Mme Nicole Bricq. Mais qui va payer cette baisse ?
M. Patrick Ollier, ministre. Le Gouvernement prépare au contraire des dispositions concrètes afin que les bénéfices réalisés par les entreprises profitent aussi aux salariés.
Le Président de la République a ainsi demandé que vous soit soumis un projet de loi prévoyant l’ouverture obligatoire d’une négociation dans les entreprises de plus de 50 salariés en vue du versement d’une prime aux salariés si les dividendes distribués par l’entreprise sont en augmentation. Nous aurons un débat sur ce sujet, monsieur le rapporteur, car nous n’avons pas tout à fait la même vision des modalités de mise en œuvre de cette prime !
En outre, le Gouvernement soutient activement le projet de directive communautaire, que vient de relancer la Commission européenne, visant à harmoniser les règles de l’impôt sur les sociétés au sein de l’Union européenne.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Excellent projet !
M. Patrick Ollier, ministre. Ce projet présente de nombreux atouts pour les entreprises, quelle que soit leur taille, et leur permettra de s’implanter dans un autre État sans rencontrer les difficultés auxquelles elles se heurtent aujourd’hui, par exemple en termes de compréhension de la législation fiscale ou de respect des obligations déclaratives. Il s’agira d’un véritable gain en matière de compétitivité. Ce projet constitue, à plusieurs égards, la vraie réponse aux problèmes que vous soulevez, monsieur Marc.
Pour conclure, permettez-moi d’insister à nouveau sur l’attachement du Gouvernement à préserver la compétitivité des entreprises, tout en assurant les conditions de la justice et de l’équité en matière fiscale.
Certaines dépenses fiscales méritent certainement d’être reconsidérées, y compris dans le champ de la fiscalité des entreprises, mais pas de la manière dont vous l’envisagez. Cela ne peut se faire qu’à l’issue d’une revue méthodique des effets budgétaires, mais aussi économiques et sociaux, de chacune de ces dépenses. Ce n’est pas au doigt mouillé, monsieur Marc, que l’on peut décider de supprimer telle ou telle dépense fiscale, par simple souci d’affichage !
Compte tenu de ces explications, vous comprendrez, mesdames, messieurs les sénateurs, que le Gouvernement soit opposé à cette proposition de loi, à l’instar de M. le rapporteur, et vous demande de bien vouloir la rejeter. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et au banc de la commission.)
Mme la présidente. La parole est à M. François Rebsamen.
M. François Rebsamen. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’’avais prévu d’exposer le dispositif de notre proposition de loi, rapidement car François Marc l’a déjà fait excellemment tout à l’heure, mais je commencerai par répondre aux propos gênés, laborieux, de M. le rapporteur, et à ceux, très politiques, de M. le ministre.
Il est bon, en cette période de commémorations, de rappeler ces mots, toujours d’actualité, de Jean Jaurès, l’une de nos figures tutélaires : « Le courage, c’est de chercher la vérité et de la dire ;…
M. François Rebsamen. … c’est de ne pas subir la loi du mensonge triomphant qui passe. »
Monsieur le ministre, une véritable différence d’approche nous sépare ; il ne faut pas la nier.
L’approche du Gouvernement et d’une partie de la droite consiste à présenter systématiquement la France comme un pays où les taux d’imposition, en particulier celui de l’impôt sur les sociétés, seraient parmi les plus élevés au monde.
M. Philippe Dominati, rapporteur. C’est vrai !
M. François Rebsamen. C’est un argument politique ! En vérité, notre impôt sur les sociétés est l’un de ceux qui rapportent le moins ! Voilà le « mensonge qui passe » : il consiste à donner à penser que notre fiscalité est très lourde, alors que son rendement est en réalité très faible.
Vous avez développé de nombreux arguments, monsieur le ministre, mais nous n’avons pas entendu de réponse à la question que nous posons : pourquoi les entreprises du CAC 40 ne sont-elles soumises à l’impôt sur les sociétés qu’à concurrence de 8 %, contre plus de 20 % en moyenne pour les petites et moyennes entreprises ? Pourquoi Total – je ne m’acharne pas sur cette magnifique entreprise ! – ou Vivendi ne paient-elles pas d’impôt sur les sociétés ?
