Sommaire
Présidence de Mme Catherine Tasca
Secrétaires :
MM. Philippe Nachbar, Daniel Raoul.
2. Amélioration de la justice fiscale. – Rejet d'une proposition de loi
Discussion générale : MM. François Marc, auteur de la proposition de loi ; Philippe Dominati, rapporteur de la commission des finances ; Patrick Ollier, ministre chargé des relations avec le Parlement.
MM. François Rebsamen, Yvon Collin, Thierry Foucaud, Mlle Sophie Joissains.
MM. Jean Arthuis, président de la commission des finances ; le ministre.
Clôture de la discussion générale.
MM. Thierry Foucaud, le président de la commission.
Rejet par scrutin public.
MM. François Marc, François Rebsamen, Jean Desessard, le rapporteur, le président de la commission.
Rejet de l’article.
Mme Nicole Bricq, MM. le président de la commission, le rapporteur, Jean Desessard, Thierry Foucaud, le ministre.
Rejet de l’article.
Aucun article n’ayant été adopté, la proposition de loi est rejetée.
3. Journée nationale de la laïcité. – Discussion d'une proposition de résolution
M. Claude Domeizel, auteur de la proposition de résolution.
Mmes Roselle Cros, Bariza Khiari, M. Yvon Collin, Mme Marie-Agnès Labarre.
Mme la présidente.
Renvoi de la suite de la discussion.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
4. Questions d'actualité au Gouvernement
révolutions arabes et immigration
MM. Jean-Pierre Sueur, Claude Guéant, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration.
Mme Marie-France Beaufils, M. Xavier Bertrand, ministre du travail, de l'emploi et de la santé.
MM. Jean Bizet, Claude Guéant, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration.
pêche à saint-pierre-et-miquelon
MM. Denis Detcheverry, Claude Guéant, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration.
suppressions de postes dans l’éducation nationale
MM. Jean Boyer, Luc Chatel, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative.
otages français et opérations extérieures
MM. David Assouline, Henri de Raincourt, ministre chargé de la coopération.
MM. Alain Fouché, Xavier Bertrand, ministre du travail, de l'emploi et de la santé.
fonctionnement de la justice et gardes à vue
Mme Alima Boumediene-Thiery, M. François Baroin, ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'État.
sécurité en nouvelle-calédonie
MM. Simon Loueckhote, Claude Guéant, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration.
MM. Hugues Portelli, Benoist Apparu, secrétaire d'État chargé du logement.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE Mme Catherine Tasca
5. Dépôt de rapports du Gouvernement
6. Renforcement des moyens de contrôle et d'information des groupes politiques. – Rejet d'une proposition de loi
Discussion générale : MM. Yvon Collin, auteur de la proposition de loi ; René Garrec, rapporteur de la commission des lois ; Patrick Ollier, ministre chargé des relations avec le Parlement.
M. Jean-Pierre Sueur, Mmes Nicole Borvo Cohen-Seat, Jacqueline Gourault, M. Christophe-André Frassa.
M. le ministre.
Clôture de la discussion générale.
Motion no 1 de la commission. – MM. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois ; Yvon Collin, Jean-Pierre Sueur, le ministre. – Adoption, par scrutin public, de l’exception d’irrecevabilité entraînant le rejet de la proposition de loi.
7. Démarchage téléphonique. – Adoption d'une proposition de loi (Texte de la commission)
Discussion générale : MM. Jacques Mézard, auteur de la proposition de loi ; François Pillet, rapporteur de la commission des lois ; Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services, des professions libérales et de la consommation.
Mme Odette Terrade, MM. Jean-Pierre Sueur, Christophe-André Frassa.
Clôture de la discussion générale.
Amendement no 3 du Gouvernement. – MM. le secrétaire d'État, le rapporteur, Richard Yung, Jacques Mézard. – Adoption.
Adoption de l'article modifié.
Amendement no 2 de M. Jean-Pierre Sueur. – MM. Richard Yung, le rapporteur, le secrétaire d'État. – Rejet.
Adoption de l'article.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois.
Adoption de la proposition de loi.
compte rendu intégral
Présidence de Mme Catherine Tasca
vice-présidente
Secrétaires :
M. Philippe Nachbar,
M. Daniel Raoul.
1
Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Amélioration de la justice fiscale
Rejet d'une proposition de loi
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe socialiste, de la proposition de loi tendant à améliorer la justice fiscale, à restreindre le « mitage » de l’impôt sur les sociétés et à favoriser l’investissement, présentée par M. François Marc et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés (proposition n° 321, rapport n° 428).
Dans la discussion générale, la parole est à M. François Marc, auteur de la proposition de loi.
M. Yvon Collin. Il y a tout de même le rapporteur !
M. François Marc, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers et nombreux collègues (Sourires.), la plupart d’entre vous ont probablement entendu parler du célèbre jeu télévisé Qui veut gagner des millions ?, qui est diffusé sur TFI. En restant sur ce registre qui nous est familier, j’aurais pu intituler ce texte : « Comment ne pas laisser filer 10 milliards d’euros ? ».
Chacun a conscience que notre Trésor public aurait bien besoin de cette somme. Le déficit public – 120 milliards d’euros en 2011 ! – s’est en effet dramatiquement creusé ces dernières années.
J’ai écouté hier avec beaucoup d’attention l’intervention de Mme la ministre Christine Lagarde. Cette dernière, à cette occasion, a évoqué les modalités de redressement de notre pays et a indiqué qu’il fallait plus de croissance. Néanmoins, j’ai été stupéfait de l’entendre nous préciser que cette croissance serait « spontanée », puis de l’entendre nous dire que les recettes apparaîtraient « spontanément ». Cette double spontanéité nous amène à nous interroger sur la détermination réelle du Gouvernement à faire face aux nécessités du redressement.
Je me souviens que, lorsque j’étais étudiant, mes ouvrages d’économie citaient Hayek, Smith et surtout Chuang Tzu, qui, 369 ans avant Jésus Christ, écrivait déjà dans un texte taoïste : « Le bon ordre apparaît spontanément lorsque les choses sont laissées à elles-mêmes ».
En définitive, je me demande si nous ne sommes pas face à un laxisme généralisé. Le sujet qui nous occupe aujourd’hui, à savoir celui des niches fiscales, nous incite à nous poser la question.
La Cour des comptes ne cesse d’ailleurs de nous alerter sur ce point en rappelant que le déficit de la France est pour l’essentiel « structurel » et s’explique, pour au moins 60 milliards d’euros, par les nombreux abattements fiscaux et niches fiscales qui ont été consentis à des particuliers aisés ou à certaines catégories d’entreprises.
Monsieur le ministre, nous subissons depuis 2002 une mauvaise politique fiscale, une mauvaise politique de niches !
Il est clairement établi que, depuis 2002 – et surtout depuis 2007, d’ailleurs –, les lois de finances contribuent à un invraisemblable « mitage » des assiettes fiscales des entreprises, en particulier pour l’impôt sur les sociétés. On compte à ce jour pas moins de 293 dépenses fiscales en faveur des entreprises.
S’agissant du seul impôt sur les sociétés, l’impact cumulé des niches et des régimes de faveur, selon le Conseil des prélèvements obligatoires, le CPO, a conduit les entreprises à soustraire 70 milliards d’euros en 2010 aux contributions de l’impôt sur les sociétés « légalement » exigibles en France. On notera que le même manque à gagner fiscal n’était que de 18,5 milliards d’euros en 2005. C’est dire à quel point la dérive est aujourd’hui avérée. Elle est d’ailleurs totalement insoutenable pour nos finances publiques.
Mais elle est tout aussi insoutenable par l’injustice fiscale qu’elle génère entre les entreprises françaises. Les PME se voient ainsi appliquer un taux réel d’impôt sur les sociétés beaucoup plus élevé que les très grandes entreprises. J’y reviendrai.
La logique républicaine voudrait que chaque entreprise contribue à la hauteur de ses moyens. Mais cette logique est, hélas ! aujourd’hui totalement bafouée.
L’expertise progressivement mise en œuvre en matière d’optimisation fiscale permet aux grands groupes financiers de tirer le meilleur parti des multiples opportunités offertes par les 293 niches fiscales exploitables.
Moins d’impôt sur les bénéfices, c’est plus de dividendes pour l’enrichissement des actionnaires ! Le capitalisme financier sort ainsi grandement gagnant du processus redistributif à la française favorisé depuis 2007.
Devant le constat accablant régulièrement formulé sur ce point par la Cour des comptes, le Gouvernement manifeste aujourd’hui son « émoi ». Mme Lagarde a ainsi déclaré voilà quelques semaines : « L’assiette de l’impôt sur les sociétés est rongée par les niches fiscales ». M. Baroin a même parlé il y a quelques jours de « l’impôt de chagrin ».
Pour sa part, M. Estrosi, ancien ministre chargé de l’industrie entre 2009 et 2010, a découvert tout à coup que le dispositif qu’il avait contribué à mettre en place est assassin pour les PME. Maintenant qu’il est redevenu député, il a déposé une proposition de résolution tendant à la création d’une commission d’enquête en vue de trouver les explications de cette situation d’injustice fiscale.
Si, de tous les bords politiques, on semble convenir que la situation devient inacceptable, il importe à nos yeux que le Parlement donne au plus vite l’impulsion souhaitable afin de corriger l’impact du système excessivement prédateur des niches fiscales. Tel est l’objet de la présente proposition de loi.
Afin de tendre vers l’objectif visé, cette proposition de loi a pour objet de limiter le « mitage » de l’assiette de l’impôt sur les sociétés, d’améliorer la justice fiscale entre les entreprises de différentes tailles et de favoriser le réinvestissement des profits au sein des entreprises.
Le texte proposé comporte trois articles concourant à ces objectifs.
L’article 1er vise à reprendre les préconisations du CPO et à supprimer le régime du bénéfice mondial consolidé. Ce système ne profite aujourd’hui qu’à cinq groupes français, pour un coût de l’ordre de 450 millions d’euros.
L’article 2 tend à introduire un taux « plancher » d’impôt sur les sociétés réellement acquitté en direction des sociétés de grande taille, qui profitent aujourd’hui d’un cumul considérable de cadeaux fiscaux.
L’article 3 vise à instaurer une modulation du taux de l’impôt sur les sociétés en fonction du taux de réinvestissement et de distribution de dividendes.
À travers ces trois dispositions, somme toute très simples, cette proposition de loi répond à un besoin. Elle se fonde sur une exigence de plus grande justice fiscale et fait suite, comme on l’a vu, à un diagnostic assez largement partagé, quelle que soit notre appartenance politique.
Pourtant, certains nous disent qu’il est urgent d’attendre avant d’agir. Je voudrais répondre dès à présent aux objections, que l’on entend ici ou là, mises en avant pour s’opposer à l’adoption de cette proposition de loi.
Les trois premières objections portent sur des considérations de forme ou un calendrier inapproprié.
J’évoquerai en premier lieu le projet d’une future loi constitutionnelle qui réserverait la matière fiscale aux seules lois de finances. Au regard de cet argument, la présente proposition de loi serait dès lors hors-jeu, si je puis employer ce terme footballistique en cette période où de grands matchs se déroulent. (Sourires.)
Pour répondre à cet argument, je ferai appel à un adage connu de tous : « Qui veut noyer son chien l’accuse d’avoir la rage ». On sait très bien que si l’on veut retirer toute responsabilité et tout rôle d’initiative au Parlement, il suffit d’utiliser systématiquement ce type d’argument.
Je vous rappelle, mes chers collègues, que, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2011, le Sénat, en trois semaines de débats, n’a été en mesure de modifier l’affectation que de 350 millions d’euros. Quand on sait que le budget de l’État portait sur 350 milliards d’euros, on voit à quel point les marges de manœuvre du Parlement sont quasi inexistantes en la matière. Si, en plus, on empêche ce dernier d’œuvrer en dehors des lois de finances, on aboutit, comme on le voit très bien aujourd’hui, à une stérilisation totale de l’action législative en matière financière !
Un second argument d’opportunité pourrait nous être opposé. Il s’agirait de considérer que la question d’établissement d’un taux plancher de l’impôt sur les sociétés ne se posera pas dès lors que les niches auront été toilettées ou supprimées.
En fait, on évoque aujourd’hui un délai d’au moins deux à trois ans avant d’aboutir à un toilettage de ces niches fiscales. Faut-il encore attendre tout ce temps ou peut-être encore davantage avant de remédier à l’inégalité fiscale ? Nous ne le pensons pas ! Toutes ces formulations savantes qui consistent à dire « il faudrait que », « peut-être serait-il mieux d’attendre » ne nous paraissent pas les plus appropriées face à la situation d’urgence que nous avons décelée.
De la même façon – c’est le troisième argument de forme de nos contradicteurs –, il paraîtrait opportun d’attendre les retours d’information concernant le projet européen relatif à l’assiette commune consolidée pour l’impôt des sociétés, l’ACCIS.
En réalité, il se dit que l’ACCIS ne serait rien d’autre que la mise sur pied d’une sorte de guichet unique dans le but de simplifier les démarches administratives des sociétés assujetties à l’impôt sur les sociétés en Europe. La Commission européenne a d’ailleurs précisé que « les États membres conserveraient intégralement leur droit souverain en matière de fixation du taux de l’impôt sur les sociétés » et que, au surplus, l’ACCIS « sera facultative ».
Il est donc difficile, là aussi, d’accepter l’idée que cet argument puisse retarder l’action législative immédiate que nous proposons.
Après ces trois arguments de forme, j’en viens à présent au principal argument de fond, qui est, quant à lui, de nature idéologique. On nous dit en effet que l’introduction par l’article 2 d’un « impôt réel minimum » sur les bénéfices pénaliserait les entreprises françaises et jouerait en faveur des délocalisations de sièges sociaux.
On a souvent entendu l’argument réducteur cher aux libéraux selon lequel le taux de fiscalité d’un pays serait le déterminant absolu de son attractivité économique.
À vrai dire, cette idée reçue ne correspond pas à la réalité des critères de choix des investisseurs internationaux révélée par le baromètre Ernst & Young et par l’ensemble des études, ces investisseurs mettant systématiquement en avant, plus que la fiscalité, le niveau d’infrastructure, la qualité des services publics ou la qualification de la main-d’œuvre.
Le quotidien La Tribune titrait d’ailleurs récemment, à l’issue d’une enquête auprès des entreprises : « Les entreprises de croissance ont besoin de plus d’État ». Or, mes chers collègues, il ne peut y avoir plus d’État si chacun n’apporte pas sa contribution à hauteur des impôts exigibles – je pense en particulier à l’impôt sur les sociétés.
On voit donc clairement que cette proposition de loi fait resurgir le débat sur le bien-fondé de l’interventionnisme public. L’objection majeure opposée à notre proposition de loi est bien de nature idéologique.
Face aux arguments du « laisser-faire » et de la primauté donnée au capitalisme financier, l’intérêt général gagne à mon avis à voir l’arbitrage public prendre sa part aux décisions de réallocation des résultats financiers produits par l’activité économique du pays.
J’observe d’ailleurs avec intérêt que le Président de la République vient, par une déclaration récente, de reconnaître le bien-fondé de cette thèse économique interventionniste après avoir pourtant, toutes ces années passées, méthodiquement appliqué son credo libéral.
Les décisions politiques prises depuis 2007 ont été très lourdes de conséquences : les moins-values de recettes fiscales de l’impôt sur les sociétés sont passées, selon le Conseil des prélèvements obligatoires, de 18,5 milliards d’euros en 2005 à 70 milliards d’euros en 2010 ! On peut dès lors considérer que, dans sa politique fiscale, la droite au pouvoir en France a fait usage d’une marge de manœuvre budgétaire de 50 milliards d’euros pour créer et embellir les niches. C’est considérable !
La politique fiscale qui a été pratiquée s’est révélée dispendieuse à l’excès, mais elle a au surplus généré une énorme injustice à l’égard des petites et moyennes entreprises. Les PME françaises ont incontestablement été les parents pauvres, voire les victimes de cette politique fiscale outrancièrement favorable aux sociétés de grande taille.
Doit-on rappeler que les sociétés du CAC 40 sont taxées en moyenne à 8 % sur leurs profits contre 22 % pour les PME, qui ne maîtrisent pas forcément toutes les subtilités du code des impôts ?
Le manque à gagner de rentrées fiscales prive l’État de moyens considérables qui seraient bien utiles pour favoriser une meilleure compétitivité des entreprises et des PME en particulier.
Les entreprises du CAC 40 affichent une santé financière insolente…
M. François Rebsamen. Insolente !
M. François Marc, auteur de la proposition de loi. … mais elles n’en font guère profiter la France. Elles ont même supprimé 44 000 emplois entre 2005 et 2009 dans l’Hexagone, soit une baisse de 2,5 % sur cinq ans. Dans le même temps, et malgré la crise de 2009, l’ensemble du secteur privé, composé principalement de PME, a créé 200 000 emplois. Pourquoi donc continuer à punir les PME ? Telle est la bonne question aujourd'hui. Rien n’explique en effet le traitement différé et pénalisant dont elles font l’objet en matière d’imposition sur les bénéfices. L’adoption de la présente proposition de loi donnerait par conséquent un signal important à nos concitoyens, au tissu économique et aux PME.
J’aborderai enfin brièvement l’article 3.
Il a été dit que notre texte traduit une méfiance excessive à l’égard de la pratique des dividendes. Faut-il rappeler que les sociétés du CAC 40 ont distribué 40 milliards d’euros au titre de l’année 2010 ? Les fonds ainsi distribués aux actionnaires font-ils l’objet d’un investissement productif intelligent et participent-ils à la dynamisation de l’économie française ? Rien n’est moins sûr ! On observe la fuite de ces capitaux vers des fonds jouant un rôle dans le capitalisme financier international mais pas forcément dans la création d’emplois en France.
En campagne présidentielle, Nicolas Sarkozy disait, lors d’un discours à Charleville-Mézières, le 18 décembre 2006, vouloir que « les entreprises qui investissent et qui créent des emplois payent moins d’impôts sur les bénéfices que celles qui désinvestissent et qui délocalisent ». C’est l’objet de l’article 3 de la proposition de loi. Il nous semble aujourd'hui plus que jamais nécessaire d’instaurer une différentiation de taux de fiscalité afin que les profits soient réinvestis dans notre pays et y créent des emplois.
Au regard de tous ces enjeux, monsieur le ministre, mes chers collègues, il semble nécessaire de remettre la fiscalité à l’endroit, c’est-à-dire au service de la localisation de l’activité économique sur le territoire et de la création d’emplois. Les PME n’ont pas à être davantage imposées que les grands groupes qui s’adonnent avec délectation, et à notre sens avec démesure, aux pratiques de l’optimisation fiscale.
Le système des niches fiscales, excessivement saboteur, doit être plafonné sans plus attendre. La proposition de loi que nous soumettons au Sénat s’inscrit dans cette exigence. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Yvon Collin applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Dominati, rapporteur de la commission des finances. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me réjouis particulièrement de rapporter, au nom de la commission des finances, une proposition de loi de nos collègues du groupe socialiste qui va permettre de débattre de la stratégie de notre pays en matière d’impôt sur les sociétés.
Nous sommes en effet quelque peu focalisés sur l’imposition du patrimoine, qui constituera le cœur du prochain projet de loi de finances rectificative au mois de juin prochain. Or, dans un contexte de mondialisation des activités et des implantations, notre fiscalité des entreprises est soumise à des défis qui concernent peut-être moins directement les citoyens, mais qui sont déterminants pour la création de richesses sur notre territoire. À cet égard, je remercie nos collègues de nous donner une telle opportunité d’échanges et de réflexion.
Mme Nicole Bricq. C’est déjà ça !
M. Philippe Dominati, rapporteur. Dans ce texte, nos collègues se fixent trois objectifs : limiter le « mitage » de l’assiette, rétablir la justice fiscale et favoriser le réinvestissement des profits au sein de l’entreprise. Ils formulent pour cela trois propositions…
M. Bernard Frimat. … excellentes !
M. Philippe Dominati, rapporteur. … à savoir supprimer le régime du bénéfice mondial consolidé, créer une sorte d’« impôt minimum » correspondant à un taux effectif d’imposition de 16,66 % et moduler le taux de l’impôt sur les sociétés, entre 30 % et 36,66 %, en fonction du niveau des bénéfices mis en réserve ou distribués.
Je ne crois pas que ces mesures constituent une solution adaptée ; elles traduisent cependant un constat : pour tenter de compenser un taux nominal de l’impôt sur les sociétés peu compétitif, nous avons cumulé des dispositifs qui ont progressivement opacifié cet impôt.
La complexité et l’instabilité de l’assiette ont un coût en termes d’attractivité, mais elles peuvent aussi être exploitées par les grandes entreprises. Si l’on en croit les auteurs de la proposition de loi, on aboutirait à une forme de dégressivité pour le moins paradoxale, au détriment des PME.
M. Bernard Frimat. C’est vrai !
M. Philippe Dominati, rapporteur. Il ne s’agit pas d’adopter une vision caricaturale qui érigerait les PME en seules victimes de la « mondialisation fiscale ». Nos collègues soulèvent néanmoins un vrai problème qui appelle désormais un renouvellement de notre stratégie fiscale.
Nous le savons, le taux nominal de l’impôt sur les sociétés en France – il s’élève à 34,43 % si l’on inclut la contribution sociale – est l’un des plus élevés au monde. C’est une réalité en termes de compétitivité. Depuis une quinzaine d’années, la concurrence fiscale s’est intensifiée en Europe. Elle a d’abord été initiée par les nouveaux États membres et par les États structurellement ouverts comme l’Irlande.
Mais, depuis 2008, la donne a changé puisque deux de nos principaux partenaires européens, l’Allemagne et le Royaume-Uni, ont rejoint le mouvement. Le gouvernement de David Cameron a ainsi récemment décidé de faire passer le taux nominal de l’impôt sur les sociétés de 28 % à 23 % d’ici à 2015.
On pourrait penser que notre pays, grâce à des mesures favorables d’assiette, est en réalité beaucoup mieux positionné que ne le traduit un taux nominal simpliste. Or l’analyse des taux effectifs ou implicites d’imposition, malgré leurs difficultés méthodologiques, aboutit à des résultats assez ambigus.
Le Conseil des prélèvements obligatoires, qui se fonde sur le taux implicite, estime que la France était plus concurrentielle au niveau européen, du moins jusqu’en 2005. Toutefois, dans son rapport de février dernier sur les prélèvements fiscaux et sociaux en France et en Allemagne, la Cour des comptes dresse un constat nettement plus défavorable sur le taux effectif.
