ni la même intensité ni la même gravité selon la place ou le rôle occupé. Et comment s’indigner de l’attitude de tel médecin prescripteur qui, soumis à la « mode » de la judiciarisation galopante, prend des précautions pouvant sembler abruptes ? Là encore, aucune vérité absolue : à chacun de se déterminer en conscience, librement.
Tout aussi difficile est le débat sur les cellules souches embryonnaires, qui font actuellement l’objet d’un régime d’interdiction assorti de dérogations.
Comment renoncer à traiter certaines maladies – Parkinson, diabète – grâce à une médecine régénératrice, reconstituant, au moyen de cellules souches, des organes défaillants ou des tissus ayant subi des lésions ? Ne revient-il pas à la recherche médicale d’essayer par tous les moyens de faire reculer ces maladies ?
Les cellules souches embryonnaires ont commencé à révéler leurs potentialités. S’arrêter au milieu du gué, ce serait condamner des avancées médicales dont on a déjà pu mesurer les bienfaits.
Le régime d’autorisation encadré par le texte, même s’il est loin de répondre au problème du statut de l’embryon, apporte des garanties auxquelles je peux adhérer.
J’en viens au douloureux problème de la gestation pour autrui. Douloureux parce que, je ne l’ignore pas, il existe des cas de maladie ou d’accident qui interdisent à des femmes d’être mères, ou plutôt de porter l’enfant du couple qu’elles forment avec leur conjoint.
Pour ces femmes, et sous des conditions strictes, il pourrait paraître légitime – ou du moins ne pas paraître illégitime – d’admettre le principe de la gestation pour autrui. Cependant je ne peux, en conscience, accepter le principe de ce contrat portant location d’utérus à des fins procréatrices, qui remet en cause la dignité de la mère porteuse, qui l’instrumentalise, en fait un outil vivant. Je m’interroge sur les conséquences de cette forme de commercialisation du produit humain, sur les marques, peut-être indélébiles, que pourrait laisser cette pratique dans la conscience de la mère porteuse. Quelles conséquences aussi sur l’enfant lui-même : qui est sa mère ? Quelle est, au juste, sa filiation ?
Je crois sage la position de la commission lorsqu’elle a choisi d’écarter les deux amendements « progressistes » qui auraient permis le recours à cette technique, une technique dont l’utilisation aurait pu être élargie à d’autres bénéficiaires.
Je pense que la commission a aussi été sage en voulant protéger la dignité des personnes et en remettant l’humain au cœur du débat, pour ne pas laisser la place première à la science seule.
Enfin la commission des affaires sociales et la commission des lois ont encore fait preuve de sagesse en faisant en sorte de garantir, dans le texte proposé, le développement intégral de l’homme. Ce développement exige de nous lucidité et responsabilité, deux qualités qui, je n’en doute pas, sont au cœur de notre Haute Assemblée. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur certaines travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Antoine Lefèvre.
M. Antoine Lefèvre. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, voter les lois de bioéthique est une grande fierté pour un parlementaire, mais c’est aussi un grand défi.
Voilà maintenant vingt-huit ans que la bioéthique fait partie de notre quotidien, depuis la création du Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé. Toutes nos sociétés sont concernées.
Certaines nations ont fait le choix d’une approche éthique moins exigeante et moins régulatrice que la nôtre. En effet, dans ce domaine, il n’existe pas de consensus international. La France, quant à elle, a pris le parti de respecter certaines valeurs essentielles qui cimentent notre société.
En effet, la bioéthique, la « morale du vivant », touche à l’intime conviction de chacun, et nous nous devons d’être prudents sur des sujets tels que le don croisé d’organes, la recherche sur l’embryon et les cellules souches, le diagnostic prénatal, la levée de l’anonymat, la conservation de gamètes et d’embryons, le transfert post mortem d’embryons ou encore la gestation pour autrui.
Les avancées scientifiques et les développements rapides des techniques médicales fascinent, et ce projet de loi suscite de grandes attentes, parfois contradictoires.
Nous devons donc, à travers notre législation, affirmer un certain nombre de valeurs, qui ne peuvent relever du « moins-disant » éthique, indépendamment de ce qu’autorisent nos voisins étrangers.
La prudence est requise sur tous ces sujets – par exemple, sur celui de l’euthanasie, qui a récemment déclenché de grands débats –, et l’actualité nous le rappelle parfois de façon dramatique.
Prudence, donc ! Mais sachons aussi, pour nos compatriotes, rester audibles.
Dans le temps qui m’est attribué, je ne développerai pas tous les thèmes de cette révision, révision pour laquelle nous serons amenés à nous retrouver de plus en plus fréquemment étant donné les nécessaires ajustements consécutifs aux avancées scientifiques importantes.
En tant que jeune parlementaire, mais aussi en tant que jeune père de famille, je vais m’efforcer de relayer, notamment, les attentes, très souvent fort douloureuses, de tous ces couples en désir d’enfant.
Je m’attacherai tout d’abord à la question de la procréation médicalement assistée. Actuellement, 20 000 enfants sur 800 000 naissent grâce à cette technique. Cela est loin d’être négligeable. Il peut s’agir d’insémination ou de fécondation in vitro, éventuellement avec don de sperme ou d’ovocytes. J’insisterai sur la possibilité d’autoriser – dans des limites temporelles très précises – le transfert d’embryon après le décès brutal du père, dès lors que celui-ci avait préalablement donné son consentement et qu’un processus de transfert, correspondant à un véritable projet parental d’assistance médicale à la procréation, était entamé.
Certains objecteront qu’une telle mesure conduit à « faire naître des orphelins », des enfants sans père. Reconnaissez néanmoins que ces enfants ne seraient pas seuls à être élevés dans une famille monoparentale et que bien d’autres enfants se retrouvent sans père.
Un enfant né dans de telles conditions reste l’enfant de l’amour de la mère et du père décédé, et un enfant peut se construire autour d’un père absent. Un père décédé est encore un père et il demeure une référence pour l’enfant.
Dans un avis très récent, le Comité consultatif national d’éthique affirme que « dans le cas du transfert d’un embryon conçu du vivant du père, le futur enfant a déjà une forme d’existence procédant des deux membres du couple ». Cette forme d’existence est bien différente de celle d’un enfant à naître dont la conception procéderait de l’utilisation post mortem du sperme d’un père mort depuis plus ou moins longtemps.
Enfin, lors des états généraux de la bioéthique, nos concitoyens ont qualifié l’actuelle impossibilité de transfert de « violence », estimant que « l’autorisation donnée à une femme de poursuivre une grossesse est apparue comme une évidence ».
La commission spéciale de l’Assemblée nationale a proposé d’ouvrir cette possibilité et elle a été suivie par les députés en première lecture. Je soutiendrai donc un amendement tendant à rétablir l’article 20 bis.
Je souhaite également insister sur le principe du maintien de l’anonymat relatif au don de gamètes, anonymat qui prévaut également pour les dons d’organes.
À ce jour, 50 000 personnes sont nées à partir de gamètes provenant de donneurs. Il ne faudrait pas, en revenant sur l’anonymat, même de façon partielle comme cela est aujourd’hui proposé, installer une sorte de discrimination entre les enfants ayant accès au nom de leur donneur et ceux qui, du fait du refus de ce dernier, n’y auraient pas accès.
Les conséquences de la levée de l’anonymat ne se résument pas à une chute prévisible du nombre donneurs. En effet, la préoccupante question du secret demeure. Alors que, dans le système actuel, moins d’un quart des enfants conçus à partir d’un don de gamètes sont informés de leur mode conception, on peut présumer que, dans le cas d’une levée de l’anonymat, les parents renonceront à livrer cette information à leur enfant.
Si le principe de l’anonymat est sans doute imparfait, il permet d’éviter des dérives et des conduites non éthiques. Je salue donc la position de la commission des lois sur le maintien de la suppression des articles 14 à 18, relatifs à la levée partielle de l’anonymat des donneurs de gamètes. Je proposerai également des amendements en ce sens puisque la commission des affaires sociales, saisie au fond, s’est prononcée dans un sens différent.
S’agissant du don d’organes, force est de constater le manque récurent de greffons. Ainsi, en 2010, faute de greffe, 277 patients sont décédés alors que seulement 28 % des Français ont spécifiquement exprimé leur refus de prélèvement.
La loi autorisant le don n’est pas bien appliquée, notre population n’est pas suffisamment informée, alors même que le principe de la transplantation est largement accepté.
Comme l’a signalé notre collègue député le professeur Jean-Louis Touraine, par ailleurs président de France transplant, qui n’a pas le souvenir d’un seul patient ayant opposé une réflexion philosophique lorsqu’une greffe lui a été proposée, nul n’est contre la transplantation quand il s’agit d’en bénéficier !
Or les circonstances dramatiques dans lesquelles la famille est appelée à faire éventuellement part d’un refus de don – exprimé de son vivant par la personne décédée – la conduisent souvent à prononcer un refus, et cela, parfois, sans doute, en contradiction avec la volonté du donneur potentiel.
Faciliter les dons croisés d’organes entre personnes vivantes et encourager le don d’organes reste donc une priorité.
Je parlerai rapidement de la gestation pour autrui, interdite en France. Le rapport publié en 2009 par le Conseil d’État insistait sur les dérives contraires aux droits de l’enfant qu’elle sous-tend.
Le 10 mars 2009, l’Académie de médecine s’est prononcée contre la législation des mères porteuses, alors qu’un rapport d’information du Sénat, établi en 2008, s’y déclarait favorable, sous réserve d’un encadrement très strict, et que le Comité consultatif national d’éthique estimait, en mai 2010, que la gestation pour autrui comportait des risques éthiques qui ne seraient abolis par aucun garde-fou législatif.
Je me félicite donc que cette disposition, pour des raisons évidentes de non-marchandisation du corps de la femme, ne figure pas dans le texte de la commission. Vous l’avez rappelé tout à l’heure, madame le secrétaire d’État.
Toutefois, cette interdiction française n’empêche pas les dérives et pousse à une sorte de « délocalisation procréative » qui n’est pas exempte de risques
La décision qui sera rendue demain par la Cour de cassation sur la retranscription de l’acte de naissance de deux petites filles nées d’une mère porteuse aux États-Unis est donc très attendue. Il faudra bien un jour trouver un cadre juridique pour les enfants nés de cette manière, car ils sont bel et bien là ! Quid de leur état civil ?
M. Guy Fischer. C’est vrai !
M. Antoine Lefèvre. S’il est vrai que les questions de bioéthique font appel à des principes et des convictions qui dépassent les clivages partisans, abordons cette révision dans le respect de l’avis de l’autre, avis qui se nourrit souvent des expériences humaines de chacun.
Pour ma part, je souhaite que ce texte puisse réunir le plus large des consensus. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi que sur plusieurs travées de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Payet.
Mme Anne-Marie Payet. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la discussion du projet de loi relatif à la bioéthique, que le Sénat entame cet après-midi, nous place loin des divisions politiques classiques qui opposent, sur de nombreux sujets, une droite conservatrice et une gauche moderniste. Il ne s’agit pas, ici, de raisonner par réflexe idéologique ou tradition partisane. Le débat qui nous anime est d’une tout autre nature : il s’agit de nous interroger sur la conception que nous nous faisons de l’homme et, en premier lieu, du fragile embryon humain.
Le texte qui nous est soumis appelle d’abord une réflexion générale. Depuis 1994, le législateur ne s’est pas départi d’une conception utilitariste de l’embryon humain. Cette conception le conduit à distinguer entre les embryons qui répondent à un projet parental et ceux que n’accompagne pas un tel projet, vulgairement appelés « embryons surnuméraires », comme s’ils étaient « en trop » pour l’humanité. Les uns, destinés à voir le jour, sont considérés comme des êtres humains, alors que les autres vont devenir, demain plus encore qu’en 2004, des matériaux de recherche pour les scientifiques. Dans les deux cas, pourtant, il s’agit bien, à la base, d’un même embryon humain.
Le critère de distinction entre ces deux catégories d’embryons est purement subjectif et tient au projet que leurs parents conçoivent pour eux. Est-il acceptable, dans une démocratie digne de ce nom, que l’humanité d’un être dépende d’un regard subjectif autorisé par le bon vouloir du législateur ? Au nom de quel principe un être humain, fût-il législateur, peut-il décider de nier l’humanité et les droits élémentaires de toute une catégorie d’êtres, sous prétexte que ce sont des embryons et ne répondent pas, ou plus, à un projet parental ?
La grandeur de la civilisation ne consiste-t-elle pas, au contraire, à reconnaître la dignité inaliénable et intangible de chaque être humain, quel que soit le «projet » que d’autres ont formé pour lui ?
Je ne peux, à cet égard, m’empêcher d’évoquer un rapprochement qui me vient à l’esprit. Il s’agit de la chosification, dans nos anciennes colonies, jusqu’en 1848, d’une autre catégorie d’êtres humains, du fait du «projet social » que d’autres avaient conçu pour eux et malgré eux.
Mme Marie-Thérèse Hermange. Très bien !
Mme Anne-Marie Payet. Comme le soulignait à l’époque Victor Schœlcher à propos de l’abolition de l’esclavage, « la République n’entend plus faire de distinction dans la famille humaine. Elle ne croit pas qu’il suffise, – pour se glorifier d’être un peuple libre –, de passer sous silence toute une classe d’hommes tenue hors du droit commun de l’humanité. Elle a pris au sérieux son principe… Par là, elle témoigne assez hautement qu’elle n’exclut personne de son éternelle devise : Liberté, Égalité, Fraternité. »
Ces phrases auraient-elles perdu de leur actualité ? On pourrait être conduit à le penser !
Prenons, par exemple, le cas du « bébé médicament », qui n’est plus voulu pour lui-même, mais pour sa compatibilité génétique avec un frère ou une sœur malade déjà né. Imaginez les réactions psychologiques d’un enfant à qui l’on annoncerait que son patrimoine génétique ne doit rien au hasard, mais tient au fait que son cordon ombilical était recherché pour soigner son frère !
L’interrogation demeure aujourd’hui ! L’être humain ne peut être voulu que pour lui-même, et non d’abord parce qu’il répondait hier à un « projet social » et qu’il répond aujourd’hui à un « projet parental » ou à un « projet » de guérison d’un frère ou d’une sœur !
Venons-en maintenant au cœur du projet de loi.
Deux dispositions, modifiées par la commission des affaires sociales du Sénat, ont particulièrement retenu mon attention. Il s’agit, d’une part, de l’extension de la proposition du diagnostic prénatal et, d’autre part, de l’autorisation de la recherche sur les embryons.
La commission des affaires sociales du Sénat a rejeté l’amendement sur le dépistage prénatal voté par l’Assemblée nationale, qui dispose que les médecins proposent le dépistage prénatal aux femmes enceintes « lorsque les conditions médicales le nécessitent ». Supprimer cette dernière limite revient à soutenir que les médecins sont tenus de proposer ce dépistage prénatal à toutes les femmes enceintes, de façon systématique.
Juridiquement, cela instaure un eugénisme d’État ! En effet, on inscrit dans la loi un élément de contrainte qui s’imposera aux médecins à une étape déterminante du dispositif. Il est important d’avoir à l’esprit que 96 % des fœtus diagnostiqués porteurs de trisomie 21 donnent lieu à une interruption médicale de grossesse et que le prélèvement du liquide amniotique à travers l’abdomen provoque deux fausses-couches d’enfants « normaux » pour une trisomie dépistée !
L’obligation, pour les médecins, d’organiser un dépistage prénatal induit une problématique d’eugénisme particulièrement aiguë, après quinze ans de pratique pour la trisomie et, aujourd’hui, en raison de la mise au point permanente de nouveaux tests ainsi que de la volonté de prévenir tout risque.
La trisomie 21 est particulièrement visée par ce dépistage. On signifie donc aux futures mères et à toute la société qu’il serait insupportable d’assumer la maternité d’un enfant atteint de trisomie 21 ! Quel signal envoyons-nous alors aux familles qui ont fait le choix d’accueillir un enfant trisomique ! Cette évolution pourrait être la source d’une tragique stigmatisation de ces personnes !
Imaginez que le dépistage prénatal existe depuis longtemps et que l’on ait ainsi pratiqué au cours des siècles passés cette sélection de l’enfant sans maladie. De grands génies comme Mozart, atteint du syndrome de la Tourette, Beethoven, atteint de la maladie de Paget, ou encore Lincoln et Mendelssohn, victimes du syndrome de Marfan, et bien d’autres auraient été éliminés avant même de voir le jour ! Aujourd’hui, à chaque jour qui passe, c’est Mozart qu’on assassine, non pas musicalement mais physiquement !
Imagine-t-on parvenir à ce « meilleur des mondes » que dépeint si bien Aldous Huxley sans nous amputer d’une grande part de notre humanité, du génie de certains et de l’apport considérable d’autres ? Et tout cela au nom de l’efficacité économique, du refus de la faiblesse ou, pis, du confort ?
Je ne peux pas ne pas vous renvoyer à l’article 16-4 du code civil, aux termes duquel « toute pratique eugénique tendant à l’organisation de la sélection des personnes est interdite ».
S’agissant de la recherche sur les embryons, la commission a voté le passage d’un régime d’interdiction avec dérogations à un régime d’autorisation. Ce choix signe une rupture radicale avec le choix de la France de respecter la vie et la dignité de l’embryon humain dès le commencement de son développement. L’article 16 du code civil dispose que « la loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie ».
Si l’on veut prendre les problèmes à leur source, il faut réduire le nombre d’embryons « surnuméraires », car les chercheurs justifient leur utilisation à des fins de recherche en arguant de l’inutilité de ces embryons dans les congélateurs des CECOS dès lors qu’ils ne répondent plus à aucun «projet parental ». N’effectuer aucune congélation et réimplanter immédiatement les embryons artificiellement fécondés me paraît constituer la solution la plus sage. J’ai déposé des amendements en ce sens.
Le législateur ne se donne-t-il pas un pouvoir illimité sur l’être vivant ? Le philosophe Jürgen Habermas, dans son ouvrage L’Avenir de la nature humaine. Vers un eugénisme libéral, met solennellement en garde l’Occident contre une telle dérive : « Doit-on laisser les sociétés réguler notre destin génétique ? »
Pour ma part, mes chers collègues, je vous invite à réfléchir en conscience aux enjeux éthiques que recèle un tel projet. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel.
M. Jean-Pierre Michel. Monsieur le président, mes chers collègues, comme l’ont dit tous les intervenants qui m’ont précédé, ce débat est difficile, car le parlementaire doit à la fois concilier des impératifs souvent contradictoires et trancher. Le choix sera peut-être douloureux pour tel ou tel d’entre nous, mais notre devoir est de nous abstraire des conditionnements aliénants que notre vie, notre éducation, nos convictions religieuses ou nos origines nous imposent souvent, pour appréhender l’intérêt général.
En l’occurrence, la recherche de l’intérêt général par le législateur trouve son origine, me semble-t-il, dans le progrès scientifique et médical qui nous épouvante souvent, mais aussi dans l’évolution de la société, au sein de laquelle des demandes nouvelles, des débats inédits, liés à ce progrès, surgissent et nous interpellent vivement.
La question de savoir si le progrès technique en matière médicale est synonyme de progrès humain a été tranchée depuis longtemps : par la négative.
Il nous appartient donc d’encadrer, en tenant compte des attentes de la société, des possibilités nouvelles qui s’offrent à nous et de nos valeurs communes, notamment l’intérêt de l’enfant à naître.
Pour ma part, je pense qu’il n’existe pas un droit à l’enfant, mais plutôt le droit pour des enfants d’avoir une famille, et il me semble que l’adoption peut être une réponse pour de nombreux couples en détresse. (Mme Bernadette Dupont applaudit.)
Mme Marie-Thérèse Hermange. Très bien !
M. Jean-Pierre Michel. Je me bornerai ici à évoquer des questions tournant autour de la procréation médicalement assistée au sens large, c’est-à-dire la venue au monde d’enfants par des voies qui ne sont pas considérées comme naturelles.
Mes positions suivront un double fil conducteur.
Tout d’abord, j’ai toujours pensé que ce qui différenciait essentiellement l’homme, l’homo sapiens, des autres animaux, c’est qu’il s’inscrit dans une lignée, qu’il connaît ses origines : il doit donc pouvoir les connaître. Je suis par conséquent favorable à la levée de l’anonymat en ce qui concerne le don de gamètes.
J’entends bien les objections mais, pour moi, elles se heurtent au principe fondamental que je viens d’énoncer. Je ne crois pas, contrairement à Mme Françoise Héritier, que l’éducation seule peut structurer la personne. La filiation n’est pas seulement un acte de reconnaissance sociale, c’est aussi un acte biologique.
Soyons francs : si une grande majorité de personnes se prononcent contre la levée de l’anonymat, c’est peut-être parce que celui-ci est le principe pervers sur lequel repose l’ensemble des lois de bioéthique, (Mme Monique Cerisier-ben Guiga applaudit.)…
Mme Marie-Thérèse Hermange. Exactement ! Bravo !
M. Jean-Pierre Michel. … notamment les dispositions concernant la procréation médicalement assistée.
Je n’accepte pas le postulat de l’anonymat. J’entends les demandes angoissées de ceux qui, sans pour autant vouloir transformer leur cercle familial, cherchent à savoir d’où ils viennent et je suis convaincu que l’on ne peut construire une société sur le mensonge et la dissimulation.
À cet égard, le Conseil d’État, dans son avis de 2009, a dit mieux que moi ce qu’il fallait en penser. Il s’agit principalement d’une démarche tendant à mieux se construire personnellement et psychologiquement, non dans le but d’avoir un autre père ou une autre mère, mais pour ne pas vivre dans l’ignorance ou le mensonge. Je crois que l’on peut souscrire à cet avis.
Ma position sur la procréation médicalement assistée a été dictée en grande partie par ce que je viens de dire. D’ailleurs, lors du vote sur la première loi de bioéthique, à l’Assemblée nationale, j’avais déjà voté contre la procréation médicalement assistée avec un tiers donneur.
Mme Marie-Thérèse Hermange. Très bien !
M. Jean-Pierre Michel. Ma position est également fondée sur l’idée que la médecine, la technique peuvent pallier des insuffisances ou des impossibilités, mais qu’elles ne peuvent en définitive se substituer à la nature pour donner naissance à des enfants de nulle part, venus d’on ne sait où.
Eux-mêmes, bien sûr, ne savent pas non plus d’où ils viennent, et le code civil leur donne une filiation qui me paraît aujourd’hui totalement hypocrite, car, un jour, par le biais de l’ADN, ils pourront savoir que les mentions figurant sur leur état civil ne correspondent pas à leur père ou à leur mère.
Même s’il existe de véritables détresses parentales, il convient de rester serein. Bien entendu, à mon sens, la famille n’est pas déterminée par le mariage, et j’accepte la procréation médicalement assistée pour d’autres couples que les couples mariés, mais avec des gamètes issus d’au moins l’un de ceux qui seront les parents juridiques de l’enfant.
C’est la raison pour laquelle je me prononcerai en faveur de la gestation pour autrui telle qu’elle est encadrée dans le rapport d’information de 2008, Contribution à la réflexion sur la maternité pour autrui, rédigé au nom de la commission des lois et de la commission des affaires sociales du Sénat, et issu du groupe de travail « Maternité pour autrui » présidé par Michèle André, dont Alain Milon ainsi que notre ancien collègue M. de Richemont étaient rapporteurs et dont je faisais moi-même partie.
Sur ce sujet, nous avons entendu les uns et les autres, nous avons encadré, et nous nous sommes rendus dans certains pays étrangers, notamment en Grande-Bretagne, où la loi est réduite au minimum : elle n’interdit rien, donc la gestation pour autrui est permise ; simplement, comme nous l’a affirmé le représentant du ministère de la santé, toute marchandisation est évitée. Les choses sont donc moins compliquées que chez nous !
En revanche, je ne voterai pas l’autorisation de transfert d’embryon post mortem. En effet, je redoute qu’un enfant né dans ces conditions, surtout s’il s’agit d’un garçon, ne rencontre ultérieurement de graves difficultés psychologiques, dues au transfert inévitable des sentiments que la mère opérera sur lui.
M. Paul Blanc. C’est vrai !
M. Jean-Pierre Michel. Je suis bien conscient, mes chers collègues, que mes positions ne seront pas intégralement partagées, y compris au sein du groupe auquel j’appartiens, mais c’est le pari audacieux de ce débat, et c’est aussi ce qui le justifie.
La loi ne peut arrêter le mouvement ; dès lors, elle doit l’accompagner socialement et politiquement pour qu’il acquière des structures et un cadre reconnus.
Telle est la tâche à laquelle nous devons nous atteler, en tenant compte des consensus qui « enjamberont » certainement nos lignes de partage habituelles. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur quelques travées du groupe CRC-SPG et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Bernadette Dupont. (Applaudissements sur plusieurs travées de l’UMP.)
Mme Bernadette Dupont. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le projet de loi relatif à la bioéthique voté par l’Assemblée nationale nous revient aujourd’hui, et il nous appartient de l’accepter, de le consolider ou de le rejeter.
J’opterai pour la consolidation, car l’accepter en l’état, ce serait laisser la porte ouverte, par certaines ambiguïtés, à toutes sortes d’interprétations et le rejeter, ce serait nier les avancées proposées.
Cette loi sera fondamentale : elle est un enjeu d’humanité. Le respect de la dignité humaine, sujet déjà évoqué lors de précédents débats de société suivis avec beaucoup d’attention par nos concitoyens, en est le premier principe. Nos concitoyens sont en effet conscients de la gravité du vote de leurs représentants et restent partagés entre, d’une part, les avancées prometteuses de la science et de la technique et, d’autre part, les risques d’exploitation biologique et de marchandisation du corps humain. L’enjeu est vertigineux !
Le progrès ne peut et ne doit exclure la réflexion éthique.
D’autres, mieux que je ne saurais le faire – en particulier Marie-Thérèse Hermange, à laquelle je veux rendre hommage –,…
M. Charles Revet. Très bien !
Mme Bernadette Dupont. … ont abordé ou aborderont des sujets comme la procréation médicalement assistée, le tri et le double tri d’embryons, les embryons surnuméraires, la recherche sur l’embryon et les dérogations possibles, le transfert d’embryon post mortem, la gestation pour autrui, avec toutes les conséquences induites, dont le non-respect de l’indisponibilité du corps humain. Pour ma part, je me concentrerai sur quelques articles.
À tous les articles titre II concernant les dons d’organes en vue de greffe, on ajoute subrepticement des dispositions relatives au don de gamètes. Or celui-ci ne peut être inclus dans une campagne « don de vie ». Il est fondamentalement le « don de la vie », et non un objet de greffe au sens habituel du terme.
Mme Marie-Thérèse Hermange. Exact !
Mme Bernadette Dupont. Le don de gamètes ne peut faire l’objet que d’un traitement tout à fait unique.
Au titre III, qui traite du diagnostic prénatal, l’amendement proposé par Jean Leonetti est sage et fondamental, les examens étant prescrits « lorsque les conditions médicales le nécessitent ». Je sais qu’il est contesté par nombre de spécialistes de la grossesse, médecins, sages-femmes, par notre commission des affaires sociales, autant qu’il est approuvé par d’autres. Vous le comprendrez, je suis de ceux-ci.
En effet, on ne peut envisager d’obliger chaque femme enceinte à subir des examens qui ne sont pas sans risque pour l’embryon, qui n’offrent aucune garantie quant au résultat et qui sont aussi susceptibles de rendre anxiogène une grossesse, laquelle constitue tout de même le rôle essentiel de la femme et doit rester une période d’espérance confiante et sereine pour la plupart des femmes.
Dans le diagnostic prénatal, j’insisterai particulièrement sur les examens systématiques de dépistage de la trisomie 21. À cet égard, je remercie Anne-Marie Payet de la très belle déclaration qu’elle a faite sur le sujet. Cette anomalie chromosomique non létale n’a ni prévention ni thérapie possible in utero. Une fois qu’elle est détectée, il reste donc le recours à l’avortement, pour lequel de fortes pressions sont couramment exercées puisque, Anne-Marie Payet l’a rappelé, sur les 92 % de cas diagnostiqués, 96 % aboutissent à la suppression du fœtus.
Pourquoi cette sélection, qui va à l’encontre de l’article 16 du code civil et qui est discriminatoire : critère biologique ou même, irai-je jusqu’à dire, « délit de faciès » ? Raisons psychologiques, raisons économiques, raisons systémiques ? Est-ce une philosophie ? Dans tous les cas, c’est à n’en pas douter une forme d’eugénisme, hors de l’intérêt supérieur de l’enfant et de son humanité, qui soulève la question du regard que la société posera sur celui qui naîtra malgré tout et sur sa famille, mais aussi sur celui qui naîtra en étant porteur d’un autre handicap non détecté et tout aussi invalidant. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – Mme Anne-Marie Payet applaudit également.)
À vouloir lisser, on engendrera des conflits, et notre société apportera la preuve qu’elle est incapable d’accueillir les plus vulnérables d’entre nous, pourtant moteurs de solidarité et de fraternité.