M. François Marc, auteur de la proposition de loi. Excellente question !
M. Jean Desessard. Ils ne veulent pas y répondre !
M. François Rebsamen. Cette question mérite une réponse, que nous attendons toujours ! L’objet de cette proposition de loi est assez simple. Comme l’a dit M. le rapporteur, elle a le mérite d’ouvrir le débat !
Mais vous vous êtes essentiellement consacré, monsieur le ministre, d’une façon très politique, à défendre le Président de la République. Vous vous êtes d’ailleurs fort bien acquitté de cette tâche : nul doute que vous resterez ministre ! (Sourires.)
M. François Rebsamen. Ce faisant, vous avez proféré un certain nombre de contre-vérités, qu’il m’incombe de relever.
Vous vous targuez d’avoir contenu le déficit à 7 % du PIB. Or, avec un taux de croissance de 1,6 %, un tel chiffre constitue un record sous la Ve République, si l’on excepte l’année du déclenchement de la crise !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Les entreprises réalisent leurs bénéfices hors de France !
M. François Rebsamen. Monsieur le ministre, nous n’avons pas l’obsession de l’impôt, mais celle des recettes. Vous, à l’inverse, votre leitmotiv est « toujours moins de recettes ». Pour compenser, vous êtes obligés de mettre en œuvre une politique de suppression systématique de postes de fonctionnaire, en particulier dans des secteurs tels que l’éducation nationale ou la sécurité, au point que, même dans vos rangs, quelques voix commencent à évoquer une remise en question du dogme du non-remplacement d’un fonctionnaire partant à la retraite sur deux…
La suppression de 30 000 postes de fonctionnaire permet d’économiser environ 500 millions d’euros, mais le « mitage » de l’impôt sur les sociétés représente une perte de recettes de 10 milliards d’euros ! (M. Jean Desessard applaudit.)
M. le rapporteur est d’ailleurs d’accord avec le constat que nous dressons et reconnaît qu’un problème se pose. Toutefois, de manière assez contradictoire, il entonne une ode aux dividendes. Pour ma part, je préférerais entendre chanter les louanges des salariés, dont le travail permet justement la distribution de dividendes aux actionnaires ! Nous ne sommes pas hostiles par principe aux dividendes, mais nous entendons que soit redonnée aux salariés la place qu’ils méritent, car ce sont eux qui produisent les richesses, et non les actionnaires.
Cela étant, je vous sais gré, monsieur le rapporteur, de ne pas nous avoir opposé, pour votre part, la future loi constitutionnelle. Une future loi n’est pas une loi, il ne convient pas de l’invoquer aujourd’hui ! Pour l’heure, nous avons parfaitement le droit, comme l’a dit notre collègue Charles Guené en d’autres circonstances, de faire des propositions en matière fiscale. Je suis d’ailleurs moins sûr que M. le ministre que ce texte nous sera soumis prochainement !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Il n’est pas besoin d’une loi pour faire les choses convenablement !
M. François Rebsamen. Effectivement !
Monsieur le ministre, il est quelque peu indécent de défendre avec autant d’acharnement une politique fiscale dont l’injustice est unanimement reconnue, qui octroie toujours plus d’avantages aux plus aisés de nos concitoyens, à tel point que l’on dit aujourd'hui du Président de la République qu’il est, plus encore que le président des niches, le président des riches ! (Sourires et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Il est quelque peu indécent d’exonérer 300 000 contribuables de l’impôt de solidarité sur la fortune alors que plus de 800 000 ménages sont surendettés. La priorité devrait être de se pencher sur la situation de ces derniers, mais le Gouvernement se préoccupe davantage de 300 000 ménages qui ont le malheur d’être redevables de l’ISF parce que leur patrimoine est compris entre 800 000 et 1,3 million d’euros !
Ces choses devaient être dites, en réponse aux propos très politiques de M. le ministre, qui est ici en service commandé pour défendre la politique gouvernementale. Il est vrai que celle-ci est tellement vilipendée aujourd'hui qu’elle a bien besoin d’être défendue !
Monsieur le ministre, vous n’avez répondu que de manière cursive à nos propositions, qui visent à instaurer davantage de justice fiscale, en rééquilibrant devoirs et obligations des entreprises du CAC 40 à l’égard du pays, d’une part, et en mettant en œuvre un dispositif d’incitation à l’investissement pour les entreprises, d’autre part, reposant sur un système de bonus-malus, afin de récompenser les efforts d’investissement et de sanctionner les distributions excessives de dividendes.
