Mme la présidente. L'amendement n° 71 rectifié bis, présenté par Mme Hermange, M. P. Blanc, Mme Rozier, M. Revet, Mmes Giudicelli et Henneron, MM. Cantegrit, de Legge, Lardeux, Cazalet, Hyest, du Luart, Darniche, Gilles, Portelli, B. Fournier, Vial, Cointat, Retailleau, Pozzo di Borgo, Couderc, del Picchia, Bailly et Leleux et Mme B. Dupont, est ainsi libellé :
Alinéa 2
1° Première phrase
Remplacer les mots :
sans autorisation
par les mots :
si elle porte atteinte à l'intégrité ou la viabilité de l'embryon,
2° Seconde phrase
Au début, insérer les mots :
En outre,
La parole est à Mme Marie-Thérèse Hermange.
Mme Marie-Thérèse Hermange. Cet amendement tend à interdire la recherche sur l’embryon dans les cas où elle porterait atteinte à l’intégrité ou à la viabilité de celui-ci, avec les conditions que j’ai déjà énoncées tout à l’heure.
Mme la présidente. L'amendement n° 65 rectifié, présenté par MM. Barbier, Collin, Baylet, Bockel et Detcheverry, Mmes Escoffier et Laborde et MM. Mézard, Milhau, Tropeano et Vall, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Rédiger ainsi cet alinéa :
- la recherche s’inscrit dans une finalité médicale ;
Cet amendement n'est pas soutenu.
L'amendement n° 66 rectifié, présenté par MM. Barbier, Collin, Baylet, Bockel et Detcheverry, Mmes Escoffier et Laborde et MM. Mézard, Milhau, Tropeano et Vall, est ainsi libellé :
Alinéa 7, deuxième phrase
Après les mots :
consentement écrit préalable
insérer les mots :
des deux membres
Cet amendement n'est pas soutenu.
L'amendement n° 144, présenté par Mme Payet, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 7
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
L'autorisation de toute recherche effectuée dans les conditions de l'alinéa précédent ne sera accordée qu'après vérification préalable par l'Agence de biomédecine de la réalisation qu'une expérimentation sur l'animal a eu lieu et que la vacuité de celle-ci a été démontrée.
La parole est à Mme Anne-Marie Payet.
Mme Anne-Marie Payet. La législation encadrant la recherche limite actuellement la recherche sur l’animal au détriment de l’embryon humain.
En effet, du fait de la pression des associations de protection de l’animal, la recherche sur les modèles animaux est sévèrement contrainte en termes de formation et d’infrastructure alors que celle sur l’embryon humain ne nécessite aucun diplôme préalable.
Lors de son audition par la commission spéciale de l’Assemblée nationale, le professeur Jacques Testart, a déclaré ceci : « La priorité doit être, selon moi, de conduire les recherches avec les cellules IPS humaines et avec les cellules embryonnaires animales [...]. Le prérequis de l’expérimentation animale me paraît relever à la fois d’un principe scientifique et éthique. »
Avant de conclure que les recherches sur les cellules souches pluripotentes induites dites induced pluripotent stem cellss, ou IPs, et embryonnaires animales constituent une alternative aux recherches sur l’embryon et que la loi doit en tenir compte.
Le professeur Alain Privat va dans le même sens quand il dit que « la donne a changé de façon radicale depuis les travaux de Shinya Yamanaka en 2008 et la mise au point de la technologie permettant d’obtenir des IPS Ces cellules présentent des avantages incontestables : contrairement aux cellules souches embryonnaires, elles ne nécessitent pas l’utilisation et la destruction d’embryons ».
Pour des raisons éthiques et de clarté juridique, il semble donc nécessaire d’inscrire dans la loi ce prérequis de l’expérimentation.