Je vois cependant, à l’article 12 bis, une lueur d’espoir puisqu’il prévoit des pistes de financement et de promotion de la recherche médicale pour le traitement de la trisomie 21, à laquelle la commission des affaires sociales ajoute les anomalies cytogénétiques. La presse de ce jour livre la nouvelle d’un essai thérapeutique encourageant : il s’agit d’une molécule testée en Espagne qui a un effet positif sur la mémoire et la psychomotricité, modifiant ainsi, dans la trisomie 21, l’effet néfaste du chromosome surnuméraire.
Je souscrirai par ailleurs volontiers à la nécessité d’une formation, dans le cursus universitaire, à l’annonce du diagnostic pessimiste. Top peu de médecins sont aujourd’hui capables d’accompagner une famille à qui est révélé ce diagnostic, tout simplement parce qu’ils sont désemparés.
Parmi les points positifs, il faut également retenir le fait de proposer, lorsqu’il y a suspicion avérée d’une grossesse à risque, une liste d’associations spécialisées dans la maladie ou le handicap dépistés.
De même, l’article 13 bis prévoit un temps de réflexion avant toute décision et c’est essentiel, comme l’est le dialogue confiant entre la femme enceinte et son médecin, pour qui une formation à l’annonce du diagnostic pessimiste me paraît décidément nécessaire.
Le titre V traite d’un sujet qui suscite de fortes discussions, tant il est sensible.
Il me semble pertinent de décider d’une levée à tout le moins partielle de l’anonymat du don de gamètes si l’enfant devenu majeur est demandeur. Cela s’inscrit dans le cadre de la Convention internationale des droits de l’enfant, signée par la France, qui stipule que tout enfant a droit à la connaissance de ses origines. Par ailleurs, parentalité et hérédité ne se contredisent pas.
Mais ce projet protège-t-il les droits de l’enfant ou privilégie-t-il le droit à enfant ? Il ne fait nulle part référence à l’intérêt supérieur de l’enfant.
Ce texte, dans ses contradictions, a besoin d’être encore resserré.
Je terminerai en insistant pour que la loi votée fasse l’objet, au fil du temps, d’un suivi régulier par le Parlement, à la fois au regard de son exécution et en fonction des résultats de la recherche.
Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales. Très bien !
Mme Bernadette Dupont. L’homme pour la science ou la science pour l’homme ? Une question que l’on ne saurait ignorer et qui engage le législateur que nous sommes. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste. –Mme Anne-Marie Escoffier applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Roselle Cros.
Mme Roselle Cros. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, rendez-vous désormais régulier, la révision des lois de bioéthique est un temps à part de la vie parlementaire.
Elle s’impose aujourd’hui non seulement au vu des évolutions rapides de la science et des technologies médicales, mais aussi au regard des changements des mentalités et des demandes de notre société. Le contexte de 2011 n’est plus celui de 2004.
Faisant appel aux principes éthiques et aux convictions philosophiques ou religieuses autant qu’à l’engagement politique, la réflexion de chacun transcende les clivages partisans.
Avant d’entrer dans l’examen du texte, j’aimerais rappeler que la France est le premier pays d’Europe à s’être doté d’une législation complète en matière de bioéthique, posant des principes forts, rappelés par M. le rapporteur, privilégiant le projet collectif tout en s’efforçant de respecter l’autonomie individuelle.
Nous nous félicitons donc que, sous l’impulsion de la commission des affaires sociales, le projet autorise la ratification de la convention d’Oviedo sur les droits de l’homme et la biomédecine, inspirée des lois de 1994.
Quels sont les principaux enjeux scientifiques et sociaux du texte ?
Le premier est le droit à l’information.
Je souscris pleinement à la réécriture de la procédure d’information de la parentèle en cas d’anomalie génétique grave. Il est toutefois souhaitable de la compléter en prévoyant le cas où un donneur de gamètes apprendrait qu’il est atteint d’une telle affection : il faudrait alors permettre à l’enfant ou aux enfants issus de ses dons d’être informés. Je défendrai un amendement en ce sens.
De même, compte tenu de la pénurie d’organes disponibles pour les greffes vitales, je suis très favorable à l’élargissement du cercle des donneurs vivants par l’autorisation encadrée du don croisé d’organes.
L’insuffisance de dons d’organes n’en restera pas moins problématique, et c’est pourquoi nous attendons beaucoup de la mission confiée par le présent texte à l’Agence de la biomédecine, qui vise à amplifier les campagnes de sensibilisation menée par cette dernière en direction des jeunes. Je voudrais d’ailleurs rendre hommage à cette agence, qui encadre les quatre domaines du prélèvement et de la greffe, de la procréation, de l’embryologie, de la génétique, et dont le sérieux et la qualité du travail sont unanimement reconnus.
Le don étant un acte de générosité encore peu répandu dans notre culture, il y a lieu d’encourager les prélèvements de sang de cordon, qui permettent d’effectuer des greffes allogéniques, dont le nombre a plus que quadruplé ces dernières années, avec des résultats thérapeutiques incontestables.
Pour cela, les campagnes de sensibilisation doivent être renforcées, tant en direction des cliniques dotées de services d’obstétrique qu’auprès des sages-femmes, souvent réticentes du fait de réelles difficultés techniques.
Le droit à l’information et le désir de savoir posent des questions plus délicates lorsqu’il s’agit du diagnostic prénatal. Les députés proposent que des examens de biologie médicale et d’imagerie ne soient proposés aux femmes enceintes que « lorsque les conditions médicales le nécessitent ». Mais c’est faire porter au médecin une responsabilité qui comporte une large part d’incertitude et de subjectivité. Cela revient aussi à introduire une inégalité entre les femmes les mieux informées et les autres. C’est à la femme, bien éclairée et conseillée par le médecin, que doit revenir la décision. Il ne s’agit pas d’un dépistage systématique mais bien d’une proposition. Et quand bien même une anomalie serait décelée, la femme a toujours le choix – c’est heureux ! – de poursuivre ou non sa grossesse et de se faire accompagner pour assumer sa décision et, le cas échéant, mieux préparer la naissance.
Je soutiens également la position de la commission des affaires sociales en ce qui concerne l’implantation embryonnaire post mortem. L’autoriser, c’est faire peu de cas de l’intérêt de l’enfant, délibérément privé de père et chargé d’une lourde mission, celle d’être un « enfant-souvenir ».
Un autre volet du droit à l’information concerne le régime du don de gamètes. L’Assemblée nationale a voulu conserver le principe de l’anonymat. Notre commission a adopté une position totalement inverse, en autorisant la révélation de l’identité à l’enfant devenu majeur, s’il la demande.
Il nous faut concilier les intérêts des trois parties concernées : celui d’un couple qui ne souhaite pas nécessairement partager un secret susceptible de déstabiliser l’équilibre familial, celui du donneur, qui, ignorant son devenir, ne peut présager de sa réaction dix-huit ans plus tard, mais aussi celui de l’enfant, qui, se sachant issu d’une assistance médicale à la procréation, éprouvera, comme tout un chacun, le désir inné de connaître ses origines.
Le texte initial du Gouvernement me semble être celui qui concilie le mieux les intérêts des trois parties, sans risquer de dissuader les donneurs. Ainsi, le donneur décide de permettre soit l’accès à son identité, soit l’accès à tout ou partie des données non identifiantes prévues par l’article. Je proposerai donc de rétablir ce texte.
Le deuxième enjeu fort de ce projet est le devenir de la recherche sur l’embryon et les embryons surnuméraires, avec le possible développement de la médecine régénérative, soit à des fins thérapeutiques, soit dans le but de réparer des tissus ayant subi de graves lésions. Eu égard à l’importance de l’enjeu – l’avenir de ce champ de la recherche –, on ne peut interdire totalement cette piste.
Toutefois, considérant qu’aucun début de résultat n’a été constaté et prenant en compte le risque de heurter les convictions de nombre de nos concitoyens, le statut actuel, fait d’une interdiction assortie, le cas échéant, de dérogations, paraît demeurer approprié.
Le dernier enjeu est sociétal : il concerne la gestation pour autrui, pour laquelle il existe une demande, certes réelle, mais faible en nombre. Je ne suis pas favorable à l’instrumentalisation du corps de la femme, doutant de l’existence de motivations non lucratives, et je suis sensible aux arguments des psychanalystes et psychiatres qui soulignent les dangers de la GPA pour l’enfant, pour la femme qui le porte et pour les familles concernées. Enfin, je pense qu’aujourd’hui notre société elle-même n’est pas mûre pour accepter cette pratique.
En conclusion, j’aimerais remercier la commission des affaires sociales et sa présidente, Muguette Dini, et féliciter son rapporteur, M. Alain Milon, qui a su mener, dans le respect des convictions de chacun, les nombreuses auditions qui ont instruit et nourri notre réflexion. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard.
M. Jean Desessard. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, avant d’entrer dans le vif de ce projet de loi relatif à la bioéthique, je souhaiterais faire quelques remarques sur la méthode.
Il me semble que, face à un texte qui ne fait l’unanimité au sein d’aucun groupe politique, qui touche chacun d’entre nous dans ses convictions les plus intimes, qui fait appel à nos expériences, à nos valeurs, à notre conception de l’homme, de l’éthique, et donc de la bioéthique, nous allons un peu trop vite.
Adopté à l’Assemblée nationale le 15 février dernier, ce projet de loi vient en discussion au Sénat sept semaines plus tard, alors que nos travaux ont été suspendus pendant pratiquement trois semaines.
Au-delà du fait que nous avons été pris de court, qu’un remaniement est intervenu entre le passage de ce texte en conseil des ministres et son examen par le Parlement, je déplore également l’absence de constitution d’une commission spéciale pour étudier le projet.
Je pense aussi que ce texte aurait dû être élaboré bien plus tôt. Nous avons en effet deux ans de retard sur le calendrier : le précédent texte relatif à la bioéthique date de 2004 et il aurait dû être révisé après cinq ans. En ne respectant pas cette « clause de revoyure », madame la secrétaire d’État, vous avez laissé passer la date d’expiration du moratoire sur l’interdiction de la recherche sur l’embryon. En conséquence, l’Agence de la biomédecine ne peut plus délivrer d’autorisation de recherche, faute pour le Gouvernement et le Parlement d’assumer leurs responsabilités !
Je le dis dès à présent et je le répéterai au long des débats : il est nécessaire de prévoir des dates de révision des lois de bioéthique et, surtout, de s’y tenir ! Le progrès technique va souvent plus vite que le droit, pourtant censé l’encadrer.
Voilà pour la méthode. Penchons-nous à présent sur le projet de loi qui nous est proposé.
Je tiens tout d’abord à saluer le travail de la commission des affaires sociales, qui a permis d’améliorer le texte voté à l’Assemblée nationale.
Je salue ainsi la disparition de l’article 4 quater, qui introduisait un cavalier législatif supprimant l’ordonnance Ballereau et, par là même, l’encadrement de la profession de biologiste médical.
Je me réjouis également du toilettage de certains articles, notamment de la suppression de la « reconnaissance de la Nation » à l’égard des donneurs d’organe, disposition particulièrement inutile et ridicule.
Enfin, les membres de la commission, dans leur sagesse, ont également substitué au régime d’interdiction avec dérogations de la recherche sur les embryons, qui était parfaitement hypocrite, un système d’autorisation assortie de conditions et de garanties.
Cependant, ces améliorations restent marginales, tant ce projet de loi relatif à la bioéthique s’avère insuffisant et sans ambition.
Les avancées législatives majeures se font rarement dans le consensus, passant au contraire par des débats parlementaires passionnés, seuls à même de permettre de dépasser le statu quo et l’immobilisme.
Il y a des lois qui ne deviennent consensuelles qu’après leur adoption, comme celles sur la contraception, l’interruption volontaire de grossesse, le PACS… Nos prédécesseurs ont eu le courage et le mérite d’inscrire ces débats à l’ordre du jour.
Aujourd’hui, nous sommes confrontés à un projet de loi sans envergure, du fait des tabous portés par les courants les plus traditionalistes de la majorité.
Tabou sur l’interruption de grossesse : trente-cinq ans après l’adoption de la loi Veil, on trouve dans ce projet de loi des dispositions qui traduisent un recul des droits des femmes en matière d’accès à l’interruption volontaire de grossesse. En dépit du temps qui s’est écoulé, les obstacles persistent, et nous devons rester vigilants pour défendre encore et toujours l’accès à l’avortement. Quand ce droit sera-t-il totalement acquis ?
Tabou sur les dons des homosexuels. La France manque de donneurs, notamment de sang et d’organes. Des personnes meurent faute d’être transfusées. L’an dernier, 277 personnes sont décédées du fait du manque de greffons. Plus de 10 000 autres figurent sur les listes d’attente cette année. Alors, quand allons-nous enfin autoriser nos concitoyens homosexuels à pouvoir effectuer cet acte citoyen qu’est le don de sang ou le don d’organe pour sauver des vies ? J’espère que notre assemblée aura enfin la lucidité de rectifier cette interdiction archaïque.
M. René-Pierre Signé. Elle n’a pas de justification !
M. Jean Desessard. Tabou sur l’assistance médicale à la procréation, qui reste interdite aux femmes célibataires et aux couples de femmes, alors même que les femmes célibataires sont autorisées à adopter des enfants. Combien de temps va-t-on maintenir cette entrave au droit de fonder une famille en raison de son choix de vie ou de son orientation sexuelle ?
Tabou sur la gestation pour autrui : le projet de loi relatif à la bioéthique n’aborde même pas la question de la reconnaissance juridique des enfants nés d’une GPA à l’étranger. Pourtant, en mars 2010, la cour d’appel de Paris a confirmé que deux jumelles nées d’une mère porteuse américaine – la GPA est légale en Californie – étaient bien les enfants d’un couple français. Néanmoins, elle a refusé la transcription des actes d’état civil… Et ce n’est pas un cas isolé : de plus en plus de parents ont recours à la GPA à l’étranger, faute de pouvoir le faire en France. Voulons-nous condamner ces enfants sans papiers à être « juridiquement orphelins » ?
Tabou sur la fin de vie, enfin. Le choix de l’aide médicalisée à mourir n’est toujours pas proposé aux personnes en fin de vie, preuve du manque de considération pour les dernières volontés des malades.
En ce qui concerne les souhaits des personnes en fin de vie, je précise d’ailleurs que les écologistes soutiendront l’amendement de M. Sueur visant à protéger juridiquement la volonté exprimée, de son vivant, par un donneur d’organe potentiel.
De tabou en tabou, globalement, les sénatrices et sénateurs écologistes ne notent aucune avancée dans ce projet de loi en matière de respect de l’autonomie des personnes, c'est-à-dire de possibilité de décider pour elles-mêmes, en connaissance de cause, en fonction des choix que la science leur permet.
Nous ne souhaitons pas édicter un modèle unique de vie, allant de la procréation à la mort, voire au-delà. Cependant, je suis profondément convaincu que nos concitoyens aspirent à la liberté de disposer de leur corps tout au long de leur vie.
Les Français le savent bien, ouvrir des possibilités n’a jamais obligé personne à les mettre en œuvre. Permettre le diagnostic prénatal n’oblige personne à procéder à une interruption médicalisée de grossesse. Avoir autorisé le PACS n’a empêché aucun couple hétérosexuel de se marier. De même, permettre l’euthanasie n’empêchera personne de préférer les soins palliatifs ou même la poursuite acharnée des soins.
Voici ma conception du rôle du législateur face à des thèmes aussi complexes que celui de la bioéthique. Le législateur doit encadrer le progrès médical, trouver un équilibre entre le développement de celui-ci et le respect des règles éthiques correspondant aux aspirations de notre société.
Je doute que la discussion des articles permette de remédier au manque d’ambition de ce texte, et je crains que, en restant trop frileuse par rapport à ses voisins, la France ne règle aucun problème.
En éludant ces questions de société, nous incitons les Français à recourir à certaines pratiques légalisées dans des pays voisins. Mon souhait serait que les couples de femmes n’aient plus à aller en Belgique pour mettre au monde des « bébés-Thalys »…
M. René-Pierre Signé. Eh oui !
M. Jean Desessard. … et qu’il soit mis fin à la pratique consistant, pour les plus fortunés de ceux qui arrivent en fin de vie, à aller chercher en Suisse une assistance à mourir.
M. René-Pierre Signé. Même à l’approche de la mort, mieux vaut être riche que pauvre !
M. Jean Desessard. On ne doit pas laisser les individus se débrouiller comme ils le peuvent !
Nos concitoyens méritaient un projet de loi à la hauteur des enjeux de société : le Parlement ne peut rester passif devant les évolutions sociales ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. René-Pierre Signé. Il y a dans ce discours quelques vérités bien senties !
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Lorrain. (Applaudissements sur plusieurs travées de l’UMP.)
M. Jean-Louis Lorrain. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, le débat que nous menons n’est pas celui d’une société conservatrice. Chaque pays analyse les questions en fonction de son histoire. À vouloir faire s’affronter progressistes et conservateurs, on se trompe.
Nous souhaitons donner à la personne humaine les moyens d’utiliser la science pour renforcer ses libertés. Il nous faut fixer des limites à l’individualisme et à la cupidité, renforcer le don contre la marchandisation.
Madame la secrétaire d'État, le scientisme nous vante quotidiennement les avantages de telle ou telle cellule souche embryonnaire, tout en dénonçant l’obscurantisme et le retard que prendrait la France.
Je souhaite que les chercheurs travaillent sur les cellules embryonnaires par dérogation. Mais j’observe que, à cet égard, les choses ne fonctionnent pas si mal, même si nous dénonçons la tracasserie et les lourdeurs administratives. Admettre des dérogations, c’est accepter des exceptions bien encadrées par la règle, afin de ne pas pénaliser nos concitoyens et de ne pas se fermer au progrès, qui est porteur non seulement d’avancées, mais également d’illusions.
Le passage de l’interdiction avec dérogations à l’autorisation sous conditions, pour des résultats qui peuvent être identiques, marque la volonté symbolique de modifier une approche de la recherche sur l’embryon et les cellules souches.
La juriste Florence Bellivier, dans un bulletin d’information de l’Ordre national des médecins, souligne qu’« un régime d’interdiction avec dérogations me semble plus juste. » Elle ajoute : « Quand une question morale pose problème, la loi doit refléter le dilemme éthique. En outre, si le législateur avait préféré l’autorisation sous conditions, il ouvrait la porte à une multiplication des sanctions pénales en cas de transgression. »
Le bon sens scientifique pourrait porter toutes les parures de l’avantage pour ce qui concerne le dépistage de la trisomie 21, mais celui-ci ne peut se concevoir que par la volonté des personnes concernées, éclairées et loyalement informées.
M. Paul Blanc. Très bien !
M. Jean-Louis Lorrain. Il faut dire que, à notre époque, la biologie alliée à l’imagerie fonctionnelle devient dominante. Toutefois, elle ouvre aussi la voie à une vision réductrice de l’individu.
Le succès des neurosciences ne peut se concevoir qu’encadré par une « neuroéthique », qui reste à définir face aux transgressions potentielles.
Certains déçus du prétendu choix de la stabilité montrent l’incompréhension du questionnement. Les lois de bioéthique devraient répondre à de nouvelles demandes sociales, au risque d’être à la traîne. Au désir de certains relevant avant tout de questions sociales, nous préférons la protection du plus faible, donc de l’enfant. Cela nécessite de légiférer en limitant notre liberté individuelle ; mais c’est un choix !
Le don de gamètes, c'est-à-dire de cellules permettant le développement de la fécondation, doit rester neutre. Ces cellules ne sont pas porteuses de filiation, ni d’une histoire sociale et affective. La levée de l’anonymat ne doit pas induire un bouleversement de l’existence de l’enfant. Néanmoins, on doit entendre un adulte qui est à la recherche de ses origines et on doit pouvoir l’accompagner. Cela ne signifie pas, pour autant, qu’il soit nécessaire de lever l’anonymat, car le retentissement de cette levée ne concerne pas seulement un donneur et un receveur. En effet, pourquoi serait-il si suspect d’écouter les CECOS, acteurs depuis plusieurs décennies et dont les compétences sont reconnues ?
Renoncement, refus, statu quo, immobilisme, principe intangible… Le changement pour quoi faire ? Pour un nouveau modèle de la responsabilité.
Au fil des siècles, la responsabilité s’est affrontée au changement. Même si l’on ne légifère pas en fonction de la sociologie du moment et de ses nouveaux « produits », tel le don d’engendrement, on peut néanmoins dire que l’approche éthique est mouvement : elle se situe dans l’agir et, donc, dans le changement. Les fins ne sont pas, à elles seules, le changement.
II nous paraît bien inutile de parler de familialisme, de traditionalisme. Nous préférons affirmer des valeurs et des principes de gratuité et de don. Si le débat éthique est celui du compromis en fonction d’intérêts particuliers, au détriment de la protection du plus faible, de la confiance, nous allons à l’échec. S’il existe une éthique minimaliste, ce sera la bioéthique. La science peut nous libérer, mais les scientistes peuvent nous soumettre.
L’intérêt du débat est de faire apparaître un positionnement clair. Le rapporteur, qui a notre estime, pose clairement le principe d’intégration de la recherche sur l’embryon. II lève l’anonymat par l’accès à l’identité de tout tiers dont les gamètes ont permis la conception. La levée d’une interdiction serait la réponse à une éventuelle hypocrisie institutionnelle, mais elle ne peut venir que des acteurs.
Au nom de la cohérence, de la lisibilité et de la simplification, nous ne pouvons abandonner nos valeurs. Même si c’est discutable, nous restons profondément kantiens : la fin ne justifie pas les moyens.
Pour le professeur Sicard, « la bioéthique n’est pas une énonciation, elle est une dénonciation », et nous tentons, modestement, de mettre en œuvre cette définition.
Lorsque le savant médiatique parle de ses recherches, on l’écoute, on l’aide : parler du saint Graal – vase ayant recueilli le sang du Christ – à propos des cellules embryonnaires est peut-être excessif. Mais ces chercheurs pensent-ils un instant aux autres chercheurs, en sciences humaines par exemple, qui inspirent aussi ce débat, mais avec des moyens tout à fait dérisoires ?
Le principe du respect, de la dignité n’a pas la même signification en fonction de notre histoire ou de notre culture personnelle. C’est pourquoi, très en amont, il serait nécessaire d’accorder à l’éthique le titre de matière reconnue par l’université, ce qui éviterait un usage abusif et l’alimentation de postures diamétralement opposées.
Malheureusement, nous nous reconnaissons peu, malgré le travail sincère qui ressort de certaines des propositions de la commission, outre le refus de l’implantation post mortem ou celui de la gestation pour autrui. Pourquoi ne pas faire confiance au médecin qui œuvre dans le cadre d’une relation privilégiée avec le malade, en lui évitant d’imposer des prescriptions légales ?
Les convictions dites « de la société » sont celles de certains chercheurs qui prescriraient en même temps les normes. Or ces acteurs sont soumis aux pressions des investisseurs, qui ne sont pas obligatoirement des philanthropes.
L’éthique comprise comme une gêne est une profonde erreur. Elle n’est pas une partie de la politique ; elle est politique ! Elle nous protège dans l’incertitude, dans le doute. Elle inspire, mais, si elle peut dire le bien, elle ne se targue pas de dire la vérité.
Nous devons écouter les philosophes, tel Emmanuel Hirsch, qui souhaite l’organisation régulière d’états généraux de la bioéthique soumis à l’arbitrage du Parlement. II faut développer une culture de la réflexion éthique, afin d’affaiblir les positions extrêmes où prévalent les idéologies, les intérêts et les pressions. (Applaudissements sur certaines travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.
M. Jean-Pierre Godefroy. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la bioéthique est une matière compliquée.
Parce qu’elle cherche à résoudre des questions de nature morale soulevées par l’avancement de la recherche et le développement des technologies dans les domaines de la médecine, de la biologie et de la santé, elle interroge notre conscience individuelle et fait appel à nos convictions les plus personnelles.
Il reste que, en tant que parlementaires, nous faisons la loi au nom de l’intérêt général : nous devons donc trouver un équilibre entre nos convictions personnelles, les attentes de la société et les principes fondamentaux qui régissent notre droit et notre organisation sociale.
Alors que, en 2004, le débat sur le clonage thérapeutique avait dominé pendant l’élaboration de la loi, il a aujourd’hui complètement disparu en raison du discrédit porté sur ces recherches. Aujourd’hui, de nouveaux débats ont émergé au sein de la société civile, qui mobilisent l’attention des médias et du monde politique : par exemple, la demande d’autorisation de la gestation pour autrui émanant de femmes dans l’incapacité de procréer, celle de l’élargissement de l’accès à l’assistance médicale à la procréation aux femmes célibataires et aux couples homosexuels ou encore celle de certains enfants nés d’une assistance médicale à la procréation qui veulent connaître leur origine.
Sur tous ces sujets, il n’y a pas de réponses simples ou évidentes. Pourtant, il nous faut bien y apporter des réponses tranchées et cohérentes. La tâche est ardue. Même si, aujourd’hui, je défends certaines positions, je n’ai pas de certitudes absolues.
En effet, derrière les questions qui sont aujourd'hui soumises à notre examen, il y a des enjeux sous-jacents complexes qui nous conduisent, que l’on ait ou non une formation médicale ou scientifique, à une certaine forme d’humilité.
En tant qu’homme de gauche, ma réflexion a été bien entendu guidée par le respect des principes d’égalité, de solidarité, de laïcité et de dignité, par le refus de l’obscurantisme et du conservatisme, par la volonté d’encourager la recherche. Mais, sur un tel terrain, qui touche à la vie, à la mort, à la maladie, à la reproduction, entrent aussi en considération des principes plus intimes, qui, parfois, nous amènent à prendre des positions différentes.
M. Jean Desessard. Très bien !
M. Jean-Pierre Godefroy. J’en viens au contenu du projet de loi et je concentrerai mon propos sur quelques points essentiels.
En premier lieu, j’aborderai la question de la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires.
Nous sommes satisfaits que la commission ait eu le courage d’adopter un dispositif clair et cohérent. À cet égard, le régime d’interdiction assortie d’une dérogation permanente adopté par l’Assemblée nationale était d’une totale hypocrisie, d’autant qu’il n’était assorti d’aucune clause de révision, ce qui revenait à geler le dispositif à perpétuité.
L’’interdiction, dès lors qu’elle est assortie d’une exception, ne fournit pas plus de garanties contre les dérives et les abus que ne le ferait une autorisation pure et simple. Bien au contraire, l’abandon du régime d’exception permet de concentrer la réflexion sur les modalités d’application de la recherche, dont certaines, en l’état actuel du droit, s’avèrent insatisfaisantes ou lacunaires. La consécration d’une autorisation, précisément encadrée et soumise à conditions, est le signe d’une évolution maîtrisée, pleinement justifiée, révélatrice de la volonté de la représentation nationale d’assumer sa responsabilité en conciliant la protection de l’embryon et l’intérêt général servi par la recherche.
La loi de 2004 s’inscrivait d’ailleurs dans cette logique. Le régime dérogatoire qu’elle instaurait avait été conçu comme un régime transitoire : un temps d’expérience, destiné à évoluer si l’ouverture à la recherche n’entraînait pas des abus. En cas de bilan positif, l’esprit de la loi était de basculer dans un régime d’autorisation. Or le bilan est, de l’avis général, très positif : les dérives n’ont pas eu lieu.
Sur le plan juridique, dès 1994, le Conseil constitutionnel avait ouvert la voie à une consécration du principe d’autorisation de la recherche sur les embryons, estimant que l’article 16 du code civil, qui interdit toute atteinte à la dignité de la personne et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie, cette protection étant étendue à l’embryon, n’était pas applicable à l’embryon in vitro.
Sur le plan scientifique, il ne fait guère de doute que les recherches sur les cellules embryonnaires sont porteuses de grands espoirs.
Enfin, on ne peut totalement ignorer l’argument industriel. Ces recherches nécessitent de lourds investissements. Or le maintien d’un régime d’exception fragilise la position de la France au sein de la communauté internationale, en suscitant la méfiance des investisseurs, inquiets devant l’incertitude et le manque de lisibilité de la loi française.
Il est donc temps de franchir le pas. Il y a même urgence puisque, depuis le 6 février dernier, la dérogation prévue par la précédente loi est arrivée à échéance. Depuis cette date, plus aucun projet de recherche nouveau ne peut être engagé.
En matière d’assistance médicale à la procréation, le moins que l’on puisse dire est que le texte reste très en retrait.
M. Jean Desessard. Oui !
M. Jean-Pierre Godefroy. Alors que l’assistance médicale à la procréation est aujourd’hui devenue « banale » avec la naissance chaque année de plus de 10 000 bébés issus d’une fécondation in vitro, ce sont les conditions pour y avoir accès qui posent désormais problème, dans un contexte radicalement nouveau, où la question du désir d’enfant devient une question sociale à part entière.