Cette proposition de loi procède d’un constat. Bien que des niches aient été supprimées, les entreprises auraient épargné, d’après les chiffres qui nous ont été communiqués, près de 70 milliards d’euros en 2010, contre 20 milliards d’euros en 2005, grâce à différents dispositifs fiscaux. Nous voulons que l’État retrouve une capacité financière, afin notamment de réduire les déficits des comptes publics.
Le Président de la République est passé maître dans l’art d’annoncer de nouvelles lois. Sa stratégie, c’est « action-réaction » : adepte des lois d’émotion, il l’a mise en œuvre à la suite de nombre de faits divers médiatiques, en présentant chaque fois un nouveau texte. En revanche, le Gouvernement se montre beaucoup moins prompt à l’action et à la réaction quand il s’agit de justice fiscale ! Pourtant, depuis de nombreux mois, il est souligné que de grands groupes ne paient aucun impôt sur les sociétés… Or il est impératif aujourd'hui d’envoyer des signaux de justice aux citoyens, aux consommateurs, aux ménages, aux contribuables, aux petites et moyennes entreprises, qui subissent lourdement les effets de la crise, parfois doublement, du fait de la hausse des prix et du chômage. Alors que le prix du litre d’essence à la pompe bat aujourd'hui des records, Total ne paie toujours pas d’impôt sur les sociétés…
Le courage, c’est de supprimer un certain nombre d’outils aujourd'hui obsolètes, à l’instar du bénéfice mondial consolidé, qui a été mis en place en 1965. Sa suppression est l’objet de l’article 1er de la proposition de loi. On ne pourra pas faire face aux enjeux de 2020 avec les outils de 1960 ! Lors de la discussion du dernier projet de loi de finances, le Gouvernement s’était opposé à la suppression de ce dispositif, estimant qu’il est « bien contrôlé, semble assez sûr et permet à des entreprises qui ne sont pas forcément de grands groupes de développer leurs activités ». À la lecture de la liste des bénéficiaires, on est en droit de se demander de quelles entreprises il s’agit…
Nous avons déjà abordé le thème du courage en matière fiscale dans cet hémicycle. La suppression du bouclier fiscal a beaucoup trop tardé. Assujettir les groupes pétroliers à une contribution exceptionnelle, comme nous l’avons demandé, serait une décision courageuse. Lorsque j’ai présenté une proposition de loi à cette fin, le Gouvernement a répondu en substance : « Mais enfin, soyez raisonnables ! » Avec quelques années de retard, la création de cette taxe est aujourd'hui annoncée. Il était sans doute urgent… d’attendre !
Le dispositif fiscal dérogatoire n’est pas un dû ; c’est avant tout une dépense publique. Il est difficilement admissible que de grandes entreprises puissent éviter de s’acquitter de leur contribution à la collectivité nationale. Pourquoi tolérons-nous autant de pratiques d’optimisation fiscale outrancière, réservées à quelques-uns ? Comment l’État peut-il accepter qu’on lui fasse ainsi les poches ?
Les Français comprennent mal qu’un champion national comme Total participe aussi peu à « l’entretien de la force publique », pour reprendre les termes de la Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen. Non seulement ce grand groupe a licencié des salariés, mais il ne paie pas d’impôt sur les sociétés, alors qu’il réalise – et c’est tant mieux ! – une dizaine de milliards d’euros de bénéfices ! L’impôt sur les sociétés est devenu, selon les propres mots de M. Baroin, un « impôt de chagrin » ! Toutes les entreprises devraient acquitter un minimum d’impôt ! L’État récupérerait ainsi quelque 10 milliards d’euros, et pourrait réduire d’autant les déficits publics. Pourquoi toujours repousser l’échéance ? Nous appelons le Sénat à adopter sans plus tarder cette proposition de loi frappée au coin du bon sens, qui tend à instaurer davantage de justice fiscale. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la fiscalité est plus que jamais au cœur des questions de politique économique et de justice sociale. Elle sera même, j’en suis sûr, au centre de la prochaine campagne présidentielle, tant le déficit de justice fiscale est grand.