Il reste qu’en multipliant les dépenses fiscales notre pays a privilégié la réduction de l’assiette à celle du taux nominal de l’impôt sur les sociétés. Le CPO a ainsi recensé, pour 2010, 293 dépenses fiscales bénéficiant aux entreprises, sur un total de 506 dépenses, pour un coût total évalué à 35,3 milliards d’euros.
Les niches sont devenues une stratégie fiscale dégradée, par défaut, et nous sommes coresponsables de ce « mitage » de l’assiette. Le résultat, c’est que la fiscalité est devenue incompréhensible et donc affaire de spécialistes.
Ce foisonnement de dépenses fiscales conforte en effet la perception d’une grande complexité et imprévisibilité de notre droit fiscal des entreprises, soulignée dans de nombreuses études. Il encourage également le recours à l’ingénierie fiscale en vue d’exploiter toutes les facultés de minoration de l’impôt. Or ce sont évidemment les grands groupes qui disposent, en interne ou en recourant à des cabinets de conseils, des facultés les plus étendues d’optimisation des subtilités de l’assiette.
Dès lors, le CPO a pu conclure à une dégressivité de l’impôt sur les sociétés : le taux implicite s’élèverait ainsi à seulement 8 % pour les sociétés relevant de l’indice du CAC 40, contre 20 %, par exemple, pour les PME comptant de 50 à 249 salariés. Nos collègues s’appuient en particulier sur ce calcul pour proposer la mise en place d’un impôt effectif minimum de 16,7 % du bénéfice imposable.
Ces données nécessitent cependant une confirmation. La méthodologie du Conseil des prélèvements obligatoires n’est pas exempte de failles, car elle est fondée sur des chiffres de 2006. Elle se réfère aussi à un taux implicite de nature macro-économique, qui comporte des biais et est beaucoup moins précis que le taux effectif moyen. Je souhaiterais donc, monsieur le ministre, que vous puissiez nous confirmer que vos services travaillent actuellement sur des données objectives et récentes, qui permettront de corroborer ce constat.
La justice fiscale est un concept aux acceptions variées, mais un impôt sur les sociétés dégressif heurte nos conceptions de l’impôt et de l’équité. Certains de nos collègues députés de la majorité ont d’ailleurs manifesté une préoccupation analogue dans une proposition de résolution.
En première analyse, on peut effectivement être surpris ou choqué par le faible montant d’impôt acquitté en France par certains grands groupes. Il est cependant nécessaire d’aller plus loin et de considérer la situation globale de chaque entreprise. Un faible niveau d’impôt en France peut ainsi être lié aux caractéristiques structurelles du secteur, à un degré élevé d’internationalisation ou à des dispositifs non contestables dans leur principe, tels que des reports de déficits antérieurs ou le régime mère-fille.
En présence d’un groupe international qui ne réalise pas de profits en France, il faut s’interroger sur les raisons qui conduisent à cette situation. S’agit-il plutôt d’activités structurellement déficitaires dans la chaîne de valeur de l’entreprise, de montages permettant de localiser des profits dans des territoires fiscalement moins-disants, de la conséquence d’une trop grande pression fiscale dans notre pays ?
Qu’on le déplore ou non, l’internationalisation des activités entraîne celle des bénéfices ; une comparaison des niveaux d’imposition se produit alors au détriment de la France.
Le recours aux niches fiscales pour orienter les comportements économiques apparaît souvent comme une solution de facilité. Il donne l’illusion de maîtriser des leviers ciblés, mais c’est au prix d’une absence de contrôle des finances publiques. Il laisse une impression de trajectoire budgétaire erratique, sans stratégie définie à l’avance.
Pour autant, il s’agit non pas de supprimer aveuglément toutes les niches au nom de la vertu fiscale – certaines, en effet, confèrent à la France un véritable avantage comparatif –, mais de privilégier une assiette large et un taux raisonnable.
Mme Nicole Bricq. Ce n’est pas le cas !
M. Philippe Dominati, rapporteur. Ce serait une stratégie à revoir. Pour cela, il est indispensable d’établir clairement, en début de législature, une stratégie fiscale pluriannuelle lisible et prévisible pour les investisseurs.
Il est également nécessaire d’évaluer périodiquement le coût budgétaire et l’impact socio-économique des dépenses fiscales bénéficiant aux entreprises, puis de les confronter aux marges de manœuvre budgétaires et à la stratégie annoncée.
La commission des finances privilégie depuis longtemps cette approche, consacrée dans la loi de programmation des finances publiques pour 2011-2014.
D’ici au 30 juin prochain, le Gouvernement remettra au Parlement une évaluation de l’efficacité et du coût de toutes les dépenses fiscales et sociales en vigueur depuis le 1er janvier 2009 – ce fut l’objet d’une réunion de notre commission, hier matin, sous l’autorité de son président.
Le débat sur la fiscalité des entreprises s’est récemment déplacé vers la politique de dividendes des grands groupes ; celle-ci motive l’article 3 de la proposition de loi dont nous débattons.
Les distributions réalisées par les sociétés du CAC 40 sont régulièrement remises en cause, étant perçues comme trop généreuses. Avec plus de 40 milliards d’euros distribués cette année, le débat a repris de l’ampleur.
Pour ma part, je crois important de ne pas contester le principe même du dividende et d’atténuer la perception d’un « privilège actionnarial ».
La distribution des dividendes participe de la libre gestion de l’entreprise. Elle doit constituer la juste rémunération du risque pris par l’actionnaire.
Mme Nicole Bricq. Quel risque prend-il ?
M. Philippe Dominati, rapporteur. Elle doit aussi permettre d’attirer de nouveaux investisseurs ou de fidéliser l’actionnariat en période de chute et de volatilité des cours de bourse.
Si l’on examine le ratio de distribution des sociétés du CAC 40, plutôt que le montant global des dividendes, on constate que, cette année, en France, en s’établissant à 46,7%, il ne se situe pas à un niveau atypique.
Tout est question d’équilibre, de juste mesure entre la rémunération légitime des actionnaires, le financement de l’investissement et l’intéressement des salariés.
Même si nous ne sommes pas totalement maîtres du jeu, car la concurrence internationale est vive, il est vrai que le traitement réservé aux actionnaires peut paraître déconnecté de la réalité économique et sociale, lorsque les entreprises en cause recourent à une politique salariale rigoureuse ou malthusienne. Or les salariés sont, au moins autant que les actionnaires, responsables de la bonne santé financière des entreprises : ils doivent donc naturellement en recueillir les fruits.
Tel est d’ailleurs le sens de l’intervention du président de la République, qui a demandé que soit mis en place un mécanisme permettant de lier l’augmentation des dividendes à une revalorisation des rémunérations. Ce débat, vous le savez, s’ouvrira dans notre hémicycle avant le début de l’été prochain.
Nous sommes tous mobilisés pour accentuer la progression du pouvoir d’achat des salariés de notre pays.
Il n’est d’ailleurs pas établi que cette dernière piste soit la plus efficace. Une indexation automatique entre la progression des dividendes et celle des salaires pourrait en effet entraîner une diminution de l’investissement et de la productivité, et surtout rendre plus difficile, pour les entreprises concernées, le fait de lever des capitaux sur les marchés pour financer leur croissance. Nous aurons l’occasion d’en débattre.
De même, il est difficile d’établir un lien entre la progression des dividendes et le volume des effectifs employés sur notre territoire.
Je veux, pour terminer, formuler quelques observations plus techniques sur les dispositions que nous proposent nos collègues du groupe socialiste. Je crois que, si l’on peut être sensible aux finalités poursuivies, les moyens envisagés soulèvent des difficultés, et pourraient même se révéler contre-productifs.
Le premier article vise à supprimer le régime du bénéfice mondial consolidé, qui a été créé en 1965 et n’a jamais été remis en cause, malgré plusieurs alternances politiques. Il bénéficie aujourd’hui seulement à cinq groupes, dont deux du CAC 40. Si ce régime peut aujourd’hui sembler moins justifié, compte tenu de son objet initial qui consistait à accompagner le développement international de certaines entreprises, il demeure très encadré, et son coût budgétaire, de près de 400 millions d’euros en 2010, diminue tendanciellement.
C’est ainsi qu’il est accordé sur agrément, en fonction d’engagements précis pris par la société éligible ; compte tenu du caractère intangible de son périmètre pour la durée de cet agrément, il n’est pas favorable en toutes circonstances.
Selon ce que j’ai dit tout à l’heure, la suppression de ce régime ne pourrait être envisagée sans que nous dispositions au préalable d’une évaluation objective, non pas seulement de sa portée budgétaire, mais aussi de son intérêt socio-économique.
L’article 2 vise à introduire une sorte d’ « impôt réel minimum » sur les bénéfices. Cette solution présente des inconvénients économiques et peut faire l’objet de réserves méthodologiques.
À supposer que les calculs du Conseil des prélèvements obligatoires soient confirmés, ce dispositif conduirait l’impôt effectif des plus grandes sociétés à connaître plus qu’un doublement, en passant de 8 % à 16,66 %. Dans la conjoncture de reprise que nous connaissons, un tel relèvement serait à mes yeux préjudiciable du point de vue de la compétitivité et de la crédibilité aux yeux des investisseurs en capital et en dette.
Ce dispositif impose de plus une vision uniforme et réductrice de la situation fiscale des grandes entreprises. La mise en place d’un impôt minimum conduirait à remettre en cause une partie des avantages fiscaux dont certaines d’entre elles ont pu légitimement bénéficier. De surcroît, sa formulation le rend inopérant et source d’ambiguïtés.
Enfin, l’article 3 reprend une proposition récurrente : celle d’un taux d’impôt sur les sociétés différencié selon le niveau du bénéfice mis en réserve ou distribué. Ce dispositif semble séduisant, mais se heurte à de nombreux obstacles de fond et de forme.
Tout d’abord, il traduit une méfiance que l’on peut juger excessive à l’égard de la pratique des dividendes.
Il suppose également un suivi complexe, sur plusieurs années, des affectations comptables du bénéfice. Cette complexité contribue à expliquer l’échec, entre 1988 et 1992, puis de 1997 à 2000, des deux précédentes tentatives visant à pérenniser en France des dispositifs similaires ; le second dispositif a d’ailleurs été supprimé par un gouvernement soutenu par l’actuelle opposition parlementaire.
Les États de l’Union européenne, en particulier l’Allemagne en 2000, ont écarté ce dispositif. Seule l’Estonie applique un système analogue, sous la forme d’une « taxe de distribution » dont le taux s’élève à 21 %. S’agissant de l’Allemagne, je rappelle que le double taux poursuivait un objectif contraire à celui de la présente proposition de loi, puisqu’il était destiné à encourager la distribution de dividendes.
Les modalités proposées apparaissent en outre bien en deçà des objectifs affichés, puisque le taux d’impôt sur les sociétés de 36,66 % s’appliquerait seulement au-delà d’un seuil de distribution de 60 %, rarement atteint dans les faits par les grandes entreprises.
Enfin, pour des raisons de doctrine, la commission ne peut pas approuver ces propos dans la mesure où les dispositions fiscales relèvent désormais exclusivement du domaine réservé des lois de finances.
M. François Marc, auteur de la proposition de loi. Ce n’est pas vrai ! Ce n’est pas encore le cas !
M. Philippe Dominati, rapporteur. Pour l’ensemble de ces raisons, la commission des finances n’est pas favorable à cette proposition de loi. Elle vous invite donc à rejeter chacun de ses articles, et l’ensemble du texte. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et au banc de la commission.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Patrick Ollier, ministre chargé des relations avec le Parlement. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des finances, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d’abord d’excuser Mme Christine Lagarde, privée du plaisir d’être parmi vous ce matin par un impératif consécutif à une décision du président de la République : un impératif lié, justement, à la mise au point du projet de loi dont vous débattrez très prochainement. Les autres membres de son équipe ayant déjà prévu des déplacements, on m’a demandé de la remplacer aujourd’hui. J’espère que vous ne lui en tiendrez pas rigueur. Mais, comme vous le savez, le Gouvernement ne parle que d’une seule voix.
M. François Marc, auteur de la proposition de loi. Ah bon…
Mme Nicole Bricq. Pas tout à fait ! On a cru comprendre, à propos de la prime, qu’il y avait de l’eau dans le gaz !
M. Patrick Ollier, ministre. Je vais essayer de me souvenir que, pendant dix ans, je fus à l’Assemblée nationale le président de la commission des affaires économiques, et que – M. Patriat le sait – nous y avons aussi, pendant des années, abordé les problèmes des entreprises.
Je voudrais commencer par quelques remarques sur la politique économique et fiscale du Gouvernement.
Les questions posées par M. Marc sont légitimes.
M. Jean Desessard. Merci !
M. Patrick Ollier, ministre. Je pense qu’il est en effet légitime, sur le principe, de débattre de la restriction du mitage, de l’amélioration de la justice fiscale et de la manière d’encourager l’investissement.
Je suis heureux de constater que vous souscrivez à une grande partie de la politique du Gouvernement, qui consiste justement à favoriser l’investissement des entreprises. La majorité est en effet convaincue que, en favorisant l’investissement, on favorise l’emploi.
Depuis la crise qui a frappé non seulement la France et l’Europe, mais également le monde entier, l’obsession du Gouvernement est de favoriser l’investissement et le développement des entreprises : nous savons que cette méthode permet – ce n’est pas si facile que cela – de favoriser la création de valeur ajoutée, de richesses, et donc d’emplois.
À vous qui avez permis l’organisation de ce débat, monsieur Marc, je vais essayer de répondre de la manière la plus précise possible.
Mais je voudrais d’abord vous faire remarquer que, si vous parlez avec raison des 293 niches fiscales bénéficiant aux entreprises dans le projet de loi de finances pour 2010, 252 d’entre elles existaient en 1997 et ont continué d’exister jusqu’en 2002 : si le groupe socialiste trouve injuste de procéder de la sorte à l’égard des entreprises, pourquoi avoir laissé subsister toutes ces niches pendant cinq ans ? Depuis 2002, 45 niches ont été créées, quand il en existait 252 à l’époque de M. Jospin, soit une augmentation de seulement 15 %.
Je voulais simplement rappeler, pour la vérité des chiffres et la clarté du débat, qu’il vous faut aussi vous livrer à une introspection afin de savoir pourquoi, à l’époque, vous n’avez pas supprimé ces niches.
M. François Marc, auteur de la proposition de loi. Mais combien coûtaient-elles ? Les niches coûtaient 18 milliards d’euros en 2005, elles en coûtent 70 milliards aujourd’hui : 50 milliards de plus !
M. Patrick Ollier, ministre. Il est vrai que le périmètre de certaines d’entre elles a évolué.
Avant d’aborder le détail du débat, je voudrais remercier M. Dominati pour son travail de rapporteur et lui répondre. Je veux aussi saluer la manière dont le président Arthuis a présidé la séance de commission au cours de laquelle le Gouvernement et la majorité ont adopté des positions convergentes.
Vous vous êtes demandé, monsieur le rapporteur, si Bercy travaillait à une évaluation des taux implicites d’imposition. Les chiffres publiés sur le taux effectif, ou implicite, de l’impôt sur les sociétés sont divers et ne concordent pas toujours. Certains sont issus du Conseil des prélèvements obligatoires, d’autres d’Eurostat, d’autres encore de cabinets privés – vous l’avez très justement indiqué.
Il est vrai que les services du Trésor sont en train de passer en revue ces chiffrages, afin d’élaborer – le plus rapidement possible, nous l’espérons – une méthodologie plus efficace et qui se voudrait plus vertueuse.
Mme Nicole Bricq. Très bien !
M. Patrick Ollier, ministre. S’agissant de l’action volontaire entreprise par le Gouvernement en matière de politique économique, je voudrais vous indiquer, monsieur Marc, que tout est fait aujourd’hui pour inciter les entreprises à investir.
À mon sens, certaines des dispositions que nous avons adoptées peuvent en témoigner.
Prenons l’exemple du crédit d’impôt recherche. Chacun en France comme en Europe le reconnaît, il s’agit d’une mesure emblématique de la volonté du Gouvernement de favoriser l’investissement dans les entreprises.
Le crédit d’impôt recherche est un dispositif efficace. Selon les rapports de l’Inspection générale des finances, l’ensemble des études économétriques menées à partir des données françaises ou étrangères aboutissent aux mêmes conclusions : avec un euro de crédit d’impôt recherche, on obtient un supplément de dépenses de recherche privée supérieur à un euro !
C’est donc bien un dispositif efficace ; je n’ose pas dire « vertueux », car personne n’a la vérité révélée en matière de fiscalité, monsieur Marc. D’ailleurs, si j’ai tenu à évoquer tout à l’heure quelques chiffres sur les niches fiscales, c’était pour vous rappeler que nul ne détient la vérité en la matière. Ni vous ni nous !
Mme Nicole Bricq. Oui, mais vous, vous disposez des chiffres actuels !
M. Patrick Ollier, ministre. Nous cherchons tous à améliorer la fiscalité. Nos divergences, réelles, sont de nature idéologique. D’ailleurs, si elles n’existaient pas, on se demande bien pourquoi il y aurait une gauche et une droite !
M. François Rebsamen. Tout à fait !
M. Patrick Ollier, ministre. Précisément, monsieur le sénateur, nous revendiquons notre volonté de soutenir les entreprises ! Pour nous, c’est ainsi que l’on crée des emplois !
De votre côté, vous avez un peu trop tendance à vouloir ajouter des impôts supplémentaires. Le programme du parti socialiste, dont nous avons pris connaissance voilà quelques semaines, en fournit la démonstration. Vous envisagez, je crois, 50 milliards d’euros de dépenses publiques supplémentaires. Toujours plus de dépenses publiques, toujours plus d’impôts… Je ne pense pas que ce soit la bonne manière de stimuler l’investissement et, par voie de conséquence, l’emploi.
À cet égard, il y a effectivement une vraie divergence idéologique !
Les chiffres que j’évoquais voilà quelques instants – un euro de crédit d’impôt recherche permet une augmentation des dépenses de recherche privée supérieure à un euro – démontrent que les entreprises emploient bien l’aide fiscale perçue pour abonder leur budget de recherche et développement, conformément à l’objectif visé.
Dans ce contexte, la réforme du crédit d’impôt recherche pourrait permettre une hausse du produit intérieur brut de 0,3 point dans les quinze prochaines années. Cela mérite donc que nous y réfléchissions, voire que nous encouragions un tel dispositif. C’est en tout cas la volonté du Premier ministre et du Gouvernement.
Les paramètres fondamentaux du crédit d’impôt recherche issus de la réforme de 2008 ont été conservés dans la loi du 29 décembre 2010 de finances pour 2011, conformément au souhait du Président de la République et malgré le « rabot » décidé par le Gouvernement.
En effet, nous avons bien décidé d’un « rabot » pour remettre en cause un certain nombre de niches fiscales, monsieur Marc ! Pour autant, nous avons préservé le crédit d’impôt recherche. Nous avons pris un certain nombre de mesures, tout en maîtrisant le coût du crédit d’impôt recherche.
Ce coût a atteint 6,2 milliards d’euros en 2009, avec la mise en œuvre du dispositif de remboursement immédiat dans le cadre du plan de relance. Il a été ramené à 4,5 milliards d’euros en 2010 et sera de 2,1 milliards d’euros en 2011. Je pense que nous pouvons au moins nous accorder sur ce point.
Je voudrais également vous faire part d’une réflexion. Nous nous interrogeons fréquemment sur l’impôt le mieux adapté et l’incitation fiscale optimale. Il faut savoir ce que les expressions « niches fiscales » ou « mitage » de l’impôt sur les sociétés signifient. (M. François Rebsamen acquiesce.)
Mme Nicole Bricq. Oui !
M. Patrick Ollier, ministre. Justement, madame Bricq ! Nous considérons pour notre part que l’allégement de la fiscalité favorise les investissements, stimule les entreprises et a fait ainsi progresser la création de richesses. C’est le principe des niches fiscales.
Mais nous nous sommes aperçus – je le reconnais d’autant plus que j’avais moi-même, dans le cadre de mes précédentes fonctions au sein de la commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale, encouragé la mise en place de telles mesures – que certaines dispositions, notamment en outre-mer, occasionnaient des dérives en favorisant la spéculation. Nous les avons supprimées.
Nous devons effectivement faire preuve de pragmatisme en matière de fiscalité. Autant nous considérons qu’il faut stimuler l’entreprise par des dispositifs d’exonération fiscale et, dans certains cas, par ce que vous appelez des « niches », autant nous sommes résolus à remédier aux éventuelles dérives que nous constatons. Dans cette perspective, les suppressions que nous avons décidées dans le cadre du projet de loi de finances pour 2011 ont permis de réaliser plusieurs milliards d’euros d’économies.
Je voudrais à présent aborder la réforme de la taxe professionnelle.
Les auteurs de la présente proposition de loi affirment qu’il faut soutenir l’investissement. Ils ont raison. Mais c’est précisément ce que le Gouvernement fait, madame Bricq.
Mme Nicole Bricq. Ah bon ?
M. Patrick Ollier, ministre. En effet, la suppression de la taxe professionnelle est une mesure essentielle pour la compétitivité des entreprises industrielles.
Mme Nicole Bricq. Il va falloir nous le démontrer !
M. Patrick Ollier, ministre. Mais vous en aurez la démonstration au fur et à mesure de la mise en œuvre de la réforme !
M. François Rebsamen. C’est ça… (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Nicole Bricq. Vous allez avoir du mal !
M. François Marc, auteur de la proposition de loi. Ça va être la croissance spontanée ! (Nouveaux sourires.)
M. Patrick Ollier, ministre. Vous ne pouvez pas prétendre que la mesure est mauvaise seulement parce que vous l’avez d’emblée déclarée mauvaise, et ce alors même qu’elle n’a pas encore atteint son application optimale ! C’est pourtant un peu ce que vous faites, madame Bricq.
Mme Nicole Bricq. Non !
M. Patrick Ollier, ministre. Les auteurs de la proposition de loi souhaitent « favoriser l’investissement ». C’est précisément ce que le Gouvernement a fait en 2010 en supprimant en 2010 la taxe professionnelle, qui pénalisait tout particulièrement les entreprises désireuses d’investir, notamment dans l’industrie !
Je vous rappelle que la taxe professionnelle existait entre 1997 et 2002 ; vous aviez alors un formidable champ d’expérimentation ! Que n’en avez-vous profité à l’époque ?