Force est de constater que la législation française mise en place en 1994 est très limitative et qu’elle se fonde sur un modèle familial dominant, ignorant assez largement les évolutions à l’œuvre dans la société française. Elle ne laisse aucune place à d’autres modes de parentalité. Or c’est une réalité : la parentalité se décline désormais sous plusieurs formes.
Dans ce débat, il ne doit pas, selon moi, y avoir de place pour des considérations naturalistes conduisant à des jugements d’ordre moral ou subjectif. Les seuls éléments à prendre en considération devraient être l’intérêt de l’enfant, d’une part, la consistance du projet parental, de l’autre. Le plus important est la capacité de la famille à rendre heureux l’enfant qu’elle accueille et à le mener à l’âge adulte dans les meilleures conditions.
M. René-Pierre Signé. Évidemment !
M. Jean-Pierre Godefroy. L’argument selon lequel il ne saurait exister de « droit à l’enfant » sert bien souvent à écarter toute velléité d’ouvrir les portes de la parentalité et de l’assistance médicale à la procréation, en particulier aux couples de même sexe.
Les motifs qui excluent aujourd’hui les couples homosexuels du droit d’être parents sont moins fondés sur des raisons objectives que sur des préjugés sociaux. Les recherches réalisées aux États-Unis et en Europe du Nord montrent assez clairement qu’il n’y a pas d’impact majeur de l’homoparentalité sur le bien-être et le devenir psychologique des enfants.
C’est pourquoi nous sommes favorables à un élargissement aux couples de même sexe de l’accès à la parentalité, donc à l’assistance médicale à la procréation et à l’adoption.
M. René-Pierre Signé. Voilà !
M. Jean-Pierre Godefroy. Si l’on en juge par le texte issu de la commission, il nous reste encore un long chemin à parcourir avant d’en arriver là !
Alors que l’Assemblée nationale avait fait un pas en supprimant la condition de durée de vie commune de deux ans pour les couples non mariés, le Sénat fait, lui, un pas en arrière en réintroduisant une condition de stabilité et de continuité du couple. Celle-ci doit, en plus, avoir « un caractère suffisant ».
Sur un plan strictement juridique, cela me semble pour le moins compliqué, voire porteur de risque d’inégalités : qui jugera de ce caractère suffisant ? Selon quels critères ? Qu’est-ce que cela a à voir avec le projet parental ?
En ce qui concerne le transfert d’embryon post mortem, je suis satisfait – je m’exprime là à titre personnel – que la majorité de la commission ait voté la suppression du dispositif adopté par l’Assemblée nationale. Je me suis longtemps interrogé sur ce point. Si je comprends la détresse de ces femmes qui ont attiré l’attention de l’opinion publique, je ne peux me résoudre à ce que la loi autorise sciemment la naissance d’orphelins.
Une fois de plus, la seule question à se poser est celle de l’intérêt de l’enfant. Or je crois pour ma part que l’absence de père, eu égard aux circonstances de sa naissance, pourrait être de nature à créer des troubles psychologiques importants pour cet enfant né d’un deuil. Je souhaite vivement que l’article 20 bis ne soit pas rétabli. Je développerai plus largement mes arguments lors de la discussion des articles, afin de respecter le temps de parole qui m’est imparti.
À ce stade, je souhaite aussi aborder la gestation pour autrui. Comme la présidente et le rapporteur de la commission des affaires sociales, avec trente de mes collègues, j’ai déposé un amendement légalisant la gestation pour autrui.
En 2009, j’ai participé, sans a priori ni idées préconçues, au groupe de travail présidé par Michèle André et j’ai été convaincu de l’intérêt de légaliser la gestation pour autrui dans des conditions strictes.
Entendons-nous bien : il ne s’agit nullement de reconnaître un quelconque « droit à l’enfant » ni d’autoriser une pratique de confort qui permettrait à une femme de faire porter son enfant par une autre, parce qu’elle souhaiterait, par exemple, éviter les « désagréments » d’une grossesse. Il s’agit de faire de la gestation pour autrui un instrument supplémentaire au service de la lutte contre l’infertilité. Les conditions prévues sont d’ailleurs extrêmement strictes : seuls pourraient ainsi en bénéficier les couples dont la femme se trouve dans l’impossibilité de mener une grossesse à terme ou de la mener sans un risque d’une particulière gravité pour sa santé ou pour celle de l’enfant à naître.
Face à certaines dérives permises par des législations étrangères, je crois que la France a tout intérêt à se doter d’une législation rigoureuse, qui éviterait les drames que l’on connaît actuellement. Nous aurons l’occasion d’en débattre plus longuement lors de l’examen des amendements.
Toutefois, je voudrais vous faire part de ma conviction : nous ne parviendrons pas à lutter contre la « marchandisation » du corps de la femme si la situation que nous connaissons perdure !
M. Alain Milon, rapporteur. Tout à fait !
M. Jean-Pierre Godefroy. La lutte ne sera possible dans les pays périphériques que si la loi française encadre très strictement cette pratique et définit bien les conditions dans lesquelles elle sera possible dans notre pays.
M. Alain Milon, rapporteur. Exactement !
M. Jean-Pierre Godefroy. En tout cas, mes chers collègues, c’est un débat qui honore le Sénat, quand l’Assemblée nationale, elle, a fait l’impasse sur cette question.
Que l’on soit partisan ou opposant de la gestation pour autrui, il reste un point important à régler : celui de l’état civil des enfants nés à l’étranger grâce à cette pratique.
Le service civil du parquet du tribunal de grande instance de Nantes, seul tribunal compétent pour statuer sur la nationalité française, refuse de délivrer des papiers à ces enfants, qui peuvent ainsi se retrouver sans mère officielle et même parfois apatrides – ces derniers temps, on a beaucoup entendu parler de ces enfants nés en Ukraine que leurs parents ne peuvent ramener en France.
Officiellement, on recense une quinzaine de dossiers problématiques. Le plus connu est celui des époux Mennesson, sur lequel la Cour de cassation rendra son arrêt définitif demain : le parquet général s’est d’ailleurs prononcé en faveur de l’inscription à l’état civil ; je regrette que l’on doive attendre une décision de la plus haute juridiction française pour éventuellement légiférer !
Sans préjuger les conclusions de l’arrêt qui sera rendu demain, je pense qu’il existe un risque de conflit entre la position que nous prendrons sur la légalisation ou non de la gestation pour autrui et le problème de l’inscription à l’état civil de l’enfant né de cette pratique. Nous y reviendrons lors de la discussion des articles.
Un autre sujet sensible est celui de l’anonymat des donneurs de gamètes.
Le conflit entre vérité biologique et apparence sociale ne date pas d’hier ! Mais, depuis 1972 et la création des CECOS, l’anonymat du donneur a été conçu dans le corpus juridique français comme un principe éthique autant que comme un moyen d’assurer l’acceptabilité sociale et morale de la pratique de l’insémination artificielle avec donneur.
L’anonymat est aujourd’hui contesté par des associations d’enfants issus d’un don de gamètes. Devenus adultes, certains vivent comme une souffrance ce silence sur leur identité et revendiquent le droit d’accéder à leurs origines.
À l’instar de ce qu’ont fait d’autres pays européens, le texte initial du Gouvernement prévoyait la possibilité de lever l’anonymat du donneur à la demande de l’enfant et avec le consentement du donneur. L’Assemblée nationale a supprimé ces dispositions du texte.
Sur l’initiative du rapporteur, la commission des affaires sociales a non seulement rétabli le dispositif, mais a aussi choisi d’aller plus loin puisqu’elle rend cette levée de l’anonymat automatique à partir de 2013. Le donneur sera alors informé, au moment du don, que l’enfant éventuellement conçu avec ses gamètes pourra, à sa majorité, demander à avoir accès à des données non identifiantes le concernant, voire à son identité, et qu’il sera fait automatiquement droit à sa demande, sans vérifier que le donneur y consent toujours.
J’ai le sentiment que cela pose plus de problèmes que cela n’en résout. L’anonymat du don est l’un des principes fondateurs de notre droit de la bioéthique et je ne crois pas que l’on doive y déroger.
Je considère, en effet, que la levée de l’anonymat est discutable sur le plan éthique et contre-productive sur le plan pratique. Elle alimente une dangereuse confusion entre parentalité et origine biologique et elle remet en cause la primauté symbolique du caractère social et affectif de la filiation. Elle fragilise la position tant du couple receveur, qui sera plus enclin à garder le secret sur les conditions de conception de son enfant, que du donneur, qui n’est pas un parent et n’a donc pas sa place dans la famille.
Il ne faut pas négliger non plus le risque sérieux de voir diminuer non seulement le nombre de dons, mais également le nombre des couples souhaitant bénéficier d’une assistance médicale à la procréation avec tiers donneur.
Selon un sondage effectué pas l’Agence de la biomédecine, 50 % des donneurs de sperme ne donneraient pas si l’anonymat n’était pas garanti, tandis que, selon une enquête réalisée par la Fédération nationale des CECOS, 25 % des couples renonceraient à une procréation par don de sperme.
Je ne sous-estime pas la souffrance exprimée par certains de ces enfants du don, mais j’ai de sérieux doutes quant à l’efficacité du « remède » et au bénéfice psychologique pour un enfant ainsi conçu de connaître ses origines, voire de se laisser offrir cette possibilité, ce qui introduit pour lui une décision difficile à prendre et à assumer. Je crois au contraire qu’il pourrait s’en trouver déstabilisé et bien plus en souffrance que du fait de la méconnaissance de son donneur.
Monsieur le président, je vous remercie de m’avoir accordé un peu plus de temps de parole. J’aurais encore quelques sujets à aborder, mais nous y reviendrons lors de la discussion des articles. Je pense notamment, monsieur le rapporteur, au problème de l’état civil des enfants mort-nés – c’est l’article 79-1 du code civil –, qu’il nous faudra également régler Je suis décidément trop bavard ! (Sourires. –Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Hélène Des Esgaulx.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, madame la présidente de la commission des affaires sociales, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd’hui est pour moi majeur et pose de vraies questions qui nous concernent tous. Pour autant, c’est sur un point en particulier que je me mobilise : celui de la levée de l’anonymat du don de gamètes.
En première lecture, l’Assemblée nationale a purement et simplement supprimé le titre V du projet de loi initial portant sur l’identité des donneurs de gamètes, ce que, à titre personnel, j’avais vivement regretté.
Or, sur l’initiative de son rapporteur, notre excellent collègue Alain Milon, que je salue, la commission des affaires sociales a décidé de revenir sur cet anonymat et de le lever partiellement, dans des conditions qui me semblent équilibrées.
Je me félicite de ce choix courageux de la commission des affaires sociales et souhaite que le Sénat maintienne cette position lors de l’examen des articles, cela pour les raisons suivantes.
En tant que sénateur, je défends les libertés individuelles et je considère qu’imposer à un être humain un secret sur ses origines est une violation pure et simple de ses libertés.
C’est cette même conviction qui me fait prendre des positions résolues quant à la suppression de l’accouchement sous X. Bien que les histoires de vie des enfants nés par don de gamètes et des enfants nés sous X ne soient évidemment pas comparables, la souffrance issue de l’absence d’une partie ou de la totalité de leurs origines est tout aussi révoltante.
En fait, c’est précisément sur ce point – le droit d’accès aux origines, tel qu’il est affirmé dans de nombreux traités internationaux, dont la Convention internationale relative aux droits de l’enfant, adoptée le 20 novembre 1989 à New York par l’Assemblée générale des Nations unies – que se sont appuyés les recours déjà déposés par une douzaine d’enfants nés par insémination artificielle avec sperme de donneur.
C’est pourquoi, avant d’aborder les conséquences de la levée de l’anonymat des donneurs de gamètes sur la vie de ces derniers, je veux parler de ceux qui restent systématiquement à l’écart des débats, à savoir les enfants, adultes en devenir, nés par insémination artificielle avec sperme de donneur.
Je veux dépasser le clivage entre parents et donneur pour m’attacher à ceux qui devraient être au cœur de nos réflexions : les enfants.
En effet, mes chers collègues, comment imaginer vivre et se construire sans savoir d’où l’on vient ? En serions-nous capables, nous qui connaissons nos origines ? Il est utopique de penser que l’amour de ses deux parents suffit à éluder la question. Ces enfants-là sont différents des autres et ils ont le droit de mettre un nom sur leur différence. Or ce nom-là ne se résume pas à un tube à essai !
Un homme a donné son sperme ou une femme a donné ses ovocytes pour qu’un enfant naisse. Cet enfant a le droit de savoir qui était ce donneur parce que cet adulte en devenir a hérité d’un patrimoine et que, tant qu’on le lui taira, il sera bancal. Tout l’amour dont il peut être entouré par ses parents, toute la stabilité qu’ils peuvent lui offrir ne saurait effacer ce questionnement.
Cet enfant, cet être humain, ne recherche pas une famille : il en a déjà une. Il recherche son histoire. Et cette histoire était multiple bien avant sa naissance, car un tiers a donné ses gamètes pour qu’il naisse.
Dès le départ, l’histoire s’est écrite à trois. Dès le départ, le couple réuni autour de ce projet d’enfant a accepté qu’une tierce personne y participe. Comment refuser au principal intéressé de l’affaire de connaître son identité ?
Mme Marie-Thérèse Hermange. Exactement !
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx. Trop souvent, nous jugeons ces situations à l’aune de nos propres expériences, essentiellement résumées à la dualité d’un couple de parents.
Pour la plupart d’entre nous, les filiations biologiques, affectives et juridiques sont portées par les mêmes personnes : les parents. Mais, chez les enfants nés par dons de gamètes, et à plus forte raison chez les enfants nés sous X, elles relèvent de plusieurs acteurs. Au cours des dernières années, la principale erreur a été d’occulter cette pluralité.
Combien de parents adoptifs ont affirmé être les parents biologiques de leur enfant ? Combien de parents ayant eu recours à une assistance médicale à la procréation avec tiers donneur ont tu cette vérité à leur enfant ? Que ce dernier soit à 50 % l’enfant biologique de ses parents n’y change rien. Lorsque la vérité éclate, c’est un cataclysme. Et les études qui ont été réalisées en témoignent : de nombreux parents taisent cette intrusion, pourtant voulue, dans leur parentalité.
Afin que les choses soient apaisées, il faut impérativement en passer par ce préalable : la prise de conscience en amont, par les parents, de la situation dans laquelle ils s’engagent et de l’héritage pluriel que recevra leur enfant. Ce n’est qu’à cette condition qu’eux-mêmes n’auront pas peur de ce qui se cache derrière le secret.
Car la peur de la vérité, mes chers collègues, fait souvent plus peur que la vérité elle-même. Le fantasme fait plus de ravages que la réalité. Les parents n’ont pas à craindre qu’un donneur, dès lors qu’il sera identifié, bouscule l’équilibre de leur famille. De la même manière, le donneur ne doit pas craindre qu’un enfant s’installe dans la sienne.
Cette réflexion me conduit à évoquer un second préalable, extrêmement important à mes yeux, à savoir la responsabilisation des dons : il convient en effet que les donneurs d’hérédité prennent conscience de la portée de leur acte. (Mme Marie-Thérèse Hermange, Mlle Sophie Joissains et Mme Janine Rozier manifestent leur approbation.)
Vous avez parlé tout à l’heure de générosité, mais on ne donne pas ses gamètes comme on donne du sang. On a besoin de sang pour vivre, mais on a besoin de gamètes pour naître, ce qui ne revient pas du tout au même.
Le don doit être assumé et relationnel. C’est ce qui se passe déjà en Suède, en Angleterre, en Allemagne, en Suisse, en Australie et dans bien d’autres pays. Alors même que certains agitent le chiffon rouge lorsque l’on évoque la levée de l’anonymat, je tiens à rétablir la vérité : non, le nombre de donneurs ne chute pas dans ce nouveau cadre et, s’il peut baisser dans un premier temps, il remonte ensuite.
Ce sont les profils des donneurs qui, sans conteste, changent. Dans les pays où les dons ne sont plus ou n’ont jamais été anonymes, les donneurs sont responsables, citoyens et tout aussi généreux. La différence, c’est qu’ils assument leur altruisme.
Dans le système tel qu’il existe en France, le don de gamètes ne s’adresse qu’aux parents ; même la générosité des donneurs est tenue secrète.
Ce sont tous ces tabous qu’il nous faut lever : le tabou qui pèse sur un couple confronté à l’infertilité de l’un des partenaires ; sur un donneur confronté aux conséquences de son acte ; sur un être qui possède plusieurs parents et qui choisit ou non de les aimer ou de les accepter.
Il est impossible de nier la revendication naturelle d’un citoyen à connaître ses origines, en pensant qu’un être humain peut se contenter d’une demi-vérité. Cela reviendrait à se construire à partir d’un puzzle incomplet. Une seule pièce manquante suffit à amputer le paysage, à rompre l’équilibre.
Oui, les enfants nés par dons de gamètes deviennent des adultes multiples, pluriels. Que l’on respecte leur héritage et, surtout, qu’on ne les en prive pas ! Les ravages et les souffrances liés au secret des origines durent toute une vie. Si nous défendons la liberté et l’égalité de chacun, nous ne pouvons pas tolérer que des êtres humains soient volontairement privés de leur histoire, de leur vérité.
Il faut questionner notre conscience, en plaçant l’enfant au cœur de nos débats. Son intérêt doit primer toute autre considération. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Dominique de Legge.
M. Dominique de Legge. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je souhaiterais faire état, à titre liminaire, de quatre réflexions.
Premièrement, la loi que nous allons voter, à la différence des lois de bioéthique précédentes, n’intègre pas l’horizon d’une révision indexée sur les progrès scientifiques à venir. Elle se place sur le plan des principes et il me semble intéressant de le noter car, s’il est effectivement souhaitable d’adapter la loi à l’état des connaissances scientifiques, l’éthique ne saurait y être subordonnée ni en devenir une variable d’ajustement.
Deuxièmement, l’éthique est-elle au service de la science ou la science au service de l’éthique ? Poser ainsi la question, ce n’est pas opposer l’une à l’autre, mais tenter de hiérarchiser et clarifier les finalités et les moyens. Selon moi, la fin ne saurait justifier les moyens.
De ce point de vue, je regrette que ce débat n’ait pas préalablement bénéficié, comme à l’Assemblée nationale, de la constitution d’une commission ad hoc. Nous aurions pu ainsi clairement marquer l’équilibre à respecter entre les exigences éthiques et les considérations scientifiques. Je souhaite cependant rendre hommage aux deux rapporteurs, car ces deux préoccupations ont guidé leurs réflexions et leurs travaux.
Troisièmement, un texte si particulier peut s’envisager sous deux perspectives : il s’agit soit de poser des principes stricts en prévoyant des dérogations, soit d’autoriser des pratiques en les assortissant de mesures d’encadrement. J’opte résolument pour la première solution : mieux vaut poser des principes se référant à l’éthique, quitte à les assouplir, plutôt que de prévoir des autorisations dont l’encadrement sera très vite difficile à maîtriser.
Quatrièmement, face à ce texte difficile, je conditionnerai mes votes au respect de deux principes. D’une part, la science doit rester un moyen au service de l’homme et non une fin en soi. D’autre part, il convient de veiller au respect des droits de l’enfant, le droit à l’enfant ne devant jamais leur porter atteinte. Ne laissons pas planer le spectre du Docteur Folamour sur nos débats !
Gardons toujours à l’esprit une vision équilibrée de la famille, à la fois réalité biologique, si importante aux yeux de l’enfant, et lieu d’éducation pour sa construction sociale, point de vue privilégié par les parents.
Les questions majeures qui se posent aujourd’hui sont sensiblement les mêmes que celles qui furent posées en 2004. J’en vois quatre, qui transcendent le texte et inspirent les mesures que nous allons examiner. Elles concernent la prédiction, le don d’organe, l’anonymat du don de gamètes et la procréation médicale assistée.
S’agissant d’abord de la prédiction, j’observe que la science a désormais le formidable pouvoir de détecter les caractéristiques du fœtus et ses pathologies, au premier rang desquelles la trisomie 21. Ce terrible service rendu aux parents leur révèle une différence, une maladie. Vise-t-il à trouver les voies de la guérison ou bien à faire peser sur eux le regard d’une société qui aspire au risque zéro et refuse le handicap ? Si la frontière entre ces deux options semble théoriquement balisée, prenons garde, dans la pratique, à ne pas développer un eugénisme, sous couvert de compassion et d’information.
Pour ce qui est du don d’organe, il ne saurait être assimilé au don de gamètes. Il n’en partage ni la nature ni la destination ! L’organe a un intérêt médical, celui de guérir et de réparer, alors que le gamète est utilisé pour la procréation. Donner la vie à un nouvel être humain, ce n’est pas la même chose que de transplanter un organe ! Sauver une vie, ce n’est pas en créer une nouvelle ! Les gamètes ne sont donc pas de simples « matériaux » biologiques.
À ce titre, je voudrais souligner combien les termes employés lors des débats m’ont parfois mis mal à l’aise : le gamète, l’ovocyte, l’embryon lui-même sont souvent désignés comme du « matériel » biologique. J’en veux pour preuve le terme terrible de « bébé-médicament », ainsi que les notions de sélection, de stocks, de rendement, d’offre et de demande. Gardons-nous de dériver pas vers l’eugénisme, le risque zéro et l’enfant parfait !
La troisième question majeure est celle de l’anonymat et de l’accès aux origines. J’avoue avoir longtemps hésité sur le point de savoir si l’on devait ou non lever l’anonymat. Dès lors que l’on considère le don de gamètes comme un acte qui n’est pas anodin, il semble impossible de refuser à l’enfant l’accès à son histoire, ainsi que vient de le dire excellemment Mme Des Esgaulx. Ce don a en effet des conséquences majeures, à savoir la naissance d’êtres humains, qui, tôt ou tard, se poseront la question de leurs origines.
La famille et la relation entre les parents et l’enfant ne se cantonnent pas à un lien social et culturel. Le lien est également biologique : c’est une loi naturelle qu’il serait dangereux d’ignorer, au risque de causer des dégâts psychologiques importants parmi les membres de la famille.
Accéder à ses origines devrait être un droit légitime. Je suis bien entendu tout à fait conscient des problèmes que cela crée lorsqu’un même donneur engendre de nombreuses vies.
La France a signé la Convention internationale des droits de l’enfant, rédigée sous l’égide des Nations unies, ainsi que, en 1997, la Convention d’Oviedo sur les droits de l’homme et la biomédecine, textes qui reconnaissent à l’enfant, notamment celui qui est né sous X, ce droit de connaître ses origines. Dans ces conditions, je ne vois pas comment l’on pourrait refuser de l’accorder aux enfants nés de dons de gamètes. L’adulte, le donneur, le médecin, sont certes les responsables de la vie ainsi donnée, mais le point de vue de l’enfant – celui qui souhaite savoir d’où il vient, celui qui a soif de repères – ne peut pas être ignoré !
Enfin, s’agissant de la procréation médicale assistée, je rappelle que l’enfant n’est en aucun cas un droit, mais bien un sujet de droit. C’est particulièrement vrai dans le cas de la procréation post mortem, où la motivation principale ne me semble pas être l’enfant ! Faire un enfant pour faire son deuil et ainsi créer un orphelin est, à mes yeux, un acte qui ne privilégie pas l’intérêt de l’enfant ! Quelle est alors la place de celui-ci ?
Des contradictions flagrantes émaillent d’ailleurs le débat sur l’enfant post mortem : comment peut-on prôner l’implantation post mortem au nom du lien biologique tout en affirmant que l’enfant ne se détermine que par le lien éducatif ? Comment peut-on désigner la paternité comme un lien social et justifier l’implantation post mortem, qui ampute de facto l’enfant d’un père ?
Mme Marie-Thérèse Hermange. Exactement !
M. Dominique de Legge. L’implantation post mortem ouvre également la voie à la gestation pour autrui dans le cas d’hommes veufs souhaitant à tout prix un enfant d’une épouse décédée. Il convient de s’interroger sur ces dérives possibles.
L’intérêt supérieur de l’enfant et le respect de sa personne, reconnus par le droit supranational, ne sauraient composer avec de telles ambitions scientifiques.
En conclusion, je dirai que j’aborde cette discussion avec plus de questions que de certitudes. Au terme de nos débats sur une loi dont la vocation doit être de protéger la famille et l’enfant, mon vote sera conditionné par la réponse à ces questions simples : les droits de l’enfant sont-ils respectés par ce texte et sortent-ils renforcés de son adoption ? Le primat de l’humain sur la science est-il assuré ?
La science doit rester un moyen au service de l’homme et non une fin en soi. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mlle Sophie Joissains.
Mlle Sophie Joissains. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, je ne suis pas une scientifique, mais une juriste, que la lecture de ce projet de loi a, je vous l’avoue, ébahie.
J’ai eu la vive impression de lire le scénario audacieux et brillant d’un film d’anticipation, qui aurait pu être l’œuvre de George Orwell. Nous sommes dans le réel, et pourtant il manque à ce scénario un ingrédient pour qu’il puisse être crédible, être à l’origine d’une fiction réussie : l’humanité.
Ce texte est un condensé de propositions censées pallier de véritables misères et désespérances humaines : des femmes dont le désir d’enfant ne peut être assouvi, des malades désespérés, en quête de panacée. Ces aspirations sont ô combien légitimes et les solutions esquissées ou apportées, parfaitement généreuses, ingénieuses, laborieuses.
Toutefois, si j’admire profondément le progrès scientifique, ces propositions me laissent un froid insidieux dans le cœur. Je n’y vois pas trace de ce qui doit faire loi, de ce devant quoi nous devons nous incliner, de ce à quoi il nous faut avant tout faire droit : l’intérêt de l’enfant.
N’étant pas scientifique, je le répète, je n’entrerai pas dans le détail de toutes les questions soulevées par ce texte. Celui-ci nous conduit, me semble-t-il, à nous interroger sur la transmission et sur ce que la société à venir réserve à nos enfants.
Quelle société peut, sans faillir, programmer froidement et minutieusement la venue au monde d’enfants dont le sort, déjà tracé, sera d’être abandonnés à la naissance par leur mère pour être donnés, confiés, voire vendus à une autre femme ? En effet, qu’elle soit légale ou illégale, cette pratique, dans le monde de convoitise qui est le nôtre, donne déjà lieu et donnera encore lieu à un commerce des plus sordides.
Quelle société peut programmer la venue au monde d’enfants dont les pères sont morts au moment de leur conception ?
Que veut une société dont les pères biologiques resteront, de manière programmée, et non accidentelle, anonymes pour leur progéniture ?
Sommes-nous dans une société où le droit à l’enfant prime les droits de l’enfant ? Là est la vraie question ! Car l’enfant a le droit de ne pas être abandonné, sauf cas de force majeure, le droit d’être pourvu, autant que possible, de parents bien vivants et structurants, le droit d’avoir des racines, de savoir, s’il le souhaite, d’où il vient, pour ne pas avoir le sentiment d’être né sans avoir été précédé d’une histoire, de n’être en quelque sorte de nulle part, comme s’il était issu de graines semées aux quatre vents.
La gestation pour autrui a peut-être été ou sera peut-être, en tant qu’acte isolé, un geste exceptionnel, un geste d’une grande beauté ; légalisée, banalisée, elle consacre l’abandon, voire la commercialisation de l’être humain.
Le transfert d’embryons post mortem peut être la survivance, la continuité d’un amour, d’un être aimé et hors du commun ; dans le réel, il reste un enfant orphelin.
Le transfert d’embryons post mortem légalisé consacre et banalise le statut d’orphelin.
L’anonymat du don de gamètes minimise, réduit à sa plus simple expression la fonction génitrice. La transmission, même sur le plan thérapeutique, demeure une responsabilité. L’origine biologique peut être primordiale pour un individu, que ce soit dans sa construction personnelle, dans sa conception du monde ou, plus prosaïquement, dans la collecte d’informations concernant sa santé. Personne n’a le droit de programmer cette mutilation psychique.
Pour tous ces enfants objets, où se situera l’altérité ? Que penser d’une société où les enfants naissent de procédures déshumanisées, où les droits fondamentaux existent de manière exorbitante pour les parents, au préjudice de ceux, inexistants, des enfants ?
La fin ne peut justifier les moyens. Cette phrase sera sans doute souvent répétée au cours de ce débat, tout comme celle-ci : « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme ». Ces deux maximes sont anciennes, elles n’ont jamais été révisées et n’ont pas pris une ride.
Les principes éthiques sont et doivent être inaltérables. Ce sont des lois d’airain qui ne peuvent changer au gré des soubresauts de l’actualité. Je me félicite qu’aucune révision ne soit prévue dans le temps. Afin que le foisonnement scientifique ne soit pas anarchique ou dangereux, nous devrons le confronter à la loi, mais s’il en est besoin.
Ne nous trompons pas de maître : la science ne peut que servir !
Beaucoup diront : « Cela se fait dans d’autres pays ». C’est ennuyeux en effet ; c’est sûrement une chose à considérer. Un jour peut-être les règles éthiques devront-elles se prendre à plus grande échelle. Néanmoins, en aucune manière, nous ne pouvons et ne devons transiger avec ce qu’il y a de plus sacré pour satisfaire une uniformité de pensée ou de mœurs.