Comme souvent, le Sénat est en avance, le Sénat est précurseur, le Sénat sert de laboratoire d’idées. Nous avons ainsi débattu, voilà plus d’un an, d’une proposition de loi visant à instituer une taxation de certaines transactions financières que j’avais déposée.
Aujourd’hui, nous examinons une proposition de loi, élaborée par François Marc et nos collègues du groupe socialiste, tendant à modifier de façon substantielle le régime de l’impôt sur les sociétés. J’espère pour eux qu’ils auront plus de succès que je n’en ai eu avec ma proposition de loi, et que nous serons cette fois entendus par la majorité sénatoriale. En effet, autant le dire tout de suite, je partage totalement les objectifs visés au travers du présent texte, dont j’approuve le dispositif. Je lui apporte donc mon soutien. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Nicole Bricq. Bravo !
M. Yvon Collin. Cette proposition de loi repose essentiellement sur trois dispositifs tendant à l’abrogation du régime du bénéfice mondial consolidé, à l’introduction d’un niveau plancher d’impôt sur les sociétés effectivement acquitté et à une modification du taux uninominal de l’impôt sur les sociétés, cela en fonction de l’affectation du résultat de certaines entreprises.
Véritable serpent de mer fiscal, la question de l’efficacité de l’impôt sur les sociétés, en termes de rentrées fiscales pour l’État, et de son équité, en termes de progressivité de ses taux, n’en finit pas d’être soulevée.
Cet impôt a vocation à déterminer la principale contribution des entreprises aux charges financières de l’État. Calculé en fonction des bénéfices réalisés chaque année, son taux de droit commun, longtemps établi à 50 %, est fixé à 33,33 % depuis le 1er janvier 1993. Cette diminution participait à l’époque d’une démarche partagée d’harmonisation au sein de l’espace communautaire.
En 2008, il faut s’en souvenir, cet impôt rapportait dans les caisses de l’État plus de 52 milliards d’euros, soit près de 17 % des gains fiscaux annuels. Ce n’est pas rien, surtout dans un contexte budgétaire marqué par des pics de déficit à répétition !
La proposition de loi n’a nullement pour objet d’alourdir les taux existants, de remettre en cause l’attractivité de la France dans le concert des nations européennes, ni même de taxer davantage l’ensemble de nos entreprises. Non ! Évitons la caricature : le texte vise bel et bien à corriger les distorsions de ce régime d’imposition, qui permettent aux plus grandes entreprises de payer a minima. Je pense notamment aux entreprises du CAC 40, dont les bénéfices faramineux ne cessent de croître.
Comment expliquer sans gêne que, par un tour de passe-passe et de judicieux montages d’optimisation fiscale, certaines multinationales françaises sont assujetties à un taux d’imposition deux fois moins élevé que celui des PME ? Comment expliquer que, dans notre pays, plus une entreprise est importante, moins elle est assujettie à l’impôt ?
Selon un rapport rédigé en 2009 par le Conseil des prélèvements obligatoires, les entreprises du CAC 40, qui représentaient en 2006 plus de 30 % des profits, rapportaient à peine 13 % de l’impôt sur les sociétés. En revanche, les PME dont la taille n’excédait pas 250 personnes s’acquittaient de 21 % du même impôt, pour seulement 17 % des profits générés par les entreprises françaises.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, cette situation est contraire à l’esprit même de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, à laquelle notre collègue François Rebsamen faisait référence, et dont l’article XIII dispose que la contribution commune « doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». Cela, me semble-t-il, vaut bien aussi pour les entreprises !
Avec des taux faibles pour les plus forts et des taux forts pour les plus faibles, c’est toute une mécanique inéquitable et implacable à laquelle il convient de mettre un terme. Pour cela, nos collègues socialistes proposent, dans leur texte, trois remèdes à appliquer aux trois principaux maux de l’impôt sur les sociétés.
En premier lieu, la proposition de loi tend à supprimer le mécanisme dit du bénéfice mondial consolidé.
Ce mécanisme permet aux sociétés mères de certaines multinationales françaises de retenir l’ensemble des résultats de leurs exploitations directes ou indirectes, qu’elles soient situées en France ou à l’étranger, pour l’assiette des impôts établie sur la réalisation et la distribution de leurs bénéfices. Ce système dérogatoire, soumis à agrément ministériel, permet ainsi aux grands groupes d’imputer sur leurs bénéfices français les résultats souvent déficitaires des filiales nouvellement implantées à l’étranger.