M. Bernard Frimat. C’est nul !
M. François Marc, auteur de la proposition de loi. La croissance n’a jamais été aussi forte qu’entre 1997 et 2002 ! Elle était à 3 % ! Faites-en autant !
M. Patrick Ollier, ministre. Monsieur Marc, la croissance était liée non pas à des facteurs nationaux, mais à un contexte européen, voire mondial !
M. François Rebsamen. Non !
Mme Nicole Bricq. Vous n’avez pas une bonne mémoire, monsieur le ministre !
M. Patrick Ollier, ministre. Et la croissance aurait certainement été beaucoup plus forte, et les créations d’emplois plus nombreuses, si l’on avait supprimé la taxe professionnelle à l’époque !
M. André Trillard. Bien sûr !
M. François Rebsamen. Ça, on peut toujours le dire après coup ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
M. Patrick Ollier, ministre. Le remplacement de la taxe professionnelle par la contribution économique territoriale a atteint l’objectif que je viens de rappeler.
Monsieur Marc, la taxe professionnelle était assise – et c’est bien là que résidait le problème – sur les investissements productifs. C’est une charge qui pesait sur la production, donc sur l’emploi ; nous l’avons supprimée. La nouvelle contribution est assise sur la valeur ajoutée, ce qui est tout à fait différent.
L’industrie a été la grande gagnante de la réforme, comme l’a bien montré le rapport d’évaluation sur les effets de la réforme remis en mai 2010 par l’Inspection générale des finances. Je peux vous le faire parvenir si vous le souhaitez, madame Bricq.
Mme Nicole Bricq. C’est inutile, la commission des finances a auditionné hier sur ce point !
M. Patrick Ollier, ministre. Vos interlocuteurs ont donc dû vous confirmer ce que je viens d’indiquer !
Et avec le rapport de l’Inspection générale de l’administration, cela fait deux documents qui démontrent excellemment combien le Gouvernement a eu raison de s’engager sur la voie d’une telle réforme.
Le Gouvernement a également veillé à faire en sorte que les petites et moyennes entreprises – elles représentent l’essentiel du tissu économique français et des créations d’emplois – soient les principales bénéficiaires de la suppression de la taxe professionnelle.
C’est pourquoi la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises, la fameuse CVAE, a été configurée précisément pour les protéger. En effet, cette contribution n’est pas due par les entreprises ayant un chiffre d’affaires inférieur à 500 000 euros, et il existe un dégrèvement partiel lorsque le chiffre d’affaires est compris entre 500 000 euros et 50 millions d’euros. Seules les entreprises dont le chiffre d’affaires est supérieur à 50 millions d’euros acquitteront une CVAE au taux de 1,5 %. Si ce n’est pas une mesure qui favorise l’investissement des entreprises, je me demande ce que nous pouvons encore faire, monsieur Marc ! J’attends des propositions très précises de votre part.
M. François Marc, auteur de la proposition de loi. Et nous, nous attendons des réponses aux questions que nous vous avons posées !
M. Bernard Frimat. Non !
M. Bernard Frimat. Vous faites des figures imposées, un peu comme au patinage artistique, mais vous ne répondez pas aux questions !
Mme Nicole Bricq. Vous faites le double salto ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
M. Patrick Ollier, ministre. Je reconnais que votre présence en impose à toute la Haute Assemblée, monsieur Frimat ! (Sourires.)
M. Bernard Frimat. Je vous remercie !
M. Patrick Ollier, ministre. Quoi qu’il en soit, vous pouvez constater que le Gouvernement favorise l’investissement.
Vous avez raison de vouloir restreindre le « mitage » de l’impôt sur les sociétés.
Mme Nicole Bricq. Oui, mais vous ne le faites pas !
M. Patrick Ollier, ministre. C’est bien ce que nous avons engagé dans la loi du 29 décembre 2010 de finances pour 2011.
Je ne résiste pas au plaisir de vous demander à nouveau pourquoi vous n’avez pas souhaité corriger plus tôt un dispositif que vous jugez si mauvais.
M. François Marc, auteur de la proposition de loi. Il faut vraiment qu’on revienne au pouvoir !
M. François Rebsamen. L’année prochaine !
M. Patrick Ollier, ministre. Mais non ! Depuis que vous n’êtes plus au pouvoir, seulement 43 nouvelles niches fiscales ont été créées ! Vous n’allez pas revenir au pouvoir juste pour 43 niches fiscales ! (Sourires sur les travées de l’UMP.) En revanche, vous auriez pu en supprimer 252 entre 1997 et 2002, ce que vous n’avez pas fait !
M. Bernard Frimat. Ne soyez pas si impatient ; ça va venir ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
M. Patrick Ollier, ministre. Je ne suis pas impatient ; ne vous inquiétez pas !
En 2011, nous avons réalisé un effort sans précédent de réduction des dépenses fiscales, et vous ne pouvez pas le nier. Nous avons préféré la réduction des dépenses fiscales à l’augmentation générale des impôts, que votre formation politique préconise dans son projet pour 2012, monsieur Marc. Et nous avons fait ce choix pour des raisons d’efficacité économique et de justice fiscale : la réduction des niches fiscales va dans le sens d’une réduction des inégalités.
Au passage, j’observe que vous n’avez pas voté…
M. François Marc, auteur de la proposition de loi. Le projet de loi de finances pour 2011 ? En effet, nous ne l’avons pas voté ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean Desessard. C’était pour les emplois à domicile ! Mais vous n’avez rien fait pour réduire les niches fiscales des actionnaires !
M. Patrick Ollier, ministre. Pourquoi n’avez-vous pas voté un texte législatif supprimant des dispositions dont vous prônez la disparition dans votre proposition de loi ? Ce n’est guère cohérent, monsieur Marc ! Si vous teniez tant à supprimer les niches fiscales, il fallait voter le projet de loi de finances pour 2011 !
Mme Nicole Bricq. C’était une lime à ongles !
M. François Marc, auteur de la proposition de loi. 350 millions d’euros !
M. Patrick Ollier, ministre. Vous auriez obtenu satisfaction immédiatement, et cela vous aurait évité de venir nous présenter aujourd'hui une proposition de loi supprimant des dispositions que nous avons déjà abrogées. Un peu de cohérence…
Grâce au dispositif que nous avons adopté, et dont vous n’avez pas voulu, les niches fiscales et sociales seront ainsi réduites de près de 9,5 milliards d’euros en 2011, de 11,7 milliards d’euros en 2012, les entreprises contribuant à hauteur de 60 % du total. Vous le voyez, chacun fait un effort.
Il est vraiment dommage que vous n’ayez pas voté notre texte !
M. François Rebsamen. Il nous cherche ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
M. Patrick Ollier, ministre. Les chiffres sont là, et ils sont têtus.
En 2010, et vous ne l’avez pas rappelé, nous avons obtenu une réduction historique du déficit budgétaire, qui s’est élevé à 7,7 % du PIB, alors que les prévisions faisaient état d’un taux de 8,3 %.
Mme Nicole Bricq. L’amélioration est due pour moitié aux collectivités locales !
M. Patrick Ollier, ministre. Non ! Si la réduction a été aussi forte, c’est grâce à la politique mise en œuvre par le Gouvernement !
M. François Marc, auteur de la proposition de loi. C’est la méthode Coué !
M. Patrick Ollier, ministre. Nous avons la volonté de nous engager dans la voie vertueuse des critères de Maastricht et de parvenir à un taux de 3 %, objectif prévu pour 2013.
M. François Patriat. Qui a porté le déficit public à plus de 8 % du PIB ?
M. Patrick Ollier, ministre. Je vous répondrai tout à l’heure, monsieur Patriat.
De telles performances ont été permises par une stabilisation des dépenses de l’État en valeur et par la poursuite des réformes structurelles, comme le non-remplacement d’un fonctionnaire sur deux, la réduction transversale de 5 % des crédits de fonctionnement et d’intervention des ministères ou l’application aux opérateurs des mêmes règles qu’à l’État.
L’ensemble des acteurs ont pris leur part dans l’effort colossal qui a été entrepris. Et les résultats sont là ! La réduction du déficit budgétaire constatée en 2010 devrait, me semble-t-il, être saluée sur l’ensemble des travées de la Haute Assemblée. (Marques d’ironie sur les travées du groupe socialiste.) Vous devriez applaudir.
D’ailleurs, je suis certain que vous approuvez totalement cette politique dans votre for intérieur. Autrement, vous seriez en contradiction avec la volonté que vous affichez en termes de réduction des déficits publics. Malheureusement, je n’ai pas senti des signes d’encouragement de la part de l’opposition ; vous avez même voté contre les mesures que nous avons proposées !
En outre, le programme de stabilité de la France pour 2011-2014, que vous avez examiné hier soir, confirme la détermination du Gouvernement à poursuivre sa politique de consolidation des finances publiques. Nous prenons les dispositions et faisons voter les textes nécessaires.
Et nous ouvrons les débats qui permettent à chacun de s’exprimer sur une période tri-annuelle, de 2011 à 2014. L’objectif est, me semble-t-il, à la fois ambitieux et courageux. Là aussi, vous pourriez reconnaître les efforts que le Gouvernement réalise en matière de finances publiques et de fiscalité.
Comme M. Baroin l’a très bien expliqué hier soir, nous sommes déterminés à consolider nos finances publiques pour ramener le déficit public à 3 % du PIB en 2013. Et nous en prenons le chemin : nul ne peut le contester.
La trajectoire pluriannuelle de finances publiques est conforme aux recommandations communautaires. Nous respectons les règles européennes. Voilà près de trois ans, on nous affirmait, y compris parfois au sein de notre majorité, qu’il serait impossible d’atteindre un tel objectif en 2013.
M. Bernard Frimat. Vous n’y êtes pas encore !
M. François Marc, auteur de la proposition de loi. Vous êtes au-dessus de 7 % !
M. Patrick Ollier, ministre. L’année dernière, un déficit public de 8,3 % du PIB était annoncé ; nous sommes parvenus à le limiter à 7,7 %, et nous allons continuer : nous ramènerons ce déficit à 5,7 % du PIB en 2011, à 4,6 % en 2012 et à 3 %, voire moins, en 2013.
Mme Nicole Bricq. Vous êtes encore à 7 % !
M. François Marc, auteur de la proposition de loi. C’est la politique de l’enjoliveur !
M. Patrick Ollier, ministre. Nous envisageons même de le faire passer sous la barre des 2 % du PIB en 2014 ! Ces objectifs sont ambitieux et courageux. Ils démontrent la volonté du Gouvernement de s’engager résolument dans une politique dont il ne déviera pas !
Je le dis aux sénateurs de la majorité, qui nous soutiennent avec constance : nous ne céderons pas, car nous n’en avons pas le droit, aux demandes réitérées d’engager des dépenses publiques supplémentaires au profit de telle ou telle catégorie, aussi généreuses que soient les intentions de leurs auteurs.
La stratégie d’ajustement structurel repose à la fois sur un effort important de maîtrise de la dépense publique et sur la poursuite de la réduction du coût des dépenses fiscales et des niches sociales, conformément aux engagements pris au travers de la loi de programmation des finances publiques pour les années 2011 à 2014. Cette loi de programmation, qui s’ajoute au programme de stabilité européen dont le Sénat a discuté hier soir, vous avez oublié d’en parler, monsieur Marc ! Elle est l’un des outils dont le Gouvernement s’est doté pour tenir le cap et respecter les engagements pris par la majorité, que je remercie encore, au nom du Gouvernement, d’avoir souscrit à ce programme pluriannuel ambitieux, qui représente certes une contrainte, mais qui est nécessaire si nous voulons sortir complètement de la crise.
Mesdames, messieurs les sénateurs du groupe socialiste, ces initiatives du Gouvernement vont tout à fait dans le sens de votre proposition de loi ; je regrette que vous ne le reconnaissiez pas !
Vous le voyez, la stratégie économique du Gouvernement ne consiste pas à se laisser entraîner dans l’impasse du « toujours plus » : toujours plus de dépenses, toujours plus d’impôts, toujours plus de déficits – tendance qui caractérise un peu, et même beaucoup, le programme du parti socialiste pour 2012 ! (Protestations sur les travées du groupe socialiste.) Je pourrais le démontrer chiffres en main, mais nous avons encore un peu de temps devant nous pour cela !
Ce n’est pas en s’acharnant sur les entreprises qui créent des richesses et de l’emploi que l’on sortira de la crise,…
M. François Marc, auteur de la proposition de loi. Vous leur mettez la tête sous l’eau !
M. Patrick Ollier, ministre. … mais en mettant en œuvre au bénéfice de tous une politique équitable de maîtrise des dépenses et d’incitation à la création de valeur. Je le répète, favoriser la création de valeur ajoutée et de richesses permet de créer plus d’emplois !
La France ne vit pas dans un monde fermé. Nous ne pouvons pas raisonner uniquement selon une perspective franco-française ! Il faut bien sûr tenir compte du contexte européen et mondial. Pour renforcer la compétitivité de nos entreprises, nous nous sommes engagés dans la voie d’une convergence des politiques fiscales à l’échelon européen.
M. Yvon Collin. Il est temps !
M. Patrick Ollier, ministre. Il faut saluer, monsieur Marc, l’engagement du Président de la République en faveur de la mise en place d’un gouvernement économique européen, qui favorisera la convergence des politiques économiques européennes, notamment celle des politiques fiscales qui les sous-tendent. Or vous n’en parlez pas ! Pourtant, la décision est en voie d’être prise, sur l’initiative de Nicolas Sarkozy.
M. le rapporteur a évoqué à juste titre le projet de loi constitutionnelle d’équilibre des finances publiques, qui instituera une « règle d’or ». Ce texte, qui sera probablement soumis au Sénat dans la seconde quinzaine du mois de juin, instaurera un « monopole » des dispositions fiscales pour les projets de loi de finances. Par anticipation, monsieur Marc, on pourrait vous objecter que votre proposition de loi ne respecte pas cette future règle constitutionnelle. Cela étant, je reconnais qu’il est encore trop tôt pour vous opposer cet argument !
Je souhaite maintenant formuler quelques remarques d’ordre général sur cette proposition de loi, me réservant d’entrer dans le détail des articles à l’occasion de la discussion des amendements.
Mme Nicole Bricq. Quand même ! Vous revenez enfin au sujet !
M. Patrick Ollier, ministre. Je n’en suis pas sorti, madame Bricq ! Le sujet de notre débat, c’est l’investissement des entreprises, le « mitage » de l’impôt sur les sociétés, l’amélioration de la justice fiscale : je ne m’en suis pas écarté !
S’agissant, tout d’abord, de la philosophie générale de votre proposition de loi, mesdames, messieurs les sénateurs du groupe socialiste, ce n’est pas le moment d’augmenter l’impôt sur les sociétés. Dans un contexte de sortie de crise, il convient au contraire que le Gouvernement accompagne les entreprises et améliore la compétitivité de la France.
Cela suppose d’aligner nos règles sur celles qui existent chez nos partenaires, lorsque ces dernières répondent à de véritables logiques économiques. En particulier, notre impôt sur les sociétés doit être comparable à celui de nos voisins. Je viens de le dire, le Gouvernement s’attache actuellement à promouvoir une convergence fiscale européenne.
À cet égard, le régime « mères-filles » que vous avez évoqué, monsieur Marc, n’est pas un régime d’aide aux entreprises : il vise à supprimer une double imposition économique. En effet, les bénéfices qui sont distribués par une filiale à sa « mère » ont, par hypothèse, déjà été soumis à l’impôt sur les sociétés. Cette règle existe chez tous nos partenaires européens, et même au-delà. Elle fait l’objet d’une directive communautaire depuis 2003.
Le régime de l’intégration fiscale, quant à lui, vise notamment à consolider les bénéfices et les déficits des sociétés appartenant à un même groupe. Il s’agit de faire comme si un groupe formait une seule entreprise. Là encore, ce régime n’est pas propre à la France, puisqu’il existe chez tous nos partenaires européens, monsieur Marc. D’ailleurs, comparé à ce qui se pratique chez nos partenaires, le régime français n’est pas particulièrement favorable, puisqu’il est réservé aux filiales détenues à 95 %. À cet égard, la législation fiscale allemande retient par exemple un taux de détention des filiales de 50 %. Le Gouvernement a engagé une réflexion sur les conséquences de telles différences entre la fiscalité allemande et la nôtre, le Président de la République souhaitant leur convergence.
Pour votre part, vous voulez renforcer la spécificité fiscale de la France, en contestant des régimes en vigueur ailleurs en Europe. Ne faudrait-il pas plutôt s’inspirer des meilleures pratiques existant chez nos partenaires ? Je vous invite de ce point de vue à réfléchir à la récente décision du gouvernement de M. Cameron de baisser de quatre points le taux de l’impôt sur les sociétés.
Mme Nicole Bricq. Mais qui va payer cette baisse ?
M. Patrick Ollier, ministre. Le Gouvernement prépare au contraire des dispositions concrètes afin que les bénéfices réalisés par les entreprises profitent aussi aux salariés.
Le Président de la République a ainsi demandé que vous soit soumis un projet de loi prévoyant l’ouverture obligatoire d’une négociation dans les entreprises de plus de 50 salariés en vue du versement d’une prime aux salariés si les dividendes distribués par l’entreprise sont en augmentation. Nous aurons un débat sur ce sujet, monsieur le rapporteur, car nous n’avons pas tout à fait la même vision des modalités de mise en œuvre de cette prime !
En outre, le Gouvernement soutient activement le projet de directive communautaire, que vient de relancer la Commission européenne, visant à harmoniser les règles de l’impôt sur les sociétés au sein de l’Union européenne.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Excellent projet !
M. Patrick Ollier, ministre. Ce projet présente de nombreux atouts pour les entreprises, quelle que soit leur taille, et leur permettra de s’implanter dans un autre État sans rencontrer les difficultés auxquelles elles se heurtent aujourd’hui, par exemple en termes de compréhension de la législation fiscale ou de respect des obligations déclaratives. Il s’agira d’un véritable gain en matière de compétitivité. Ce projet constitue, à plusieurs égards, la vraie réponse aux problèmes que vous soulevez, monsieur Marc.
Pour conclure, permettez-moi d’insister à nouveau sur l’attachement du Gouvernement à préserver la compétitivité des entreprises, tout en assurant les conditions de la justice et de l’équité en matière fiscale.
Certaines dépenses fiscales méritent certainement d’être reconsidérées, y compris dans le champ de la fiscalité des entreprises, mais pas de la manière dont vous l’envisagez. Cela ne peut se faire qu’à l’issue d’une revue méthodique des effets budgétaires, mais aussi économiques et sociaux, de chacune de ces dépenses. Ce n’est pas au doigt mouillé, monsieur Marc, que l’on peut décider de supprimer telle ou telle dépense fiscale, par simple souci d’affichage !
Compte tenu de ces explications, vous comprendrez, mesdames, messieurs les sénateurs, que le Gouvernement soit opposé à cette proposition de loi, à l’instar de M. le rapporteur, et vous demande de bien vouloir la rejeter. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et au banc de la commission.)
Mme la présidente. La parole est à M. François Rebsamen.
M. François Rebsamen. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’’avais prévu d’exposer le dispositif de notre proposition de loi, rapidement car François Marc l’a déjà fait excellemment tout à l’heure, mais je commencerai par répondre aux propos gênés, laborieux, de M. le rapporteur, et à ceux, très politiques, de M. le ministre.
Il est bon, en cette période de commémorations, de rappeler ces mots, toujours d’actualité, de Jean Jaurès, l’une de nos figures tutélaires : « Le courage, c’est de chercher la vérité et de la dire ;…
M. François Rebsamen. … c’est de ne pas subir la loi du mensonge triomphant qui passe. »
Monsieur le ministre, une véritable différence d’approche nous sépare ; il ne faut pas la nier.
L’approche du Gouvernement et d’une partie de la droite consiste à présenter systématiquement la France comme un pays où les taux d’imposition, en particulier celui de l’impôt sur les sociétés, seraient parmi les plus élevés au monde.
M. Philippe Dominati, rapporteur. C’est vrai !
M. François Rebsamen. C’est un argument politique ! En vérité, notre impôt sur les sociétés est l’un de ceux qui rapportent le moins ! Voilà le « mensonge qui passe » : il consiste à donner à penser que notre fiscalité est très lourde, alors que son rendement est en réalité très faible.
Vous avez développé de nombreux arguments, monsieur le ministre, mais nous n’avons pas entendu de réponse à la question que nous posons : pourquoi les entreprises du CAC 40 ne sont-elles soumises à l’impôt sur les sociétés qu’à concurrence de 8 %, contre plus de 20 % en moyenne pour les petites et moyennes entreprises ? Pourquoi Total – je ne m’acharne pas sur cette magnifique entreprise ! – ou Vivendi ne paient-elles pas d’impôt sur les sociétés ?
M. François Marc, auteur de la proposition de loi. Excellente question !
M. Jean Desessard. Ils ne veulent pas y répondre !
M. François Rebsamen. Cette question mérite une réponse, que nous attendons toujours ! L’objet de cette proposition de loi est assez simple. Comme l’a dit M. le rapporteur, elle a le mérite d’ouvrir le débat !
Mais vous vous êtes essentiellement consacré, monsieur le ministre, d’une façon très politique, à défendre le Président de la République. Vous vous êtes d’ailleurs fort bien acquitté de cette tâche : nul doute que vous resterez ministre ! (Sourires.)
M. François Rebsamen. Ce faisant, vous avez proféré un certain nombre de contre-vérités, qu’il m’incombe de relever.
Vous vous targuez d’avoir contenu le déficit à 7 % du PIB. Or, avec un taux de croissance de 1,6 %, un tel chiffre constitue un record sous la Ve République, si l’on excepte l’année du déclenchement de la crise !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Les entreprises réalisent leurs bénéfices hors de France !
M. François Rebsamen. Monsieur le ministre, nous n’avons pas l’obsession de l’impôt, mais celle des recettes. Vous, à l’inverse, votre leitmotiv est « toujours moins de recettes ». Pour compenser, vous êtes obligés de mettre en œuvre une politique de suppression systématique de postes de fonctionnaire, en particulier dans des secteurs tels que l’éducation nationale ou la sécurité, au point que, même dans vos rangs, quelques voix commencent à évoquer une remise en question du dogme du non-remplacement d’un fonctionnaire partant à la retraite sur deux…
La suppression de 30 000 postes de fonctionnaire permet d’économiser environ 500 millions d’euros, mais le « mitage » de l’impôt sur les sociétés représente une perte de recettes de 10 milliards d’euros ! (M. Jean Desessard applaudit.)