Nous ne partageons pas tous les mêmes croyances, les mêmes combats, les mêmes aspirations spirituelles, mais nous avons tous, au moins, une idée de l’homme. Au nom de cette idée, nous ne pouvons oublier que tout être humain mérite respect, liberté, considération et, surtout, amour. Cela commence un peu plus tôt qu’à la naissance.
Les cellules d’embryon ne sont pas des cellules ordinaires !
Je veux maintenant vous citer l’extrait d’un débat scientifique qui a eu lieu en commission des affaires sociales : « [...] nous avons besoin de nouveaux embryons, tout simplement pour donner des moyens suffisants à la thérapie cellulaire. […] compte tenu des incompatibilités et en passant par les propriétés de l’antigène HLA, [il faudra] 22 000 donneurs potentiels pour prélever des cellules de vingt embryons compatibles avec 55 % de la population caucasienne ».
Le besoin de nouveaux embryons se fait jour. Pourra-t-on se contenter de l’existant ? Permettez-moi d’en douter.
Symboliquement, la vie ne peut être créée pour servir la maladie ou la mort. Voilà qui serait une vision d’horreur !
Tout cela est déterminant pour la société de demain. Pour toutes ces raisons, je voterai, si besoin est, contre la gestation pour autrui, contre le transfert d’embryons post mortem et pour la levée de l’anonymat du don de gamètes, pour l’interdiction de la recherche sur l’embryon et la promotion d’autres techniques.
En complément de ce texte, il faudrait introduire de véritables assouplissements en matière d’adoption.
M. Charles Revet. Très bien !
Mlle Sophie Joissains. Beaucoup sont laissés sur le bord du chemin par les tragédies de la vie. La générosité et la grandeur de notre civilisation dépendent de notre attitude envers ceux qui n’ont rien et attendent tout.
Avant de continuer à produire – c’est le mot – de multiples embryons, dont l’immense majorité partira en fumée ou deviendra sujet d’expérience – je suis d’ailleurs très réservée sur la question du nombre des embryons surnuméraires –, notre société devra s’interroger sur son ambition, sur le sens – c’est la maître-mot – qui est le sien et sur celui qu’elle aura demain.
Si nous n’envisageons pas ce débat sous l’angle d’un humanisme vigilant, où l’intérêt de l’enfant prend et reprend toute sa place, si nous commençons à faire ce qui est aujourd’hui l’exception la règle, si nous devenons consuméristes à ce point, je crains que le monde que nous aborderons, aussi riche en progrès scientifiques soit-il, ne perde toute dimension transcendante et ne soit plus à l’échelle ni d’un homme ni d’un dieu. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. André Lardeux.
M. André Lardeux. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, j’ai été tenté de reprendre l’intervention que j’avais faite lors de l’examen de la précédente loi relative à la bioéthique, car, si les techniques évoluent, les questions d’éthique sont immuables. Je pense donc toujours avec Chateaubriand qu’« il ne faut pas plier les réalités du présent aux rêves de l’avenir ». Cette maxime de prudence s’impose plus que jamais dans le domaine de la bioéthique.
Nous ne devons pas nous laisser dicter nos choix par la science ou les appétits financiers de certains. Or nous constatons une divinisation de la science devant laquelle tout devrait céder. Vu l’enjeu, une commission spéciale sur cette question aurait été bienvenue.
Aussi, je ne trouve pas dans le texte issu des délibérations de l’Assemblée nationale, modifié par les travaux de notre commission, de raisons suffisantes pour voter en faveur de ce projet de loi. Au contraire, de multiples aspects militent pour que je vote contre et je n’aperçois pas dans les quelques évolutions qui sortiront des débats de motifs me conduisant à changer de position.
Je n’aborderai évidemment pas tout ce qui conforte mon point de vue ; d’autres se sont exprimés bien mieux que moi voilà quelques instants.
Les dispositifs plus ou moins alambiqués concernant la recherche sur l’embryon sont inacceptables et la position de la commission n’améliore pas la situation, loin s’en faut.
Chaque fois, on fait un pas vers de nouvelles transgressions et je suis peu rassuré par l’action des thuriféraires de la recherche sur l’embryon. Le bon sens commanderait d’ailleurs de cesser de créer des embryons surnuméraires.
Les différentes dispositions du texte ne nous préservent pas de la marchandisation du corps humain. Se pose ainsi la délicate question de l’anonymat. Il est donc nécessaire de distinguer les dons concernant des éléments du corps.
Pour les dons d’organes ou le don du sang, l’anonymat ne soulève pas de question. Pour ce qui est des dons de gamètes, qui ne sont en rien comparables, la levée de l’anonymat est inéluctable, puisque nous avons ratifié des conventions internationales nous engageant à garantir le droit d’accès à ses origines. En conséquence, cela remettra aussi en cause le principe de l’accouchement sous X.
S’agissant de la question des dons de gamètes, permettre la procréation par tiers donneur a été une erreur dont nous n’avons pas fini de voir toutes les conséquences dévastatrices pour la vie des personnes. La sagesse serait un jour d’abandonner cette possibilité.
La commission a écarté à juste titre la possibilité de faire naître sciemment un enfant sans père. Elle a aussi écarté la gestation pour autrui, qui ne peut que provoquer la déconstruction de la maternité, la déconstruction de la filiation. La GPA, c’est l’institutionnalisation de la marchandisation du corps de la femme, très probablement de celles qui sont les plus pauvres et les plus fragiles. C’est la consécration du droit à l’enfant et l’officialisation de l’abandon d’enfant.
La technique des mères porteuses constitue une atteinte aux principes fondateurs de notre civilisation : le respect de la dignité humaine, celle de la femme, qui ne peut être réduite à un instrument de gestation, et la dignité de l’enfant, qui ne peut faire l’objet d’un contrat entre adultes. De ce point de vue, les promoteurs de la GPA génèrent de grands risques pour notre société.
Ce n’est pas parce que certains ne respectent pas une règle qu’il faut la changer. Tout cela n’est pas compatible avec la conception de l’homme et de la famille à laquelle je me réfère.
Je veux maintenant aborder la question du dépistage prénatal, notamment celui de la trisomie 21.
Notre société a institué vis-à-vis des porteurs de cette anomalie chromosomique un délit de faciès et a fait du trisomique la tête de Turc de la génétique. (Oh ! sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.) On préfère supprimer le malade plutôt que de lutter contre la maladie.
La loi de 1994 a introduit l’eugénisme ; celle de 2004 a accentué la tendance et celle de 2011 la confirmera. En effet, dans un État de droit, démocratique, on a créé un pouvoir total, radical, exceptionnel, dérogatoire, exorbitant, d’ordre divin, qui est celui de donner la mort de manière préméditée à un enfant uniquement parce qu’il est petit, malade ou handicapé. (Murmures sur les travées du groupe socialiste.)
Ce dépistage – ce pistage devrais-je dire – est devenu un acte politique collectif sur l’initiative de la puissance publique. Il est fondé sur un calcul coût-bénéfice du dépistage de la trisomie 21 qui fait froid dans le dos. C’est d’ailleurs une curieuse politique de santé publique dont les effets collatéraux ont pour conséquence la mort d’un plus grand nombre de sujets non atteints que de sujets malades, puisque, pour supprimer un fœtus trisomique, on supprime deux autres fœtus.
Il serait bon alors de tout calculer et de corriger les chiffres en tenant compte du nombre d’enfants sains qui ne sont pas nés et de tout ce que peut apporter une personne trisomique quand, par exemple, elle se distingue au festival de Cannes …
Il faut aussi s’interroger sur le marché juteux que cela représente pour certains laboratoires, qui, de plus, livrent des tests à la fiabilité incertaine. À l’heure où se posent des questions sur les liens d’intérêt entre experts et fabricants de médicaments, je considère qu’on est peu regardant sur ce point. Mais il ne faut pas gêner le marketing de l’eugénisme. En effet, 800 000 dépistages par an, cela rapporte !
Mme Marie-Thérèse Hermange. Il a raison !
M. André Lardeux. Les limiter aux situations à risque – 1 % peut-être – ferait faire de sérieuses économies, mais toucher aux rentes de situation – plus de 100 millions d’euros pas an – demanderait du courage.
M. Charles Revet. Très bien !
M. André Lardeux. Si l’on consacrait ne serait-ce que la moitié de ces sommes à la recherche sur la maladie, cela changerait beaucoup de choses. Il est révélateur que la trisomie 21 ne figure pas dans le plan « maladies rares ».
M. Alain Milon, rapporteur. Ce n’est pas une maladie rare !
M. André Lardeux. Pourtant, un plan de recherche sur la trisomie 21 honorerait notre pays.
La France est le pays qui va le plus loin dans cet eugénisme, puisque 92 % des trisomies sont repérées, contre 70 % en Europe, et 96 % d’entre elles sont suivies d’un avortement. Cela ne suffit pas à certains, puisqu’un député s’est inquiété de savoir pourquoi il en reste encore 4 % !
Notons ainsi qu’un pays comme la Suède n’a pas de politique de dépistage de la trisomie 21.
On entretient donc les Français dans la phobie de l’enfant trisomique et, au nom de la norme mythique de l’enfant parfait, on encourage une culture eugénique qui conduit à transformer la génétique en un redoutable système policier. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’exclame.) Celle-ci n’est plus ce qu’elle devrait être, à savoir un service au bien de l’homme.
Le revers de la médaille, c’est bien sûr la judiciarisation de plus en plus grande de la pratique médicale. Cela aboutit à des positions qui méritent pour le moins réflexion. En effet, la société conserve-t-elle sa dignité si elle établit des seuils de dignité ? Laisser entendre que l’élimination d’un enfant est une liberté relève d’un raisonnement controuvé. Ce ne sont pas les distinguos qui se veulent subtils entre eugénisme individuel et eugénisme collectif qui changent la donne, puisque le développement de l’eugénisme dit « individuel » relève d’une décision collective. Ainsi, on a osé écrire qu’un fœtus atteint de trisomie 21 peut légitimement bénéficier d’une interruption médicale de grossesse. On se demande où est le bénéfice pour le fœtus concerné !
On a donc un groupe sélectionné sur la base du génome de ses membres ; ceux-ci font l’objet d’atteintes à la vie de nature à entraîner la destruction partielle ou totale de leur groupe. Cela se fait sur la base d’un plan concerté : analyse coût-bénéfice, stratégie de dépistage, objectifs de performance et de qualité, moyens de financement. Je n’ose imaginer comment on aurait appelé cela en d’autres lieux et en d’autres temps. L’article 211–1 du code pénal apportera peut-être la réponse ...
D’aucuns objectent que cela conduit à la remise en cause de la loi Veil. Quoi que, les uns et les autres, nous pensions sur le sujet, ce n’est pas ce qui est en cause. En effet, la loi Veil n’a jamais dit que l’enfant à naître n’était ni un être humain ni une personne pour l’excellente raison qu’aucune loi ne peut le proclamer. On peut même dire que la loi autorisant l’avortement est bien la preuve que l’enfant à naître est une personne, sans quoi il n’y aurait pas eu besoin d’une loi pour y porter atteinte.
Le texte proposé n’apportant pas de modification sur le fond de cette question, je ne pourrai évidemment pas modifier la position que j’avais adoptée voilà sept ans.
Enfin, informer toutes les femmes est pervers, puisque l’on crée chez la très grande majorité d’entre elles une anxiété inutile. On voit ainsi des parents traumatisés et culpabilisés après qu’on leur eut imposé brutalement de choisir entre la charge d’un enfant trisomique ou d’avoir un avortement sur la conscience.
Cette question suffit à elle seule pour que je vote contre l’ensemble du texte. Ce projet de loi fourre-tout n’est que le symbole d’une époque déboussolée, d’une société qui n’a plus de repères. Il est loin de remplir la mission de la loi, qui est de protéger les personnes et de défendre l’égalité de tous en droit et en dignité. En effet, il oublie que toute vie est un trésor.
Pour conclure, je dirai que la qualité d’une société ou d’une civilisation se mesure au respect qu’elle manifeste envers les plus faibles de ses membres. Une société techniquement parfaite dans laquelle seuls sont admis les membres pleinement productifs devrait être totalement indigne de l’homme, pervertie par une sorte de discrimination non moins condamnable que la discrimination raciale. (Applaudissements sur quelques travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. Jean-Louis Carrère. Vous applaudissez ? Avez-vous vraiment bien écouté ce qu’il a dit ? (M. Roland Courteau renchérit.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Blanc.
M. Jacques Blanc. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, notre débat, dans son ensemble, est de très haute tenue, même si je ne partage pas tout ce qui vient d’être dit.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Jacques Blanc. Il démontre que nous sommes capables de dépasser nos positions partisanes, de respecter le point de vue de chacun.
Nous avons abordé ces sujets avec modestie et aussi, oserais-je le dire, avec un peu d’angoisse. Le médecin que je suis sait en effet combien il est important pour le malade d’obtenir des réponses, il connaît la douleur des couples qui n’arrivent pas à avoir d’enfant. Je sais aussi, parce que je l’ai appris lorsque j’exerçais en tant que neuropsychiatre dans un établissement prenant en charge les enfants handicapés, quelles peuvent être les espérances de ces enfants.
Voilà pourquoi il faut permettre à la science d’avancer. Mais la science n’est pas une divinité ; elle apporte des réponses à des problèmes quotidiens.
Si nous sommes demandeurs de progrès scientifiques, nous savons aussi que ceux-ci peuvent déboucher sur des situations inacceptables. Il nous appartient donc de rappeler un certain nombre de principes éthiques.
Je salue d’ailleurs le très bon équilibre que vous avez su trouver, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, même si je ne suis pas d’accord sur tous les points. Ainsi, j’ai lu avec beaucoup d’intérêt l’avant-propos du rapport, qui précise que « [...] le débat, en matière bioéthique, ne permet pas et ne permettra jamais l’émergence d’un réel consensus : […], il a pour but de soulever un perpétuel questionnement, […], plus que de fournir des réponses définitives ».
Le propre de notre démocratie est de nous permettre de nous retrouver. C’est pourquoi je n’intente de procès à personne : je sais que nous avons tous les mêmes exigences de protection de la dignité des personnes et des droits de l’enfant – principes que nous sommes déterminés à faire respecter – et que nous sommes également tous confrontés à des situations qui posent question. En tant que législateurs, il nous appartient donc aujourd'hui d’avancer, comme nous avait fortement permis de le faire en 2004 – vous étiez alors Premier ministre, monsieur le président – M. Jean-François Mattei, à qui je tiens ici à rendre hommage.
Il était bon de prévoir un rendez-vous tous les cinq ans – nous avons un peu dépassé le délai – afin de nous permettre de faire le point. L’objectif était non pas de remettre en cause les fondements de notre éthique, mais de répondre à des situations nouvelles. L’intérêt d’un tel rendez-vous a été démontré. Dès lors, pourquoi ne pas en fixer un nouveau dans cinq ans ?
Monsieur le rapporteur, vous l’avez vous-même indiqué, la situation pourrait évoluer d’ici à deux ou trois ans, par exemple en ce qui concerne la vitrification ovocytaire. À cet égard, j’indique que je souhaite que ce procédé se développe, tant dans le public que dans le privé, car il rendra possible, au lieu de constituer des stocks d’embryons congelés destinés à être éventuellement réimplantés par la suite, de ne congeler que des gamètes. Cela permettra de ne procéder à la fécondation qu’au moment opportun et limitera, de ce fait, le nombre d’embryons congelés.
Lorsque j’étais président du conseil régional du Languedoc-Roussillon – pardonnez-moi de me citer –, j’ai lancé à Montpellier le premier centre de biothérapie cellulaire. Je sais les réponses que cette technique peut apporter – les recherches ne sont pas exclusivement effectuées sur des cellules embryonnaires – …
M. Alain Milon, rapporteur. Mais il y en a !
M. Jacques Blanc. En effet !
... et que celle-ci est appelée à se développer.
Je le répète, je souhaite que, dans cinq ans, comme nous le faisons aujourd'hui, nous puissions faire le point sur un certain nombre de sujets. Ce rendez-vous est non pas destiné à nous faire renoncer à nos convictions en matière de respect de la personne humaine, mais à tenir compte des évolutions de la science. Peut-être certains débats seront-ils alors totalement dépassés ?
Permettez-moi maintenant d’évoquer, avec simplicité, mais avec de fortes convictions, le débat sur le diagnostic prénatal.
Les modalités de ce diagnostic importent peu. Ce qui compte, c’est que nous fassions passer un message positif afin de modifier le regard que notre société porte sur les personnes handicapées.
Sachez qu’un enfant mongolien est plein d’espérance et peut avoir une vie heureuse. Sa famille, qui lui a donné beaucoup d’affection, mérite toute notre considération. Voilà une attitude qui évacuerait les faux débats !
Moi, je n’accuse personne d’eugénisme, car je ne pense pas quelqu’un veuille aller dans cette direction. Sortons donc de ce débat et évoquons plutôt la recherche – pourquoi pas dans le cadre de la commission mixte paritaire ? –, qui est abordée à l’article 12.
Je le répète : il est important que nous adressions un message d’espérance à toutes les familles d’enfants handicapés. J’en ai reçu plus de mille dans des établissements créés voilà plus de cinquante ans dans mon département, à une époque où personne ne s’en occupait. Je puis vous dire que ces familles sont formidables.
M. Jean-Jacques Mirassou. Évidemment !
M. Guy Fischer. Personne ne dit le contraire !
M. Jacques Blanc. Ne les culpabilisons pas, car ce risque existe. Il faut au contraire valoriser l’amour, l’affection et le bonheur qu’elles peuvent apporter à leur enfant, quel que soit son handicap. Nous pouvons tous être d’accord sur ce sujet et nous mobiliser pour ces familles.
Bien sûr, il faut organiser un dépistage – je n’aime pas beaucoup ce mot, car le handicap n’est pas une maladie –, disons plutôt des tests, ne serait-ce que pour préparer un accouchement dans des conditions plus positives.
Tel est le message que je souhaitais porter ici, celui d’un médecin qui a beaucoup appris en travaillant dans des établissements pour enfants handicapés, lesquels nous ont souvent donné des leçons d’espérance. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
Mme Bernadette Dupont. C’est vrai ! Bravo !
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Nora Berra, secrétaire d'État. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je me réjouis de constater qu’un consensus se dégage sur les valeurs essentielles qui constituent le socle de notre législation en matière de bioéthique.
Quelles que soient vos sensibilités, vous vous accordez tous à souligner l’importance des principes que j’ai évoqués en présentant ce projet de loi. Je veux parler de la dignité humaine, du respect dû à la vie humaine, dès son commencement, du refus de la marchandisation et de l’attachement au don solidaire.
Je me suis exprimée sur cinq points essentiels lors de l’examen du texte en commission : la clause de révision périodique du texte, la levée de l’anonymat, la gestation pour autrui, le transfert d’embryons post mortem, l’interdiction des recherches sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires, avec possibilité de dérogation.
Je veux apporter quelques précisions en réponse à vos interventions.
Tout d’abord, je suis malheureusement convaincue que légaliser la gestation pour autrui ne mettrait pas un terme à la marchandisation ni aux voyages à l’étranger, notamment vers certains États des États-Unis qui ont légalisé la GPA, afin de trouver, pardonnez-moi l’expression, des femmes moins coûteuses.
On verra donc apparaître à plus ou moins long terme une rémunération des mères porteuses. Imaginez qu’il y ait moins de femmes volontaires que de couples demandeurs, ce qui est probable, ces derniers iront alors à l’étranger afin de louer des ventres un peu moins chers. Les rémunérations occultes se développeront.
Ensuite, concernant la recherche sur l’embryon, l’argument du manque de sécurité pour les chercheurs et du découragement des investissements ne me semble pas fondé. En effet, d’une part, c’est la pérennisation des possibilités de recherche qui apportera aux chercheurs la sécurité qui leur manque. D’autre part, il n’y a pas aujourd’hui de nécessité d’investissement industriel afin de développer cette recherche.
Je voudrais surtout réaffirmer un principe : le respect dû à l’embryon doit primer sur les préoccupations financières et la rentabilité. (Mme Bernadette Dupont, Mlle Sophie Joissains et M. Jean-Louis Lorrain applaudissent.)
Mme Marie-Thérèse Hermange. Merci de le dire !
Mme Nora Berra, secrétaire d'État. Nous aurons l’occasion de revenir sur ces points lors de l’examen des amendements.
Par ailleurs, s’agissant du diagnostic prénatal, je ne peux pas vous laisser dire, madame Payet, que se développe un « eugénisme d’État ». Cette expression signifierait que l’État organise la sélection génétique des personnes. Dans le cadre du projet de loi, c’est la femme qui décide.
Mme Bernadette Dupont. Non !
Mme Nora Berra, secrétaire d'État. Il est simplement prévu de respecter son droit à l’information. Ainsi, elle saura qu’elle aura la possibilité de procéder à un dépistage, mais celui-ci ne lui sera pas imposé.
M. Guy Fischer. C’est évident !
Mme Nora Berra, secrétaire d'État. Ce n’est peut-être qu’une nuance, mais elle est de taille et je tiens à la souligner.
Pour répondre à M. Fischer sur le don de cellules souches hématopoïétiques et le développement des pratiques commerciales, je voudrais préciser que le don dédié n’est pas tout à fait la même chose que le don autologue. En effet, il a vocation à permettre de soigner un membre de la fratrie. Si les banques du sang réservent des espaces à cet effet, on ne peut que s’en réjouir.
Le Gouvernement n’a aucunement l’intention d’encourager une quelconque politique commerciale. C’est d’ailleurs pour cette raison que le projet de loi n’autorise pas la conservation de sang qu’à des thérapeutiques.
En outre, le régime de consentement présumé doit impérativement être maintenu en matière de don d’organes. Certains d’entre vous souhaitent la mise en place de registres de consentement exprès. Je souligne simplement que des études montrent que ces registres ne recueillent que peu d’inscriptions. En définitive, le régime de consentement présumé est celui qui permet d’obtenir la plus grande disponibilité d’organes. Ne fragilisons pas ce dispositif en multipliant les registres.
Enfin, je me réjouis du rétablissement de l’ordonnance relative à la biologie médicale par la commission. Les quelques points de difficultés résiduelles soulevés par ce texte feront l’objet d’ajustements dans le cadre de la proposition de loi modifiant certaines dispositions de la loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, déposée par M. Fourcade. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
La parole est à Mme la présidente de la commission des affaires sociales.
Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, le Gouvernement venant de déposer des amendements, je vous demande une suspension de séance afin que la commission puisse les examiner, d’autant que le premier d’entre eux vise à supprimer l’article 1er A.
M. le président. Dans ces conditions, mes chers collègues, je vous propose d’interrompre maintenant nos travaux et de les reprendre à vingt et une heures trente. (Assentiment.)
10
Communication du Conseil constitutionnel
M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le mardi 5 avril 2011, qu’en application de l’article 61-1 de la Constitution, le Conseil d’État a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité (2011-134 QPC).
Le texte de cette décision de renvoi est disponible au bureau de la distribution.
Acte est donné de cette communication.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures, est reprise à vingt et une heures trente.)
M. le président. La séance est reprise.
11
Lettre de M. le Premier ministre sur la situation en Côte d’Ivoire
M. le président. Mes chers collègues, je vais vous donner lecture d’une lettre que M. François Fillon, Premier ministre, a adressée le 4 avril à M. le président du Sénat :
« Monsieur le président,
« La situation sécuritaire à Abidjan s’est très gravement détériorée ces derniers jours. Le secrétaire général des Nations unies a écrit au Président de la République le 3 avril 2011 pour lui demander le soutien des forces françaises aux opérations militaires que l’Opération des Nations unies en Côte d’Ivoire, l’ONUCI, allait conduire, conformément à la résolution 1975 du Conseil de sécurité, pour mettre hors d’état de nuire les armes lourdes utilisées contre les populations civiles et les casques bleus.
« En réponse à la demande du secrétaire général, le Président de la République a donné l’autorisation aux forces françaises d’exécuter ces opérations conjointement avec l’ONUCI, conformément au mandat qu’elles ont reçu du Conseil de sécurité. Les opérations ont été conduites le lundi 4 avril à partir de dix-neuf heures.
« J’ai demandé à Alain Juppé, ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes, et à Gérard Longuet, ministre de la défense et des anciens combattants, de se tenir à la disposition du président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées pour informer le Sénat de la situation à Abidjan et des opérations militaires menées en Côte d’Ivoire par les forces françaises.
« Je vous prie d’agréer, monsieur le président, l’assurance de ma haute considération.
« Signé : François Fillon »
Acte est donné de cette communication.
12
Bioéthique
Suite de la discussion d'un projet de loi
(Texte de la commission)
M. le président. Nous reprenons l’examen du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, relatif à la bioéthique.
Je vous rappelle que la discussion générale a été close.
Nous passons à la discussion des articles.
Article 1er A (nouveau)
Est autorisée la ratification de la convention du Conseil de l’Europe pour la protection des droits de l’homme et de la dignité de l’être humain à l’égard des applications de la biologie et de la médecine : convention sur les droits de l’homme et la biomédecine, signée à Oviedo le 4 avril 1997.
M. le président. La parole est à M. Guy Fischer, sur l'article.
M. Guy Fischer. Comme chacun le sait, la convention d’Oviedo est l’accord international qui énonce les principes fondamentaux applicables à la médecine quotidienne ainsi que ceux qui s’appliquent aux nouvelles technologies dans le domaine de la biologie humaine et de la médecine.
Signée par la plupart des pays membres, dont la France, en 1997, cette convention a pour objet de faire en sorte que de tels progrès soient compatibles avec un principe fondamental : la dignité de la personne humaine. Elle aborde notamment des sujets comme la primauté de l’individu sur la science et la société, le consentement du patient ou le respect de la vie privée.
La France a grandement participé à l’élaboration de cette charte, dont le contenu est d’ailleurs très proche de notre législation nationale en matière de bioéthique. C’est d’ailleurs le cas pour l’ensemble des pays ayant de tels dispositifs. Cette convention sert donc de repère aux pays, notamment ceux de l’Europe de l’Est, qui ne disposent pas de texte spécifique dans leur droit interne.
Or, paradoxalement, la France, qui a signé ce traité, qui a contribué à l’écrire et dont le droit interne en la matière est très proche, ne l’a toujours pas ratifié.
Interrogé en 2000 par le sénateur Claude Huriet sur la date de la ratification de cette convention, le Premier ministre de l’époque, M. Lionel Jospin, déclarait que celle-ci ne pourrait intervenir « qu’une fois connues les dispositions de la nouvelle législation nationale applicable en matière bioéthique. »
Pour autant, l’adoption de loi de 2004 réformant la loi de 1994 n’a pas été suivie de la ratification de cette convention, comme nous aurions pu le croire. Il serait naturellement regrettable de devoir encore attendre avant que la France ratifie enfin cette convention, dont nous avons fêté les dix ans en 2009.
Cette ratification est donc attendue. Elle constitue un signal fort, et ce d’autant plus que d’autres textes européens sont moins protecteurs que cette convention en la matière. C’est pourquoi le groupe CRC-SPG votera en faveur de l’article 1er A.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Thérèse Hermange, sur l'article.
Mme Marie-Thérèse Hermange. En effet, notre pays a largement contribué à rédiger la convention d’Oviedo, qui s’inscrit dans le droit fil de notre législation en matière de bioéthique.
Comme il me paraît incongru que cette convention, signée depuis 1998, n’ait toujours pas fait l’objet d’une ratification, j’ai proposé, à l’instar de M. le rapporteur, d’introduire dans le projet de loi un article 1er A visant à autoriser la ratification de cet accord.
J’espère que nous irons au bout de la démarche et que ce nouvel article ne sera pas supprimé. C’est important pour notre pays ; nous sommes attendus sur le sujet.
M. le président. L'amendement n° 170, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Nora Berra, secrétaire d'État auprès du ministre du travail, de l'emploi et de la santé, chargée de la santé. Le Gouvernement partage la préoccupation dont témoigne l’article 1er A et souhaite voir la France ratifier la convention d’Oviedo. En effet, il n’existe aucun obstacle juridique à une telle ratification, qui nécessite seulement de lever une réserve mineure.
Les études et rapports réalisés à l'occasion du présent réexamen de la loi ont unanimement conclu non seulement à la compatibilité de la convention avec nos normes bioéthiques, mais également à l'opportunité d'une telle ratification. On a pu observer que les principes de la convention d'Oviedo ont été systématiquement invoqués dans les travaux en cours et que la convention constituait un texte de référence.
Dans ces conditions, pourquoi cette convention n’a-t-elle toujours pas fait l’objet d’une ratification ? L’interrogation est légitime.
En réalité, ce sont les clauses de révision périodique souhaitées par le législateur qui ont contrarié l’engagement de la procédure de ratification. Elles ont fait peser un aléa sur la compatibilité future du texte à la convention et ont abouti à différer la ratification. Le projet de loi qui vous est soumis ne contient plus de clause de révision. Il n’y aura donc plus d’obstacle à la ratification une fois la loi promulguée.