Je parlais précédemment d’optimisation fiscale : nous y sommes ! Pour éviter les doubles impositions, l’impôt sur les sociétés payé en France par la maison mère sur son résultat consolidé est diminué de l’impôt sur les sociétés versé à l’étranger par chacun de ses établissements stables ou chacune de ses filiales. Au bout du compte, les gains fiscaux optimisés représentent un jackpot de plusieurs centaines de milliers d’euros par entreprise concernée.
En 2010, selon les services du ministère du budget, cinq sociétés ont bénéficié de ce régime, qui a coûté la bagatelle de 302 millions d’euros à l’État ! Cerise sur le gâteau, grâce à ce dispositif formidable, le groupe Total, cité à plusieurs reprises, n’a payé aucun impôt sur les sociétés en 2010, alors même qu’il a réalisé un bénéfice de 10,5 milliards d’euros, le plus important du CAC40, et qu’il a distribué la bagatelle de 5,2 milliards d’euros de dividendes à ses actionnaires.
M. Jean Desessard. Comment est-ce possible ?
M. Yvon Collin. En deuxième lieu, la proposition de loi tend à introduire un taux de base auquel aucune société ne saurait échapper.
M. Jean Desessard. C’est le bon sens !
M. Yvon Collin. Il s’agirait tout simplement d’atténuer les effets de distorsion entre les entreprises soumises au taux de droit commun et les entreprises soumises à des taux particulièrement bas par des jeux d’abattement et de décote.
Cette disposition est d’autant plus judicieuse que, paradoxalement, ce sont bien les sociétés les plus importantes qui bénéficient des taux les plus compétitifs. Une telle situation est particulièrement injuste à l’égard de la majorité de nos PME, qui sont confrontées depuis trois ans aux conséquences de la crise financière. Les petites et moyennes entreprises n’acceptent plus – elles ont raison – de participer au prix fort aux efforts de la nation quand les entreprises du CAC 40 persistent dans l’optimisation fiscale et la répartition outrageante des dividendes entre leurs actionnaires.
Oui, l’établissement d’un taux plancher est une mesure de bon sens, qui permettrait à l’État de renflouer ses caisses en s’appuyant sur l’automaticité d’un taux de 16 %, alors même que la moyenne des taux européens se situe à hauteur de 23 %. L’argument consistant à dénoncer le manque d’attractivité fiscale de notre pays pour les entreprises deviendrait ipso facto irrecevable.
En troisième lieu, la proposition de loi introduit un dispositif prévoyant que le taux de l’impôt sur les sociétés puisse être modulé en fonction de l’affectation du bénéfice imposable par les entreprises.
L’objectif est de majorer le taux d’imposition lorsque la fraction des bénéfices distribuée en dividendes excède un certain seuil. Il s’agit donc d’inciter les entreprises à privilégier l’investissement et l’emploi, grâce à un dispositif fiscal rendant la démarche de capitalisation interne plus attrayante qu’une politique de généreuse distribution de dividendes.
Sur ce point également, l’enjeu est de taille, puisqu’il est question de rendre prioritaire la réutilisation des bénéfices pour l’innovation et la création d’emplois et de limiter l’enrichissement à court terme d’une minorité d’actionnaires, plus soucieux de rentabilité financière que de pérennité d’activités.
Mes chers collègues, on le voit bien, c’est toute la politique fiscale menée depuis plusieurs années qu’il convient de réformer en profondeur. Les débats d’aujourd’hui concernant l’impôt sur les sociétés ne sont que les prémices de l’ouvrage qui nous attend dans les mois qui suivront mai 2012.
Pour l’heure, une chose est sûre : la politique fiscale coûte très cher à l’État ! Le rapport de la Cour des comptes de 2009 nous indiquait déjà que, dans le déficit total de 140 milliards d’euros, le déficit structurel s’élevait à 70 milliards d’euros, l’essentiel de ce dernier étant dû aux décisions prises par les gouvernements depuis 2002 en matière de baisse des recettes fiscales. La présente proposition de loi de nos collègues socialistes s’inscrit dans une logique inverse, fondée sur la responsabilité et l’éthique financière.