M. le rapporteur est d’ailleurs d’accord avec le constat que nous dressons et reconnaît qu’un problème se pose. Toutefois, de manière assez contradictoire, il entonne une ode aux dividendes. Pour ma part, je préférerais entendre chanter les louanges des salariés, dont le travail permet justement la distribution de dividendes aux actionnaires ! Nous ne sommes pas hostiles par principe aux dividendes, mais nous entendons que soit redonnée aux salariés la place qu’ils méritent, car ce sont eux qui produisent les richesses, et non les actionnaires.
Cela étant, je vous sais gré, monsieur le rapporteur, de ne pas nous avoir opposé, pour votre part, la future loi constitutionnelle. Une future loi n’est pas une loi, il ne convient pas de l’invoquer aujourd’hui ! Pour l’heure, nous avons parfaitement le droit, comme l’a dit notre collègue Charles Guené en d’autres circonstances, de faire des propositions en matière fiscale. Je suis d’ailleurs moins sûr que M. le ministre que ce texte nous sera soumis prochainement !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Il n’est pas besoin d’une loi pour faire les choses convenablement !
M. François Rebsamen. Effectivement !
Monsieur le ministre, il est quelque peu indécent de défendre avec autant d’acharnement une politique fiscale dont l’injustice est unanimement reconnue, qui octroie toujours plus d’avantages aux plus aisés de nos concitoyens, à tel point que l’on dit aujourd'hui du Président de la République qu’il est, plus encore que le président des niches, le président des riches ! (Sourires et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Il est quelque peu indécent d’exonérer 300 000 contribuables de l’impôt de solidarité sur la fortune alors que plus de 800 000 ménages sont surendettés. La priorité devrait être de se pencher sur la situation de ces derniers, mais le Gouvernement se préoccupe davantage de 300 000 ménages qui ont le malheur d’être redevables de l’ISF parce que leur patrimoine est compris entre 800 000 et 1,3 million d’euros !
Ces choses devaient être dites, en réponse aux propos très politiques de M. le ministre, qui est ici en service commandé pour défendre la politique gouvernementale. Il est vrai que celle-ci est tellement vilipendée aujourd'hui qu’elle a bien besoin d’être défendue !
Monsieur le ministre, vous n’avez répondu que de manière cursive à nos propositions, qui visent à instaurer davantage de justice fiscale, en rééquilibrant devoirs et obligations des entreprises du CAC 40 à l’égard du pays, d’une part, et en mettant en œuvre un dispositif d’incitation à l’investissement pour les entreprises, d’autre part, reposant sur un système de bonus-malus, afin de récompenser les efforts d’investissement et de sanctionner les distributions excessives de dividendes.
Cette proposition de loi procède d’un constat. Bien que des niches aient été supprimées, les entreprises auraient épargné, d’après les chiffres qui nous ont été communiqués, près de 70 milliards d’euros en 2010, contre 20 milliards d’euros en 2005, grâce à différents dispositifs fiscaux. Nous voulons que l’État retrouve une capacité financière, afin notamment de réduire les déficits des comptes publics.
Le Président de la République est passé maître dans l’art d’annoncer de nouvelles lois. Sa stratégie, c’est « action-réaction » : adepte des lois d’émotion, il l’a mise en œuvre à la suite de nombre de faits divers médiatiques, en présentant chaque fois un nouveau texte. En revanche, le Gouvernement se montre beaucoup moins prompt à l’action et à la réaction quand il s’agit de justice fiscale ! Pourtant, depuis de nombreux mois, il est souligné que de grands groupes ne paient aucun impôt sur les sociétés… Or il est impératif aujourd'hui d’envoyer des signaux de justice aux citoyens, aux consommateurs, aux ménages, aux contribuables, aux petites et moyennes entreprises, qui subissent lourdement les effets de la crise, parfois doublement, du fait de la hausse des prix et du chômage. Alors que le prix du litre d’essence à la pompe bat aujourd'hui des records, Total ne paie toujours pas d’impôt sur les sociétés…
Le courage, c’est de supprimer un certain nombre d’outils aujourd'hui obsolètes, à l’instar du bénéfice mondial consolidé, qui a été mis en place en 1965. Sa suppression est l’objet de l’article 1er de la proposition de loi. On ne pourra pas faire face aux enjeux de 2020 avec les outils de 1960 ! Lors de la discussion du dernier projet de loi de finances, le Gouvernement s’était opposé à la suppression de ce dispositif, estimant qu’il est « bien contrôlé, semble assez sûr et permet à des entreprises qui ne sont pas forcément de grands groupes de développer leurs activités ». À la lecture de la liste des bénéficiaires, on est en droit de se demander de quelles entreprises il s’agit…
Nous avons déjà abordé le thème du courage en matière fiscale dans cet hémicycle. La suppression du bouclier fiscal a beaucoup trop tardé. Assujettir les groupes pétroliers à une contribution exceptionnelle, comme nous l’avons demandé, serait une décision courageuse. Lorsque j’ai présenté une proposition de loi à cette fin, le Gouvernement a répondu en substance : « Mais enfin, soyez raisonnables ! » Avec quelques années de retard, la création de cette taxe est aujourd'hui annoncée. Il était sans doute urgent… d’attendre !
Le dispositif fiscal dérogatoire n’est pas un dû ; c’est avant tout une dépense publique. Il est difficilement admissible que de grandes entreprises puissent éviter de s’acquitter de leur contribution à la collectivité nationale. Pourquoi tolérons-nous autant de pratiques d’optimisation fiscale outrancière, réservées à quelques-uns ? Comment l’État peut-il accepter qu’on lui fasse ainsi les poches ?
Les Français comprennent mal qu’un champion national comme Total participe aussi peu à « l’entretien de la force publique », pour reprendre les termes de la Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen. Non seulement ce grand groupe a licencié des salariés, mais il ne paie pas d’impôt sur les sociétés, alors qu’il réalise – et c’est tant mieux ! – une dizaine de milliards d’euros de bénéfices ! L’impôt sur les sociétés est devenu, selon les propres mots de M. Baroin, un « impôt de chagrin » ! Toutes les entreprises devraient acquitter un minimum d’impôt ! L’État récupérerait ainsi quelque 10 milliards d’euros, et pourrait réduire d’autant les déficits publics. Pourquoi toujours repousser l’échéance ? Nous appelons le Sénat à adopter sans plus tarder cette proposition de loi frappée au coin du bon sens, qui tend à instaurer davantage de justice fiscale. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la fiscalité est plus que jamais au cœur des questions de politique économique et de justice sociale. Elle sera même, j’en suis sûr, au centre de la prochaine campagne présidentielle, tant le déficit de justice fiscale est grand.
Comme souvent, le Sénat est en avance, le Sénat est précurseur, le Sénat sert de laboratoire d’idées. Nous avons ainsi débattu, voilà plus d’un an, d’une proposition de loi visant à instituer une taxation de certaines transactions financières que j’avais déposée.
Aujourd’hui, nous examinons une proposition de loi, élaborée par François Marc et nos collègues du groupe socialiste, tendant à modifier de façon substantielle le régime de l’impôt sur les sociétés. J’espère pour eux qu’ils auront plus de succès que je n’en ai eu avec ma proposition de loi, et que nous serons cette fois entendus par la majorité sénatoriale. En effet, autant le dire tout de suite, je partage totalement les objectifs visés au travers du présent texte, dont j’approuve le dispositif. Je lui apporte donc mon soutien. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Nicole Bricq. Bravo !
M. Yvon Collin. Cette proposition de loi repose essentiellement sur trois dispositifs tendant à l’abrogation du régime du bénéfice mondial consolidé, à l’introduction d’un niveau plancher d’impôt sur les sociétés effectivement acquitté et à une modification du taux uninominal de l’impôt sur les sociétés, cela en fonction de l’affectation du résultat de certaines entreprises.
Véritable serpent de mer fiscal, la question de l’efficacité de l’impôt sur les sociétés, en termes de rentrées fiscales pour l’État, et de son équité, en termes de progressivité de ses taux, n’en finit pas d’être soulevée.
Cet impôt a vocation à déterminer la principale contribution des entreprises aux charges financières de l’État. Calculé en fonction des bénéfices réalisés chaque année, son taux de droit commun, longtemps établi à 50 %, est fixé à 33,33 % depuis le 1er janvier 1993. Cette diminution participait à l’époque d’une démarche partagée d’harmonisation au sein de l’espace communautaire.
En 2008, il faut s’en souvenir, cet impôt rapportait dans les caisses de l’État plus de 52 milliards d’euros, soit près de 17 % des gains fiscaux annuels. Ce n’est pas rien, surtout dans un contexte budgétaire marqué par des pics de déficit à répétition !
La proposition de loi n’a nullement pour objet d’alourdir les taux existants, de remettre en cause l’attractivité de la France dans le concert des nations européennes, ni même de taxer davantage l’ensemble de nos entreprises. Non ! Évitons la caricature : le texte vise bel et bien à corriger les distorsions de ce régime d’imposition, qui permettent aux plus grandes entreprises de payer a minima. Je pense notamment aux entreprises du CAC 40, dont les bénéfices faramineux ne cessent de croître.
Comment expliquer sans gêne que, par un tour de passe-passe et de judicieux montages d’optimisation fiscale, certaines multinationales françaises sont assujetties à un taux d’imposition deux fois moins élevé que celui des PME ? Comment expliquer que, dans notre pays, plus une entreprise est importante, moins elle est assujettie à l’impôt ?
Selon un rapport rédigé en 2009 par le Conseil des prélèvements obligatoires, les entreprises du CAC 40, qui représentaient en 2006 plus de 30 % des profits, rapportaient à peine 13 % de l’impôt sur les sociétés. En revanche, les PME dont la taille n’excédait pas 250 personnes s’acquittaient de 21 % du même impôt, pour seulement 17 % des profits générés par les entreprises françaises.
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, cette situation est contraire à l’esprit même de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, à laquelle notre collègue François Rebsamen faisait référence, et dont l’article XIII dispose que la contribution commune « doit être également répartie entre tous les citoyens, en raison de leurs facultés ». Cela, me semble-t-il, vaut bien aussi pour les entreprises !
Avec des taux faibles pour les plus forts et des taux forts pour les plus faibles, c’est toute une mécanique inéquitable et implacable à laquelle il convient de mettre un terme. Pour cela, nos collègues socialistes proposent, dans leur texte, trois remèdes à appliquer aux trois principaux maux de l’impôt sur les sociétés.
En premier lieu, la proposition de loi tend à supprimer le mécanisme dit du bénéfice mondial consolidé.
Ce mécanisme permet aux sociétés mères de certaines multinationales françaises de retenir l’ensemble des résultats de leurs exploitations directes ou indirectes, qu’elles soient situées en France ou à l’étranger, pour l’assiette des impôts établie sur la réalisation et la distribution de leurs bénéfices. Ce système dérogatoire, soumis à agrément ministériel, permet ainsi aux grands groupes d’imputer sur leurs bénéfices français les résultats souvent déficitaires des filiales nouvellement implantées à l’étranger.
Je parlais précédemment d’optimisation fiscale : nous y sommes ! Pour éviter les doubles impositions, l’impôt sur les sociétés payé en France par la maison mère sur son résultat consolidé est diminué de l’impôt sur les sociétés versé à l’étranger par chacun de ses établissements stables ou chacune de ses filiales. Au bout du compte, les gains fiscaux optimisés représentent un jackpot de plusieurs centaines de milliers d’euros par entreprise concernée.
En 2010, selon les services du ministère du budget, cinq sociétés ont bénéficié de ce régime, qui a coûté la bagatelle de 302 millions d’euros à l’État ! Cerise sur le gâteau, grâce à ce dispositif formidable, le groupe Total, cité à plusieurs reprises, n’a payé aucun impôt sur les sociétés en 2010, alors même qu’il a réalisé un bénéfice de 10,5 milliards d’euros, le plus important du CAC40, et qu’il a distribué la bagatelle de 5,2 milliards d’euros de dividendes à ses actionnaires.
M. Jean Desessard. Comment est-ce possible ?
M. Yvon Collin. En deuxième lieu, la proposition de loi tend à introduire un taux de base auquel aucune société ne saurait échapper.
M. Jean Desessard. C’est le bon sens !
M. Yvon Collin. Il s’agirait tout simplement d’atténuer les effets de distorsion entre les entreprises soumises au taux de droit commun et les entreprises soumises à des taux particulièrement bas par des jeux d’abattement et de décote.
Cette disposition est d’autant plus judicieuse que, paradoxalement, ce sont bien les sociétés les plus importantes qui bénéficient des taux les plus compétitifs. Une telle situation est particulièrement injuste à l’égard de la majorité de nos PME, qui sont confrontées depuis trois ans aux conséquences de la crise financière. Les petites et moyennes entreprises n’acceptent plus – elles ont raison – de participer au prix fort aux efforts de la nation quand les entreprises du CAC 40 persistent dans l’optimisation fiscale et la répartition outrageante des dividendes entre leurs actionnaires.
Oui, l’établissement d’un taux plancher est une mesure de bon sens, qui permettrait à l’État de renflouer ses caisses en s’appuyant sur l’automaticité d’un taux de 16 %, alors même que la moyenne des taux européens se situe à hauteur de 23 %. L’argument consistant à dénoncer le manque d’attractivité fiscale de notre pays pour les entreprises deviendrait ipso facto irrecevable.
En troisième lieu, la proposition de loi introduit un dispositif prévoyant que le taux de l’impôt sur les sociétés puisse être modulé en fonction de l’affectation du bénéfice imposable par les entreprises.
L’objectif est de majorer le taux d’imposition lorsque la fraction des bénéfices distribuée en dividendes excède un certain seuil. Il s’agit donc d’inciter les entreprises à privilégier l’investissement et l’emploi, grâce à un dispositif fiscal rendant la démarche de capitalisation interne plus attrayante qu’une politique de généreuse distribution de dividendes.
Sur ce point également, l’enjeu est de taille, puisqu’il est question de rendre prioritaire la réutilisation des bénéfices pour l’innovation et la création d’emplois et de limiter l’enrichissement à court terme d’une minorité d’actionnaires, plus soucieux de rentabilité financière que de pérennité d’activités.
Mes chers collègues, on le voit bien, c’est toute la politique fiscale menée depuis plusieurs années qu’il convient de réformer en profondeur. Les débats d’aujourd’hui concernant l’impôt sur les sociétés ne sont que les prémices de l’ouvrage qui nous attend dans les mois qui suivront mai 2012.
Pour l’heure, une chose est sûre : la politique fiscale coûte très cher à l’État ! Le rapport de la Cour des comptes de 2009 nous indiquait déjà que, dans le déficit total de 140 milliards d’euros, le déficit structurel s’élevait à 70 milliards d’euros, l’essentiel de ce dernier étant dû aux décisions prises par les gouvernements depuis 2002 en matière de baisse des recettes fiscales. La présente proposition de loi de nos collègues socialistes s’inscrit dans une logique inverse, fondée sur la responsabilité et l’éthique financière.
C’est pourquoi, avec la majorité des membres de mon groupe, je voterai en faveur de ce texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Thierry Foucaud.
M. Thierry Foucaud. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, il n’est pas facile de parler de l’impôt sur les sociétés en sept minutes !
Avant toute chose, je veux remercier notre collègue François Rebsamen pour la citation qu’il a faite, que je partage, de Jean Jaurès, fondateur d’un journal qui m’est très cher, L’Humanité.
J’en viens à la proposition de loi de nos collègues du groupe socialiste. Reconnaissons d’emblée une qualité à ce texte, celle de rompre avec une règle fiscale tacite, à l’œuvre depuis trop longtemps, qui veut que l’on ne puisse envisager l’amélioration de la situation économique et sociale du pays qu’à l’aune de l’allégement de la participation des entreprises au financement de la charge commune.
Pour une fois, nous sommes saisis d’un dispositif qui tend naturellement à redresser le niveau de la contribution des entreprises soumises à l’impôt sur les sociétés, à la fois en mettant en cause l’une des multiples niches fiscales qui l’amputent – je veux parler du régime du bénéfice mondial consolidé – et en proposant de traiter différemment les bénéfices afin de tenir compte de leur affectation.
Il faut sans doute un début à tout, pourrait-on dire à la lecture de cette proposition de loi. Celle-ci n’a pas, pensons-le, vocation à couvrir l’ensemble de la problématique de l’impôt sur les sociétés, mais elle cible assez judicieusement une partie des questions que pose un long processus de dévitalisation d’un impôt, pourtant nécessaire aux comptes publics et, par-delà, à la collectivité nationale.
Avant donc que nous ne donnions notre avis sur le texte qui nous est soumis, il nous faut procéder à une forme de revue de détail de ce qui a conduit notre fiscalité des entreprises, depuis 1985, à cesser de contribuer efficacement à l’équilibre budgétaire.
C’est en effet en 1985, sous le gouvernement dirigé par Pierre Bérégovoy, que le processus de réduction de l’impôt sur les sociétés a été enclenché. Dès cette époque, il a été justifié par la nécessité de favoriser l’investissement productif, le maintien de l’emploi ou l’embauche de nouveaux salariés, l’aménagement des politiques salariales permettant, dans le cadre de la négociation collective, de garantir le pouvoir d’achat des salariés.
Le grand mouvement de réduction du taux de l’impôt sur les sociétés, qui nous a conduits à appliquer aujourd’hui un taux facial de 33,33 % pouvant être majoré du taux de la contribution sociale pour certaines grandes entreprises, s’est accompagné, au fil du temps, d’une série de mesures tendant à agir sur l’assiette de l’impôt. On a ainsi fini par réduire considérablement la part des bénéfices soumis au taux facial.
Le fameux rapport de la Cour des comptes, publié en octobre 2010, sur la situation fiscale des entreprises au regard des niches fiscales et sociales dont elles bénéficient, a sans doute motivé la proposition de loi dont nous débattons. Mais il a surtout confirmé ce que nous n’avions cessé de dénoncer depuis plusieurs années, notamment au cours des discussions budgétaires.
Ainsi, le Conseil des prélèvements obligatoires, émanation de la Cour des comptes et rédacteur de ce rapport, soulignait la profusion de dispositifs d’un coût parfois élevé et d’une efficacité douteuse. Le crédit d’impôt recherche est l’un des dispositifs auxquels on pense immédiatement, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, alors même que vous venez d’en vanter les mérites, mais je reviendrai sur ce point. Surtout, ce rapport mettait en évidence les sommes considérables mobilisées par les effets d’éviction sur l’assiette de l’impôt et les dispositifs dérogatoires.
Pour les exercices 2010 et 2011, nous sommes tout de même parvenus, mes chers collègues, à une situation où l’impôt sur les sociétés représente au mieux de 30 % à 35 % de ce qu’il devrait rapporter !
Question : qui paie un tel déficit de recettes, supérieur à 100 milliards d’euros ? Réponse : les autres, tout simplement !
En d’autres termes, cela justifie – je réponds ainsi aux précédents propos de M. le ministre – qu’on bride la dépense publique, qu’on supprime des emplois publics, qu’on maintienne le taux normal de la taxe sur la valeur ajoutée à 19,6 %, et j’en passe...
Pour aller à l’essentiel, je rappelle que, depuis 1985, à la suite du lancement du processus d’allégement de la contribution des entreprises aux budgets publics, de la mise en œuvre d’une politique d’allégement de la taxe professionnelle et de développement des exonérations de cotisations sociales, nous avons privé les budgets de l’État, des collectivités locales et de la sécurité sociale de centaines de milliards d’euros.
De 1985 à 2007, et cela n’a pas dû s’arranger depuis, bien au contraire, entre baisse du taux de l’impôt sur les sociétés, remise en cause de la taxe professionnelle et allégements de cotisations sociales, ce sont plus de 500 milliards d’euros de recettes qui ont été purement et simplement perdus ! Sans compter l’impact des mesures affectant l’assiette de l’impôt sur les sociétés et les coûts de trésorerie courante que ces mesures ont impliqués pour l’État.
Dénoncer l’effet « boule de neige » de la dette publique, faute d’atteindre l’excédent budgétaire primaire, devrait nous faire réfléchir au bien-fondé de ces abandons de recettes. Je n’ai pas le temps d’approfondir ce sujet maintenant, mais nous y reviendrons.
D’ailleurs, monsieur le ministre, après ce que vous venez de dire, examinons la question telle qu’elle se pose réellement : dans le cadre d’une politique économique et industrielle comme celle que nous avons pu voir mener depuis une trentaine d’années, ces efforts ont-ils conduit notre pays sur la voie de la croissance et du plein emploi ? Non !
Vu qu’une bonne partie des groupes industriels nationaux privatisés depuis 1986 ont connu quelques mésaventures – que reste-t-il de Pechiney Ugine Kuhlmann, qui était l’un des leaders de l’aluminium en 1981, lors de sa nationalisation ? –, que l’emploi industriel ne cesse d’être victime, dans notre pays, de la recherche continue de la rentabilité maximale, que nous avons un fort volant de main-d’œuvre privée d’emploi et un volume aussi considérable de salariés noyés dans la précarité, force est de constater que cette fuite en avant vers la réduction des impôts dus par les entreprises n’a pas été nécessairement positive pour notre économie, pour nos emplois, pour la population de notre pays dans son ensemble.
À l’écoute de votre discours, monsieur le ministre, on comprend que vous vouliez persister dans la même voie.
Pourtant, les inégalités de revenus continuent à se creuser, comme le souligne ce matin le journal Les Échos. C’est toujours la même rengaine : « après la crise, il importe, dites-vous, de favoriser l’investissement, de créer plus de richesses ». Mais pour qui est cette richesse ? Il suffit de regarder les sociétés du CAC 40 !
La richesse, monsieur le ministre, elle est pour Mme Bettencourt, qui économise 36 millions d'euros grâce au bouclier fiscal et qui, demain, grâce à vos propositions, verra ses impôts encore réduits.
La richesse, elle est pour ceux qui vont pouvoir échapper à l’impôt sur la fortune grâce à un relèvement du seuil d’exigibilité de 830 000 euros à 1,3 million d'euros, mesure qui favorisera ainsi 300 000 contribuables déjà privilégiés.
II est temps de changer notre fusil d’épaule et de mettre un terme à cette véritable intoxication au moins-disant fiscal qui a marqué près de trente ans de pratique budgétaire dans notre pays !
La proposition de loi de nos collègues socialistes, sans doute inspirée par le contenu du projet présenté par leur parti en vue des rendez-vous politiques de 2012, constitue un élément du débat. Elle nous rappelle la nécessité de poser la juste et légitime question de la réforme fiscale, sans épuiser par avance le sujet. En effet, entre nous soit dit, à ce stade du débat, elle ne saurait constituer la seule approche et l’exposé des seules solutions des problèmes posés.