Mme la présidente. L'amendement n° 69 rectifié, présenté par MM. Barbier, Collin, Baylet, Bockel et Detcheverry, Mmes Escoffier et Laborde et MM. Mézard, Milhau, Tropeano et Vall, est ainsi libellé :
Alinéas 8 et 9
Remplacer ces alinéas par quatre alinéas ainsi rédigés :
III. - Les protocoles de recherche sont autorisés par l'Agence de la biomédecine après vérification que les conditions posées au I du présent article sont satisfaites. La décision de l'agence, assortie de l'avis du conseil d'orientation, est communiquée aux ministres chargés de la santé et de la recherche qui peuvent, dans un délai d'un mois et conjointement, demander un nouvel examen du dossier ayant servi de fondement à la décision :
1° En cas de doute sur le respect des principes éthiques ou sur la pertinence scientifique d'un protocole autorisé. L'agence procède à ce nouvel examen dans un délai de trente jours. En cas de confirmation de la décision, la validation du protocole est réputée acquise ;
2° Dans l'intérêt de la santé publique ou de la recherche scientifique, lorsque le protocole a été refusé. L'agence procède à ce nouvel examen dans un délai de trente jours. En cas de confirmation de la décision, le refus du protocole est réputé acquis.
En cas de violation des prescriptions législatives et réglementaires ou de celles fixées par l'autorisation, l'agence suspend l'autorisation de la recherche ou la retire.
Cet amendement n'est pas soutenu.
Quel est l’avis de la commission ?
M. Alain Milon, rapporteur de la commission des affaires sociales. Mesdames, messieurs les sénateurs, ceux qui considèrent que les cellules souches induites offrent aujourd’hui le même potentiel médical que les cellules souches embryonnaires doivent être pleinement satisfaits du texte adopté par la commission. En effet, l’article 23 de ce dernier dispose en substance que, dès l’instant où d’autres types de recherches offriront des capacités similaires à celles des cellules souches embryonnaires, la recherche sur ces dernières sera interdite par l’Agence de la biomédecine qui n’accordera plus d’autorisation dans ce domaine.
Si les cellules souches induites permettent des recherches similaires aux cellules souches embryonnaires, l’article 23, tel qu’il a été rédigé par notre commission, interdit déjà les recherches sur l’embryon et ses cellules. Pourquoi donc vouloir interdire ce que le droit rendrait déjà impossible ?
C’est que la réalité des cellules souches induites n’est pas encore celle que l’on nous présente ! Comme les cellules souches embryonnaires, les cellules souches induites ont certes des avantages mais aussi de nombreux inconvénients liés au fait même d’avoir fait régresser ces cellules au stade de cellules embryonnaires. Les cellules souches induites sont des sortes d’organismes génétiquement modifiés – j’emploie une expression qui n’avait pas plu à la présidente de l’Agence de la biomédecine, et elle avait bien raison ; mais comme certains dans cet hémicycle utilisent des expressions pour choquer, je vais faire de même de mon côté ! –, puisqu’on fait régresser ces cellules au stade de la pluripotence en introduisant un virus qui entraîne des modifications génétiques. Ces dernières causent des problèmes qui ont été recensés dans la revue Nature au début de cette année, comme le rappelle d’ailleurs un article publié dans Le Monde daté d’aujourd’hui.
Non, les cellules souches induites ne sont pas plus sûres ni meilleures que les cellules souches embryonnaires. À l’heure actuelle, ces deux types de cellules sont complémentaires du point de vue de la science.
Je prendrai un exemple à partir des recherches de M. Peschanski – même si cela fâche –, mais pas telles qu’il les présente lui-même, car on a tendance, paradoxalement, à accuser le directeur du principal laboratoire en France en matière de cellules souches induites de vouloir privilégier les cellules embryonnaires. Je me fonderai donc sur l’analyse impartiale publiée sur le site de la revue Nature.
Il est affirmé dans Nature que les recherches menées par l’équipe d’Istem sur un embryon porteur du gène de la dystrophie musculaire n’auraient sans doute pas pu être menées sur des cellules souches induites porteuses des mêmes caractéristiques.