Toutefois, la ratification ne peut pas être autorisée par le biais de l’ajout de cet article 1er A au projet de loi relatif à la bioéthique. Elle doit faire l’objet d’une procédure spécifique, celle du dépôt par le Gouvernement d’un projet de loi d’autorisation de ratification.
Procéder autrement ferait peser un risque constitutionnel sur l’autorisation de ratification. En effet, le pouvoir de négocier, puis de ratifier ou d’approuver des accords internationaux appartient au pouvoir exécutif. Bien entendu, avant d’approuver ou de ratifier un accord, le pouvoir exécutif doit solliciter l’autorisation du Parlement dans les cas prévus par l’article 53 de la Constitution. Mais le Constituant n’a en aucun cas entendu donner au Parlement un pouvoir d’initiative en la matière.
C’est pourquoi le Gouvernement vous demande d’adopter cet amendement de suppression. Néanmoins, comme je l’ai indiqué devant la commission des affaires sociales, le Gouvernement est favorable à la ratification de la convention d’Oviedo. Nous reprendrons donc rapidement les travaux en vue de l’élaboration d’un projet de loi autorisant cette ratification.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur de la commission des affaires sociales. Lors de la réunion qui a suivi la suspension de la séance, la commission, convaincue par l’objet de l’amendement du Gouvernement, qui met en avant un risque d’inconstitutionnalité de l’article 1er A, a déposé un amendement tendant à réécrire cet article afin de remplacer l’autorisation de ratification de la convention d’Oviedo par le simple dépôt d’un rapport sur le sujet.
Cela étant, pendant la pause du dîner, j’ai fait procéder à des recherches plus approfondies. À cette occasion, nous avons découvert plusieurs précédents d’amendements parlementaires ayant conduit à la ratification d’une convention internationale. C’est par cette voie, par exemple, qu’a été autorisée la ratification de la Convention-cadre de l’Organisation mondiale de la santé pour la lutte antitabac dans le cadre du projet de loi relatif à la politique de santé publique. Le Gouvernement avait alors émis un avis favorable sur cet amendement.
La Constitution ne l’interdit pas ; le règlement du Sénat non plus. Quant au Conseil constitutionnel, dans sa décision du 9 avril 2003 sur une résolution modifiant le règlement de l’Assemblée nationale, il a également admis que des amendements parlementaires peuvent être déposés sur des projets de loi autorisant la ratification de conventions internationales. Il n’y a donc pas d’obstacle constitutionnel.
Telles sont les raisons pour lesquelles je vais retirer l’amendement que la commission a déposé pour modifier l’article 1er A et je maintiens l’avis défavorable de la commission sur l’amendement du Gouvernement.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Godefroy. Madame la secrétaire d’État, si nous comprenons les arguments constitutionnels que vous avez avancés, je note, sans perfidie aucune, qu’il aurait peut-être été plus judicieux que la commission adopte l’amendement que le groupe socialiste avait déposé la semaine dernière sur le même sujet.
Anticipant les difficultés juridiques que vous évoquez aujourd’hui, nous avions proposé la rédaction suivante : « Dans un délai de six mois suivant la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur les conditions de ratification par la France de la Convention pour la protection des droits de l’homme et de la dignité de l’être humain à l’égard des applications de la biologie et de la médecine, signée à Oviedo le 4 avril 1997, et notamment les éventuelles réserves à formuler pour tenir compte de l’état de la législation française en la matière ».
Je sais bien que les commissions ne sont en général pas friandes de tels rapports. Mais, en l’occurrence, celui-là nous aurait permis d’acter la volonté du Gouvernement de ratifier la convention d’Oviedo en évitant toutes les difficultés juridiques.
Ce n’est pas que nous n’avons pas confiance lorsque vous indiquez que le Gouvernement est favorable à une telle ratification et que les travaux seront repris avec le ministère des affaires étrangères et européennes en vue de l’élaboration d’un projet de loi de ratification « dans les plus brefs délais ». Mais, comme vous le savez, « Les paroles s’envolent, les écrits restent ».
M. le président. La parole est à Mme Marie-Thérèse Hermange, pour explication de vote.
Mme Marie-Thérèse Hermange. Je remercie M. le rapporteur des recherches qu’il a effectuées.
Je tiens tout de même à souligner que nous travaillons dans des conditions très difficiles. Alors que nous sommes saisis de sujets extrêmement complexes, on nous soumet à dix-neuf heures des amendements sur lesquels nous devons nous prononcer à dix-neuf heures trente. Avouez que ce n’est pas simple…
Encore ne s’agit-il pour le moment que de questions juridiques. Mais qu’en sera-t-il lorsque nous aborderons des problèmes ayant des implications scientifiques ? J’espère que l’on nous laissera suffisamment de temps pour prendre le recul nécessaire et que l’on nous fera parvenir les amendements en temps voulu, madame la secrétaire d’État !
Quoi qu’il en soit, je remercie à nouveau M. le rapporteur d’avoir réalisé ces recherches.
Dans la mesure où j’ai demandé en commission, comme M. le rapporteur, que la convention d’Oviedo soit inscrite dans ce texte à l’article 1er A, je serai conséquente avec la position qui a été la mienne et je suivrai l’avis de la commission.
M. le président. La parole est à M. Guy Fischer, pour explication de vote.
M. Guy Fischer. Je formulerai les mêmes remarques.
Nous apprécions les recherches réalisées durant la suspension de séance.
Par ailleurs, il était important que cet éclairage, confirmé par notre collègue Jean-Pierre Godefroy, soit apporté par M. le rapporteur.
C’est la raison pour laquelle nous suivrons l’avis de la commission.
M. le président. La parole est à M. Bernard Cazeau, pour explication de vote.
M. Bernard Cazeau. Nous sommes très sceptiques.
La convention d’Oviedo a été signée il y a près de quinze ans. En 2004, nous avions déjà demandé sa ratification. Elle nous avait été promise. Aujourd'hui, cela recommence.
Je forme l’espoir que la proposition de M. le rapporteur accélère le processus, même si nous avons des doutes sur ce point. Manifestement, le Gouvernement ne souhaite pas ratifier la convention signée à Oviedo.
M. le président. L'amendement n° 171, présenté par M. Milon, au nom de la commission des affaires sociales, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Un mois au plus tard après la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet un rapport au Parlement sur le calendrier qu’il envisage pour la ratification de la convention du Conseil de l’Europe pour la protection des droits de l’homme et de la dignité de l’être humain à l’égard des applications de la biologie et de la médecine : convention sur les droits de l’homme et la biomédecine, signée à Oviedo le 4 avril 1997.
Cet amendement a été retiré.
Je mets aux voix l'article 1er A.
(L'article 1er A est adopté.)
M. Charles Revet. Belle unanimité !
Titre Ier
EXAMEN DES CARACTÉRISTIQUES GÉNÉTIQUES À DES FINS MÉDICALES
(Intitulé nouveau)
Article 1er
Le chapitre Ier du titre III du livre Ier de la première partie du code de la santé publique est ainsi modifié :
1° Les quatre derniers alinéas de l’article L. 1131-1 sont supprimés ;
2° Après l’article L. 1131-1, sont insérés deux articles L. 1131-1-2 et L. 1131-1-3 ainsi rédigés :
« Art. L. 1131-1-2. – Préalablement à la réalisation d’un examen des caractéristiques génétiques d’une personne, le médecin prescripteur informe celle-ci des risques qu’un silence ferait courir aux membres de sa famille potentiellement concernés si une anomalie génétique grave, dont les conséquences sont susceptibles de mesures de prévention, y compris de conseil génétique, ou de soins, était diagnostiquée. Il prévoit avec elle, dans un document écrit qui peut, le cas échéant, être complété après le diagnostic, les modalités de l’information destinée aux membres de la famille potentiellement concernés, afin d’en préparer l’éventuelle transmission. Si la personne a exprimé par écrit sa volonté d’être tenue dans l’ignorance du diagnostic, elle peut l’autoriser à procéder à l’information des intéressés dans les conditions prévues au troisième alinéa.
« En cas de diagnostic d’une anomalie génétique grave, sauf si la personne a exprimé par écrit sa volonté d’être tenue dans l’ignorance du diagnostic, l’information médicale communiquée est résumée dans un document rédigé de manière loyale, claire et appropriée, signé et remis par le médecin. La personne atteste de cette remise. Lors de l’annonce de ce diagnostic, le médecin propose à la personne de prendre contact avec une association de malades agréée en application de l’article L. 1114-1 capable d’apporter des renseignements complémentaires sur l’anomalie génétique diagnostiquée.
« Si la personne ne souhaite pas informer elle-même les membres de sa famille potentiellement concernés, elle peut demander par un document écrit au médecin prescripteur, qui atteste de cette demande, de procéder à cette information. Elle lui communique à cette fin les coordonnées des intéressés dont elle dispose. Le médecin porte alors à leur connaissance l’existence d’une information médicale à caractère familial susceptible de les concerner et les invite à se rendre à une consultation de génétique, sans dévoiler ni le nom de la personne ayant fait l’objet de l’examen, ni l’anomalie génétique, ni les risques qui lui sont associés.
« Le médecin consulté par la personne apparentée est informé par le médecin prescripteur de l’anomalie génétique en cause.
« Art. L. 1131-1-3. – Par dérogation au deuxième alinéa de l’article L. 1111-2 et à l’article L. 1111-7, seul le médecin prescripteur de l’examen des caractéristiques génétiques est habilité à communiquer les résultats de cet examen à la personne concernée ou, le cas échéant, aux personnes mentionnées au second alinéa de l’article L. 1131-1. »
M. le président. La parole est à M. Bernard Cazeau, sur l'article.
M. Bernard Cazeau. L’information de la parentèle en cas de maladie génétique est une question extrêmement délicate. Cela tient au fait que, en génétique, contrairement aux autres spécialités médicales, l’information délivrée au patient peut concerner d’autres personnes que lui.
À cet égard, la loi de 2004 avait prévu une procédure discutable : l’obligation d’information pesait sur la personne malade ; si elle ne pouvait s’en charger, l’Agence de la biomédecine devait le faire à sa place. À l’époque, j’avais exprimé mes réserves quant à la formulation proposée.
Les faits semblent m’avoir donné raison. En effet, le décret relatif aux modalités d’application de la procédure d’information à caractère familial n’ayant pas vu le jour, nous sommes de nouveau saisis de cette question. Or, malheureusement, force est de constater que la rédaction de l’article 1er n’est pas très satisfaisante au regard des problématiques médicales.
Prenons trois exemples.
Premièrement, l’information de la parentèle apparaît nécessaire lorsque l’anomalie génétique est grave ou lorsque des mesures de prévention peuvent être appliquées. A priori, nous sommes tous d’accord. Néanmoins, qu’entendons-nous par « anomalie génétique grave » ?
Deuxièmement, la notion de « parentèle » me paraît problématique. Il n’y pas de définition scientifique du terme. Doit-on informer un cousin germain des risques de trisomie 21 d’un enfant à naître ? Médicalement, pourquoi pas. Humainement, cela paraît discutable. Enfin, que se passe-t-il en cas de non-présence ou de rupture familiale ?
Troisièmement, cet article prévoit que les médecins doivent proposer aux parents de prendre contact avec une association de malades en cas d’anomalie grave afin qu’ils soient informés des conséquences de la pathologie. Cela pose tout un tas de problèmes, notamment en ce qui concerne le secret médical ; nous avons déjà eu un débat sur ce point et d’autres que moi interviendront sur le sujet.
Madame la secrétaire d'État, toutes ces questions me conduisent à vous demander de plus amples explications. À défaut, les tribunaux, demain, devront répondre à ces interrogations, ce qui ne paraît souhaitable pour personne. Notre position sera donc fonction des éclairages que vous vous voudrez bien nous apporter.
M. le président. La parole est à M. Guy Fischer, sur l'article.
M. Guy Fischer. L’article 1er de ce projet de loi concerne une question à la fois essentielle et délicate, celle de la nécessité d’informer ou non une tierce personne, généralement le conjoint et les enfants, de l’existence d’une maladie génétique. Autrement dit, il s’agit de s’interroger sur une forme de confrontation, pour ne pas dire de contradiction, entre, d’une part, le respect du secret médical et le respect de l’autonomie de la décision de la personne malade et, d’autre part, le droit des proches à être informés d’une éventuelle maladie génétique pouvant, de fait, les concerner.
Comme le souligne le Comité consultatif national d’éthique, le CCNE, dans l’avis n° 76, « Il peut donc exister une tension forte entre le strict respect du secret éventuellement souhaité par la personne chez laquelle on a découvert une mutation génétique et l’intérêt éventuel, parfois majeur, des autres personnes à connaître cette information pour en tirer bénéfice ». Cet avis faisait suite à l’interrogation formulée par le ministre de la santé de l’époque, M. Jean-François Mattei, sur l’opportunité d’inscrire dans la loi l’obligation d’informer son entourage familial en cas de découverte de l’existence d’une maladie génétique grave ou de prédispositions pouvant faire l’objet pour les autres membres de la famille d’une prévention efficace.
Il va de soi que cette question, à la fois philosophique et très concrète, se pose avec moins d’importance dès lors que la personne atteinte de cette anomalie lève le secret ou que l’anomalie ne peut faire l’objet d’aucun traitement préventif ou curatif.
Ce point a déjà donné lieu à des débats importants, bien au-delà de la question des maladies génétiques. Je pense, notamment, au problème de la contamination par le VIH. Si, naturellement, nul ne souhaite que des femmes et des hommes se trouvent contaminés par ignorance ou ne puissent être traités de manière préventive ou curative en matière génétique, nous ne sommes pas favorables à ce que soit rompu le secret médical, et ce pour une bonne raison : nous considérons que ce dernier est au cœur de la relation spécifique qui lie le patient à son médecin.
Aussi, partageons-nous les conclusions du Comité consultatif national d’éthique, qui affirme dans son avis : « Au terme de cette analyse, en considérant les situations réelles dans lesquelles se pose le problème d’une nécessaire transmission d’une information génétique à la famille d’un sujet, le CCNE considère que la mise en œuvre de procédures adaptées, dans le cadre d’un strict respect du secret médical, est la mieux à même d’aboutir au résultat désiré, c’est-à-dire la protection de la famille dans le strict respect de l’intimité des personnes ».
La rédaction de l’article 1er issue des travaux de la commission s’inscrit pleinement dans cette perspective, et nous y souscrivons. Nous considérons que la volonté exprimée au travers de cet article d’inciter les patients à informer leurs proches tout en conservant le secret professionnel reste la meilleure solution. C’est pourquoi nous le voterons tout comme nous voterons l’amendement n° 10 de notre collègue Jean-Pierre Godefroy.
M. le président. L'amendement n° 8, présenté par M. Cazeau, Mme Le Texier, MM. Godefroy et Michel, Mmes Cerisier-ben Guiga, Alquier, Printz et Schillinger, MM. Kerdraon et Le Menn, Mmes Demontès et Jarraud-Vergnolle, MM. Desessard et Mirassou, Mmes Blandin, Blondin, Bourzai et Lepage, MM. C. Gautier, Collombat, Guérini, Madec, Marc, Massion, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Avant l'alinéa 1
Insérer un paragraphe ainsi rédigé :
...- Après le troisième alinéa de l'article L. 1111-2 du code de la santé publique, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Le droit à l'intimité génétique est reconnu. »
La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou.
M. Jean-Jacques Mirassou. Cet amendement a trait à l’intimité génétique et à son respect. Il est donc essentiel à nos yeux.
Dès 1999, Franck Sérusclat, dans un rapport parlementaire intitulé « Génomique et informatique : l’impact sur les thérapies et sur l’industrie pharmaceutique », mettait en avant le fait que le droit à l’intimité génétique allait devenir l’une des plus importantes problématiques et revendications de notre siècle.
Le professeur de droit Brigitte Feuillet-Le Mintier estimait, quant à elle, que la question de l’intimité génétique renvoyait à l’impérieuse nécessité de trouver un système où la science, moteur de développement, et l’économie, système incontournable de notre société, puissent se développer, mais dans le respect de la personne humaine.
Nous savons tous que les découvertes réalisées dans le domaine génétique permettent désormais non seulement d’identifier un individu, de le rattacher à une lignée généalogique, mais aussi d’établir des liens entre la présence d’un gène et la prédisposition à développer telle ou telle pathologie.
Si ces découvertes peuvent constituer un atout important dans l’amélioration de la condition humaine, elles peuvent aussi, à elles seules, être sources de préjudices extrêmement graves.
Considérons les empreintes et les tests génétiques, par exemple. Dans le premier cas, une parenté officielle peut être remise en cause par les empreintes génétiques, qui vont établir assurément la parenté biologique. Certes, l’article 16-11 du code civil n’autorise ces pratiques que dans un cadre juridique précis et limité aux « mesures d’enquête ou d’instruction diligentées lors d’une procédure judiciaire » ou « à des fins médicales ou de recherche scientifique ». Néanmoins, des pays tel que l’Espagne, la Belgique ou le Brésil autorisent les examens d’empreintes génétiques en dehors de tout procès.
Quant aux tests génétiques, ils présentent des intérêts remarquables. Ils ont rendu possible la prévention de certaines maladies ou l’anticipation de traitements avant que celles-ci ne se déclarent. Cependant, des dangers existent.
Cet accès à la connaissance de doit pas être obligatoire. En effet, penser que, dans tous les cas, l’information issue de ces tests n’impactera pas la vie privée de l’individu n’est pas raisonnable. Ainsi, un citoyen qui disposera d’informations sur sa santé – je pense, notamment, à une pathologie décelée ou à la découverte d’une prédisposition à développer une maladie alors qu’aucun traitement n’existe –, pourra-t-il continuer de mener sa vie sereinement ? Personne ne peut l’affirmer.
Or, si nous considérons que la vie privée regroupe tout ce qui touche à l’intimité d’un individu et que l’article 9 du code civil dispose que « chacun a droit au respect de sa vie privée », il apparaît indispensable d’affirmer dans la loi que tout citoyen dispose du droit de savoir, mais aussi du droit de ne pas savoir. Tout citoyen doit disposer du droit d’ignorer sciemment ce qui relève non pas tant du secret médical que du respect de l’intimité privée et de son corollaire, l’intimité génétique.
Dans un monde où la transparence semble être l’un des leitmotive de rigueur, le droit de ne pas savoir doit trouver sa place. Tel est l’objet de cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. Cet amendement vise à inscrire dans l’article du code de la santé publique relatif au droit de toute personne d’être informée sur son état de santé ou d’être tenue dans l’ignorance d’un diagnostic un nouveau droit, celui à l’intimité génétique.
En l’absence de définition, la portée juridique de cette notion paraît très incertaine. Que recouvre concrètement ce droit à l’intimité génétique ? S’agit-il du droit de ne pas savoir ? S’agit-il du droit de ne pas informer ses proches ? Cette dernière interprétation irait à l’encontre de l’article 1er, lequel répond, selon moi, aux préoccupations du groupe socialiste : le droit à l’ignorance y est clairement affirmé et le secret médical s’impose en toutes circonstances.
La commission a donc émis un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nora Berra, secrétaire d'État. Cet amendement a essentiellement une portée déclarative.
Monsieur le sénateur, votre préoccupation est déjà satisfaite par les dispositions relatives à la protection de la vie privée, plus spécifiquement par le secret médical.
En ce qui concerne le droit d’être informé, la personne peut toujours y renoncer.
Quant au droit de ne pas savoir, spécifiquement, dans le champ des tests génétiques, il est bien pris en compte par la procédure relative aux conditions d’information de la parentèle.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable.
M. le président. L’amendement n° 85, présenté par M. Fischer, Mmes David et Pasquet, M. Autain, Mme Hoarau et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du parti de gauche, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 1
Insérer trois alinéas ainsi rédigés :
…° Avant l’article L. 1131-1, il est inséré un article L. 1131 ainsi rédigé :
« Art. L. 1131. – La commercialisation de tests ayant pour finalité de pratiquer des examens génétiques est interdite dès lors qu’elle n’a pas de finalité scientifique ou thérapeutique.
« Un décret précise les sanctions financières applicables aux personnes physiques ou morales qui contreviendraient à cette disposition. »
La parole est à Mme Annie David.
Mme Annie David. Nous venons de le voir, chacun a le droit de savoir ou de ne pas savoir. Chacun a le droit de savoir d’où il vient, chacun a le droit d’obtenir des informations sur ses origines, ses caractéristiques génétiques, mais nous savons toutes et tous que ces recherches doivent être effectuées de manière très encadrée, d’une part, et en dehors de tout circuit commercial, d’autre part.
En effet, nous connaissons bien les dérives de la commercialisation : publicité invasive, suspicions généralisées, conflits dans les familles – notamment du fait des tests de paternité – et, en dernier lieu, charlatanisme et arnaques. C’est d’ailleurs pour cette raison que le projet de loi que nous examinons aujourd’hui encadre ces pratiques d’examen génétique.
Vous me demanderez certainement pourquoi ajouter une disposition qui serait redondante. Après tout, le texte définit les laboratoires concernés et les critères d’habilitation de ces laboratoires. Bref, vous pourriez m’opposer que l’encadrement est suffisant.
Nous pensons, quant à nous, qu’il faudrait accompagner cet encadrement en posant le principe de l’interdiction de la commercialisation des tests génétiques, qui pullulent aujourd’hui sur internet. Parce que ce principe inspire la loi et son application, son affirmation est nécessaire. Il est évident que si nous n’énonçons pas ce principe et les sanctions qui frapperaient ceux qui s’en affranchiraient, des dérives commerciales apparaîtront, comme le fichage des caractéristiques génétiques, par exemple.
Nous ne nions pas le besoin ressenti par certains de connaître leurs origines, nous ne nions pas le droit de chacun à connaître ses caractéristiques génétiques, mais pour garantir que l’analyse des caractéristiques demeurera parfaitement encadrée et, surtout, ne sortira pas de son cadre médical, il faut empêcher que le commerce, le marché ne s’approprient ce domaine. Il faut donc s’assurer que le test des caractéristiques génétiques soit, comme le recommande le CCNE, limité à « certains laboratoires spécialement agréés », et que la réalisation de ces tests ne soit autorisée « qu’en exécution d’une décision de justice ».
L’affirmation du principe de la restriction des examens génétiques à des fins scientifiques et thérapeutiques ainsi que l’établissement de sanctions en cas de non-respect de ce principe sont donc, à notre avis, très importants.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. Cet amendement vise à interdire la commercialisation des tests génétiques, notamment sur internet.
Or cette disposition s’avère difficilement applicable : la plupart des tests actuellement proposés sont réalisés dans d’autres pays, qu’il s’agisse de pays proches, tels que la Belgique ou la Suisse, ou de pays beaucoup plus lointains, situés en Amérique du Nord ou même en Asie. L’interdiction de la vente de ces tests risquerait donc de n’avoir aucune portée réelle.
La commission a retenu une solution qui devrait être plus opérationnelle et plus efficace : ainsi, l’article 4 ter interdit le recours à des tests génétiques en l’absence de prescription médicale et en dehors des laboratoires autorisés à cet effet.
C’est pourquoi, ma chère collègue, je vous demande de bien vouloir retirer votre amendement. À défaut, je serais contraint d’émettre un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nora Berra, secrétaire d’État. Le Gouvernement demande également aux auteurs de cet amendement de bien vouloir le retirer. À défaut, il émettra un avis défavorable.
M. le président. Madame David, l’amendement n° 85 est-il maintenu ?
Mme Annie David. Oui, monsieur le président.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Michel. Je m’interroge sur ce que signifie le « droit de ne pas savoir ». Cette notion m’échappe totalement.
Chacun a le droit de savoir, d’accéder à la connaissance, à la culture. Or, dans le cas présent, on proclame un droit « de ne pas savoir », sans préciser sur quoi il porte : l’origine, l’identité, la maladie ? C’est aberrant ! Certains des propos que j’entends ici dépassent l’entendement.
En ce qui me concerne, je pense que l’on a le droit de savoir et que ceux qui savent ont le devoir de dire. Voilà la base d’une civilisation fondée sur la raison !
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Lorrain, pour explication de vote.
M. Jean-Louis Lorrain. Mon cher collègue, vous aurez peut-être l’occasion de découvrir le sens du « droit de ne pas savoir ». Si, à la suite d’un test, on vous annonce que, dans quarante ans, vous risquez de souffrir d’une maladie grave, pensez-vous que vous allez vivre tranquillement pendant cette période ?
Nous pouvons donc admettre que certains ne souhaitent pas être informés qu’ils courent le risque de tomber éventuellement malades, alors que ce risque ne se réalisera peut-être pas. Nos concitoyens ont droit, eux aussi, à un certain repos.
M. Jean-Pierre Michel. Ce sont les médecins qui ne veulent rien dire !
M. le président. La parole est à Mme Annie David, pour explication de vote.
Mme Annie David. Je souhaite dissiper un éventuel malentendu.
Comme M. Lorrain, je pense que les patients ont le droit de savoir ou de ne pas savoir, car c’est un choix personnel.
Cela étant, notre amendement ne porte pas sur cette question. Il vise uniquement à interdire la commercialisation des tests génétiques, notamment sur internet. Dans ce cas, non seulement ces tests sont vendus n’importe comment, mais les personnes n’accèdent à l’information qu’en fonction de leurs moyens.
Notre amendement ne porte donc pas atteinte à la liberté de choix du patient – savoir ou non –, mais il nous semble que, pour que l’information des intéressés soit la meilleure possible, il faut qu’elle intervienne en dehors de toute commercialisation et fasse suite à une prescription médicale, dans un cadre spécifique.
M. le président. L’amendement n° 76 rectifié bis, présenté par Mmes Létard, Cros, Morin-Desailly et Payet et MM. Amoudry, Dubois et Jarlier, est ainsi libellé :
Alinéa 4, après la deuxième phrase
Insérer une phrase ainsi rédigée :
« Lorsque cette personne a fait un don de gamètes ayant abouti à la conception d’un ou plusieurs enfants, cette information est également transmise au médecin responsable du centre d’assistance médicale à la procréation afin qu’elle puisse aussi être portée à la connaissance du médecin traitant des enfants concernés. »
La parole est à Mme Valérie Létard.
Mme Valérie Létard. L’article 1er du projet de loi améliore la procédure de l’information médicale à caractère familial afin que, en cas de diagnostic d’une anomalie génétique grave, tous les membres d’une famille qui pourraient être concernés puissent avoir connaissance de cette information, même si la personne diagnostiquée n’a pas souhaité connaître elle-même les résultats de cet examen ou les en informer directement.
Notre amendement a pour objet de prévoir le cas où cette personne a fait antérieurement un don de gamètes et que des enfants ont été conçus à la suite de ce don. Même si cette situation peut s’avérer rare, il semble normal que les enfants, porteurs eux aussi d’une partie de ce patrimoine génétique, puissent avoir accès à cette information décisive, par l’intermédiaire de leur médecin traitant que saisira le médecin responsable du centre d’assistance médicale à la procréation.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. Cet amendement vise à étendre l’information de la parentèle au cas particulier du don de gamètes.
Si une personne qui a fait un tel don découvre qu’elle est atteinte d’une anomalie génétique grave susceptible de mesures de prévention ou de soins, le centre d’assistance médicale à la procréation serait informé et prendrait contact avec le médecin traitant des enfants nés de ce don.
Un tel cas peut effectivement se produire. C’est pourquoi la commission souhaiterait connaître l’avis du Gouvernement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nora Berra, secrétaire d’État. Cet amendement me paraît tout à fait légitime ; en tout cas, l’intention de ses auteurs est bonne.
Pour ma part, je m’en remettrai donc à la sagesse de la Haute Assemblée.
M. Jean-Pierre Michel. Avec de tels avis, nous sommes bien informés !
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Godefroy. Je souhaite moins expliquer mon vote qu’obtenir un complément d’information de la part de notre collègue Valérie Létard.
À partir du moment où une personne qui a fait un don de gamètes découvre qu’elle est atteinte d’une maladie génétique, les enfants en sont informés par l’intermédiaire des médecins du centre d’assistance médicale à la procréation saisis par le médecin traitant du donneur. Cela sous-entend-il que l’anonymat est levé ?
M. Alain Milon, rapporteur. Non !
Mme Marie-Thérèse Hermange. Si, évidemment !
Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales. Non, pas forcément !
M. Jean-Pierre Godefroy. Mes chers collègues, sachez que mon vote s’établira en fonction de la réponse que j’obtiendrai à cette question.
Pour l’instant, cet amendement tel qu’il est rédigé me laisse supposer que l’anonymat sera nécessairement levé. Mme la présidente de la commission semble penser que ce ne sera pas obligatoire. Il n’empêche qu’un certain nombre de personnes seront informées de la situation, même si l’on peut m’objecter que celles-ci seront soumises au respect du secret médical.
Je comprends parfaitement la démarche de Mme Létard. Néanmoins, je le répète, je souhaite savoir si l’adoption de cet amendement n’entraînera pas, de fait, la levée de l’anonymat.