Nous la prenons donc comme telle, et nous sommes par ailleurs certains, au-delà du débat d’aujourd'hui, qui tournera un peu court vu la position de la majorité, que la question de l’impôt sur la fortune et de la participation des entreprises à l’effort collectif sera l’un des enjeux clés des futures consultations électorales et du débat public qu’elles susciteront.
En tout état de cause, aujourd'hui, nous voterons en faveur de la proposition de loi présentée par nos collègues socialistes. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. M. Yvon Collin applaudit également.)
Mme Nicole Bricq. Merci !
Mme la présidente. La parole est à Mlle Sophie Joissains.
Mlle Sophie Joissains. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, cette proposition de loi de notre collègue François Marc et du groupe socialiste tend principalement à poser le principe selon lequel aucune entreprise ne peut acquitter un impôt sur les sociétés dont le taux réel serait inférieur à la moitié du taux normal, soit 16,66 %, visant ainsi les grands groupes qui bénéficient d’une imposition sur les bénéfices à des taux effectifs très faibles.
Le texte n’a pas été modifié par la commission des finances. Le rapporteur, notre excellent collègue Philippe Dominati, dont je tiens à saluer la qualité du rapport, a proposé au nom de la commission de rejeter cette proposition de loi.
Pour des raisons évidentes et difficilement contournables, la commission des finances réserve toute modification fiscale aux seules lois de finances, selon sa jurisprudence constante.
Le groupe socialiste souhaite mettre fin aux abattements et réductions d’assiette d’impôt sur les sociétés, qui conduisent les grandes entreprises à bénéficier d’un taux effectif d’impôt sur les sociétés inférieur à celui s’appliquant aux PME ou aux TPE. Selon notre collègue François Marc, la minoration de l’impôt sur les sociétés aurait pour effet immédiat de gonfler les dividendes des actionnaires.
En conséquence, le groupe socialiste propose de supprimer le régime du bénéfice mondial consolidé, d’empêcher toute entreprise d’acquitter un impôt sur les sociétés dont le taux réel serait inférieur à la moitié du taux normal et de moduler le taux de l’impôt sur les sociétés entre 30 % et 36,66 %, en fonction de l’affectation du bénéfice réalisé : plus bas si affecté à l’emploi à l’investissement, plus haut si affecté à la distribution de dividendes.
M. Jean Desessard. Cela paraît excellent !
Mlle Sophie Joissains. Par le but qu’elle vise, cette proposition de loi rejoint de légitimes préoccupations de justice sociale. Il est primordial, pour atteindre ce but plus que tout autre tant il est générateur d’espoir, de se donner les moyens d’agir avec efficacité. Pour cela, aucune incertitude ne peut demeurer. J’en relève malheureusement un certain nombre.
Les chiffres mettant en exergue un écart de taux réel d’impôt sur les sociétés acquitté sont différents selon les études. Les calculs de la Cour des comptes donnent des taux effectifs supérieurs à ceux du Conseil des prélèvements obligatoires.
Les écarts de taux existent, bien sûr, mais au-delà de la pétition de principe, il est important d’agir sans approximation. À cet effet, la direction générale du Trésor est en train de réaliser une étude pour préciser les chiffres.
Avant de prendre une décision, il convient également de procéder à une évaluation de l’intérêt du bénéfice mondial consolidé. Dans quelle mesure son coût est-il plus important que son intérêt ? Attendons pour le savoir la remise au Parlement, le 30 juin prochain, du rapport du Gouvernement évaluant l’efficacité et le coût de toutes les dépenses fiscales.
Le relèvement du taux d’imposition sur les bénéfices des grands groupes devra certainement être discuté. Toutefois, la proposition du groupe socialiste de relever le taux réel à un taux minimum de 16,66 % est, dans l’attente des nécessaires évaluations que nous venons d’évoquer, une mesure dont on ne connaît pas le véritable impact et qui, au-delà de son effet d’annonce, pourrait se révéler prématurée, voire dangereuse.
Rappelons que, à l’heure où l’on parle de convergence fiscale, le taux nominal d’impôt sur les sociétés est plus faible en Allemagne qu’en France, soit de 30 % au lieu de 33,33 % et, surtout, les cotisations sociales sont nettement moins importantes outre-Rhin, soit de 13 % du PIB, contre plus de 16 % en France.
Deux questions se posent : est-ce le moment d’augmenter la pression fiscale sur les entreprises françaises, plus faibles en export que les entreprises allemandes, même lorsqu’il s’agit de grands groupes ? Si oui, de quelle manière et dans quelle proportion ?
Dans ce schéma généreux, n’oublions pas la dépréciation de l’euro par rapport au dollar ou au yuan.
Les auteurs de la proposition de loi souhaitent la mise en place d’un taux d’impôt sur les sociétés qui varie selon le niveau du bénéfice qu’elles mettent en réserve ou distribuent. Cette proposition paraît séduisante, mais la différenciation nécessite un suivi complet des affectations comptables du bénéfice sur plusieurs années, suivi qui n’a jamais réussi à être mis en œuvre.
C’est une matière complexe, fluctuante, et les risques de délocalisation sont, hélas, bien présents.
La direction du Trésor et le Gouvernement travaillent sur l’exactitude des chiffres, l’évaluation du coût et l’efficacité des dépenses fiscales.
Dans un esprit pragmatique, qui est aussi celui de l’équité, le Président de la République a d’ores et déjà annoncé la mise en place dans le collectif budgétaire de juin prochain d’une prime aux salariés que devront verser les entreprises qui distribuent des dividendes. C’est, certes, une manière différente d’aborder l’exigence de justice sociale, mais cette mesure sera peut-être perfectible. En tout cas, elle aura l’avantage indéniable de pouvoir être appréhendée par le salarié de manière directe en le remettant au cœur de la bonne marche de l’entreprise.
Dans ces conditions, et pour toutes les raisons évoquées, le groupe UMP votera contre l’ensemble de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, alors que s’achève la discussion générale, je souhaite vous faire part de quelques observations.
D’abord, je remercie les auteurs de cette proposition de loi de nous donner l’occasion de mener une réflexion sur les niches fiscales. Hier matin, en commission des finances, nous tentions de mieux appréhender le concept même de niche fiscale, qui n’est pas simple. Il sera de la responsabilité du Parlement d’en dessiner les contours afin de clarifier nos débats sur des questions qui peuvent choquer l’opinion publique et susciter de vives protestations et de réelles incompréhensions.
Les niches mettent en effet à mal le pacte républicain et l’idée que nous nous faisons de l’égalité des Français devant l’impôt. Sur ces questions extrêmement graves, nous ne pouvons nous contenter d’effets tribunitiens, faute de quoi nous égarerions nos concitoyens, les empêchant de s’approprier les motifs qui rendent nécessaires un certain nombre de réformes.
Outre les auteurs de la proposition de loi, je remercie également le rapporteur général Philippe Marini, le rapporteur de ce texte, Philippe Dominati, ainsi que M. le ministre chargé des relations avec le Parlement, qui a bien voulu suppléer les ministres en charge de l’économie et de la fiscalité, retenus sans doute par d’autres travaux, pour freiner toute tentation de créer de nouvelles niches fiscales ou sociales.
Le sujet qui nous inspire ce matin, c’est la mondialisation et les défis qu’elle suscite.
Depuis plusieurs semaines, j’assiste en quelque sorte au procès de Total. M. Rebsamen s’est lâché sur ce thème, mais je le mets en garde : évoquer ces questions, qui suscitent une incompréhension absolue, c’est manier de la nitroglycérine !
Si j’ai bien compris, en 2009, Total n’a pas payé d’impôt en France. Mais sur le plan mondial, l’entreprise a acquitté 7,7 milliards d'euros d’impôt pour un bénéfice net d’un peu plus de 8 milliards d'euros. Cela veut dire que les entités économiques paient l’impôt dans le pays où elles réalisent des bénéfices. Il s’agit de savoir si Total a fait des bénéfices en France.
Mme Nicole Bricq. Oui !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Les raffineries de Total sont-elles rentables ? Les activités développées en France par Total sont-elles globalement rentables ? Manifestement non ! Peut-être y a-t-il eu de l’optimisation fiscale, conséquence de la subtilité des textes que nous votons désormais au fil des lois de finances, lesquelles auront, je l’espère, le monopole des dispositions fiscales.
Monsieur Rebsamen, je vous mets donc en garde. La vraie question est de savoir si Total a fait ou non des bénéfices en France. Il n’en a probablement pas fait, et c’est pour cela que l’entreprise ne paie pas d’impôt en France. Par conséquent, invoquer devant l’opinion publique l’argument selon lequel Total n’a pas payé d’impôt en France peut être rentable à court terme sur un plan électoral, mais ce n’est pas ainsi que nous améliorerons la compréhension collective des problèmes que nous avons à résoudre pour relancer la croissance, l’emploi et lutter contre le chômage. Donc, évitons de nous laisser aller à des considérations quelque peu tribunitiennes.
Autre question que nous devons nous poser : pourquoi l’entreprise Total ne fait-elle pas de bénéfices en France ? Nos lois, nos réglementations sont-elles compatibles avec l’espérance de bénéfices ? Ne sont-elles pas activatrices de délocalisation de certaines activités ? Il va falloir que nous remettions en cause un certain nombre de nos conventions de langage et de pensée.
Nous avons dû, au fil des années, puisqu’il faut aller à la conquête des marchés du monde, imaginer des fiscalités plus modernes, compétitives par rapport aux régimes fiscaux en vigueur dans d’autres pays.
Je me trouvais voilà une semaine aux Pays-Bas, avec plusieurs membres de la commission des finances. Nous nous demandions pourquoi un certain nombre de grandes sociétés internationales y avaient leur siège. Ce pays a, au moins autant que nous, compris les enjeux de la mondialisation.
Notre dispositif de bénéfice mondial consolidé permet à un groupe de déduire les pertes de ses filiales implantées à l’étranger des bénéfices réalisés en France par ses sociétés rentables. Mais lorsque ses filiales déficitaires deviennent excédentaires, elles paient l’impôt dans le pays où elles sont établies et, à ce moment-là, les résultats enregistrés en France n’intègrent pas les bénéfices constatés à l’étranger. Autrement dit, monsieur le ministre, nous jouons assez systématiquement perdants. (M. François Rebsamen approuve.)
Cette situation doit inspirer une réflexion : avez-vous d’autres solutions ? Quelles réponses peut-on apporter ?
Mme Nicole Bricq. C’est important !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Telles sont les interrogations sur lesquelles j’appelle votre attention.
Les Pays-Bas, pour reprendre cet exemple, ont inventé un système de ruling : il permet, par le biais d’une négociation débouchant sur une convention, d’aboutir à un accord avec les dirigeants du groupe.
La France n’est pas isolée dans le monde ; elle est en compétition avec d’autres pays, notamment avec les Pays-Bas. Vous l’avez dit, monsieur le ministre, une directive européenne permettrait d’harmoniser l’assiette des impôts sur les sociétés : c’est l’objet de l’ACCIS, l’assiette commune consolidée d’impôt sur les sociétés.
Essayer de réguler au plan national une question qui doit être traitée à l’échelon européen ne peut s’apparenter, j’en ai bien peur, qu’à un exercice de pure gesticulation. Il est aisé de débattre de cet important sujet à la tribune ; cela nous permet de rendre compte à nos concitoyens des efforts que nous avons menés pour améliorer le rendement fiscal. Mais il faut en être conscient, cela revient à cracher en l’air !
Nous devons également nous interroger sur les prix de transfert. En effet, à l’échelon des groupes, il peut être commode d’optimiser en facturant depuis un pays où les bénéfices sont soumis à des taux relativement modiques vers un autre pays où les bénéfices sont imposés à des taux beaucoup plus élevés. Ne nous payons pas de mots ; l’instauration d’un système de ruling peut permettre d’apporter des réponses pragmatiques.
Chers collègues socialistes, je vous remercie de nous avoir permis de mener cette réflexion commune. Toutefois, je ne partage pas les convictions que vous avez défendues ce matin et je doute que, avec votre proposition de loi, vous puissiez atteindre les cibles que vous visez, qu’il s’agisse de la suppression du régime du bénéfice mondial consolidé, qu’il s’agisse du plancher de cotisations ou de la régulation en fonction de l’affectation des résultats c'est-à-dire selon que l’on distribue ou que l’on mette en réserve les bénéfices. Tout cela me paraît quelque peu théorique, technocratique, et me semble se prêter à de nouvelles optimisations.
Vous posez de véritables questions, mais, selon moi, vous devrez reprendre votre copie, car vos réponses sont illusoires. Dans ces conditions, je ne voterai pas les articles de votre proposition de loi.
Mme la présidente. Mes chers collègues, je vous rappelle qu’un second texte est inscrit à l’ordre du jour de ce matin. Je vous recommande donc d’user de votre temps de parole avec économie.
La parole est à M. le ministre.
M. Patrick Ollier, ministre. Madame la présidente, Mme Bricq m’a reproché d’avoir parlé trop longtemps. Toutefois, je tiens à répondre à ceux qui m’ont interrogé,…
Mme Nicole Bricq. Justement, vous ne leur avez pas répondu !
M. Patrick Ollier, ministre. … car je m’en voudrais d’être discourtois avec les intervenants. J’ai beaucoup de respect pour la Haute Assemblée et pour ceux qui ont travaillé sur cette proposition de loi.
Je l’ai indiqué tout à l’heure, le chiffrage du taux effectif de l’impôt sur les sociétés est une affaire de convention. Mesdames, messieurs les sénateurs du groupe socialiste, vous vous demandez pour quelle raison les entreprises du CAC 40 ne sont imposées qu’à 8 %, alors que les PME le sont à des taux plus lourds.
La réalité est beaucoup plus complexe : parmi les grandes entreprises, certaines réalisent d’importants bénéfices en France et payent beaucoup d’impôts, d’autres enregistrent des déficits et ne sont donc, par définition, pas taxables. Les chiffres que vous avancez sont d’ailleurs contestés par des études s’appuyant sur d’autres conventions.
Monsieur Rebsamen, vous m’avez reproché d’être politique. Mais vous l’avez été bien plus que moi, et avec beaucoup plus de talent. Je ne tiens pas me frotter à vous sur ce terrain-là ! (Sourires.) En revanche, je tiens à vous le dire, vos jeux de mots me semblent quelque peu douteux…
Vous avez évoqué tout à l’heure l’impôt minimum : il s’agit de l’impôt forfaitaire annuel, supprimé au début de cette législature parce qu’il frappait fort injustement les PME.
Messieurs Collin, Rebsamen et Foucaud, vous vous êtes interrogés sur le bénéfice mondial consolidé. Vous avez raison, un nombre très restreint d’entreprises est concerné. Les chiffres sont clairs, il s’agit de deux grands groupes et de trois PME. Chacune de ces entreprises fait l’objet d’un agrément, et donc d’un examen précis. Mlle Joissains l’a relevé à juste titre, et je l’en remercie, vous n’aurez pas beaucoup à attendre pour obtenir des réponses à vos questions, car, comme il s’y était engagé, le Gouvernement remettra le 30 juin 2011 une évaluation d’ensemble des niches fiscales, dont fait partie le régime du BMC.
Je partage l’opinion du président Arthuis, qui s’est exprimé avec grand talent. Je vais essayer de cheminer sur ses traces… Nous devrions être fiers d’avoir un groupe comme Total en France.
M. François Marc. Mais personne n’a prétendu le contraire !
M. Patrick Ollier, ministre. En tout cas, je ne vous ai pas entendu le dire ! Je vous ai surtout entendu reprocher à Total de ne pas payer d’impôt sur les sociétés !
M. François Marc. Nous sommes fiers des travailleurs de Total !
M. Patrick Ollier, ministre. Oui, monsieur Marc, nous sommes effectivement fiers des salariés de Total et eux-mêmes sont certainement très fiers de travailler dans ce groupe.
Cela ne vous aura pas échappé, Total fait de l’exploitation pétrolière. Monsieur Marc, monsieur Rebsamen, monsieur Foucaud, monsieur Collin, je ne pense pas que l’exploitation pétrolière puisse se faire autour du Palais du Luxembourg ou du Palais Bourbon ! Total n’a pas d’activité produisant des effets qui pourraient déterminer le paiement de l’impôt sur les sociétés en France. C’est bien connu, notre pays a beaucoup d’idées, mais pas de pétrole !
Voilà pourquoi il faut être prudent dans ses propos. Si Total ne paye pas d’impôt sur les sociétés, c’est peut-être tout simplement, si l’on y réfléchit bien, parce que cette entreprise ne fait pas de bénéfices en France.
M. Jean Desessard. Nous allons vérifier !
M. René-Pierre Signé. L’argument est spécieux !
M. Patrick Ollier, ministre. En revanche, le groupe paye beaucoup d’autres contributions sur ses bénéfices. Les chiffres qu’il a communiqués font état de 800 millions d’euros d’impôts.
Dans le cadre de l’agrément lié au bénéfice mondial consolidé, le groupe a pris des engagements, notamment celui d’investir en France 4,5 milliards d’euros sur la période 2009-2011. Il n’y était pas obligé, et pourtant il l’a fait ! Pour ma part, je préfère rendre hommage aux initiatives prises par le groupe et constater les faits.
Je terminerai en évoquant la question de l’impôt minimum, que plusieurs d’entre vous ont soulevée.
Dans le texte que nous examinons, vous proposez d’appliquer un taux minimum d’impôt de 16,5 % sur le bénéfice imposable. Je ne comprends pas bien cette proposition.
Aujourd'hui, le taux d’imposition applicable aux bénéfices est de 33 %. Votre proposition revient à taxer non plus les bénéfices, mais un solde comptable intermédiaire qui ne tiendrait pas compte des dépenses des entreprises et des besoins de financement de l’investissement. Or nous voulons, pour notre part, encourager le financement de l’investissement. Il est normal qu’une société qui investit puisse bénéficier de déductions de ses charges financières ou de ses amortissements.
Monsieur le président de la commission, je souscris aux réponses que vous avez apportées aux autres questions soulevées par les orateurs. Je connais votre compétence et votre volonté de rigueur dans le domaine des niches fiscales.
Vous avez probablement raison lorsque vous évoquez les lois et les réglementations « activatrices » de délocalisations. Le Gouvernement réfléchit aux pistes que vous avez mentionnées. Vous avez cité l’exemple des Pays-Bas, mais vous auriez pu prendre tout aussi bien celui de l’Irlande qui, avec un taux très incitatif de 12 %, attire un certain nombre de sociétés sur son territoire.
Pour conclure, je tiens à remercier le groupe socialiste d’avoir lancé ce débat qui a permis au Gouvernement, soutenu par le président de la commission, M. Arthuis, son rapporteur, M. Dominati, et Mlle Joissains, pour le groupe UMP, de rétablir un certain nombre de vérités.
Mme la présidente. La commission n’ayant pas élaboré de texte, nous passons à la discussion des articles de la proposition de loi initiale.
Article 1er
L’article 209 quinquies du code général des impôts est abrogé.
Mme la présidente. La parole est à M. Thierry Foucaud, sur l'article.
M. Thierry Foucaud. Monsieur le ministre, je n’avais pas prévu d’intervenir sur les articles, mais j’ai changé d’avis après avoir entendu vos propos.
On nous dira bientôt que, puisque Renault construit des voitures en Slovénie ou en Turquie, le groupe ne fait pas de bénéfices en France et qu’il n’est donc pas taxable.
M. Jean Desessard. Et Servier ?
M. Thierry Foucaud. Le même raisonnement pourrait s’appliquer à de multiples entreprises ! Je tiens à rappeler que le groupe Total distribue tout de même des dividendes en France.
Mes chers collègues, je veux vous faire part de mon étonnement : depuis des années, nous ne cessons de mener des débats sérieux, approfondis, parfois empreints de gravité, sur la situation de nos comptes publics, la nécessité de respecter nos engagements, notamment européens, de réduire les déficits publics.
Or, au moment où nous sommes saisis d’un texte qui porte en partie remède à la situation, j’entends M. le ministre, M. le rapporteur et, à l’instant, M. le président de la commission des finances nous dire que c’est une très mauvaise idée de demander aux entreprises de contribuer un peu plus, elles aussi, à l’effort exigé de tous.
Quelle drôle d’idée en effet de rendre aux salariés, sous forme de service public financé par leurs impôts, une partie de la richesse nationale qu’ils ont produite par leur travail, plutôt que de la perdre dans la distribution de dividendes et d’investissements financiers à l’étranger !
Monsieur le président de la commission des finances, il existe bien des dividendes ! D’ailleurs, même le Président de la République, à quelques mois de l’élection présidentielle, s’en aperçoit et propose d’en redistribuer une partie !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Vous voulez taxer tout le monde !
M. Thierry Foucaud. Nous voulons taxer ceux qui font de l’argent, notamment ceux qui possèdent des actifs financiers.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Ils font de l’argent ailleurs !
M. Thierry Foucaud. Ils font aussi de l’argent en France ! Et cet argent ne profite ni à l’emploi ni à la production dans notre pays.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Mais les groupes payent des impôts à l’étranger ! C’est la mondialisation.
M. Thierry Foucaud. Monsieur le président de la commission des finances, vous évoquez souvent l’économie ouverte, la mondialisation et la globalisation.
J’ai choisi deux exemples montrant que les grands groupes nous ont administré de nouvelles preuves du bien-fondé des politiques de concurrence fiscale, lesquelles ont cours depuis si longtemps qu’on a oublié qu’elles étaient censées nous permettre de sortir de la crise des années soixante-dix.
Premier exemple, le groupe Lactalis, qui exploite quelques-unes des marques leaders de l’agro-alimentaire, notamment des produits frais, dans notre pays, vient d’annoncer qu’il a utilisé une part importante de son trésor de guerre, accumulé au détriment de ses salariés payés à bas prix et des coopératives laitières auxquelles ils imposent le prix de la matière première, pour réaliser une OPA sur le groupe italien Parmalat.
Autre exemple, l’entreprise Renault, à peine remise de la rocambolesque affaire d'espionnage industriel qui ne semble avoir été qu'une machination interne à l'encontre de quelques cadres, vient d'annoncer son intention de développer ses activités de recherche et développement à l'étranger, notamment en Roumanie. Depuis quelques très anciens accords qu’elle avait passés avec le régime de Ceausescu, elle est fortement implantée dans ce pays, où elle fait construire une large part des véhicules qu’elle réimporte ensuite en France pour les vendre sous la marque Dacia.