L’équipe française a trouvé comment le génome en vient, dans certains cas, à être porteur de la mutation qui entraîne la dystrophie. Or une cellule induite, si elle porte bien la mutation, puisqu’elle a été créée pour la porter, ne permet pas de comprendre comment cette mutation se produit naturellement. Ici, la compréhension et la possibilité de soigner une maladie héréditaire reposent sur la recherche sur les cellules souches.
Toujours dans la revue Nature, l’analyse précitée note la même impossibilité de comprendre la mutation du chromosome X à partir des cellules induites, impossibilité à laquelle s’est heurtée une équipe de l’université hébraïque de Jérusalem.
Les essais cliniques en cours aux États-Unis sur la régénération de la moelle épinière et sur la maladie de Stargardt, une affection héréditaire de l’œil, et l’essai qui pourrait être lancé en France sur la régénération du muscle cardiaque que nous a présenté en commission le professeur Menasché ne sont conduits que parce que les autres méthodes ont jusqu’ici échoué.
Ces essais échoueront peut-être aussi, et d’autres méthodes, nouvelles, pourront être plus fructueuses. Mais faut-il, en les attendant, renoncer à soigner ?
La recherche sur les cellules souches embryonnaires est aujourd’hui nécessaire. Je vous rappelle que le premier acte du président Obama a été d’autoriser ces recherches sur fonds fédéraux. Il a placé sur ces recherches la même priorité que Bill Clinton avant lui sur le décodage du génome. Ce n’est donc pas une mode, une lubie ou la volonté de détruire des embryons qui détermine la volonté de nos scientifiques de travailler sur ces cellules, c’est l’état international de la science.
Je le répète, à partir du moment où les cellules IPS ou autres auront les mêmes propriétés que les cellules embryonnaires, l’article 23 actuel obligera l’Agence de la biomédecine à interdire les recherches en ce domaine.
Vouloir interdire aujourd’hui ces recherches par la loi, c’est soit considérer que l’ABM n’accomplit pas la mission que la loi lui a confiée, et il faut alors la supprimer, soit soumettre les progrès de la science à l’idéologie, ce que la France s’est toujours refusée à faire jusqu’à ce jour. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
L’amendement n° 70 rectifié bis n’autorise en fait que les recherches observationnelles, car il est impossible de mener des recherches autrement sans porter atteinte à l’intégrité de l’embryon. Par ailleurs, effectuer des recherches sur les embryons avant leur destruction par décongélation ne me semble pas – mais je ne suis pas un scientifique – avoir de sens.
Par conséquent, la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.
La commission a également émis un avis défavorable sur les amendements nos 143 et 148.
En ce qui concerne l’amendement n° 169 du Gouvernement, le progrès médical semble toujours en contradiction avec la dignité humaine. Depuis 2004, la France est dotée, quoi que l’on en dise, de l’un des arsenaux les plus rigoureux, pour ne pas dire le plus restrictif, en matière de science du vivant.
Le dispositif adopté par la commission des affaires sociales confirme – je vous l’ai dit hier soir – les avis exprimés par le Conseil d’État, le 7 mai 2009, par l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, et par l’Académie nationale de médecine, et donne raison aux scientifiques.
Ceux qui ont été convoqués par la commission déplorent depuis des années la frilosité du législateur français, qui affaiblit, qui handicape les laboratoires français par rapport à leurs concurrents – je vous renvoie à l’article paru hier soir dans Le Monde –, notamment britanniques.
Nous avons le devoir, me semble-t-il, au-delà des crispations que l’on ressent dans notre hémicycle, de marier la raison et la sagesse. Les scientifiques sont à mon avis les mieux placés pour évaluer les marges dont ils ont besoin pour faire avancer la recherche. Cette estimation ne peut être effectuée sans le contrôle des autorités morales et politiques.
Par conséquent, la commission a émis un avis défavorable sur l’amendement du Gouvernement.