C’est pourquoi, avec la majorité des membres de mon groupe, je voterai en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Thierry Foucaud.
M. Thierry Foucaud. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, il n’est pas facile de parler de l’impôt sur les sociétés en sept minutes !
Avant toute chose, je veux remercier notre collègue François Rebsamen pour la citation qu’il a faite, que je partage, de Jean Jaurès, fondateur d’un journal qui m’est très cher, L’Humanité.
J’en viens à la proposition de loi de nos collègues du groupe socialiste. Reconnaissons d’emblée une qualité à ce texte, celle de rompre avec une règle fiscale tacite, à l’œuvre depuis trop longtemps, qui veut que l’on ne puisse envisager l’amélioration de la situation économique et sociale du pays qu’à l’aune de l’allégement de la participation des entreprises au financement de la charge commune.
Pour une fois, nous sommes saisis d’un dispositif qui tend naturellement à redresser le niveau de la contribution des entreprises soumises à l’impôt sur les sociétés, à la fois en mettant en cause l’une des multiples niches fiscales qui l’amputent – je veux parler du régime du bénéfice mondial consolidé – et en proposant de traiter différemment les bénéfices afin de tenir compte de leur affectation.
Il faut sans doute un début à tout, pourrait-on dire à la lecture de cette proposition de loi. Celle-ci n’a pas, pensons-le, vocation à couvrir l’ensemble de la problématique de l’impôt sur les sociétés, mais elle cible assez judicieusement une partie des questions que pose un long processus de dévitalisation d’un impôt, pourtant nécessaire aux comptes publics et, par-delà, à la collectivité nationale.
Avant donc que nous ne donnions notre avis sur le texte qui nous est soumis, il nous faut procéder à une forme de revue de détail de ce qui a conduit notre fiscalité des entreprises, depuis 1985, à cesser de contribuer efficacement à l’équilibre budgétaire.
C’est en effet en 1985, sous le gouvernement dirigé par Pierre Bérégovoy, que le processus de réduction de l’impôt sur les sociétés a été enclenché. Dès cette époque, il a été justifié par la nécessité de favoriser l’investissement productif, le maintien de l’emploi ou l’embauche de nouveaux salariés, l’aménagement des politiques salariales permettant, dans le cadre de la négociation collective, de garantir le pouvoir d’achat des salariés.
Le grand mouvement de réduction du taux de l’impôt sur les sociétés, qui nous a conduits à appliquer aujourd’hui un taux facial de 33,33 % pouvant être majoré du taux de la contribution sociale pour certaines grandes entreprises, s’est accompagné, au fil du temps, d’une série de mesures tendant à agir sur l’assiette de l’impôt. On a ainsi fini par réduire considérablement la part des bénéfices soumis au taux facial.
Le fameux rapport de la Cour des comptes, publié en octobre 2010, sur la situation fiscale des entreprises au regard des niches fiscales et sociales dont elles bénéficient, a sans doute motivé la proposition de loi dont nous débattons. Mais il a surtout confirmé ce que nous n’avions cessé de dénoncer depuis plusieurs années, notamment au cours des discussions budgétaires.
Ainsi, le Conseil des prélèvements obligatoires, émanation de la Cour des comptes et rédacteur de ce rapport, soulignait la profusion de dispositifs d’un coût parfois élevé et d’une efficacité douteuse. Le crédit d’impôt recherche est l’un des dispositifs auxquels on pense immédiatement, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, alors même que vous venez d’en vanter les mérites, mais je reviendrai sur ce point. Surtout, ce rapport mettait en évidence les sommes considérables mobilisées par les effets d’éviction sur l’assiette de l’impôt et les dispositifs dérogatoires.
Pour les exercices 2010 et 2011, nous sommes tout de même parvenus, mes chers collègues, à une situation où l’impôt sur les sociétés représente au mieux de 30 % à 35 % de ce qu’il devrait rapporter !
Question : qui paie un tel déficit de recettes, supérieur à 100 milliards d’euros ? Réponse : les autres, tout simplement !
En d’autres termes, cela justifie – je réponds ainsi aux précédents propos de M. le ministre – qu’on bride la dépense publique, qu’on supprime des emplois publics, qu’on maintienne le taux normal de la taxe sur la valeur ajoutée à 19,6 %, et j’en passe...