M. le président. La parole est à Mme Valérie Létard, pour explication de vote.
Mme Valérie Létard. Lorsque nous avons rédigé cet amendement, nous n’avions absolument pas l’intention de lever l’anonymat du donneur. L’information sera traitée par le Centre d’étude et de conservation des œufs et du sperme humains, le CECOS, qui informera la ou les personnes nées du don de gamètes, sans pour autant diffuser l’identité du donneur.
Pour les signataires de cet amendement, il s’agit uniquement de transmettre des informations médicales portant sur les risques d’anomalies génétiques liées au don de gamètes, sans communiquer, je le répète, l’identité du donneur.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Alain Milon, rapporteur. J’ajoute que le secret médical n’est pas levé dans le cadre des échanges entre médecins.
Au nom de la commission, j’émets donc un avis favorable sur l’amendement n° 76 rectifié bis.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Michel. Nous sommes dans une confusion totale ! Ceux qui sont favorables à la levée de l’anonymat voteront cet amendement…
Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales. Mais non !
M. Jean-Pierre Michel. ... et ceux qui y sont opposés ne le voteront pas, quelles que soient les précautions sémantiques employées par Mme Létard.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Thérèse Hermange, pour explication de vote.
Mme Marie-Thérèse Hermange. Je suis entièrement d’accord avec notre collègue Jean-Pierre Michel. Le texte de l’amendement présuppose indirectement, même si le respect du secret médical s’impose, une levée de l’anonymat, au moins partielle.
Je voterai donc cet amendement, parce que je ne vois pas pourquoi on empêcherait la communication d’un certain nombre d’informations au médecin traitant des enfants concernés.
M. le président. La parole est à M. Gilbert Barbier, pour explication de vote.
M. Gilbert Barbier. J’abonde dans le sens de Mme Létard : il n’y a aucun obstacle à ce que le médecin qui constate une anomalie génétique transmette l’information à son collègue du CECOS, qui pourra contacter les personnes concernées sans divulguer le nom du donneur.
Je voterai donc cet amendement, bien que je sois hostile à la levée de l’anonymat, monsieur Michel !
M. le président. Chacun va maintenant pouvoir voter en conscience.
Mme Muguette Dini, présidente de la commission des affaires sociales. Et ce n’est pas fini !
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 53 rectifié, présenté par MM. Barbier, Collin, Baylet, Bockel et Detcheverry, Mmes Escoffier et Laborde et MM. Mézard, Milhau, Tropeano et Vall, est ainsi libellé :
Alinéa 5, dernière phrase
Supprimer cette phrase.
La parole est à M. Gilbert Barbier.
M. Gilbert Barbier. L’amendement n° 53 rectifié, comme d’ailleurs l’amendement n° 54 rectifié, tend à soulever le problème de l’introduction d’une nouvelle forme de relation entre le médecin et son patient.
En effet, l’alinéa 5 de l’article 1er dispose que « l’information médicale communiquée est résumée dans un document rédigé de manière loyale, claire et appropriée, signé et remis à l’intéressé ». Il s’agit d’une démarche tout à fait nouvelle. La manière dont le médecin communique avec son patient n’était en effet pas décrite, jusqu’à présent, dans le code de déontologie.
Plus grave encore, dans la suite de cet alinéa, il est prévu que le médecin communique à son patient une liste d’associations, dont l’objet social, si vous me permettez l’expression, est toujours très ciblé. Or ces associations ne sont pas tenues au respect du secret professionnel et elles pourraient ainsi être amenées à avoir connaissance d’informations relatives au diagnostic d’une maladie génétique.
L’amendement n° 53 rectifié tend donc à supprimer la dernière phrase de l’alinéa 5 de l’article 1er dans sa totalité. Je le répète, ce serait en effet une nouveauté si, en qualité de législateur, nous définissions aussi précisément la manière dont le médecin doit s’entretenir avec son patient.
M. le président. L’ amendement n° 54 rectifié, présenté par MM. Barbier, Collin, Baylet, Bockel et Detcheverry, Mmes Escoffier et Laborde et MM. Mézard, Milhau, Tropeano et Vall, est ainsi libellé :
Alinéa 5, dernière phrase
Rédiger ainsi cette phrase :
Lors de l’annonce de ce diagnostic, le médecin informe la personne de l’existence d’une ou plusieurs associations de malades susceptibles d’apporter des renseignements complémentaires sur l’anomalie génétique diagnostiquée. Si la personne le demande, il lui remet la liste des associations agréées en application de l’article L. 1114-1.
La parole est à M. Gilbert Barbier.
M. Gilbert Barbier. Il s’agit d’un amendement de repli. Il vise à prévoir que le médecin informe son patient de l’existence d’associations de malades, sans qu’aucun nombre précis ne soit indiqué.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. L’amendement n° 53 rectifié vise à supprimer la disposition prévoyant que le médecin propose à la personne pour laquelle une anomalie génétique grave a été diagnostiquée de prendre contact avec une association de malades agréée.
Dans les faits, ces associations rendent de grands services en matière d’accompagnement des malades, comme l’ont souligné tous les généticiens que nous avons entendus. Certains ont même regretté que de telles associations n’existent pas pour l’ensemble des maladies. Ils ont cité, en particulier, le cas du cancer du sein héréditaire.
Par ailleurs, la personne n’a aucune obligation de contacter ces associations.
La commission a donc émis un avis défavorable.
L’amendement n° 54 rectifié, comme l’a indiqué Gilbert Barbier, est un amendement de repli tendant à réécrire l’alinéa 5 afin qu’une liste d’associations agréées soit mise à disposition de la personne malade.
Cette rédaction est certainement plus précise, bien qu’elle ne soit sans doute pas nécessaire.
La commission s’en remet donc à la sagesse du Sénat.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nora Berra, secrétaire d'État. Le Gouvernement partage la position de la commission : son avis est défavorable sur l’amendement n° 53 rectifié et, s’agissant de l’amendement n°54 rectifié, il s’en remet également à la sagesse du Sénat.
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Lorrain, pour explication de vote sur l’amendement n° 53 rectifié.
M. Jean-Louis Lorrain. Je souhaiterais insister sur la question de la consultation des associations de malades, en particulier dans le cas des maladies rares.
Une information ciblée permet souvent à des malades très isolés de prendre contact avec des « partenaires » ainsi qu’avec des praticiens très spécialisés dans la pathologie qui les affecte, ce qui leur permet de mieux appréhender et de mieux accepter leur maladie. Cet outil est donc important et très utile aux médecins traitants, même s’il est vrai que cela exige un effort de communication.
M. le président. La parole est à M. Yann Gaillard, pour explication de vote.
M. Yann Gaillard. Je crains que nous nous engagions de plus en plus vers un superpouvoir médical, au risque de nous enfermer dans un certain système. Mieux vaut parfois ne pas savoir.
Je suis très inquiet de la portée de cet ensemble de mesures, lesquelles vont s’aggraver tout au long de l’examen du projet de loi. Il y a donc probablement certains articles que je ne voterai pas !
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Godefroy. La dernière phrase de l’alinéa 5 est ainsi rédigée : « Lors de l’annonce de ce diagnostic, le médecin propose à la personne de prendre contact avec une association de malades agréée […] ».
Aux termes de l’amendement n° 54 rectifié, « [...] Si la personne le demande, [le médecin] lui remet la liste des associations agréées […] ».
Personnellement, je préfère cette dernière rédaction, qui me semble beaucoup plus respectueuse de la personne. En effet, si le médecin invite le patient à prendre contact avec une seule association, le choix peut être orienté. Or nous recevons tous à domicile – sans avoir rien demandé – des courriers d’associations extrêmement actives, et qui ne manqueront pas non plus de l’être auprès de ces malades.
M. le président. La parole est à M. Guy Fischer, pour explication de vote.
M. Guy Fischer. Nous avons l’intention de nous abstenir sur l’amendement n° 53 rectifié, car il existe effectivement un risque de dilution du secret médical.
Concernant l’amendement n° 54 rectifié, nous faisons la même analyse que Jean-Pierre Godefroy. Nous voterons donc cette proposition de M. Barbier, ce qui n’est pas dans nos habitudes. (Sourires.)
Nous constatons ainsi que le début de ce débat fait apparaître une transcendance.
Mme Marie-Thérèse Hermange. Une transcendance ?
M. Guy Fischer. Tout à fait ! Elle permet aux différents groupes de se rejoindre sur certaines analyses. Rassurez-vous, mes chers collègues, il y a d’autres sujets sur lesquels nous serons en désaccord. (Nouveaux sourires.)
M. le président. La parole est à M. Gilbert Barbier, pour explication de vote.
M. Gilbert Barbier. Puisque mon amendement de repli semble davantage satisfaire le Sénat, je retire l’amendement n° 53 rectifié.
Mme Marie-Thérèse Hermange. Très bien !
M. le président. L'amendement n° 53 rectifié est retiré.
Je mets aux voix l'amendement n° 54 rectifié.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. Je constate que cet amendement a été adopté à l’unanimité des présents.
L'amendement n° 10, présenté par MM. Godefroy et Cazeau, Mme Le Texier, M. Michel, Mmes Cerisier-ben Guiga, Alquier, Printz et Schillinger, MM. Kerdraon et Le Menn, Mmes Demontès et Jarraud-Vergnolle, MM. Desessard et Mirassou, Mmes Blandin, Blondin, Bourzai et Lepage, MM. C. Gautier, Collombat, Guérini, Madec, Marc, Massion, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 7
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
Le fait pour le patient de ne pas transmettre l'information relative à son anomalie génétique dans les conditions prévues au premier alinéa ne peut servir de fondement à une action en responsabilité à son encontre.
La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.
M. Jean-Pierre Godefroy. Nous estimons que le texte de la commission des affaires sociales du Sénat pour l’article 1er du projet de loi est meilleur que celui adopté par l’Assemblée nationale. En effet, le dispositif prévu insiste sur la nécessité de convaincre le patient de transmettre l’information à sa famille, sans pour autant l’y obliger, tout en respectant son droit de ne pas savoir.
En cela sont repris la lettre et l’esprit de l’article 35 du code de déontologie médicale, selon lequel « un pronostic fatal ne doit être révélé qu’avec circonspection, mais les proches doivent en être prévenus, sauf exception ou si le malade a préalablement interdit cette révélation ou désigné les tiers auxquels elle doit être faite ».
L’amendement n° 10 a trait aux éventuelles responsabilités du sujet en cas de non-délivrance de l’information. En d’autres termes, la rétention volontaire d’informations concernant une personne porteuse d’une maladie génétique, dont la famille aurait pu bénéficier d’une prévention, voire d’un traitement, peut-elle être assimilée à une non-assistance à personne en danger ou à une mise en danger d’autrui ?
S’il n’existe pas, à la charge du médecin, une obligation d’information de la famille dès lors que celui-ci a rempli son obligation d’information à l’égard du patient – sauf en cas de refus explicite de ce dernier –, le médecin aura le devoir de tout faire pour convaincre le patient d’informer sa famille. Il ne pourra donc être tenu pour responsable s’il échoue, et ce d’autant plus qu’il est tenu au secret médical. À cet égard, il ne pourra être sanctionné pénalement pour non-assistance à personne en danger ou mise en danger d’autrui s’il n’informe pas la famille des risques que celle-ci pourrait éventuellement courir.
S’agissant de la responsabilité du patient qui refuserait d’informer ses collatéraux des risques que ceux-ci encourent, le CCNE considère, dans son avis du 24 avril 2003, que la rétention d’une telle information paraît « moralement condamnable ». Il précise que l’intérêt du groupe ne doit pas être défendu par la loi sous forme de sanction pénale pour la personne.
L’esprit de cet avis a été repris dans la loi du 6 août 2004 relative à la bioéthique, qui a introduit dans l’article L. 1131-1, alinéa 5, du code de la santé publique un principe de non-responsabilité à l’encontre de toute personne qui ne communiquerait pas les résultats de ses tests génétiques à ses collatéraux.
Par cet amendement, nous entendons donc nous situer aussi bien dans la logique du CCNE que dans celle de la loi de 2004, en précisant clairement que l’engagement de la responsabilité du patient est impossible dans ce cas de figure.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. Cet amendement vise à inscrire dans la loi que le fait de ne pas transmettre une information relative à son anomalie génétique ne peut servir de fondement à une action en responsabilité.
Le texte de la commission a supprimé toute référence à une notion de responsabilité de la personne malade. Il n’y aura donc aucune responsabilité particulière liée à cette procédure d’information médicale de la parentèle. Seul le droit commun de la responsabilité civile s’appliquera, ce qui semble normal, car on peut imaginer, par exemple, des cas de dissimulation intentionnelle.
La commission a donc émis un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis de la commission des lois ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. La commission des lois a également émis un avis défavorable sur cet amendement.
Nous souhaitons effectivement en rester, comme Alain Milon l’a rappelé, au principe d’une responsabilité de droit commun, étant précisé qu’en réalité, c’est non pas le fait de refuser de transmettre soi-même l’information, mais le fait de refuser sans motif légitime toute transmission d’information, même indirecte, à ses apparentés qui est susceptible d’engager la responsabilité de l’intéressé.
Par conséquent, du fait de cette précision sur le caractère direct ou indirect de l’information, la rédaction proposée dans cet amendement serait insuffisante et ne couvrirait pas tous les cas qui pourraient se présenter. Il vaut donc mieux en rester à une rédaction simple et à la notion de responsabilité de droit commun.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nora Berra, secrétaire d'État. Si une personne ne souhaite pas transmettre l’information aux membres de sa famille, soit directement, soit par l’intermédiaire de son médecin, les règles de droit commun s’appliquent. En d’autres termes, toute personne s’estimant victime d’un préjudice doit pouvoir intenter une action judiciaire.
Le Gouvernement a donc émis un avis défavorable.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Godefroy. Eu égard aux explications fournies, notamment par M. le rapporteur pour avis, je retire cet amendement.
M. Jean-Pierre Michel. Très bien !
M. le président. L'amendement n° 10 est retiré.
Je mets aux voix l'article 1er, modifié.
(L'article 1er est adopté.)
Article 2
L’article L. 1131-2 du même code est ainsi rédigé :
« Art. L. 1131-2. – Un arrêté du ministre chargé de la santé, pris sur proposition de l’Agence de la biomédecine et de la Haute Autorité de santé, définit les règles de bonnes pratiques applicables à la prescription et la réalisation de l’examen des caractéristiques génétiques d’une personne et de son identification par empreintes génétiques à des fins médicales. Cet arrêté définit également les règles de bonnes pratiques applicables, le cas échéant, au suivi médical de la personne. »
M. le président. L'amendement n° 55 rectifié, présenté par MM. Barbier, Collin, Baylet, Bockel et Detcheverry, Mmes Escoffier et Laborde et MM. Mézard, Milhau, Tropeano et Vall, est ainsi libellé :
Alinéa 2
1° Première phrase
Compléter cette phrase par les mots :
ainsi que celles applicables, le cas échéant, au suivi médical de la personne
2° En conséquence, seconde phrase
Supprimer cette phrase.
La parole est à M. Gilbert Barbier.
M. Gilbert Barbier. Nous présentons cet amendement rédactionnel dans le souci de simplifier un texte complexe.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. Cet amendement, selon ses auteurs, vise à apporter une simplification rédactionnelle dans la mesure où il réunit deux phrases en une seule. Néanmoins, la rédaction du texte deviendrait, selon moi, bien lourde.
C’est pourquoi, mon cher collègue, la commission vous demande de bien vouloir retirer votre amendement. À défaut, elle émettra un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nora Berra, secrétaire d'État. Le Gouvernement partage la position de la commission. Il demande donc également le retrait de cet amendement. À défaut, il émettra un avis défavorable.
M. le président. Monsieur Barbier, l'amendement n° 55 rectifié est-il maintenu ?
M. Gilbert Barbier. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 55 rectifié est retiré.
La parole est à Mme Raymonde Le Texier, pour explication de vote sur l'article.
Mme Raymonde Le Texier. Cet article tend à prévoir qu’un arrêté du ministre chargé de la santé fixe les règles de bonnes pratiques pour les examens génétiques.
Nous jugeons ce choix regrettable, tout simplement parce que l’obligation faite aux autorités sanitaires d’attendre la publication de ce texte pour régler de simples questions de pratiques médicales, qui sont d’ailleurs en constante évolution, constitue une perte de temps. Je rappelle que, en 2006, notre collègue Alain Milon avait déjà fait ce constat dans un rapport intitulé « Accélérer l’application de la loi de bioéthique : une nécessité pour le progrès thérapeutique ».
La mise en œuvre de la loi du 6 août 2004 relative à la bioéthique, comme celle des lois précédentes, s’est trouvée contrariée par plusieurs obstacles, à commencer par l’engorgement des services chargés de la rédaction des textes réglementaires d’application. Ainsi, les services du ministère en charge de la santé souffrent d’un manque de moyens en personnel, compte tenu de leur charge de travail et de son extension croissante, liée précisément à ces textes.
La Cour des comptes avait porté un regard sévère sur l’organisation de la Direction générale de la santé dans un rapport public. Elle avait pointé du doigt, dès 2004, l’impossibilité pour les services du ministère de la santé de définir correctement les conditions dans lesquelles des règles de bonne pratique pouvaient être fixées en matière d’examen des caractéristiques médicales d’une personne.
Rappelons également que, six mois après le vote de la dernière loi relative à la bioéthique, 93 % des mesures réglementaires n’avaient pas été prises, contre 30 % pour le reste des projets de loi votés en 2002 et 2007. À ce jour, neuf arrêtés n’ont pas encore été publiés, notamment celui qui concerne l’approbation des règles de bonnes pratiques s’appliquant au prélèvement des tissus, cellules et des préparations de thérapie cellulaire.
Dès lors, mes propos n’ont pas pour intention de remplacer la responsabilité politique par un pouvoir normatif scientifico-médical. Mais la procédure de l’arrêté ministériel semble d’une lourdeur excessive s’agissant de modifier certaines règles, extrêmement techniques, comme le prélèvement d’organes ou la répartition des greffons. Nous aurions souhaité que ce soit l’Agence de la biomédecine qui fixe ces règles, sous le contrôle du ministère de la santé. Nous ne voterons donc pas cet article.
M. le président. Je mets aux voix l'article 2.
(L'article 2 est adopté.)
Article 3
I. – Après l’article L. 1131–2 du même code, il est inséré un article L. 1131-2–1 ainsi rédigé :
« Art. L. 1131–2–1. – L’examen des caractéristiques génétiques d’une personne ou son identification par empreintes génétiques à des fins médicales ne peuvent être pratiqués que dans des laboratoires de biologie médicale autorisés à cet effet dans les conditions prévues au chapitre II du titre II du livre Ier de la sixième partie et accrédités dans les conditions prévues au chapitre Ier du titre II du livre II de la même partie.
« Lorsque le laboratoire dépend d’un établissement de santé, l’autorisation est délivrée à cet établissement.
« Un laboratoire de biologie médicale établi dans un autre État membre de l’Union européenne ou partie à l’accord sur l’Espace économique européen peut réaliser la phase analytique de l’examen des caractéristiques génétiques ou de l’identification par empreintes génétiques s’il est autorisé dans cet État à pratiquer cette activité, sous réserve qu’il ait adressé une déclaration si les conditions d’autorisation dans cet État ont été préalablement reconnues comme équivalentes à celles qui résultent du premier alinéa ou, à défaut, qu’il ait obtenu une autorisation après vérification que ses normes de fonctionnement sont équivalentes à celles qui résultent du premier alinéa.
« Les autorisations et accréditations prévues aux trois premiers alinéas peuvent être retirées ou suspendues, respectivement dans les conditions prévues aux articles L. 6122–13 et L. 6221–2 ou en cas de manquement aux prescriptions législatives et réglementaires applicables à l’examen des caractéristiques génétiques d’une personne ou à son identification par empreintes génétiques. »
II. – Au début du premier alinéa de l’article L. 1131–3 du même code, sont ajoutés les mots : « Sous réserve des dispositions du troisième alinéa de l’article L. 1131–2–1, ».
III. – L’article 226–28 du code pénal est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Le fait de procéder à l’examen des caractéristiques génétiques d’une personne ou à son identification par empreintes génétiques à des fins médicales sans avoir reçu l’autorisation mentionnée à l’article L. 1131–2–1 est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende. »
IV (nouveau). – L’article L. 1133–4 du code de la santé publique est ainsi modifié :
1° Le deuxième alinéa est ainsi rédigé :
« Le fait de rechercher l’identification par ses empreintes génétiques d’une personne en dehors des cas prévus à l’article 16-11 du code civil ou en dehors d’une mesure d’enquête ou d’instruction diligentée lors d’une procédure de vérification d’un acte de l’état civil entreprise par les autorités diplomatiques ou consulaires dans le cadre des dispositions de l’article L. 111–6 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est puni d’un an d’emprisonnement ou de 15 000 euros d’amende. » ;
2° Il est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Le fait de procéder à l’examen des caractéristiques génétiques d’une personne ou à son identification par empreintes génétiques à des fins médicales sans avoir reçu l’autorisation mentionnée à l’article L. 1131–2–1 est puni de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende. »
M. le président. L'amendement n° 56 rectifié, présenté par MM. Barbier, Collin, Baylet, Bockel et Detcheverry, Mmes Escoffier et Laborde et MM. Mézard, Milhau, Tropeano et Vall, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Supprimer les mots :
à cet effet
La parole est à M. Gilbert Barbier.
M. Gilbert Barbier. Il s’agit encore d’un amendement rédactionnel, qui, je l’espère, aura plus de succès que le précédent.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. Cet amendement nous est présenté comme rédactionnel. En réalité, les laboratoires de biologie médicale doivent bien être autorisés pour procéder à l’examen de caractéristiques génétiques. Ce n’est pas la même autorisation que pour les autres activités qu’ils peuvent pratiquer.
Je demande donc le retrait de cet amendement, sur lequel, sinon, j’émettrai un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nora Berra, secrétaire d'État. Il est défavorable. Un laboratoire peut être autorisé pour la biologie médicale, mais, s’agissant d’examens génétiques, une autorisation spécifique est nécessaire et il faut conserver la rédaction initiale, donc l’expression « à cet effet ».
M. le président. Monsieur Barbier, l'amendement n° 56 rectifié est-il maintenu ?
M. Gilbert Barbier. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 56 rectifié est retiré.
L'amendement n° 86, présenté par M. Fischer, Mmes David et Pasquet, M. Autain, Mme Hoarau et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Supprimer cet alinéa.
La parole est à Mme Isabelle Pasquet.
Mme Isabelle Pasquet. Au travers de cet amendement, nous entendons supprimer l’alinéa 4 de l’article 3.
En effet, celui-ci prévoit d’autoriser les laboratoires d’analyses médicales dans un autre État membre de l’Union européenne à réaliser la phase analytique de l’examen des caractéristiques génétiques ou de l’identification par empreintes génétiques. Et pour ce faire, ils devront simplement avoir été autorisés dans l’État où ils sont installés à pratiquer cette activité, à charge pour eux d’avoir adressé une déclaration, et il faudra que les conditions d’autorisation dans cet État aient été reconnues comme équivalentes. Si elles ne le sont pas, leur exercice en France demeurera possible à condition qu’ils obtiennent une autorisation, délivrée après vérification que leurs normes de fonctionnement sont équivalentes à celles qui résultent de la loi française.
Cette disposition ressemble à s’y méprendre à la transposition d’une partie de la directive « Services » que nous contestons puisqu’elle tend à instaurer une concurrence nécessairement faussée entre les laboratoires établis en France et ceux des autres États membres.
En fait, avec cet alinéa, il s’agit de finaliser le processus de mise en place d’un grand marché européen dans lequel circulent librement les personnes, les biens, les capitaux et les services. La biologie représente un marché de 7 milliards d’euros, le premier en Europe pour les analyses médicales, et nul doute qu’il aura tendance à croître au fur et à mesure des progrès techniques, notamment en matière de dépistage des maladies et anomalies génétiques.
Parce que nous refusons que la santé soit considérée comme un marché comme les autres, nous proposons la suppression de cet alinéa.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. Cet amendement vise à supprimer l’alinéa relatif à la possibilité pour un laboratoire d’un autre pays européen de procéder à la phase analytique des tests génétiques.
Les textes européens rendent cet alinéa obligatoire. Les laboratoires des autres pays européens devront être autorisés dans des conditions équivalant à celles qui prévalent pour les laboratoires exerçant en France. Ils ne pourront procéder qu’à la phase analytique des tests, c'est-à-dire ni à la phase préliminaire du prélèvement d’échantillon ni à la phase post-analytique, qui consiste à communiquer et à interpréter les résultats.
L’avis de la commission est donc défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nora Berra, secrétaire d'État. Avis défavorable.
Je voudrais simplement préciser que cette disposition n’a aucun rapport avec la directive Services. Elle a pour objet de garantir la qualité de l’ensemble des phases du test génétique, quel que soit le lieu de réalisation.
M. le président. L'amendement n° 57 rectifié, présenté par MM. Barbier, Collin, Baylet, Bockel et Detcheverry, Mmes Escoffier et Laborde et MM. Mézard, Milhau, Tropeano et Vall, est ainsi libellé :
Alinéa 11
Remplacer les mots :
par ses empreintes génétiques d’une personne
par les mots :
d'une personne par ses empreintes génétiques
La parole est à M. Gilbert Barbier.
M. Gilbert Barbier. Il s’agit d’un amendement rédactionnel.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. C’est en effet un amendement rédactionnel, qui vise à une inversion de mots. Pour autant, l’expression « identification par ses empreintes génétiques » est celle qui figure actuellement à divers endroits du code de la santé publique et dans le code civil. Pour cette raison, je demande le retrait de cet amendement ; à défaut, j’émettrai un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Monsieur Barbier, l'amendement n° 57 rectifié est-il maintenu ?
M. Gilbert Barbier. Monsieur le président, j’ai noté que la rédaction différait suivant les articles et que, un peu plus loin dans le texte, l’expression en question était utilisée dans l’autre sens. La cohérence ne me paraissant pas totalement respectée, je maintiens cet amendement.
M. le président. L'amendement n° 87, présenté par M. Fischer, Mmes David et Pasquet, M. Autain, Mme Hoarau et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
I. - Alinéa 11
Supprimer les mots :
ou en dehors d’une mesure d’enquête ou d’instruction diligentée lors d’une procédure de vérification d’un acte de l’état civil entreprise par les autorités diplomatiques ou consulaires dans le cadre des dispositions de l’article L. 111-6 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile
II. - Compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
... - Les alinéas 2 et suivants de l’article L. 111-6 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile sont supprimés.
La parole est à Mme Marie-Agnès Labarre.
Mme Marie-Agnès Labarre. Voilà un peu plus de trois ans, le Parlement a voté le recours aux tests génétiques pour les étrangers candidats au regroupement familial. Nous nous étions alors indignés de cette mesure rétrograde, honteuse et discriminatoire. Notre opinion, vous vous en doutez, n’a pas varié.
Mais, plus étonnant, il semble que la majorité elle-même soit divisée sur cette question des tests ADN, car, depuis trois ans, plus de nouvelles ! Éric Besson, alors ministre de l’immigration, de l’intégration, de l’identité nationale et du développement solidaire, les a même « enterrés » en septembre 2009. Selon lui, le dispositif entraînait « trop de contraintes ». À la bonne heure ! Il aurait certainement préféré pouvoir créer un fichier génétique des demandeurs, voire – encore mieux – pouvoir automatiser le test sans leur accord exprès.
Automatiser le test ? Quelle idée saugrenue, contraire à nos principes, n’est-ce pas ? Et pourtant, aujourd’hui, si la mesure s’appliquait, soyons réalistes, quel demandeur refuserait un test ADN ?
La suspicion généralisée qui entoure désormais chaque demandeur de visa l’oblige à prouver méticuleusement tout ce qu’il avance. Les dossiers sont si lourds, si complexes, que la simple preuve de la filiation est très difficile à mettre en œuvre. Vous pourriez m’objecter qu’après tout il faut du contrôle, et donc des dossiers « sérieux ». Ce serait même en accord avec certaines autres de vos mesures. La suspicion s’est même étendue à nos compatriotes et beaucoup d’entre eux ont aujourd’hui des difficultés à prouver leur nationalité pour renouveler leurs papiers. Là aussi, acte de naissance, anciens passeports, livrets de famille ne suffisent plus. À ceux-là aussi demanderez-vous un jour un test ADN ?
Pour le dire clairement, le test ADN est, dans l’esprit de la loi de 2007, l’argument ultime et, à vrai dire, le seul qui compte dans l’établissement de la filiation. Exit les passeports, les actes de naissance, les documents d’état civil, exit le principe selon lequel la filiation de cœur est la plus importante.
Outre cette question, à la vérité, ce qui est particulièrement pernicieux dans cette loi de 2007, c’est le fait que l’on ne peut pas prouver sa véritable filiation sans le test génétique. Dans cette optique, il est évident que le consentement du demandeur est tout simplement inexistant. Certes, le demandeur n’est pas formellement obligé de demander un test mais, cessons l’hypocrisie, il n’obtiendra pas son visa.