Il en est de même pour l’amendement n° 107.
L’amendement n° 71 rectifié bis s’inscrit dans la même logique que l’amendement n° 70 rectifié bis. La commission est donc également défavorable.
Pour ce qui est de l’amendement n° 144, il est faux, madame Payet, de dire que la recherche sur l’animal peut se substituer à la recherche sur l’embryon humain. Cette comparaison est établie par l’ABM, mais les modèles animaux ont évidemment des limites que ne présente pas l’embryon.
Par conséquent, la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Xavier Bertrand, ministre. Vous ne serez pas surpris que j’émette un avis défavorable sur l’ensemble de ces amendements compte tenu de ce que j’ai indiqué tout à l’heure, même si certains d’entre eux s’approchent de ce que souhaite le Gouvernement.
Comme je présume que des explications de vote auront lieu, je ne voudrais pas ajouter à la confusion qui pourrait naître concernant les positions des uns et des autres.
D’ailleurs, pour ne rien vous cacher, j’ai été tenté de demander la priorité pour l’examen et le vote de l’amendement du Gouvernement. Mais si tel avait été le cas, les uns et les autres n’auraient pu exprimer leurs convictions et donner leur position, ce qui est à mon sens indispensable au bon déroulement de ce débat.
Je me contenterai donc d’exprimer un avis défavorable sur l’ensemble de ces amendements, en me réservant la possibilité d’intervenir plus en détail à l’occasion des explications de vote.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Fourcade, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Fourcade. J’ai été à l’origine de la loi de 1994 relative au don et à l’utilisation des éléments et produits du corps humain, loi qui avait interdit les recherches sur les embryons. Malheureusement, dans la droite ligne de la pratique française des fécondations in vitro, nous nous sommes mis, à la suite d’un certain nombre de médecins, de professeurs et de savants, à fabriquer énormément d’embryons. Quand deux ou trois embryons étaient congelés en Allemagne, il y en avait sept ou huit en France. Nous nous trouvons par conséquent aujourd’hui avec plus de 150 000 embryons congelés !
Évidemment, la tentation est grande, chez tous les chercheurs, notamment les jeunes qui se sont rendus aux États-Unis, au Canada ou ailleurs, de procéder à des recherches sur cette masse formidable d’embryons congelés.
Monsieur le ministre, quelles mesures pourrions-nous prendre pour limiter, dans le cadre de la fécondation in vitro, le nombre d’embryons surnuméraires ? Il faudra bien arriver à trouver un système qui permette de satisfaire au désir d’enfant des parents sans accumuler des embryons surnuméraires !
J’en viens au second aspect de mon intervention. Je suis opposé au maintien de l’interdiction absolue de recherches sur les embryons comme le prévoient certains amendements, car ce serait à mon sens un recul par rapport à la loi de 2004 et aux pratiques actuelles qui ont cours un peu partout.
Faut-il pour cela aller jusqu’à l’inversion du mécanisme, c’est-à-dire autoriser sous contrôle ? Ce serait une erreur aujourd’hui. Le problème est de savoir si nous pouvons continuer à développer la recherche sur les embryons et sur les cellules souches sans provoquer de conflits idéologiques, religieux ou moraux considérables.
Et si l’amendement proposé par le Gouvernement est adopté, ne va-t-on pas, en fait, autoriser la plupart des recherches dans tous les domaines ? Cet amendement, comme d’ailleurs l’amendement n° 148 de Mme Payet, élargit un peu la portée des dérogations. N’arriverons-nous finalement pas, avec le texte du Gouvernement, au même résultat qu’avec le texte de la commission ?
Telle sont les questions que je souhaitais vous poser avant de prendre ma décision.
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Fischer, pour explication de vote.