Mes chers collègues, la démonstration est ainsi faite qu'il est urgent de ne rien changer, conformément aux conclusions du rapport de notre collègue Philippe Dominati.
La réalité, c’est que la France, bien qu’elle ait l'impôt sur les sociétés le moins rentable de toute l'Union européenne, continue malgré tout de voir partir ses industries, cependant que ses industriels sont plus préoccupés par leurs parts de marché extérieur que par le développement de leur potentiel de production, de leurs capacités de recherche et de conception sur le territoire français.
Monsieur le président de la commission, les quelques entreprises, dont Renault fait d'ailleurs partie, qui tirent aujourd'hui profit du régime du bénéfice mondial consolidé n'ont pas besoin de telles dispositions fiscales pour s'en sortir au mieux. Ainsi, Renault dans le passé – j’ai souvent cité cet exemple – aurait pu éviter de placer au chômage technique certains de ses salariés si 1 % seulement des dividendes versés aux actionnaires avaient été consacrés au paiement des salaires ! Avec ou sans tous ces régimes de faveur, ces entreprises continueraient de procéder comme elles le font depuis trop longtemps.
Les chiffres l'attestent, le régime du bénéfice mondial consolidé ne semble pas se traduire dans notre pays par un effort particulier en direction des salaires, de l'emploi ou du développement des capacités d'innovation et de production. C’est pourquoi il est temps de mettre un terme à ce dispositif qui, en réalité, n'est qu'un cadeau fiscal sans objet et sans intérêt.
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Évitons la tentation du repli sur soi, ne dressons pas partout des barrières, des frontières, mais, au contraire, engageons ensemble un débat sur la mondialisation et ses enjeux.
Monsieur Foucaud, je l’ai dit, nous étions la semaine dernière aux Pays-Bas, non pas à Rotterdam, mais à La Haye.
Ne croyez-vous pas, puisque nous parlons de la mondialisation, que nous pourrions à cette occasion évoquer la question des ports et celle de leur fonctionnement ? Pensez-vous que l'attitude de certains syndicats portuaires français soit bénéfique pour notre pays et facilite la création des emplois que vous appelez de vos vœux ?
Aussi, j’invite un certain nombre de personnes à se remettre fondamentalement en cause et à délaisser les considérations tribunitiennes. C'est ainsi que l'on redonnera confiance et espoir.
M. Jean Desessard. Et les salaires des patrons ? Ils ont augmenté de 24 % !
M. Thierry Foucaud. Madame la présidente, je demande la parole pour répondre à M. le président de la commission.
Mme la présidente. Mon cher collègue, je ne peux vous la donner, car vous n'avez pas été mis en cause personnellement, et je souhaite que nous avancions. (M. Thierry Foucaud proteste.)
Je mets aux voix l'article 1er.
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable et que l'avis du Gouvernement est également défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 198 :
Nombre de votants | 338 |
Nombre de suffrages exprimés | 337 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 169 |
Pour l’adoption | 150 |
Contre | 181 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Article 2
Pour le recouvrement de l’impôt sur les sociétés au titre d’un exercice fiscal donné, toute société est tenue d’acquitter un impôt au moins égal à la moitié du montant normalement exigible résultant de l’application du taux normal, prévu au deuxième alinéa du I de l’article 219 du code général des impôts, à l’assiette de son bénéfice imposable.
Mme la présidente. La parole est à M. François Marc, sur l’article.
M. François Marc. Cet article est particulièrement important, puisqu'il « pèse », d'après nos calculs, 10 milliards d'euros.
Certains ont parlé d’une proposition de loi théorique et technocratique. Je réfute ces qualificatifs. Au contraire, notre texte se veut pragmatique : il s’agit pour nous d'aider le Gouvernement dans son effort d'assainissement des finances publiques en lui permettant d’engranger 10 milliards d'euros de recettes supplémentaires.
Monsieur le ministre, au moins, vous ne reprocherez pas à l'opposition de ne pas être aux petits soins avec vos soucis du quotidien ! (Sourires.)
M. François Marc. L’examen de cette proposition de loi nous donne l’occasion de débattre sur le fond d’un certain nombre de questions économiques et budgétaires. À cet égard, j'observe que le bien-fondé de notre démarche ne suscite pas véritablement de contestation, et je m’en réjouis. Tout le monde a bien conscience que le dossier des niches fiscales doit évoluer.
Notre intention n’est pas d’accroître l’impôt ; nous voulons simplement que la fiscalité en vigueur s'applique équitablement à tous les contribuables, conformément aux exigences de notre modèle républicain.
Monsieur le ministre, ni vous ni personne d’autre dans cette enceinte n’a répondu à la question que nous posons : alors que le taux légal de l'impôt sur les sociétés est de 33 % en France, que les PME sont taxées à 22 %, pourquoi les grandes entreprises du CAC 40 ne paient-elles que 8 % ? Je regrette qu’aucune réponse n’ait été apportée à cette question fondamentale.
Enfin, j’ai bien noté qu’une étude sur les niches fiscales serait remise au Parlement au mois de juin. Certes, le dossier avance, mais Mme Lagarde nous a annoncé qu’un délai de deux à trois ans serait nécessaire après la remise de ce rapport pour que soit engagée une réforme de ces niches fiscales. Ne fera-t-on rien entre-temps ? Nous ne sommes pas d'accord avec cette analyse et c'est pourquoi nous estimons que notre proposition de loi a tout son sens.
En réalité, le blocage essentiel est d'ordre idéologique. (M. le président de la commission des finances le conteste.) Les arguments qui nous sont aujourd'hui opposés sont ceux qu’on entend depuis 2002 et qui ont encore été réitérés par Mme Lagarde pas plus tard qu’hier. Ils consistent à dire que la baisse des impôts des particuliers comme ceux des entreprises permettrait de relancer notre économie, de créer des emplois et de faciliter l'investissement. Je me souviens de Francis Mer développant ces arguments ici même en 2002.
Or on a bien vu à quoi mènent les baisses d’impôts : pour les particuliers, elles ont créé tant d’injustices depuis plusieurs années que même la droite s'emploie à les corriger ; pour les entreprises, force est de constater le caractère injuste et les redoutables effets pervers du dispositif du bénéfice mondial consolidé.
Pour l’ensemble de ces raisons, le Sénat serait bien inspiré de voter l’article 2 et, plus largement, cette proposition de loi, qui ne suscite visiblement aucune opposition, dont le bien-fondé est reconnu, qui ne pénalise pas la France dans le concert international et grâce auquel l'État pourrait encaisser 10 milliards d'euros de recettes supplémentaires.
Mme la présidente. La parole est à M. François Rebsamen, sur l’article.
M. François Rebsamen. M. le président de la commission, qui se pose toujours la question des recettes, est très attaché, à juste raison, à l'équilibre budgétaire. Cependant, il ne répond pas fondamentalement à cette question : pourquoi les entreprises du CAC 40 ne paient-elles en moyenne que 8 % d'impôt sur les sociétés ? Voilà la question de fond !
Mme Christine Lagarde, au Sénat, en mars 2010, s’étonnait de l’écart entre le taux d’imposition facial des entreprises de 33,3 % et le taux réel de 22 % en moyenne s’appliquant aux PME. Quant à nous, nous nous étonnons de l’écart entre 33,3 % et 8 % !
Bien sûr, il faut que nous ayons des grandes entreprises et qu’elles réalisent des bénéfices ! Mais il faut qu’elles les investissent, comme nous le proposons avec le bonus-malus, plutôt que de distribuer des dividendes. D’ailleurs, ces derniers devraient être réintégrés dans l’impôt sur les sociétés, selon la proposition de l’un de nos collègues, ce qui permettrait de limiter la distribution indue de dividendes retardés. Vous savez très bien de quoi il s’agit.
Pourquoi refuser cette proposition de loi dont le bien-fondé est reconnu ? Vu l’ampleur du déficit budgétaire, on aurait tort de se priver de 10 milliards d’euros de recettes supplémentaires !
On nous promet tous les ans une étude, et ce depuis plusieurs années. Voilà trois ans, dans cette même enceinte, M. Éric Woerth m’avait donné raison et avait annoncé une étude, m’assurant que la question serait réexaminée à l’occasion de la discussion budgétaire.
Nous essayons donc de vous convaincre, ce qui est bien normal dans le débat démocratique. Il nous reste deux articles pour y parvenir… (Sourires.)
L’article 2 dont nous débattons est particulièrement important, puisque c’est celui qui permettrait, s’il était adopté, d’engranger 10 milliards d’euros.
C’est pourquoi j’incite tous mes collègues à le voter et, à travers lui, à voter cette proposition de loi fort intelligente déposée par M. François Marc.
M. Daniel Raoul. Très bien ! Voilà qui est limpide !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Desessard, sur l'article.
M. Jean Desessard. Monsieur le président de la commission, permettez-moi de faire une remarque sur vos propos concernant le port de Marseille et la mondialisation.
Le raisonnement que vous tenez n’est pas nouveau. De tout temps, bien avant la mondialisation, on a dit aux ouvriers : « Calmez-vous ! Travaillez pour être compétitifs ! Travaillez ! ». On utilisait déjà cet argument dans la compétition entre les régions. Depuis toujours, le patronat a incité les ouvriers à modérer leurs revendications concernant les salaires et les conditions de travail.
La mondialisation pose la question non pas de la disparition des syndicats, mais de la présence de ces derniers dans le monde. Il faut veiller aux conditions de travail et aux salaires en Chine, en Inde, dans l’ensemble des pays. La mondialisation doit respecter les salariés. C’est un problème clairement idéologique.
N’y a-t-il pas un rapport d’ailleurs entre le volet social et le volet économique ? Force est de constater que l’augmentation du nombre de jours de grève a correspondu à une période florissante pour l’économie française ! Cela relativise tout le discours tenu sur les syndicats et la remise en cause des luttes des travailleurs.
M. François Rebsamen. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Dominati, rapporteur. Les trois articles de la proposition de loi peuvent sembler se prêter à des débats sur une stratégie d’ensemble concernant la fiscalité des sociétés.
L’article 2 est l’article pivot. Il laisse penser que les PME françaises sont défavorisées par rapport aux grandes sociétés. En réalité, dans la vie des affaires, le développement d’une entreprise, d’une PME qui devient moyenne ou grande société internationale, repose sur l’internationalisation et la mondialisation. À l’évidence, plus la société fait de chiffre d’affaires à l’étranger, plus le taux de fiscalité dont elle bénéficie est faible.
Ce débat a permis de dresser un constat commun, qui n’a pas été contesté par les auteurs de la proposition de loi : ils ont admis que nous avions le taux de fiscalité le plus élevé.
Mme Nicole Bricq. J’y reviendrai !
M. Philippe Dominati, rapporteur. Le rapport de la commission, qui est modéré, souligne que la France pratique actuellement un taux d’impôt sur les sociétés extrêmement élevé, ce que, je le répète, personne n’a contesté.
Plus une société se développe à l’international, plus elle trouve à l’étranger des taux d’imposition favorables à son développement, ce qui entraîne une baisse automatique du taux global d’imposition auquel elle est assujettie. Lorsque ses activités en France ne représentent plus que 15 % de son chiffre d’affaires, quelle que soit sa taille, le taux global d’imposition baisse mécaniquement. Comme les sociétés les plus fortes à la mondialisation, avec des représentations dans cinquante ou soixante filiales, se trouvent au CAC 40, il existe une différence inévitable entre ces sociétés et les autres sur le plan de la concurrence.
J’aurais été sensible à une proposition de votre part en faveur d’un système inverse visant à abaisser la fiscalité avec une conception plus libérale et orientée vers la compétitivité.
En réalité, contrairement à ce que vous dites, vous voulez multiplier par deux l’imposition des sociétés concernées, sous prétexte de cibler des symboles comme le CAC 40 et les dividendes importants. S’il y a trop de difficultés à l’exportation, tant pis !
Or, on le voit, notre commerce extérieur rencontre certaines difficultés et ce sont ces sociétés du CAC 40 qui sont concernées. Vous, vous voulez multiplier leur charge fiscale. Certes, la fiscalité n’est qu’un élément dans l’ensemble de l’attractivité d’une société, mais la compétitivité est un aspect essentiel.
Monsieur Foucaud, vous constatez que les activités de recherche et développement partent dans un autre pays. Mais, vous en avez conscience, l’entreprise Renault ne peut pas vivre uniquement de son marché national (M. Thierry Foucaud proteste.). Elle exporte des produits finis.
M. Thierry Foucaud. Il y en a de moins en moins en France !
M. Philippe Dominati, rapporteur. Avec la seule part qu’elle détient sur le marché national, Renault n’est absolument pas viable. Il en est de même de n’importe quel autre constructeur automobile.
Plus la société est compétitive dans la mondialisation, plus elle a une chance de prospérer. Cette compétitivité se retrouve automatiquement au regard de l’impôt sur les sociétés.
Si certains dispositifs prévoyaient de faire un effort en direction des PME qui exportent, mon point de vue serait différent, car l’approche ne serait pas budgétaire.
Je l’ai dit, l’existence des niches fiscales ne se justifie que parce que nous avons un taux facial extrêmement élevé et peu compétitif. Si nous réduisons les niches, je suis d’accord pour trouver une assiette plus large et un taux plus faible, à l’instar de nos concurrents et de nos deux principaux partenaires européens.
M. Philippe Dominati, rapporteur. Il n’y a pas les PME d’un côté et les grandes entreprises de l’autre. Les sociétés qui peuvent exporter, qui sont puissantes, grandes et dotées de moyens, jouent sur la fiscalisation et sur toutes les niches fiscales occasionnées pour l’attractivité, comme le crédit d’impôt recherche. En résumé, plus on va vers l’export, moins on paie d’impôts ; c’est automatique.
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Monsieur Desessard, ne vous méprenez pas. Mon rêve est que les relations sociales soient fécondes et compréhensives, tout comme dans les pays proches du nôtre.
Je pense notamment aux Danois qui, en 1987, ont supprimé les charges sociales et augmenté la TVA. Ils ont trouvé un consensus social : ils ont obtenu la croissance, le plein-emploi et l’équilibre budgétaire. L’affrontement n’est pas obligatoire !
M. René-Pierre Signé. Il faut que tout le monde paie !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. S’agissant des ports français, le problème est réel, et je compte beaucoup sur Thierry Foucaud pour être mon avocat auprès des intéressés ! (Sourires.)
J’ai beaucoup d’estime pour François Rebsamen, mais il me fait penser à Laurent Fabius (Ah ! sur les travées du groupe socialiste.) parlant de la TVA sociale au soir du premier tour des élections législatives.
M. René-Pierre Signé. C’est un compliment !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Je ne sais pas si c’est un compliment ! À mes yeux, cette façon de faire de la politique égare nos concitoyens.
Le taux de 8 % ne veut rien dire ! On peut avoir une assiette imposable en France s’il y a des bénéfices. Mais les entreprises du CAC 40 qui fait notre fierté, réalisent leurs affaires hors de France maintenant ! Avons-nous conscience de cela ?
M. Thierry Foucaud. Et qu’est-ce qu’on fait en France ?
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Ce sont les PME qui restent chez nous, qui sont enracinées sur notre territoire.
Si le taux de 8 % est la conséquence de l’optimisation d’un crédit d’impôt recherche, je veux bien qu’on revoie cela. Mais, monsieur Rebsamen, pour l’essentiel, un certain nombre de sociétés enregistrent des pertes en France et réalisent leurs bénéfices ailleurs, ce qui fait que l’impôt qu’elles payent en France peut être nul.
M. René-Pierre Signé. Et l’investissement ?
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. La proposition de résolution, déposée notamment par notre collègue ancien ministre et député, Christian Estrosi, citant une publication – source Journal du dimanche du 19 décembre 2010 –, indique ce que les sociétés du CAC 40 paient en France et à l’étranger.
Essayons d’instruire cette question avec objectivité. N’accréditons pas l’idée selon laquelle les sociétés qui sont grandes paient peu d’impôt et les petites sont taxées à 22 % ! Cela n’a pas de sens !
M. François Marc. Mais c’est la réalité !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Ne tenons pas de tels propos ; faisons œuvre utile et soyons un minimum pédagogues.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 2.
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.
Je rappelle que l'avis de la commission est défavorable, de même que l’avis du Gouvernement.
Mes chers collègues, je vous propose, avec l’accord des auteurs de la proposition de loi et du rapporteur, de ne pas procéder au scrutin public et de considérer que le Sénat émet sur l’article 2 le même vote qu’à l’article 1er.
Il n’y a pas d’opposition ?...
L’article 2 n’est pas adopté.
Article 3
Avant le a. du I de l’article 219 du code général des impôts, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« aa. Les taux fixés au présent article sont diminués d’un dixième lorsqu’une fraction du bénéfice imposable au moins égale à 60 % est mise en réserve ou incorporée au capital au sens de l’article 109, à l’exclusion des sommes visées au 6° de l’article 112. Ils sont majorés d’un dixième lorsqu’une fraction du bénéfice imposable inférieure à 40 % est ainsi affectée. »
Mme la présidente. Mes chers collègues, je vous rappelle que si l’article 3 est rejeté, il n’y aura pas lieu de voter sur l’ensemble de la proposition de loi dans la mesure où les trois articles qui la composent auront été rejetés. Par conséquent, si certains d’entre vous souhaitent prendre la parole, c’est pour eux la dernière occasion de le faire.
La parole est à Mme Nicole Bricq, pour explication de vote.
Mme Nicole Bricq. L’article 3 concerne le mécanisme qui vise à favoriser l’investissement.
Monsieur le ministre, vous avez souligné que cette disposition figurait dans le projet socialiste. Puisque vous êtes chargé des relations avec le Parlement, je vous fais remarquer que le groupe socialiste au Sénat dépose régulièrement et depuis plusieurs années un amendement sur ce sujet lors de l’examen du projet de loi de finances. On peut se féliciter que l’élaboration du projet socialiste reprenne cette proposition.
Monsieur Foucaud, vous avez fait référence à la baisse de l’impôt sur les sociétés du temps où la gauche était aux responsabilités. Ce type de mécanisme avait été utilisé précisément pour favoriser l’investissement. À l’époque, nous avions baissé le taux de l’impôt sur les sociétés pour les entreprises qui faisaient un effort d’investissement.
Monsieur le ministre, vous ne donnez aucune réponse aux questions que nous avons posées. Je peux le comprendre puisque nous représentons l’opposition et que nous sommes à un an des élections présidentielles. En revanche, vous ne répondez pas davantage à la centaine de députés de votre majorité qui ont déposé, à peu près dans les mêmes termes que notre proposition de loi, une proposition de résolution à l’Assemblée nationale.
Les sujets que nous abordons traversent donc tous les groupes politiques, vous ne pouvez l’ignorer.
Vous avez utilisé, les uns et les autres, deux arguments et Mlle Sophie Joissains, a repris, au nom du groupe UMP, cette antienne. Il s’agit de la compétitivité et de la concurrence.
Je reviens sur la question de la compétitivité. Vous n’avez pas démontré, lors du débat sur l’article 1er, plus particulièrement sur le bénéfice mondial consolidé qui constitue à nos yeux une niche fiscale octroyée depuis de nombreuses années à quatre ou cinq entreprises du CAC 40, comment cet avantage fiscal encourageait la compétitivité.
J’en viens à la question de la concurrence. Monsieur le président de la commission, personne, ici, ne veut attaquer nos champions nationaux. Plutôt que de faire l’éloge du CAC 40, j’aurais préféré que vous posiez le problème d’une manière plus globale, comme vous en avez l’habitude, et que vous évoquiez l’ensemble des coûts qui pèsent sur les facteurs de production.
Or plus les charges qui pèsent sur les coûts de production sont fortes, plus le rendement de l’impôt sur les sociétés est faible. Ce simple constat aurait pu déboucher sur un débat fécond et intéressant, mais ce n’est pas celui que vous avez fait.
À la demande du Président de la République, la Cour des comptes a réalisé un rapport sur la convergence franco-allemande. Nous étions d’ailleurs en déplacement à Berlin voilà une quinzaine de jours.
Dans les systèmes allemand et français, les taux d’imposition sont à peu près équivalents. Cependant, la fiscalité ne permet pas de régler tous les problèmes, même si elle dégage des marges de manœuvre. En revanche, il y a une différence considérable entre les deux systèmes : en Allemagne, on soutient les PME dans leur effort de compétitivité à l’international, ce qui n’est pas le cas en France.
M. François Rebsamen. Absolument !
Mme Nicole Bricq. Monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, vous connaissez très bien, vous qui faites l’éloge du CAC 40, la manière dont certaines entreprises agissent avec leurs sous-traitants implantés sur le sol national. On peut s’interroger sur les vertus de ces entreprises à encourager les PME qui dépendent de donneurs d’ordre. Tous les éléments doivent être pris en compte.
Monsieur le président de la commission, vous avez évoqué les prix de transfert. Il s’agit, vous avez raison, d’un véritable sujet de discussion. Je ferai toutefois une observation. Lors de la discussion du projet de loi de régulation bancaire et financière, le groupe socialiste, dans un souci de visibilité, a défendu un amendement dont l’objet était d’obliger les entreprises à afficher leurs comptes. Or, cet amendement, vous ne l’avez pas voté. Il faudra donc revenir sur ce sujet.
Enfin, monsieur le ministre, vous avez évoqué, toujours à propos de la concurrence et de la compétitivité, le cas de l’Irlande, auquel le rapporteur général de la commission des finances est sensible. Partout où il passe, il fustige le faible taux d’imposition irlandais de 12 % à peine.
Mme la présidente. Veuillez conclure, ma chère collègue.
Mme Nicole Bricq. Il y a une différence entre l’Irlande et la France. Le nouveau Premier ministre irlandais le sait et il s’en sert lorsqu’il déclare que, finalement, les entreprises paient plus d’impôts dans son pays qu’en France compte tenu du mitage de l’impôt sur les sociétés dans notre pays.
M. François Rebsamen. Eh oui !
Mme Nicole Bricq. C’est un argument dont il vous faudra tenir compte dans les négociations européennes. Aujourd’hui, nous sommes mal placés pour négocier dans de bonnes conditions le projet de directive qui est en cours d’examen à la Commission européenne, car nous sommes affaiblis par le mitage de l’impôt sur les sociétés.
Le groupe socialiste, et c’est l’objet de cette proposition de loi, propose d’en finir avec tout cela. Nous aurons l’occasion de revenir sur ce sujet qui, croyez-moi, nourrira le débat de 2012.