Devant cette absence de consentement, comment, mes chers collègues, ne pas lier cette question à nos discussions sur la loi de bioéthique ? Oui, il est un principe que nous partageons tous ici, j’en suis sûre, selon lequel les tests génétiques ne peuvent être réalisés qu’avec l’accord du demandeur, tout simplement pour respecter son choix, sa dignité en tant qu’être humain. Un consentement « imposé » par nécessité, tel que le prévoit cet article, n’est pas un consentement.
Tout concourt à dire qu’une telle méthode, foncièrement discriminante, de par une catégorisation entre « bons » et « mauvais » étrangers, est fondamentalement contraire à nos principes au regard de la dignité de la personne humaine et de son libre arbitre. Elle est contraire au principe du choix, du consentement à l’exécution de tests génétiques. De plus, le caractère inapplicable de cette mesure, restée lettre morte depuis trois ans, nous invite à nous poser la question de sa pertinence.
Ainsi, au regard de cette absence de pertinence, et de l’hypocrisie qui consiste à faire croire que le demandeur de visa aurait le choix de refuser le test génétique, il me paraît tout à fait opportun, aujourd’hui, de supprimer cette disposition.
Mme Marie-Thérèse Hermange. C’est un autre débat !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. Je reviens très brièvement sur l’amendement n° 57 rectifié, en signalant à notre collègue Gilbert Barbier que rien qu’à l’article 3 l’expression « identification par empreintes génétiques » est utilisée six fois.
L’amendement n° 87 vise à revenir sur une disposition qui figure aujourd'hui dans le code pénal et qui est simplement reprise dans l’article L. 1133–4 du code de la santé publique, lequel est dit le « code suiveur ». Cet amendement ne peut avoir de véritable portée s’il ne modifie pas parallèlement l’article 226–28 du code pénal. Il s’agit de toute façon d’un autre débat. Aussi, la commission émet un avis défavorable.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. François-Noël Buffet, rapporteur pour avis. La commission des lois n’ayant pas été saisie de cet amendement, elle n’a pas eu à se prononcer sur celui-ci.
En revanche, à titre personnel, je souhaite simplement indiquer à Mme Labarre que, très objectivement, cet amendement n’a rien à faire aujourd'hui dans ce projet de loi sur la bioéthique. Il trouverait davantage sa place dans le projet de loi relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité puisqu’il est issu du texte de 2007. Personnellement, je suis donc défavorable à cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger, pour explication de vote sur l'article.
Mme Patricia Schillinger. Cet article a trait au régime d’autorisation des laboratoires réalisant des activités de génétique. Le texte original était ambivalent sur le régime des sanctions pénales envers les officines effectuant des examens dans l’illégalité. La modification par un amendement en commission a permis de rendre ce texte plus lisible. C’est à mon avis une bonne chose.
En effet, rien n’était inscrit implicitement dans cet article pour réserver l’examen des caractéristiques génétiques d’une personne ou son identification par empreintes génétiques à des fins uniquement médicales ou judiciaires. Or il s’agit d’une mesure de précaution républicaine.
En novembre 1992, lors de la première lecture à l’Assemblée nationale du texte qui est devenu la loi de 1994 dite de bioéthique, les députés avaient demandé une suspension de la séance de nuit afin de s’accorder sur un point. Il s’agissait de différencier, parmi les tests génétiques, ceux qui étaient à usage médical, par exemple la détection d’une prédisposition génétique à une maladie, et ceux dont la finalité était l’identification d’un individu ou la détermination d’une filiation grâce aux empreintes d’ADN.
Indépendamment de leur appartenance partisane, les élus décidèrent que ce dernier type de tests ne pouvait être entrepris en France qu’en vertu d’une saisine judiciaire. Ce consensus était lié à une réflexion sur la nature des liens familiaux. La voici : en règle générale, les enfants procèdent biologiquement de la mère et du père.
Cependant, il n’en est pas toujours ainsi. La femme peut être inséminée avec un sperme de donneur ; les enfants peuvent être adoptés ; le père légal peut être différent du père biologique sans que cela remette en question le lien familial. Les généticiens le savent et estiment que, suivant les régions, 3 % à 8 % des enfants de souche ne procèdent pas biologiquement de la mère et du père.
Notre parlement, après d’importants débats avec les experts, les associations familiales et des membres de la société civile, a considéré que le lien de filiation ne devait pas se réduire à sa dimension biologique. On peut être père ou mère par le cœur, par le désir, par la transmission de valeurs, sans rien avoir légué de ses gènes à ses enfants.
Il importe d’éviter que cette relation, sanctionnée par la loi, ne puisse être remise en cause par un homme qui, après une dispute, un cauchemar ou une lecture, se mettrait à douter de sa paternité biologique et qui, après avoir prélevé quelques cheveux de sa progéniture, les ferait analyser. Voyez comment des firmes américaines prospèrent déjà sur l’investigation génétique ! C'est pourquoi nous voterons cet article.
M. le président. Je mets aux voix l'article 3, modifié.
(L'article 3 est adopté.)
Article 4
I. – À l’intitulé du titre III du livre Ier de la première partie du même code, les mots : « génétique et recherche génétique » sont remplacés par les mots : « par empreintes génétiques et profession de conseiller en génétique ».
II. – L’article L. 1131–6 du même code est ainsi modifié :
1° Au 1°, après le mot : « personne », sont insérés les mots : « ou son identification par empreintes génétiques » ;
2° Sont ajoutés des 3° et 4° ainsi rédigés :
« 3° Les conditions d’application de l’article L. 1131–1–2, après avis de l’Agence de la biomédecine ;
« 4° Les conditions que doivent remplir les laboratoires de biologie médicale mentionnés à l’article L. 1131-2-1 pour être autorisés à pratiquer l’examen des caractéristiques génétiques d’une personne ou son identification par empreintes génétiques à des fins médicales. » – (Adopté.)
Article 4 bis
(Supprimé)
Article 4 ter
Après le premier alinéa de l’article L. 1131–3 du code de la santé publique, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Nul ne peut demander l’examen des caractéristiques génétiques le concernant ou concernant un tiers sans prescription médicale et sans recourir à un laboratoire autorisé dans les conditions fixées à l’article L. 1131–2–1. »
M. le président. La parole est à M. Guy Fischer, sur l'article.
M. Guy Fischer. Cet article, tel qu’il résulte de l’amendement déposé par notre rapporteur et adopté par la commission des affaires sociales, vise à inscrire dans le code de la santé publique le principe de l’interdiction du recours à des tests génétiques à finalité médicale, pour soi-même ou pour un tiers, sans prescription médicale ni appel à un laboratoire autorisé par l’Agence de la biomédecine.
Cette disposition, que nous soutenons, tend donc à préserver ce qu’il est convenu d’appeler aujourd’hui « l’intimité génétique », et à éviter ou, à tout le moins, tenter d’éviter que ne se développe la pratique des tests génétique à des fins d’établissement de filiation en dehors du protocole actuellement prévu par la loi.
En effet, comme le Conseil d’État le rappelle dans l’étude qu’il a réalisée sur la révision des lois de bioéthique, « le caractère restrictif de cette législation s’explique par la volonté du législateur de ne pas favoriser la banalisation des tests génétiques de paternité, pratique qui porte potentiellement atteinte au principe de stabilité et d’indisponibilité de la filiation ».
Au-delà de cette question naturelle de la filiation, d’autres problématiques émergent actuellement, comme la question de la réalisation des tests ADN dans le cadre de l’activité professionnelle.
Bien qu’étant théoriquement impossible en France aujourd'hui, certaines personnes sont tentées d’y recourir, y compris en avançant des arguments fallacieux tels que la prévention des maladies professionnelles dans l’intérêt – cela va de soi ! – du salarié. Mais en réalité, on voit bien que, derrière tout cela, se profile la volonté de dépister des sensibilités potentielles afin de mieux sélectionner les salariés sur un motif naturellement discriminatoire. On peut même craindre que, finalement, cela ne permette aux employeurs de se dispenser de respecter leurs obligations en matière de santé. En effet, le problème est moins une présupposée prédisposition génétique à des maladies résultant de l’exposition à certains facteurs que l’exposition elle-même.
Comme le souligne le docteur Briard du service de génétique médicale de l’hôpital Necker-Enfants malades, « nul n’a le désir de considérer la réalisation d’un test génétique comme un moyen de prévention dès lors qu’il conduit à une sélection en milieu du travail ».
L’article 4 ter tel qu’il résulte du travail de la commission permettra justement, semble-t-il, d’éviter cet écueil. C’est la raison pour laquelle le groupe CRC-SPG votera en faveur de son adoption.
M. le président. L'amendement n° 58 rectifié, présenté par MM. Barbier, Collin, Baylet, Bockel et Detcheverry, Mmes Escoffier et Laborde et MM. Mézard, Milhau, Tropeano et Vall, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Après le mot :
tiers
insérer les mots :
dont il a la responsabilité légale
La parole est à M. Gilbert Barbier.
M. Gilbert Barbier. Je comprends bien la volonté de M. le rapporteur d’interdire le recours à des tests génétiques pour soi-même ou pour un tiers sans prescription médicale et sans recours à un laboratoire autorisé. A contrario, si une personne dispose d’une prescription médicale, soit elle concerne elle-même, et cela ne me paraît pas poser problème, soit elle a trait à un tiers, et la situation est alors, me semble-t-il, beaucoup plus compliquée. Nous avons vu qu’il était possible de s’adresser à un laboratoire situé dans un autre pays de l’Union européenne, lorsque la prescription ne précise pas si le médecin doit être français ou d’un autre pays.
Tout en respectant ce texte, il serait possible de demander les caractéristiques génétiques d’un tiers quel qu’il soit en présentant une prescription médicale et en s’adressant à un laboratoire autorisé. C’est pourquoi j’ai déposé le présent amendement visant à préciser qu’il s’agit d’un tiers dont on a la responsabilité légale.
En effet, cette disposition pose un véritable problème juridique : dès lors que l’on réussit à obtenir une prescription médicale – c’est envisageable –, on pourra faire pratiquer des tests génétiques sur toute personne de son entourage.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. Cet amendement de précision vise à indiquer que la demande d’un test génétique pour un tiers ne peut concerner qu’un tiers dont le demandeur a la responsabilité légale, c’est-à-dire un enfant ou un incapable majeur.
La commission se demande s’il est utile de le préciser ici, sachant que le recours à un test génétique ne pourra de toute façon se faire que sur prescription médicale. Elle souhaite donc recueillir l’avis du Gouvernement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nora Berra, secrétaire d'État. Le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement. La référence à un tiers soulève un véritable problème de compréhension et peut induire un effet a contrario.
Dans ces conditions, je propose de supprimer la mention « le concernant ou concernant un tiers » et de nous en tenir à la formulation suivante : « Nul ne peut demander un examen des caractéristiques génétiques sans prescription médicale et sans recourir à un laboratoire autorisé dans les conditions fixées par l’article L. 1131–2–1. ».
M. le président. Qu’en pense la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. Elle accepte cette proposition, monsieur le président.
M. le président. Madame la secrétaire d'État, pouvez-vous me faire parvenir une version écrite du texte que vous proposez ?
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.
M. Jean-Pierre Godefroy. Madame la secrétaire d'État, cette rédaction me paraît vague…
M. le président. La parole est à Mme Marie-Thérèse Hermange.
Mme Marie-Thérèse Hermange. La formulation présentée par Mme la secrétaire d’État me paraît vague. Que se passe-t-il lorsqu’il faut procéder à un examen génétique sur un enfant ou un incapable majeur ? Puisqu’ils ne peuvent le demander eux-mêmes, il faut bien que la personne qui assume leur responsabilité légale soit citée.
La suppression proposée ne règle pas les choses. La disposition ne peut s’appliquer que si la personne dispose de la capacité de demander cet examen. Si tel n’est pas le cas, il est normal que le tuteur qui dispose de la responsabilité légale puisse le demander en son nom.
M. Gilbert Barbier. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Nora Berra, secrétaire d'État. Madame Hermange, la situation que vous décrivez entre bien évidemment dans le cadre du droit commun. Effectivement, la personne qui exerce l’autorité sur un enfant mineur ou sur une personne en incapacité a l’autorité pour demander l’examen en question.
M. le président. La parole est à Mme Annie David.
Mme Annie David. La rédaction proposée m’amène à soulever une nouvelle question : est-il possible de demander un examen des caractéristiques génétiques dès lors que je dispose d’une prescription médicale et que je recoure à un laboratoire autorisé ? Ainsi, une personne au tempérament dictatorial pourrait, dès lors qu’elle obtient une prescription médicale, faire pratiquer d’autorité un examen génétique sur un membre de sa famille, sans l’en informer. Madame la secrétaire d'État, une telle hypothèse est-elle envisageable ?
Mme Annie David. Par exemple. En effet, votre rédaction ne précise pas les personnes concernées : s’agit-il du demandeur, d’un enfant ou d’un majeur incapable ? Une telle disposition ne concerne plus personne en particulier. Elle fait naître le doute : qui pourra demander un tel examen et, surtout, pour qui ?
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Nora Berra, secrétaire d'État. Madame David, il faut disposer d’une prescription médicale et recourir à un laboratoire autorisé, mais il faut également le consentement exprès de la personne qui va subir le test. En l’absence de précision, le droit commun s’applique : il s’agit de la personne concernée par le test ou d’une personne qui exerce une autorité légale sur celle-ci.
Le terme « tiers » est trop flou. Il n’est évidemment pas possible de demander de tels tests pour des membres de sa famille au deuxième degré, par exemple des frères et sœurs. Il ne peut s’agir que d’une autorité exercée dans le cadre légal.
M. le président. La parole est à M. Gilbert Barbier.
M. Gilbert Barbier. Je voudrais reprendre l’argumentation de Mme Hermange. Je conçois bien que l’on simplifie la rédaction, mais il faut évoquer le cas des mineurs et des incapables majeurs.
Je veux bien que le droit commun s’applique, mais il serait tout de même préférable de préciser que l’article concerne uniquement les tiers placés sous la responsabilité de la personne qui demande les tests.
M. le président. Je viens d’être saisi de l'amendement n° 172, présenté par le Gouvernement et ainsi libellé :
Alinéa 2
Remplacer les mots :
l'examen
par les mots :
un examen
Supprimer les mots :
le concernant ou concernant un tiers
Je rappelle que la commission a émis un avis favorable.
Je mets aux voix l'amendement n° 172.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Quel est maintenant l’avis de la commission sur l'amendement n° 58 rectifié ?
M. Alain Milon, rapporteur. La commission s’en remet à la sagesse de notre assemblée.
M. le président. Je constate que cet amendement a été adopté à l’unanimité des présents.
Je mets aux voix l'article 4 ter, modifié.
(L'article 4 ter est adopté.)
Article 4 quater
(Supprimé)
M. le président. L'amendement n° 11 rectifié, présenté par MM. Godefroy et Cazeau, Mme Le Texier, M. Michel, Mmes Cerisier-ben Guiga, Alquier, Printz et Schillinger, MM. Kerdraon et Le Menn, Mmes Demontès et Jarraud-Vergnolle, M. Mirassou, Mmes Blondin, Bourzai et Lepage, MM. C. Gautier, Collombat, Guérini, Madec, Marc, Massion, Yung et les membres du groupe Socialiste et apparentés, est ainsi libellé :
Rétablir ainsi cet article dans la rédaction suivante :
L'ordonnance n° 2010–49 du 13 janvier 2010 relative à la biologie médicale est abrogée.
La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.
M. Jean-Pierre Godefroy. Cet amendement vise à rétablir l’article 4 quater adopté par l’Assemblée nationale qui supprime l’ordonnance du 13 janvier 2010 relative à la biologie médicale, mais pas pour les mêmes raisons que les députés.
Lors de l’examen de la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dite « loi HPST », dans laquelle le Gouvernement avait demandé l’habilitation pour rédiger cette ordonnance, les sénateurs socialistes avaient dénoncé la remise en cause du modèle français de biologie médicale, c’est-à-dire une biologie médicale praticienne, rendant un réel service de proximité aux patients, avec des laboratoires qui restent à taille humaine.
Maintenant que l’ordonnance est publiée, nous craignons encore plus l’industrialisation, le gigantisme et l’avènement d’une biologie déshumanisée avec d’énormes plateaux techniques et des sites satellites qui seraient de simples centres de prélèvements sans aucune activité technique réelle.
Nous craignons d’importantes restructurations qui entraîneraient la fermeture de 1 000 à 2 000 laboratoires de proximité à taille humaine – qui aujourd’hui font un travail de qualité et qui garantissent un maillage territorial efficace en termes de santé publique –, ainsi que des pertes d’emplois considérables pour les biologistes, les techniciens, les secrétaires et le personnel de l’industrie du réactif, soit un contresens et une erreur politique majeure à l’heure actuelle.
Il suffit d’ailleurs de lire la presse locale pour constater que les fermetures et regroupements de certaines petites et moyennes structures ont déjà commencé, suscitant la consternation des patients devant la mise en danger de leur santé.
Nous craignons la financiarisation de la biologie médicale via la constitution de grands groupes diffus, incontrôlables, échappant à toute éthique et toutes règles déontologiques, dans lesquels les biologistes ne seraient que des exécutants, ayant perdu la maîtrise de leur outil de travail et leur indépendance intellectuelle.
Force est de constater que l’ordonnance du 13 janvier 2010 n’apporte pas les garanties nécessaires pour préserver la qualité et l’intérêt de notre système de biologie médicale. Au contraire, elle crée les conditions permettant à quelques investisseurs, par le biais de montages juridiques complexes, de prendre le contrôle du secteur.
C’est pourquoi cette ordonnance est si impopulaire tant chez les biologistes concernés que chez les patients qui sont déjà 275 000 à avoir signé la pétition « Touche pas à mon labo ».
Nous demandons par conséquent son abrogation.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. L’article 69 de la loi du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, dite loi HPST, a habilité le Gouvernement à légiférer par voie d’ordonnance pour réformer les conditions de création, d’organisation et de fonctionnement des laboratoires de biologie médicale.
M. Guy Fischer. Eh oui !
M. Alain Milon, rapporteur. Élaborée en concertation avec les différents acteurs concernés et conformément à l’habilitation, l’ordonnance prise le 13 janvier 2010 a entièrement redéfini le statut de la biologie médicale.
Elle a, en particulier, réaffirmé le statut médical de la discipline, donné une définition du biologiste médical – un médecin ou un pharmacien spécialiste en biologie médicale –, harmonisé les règles de fonctionnement des laboratoires de biologie médicale entre les secteurs public et privé, cherché à garantir la continuité de l’offre de biologie médicale sur un même territoire de santé, maintenu une limite territoriale de l’activité d’un laboratoire, garanti la pluralité de l’offre de biologie médicale sur un territoire donné, institué un mécanisme d’accréditation obligatoire de tous les laboratoires de biologie médicale.
Depuis sa publication, trois points font l’objet de vives critiques par un certain nombre d’acteurs : d’abord, l’impossibilité de recruter en centres hospitaliers universitaires des biologistes médicaux ne disposant pas du diplôme d’études spécialisées, ou DES, de biologie médicale…
M. Gilbert Barbier. C’est bien normal !
M. Alain Milon, rapporteur. … et la réorganisation des laboratoires de biologie médicale dans les centres hospitaliers universitaires sous la forme de laboratoire unique d’établissement ; ensuite, l’impossibilité de ristournes sur les examens de biologie médicale ; enfin, l’autorisation de prélèvements d’échantillons biologiques en cabinet d’infirmier.
Le principal grief des députés auteurs de l’amendement ayant conduit à abroger l’ordonnance est lié à la première de ces critiques, expliquant que le texte actuel « interdit à d’éminents professeurs de continuer d’occuper une chaire, faute d’avoir fait des études qui mènent directement à la biologie », ce qui, au Sénat ne fait pas problème. Nous avons beaucoup discuté, en commission, avec Gilbert Barbier en particulier, et nous étions d’accord sur ce sujet.
La commission estime que les difficultés soulevées ne justifient pas, à elles seules, l’abrogation de l’ordonnance tout entière alors même que celle-ci a commencé à être appliquée.
Par ailleurs, parmi les points critiqués, l’un peut être réglé par décret, à savoir le prélèvement en cabinet d’infirmier, ce que prévoit, d’ailleurs, l’ordonnance, les deux autres sont susceptibles de faire l’objet de négociations entre les organisations professionnelles concernées et le Gouvernement, celui-ci s’est d’ailleurs engagé à le faire.
Ainsi, la commission a décidé de revenir sur l’abrogation votée par l’Assemblée nationale, tout en interpellant le Gouvernement sur la manière dont il envisage de régler les problèmes soulevés par certains professionnels.
En conséquence, nous émettons un avis défavorable sur l’amendement n° 11 rectifié.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nora Berra, secrétaire d'État. Le Gouvernement émet également un avis défavorable sur cet amendement.
L’ordonnance du 13 janvier 2010 relative à la biologie médicale qui réforme les conditions de création, d’organisation et de fonctionnement des laboratoires de biologie médicale a été le fruit d’un important travail de concertation.
M. Guy Fischer. Quelle concertation ?
Mme Nora Berra, secrétaire d'État. Elle doit être néanmoins aménagée sur certains points – je n’y reviens pas car ils ont déjà été évoqués par M. le rapporteur.
Toutefois, le présent projet de loi traite de la loi de bioéthique et non de la biologie médicale. Ces aménagements seront donc insérés dans un autre vecteur, plus approprié, la proposition de loi Fourcade, qui a déjà été examinée par le Sénat et qui sera examinée à l’Assemblée nationale le 11 avril prochain.
M. le président. La parole est M. Guy Fischer, pour explication de vote.
M. Guy Fischer. Le monde de la santé au sens large est aujourd’hui la victime d’une théorie tout économique, celle de la rationalisation.
Pour le Gouvernement, qui veut réduire la santé et les hôpitaux en de véritables entreprises de soins, et qui entend démanteler l’hôpital public, madame la secrétaire d’État,…
Mme Annie David. Eh oui !
M. Guy Fischer. … il est possible, et même indispensable, de tout faire pour que les dépenses publiques soient toujours plus compressées.
Il faut dire que, pour le Gouvernement, une dépense c’est d’abord et avant tout un coût. À nos yeux, cette logique mécanique est idéologiquement marquée et nous réaffirmons avec force que les dépenses de santé peuvent constituer une chance pour notre pays ; elles sont en quelque sorte un investissement sur l’avenir.
Cette logique comptable, le Gouvernement a voulu la transposer au domaine de la biologie médicale en transposant, à l’occasion de la loi HPST, l’ordonnance relative à la biologie médicale. Bien que prévoyant une disposition intéressante, la reconnaissance du DES de biologie médicale, elle comportait d’autres mesures inacceptables, majoritairement refusées par les acteurs de terrain. Et pour cause !
En permettant aux « géants du secteur » de racheter les laboratoires de proximité qui n’auraient pas pu se conformer aux nouvelles exigences, cette ordonnance permet rien de moins que la financiarisation d’un secteur ô combien stratégique, puisque 80 % des prescriptions réalisées en France font suite à des examens de biologie médicale.
Cette volonté de réduire le nombre d’acteurs découle, personne ne peut l’ignorer, de la décision rendue à la suite de l’action engagée par la Commission européenne contre l’ordre national des pharmaciens, l’ONP, à qui elle reprochait de limiter l’installation des investisseurs extranationaux, c’est-à-dire d’entraver la libre concurrence.
Nous l’avons dit récemment à l’occasion de l’examen de la proposition de loi déposée par notre collègue Jean-Pierre Fourcade sur mission du Gouvernement – en l’occurrence, notre collègue était effectivement en mission commandée –, l’organisation de la biologie médicale aurait nécessité que l’on distingue la biologie médicale hospitalière de la biologie médicale de ville.
Si nous sommes favorables à ce que l’on tire toutes les conséquences de la création du DES de biologie médicale, nous considérons que le risque que cette ordonnance fait peser sur les laboratoires de petite taille, qui participent à leur manière à la satisfaction des besoins en santé de proximité de nos concitoyens, est trop important.
Mes chers collègues, nous fréquentons tous un laboratoire de biologie médicale et nous constatons qu’une relation de qualité et de proximité s’établit avec le médecin, qui vient, d’ailleurs, conforter les prescriptions de notre médecin traitant, et que les conseils délivrés sont toujours très intéressants.
En conséquence, les membres du groupe CRC-SPG voteront cet amendement visant à abroger l’ordonnance relative à la biologie médicale.
M. le président. La parole est M. Jean-Pierre Godefroy, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Godefroy. Vous l’avez noté, monsieur le rapporteur, nous avons souligné que nous souhaitions le rétablissement de l’article 4 quater pour des raisons différentes de celles qui ont été avancées par les députés.
Nous débattons sans cesse, dans cet hémicycle, des déserts médicaux. Or, de telles dispositions ne vont pas arranger les choses.
Mme Annie David. Exactement !
M. Jean-Pierre Godefroy. Dans de nombreux territoires, nous avons beaucoup de mal à trouver des médecins. Dans certains cas, cela devient même absolument dramatique, que ce soit en milieu rural ou à la périphérie des villes.
M. Guy Fischer. Dans les quartiers populaires !
M. Jean-Pierre Godefroy. Effectivement. Si, à cette difficulté, on ajoute la concentration de la biologie médicale au travers de simples sites de prélèvements, on accroît encore les risques de déserts médicaux.
M. Guy Fischer. Voilà !
M. Jean-Pierre Godefroy. Nous tenions à attirer votre attention sur ce point. Nous ferions bien d’y réfléchir avant de prendre ces dispositions et d’accepter cette ordonnance.
D’ailleurs, il est tout à fait anormal que de telles dispositions soient prises par ordonnance parce que cela nous empêche d’en débattre. En effet, nous n’avons pas pu donner notre avis sur cette ordonnance.
Nous risquons indirectement d’encourager la désertification médicale dans certains lieux.
M. Guy Fischer. Très bien !
M. le président. La parole est M. Jacques Blanc, pour explication de vote.
M. Jacques Blanc. Un véritable problème se pose dans certains territoires comme les territoires de montagne, singulièrement dans le département de la Lozère : comment répondre aux exigences fixées prévoyant un certain nombre d’actes d’analyse ? Quand vous avez 75 000 habitants dispersés, vous ne pouvez pas répondre aux critères envisagés.
J’attire l’attention sur le besoin d’une prise en compte spécifique dans des zones à très faible densité de population, en particulier dans des zones de montagne comme le département de la Lozère, de manière à pouvoir maintenir sur place des laboratoires qui, s’ils ne correspondent pas aux grands laboratoires évoqués, apportent des réponses très fortes et nécessaires à la population.
M. Guy Fischer. Et vous prétendez défendre les milieux ruraux !
M. le président. L'amendement n° 12, présenté par MM. Godefroy et Cazeau, Mme Le Texier, M. Michel, Mmes Cerisier-ben Guiga, Alquier, Printz et Schillinger, MM. Kerdraon et Le Menn, Mmes Demontès et Jarraud-Vergnolle, MM. Desessard et Mirassou, Mmes Blandin, Blondin, Bourzai et Lepage, MM. C. Gautier, Collombat, Guérini, Madec, Marc, Massion, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Après l’article 4 quater, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Un arrêté du ministre chargé de la santé, pris sur proposition de l’agence de biomédecine, définit les règles de bonnes pratiques applicables aux techniques d’identification des personnes en fonction de certaines de leurs caractéristiques physiques ou comportementales.
La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.
M. Jean-Pierre Godefroy. La biométrie permet l’identification ou l’authentification d’une personne sur la base de données reconnaissables et vérifiables qui lui sont propres.
Elle s’est largement développée ces dernières années. Les techniques sont le plus souvent encore fondées sur l’analyse morphologique de la personne. La plus ancienne, le recueil des empreintes digitales, est toujours très largement utilisée.
De nouvelles techniques sont apparues récemment. Ainsi, la photographie de l’iris qui s’est banalisée lors des contrôles de police dans les aéroports. En effet, la spécificité de cette pratique est meilleure que celle des empreintes digitales : si de vrais jumeaux peuvent posséder des empreintes digitales très proches, leurs iris, en revanche ne sont jamais identiques.
Parmi les nouvelles techniques, on trouve également l’analyse du comportement pour identifier une personne, comme la reconnaissance vocale ou la dynamique de frappe sur un clavier d’ordinateur.
Les applications de ces techniques sont de plus en plus nombreuses. Autrefois réservée à la police, leur utilisation s’est étendue dans de nombreuses entreprises, pour la sécurisation d’entrepôts par exemple, dans des établissements de santé et même à l’école, avec la reconnaissance des empreintes digitales pour l’accès à la cantine scolaire.
Quelle que soit la technique utilisée, la biométrie met de fait en danger les libertés individuelles. Elle permet en effet la constitution de fichiers. Si, sur ce point, la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, est vigilante, des dérives sont toujours possibles. On peut parfaitement comprendre que l’utilisation d’un code alphanumérique - numéro d’identification nationale, numéro de sécurité sociale – soit nécessaire dans de multiples aspects de la vie courante. En revanche, admettre que certaines caractéristiques physiques, ethniques, voire – pourquoi pas ? – des données économiques et sociales soient stockées indéfiniment revêt une tout autre dimension.