Pour aller à l’essentiel, je rappelle que, depuis 1985, à la suite du lancement du processus d’allégement de la contribution des entreprises aux budgets publics, de la mise en œuvre d’une politique d’allégement de la taxe professionnelle et de développement des exonérations de cotisations sociales, nous avons privé les budgets de l’État, des collectivités locales et de la sécurité sociale de centaines de milliards d’euros.
De 1985 à 2007, et cela n’a pas dû s’arranger depuis, bien au contraire, entre baisse du taux de l’impôt sur les sociétés, remise en cause de la taxe professionnelle et allégements de cotisations sociales, ce sont plus de 500 milliards d’euros de recettes qui ont été purement et simplement perdus ! Sans compter l’impact des mesures affectant l’assiette de l’impôt sur les sociétés et les coûts de trésorerie courante que ces mesures ont impliqués pour l’État.
Dénoncer l’effet « boule de neige » de la dette publique, faute d’atteindre l’excédent budgétaire primaire, devrait nous faire réfléchir au bien-fondé de ces abandons de recettes. Je n’ai pas le temps d’approfondir ce sujet maintenant, mais nous y reviendrons.
D’ailleurs, monsieur le ministre, après ce que vous venez de dire, examinons la question telle qu’elle se pose réellement : dans le cadre d’une politique économique et industrielle comme celle que nous avons pu voir mener depuis une trentaine d’années, ces efforts ont-ils conduit notre pays sur la voie de la croissance et du plein emploi ? Non !
Vu qu’une bonne partie des groupes industriels nationaux privatisés depuis 1986 ont connu quelques mésaventures – que reste-t-il de Pechiney Ugine Kuhlmann, qui était l’un des leaders de l’aluminium en 1981, lors de sa nationalisation ? –, que l’emploi industriel ne cesse d’être victime, dans notre pays, de la recherche continue de la rentabilité maximale, que nous avons un fort volant de main-d’œuvre privée d’emploi et un volume aussi considérable de salariés noyés dans la précarité, force est de constater que cette fuite en avant vers la réduction des impôts dus par les entreprises n’a pas été nécessairement positive pour notre économie, pour nos emplois, pour la population de notre pays dans son ensemble.
À l’écoute de votre discours, monsieur le ministre, on comprend que vous vouliez persister dans la même voie.
Pourtant, les inégalités de revenus continuent à se creuser, comme le souligne ce matin le journal Les Échos. C’est toujours la même rengaine : « après la crise, il importe, dites-vous, de favoriser l’investissement, de créer plus de richesses ». Mais pour qui est cette richesse ? Il suffit de regarder les sociétés du CAC 40 !
La richesse, monsieur le ministre, elle est pour Mme Bettencourt, qui économise 36 millions d'euros grâce au bouclier fiscal et qui, demain, grâce à vos propositions, verra ses impôts encore réduits.
La richesse, elle est pour ceux qui vont pouvoir échapper à l’impôt sur la fortune grâce à un relèvement du seuil d’exigibilité de 830 000 euros à 1,3 million d'euros, mesure qui favorisera ainsi 300 000 contribuables déjà privilégiés.
II est temps de changer notre fusil d’épaule et de mettre un terme à cette véritable intoxication au moins-disant fiscal qui a marqué près de trente ans de pratique budgétaire dans notre pays !
La proposition de loi de nos collègues socialistes, sans doute inspirée par le contenu du projet présenté par leur parti en vue des rendez-vous politiques de 2012, constitue un élément du débat. Elle nous rappelle la nécessité de poser la juste et légitime question de la réforme fiscale, sans épuiser par avance le sujet. En effet, entre nous soit dit, à ce stade du débat, elle ne saurait constituer la seule approche et l’exposé des seules solutions des problèmes posés.
Nous la prenons donc comme telle, et nous sommes par ailleurs certains, au-delà du débat d’aujourd'hui, qui tournera un peu court vu la position de la majorité, que la question de l’impôt sur la fortune et de la participation des entreprises à l’effort collectif sera l’un des enjeux clés des futures consultations électorales et du débat public qu’elles susciteront.
En tout état de cause, aujourd'hui, nous voterons en faveur de la proposition de loi présentée par nos collègues socialistes. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. M. Yvon Collin applaudit également.)