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Madame Bricq, je n’ai pas fait l’apologie du CAC 40. Comme j’ai eu l’occasion de l’écrire et de l’exprimer publiquement à plusieurs reprises, le CAC 40 est parfois un accélérateur de délocalisations, tant il fait pression sur les sous-traitants, les fournisseurs. Globalement, le CAC 40 supprime plutôt de l’emploi, directement et indirectement au travers de la sous-traitance.
Dans le CAC 40, il y a des entreprises comme Renault. La question est de savoir pourquoi on délocalise aussi massivement. J’espère que nous pourrons engager un débat sur le sujet, mais que nous le ferons dans des conditions sereines qui nous permettront d’engager les réformes nécessaires. En tout état de cause, taxer la production, c’est organiser méthodiquement le transfert d’activités hors du territoire national.
M. François Rebsamen. C’est simpliste !
Mme Nicole Bricq. Les entreprises étrangères vendent sur leur propre marché !
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Dominati, rapporteur. Je ne me suis pas exprimé sur l’article 1er, mais veux vous dire, madame Bricq, que le mécanisme du bénéfice mondial consolidé, qui existe depuis 1965, tombe en désuétude.
Mme Nicole Bricq. Son coût est tout de même de 400 millions d’euros ; c’est cher par les temps qui courent !
M. Philippe Dominati, rapporteur. J’ai regardé quelles étaient les entreprises qui en profitaient, afin de m’assurer qu’il n’apportait pas un avantage indu.
Force est de constater qu’un petit nombre seulement sont intéressées, la plupart des sociétés compétitives jugeant ce mécanisme sectoriel trop complexe. Lorsqu’on a voulu l’étendre aux PME voilà trois ans, la tentative est restée sans suite. Comme le montrent les débats parlementaires, les gouvernements n’y ont recours que dans des conjonctures bien particulières.
Mme Nicole Bricq. Dans ces conditions, supprimez-le !
M. Philippe Dominati, rapporteur. À partir du moment où ce mécanisme est appelé à mourir de sa belle mort à l’échéance des conventions qui sont en cours et sachant que le pouvoir politique peut garder la faculté d’y recourir soit pour remédier à un problème sectoriel dans une branche d’activité, soit pour préserver des emplois, il n’y a pas de raison d’envisager sa suppression sans en avoir évalué les conséquences dans un audit préalable.
Tout dépendra de l’intérêt qu’il présente pour le sauvetage de telle industrie ou tel bassin d’emplois. Il se peut qu’un ministre décide, dans une conjoncture particulière, de renouveler une convention de cinq ans.
M. Daniel Raoul. Depuis quand un ministre le décide-t-il ?
M. Philippe Dominati, rapporteur. Dans le cas contraire, il disparaîtra.
J’en viens à l’article 3 proprement dit. Les entreprises qui « marchent » sont celles où les salariés sont intéressés à la création de richesses. Cet intéressement se traduit soit par le versement d’une prime s’ajoutant au salaire, soit par la participation.
Comme l’a souligné le président de la commission des finances, il est risqué de toucher aux dividendes. Je connais une entreprise dont la filiale française a perdu 120 millions d’euros en deux ans. Cette entreprise appartient à un groupe de taille mondiale qui gagne de l’argent à l’étranger. Comment fait-on, dans ce cas, pour répartir les dividendes ? Que se passe-t-il lorsqu’une entreprise ne verse pas de dividendes à ses actionnaires pendant trois ans ? Que se passe-t-il en cas de versement d’un dividende exceptionnel ? La participation et l’intéressement doivent donc se cantonner a priori sur la rémunération et le salaire. Toucher aux dividendes est selon moi très délicat. Mais je suis persuadé que nous reviendrons sur ce sujet dans quelque temps.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.
M. Jean Desessard. Madame la présidente, dans la mesure où je pressens que l’article 3 ne sera pas adopté, je souhaite expliquer mon vote sur l’ensemble de la proposition de loi.
C’est la crise… Les salariés sont affectés par le chômage et la hausse des prix, les petites entreprises pâtissent de l’atonie de l’économie et l’État connaît une situation budgétaire dramatique. Pour autant, l’année 2010 n’a pas été morose pour tout le monde. Les entreprises du CAC 40 affichent un bénéfice cumulé de 82,5 milliards d’euros, proche du record historique de 2007.
On pourrait donc imaginer que ces grandes banques et industries ont à cœur de participer à l’effort national par une contribution à la hauteur de leur prospérité. Quelle naïveté ! Le Conseil des prélèvements obligatoires relève qu’elles sont imposées à hauteur de 8 % ! Total, que l’on a évoqué à maintes reprises au cours de cette discussion, ne ferait, nous dit-on, aucun bénéfice en France : cela demande à être vérifié ! Total, première entreprise française, qui a réalisé 10 milliards d’euros de profits en 2010 grâce à la hausse du prix du brut, ne paie pas un euro d’impôt sur les sociétés en France !
M. Roland Courteau. C’est bizarre !
M. Jean Desessard. Dans le même temps, on ne cesse d’entendre le patronat se lamenter de la pression fiscale française... Où est l’erreur ?
La présente proposition de loi, très modérée, vise à réintroduire dans la fiscalité un grain de bon sens. Elle permet simplement de rétablir un peu de justice et de réalisme dans la répartition de la richesse nationale, en obligeant les très grands groupes à ne pas payer moins d’impôt que les PME et en incitant les entreprises à investir plutôt qu’à rémunérer trop généreusement les actionnaires.
Comment peut-on sérieusement s’y opposer dans le contexte social actuel ? Considère-t-on que Total, qui fleurit sur la crise environnementale, que la BNP, qui spécule dans les paradis fiscaux, ou que France Télécom, qui harcèle son personnel, méritent véritablement de payer en France moins d’impôts qu’un artisan ?
Tout cela est si peu raisonnable que les dirigeants de la majorité eux-mêmes en conviennent publiquement : « Je veux que les entreprises qui investissent et qui créent des emplois paient moins d’impôts sur les bénéfices que celles qui désinvestissent et qui délocalisent. » C’est ainsi que Nicolas Sarkozy s’adressait à la « France qui souffre », en 2006.
M. Roland Courteau. Il y a bien longtemps !
M. Jean Desessard. « Je ne trouve pas très sain qu’il y ait un tel écart entre le taux facial d’imposition sur les bénéfices et le taux réel. » déclarait Mme Lagarde au journal Les Echos, au mois de mars 2010. M. Baroin, enfin, évoquait fort astucieusement, en décembre dernier, un « impôt de chagrin ».
Pourquoi la majorité d’aujourd’hui ne veut-elle pas mettre en œuvre les propositions de campagne de M. Sarkozy ?
M. Roland Courteau. Bonne question !
M. Jean Desessard. Pourquoi nous faudrait-il nous résigner à guetter pendant deux ou trois ans l’hypothétique toilettage des niches fiscales, évasivement promis par Mme Lagarde, plutôt que d’agir maintenant ?
La réponse est à chercher dans l’archaïsme du discours idéologique de la droite libérale, laquelle n’a jamais admis sa responsabilité intellectuelle dans la crise financière qui a secoué le monde et se trouve aujourd’hui engoncée dans une posture en complet décalage avec la réalité.
M. Jacky Le Menn. C’est exact !
M. Jean Desessard. Dans les couloirs, pourtant, certains parlementaires de la majorité considèrent que cette proposition de loi est pertinente et raisonnable. Mais la droite est aujourd’hui soumise à une chape de plomb idéologique et aux rodomontades d’un Président de la République aux abois, qui joue la fuite en avant avec des propositions mal étudiées et incohérentes, comme cette surprenante prime de 1 000 euros !
M. Roland Courteau. Très bien !
M. Jacky Le Menn. Voilà !
M. Jean Desessard. N’attendons pas, encore et toujours ! Plutôt que de repousser à demain ce que l’on peut faire le jour même, parce que la situation économique et sociale appelle davantage de responsabilité et de solidarité, les sénatrices et les sénateurs écologistes voteront pour cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme la présidente. La parole est à M. Thierry Foucaud, pour explication de vote.
M. Thierry Foucaud. La proposition de loi de nos collègues du groupe socialiste a le mérite de placer le débat fiscal sur un sujet peu abordé, que l’on aurait même pu penser tabou : la fiscalité des entreprises, en particulier le statut, l’assiette et les composantes de l’impôt sur les sociétés.
Ce débat a bien plus de sens que celui qui consiste à essayer de regagner le vote de 300 000 cadres et assimilés, en les dispensant de l’ISF auquel ils sont aujourd’hui soumis, tout en faisant un cadeau généreux à ceux qui y resteront assujettis.
Je ne m’étonne pas que ceux qui freinent des quatre fers dès qu’il est question d’apporter la moindre modification à l’impôt sur les sociétés soient également ceux qui prônent un allégement de l’ISF. Il s’agit là, nous le savons, de la priorité fiscale du moment de tous les Français ! (Sourires sur les travées du groupe CRC-SPG.)
Deux articles de cette proposition de loi ont été rejetés par la majorité – le troisième est en passe de l’être – au nom d’arguments ressassés et, pour tout dire, purement idéologiques.
Nous aurions pu en concevoir bien d’autres, tant est foisonnante la forêt impénétrable des mesures qui allègent aujourd’hui l’impôt sur les sociétés, depuis le crédit d’impôt recherche, qui, je le dis au passage, n’a rien réglé au problème de la recherche et développement dans notre pays, jusqu’au report en arrière des déficits en passant par les crédits d’impôt les plus divers et les plus étonnants.
Nous connaissons l’affaire : on dépense aujourd’hui deux fois plus à ne pas appliquer le taux de l’impôt sur les sociétés qu’à encaisser une recette fiscale pourtant nécessaire à l’équilibre des comptes publics. Si j’ajoute l’effet de la baisse du taux, je vous laisse imaginer la situation…
Que la majorité du Sénat ne s’en tienne pas pour quitte ! Le fait qu’elle repousse aujourd’hui cette proposition de loi ne clôt pas le débat sur la réforme fiscale, loin de là, et nous rappelle même qu’il devra porter aussi sur l’impôt sur les sociétés.
Mes chers collègues, ne comptons pas sur la seule taxe carbone, même rebaptisée « contribution climat-énergie », ou sur la « TVA éco-modulable » – je me demande d’ailleurs où est la différence – pour faire le compte du côté de la nécessaire réforme fiscale à entreprendre en 2012, pour poser les termes d’une véritable alternative aux pratiques qui ont cours depuis trop longtemps et se sont amplifiées au cours des dix dernières années.
Monsieur le rapporteur, si nous voulons réformer la fiscalité des entreprises, ce n’est nullement parce que nous n’aimons pas les entreprises ou que nous cherchons à rançonner le capital ! C’est simplement parce qu’il est normal que l’entreprise, lieu de création de richesse résultant du travail des salariés, soit aussi le lieu où l’on produit la matière fiscale, la base naturelle d’une contribution légitime, et ce à la charge de tous.
C’est avec le produit du travail de tous, par des cotisations sociales, par la fiscalité locale, par une juste imposition des résultats que nous pouvons et que nous devons concevoir l’alternative, la réponse la plus adaptée aux besoins collectifs, quels que soient leur forme, leur coût apparent ou leur réalité.
Rendre plus efficace et plus rentable l’impôt sur les sociétés est donc légitime de ce point de vue, comme était légitime que nous proposions, au mois de mars dernier, un accroissement du rendement de la fiscalité locale, notamment de la contribution économique territoriale des entreprises. Nous avions alors proposé, vous vous en souvenez, d’impliquer les actifs financiers des entreprises dans cet effort sans que cela rencontre pour l’heure le soutien de notre assemblée, notamment – pardonnez-moi, mes chers collègues ! – du groupe socialiste.
Il n’est pourtant pas certain que l’idée ne fasse pas son chemin dans l’esprit des élus locaux, qui sont toujours aux prises avec la réforme de la taxe professionnelle dont ils se rendent de plus en plus compte qu’elle les prive et les privera de ressources.
Toujours est-il, mes chers collègues, que la proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui va dans le bon sens ; c’est pourquoi nous la voterons. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Patrick Ollier, ministre. Je ne voudrais pas allonger les débats… (M. René-Pierre Signé s’exclame.) Monsieur le sénateur, en m’empêchant de parler, c’est vous qui faites traîner la discussion !
Madame Bricq, vous avez dit à deux reprises que je n’avais pas répondu aux questions. J’ai pourtant répondu à M. Rebsamen et à M. Marc, en précisant, sur le point concernant le CAC 40 et les 8 %, que c’était une question de méthode de calcul, comme M. Arthuis l’a fait, d’une manière d’ailleurs beaucoup plus technique que moi. Je ne reviendrai donc pas sur ce point.
Sur l’impôt minimum, ma démonstration a été, je le crois, tout à fait probante, même si vous n’avez pas voulu l’entendre.
En ce qui concerne l’article 3, vous n’en avez pas trop parlé (Mme Nicole Bricq s’exclame), mais là encore, j’ai répondu par anticipation. M. le rapporteur a des idées sur la question des dividendes, dont nous débattrons dans cet hémicycle le moment venu.
S’agissant de l’évolution du système fiscal, je vous rappellerai, vous l’avez d’ailleurs reconnu, qu’un rapport sur les niches fiscales sera remis à la fin du mois de juin. Le BMC sera évalué à cette occasion. Je vous propose d’attendre cette évaluation, qui nous permettra de disposer de données beaucoup plus précises, notamment sur des méthodes de calcul, afin que le débat prospère.
Monsieur Marc, je vous remercie d’avoir permis, avec vos collègues, l’ouverture de cette discussion.
Mme Nicole Bricq. Heureusement que nous étions là !
M. Patrick Ollier, ministre. Je n’ai pas retenu les arguments que vous avez évoqués lors de vos interventions en explication de vote.
M. Roland Courteau. Ils étaient pourtant bons !
M. Patrick Ollier, ministre. Je les trouve un peu caricaturaux ! (Non ! sur les travées du groupe socialiste.)
M. Roland Courteau. C’est injurieux !
M. Patrick Ollier, ministre. La caricature n’est pas injurieuse si l’on a l’art de bien tenir son crayon !
Je tiens à remercier également M. le président de la commission des finances d’avoir éclairé fort judicieusement les débats, grâce à ses arguments très précis, ainsi que M. le rapporteur, qui a fait une démonstration brillante sur la fiscalité des entreprises. Nous nous y reporterons lorsque le débat reprendra.
Je remercie Mme Joissains et les membres de la majorité d’avoir soutenu le Gouvernement afin que cette proposition de loi ne puisse pas être adoptée aujourd’hui.
Enfin, je veux vous remercier, madame la présidente, de la manière dont vous avez présidé ces débats. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 3.
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant de l’UMP.
Je rappelle que l’avis de la commission est défavorable, de même que l’avis du Gouvernement.
Mes chers collègues, je vous propose de considérer, dans les mêmes conditions qu’à l’article 2, que la Haute Assemblée émet, sur l’article 3, le même vote qu’aux articles précédents.
Il n’y a pas d’opposition ?...
L’article 3 n’est pas adopté.
Les trois articles de la proposition de loi ayant successivement été repoussés, la proposition de loi est rejetée.
Mme Nicole Bricq. Nous y reviendrons !
M. Jean Desessard. Le moment venu !
3
Journée nationale de la laïcité
Discussion d'une proposition de résolution
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle l’examen, à la demande du groupe socialiste, de la proposition de résolution instituant une « journée nationale de la laïcité », présentée, en application de l’article 34-1 de la Constitution, par M. Claude Domeizel et les membres du groupe socialiste et apparentés (proposition n° 269).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Claude Domeizel, auteur de la proposition de résolution.
M. Claude Domeizel, auteur de la proposition de résolution. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ai l’honneur de vous présenter une proposition de résolution visant à instaurer une journée nationale de la laïcité.
Le texte de cette résolution se suffit à lui-même, mais il paraît utile de faire quelques rappels sur l’historique de la laïcité, et de motiver plus amplement cette proposition.
Quand j’ai déposé ce texte, convaincu de son bien-fondé, je ne savais pas, monsieur le ministre, qu’il allait autant coller à l’actualité et faire suite à un débat politique lourdement contesté qui s’est déroulé au début du mois d’avril.
M. Roland Courteau. Ah oui !
M. Claude Domeizel, auteur de la proposition de résolution. Cet épisode est regrettable, car la laïcité n’a pas à être débattue ; elle se vit et s’applique en tant que principe fondateur et consubstantiel à la République.
MM. Roland Courteau et René-Pierre Signé. Très bien !
M. Claude Domeizel, auteur de la proposition de résolution. Ma volonté, aujourd’hui, vise simplement à rappeler que la France est un pays laïc.
Loin de moi l’intention de m’étendre sur une définition du mot « laïcité », que l’on a parfois tendance à confondre avec l’œcuménisme qui tend à unir toutes les églises, l’athéisme qui nie l’existence de toute divinité, ou l’agnosticisme qui considère que la connaissance du sens de l’existence est inaccessible à l’esprit humain.
La laïcité, j’y reviendrai, tolère tous ces concepts.
Mais ce doux mot, féminin, porteur de tolérance, peut aussi provoquer des attitudes violentes, extrémistes, voire nauséabondes.
Je choisis, pour expliquer la motivation de cette démarche, de faire un bref retour historique, car c’est dans l’histoire de la laïcité que l’on comprend mieux la nécessité de défendre aujourd’hui ses principes.
L’étymologie du mot « laïc », qui vient du substantif grec laos – le peuple –, signifie « populaire » ou « national ». Ce terme était utilisé dans les premières communautés chrétiennes pour désigner ceux qui ne faisaient pas partie de la communauté religieuse, les illettrés, le peuple.
Issue du siècle des Lumières, c’est à la Révolution française, en 1789, que la laïcité a acquis une véritable consistance par l’affirmation de principes universels, dont la liberté de conscience et l’égalité des droits exprimés par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
En 1801, ces principes furent remis totalement en cause lors du Concordat signé par Napoléon et le représentant du Pape Pie VII.
En 1850, le ministre de l’instruction publique, Alfred de Falloux, réorganisa le système d’enseignement pour le mettre sous la tutelle de l’église catholique, avec la tristement célèbre loi Falloux… Cela motiva une virulente protestation de Victor Hugo devant l’Assemblée législative en ces termes : « J’entends maintenir, quant à moi, et au besoin faire plus profonde que jamais, cette antique et salutaire séparation de l’Église et de l’État qui était l’utopie de nos pères, et cela dans l’intérêt de l’Église comme dans l’intérêt de l’État. [:..] Je ne veux pas qu’une chaire envahisse l’autre ; je ne veux pas mêler le prêtre au professeur. [...] Je veux l’enseignement de l’Église en dedans de l’église et non au dehors. [:..] En un mot, je veux, je le répète, ce que voulaient nos pères : l’Église chez elle et l’État chez lui. »
Ce long conflit entre les partisans d’une France monarchique, catholique et conservatrice, et les défenseurs d’une France laïque, républicaine et ancrée vers la gauche fut communément appelé la « guerre des deux France ».
Le terme de « laïcité » apparu pour la première fois sous la Commune de Paris, en 1871. Quelques décennies plus tard, s’ensuivirent l’affaire Dreyfus, puis l’époque des hussards de l’école publique, qui se voulaient héritiers du siècle des Lumières, adeptes de la Raison. C’étaient des républicains, souvent libres-penseurs, francs-maçons ou protestants. Quelques grands noms de cette époque sont incontournables : Jules Ferry, Paul Bert, Ferdinand Buisson et René Goblet. Tous apportèrent leur pierre à la laïcisation de l’enseignement.
Enfin, la lutte entre anticléricaux et catholiques conservateurs vit son aboutissement avec la loi du 9 décembre 1905, adoptée dans la foulée de celle de 1901 sur les associations.
Cette loi du 9 décembre 1905, pilier des institutions, fut le résultat d’un long débat, d’une haute tenue philosophique, idéologique et juridique, qui se déroula du 31 mars au 3 juillet 1905. Il convient d’y ajouter le temps consacré à la préparation du projet de loi par une commission de trente-trois membres, présidée par Ferdinand Buisson, président de l’Association nationale des libres-penseurs de France.
Face à une tâche aussi délicate, cette commission a siégé plus de dix-huit mois, ce qui a fait dire à Jean Jaurès que ce document parlementaire détenait « le record de travail de la législature présente, de celles passées et peut-être de celles à venir... ». Cela ne s’est pas démenti !
Les débats, nécessairement longs, furent souvent tendus et houleux. Pouvait-il en être autrement ? Les guerres de religions et toutes leurs conséquences, au demeurant pas si lointaines, étaient ancrées dans beaucoup de mémoires.
Aristide Briand, député socialiste de la Loire, rapporteur du projet de loi, arriva, grâce à ses talents de conciliateur, à faire adopter un texte d’équilibre.
Ce texte pose le principe de la liberté de conscience et celui du libre exercice des cultes. Parallèlement, il affirme son intention de sécularisation, en confiant à l’État les biens confisqués à l’Église et en supprimant la rémunération du clergé par l’État.
L’essentiel est contenu dans l’article 1er de la loi : « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes sous les seules restrictions édictées ci-après dans l’intérêt de l’ordre public. »
Ce texte a su donner satisfaction à tous en consacrant la séparation entre sphère publique et sphère privée, en laissant à chacun la liberté de croire à une religion ou – c’est important de le rappeler aussi – de ne pas croire. Je pense aux athées et aux agnostiques, qui sont également attachés à la réaffirmation des principes de la laïcité.
En effet, la laïcité repose non pas sur la tolérance des différences, mais sur l’égalité des citoyens. Voilà pourquoi, comme le disait Jean Jaurès dès 1893, « démocratie et laïcité sont deux termes identiques ».
Cependant, si la laïcité, comme garante des valeurs républicaines « liberté, égalité, fraternité », a été élevée au rang de principe constitutionnel, force est malheureusement de constater qu’aujourd’hui elle est de plus en plus oubliée, voire bafouée. Alors que l’on pouvait penser acquis le caractère laïque de l’État français et que personne ne semblait plus remettre en cause les principes de laïcité et de séparation des églises et de l’État, découlant de la loi de 1905 et de la Constitution de 1958, des tentatives de remise en cause, de plus en plus distinctes, ont été observées. Face à ces tentatives, on peut regretter que, à la place d’un rappel clair du principe constitutionnel de laïcité, une certaine confusion ait été entretenue.
Nous avons tous en mémoire la violence, à certains moments, des querelles sur l’école, la difficile coexistence entre l’école publique et l’enseignement privé, essentiellement catholique.