À notre avis, une grande sévérité s’impose pour protéger efficacement les principes fondamentaux des droits du citoyen et de la bioéthique. En effet, les fichiers menacent la vie privée, remettant en cause l’autonomie et la liberté de choix de la personne concernée dans l’utilisation ou la non-utilisation des données qu’ils contiennent, en particulier lorsque ces données concernent ce qui fait notre individualité.
C’est pourquoi nous proposons, au travers de cet amendement, que l’Agence de la biomédecine définisse les règles de bonnes pratiques en matière d’utilisation des données biométriques.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. Cet amendement prévoit que l’identification d’une personne par la biométrie soit régie par des règles de bonnes pratiques définies par arrêté du ministre de la santé.
La commission, considérant que cette disposition n’a pas sa place dans le code de la santé publique et qu’elle est traitée dans le code civil, a émis un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nora Berra, secrétaire d'État. Le Gouvernement partage l’avis de la commission. La biométrie n’entre pas dans le champ des compétences de l’Agence de la biomédecine. Les données biométriques sont essentiellement utilisées à des fins de sécurité publique et, à ce titre, elles ne relèvent pas de l’activité médicale.
M. le président. La parole est à M. Guy Fischer, pour explication de vote.
M. Guy Fischer. On peut certes entendre les arguments de M. le rapporteur et de Mme la secrétaire d’État, mais la volonté de M. Godefroy, au travers de cet amendement, était de limiter le recours à la biométrie. L’usage qui est fait de ces techniques, qui devrait s’accroître à l’avenir, soulève un problème de fond et nous conduit à nous interroger sur l’éthique, sur la liberté de chacun, et c’est l’un des points auxquels nous sommes très sensibles. C’est pourquoi nous voterons cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Godefroy. Mme la secrétaire d’État et M. le rapporteur soutiennent que la question que je soulève dans cet amendement concerne le code civil. Peut-être, mais encore faudrait-il que le code civil soit éclairé.
Par ailleurs, madame la secrétaire d’État, je suis surpris que vous puissiez affirmer que les techniques biométriques sont sans rapport avec la médecine. Je considère que l’on pourrait parfaitement demander à l’Agence de la biomédecine d’apporter des précisions et de présenter des recommandations quant à l’usage qui en est fait. Ensuite, on pourra, ou non, modifier le code civil, intervenir par le biais d’un autre texte. Pour ma part, je le répète, cet amendement me semble avoir sa place dans le présent projet de loi.
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote.
M. Bruno Retailleau. Face au développement des technologies nouvelles, souvent intrusives, M. Jean-Pierre Godefroy pose une vraie question de société.
Je considère toutefois, comme M. le rapporteur, que c’est au code civil, et notamment à la CNIL, de faire la part des choses. Ce qui peut être nocif, ce ne sont pas les techniques biométriques en elles-mêmes, c’est plutôt le stockage des fichiers qui en sont issus (M. Jean-Pierre Godefroy opine.). L’aspect pernicieux ne réside pas dans la technologie que l’on utilise pour reconnaître une personne, sécuriser un accès ou avoir la certitude que le repas que consomme tel enfant dans une cantine a bien été payé. C’est l’accumulation des données recueillies dans des fichiers qui pose problème.
Cela étant dit, je me range à l’avis de M. le rapporteur. Il me paraît impossible de demander ce travail dans ce cadre-là.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 12.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Titre II
ORGANES ET CELLULES
M. Alain Milon, rapporteur. En 2009, dans notre pays, 250 personnes sur liste d’attente sont décédées faute d’avoir reçu une greffe d’organes à temps. Alors même que la France s’est hissée au quatrième rang mondial en termes de prélèvements d’organes, l’augmentation plus que proportionnelle des besoins entraîne une pénurie dramatique et parfois mortelle.
Face à cette situation, que devons-nous faire ? Une première solution réside dans l’amélioration des techniques de prélèvement et de conservation des greffons. Certains organes transplantés ne peuvent fonctionner que quelques années et les patients ont par conséquent besoin d’une nouvelle greffe. Il est donc important d’améliorer la qualité des greffes dans le temps.
Une autre voie consiste à mettre en œuvre de nouvelles modalités de don. C’est ce que fait le projet de loi : il élargit le cercle des donneurs vivants et il permet le don croisé, par lequel un couple donneur-receveur, incompatibles entre eux, pourra faire l’échange d’un greffon avec un autre couple donneur-receveur placé dans la même situation. Cette nouvelle possibilité permettra de répondre à quelques situations, mais sa portée pratique sera nécessairement limitée.
Aussi, la réponse se trouve dans le fait d’agir sur le consentement au don, qu’il s’agisse de donneurs morts ou vivants.
Faut-il modifier notre législation ?
Je vous le rappelle, la loi Caillavet de 1976 nous fait tous donneurs supposés à notre mort, sauf opposition explicite. Le code de la santé publique prévoit néanmoins la consultation de la famille si l’intention de la personne décédée n’est pas connue.
Plusieurs amendements à venir tendent à simplifier le prélèvement, soit en prévoyant un consentement explicite, comme au Royaume-Uni, soit en limitant le rôle de la famille et des proches dans la décision de prélèvement.
Je ne pense pas que cette solution soit la bonne. Les pays où le consentement est explicite prélèvent moins que la France, et l’expérience montre que, même dans ce cas, les équipes demandent le consentement des familles. Il est d’ailleurs, à mon sens, difficile d’agir autrement. La logique médicale et celle de la solidarité nationale s’arrêtent au seuil du respect dû aux morts et à la manière dont sa famille le conçoit. Peut-on imaginer un instant que le don d’organes ne souffrirait pas terriblement d’un prélèvement opéré contre la volonté des proches ?
La commission considère qu’il faut d’abord mener un travail de pédagogie. Les jeunes générations ont, en matière de don, une attitude qui n’est pas celle de leurs aînés. Faire connaître la loi et les raisons du don d’organes paraît la meilleure solution pour l’avenir. Je me rangerai donc aux conclusions issues des comparaisons internationales et aux analyses faites par l’Agence de la biomédecine pour considérer qu’il serait dangereux de changer le système actuel.
La commission des affaires sociales s’est, en revanche, opposée à la mise en place de contreparties autres que symboliques pour les donneurs. Deux articles s’y apparentaient : celui qui instaurait une priorité accordée aux donneurs pour une éventuelle greffe future, ainsi que l’article 19 A, adopté par l’Assemblée nationale, lequel prévoyait la possibilité pour une personne n’ayant pas eu d’enfant elle-même de donner des gamètes et d’obtenir à cette occasion une conservation de ses propres gamètes. La commission a par conséquent supprimé ces deux articles, considérant qu’il s’agissait là d’un changement de la nature du don, et la recherche de donneurs plus jeunes et plus nombreux aurait alimenté le risque d’un glissement vers l’assistance médicalisée à la procréation de complaisance.
J’évoquerai un dernier point, technique celui-là. La commission a supprimé plusieurs articles que soutenaient certaines associations de donneurs, mais qui présentaient un caractère redondant avec les dispositions actuelles du code de la santé publique. Ce n’est pas en inscrivant une disposition deux fois dans la loi qu’on lui donne plus de force ; au contraire, on l’affaiblit.
Article 5
I. – Le chapitre Ier du titre III du livre II de la première partie du code de la santé publique est ainsi modifié :
1° L’article L. 1231–1 est ainsi modifié :
aa) La deuxième phrase du deuxième alinéa est complétée par les mots : « ainsi que toute personne pouvant apporter la preuve d’un lien affectif étroit et stable depuis au moins deux ans avec le receveur » ;
a) Après le même deuxième alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« En cas d’incompatibilité entre la personne ayant exprimé l’intention de don et la personne dans l’intérêt de laquelle le prélèvement peut être opéré en vertu des premier ou deuxième alinéas, rendant impossible la greffe, le donneur et le receveur potentiels peuvent se voir proposer le recours à un don croisé d’organes. Celui-ci consiste pour le receveur potentiel à bénéficier du don d’une autre personne ayant exprimé l’intention de don et également placée dans une situation d’incompatibilité à l’égard de la personne dans l’intérêt de laquelle le prélèvement peut être opéré en vertu des premier ou deuxième alinéas, tandis que cette dernière bénéficie du don du premier donneur. En cas de mise en œuvre d’un don croisé, les actes de prélèvement et de greffe sont engagés de façon simultanée respectivement sur les deux donneurs et sur les deux receveurs. L’anonymat entre donneur et receveur est respecté. » ;
b) À la première phrase du troisième alinéa, les mots : « et des conséquences éventuelles du prélèvement, doit exprimer son consentement » sont remplacés par les mots : « , des conséquences éventuelles du prélèvement et, le cas échéant, des modalités du don croisé, doit exprimer son consentement au don et, le cas échéant, au don croisé » et les références : « premier et deuxième alinéas » sont remplacées par les mots : « premier, deuxième et, le cas échéant, troisième alinéas » ;
c) Au quatrième alinéa, le mot : « prévue » est remplacé par les mots : « de prélèvement sur une personne mentionnée » ;
2° À la première phrase du troisième alinéa de l’article L. 1231–3, les mots : « de l’opération, les risques que celle-ci » sont remplacés par les mots : « d’un prélèvement et d’une greffe d’organe, les risques que le prélèvement » et est ajouté le mot : « potentiels » ;
3° À l’article L. 1231–4, après le mot : « notamment », sont insérés les mots : « les dispositions applicables aux dons croisés d’organes, ».
II. – Au premier alinéa de l’article 511–3 du code pénal et au deuxième alinéa de l’article L. 1272–2 du code de la santé publique, les mots : « troisième » et « cinquième » sont remplacés respectivement par les mots : « quatrième » et « sixième ».
III. – Au 7° de l’article L. 1418–1 du code de la santé publique, après les mots : « celle-ci et », sont insérés les mots : « de celle du registre des paires associant donneurs vivants et receveurs potentiels ayant consenti à un don croisé d’organes ainsi que ».
IV. – Le 1° de l’article 225–3 du code pénal est complété par les mots : « ou qu’elles se fondent sur la prise en compte des conséquences sur l’état de santé d’un prélèvement d’organe tel que défini à l’article L. 1231–1 du code de la santé publique ».
M. le président. La parole est à Mme Claudine Lepage, sur l'article.
Mme Claudine Lepage. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, l’article 5 vise à accroître le nombre de donneurs potentiels, d’une part en étendant le cercle des donneurs vivants et, d’autre part, en autorisant la pratique du don croisé.
Aujourd’hui, la technique médicale de la greffe d’organe est de mieux en mieux maîtrisée. Les antirejets permettent de juguler toujours plus le rejet. Et les résultats, en termes tant de durée que de qualité de la vie, s’améliorent chaque jour. Ces succès grandissants ne font d’ailleurs qu’accroître encore les besoins.
Pourtant, en France, chaque année, plus de 14 000 malades restent dans l’attente d’une greffe. En 2009, seuls 4 580 d’entre eux ont été greffés. La même année, M. le rapporteur l’a indiqué, 250 patients sont décédés, simplement parce qu’ils n’ont pu recevoir un greffon à temps. L’obstacle principal à la greffe réside dans la criante pénurie d’organes disponibles. Il nous appartient par conséquent de tout mettre en œuvre pour remédier à cette situation et, donc, d’augmenter le nombre de donneurs potentiels.
Or, comme le rappelle l’Agence de la biomédecine, deux voies peuvent permettre de combler l’actuel déficit d’organes : la lutte contre les refus « par précaution » et le prélèvement de nouveaux profils de donneurs.
Plusieurs dispositions de ce projet de loi ont pour objet de faciliter les transplantations à partir de donneurs décédés. Elles sont positives, certes, mais demeurent insuffisantes. En effet, le principe du consentement présumé n’est pas encore satisfaisant, notamment en raison du refus de la famille, qui, bien souvent, ignore le souhait du défunt. Un prélèvement possible sur trois est ainsi rendu impossible. C’est pourquoi j’ai signé l’amendement de mon collègue Jean-Pierre Sueur, qui vise à créer un registre d’enregistrement du consentement du don d’organes, afin de protéger juridiquement la volonté exprimée par la personne décédée.
La France a longtemps privilégié les prélèvements à partir de donneurs décédés. Aujourd’hui, il est essentiel de développer les dons de donneurs vivants, qui ne représentent que 5,6 % des prélèvements, alors même que ce type de transplantation est extrêmement performant.
Dans ces conditions, je salue l’amendement adopté par l’Assemblée nationale qui élargit le cercle des donneurs potentiels. Jusqu’à présent, les donneurs devaient appartenir à la seule famille nucléaire. La prise en compte de tous les membres entretenant ce que les sociologues appellent des « liens primaires » est positive.
Au Sénat, la commission des affaires sociales a jugé bon de durcir les conditions posées par les députés en ajoutant un critère de durée de deux années à l’existence du « lien affectif étroit et stable » entre le donneur et le receveur, par crainte du trafic d’organes. C’est pourquoi j’ai cosigné l’amendement de Raymonde Le Texier visant à revenir à la seule exigence posée par l’Assemblée nationale d’un « lien affectif étroit, stable et avéré ». Il me semble que cette exigence de durée est non seulement arbitraire, mais encore inutile dès lors que de nombreuses garanties permettent de s’assurer de la réalité des motivations constatées par l’équipe médicale, le « comité donneur vivant » et, enfin, le magistrat du tribunal de grande instance.
Certes, il s’agit de prendre toutes les dispositions pour pallier les dérives. Cependant, les données dont nous disposons sur le trafic d’organes révèlent qu’en Europe ces craintes relèvent davantage du fantasme. De surcroît, n’oublions pas que ce trafic serait entretenu par la pénurie d’organes et donc par la limitation du nombre de donneurs potentiels. En outre, il me paraît également important de lutter contre le « tourisme de la transplantation », qui, malheureusement, se développe.
Je terminerai en rappelant que, bien sûr, les critères de sélection des donneurs, fixés par le ministère, ne doivent pas écarter systématiquement les homosexuels du don. L’orientation sexuelle ne doit en effet assurément pas préjuger de conduites à risque. Cette affirmation n’est pourtant pas partagée par le Gouvernement. Aussi, j’ai cosigné l’amendement présenté par mon collègue Cazeau, qui dispose que « Nul ne peut être exclu du don en raison de son orientation sexuelle ».
M. le président. La parole est à M. Bernard Cazeau, sur l’article.
M. Bernard Cazeau. J’y renonce, monsieur le président, étant précisé que je m’associe aux excellents propos de ma collègue Mme Lepage.
M. le président. La parole est à M. Guy Fischer, sur l’article.
M. Guy Fischer. Il est courant de rappeler que trois principes président en matière de don d’organes : le consentement, la gratuité et l’anonymat Ces trois principes jouent un rôle particulier puisqu’ils protègent, certes, les receveurs, mais surtout les donneurs. En effet, l’objectif est d’éviter que ne s’exerce sur ces derniers des pressions morales ou marchandes les conduisant à consentir de leur vivant au don d’un organe.
Or, les règles sont naturellement très différentes selon qu’il s’agit d’un don d’organe réalisé une fois la mort survenue ou d’un don effectué du vivant du donneur. Si le principe de l’anonymat du don est respecté dans le premier cas, il ne l’est nécessairement pas dans le second, puisque le don est réalisé au bénéfice d’un proche parent, qu’il s’agisse d’un frère ou d’une sœur, d’un fils ou d’une fille, ou encore d’une mère ou d’un père.
C’est d’ailleurs précisément parce que ce don d’une personne vivante fait obstacle au principe du respect de l’anonymat qu’il est très encadré.
L’article 5 prévoit de créer une nouvelle possibilité de don provenant d’un donneur vivant, en autorisant le don croisé d’organes. Il s’agit de permettre, lorsque deux « couples » donneur–receveur ne peuvent procéder à des dons d’organes du fait d’incompatibilités biologiques, de croiser les dons. Le donneur du premier couple donne son organe au receveur du deuxième couple et inversement.
Je voudrais illustrer ces propos par un exemple concret, trouvé sur Internet : « Irène a besoin d’une greffe de rein. Son mari Marc est prêt à lui donner un des siens, mais n’est pas biologiquement compatible. Le même problème se pose pour Marie, maman de Léa. Avec le don croisé, Léa pourrait bénéficier d’un rein de Marc et Irène d’un rein de Marie. » Voilà de quoi il est question lorsque l’on parle de « dons croisés ».
Cette proposition, qui reprend la préconisation formulée à l’occasion des états généraux de la bioéthique, tend en réalité à sortir du cercle familial, pour rechercher, au-delà de celui-ci, des personnes qui rencontreraient les mêmes difficultés de compatibilité entre donneur et receveur. Certains voient dans une telle démarche les prémices d’une commercialisation du don. Tel n’est pas notre cas.
Les dons réalisés à partir de donneurs vivants sont très rares, et les cas d’incompatibilité détectés peu de temps avant que la transplantation ne soit effectuée le sont également. Or, dans cet article 5, il n’est question que de cette situation particulière.
Contrairement à ce que j’ai pu lire, il ne s’agit pas d’instaurer dans la loi la mentalité du « donnant-donnant », il s’agit plutôt, comme le dit très justement le professeur Jacques Beghiti, d’apporter un nouvel élan de solidarité dans le don du vivant. Permettez-moi de citer le professeur Beghiti. « Moins on est biologique, plus on est humain. Ce qui fait l’homme, c’est de ne pas rester dans le cercle biologique. Autrement dit, pour le donneur vivant, pour le rein, je suis fortement favorable à l’élargissement à des gens qui s’aiment. ». Telle est l’analyse que nous faisons de l’article 5.
L’adoption de cet article, avec les protections actuellement prévues et celle que nous proposons au travers de notre amendement n° 90, nous semble être de nature à concilier notre exigence – partagée – de protection des donneurs comme des receveurs, tout en permettant de rendre possible davantage de greffes, c’est-à-dire de sauver un plus grand nombre de vies.
M. le président. L'amendement n° 13, présenté par Mme Le Texier, MM. Godefroy, Cazeau et Michel, Mmes Cerisier-ben Guiga, Alquier, Printz et Schillinger, MM. Kerdraon et Le Menn, Mmes Demontès et Jarraud-Vergnolle, MM. Desessard et Mirassou, Mmes Blandin, Blondin, Bourzai et Lepage, MM. C. Gautier, Collombat, Guérini, Madec, Marc, Massion, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 3
Remplacer les mots :
et stable depuis au moins deux ans
par les mots :
, stable et avéré
La parole est à Mme Raymonde Le Texier.
Mme Raymonde Le Texier. Au travers de cet amendement, il s’agit de rétablir l’esprit originel de la disposition qui avait été adoptée en première lecture à l’Assemblée nationale. Les trois critères de qualification du lien affectif sont les suivants : le lien doit être étroit, stable et avéré. Ces critères permettront d’éviter les dérives redoutées en matière de don d’organes sans qu’il soit utile de fixer à deux ans minimum la durée du lien.
En effet, deux garde-fous garantissent une appréciation efficace de l’opportunité du don d’organes. Dans un premier temps, le président du tribunal de grande instance ou tout magistrat désigné par lui recueillera le consentement écrit du donneur. À ce stade, les magistrats doivent vérifier que le consentement donné est libre et éclairé.
Ensuite, un comité d’experts appelé « comité donneur vivant », composé de cinq professionnels expérimentés, garantit une étude approfondie de la situation ayant amené la personne à vouloir effectuer un don, acte grave par essence. Un entretien avec le donneur permettra de cerner ses motivations. C’est à ce stade que les critères envisagés voilà un instant permettront aux experts d’apprécier la légalité du don.
Nous considérons par conséquent que le délai de deux ans n’apportera aucune sécurité supplémentaire au dispositif déjà en place. D’une part, les experts auront toute latitude pour apprécier la relation affective liant le receveur et le donneur. D’autre part, l’exigence de stabilité fait déjà référence au temps, à la durée de la relation.
Laissons donc au comité d’experts une certaine souplesse dans son exercice d’appréciation. Le rôle de cette disposition est de fournir au comité des critères pertinents. Ne contraignons pas les experts au moyen d’un délai dont la fixation de la durée semble totalement arbitraire et inadaptée à une étude approfondie de situations délicates.
M. le président. Quel est l’avis de la commission des lois ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur pour avis. La commission des lois, à l’instar de la commission des affaires sociales, est revenue à la référence au délai de deux ans prévu par le texte d’origine.
Je voudrais dire de nouveau que s’agissant des critères selon lesquels le lien affectif entre le donneur et le receveur doit être stable et avéré, et notamment de ce dernier critère, la rédaction que vous proposez est dépourvue de tout caractère normatif. La commission des lois est très attachée à ce que les mots utilisés aient un sens et, en l’occurrence, à ce qu’ils aient un caractère normatif.
Au contraire, imposer que le lien ait une ancienneté minimale fournit au juge un critère objectif pour exercer son contrôle et lutter contre les éventuels trafics. Cette exigence lui permet en effet – cela est important – d’écarter les liens factices ou simulés dont les intéressés ne pourront jamais prouver l’ancienneté.
Cette condition sera d’ailleurs très aisément satisfaite si donneur et receveur sont de véritables amis. Leur entourage sera en effet en mesure de témoigner de la solidité et de l’ancienneté du lien qui les unit.
Permettez-moi enfin d’ajouter – je pense que si un argument devait vous convaincre, ce serait celui-ci – que l’exigence d’une durée minimale de deux ans correspond à une demande des magistrats chargés de recueillir et de contrôler le consentement du donneur. Ces derniers craignent en effet, en l’absence d’une telle exigence, de ne pouvoir exercer correctement leur contrôle, ou de voir les contrôles varier très sensiblement d’un tribunal à un autre, au détriment des receveurs eux-mêmes.
Pour cette raison, la commission des lois est défavorable à l’amendement n° 13.
M. le président. La commission saisit au fond est sans doute également défavorable à cet amendement… (M. le rapporteur acquiesce.)
Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nora Berra, secrétaire d'État. Le Gouvernement émet un avis défavorable.
En effet, la condition d’une durée minimale de deux ans de la relation entre le donneur potentiel et le receveur me paraît fournir une présomption de stabilité satisfaisante, indépendamment des arguments exposés par le rapporteur de la commission des lois.
Le cadre législatif rigoureux mis en place par ailleurs pour autoriser les prélèvements sur les donneurs vivants permet de sécuriser l’élargissement du cercle des donneurs vivants aux personnes unis par un lien étroit et stable.
M. le président. L'amendement n° 90, présenté par M. Fischer, Mmes David et Pasquet, M. Autain, Mme Hoarau et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 10
Insérer deux alinéas ainsi rédigés :
… – L’article 511-3 du code pénal est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Le fait de mettre en relation, ou de tenter de mettre en relation, dans son propre intérêt ou pour celui d’autrui, des donneurs et des receveurs potentiels, par quelque moyen que ce soit, en dehors du champ fixé par l’article L. 1231-1 du code de la santé publique, est interdit et puni de la même peine que celle visée à l’article 511-2. »
La parole est à Mme Annie David.
Mme Annie David. Oui, le don d’organes doit être encouragé. Oui, le don d’organes doit être facilité. Oui, il faut permettre à chacune et à chacun de se positionner, en son âme et conscience. Cela peut être facilité par le biais de campagnes ou de contacts réguliers avec des médecins ou des associations. Oui, enfin, il faut élargir les procédures de dons entre personnes vivantes, par exemple avec le don croisé d’organes, qui a été évoqué par M. Guy Fischer voilà quelques instants.
Toutefois, nous devons être conscients que, à côté de notre régime très encadré, il existe un grand nombre de pays où le prélèvement et la greffe d’organes font l’objet d’une commercialisation.
De cela, nous ne voulons pas, et nous nous félicitons toutes et tous du fait que notre législation soit explicite en la matière, et refuse la commercialisation du corps humain. Toutefois, il nous faut, en tant que législateur, prévoir toutes les zones grises, ces petits recoins du droit où pourraient se nicher des pratiques se situant à la limite de la légalité, à la limite de l’esprit de la loi, ainsi qu’à la limite de nos principes constitutionnels.
Le développement des moyens de communication a, par définition, accru les échanges entre offre et demande d’objets en tous genres. L’exemple des sites d’enchères sur Internet montre que l’on peut quasiment tout acheter et tout vendre. Billets de trains, instruments de musique ou voitures, tout est échangeable dans un marché de gré à gré. Les sites internet concernés prospèrent du fait de la facilité qu’il y a à établir un contact entre l’offre et la demande.
Bien sûr, cet univers effrayant où nous trouverions sur ces sites qui un rein, qui un foie n’est pas pour demain. Tant mieux ! Néanmoins, certains sites d’une autre nature pourraient apparaître. Il s’agirait de sites recensant des donneurs et des demandeurs potentiels, c’est-à-dire, en quelque sorte, des « annuaires de l’organe », permettant la « mise en relation » entre un donneur et un receveur.
Se développeraient alors des marchés parallèles, incontrôlables puisque potentiellement cachés, et profitant des limites de la loi. Il serait même possible de parler de « bourses d’échange », ou de « troc d’organes », dans le cas des dons croisés.
Il faut donc prévoir cette éventualité. Aujourd’hui, je le disais à l’instant, quasiment tout se vend et s’achète sur Internet. Il n’est pas exclu que nous voyions apparaître des registres parallèles qui, même si leurs créateurs sont animés des intentions les plus pures, pourraient conduire à des pratiques illicites au regard de nos principes de non-commercialisation, d’anonymat et de gratuité du don.
L’encadrement actuel, par le biais de juges et de médecins, peut paraître suffisamment protecteur. Cependant, à notre avis, il faut prévenir toutes formes de « commerce gris », formes de mise en relation que nous ne pouvons accepter en dehors du cadre de la loi, parce qu’elles encourageraient le développement de pratiques illicites. De telles dérives doivent être prévenues, combattues et punies.
Voilà pourquoi nous vous proposons d’adopter cet amendement, mes chers collègues.
M. Guy Fischer. Très bien !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur. Est pénalement réprimé le fait pour le donneur ou le receveur de chercher à entrer en contact. Cet amendement prévoit de pénaliser également l’intermédiation. Il n’est pas sûr que cette précision soit nécessaire, mais l’objectif paraît intéressant.
Aussi, la commission des affaires sociales souhaite connaître l’avis de la commission des lois.
M. le président. Quel est donc l’avis de la commission des lois ?
M. François-Noël Buffet, rapporteur pour avis. Je crains de décevoir une fois de plus…
M. Guy Fischer. Ah !
M. François-Noël Buffet, rapporteur pour avis. Toutefois, je voudrais rappeler que les faits visés par le présent amendement relèvent en fait largement des dispositions prévues à l’article 511–2 du code pénal : « Est puni des mêmes peines [que pour les trafics d’organes], le fait d’apporter son entremise pour favoriser l’obtention d’un organe contre le paiement de celui-ci… » Donc, le droit positif répond déjà à votre demande, madame David.
Au surplus, la nouvelle incrimination viserait les dons sans contrepartie financière et la simple constitution d’un fichier donneur-receveur illégal. De ce point de vue, je souhaite connaître l’avis du Gouvernement. (Sourires.)
Si, par impossible, comme l’on dit au tribunal, votre amendement venait à être adopté, il conviendrait alors, dans le cadre de la navette, d’en reprendre intégralement la rédaction pour qu’il soit plus adapté.
M. Guy Fischer. Nous le ferons volontiers, monsieur le rapporteur pour avis.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement sur cet amendement ?
M. Guy Fischer. Aïe !
Mme Nora Berra, secrétaire d'État. … en référence à l’article 511-2 du code pénal, qui incrimine déjà « le fait d’apporter son entremise pour favoriser l’obtention d’un organe contre le paiement de celui-ci, ou de céder à titre onéreux un tel organe du corps d’autrui », et punit ce comportement d’une peine de sept ans d’emprisonnement et de 100 000 euros d’amende.
M. le président. La parole est à Mme la secrétaire d'État.
Mme Nora Berra, secrétaire d'État. Si vous me le permettez, monsieur le président, je voudrais apporter une précision sur la disposition qui vient d’être mise aux voix. Concernant les personnes qui faciliteraient, même à titre gratuit, la mise en relation d’un donneur et d’un receveur potentiels, celles-ci pourraient être poursuivies au travers d’autres infractions, notamment par le biais de la complicité par aide ou assistance de ces infractions, qui réprime le non-respect des règles sanitaires régissant les transplantations d’organes.
M. le président. En accord avec la commission des affaires sociales et sa présidente, Mme Muguette Dini, la suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
13
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mercredi 6 avril 2011, à quatorze heures trente et le soir :
- Suite du projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, relatif à la bioéthique (n° 304, 2010–2011).
Rapport de M. Alain Milon, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 388, 2010–2011).
Texte de la commission (n° 389, 2010–2011).
Avis de M. François-Noël Buffet, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale (n° 381, 2010–2011).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt-trois heures cinquante.)
Le Directeur du Compte rendu intégral
FRANÇOISE WIART