M. Guy Fischer. Nous sommes au cœur du débat, et les positions n’ont pas changé. M. le ministre pourra s’exprimer comme il voudra, mais, en fait, le régime d’interdiction va être maintenu. Je crains – nous le verrons lorsque notre assemblée se prononcera – que nous n’en restions au statu quo et que cet article, qui devrait à mon sens être différent du texte voté à l’Assemblée nationale et montrer l’intelligence du débat du Sénat, n’atteigne pas cet objectif.
Pour ma part, je respecte évidemment les positions des uns et des autres, mais je souhaiterais répondre à Mme Hermange, dont l’amendement n° 70 rectifié bis est très proche de l’amendement n° 124 rectifié de M. Retailleau.
Si nous comprenons bien les auteurs de ces amendements, il n’y a pas lieu d’autoriser la recherche sur l’embryon et de la limiter finalement à des techniques non destructrices, parce que d’autres techniques permettraient une recherche sur la base de cellules adultes reprogrammées.
Permettez-moi d’émettre un doute, à l’instar de M. le rapporteur, sur la capacité actuelle de ces cellules, les IPS, à donner les mêmes résultats que les cellules souches embryonnaires humaines. La technique toute nouvelle, si elle ouvre un chemin effectivement intéressant pour une recherche plus sereine, doit cependant faire ses preuves, et c’est en cela que notre analyse diffère de celle de Marie-Thérèse Hermange.
En l’état, l’avis unanime des scientifiques est simple : on ne peut restreindre la recherche sur les cellules souches à ces uniques cellules IPS. L’avis de Philippe Menasché va dans ce sens : « Les chercheurs en sont tous d’accord, la recherche sur les cellules IPS ne peut dispenser de celle sur les cellules souches embryonnaires. » Il ajoute ceci : « Il faut développer parallèlement les recherches sur les cellules souches adultes et sur les cellules souches embryonnaires ».
Il faut dire les choses comme elles sont : ces cellules ne pourront jamais remplacer les cellules souches embryonnaires, car elles n’ont pas les mêmes caractéristiques.
La distinction doit être faite entre cellule souche embryonnaire, dite totipotente, et cellules IPS, ces cellules pluripotentes induites.
MM. Christian Cointat et Robert del Picchia. Quelle érudition !
M. Guy Fischer. Cela fait des années que nous travaillons sur ce sujet !
Les cellules IPS n’ont pas les mêmes caractéristiques : elles ne permettent pas de créer tout type de cellules, et les méthodes de leur fabrication contiennent un risque oncogène.
Elles n’ont pas non plu les mêmes applications : les études sur l’embryologie humaine, dans les premiers stades du développement, ne sont par définition possibles qu’avec une recherche sur des embryons.
Rappelons enfin l’avis du Conseil d’État qui, en mai 2009, a reconnu « l’intérêt thérapeutique » des cellules souches embryonnaires humaines, « même si des alternatives prometteuses se développent ».
Notre position est simple et va dans ce sens : on ne peut opposer une technique qui a fait ses preuves et qui montre déjà des résultats exploitables – sauf en France, puisque la recherche y est bridée – à une technique certes prometteuse, mais qui a les défauts de sa nouveauté.
C’est la raison pour laquelle, d’une part, nous ne voterons pas ces amendements et, d’autre part, nous sommes en désaccord avec Mme Marie-Thérèse Hermange et M. Bruno Retailleau.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Godefroy. Monsieur le ministre, vous dites que, en l’état actuel des choses, vous ne voulez pas changer de principe ; c’est votre droit. Mais la loi de 2004 prévoyait des dispositions transitoires pour cinq ans – elles ont duré en réalité sept ans. C’est d’ailleurs ce que vous indiquez vous-même dans l’objet de votre amendement en évoquant la suppression du moratoire actuel.
Ce moratoire avait pour but de vérifier qu’il n’y aurait pas de dérives, ce dont les scientifiques ont d’ailleurs fait la démonstration. Ces derniers ont accompli un travail remarquable, dont ils sont aujourd’hui, à mon avis, fort mal récompensés.
Votre position d’équilibre qui, dans un certain nombre de cas, est tout à fait justifiée, pose un problème, monsieur le ministre.
En effet, vous supprimez le moratoire. Vous ne pouvez en effet pas faire autrement, puisque le texte qui nous est soumis ne comporte pas de clause de révision ; en conséquence, le dispositif d’interdiction avec dérogation est à perpétuité.
Or je ne suis pas certain qu’il soit judicieux, aujourd’hui, dans cette assemblée et dans notre pays, d’établir un système dérogatoire à perpétuité, sauf à ajouter une clause de révision des lois relatives à la bioéthique.
Je comprends néanmoins votre propos, monsieur le ministre, lorsque vous déclarez que la société n’est pas prête. Mais s’il fallait que le législateur attende toujours que la société soit prête, on n’évoluerait pas beaucoup !
M. Guy Fischer. Oui !
M. Jean-Pierre Godefroy. Par ailleurs, ce n’est pas parce que la société réclame des changements que le législateur doit obtempérer. C’est à nous de prendre la décision.
Vous cherchez un équilibre, comme si vous marchiez sur un fil. Mais on ne marche qu’un temps sur le fil, monsieur le ministre ! D’ailleurs, c’est un équilibre non pas scientifique mais politique que vous essayez de trouver. Vous nous l’avez dit vous-même en parlant de la société.
Vous nous proposez un amendement d’équilibre politique pour la présentation à l’extérieur et à la population beaucoup plus qu’un amendement d’équilibre scientifique.
C’est la raison pour laquelle je ne pourrai pas voter votre amendement ni ceux de nos collègues. L’avancée prévue, qui consistait à établir un régime d’autorisation avec un contrôle très précis de la recherche, était certainement le principe le plus novateur, le plus adapté et le plus attendu par nos chercheurs. (M. Guy Fischer applaudit)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Xavier Bertrand, ministre. Madame la présidente, je demande que le Sénat se prononce par priorité sur l’amendement n° 169 du Gouvernement.
M. Guy Fischer. Voilà, le tour est joué !
M. Xavier Bertrand, ministre. Par ailleurs, je tiens à répondre précisément à M. Jean-Pierre Fourcade et à apporter une précision à M. Jean-Pierre Godefroy.
Monsieur Godefroy, je ne savais pas qu’il existait des lois perpétuelles, ad vitam aeternam ! L’initiative parlementaire, à travers une proposition de loi, et l’initiative gouvernementale, à travers un projet de loi, suffisent à prouver le contraire.
M. Guy Fischer. Mais arrêtez, allons !
M. Xavier Bertrand, ministre. Ce texte ne prétend pas légiférer pour les dix siècles à venir, mais nous avons besoin de visibilité dans ce domaine.
Je tenais à réfuter cet argument, que je respecte mais que j’ai le droit de ne pas partager.
Monsieur Fourcade, vous avez évoqué un sujet de fond et des questions que se posent des parlementaires, quelles que soient les travées sur lesquelles ils siègent.
Je rappelle tout d’abord ce que prévoit l’amendement gouvernemental. Ouvre-t-il tout en grand ? Non. Certains, d’ailleurs, nous le reprochent. J’entends les messages qui nous sont adressés, regrettant que l’on ne permette pas tout.
L’amendement n° 169 du Gouvernement prévoit un régime d’interdiction assorti de dérogations strictement encadrées.
D’abord, ces dernières dépendent des finalités médicales des recherches. Une dérogation peut être accordée pour les recherches qui doivent « permettre des progrès médicaux majeurs ». Chacun de ces mots est important, j’y reviendrai dans le détail, monsieur Fourcade.
Ensuite, ces recherches ne peuvent être autorisées que s’il est impossible de les poursuivre sans recourir à des embryons ou à des cellules souches embryonnaires, c’est-à-dire s’il n’y a vraiment pas d’autre moyen. Et, vous le savez, le nombre de projets ayant obtenu une dérogation a été extrêmement limité.
Enfin, ces recherches doivent obtenir une autorisation de l’Agence de la biomédecine, l’ABM. Une motivation des avis de l’ABM doit, en outre, être fournie. D’ailleurs, je tiens à rappeler que l’ABM n’est pas une structure totalement séparée : des parlementaires siègent à son conseil.
M. Guy Fischer. Il y a combien de groupes de travail ?
M. Xavier Bertrand, ministre. M. le sénateur Jean-Louis Lorrain ainsi qu’un député siègent ainsi au conseil de l’ABM. En conséquence, même au niveau de la représentation parlementaire, les différentes positions sont présentes et peuvent s’exprimer.
Ainsi, selon la décision des assemblées parlementaires, les positions qui se sont fait entendre dans ce débat sont représentées au sein de l’ABM. C’est important.
Monsieur Fourcade, les procédés inscrits dans la loi, à l’article 22, sur la question de la vitrification, apportent des garanties. L’article du projet de loi repris par la commission prévoit de limiter strictement la conservation des embryons en fonction des techniques disponibles. Pour être aussi précis que vous l’avez été, voici la formule utilisée dans le texte : « ce nombre est limité à ce qui est strictement nécessaire à la réussite de l’assistance médicale à la procréation, compte tenu du procédé mis en œuvre. »
La question de la vitrification a fait l’objet d’une longue discussion à l’Assemblée nationale. M. Jean Leonetti, rapporteur de la commission spéciale à l’Assemblée nationale, a trouvé cette formule qui permet de fixer un chiffre sans pour autant réduire les chances de réussite pour les femmes concernées. C’est pourquoi cette formulation a été retenue.
On s’est demandé si l’on pouvait limiter à trois le nombre d’embryons conservés. Mais nous avons voulu prendre le recul nécessaire et envisager cette question en fonction des chances laissées à une femme pour réussir son projet.
Par ailleurs, s’il s’agissait jusqu’ici de la finalité thérapeutique, la finalité médicale a également du sens. Cela a aussi donné lieu à de longs débats. La finalité médicale concerne des recherches de santé publique à visée diagnostique.
Il ne s’agit pas, pour nous, puisqu’il n’y a plus de révision, de faire sauter le moratoire, sans nous poser de questions. Pas du tout ! J’ai participé aux travaux en commission à l’Assemblée nationale. Le président de la commission spéciale, M. Alain Claeys, nous incitait à passer du côté du régime d’autorisation encadrée qui, selon lui n’était séparé du régime d’interdiction que par une très mince frontière.
Je m’y suis refusé. Il ne s’agit pas de céder à la facilité ni à ce que l’on pourrait penser être un mouvement naturel. Il faut rester ferme sur le principe de l’interdiction mais avec des dérogations – peu nombreuses, certes, mais qui ont leur importance.
Voilà concrètement la position du Gouvernement et les apports de son amendement. Certes, ceux qui sont pour l’interdiction totale ne seront pas totalement satisfaits ; et ceux qui sont pour l’autorisation même encadrée ne le seront pas non plus – ils l’ont d’ailleurs fait valoir.
Mais si la position proposée par le Gouvernement dans cet amendement n’est pas retenue, je suis persuadé qu’à terme ce sont ceux qui siègent sur le côté gauche de l’hémicycle qui finiront par obtenir gain de cause.
Si les positions sont trop fermes et trop fermées par rapport à ce que propose le Gouvernement, je ne suis pas sûr que ceux qui veulent établir un équilibre s’y retrouveront finalement. L’équilibre n’est pas le statu quo, monsieur Godefroy ; c’est quand on a trouvé l’équilibre que l’on peut commencer à avancer, j’en ai la conviction !
Mme la présidente. Monsieur le ministre, j’ai noté votre demande de priorité de mise aux voix de l’amendement n° 169. Elle sera examinée par le Sénat après l’ensemble des explications de vote.
La parole est à Mme Raymonde Le Texier, pour explication de vote.