Le principe de laïcité française ne devrait pas diviser ; il devrait au contraire rassembler les hommes d’opinions, de religions ou de convictions différentes dans une même société. Ciment de notre démocratie et du « vivre ensemble », il revêt la même importance que le triptyque « liberté, égalité, fraternité » qu’il complète.
C’est pourquoi cette idée, ou plus précisément cette valeur, socle de notre République, doit être aujourd’hui réaffirmée, en direction notamment des jeunes générations.
Comment mieux intégrer la notion de laïcité qu’en la faisant reine d’une journée par an, pour la faire vivre, l’enseigner, se l’approprier ?
Aujourd’hui, il se trouve que ce principe, que l’on pensait acquis, subit des manquements dangereux.
Comment ne pas comprendre le très profond attachement à la laïcité des membres d’associations qui ont mis ce concept au centre de leur réflexion, ou de ceux qui, en sorte d’héritage, gardent en mémoire le fossé qui a divisé, durant plusieurs décennies, catholiques et protestants, ou encore de ceux qui ont connu les pratiques encore en cours dans la première moitié du XXe siècle, notamment les difficultés pour célébrer les mariages mixtes ou les inhumations au fond des jardins, hors du cimetière communal où n’étaient pas admis les protestants ? Nos institutions peuvent-elles admettre la présence religieuse dans des manifestations officielles ou associatives ?
À l’inverse, la République française ne doit pas être présente en tant que telle dans les manifestations ou offices religieux. La très récente décision du Président de la République de demander au Premier ministre d’assister à la béatification du Pape est une entorse grave au principe de laïcité inscrit dès l’article 1er de notre Constitution.
M. Claude Bérit-Débat. Eh oui !
M. Roland Courteau. C’est vrai !
M. Claude Domeizel, auteur de la proposition de résolution. Quant à la justification exprimée par le porte-parole du Gouvernement, elle est tout autant inadmissible ! Non, monsieur le ministre, la France n’est pas la fille aînée de l’église, la France est une République laïque.
M. Roland Courteau. Très bien !
M. René-Pierre Signé. Il était temps de le dire !
M. Claude Domeizel, auteur de la proposition de résolution. Cela vaut également bien sûr pour le monde de l’éducation. Au summum de la gravité et du manquement à la laïcité, un lycée de mon département a connu récemment un exemple de prosélytisme anti-avortement de la part d’un enseignant.
Le temps me manque pour aborder le débat opportuniste sur les lieux où peuvent se pratiquer les offices religieux. Je préfère retenir que les citoyens, aux prises avec des problèmes sociaux parfois insurmontables, méritent un plus grand respect de la République ; alors, ils respecteront à leur tour la République.
La loi de 1905 doit-elle être modifiée ? Non.
En effet, véritable monument législatif, elle répond à tous les cas de figure. Je l’affirme d’autant plus volontiers que je suis viscéralement contre.
J’aurais pu vous livrer plusieurs citations sur ce sentiment largement partagé dans nos formations politiques et associations républicaines. Ne souhaitant pas être accusé de partialité, j’ai volontairement choisi de citer les propos tenus par Jean-Louis Debré, alors président de l’Assemblée nationale, à l’occasion du centenaire de la loi de 1905 : « Un siècle après son adoption, la loi de 1905 figure au nombre des grandes lois de la République, de notre République. Elle constitue une clé de voûte de notre modèle de laïcité. […] Elle représente aujourd’hui un point d’équilibre, et vouloir la remettre en cause serait irresponsable. »
Son adaptabilité à tous les temps est contenue dans l’intitulé même de la loi, au travers de l’emploi du pluriel « des églises », pluriel que le concept populaire néglige souvent, à tort, puisque l’on parle – Victor Hugo lui-même le disait – de « séparation de l’église et de l’État ». Nous considérons que cette loi contient des valeurs qui se proclament et ne se discutent pas.
Pour autant, pourquoi instaurer, m’a-t-on demandé, une journée de la laïcité ? Et certains d’ajouter : « encore une nouvelle journée ! »
Mais, mes chers collègues, n’est-ce pas un bel enjeu que de célébrer chaque année l’un des fondements de notre République, le 9 décembre, jour anniversaire de la loi concernant la séparation des églises et de l’État ? Ne peut-on y consacrer un petit jour par an, pour rappeler la laïcité, pour faciliter le « vivre ensemble » ?
Savez-vous que, à l’occasion du centenaire de la loi de 1905, un sondage a montré que plus de 80 % des jeunes enseignants étaient attachés à la laïcité. Ce constat rassurant m’a renforcé dans mes convictions.
Je salue et je remercie les membres de mon groupe qui m’ont suivi dans ma démarche depuis le dépôt de cette proposition de résolution. Par ailleurs, les nombreux soutiens, écrits et oraux, que j’ai reçus sont encourageants et me laissent espérer une large adhésion de nos concitoyens et – pourquoi pas ? – du Sénat.
Il s’agira donc de donner un peu plus d’oxygène à la laïcité pour ranimer la flamme de la liberté de conscience, permettre aux options spirituelles de s’affirmer sans être inquiétées et sans s’imposer. Non, il n’est pas inutile de réapprendre régulièrement aux citoyens de notre pays les règles élémentaires de la liberté de penser et du respect de l’autre. Un jour par an, ce principe de tolérance pourrait être fêté au sein des associations, conjugué dans les établissements scolaires.
Il convient de réaffirmer de façon claire ce principe humaniste, fondateur de notre société moderne. La laïcité est en effet une de nos chances pour l’avenir. Je ne doute pas une seconde de la créativité de nos concitoyens, enseignants, bénévoles d’associations et autres, pour animer cette journée de façon pédagogique, ludique et festive, dans la convivialité. Je fais confiance à l’imagination des animateurs de nos établissements d’enseignement, de nos institutions ou de nos associations, pour inspirer une exploration intelligente du concept de laïcité au travers, chaque année, d’un thème national : par exemple, « laïcité et enseignement », « les associations et la loi de 1905 », « laïcité de l’état civil » – c’est un sujet important –, « croyants et non-croyants ».
Pour finir, je soumets à votre réflexion un extrait d’un discours d’Aristide Briand, s’exprimant juste avant le vote de la loi : « permettez-moi de vous dire que la réalisation de cette réforme [...] aura pour effet désirable d’affranchir ce pays d’une véritable hantise, sous l’influence de laquelle il n’a que trop négligé tant d’autres questions importantes, […] Ces grands problèmes se poseront demain, dès qu’auront disparu des programmes les questions irritantes, qui comme celle-ci, passionnent les esprits jusqu’à la haine et gaspillent en discordes stériles les forces les plus vives et les enthousiasmes les plus généreux de la nation. […] Mais, pour qu’il en fût ainsi, […] il fallait que la loi se montrât respectueuse de toutes les croyances et leur laissât la faculté de s’exprimer librement. »
J’espère vous avoir convaincus, madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, que la laïcité, qui porte en elle la garantie d’une coexistence pacifique de tous les habitants de notre pays, qui peut – je le souligne – apaiser des peurs injustifiées, vaut bien que nous lui consacrions une journée par an pour la promouvoir et la défendre de toute agression.
Il se trouve, mes chers collègues, qu’un autre groupe politique, de la majorité, a déposé le même jour une proposition identique. C’est dire combien le thème de la présente proposition de résolution suscite le consensus.
Solennellement, le groupe socialiste vous engage, mes chers collègues, à soutenir cette proposition de résolution, par laquelle nous demandons que la République française instaure une journée nationale de la laïcité, garante de la cohésion républicaine, journée non fériée ni chômée, fixée au 9 décembre, et permettant chaque année de faire le point sur les différentes actions menées en la matière par les pouvoirs publics et d’être l’occasion de manifestations au sein du système associatif et éducatif. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. Monsieur le ministre, mes chers collègues, je vous informe que, devant suspendre nos travaux à treize heures, nous ne pourrons malheureusement achever l’examen de la présente proposition de résolution ce matin.
Dans la suite de la discussion, la parole est à Mme Roselle Cros.
Mme Roselle Cros. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la laïcité est l’un des principes fondamentaux de notre République. C’est une évidence que nous partageons avec les auteurs de la proposition de résolution qui nous est soumise.
Affirmée par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, elle a aujourd’hui valeur constitutionnelle. La loi du 9 décembre 1905 concernant la séparation des Églises et de l’État est l’un des textes républicains les plus fondateurs de notre législation. Notre collègue Claude Domeizel nous a fait un rappel historique complet et fort intéressant de la laïcité.
Cependant, mes chers collègues, depuis 1789 et même depuis 1905, les temps ont changé. Le contexte passionné et très conflictuel de l’époque est révolu. Nous n’en sommes plus à devoir batailler pour affirmer ou réaffirmer la séparation des églises et de l’État. Que les auteurs de la proposition de résolution le veuillent ou non, la laïcité est, fort heureusement, un acquis que nul ne veut vraiment remettre en cause.
Dans l’exposé des motifs, on nous explique de manière succincte, allusive et, il faut bien le dire, un peu mystérieuse que « des tentatives de remise en cause, de plus en plus distinctes, ont été observées ». C’est bien sur ce constat que nous divergeons : non, il n’y a pas, à nos yeux, de contestation sérieuse du principe de la laïcité.
Il est vrai que certains faits divers ont pu être montés en épingle par les médias, que certains débordements ont pu, au prix d’une certaine exagération, être interprétés comme des remises en cause, que des questions ont pu être soulevées à l’occasion de l’occupation d’espaces publics ou lors de discussions sur le respect de prescriptions alimentaires de nature religieuse dans les repas des cantines scolaires. Mais les polémiques sont retombées naturellement, sans devenir de réels enjeux nationaux, comme en témoigne la faible mobilisation qu’a suscitée le dernier débat organisé sur le thème de la laïcité.
Est-ce bien notre rôle de parlementaires que de raviver de vieilles querelles ?
M. Ladislas Poniatowski. Bonne question !
Mme Roselle Cros. Est-ce bien notre rôle de souffler sur des braises qui n’arrivent plus à s’enflammer ? Je ne le crois pas.
La laïcité est à ce point acquise et consensuelle que la défense de ce principe ne figure plus au nombre des préoccupations quotidiennes des Français. Ceux-ci sont inquiets avant tout pour des raisons d’ordre économique et financier.
Qu’est-ce qui les préoccupe en tant qu’individus ? Le pouvoir d’achat, le prix de l’essence, la scolarité de leurs enfants, l’insécurité sous toutes ses formes, le devenir de leur emploi, et cela se comprend.
Quant à ceux, nombreux, qui s’intéressent à la politique, de quoi parlent-ils en famille ou entre amis ? De la dette publique, la nôtre et celle de nos voisins européens, de la mondialisation, avec ses répercussions sur les fermetures d’usine, de la crise du monde arabe. Mais sûrement pas de la laïcité, qui n’est pas devenue l’affaire Dreyfus de 2011 !
J’en veux pour preuve les débats sociétaux de fond qu’ici et là on a tenté de lancer. Le débat sur l’identité nationale, qui avait pourtant un sens, n’a pas produit les effets attendus. Au lieu d’engager une réflexion et d’être l’occasion de renforcer le lien national, ce débat a été détourné de ses objectifs, provoquant des polémiques, sans que nos citoyens se sentent vraiment concernés.
Dès lors, pourquoi créer une journée nationale de la laïcité plutôt qu’une sur chacun des autres grands principes de la République ? Pourquoi pas une journée de la liberté ou une journée de l’égalité ?
Mes chers collègues, j’estime que les manquements à l’égalité sont plus importants que les manquements à la laïcité. On ne commémore pas les fondements de notre République : on les met en pratique et on s’attache à les sauvegarder dans le cadre de nos institutions et de nos dispositifs législatifs et réglementaires.
M. Ladislas Poniatowski. Très bien !
Mme Roselle Cros. Ce qui est pertinent, c’est de laisser aux autorités publiques, quelles qu’elles soient, l’État, les collectivités territoriales – et celles-ci sont largement concernées –, les juridictions, le soin de veiller au respect du principe de laïcité dans la sphère publique et à la garantie de la liberté religieuse dans la sphère privée : chacun s’y emploie au niveau qui est le sien.
En conclusion, vous l’aurez compris, mes chers collègues, parce qu’il s’agit pour nous d’un faux débat, j’ai même envie de dire d’une fausse bonne idée,…
M. David Assouline. Vous n’aimez pas la laïcité !
Mme Roselle Cros. … qui ne ferait que raviver des polémiques (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.), sans susciter aucun enthousiasme fédérateur chez nos concitoyens, dont les préoccupations sont tout autres, les membres du groupe Union Centriste et moi-même ne voterons pas la présente proposition de résolution. (Applaudissements sur plusieurs travées de l’UMP.)
MM. Daniel Raoul et Claude Bérit-Débat. Cela ne nous étonne pas !
Mme la présidente. La parole est à Mme Bariza Khiari.
Mme Bariza Khiari. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette proposition de résolution présentée par notre collègue Claude Domeizel est une excellente initiative, et j’espère qu’elle fera l’objet d’un consensus. Mais j’en doute après les propos qui viennent d’être tenus…
Chacun possède une identité propre, plurielle, dépendant de son vécu, de son histoire, de ses origines, de sa culture, de sa confession, de ses engagements. Cette pluralité fait la richesse de notre pays et, en même temps, de chacun de nous, y compris dans nos contradictions. Mais pour que cette richesse porte des fruits, pour qu’elle soit effectivement un gage de renforcement de notre pays, il faut un socle partagé, nous permettant de surmonter nos diversités et de favoriser l’échange. Tel est l’office de la laïcité, qui est le ciment de notre « vivre ensemble » et la matrice surplombant nos identités plurielles.
D’aucuns ont cru devoir discuter de la loi de 1905, la modifier, du fait de comportements marginaux de certains… de certains musulmans, disons-le. Ne touchons pas à cette loi, mais, en revanche, réglons les problèmes qui se posent à la deuxième religion de France parce que sa visibilité dans l’espace public dérange, et c’est bien normal. J’observe toutefois que cela dérange aussi la très grande majorité des Français de confession musulmane.
Réglons cette question de manière technique, par exemple au moyen du prêt de salles une à deux heures par semaine. Arrêtons d’en faire un sujet exploitable par l’extrême droite. Arrêtons de banaliser l’idée selon laquelle l’islam serait incompatible avec la République.
Les musulmans peuvent, comme les autres, être sécularisés dans leur comportement personnel et adhérer à la laïcité sur le plan politique. Il n’est qu’à les écouter pour comprendre qu’ils sont très attachés au principe de laïcité. Ils ont bien saisi que ce principe leur permettait de pratiquer leur foi dans la sérénité.
Aussi, certains seraient bien inspirés de ne pas engager de débats inutiles et dangereux sur un principe d’une profonde modernité, des débats qui ne portaient pas sur la laïcité, mais qui étaient en fait dirigés contre la laïcité, des débats qui ne portaient pas sur l’islam, mais qui étaient dirigés contre l’islam.
Dépositaires, comme chaque citoyen, des valeurs laïques, les Français de confession musulmane ont refusé l’instrumentalisation de la laïcité en rejetant ce débat. Ils ont répondu avec mesure et sens des responsabilités.
La véritable arme de destruction massive restera toujours l’ignorance. Ibn’Arabî, grand maître soufi, disait justement que « les hommes sont les ennemis de ce qu’ils ignorent ».
M. Daniel Raoul. Belle citation !
Mme Bariza Khiari. La laïcité a plus besoin d’être expliquée à tous nos concitoyens que d’être débattue. Nous vivons en effet sous ce principe alors que beaucoup le connaissent mal. Cela vaut notamment pour certains enseignants, pourtant chargés de le faire appliquer au sein de l’école, mais aussi pour les hommes politiques, qui transgressent parfois ce principe sacré.
Au nom d’une vision fausse de la laïcité, d’aucuns assignent des identités particularistes – hier juive, aujourd’hui musulmane – à ceux de leurs concitoyens qu’ils veulent subordonner ou exclure du corps national.
Cette journée de la laïcité permettrait de rappeler qu’il s’agit d’un principe intégrateur, émancipateur et rassembleur. Il faut faire vivre ce principe. Une approche utilitariste, encore trop souvent mise en œuvre, ou incantatoire de la laïcité ne permet pas à la jeunesse de se réapproprier ce beau principe.
M. Yvon Collin. Très bien !
Mme Bariza Khiari. La grille de lecture de certains, qui se situent notamment à l’extrême droite, c’est le rejet des évolutions par le métissage des pensées, des modes de vie et des identités. Notre pays ne peut se construire sur ce qu’il n’est plus. Dans une France métissée et plurielle par nature, la laïcité sera de plus en plus nécessaire parce que porteuse d’une vie commune pacifiée et d’une société où ce qui rassemble prime sur ce qui divise.
Notre modèle permet la coexistence de chacun dans la neutralité nécessaire d’un État qui a admis une fois pour toutes que la loi doit protéger la foi aussi longtemps que la foi ne prétendra pas dire la loi.
MM. Daniel Raoul et Yvon Collin. Très bien !
Mme Bariza Khiari. Si nous ne voulons pas renforcer la tendance au cloisonnement entre groupes sociaux, religieux ou ethniques par des débats stériles, nous pouvons, en revanche, autour d’une journée de la laïcité, réhabiliter des lieux où les différentes confessions se rencontrent : au premier chef, l’école, où tout se joue.
Comme le disait Raymond Aron, la laïcité a cela de merveilleux qu’elle permet d’être Français, citoyen français et de rester en fidélité avec la tradition qui nous a portés.
Dans un monde troublé où la quête de sens se fait davantage jour, ce ne sont pas les religions qu’il faut combattre, c’est le pacte républicain qu’il faut rétablir, et vite, un pacte au cœur duquel se trouve la laïcité. Alors, monsieur le ministre, fêtons-la ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme la présidente. La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, près d’un siècle après la Révolution de 1789, la République s’est enrichie d’un principe vertébral : la règle laïque.
En effet, à côté du triptyque « liberté, égalité, fraternité », la laïcité fait, depuis 1905, partie des fondements de la République française. Elle lui est désormais consubstantielle. Ce principe éclaire notre devise nationale, lui donne tout son sens et impose des devoirs à notre communauté ainsi qu’à tous ses représentants.
Pourtant, force est de constater que la laïcité est aujourd’hui trop souvent contournée, voire menacée. Comme l’indiquent les auteurs de la proposition de résolution instituant une « journée nationale de la laïcité », « des tentatives de remise en cause, de plus en plus distinctes, ont été observées ».
Les radicaux, qui ont contribué à forger l’histoire de la République laïque, déplorent également la multiplication des atteintes à la laïcité. Nous avons eu bien souvent, ici même, l’occasion d’exposer la conception que nous avions de cette valeur fondamentale.
En 2004, dans le cadre du débat relatif à la loi encadrant, en application du principe de laïcité, le port de signes ou de tenues manifestant une appartenance religieuse dans les écoles, les collèges et lycées publics, j’avais rappelé les dangers d’une conception relative et évolutive du principe de laïcité.
Plus récemment, à l’occasion de l’examen du projet de loi interdisant la dissimulation du visage dans l’espace public, mon collègue Jean-Michel Baylet avait souligné que la laïcité était le rempart de neutralité absolue contre les influences des religions sur les institutions publiques.
Je le répète aujourd’hui, la laïcité est un principe intangible, qui ne saurait souffrir aucun compromis ni aucun accommodement. Peut-on être plus explicite ?
Disons clairement aussi à tous ceux qui en douteraient – ou à tous ceux que cela arrangerait – que la laïcité républicaine n’est pas une idéologie antireligieuse, une sorte de dogme dirigé contre la liberté de conscience. Je dirai qu’elle est, au contraire, la garantie de cette liberté. En protégeant l’exercice libre des cultes et en n’en favorisant aucun, la loi de la République protège non pas les religions, mais le libre choix de chaque individu.
La laïcité n’est pas non plus un dogme. Comme vous le savez, mes chers collègues, elle n’est pas une vérité républicaine révélée.
Née de la philosophie des Lumières, nourrie par différents courants philosophiques tels que le rationalisme, le positivisme ou encore le scientisme, la laïcité est fille de la raison. Et, contrairement à la foi, la raison s’applique à douter. En acceptant le doute, la pensée laïque laisse aux individus la possibilité de choisir.
Pour autant, cette protection du libre choix, qui doit à mon sens être au cœur de toute définition de la laïcité, n’implique pas la renonciation à l’action.
À nos yeux, il est clair que les options confessionnelles ne doivent pas peser sur la délibération publique. Ce fut le combat de nos aînés lorsque les congrégations religieuses prétendaient détourner à leur profit la loi de 1901 sur les associations. Aujourd’hui, ce combat consiste à exercer une vigilance de tous les instants dans l’espace public, pour éviter un affaiblissement de la laïcité lorsque celle-ci fait manifestement l’objet d’entorses. Les radicaux de gauche sont d’ailleurs des membres fondateurs et très actifs de l’Observatoire de la laïcité. Quand cela est nécessaire, cette surveillance doit s’accompagner de l’intervention du législateur pour clarifier des situations et rappeler les principes fondamentaux de la République française.
Les radicaux de gauche, et plus largement les membres du RDSE, sont bien entendu favorables à toutes les démarches allant dans le sens du respect de la laïcité. C’est dans cette optique que nous avons approuvé la loi du 15 mars 2004, qui devait aider à résoudre la question du port du voile à l’école.
Parce qu’elle est le creuset où se forge la liberté de conscience et où se fabrique l’intégration républicaine, l’école publique doit être strictement à l’abri de toute influence confessionnelle. Elle ne doit favoriser aucun culte, quel qu’il soit. Elle doit demeurer le terrain privilégié de l’application des règles de neutralité.
S’agissant du port de la burqa ou du niqab dans l’espace public, dont nous avons discuté en septembre dernier, il est apparu aux membres du RDSE qu’il ne fallait en aucun cas céder devant les pratiques d’une infime minorité qui, sous prétexte d’user de sa liberté religieuse et de son droit à la différence, entendait imposer son sectarisme en foulant aux pieds les principes fondamentaux de notre démocratie.
Ce matin, il est question d’instituer une « journée nationale de la laïcité », ni fériée ni chômée, qui permettrait de réaffirmer, chaque 9 décembre, le caractère fondamental de ce grand principe constitutionnel.
Bien que mon groupe soit quelque peu réservé sur la répétition de journées commémoratives, la grande majorité des membres du RDSE, très attachée au principe de laïcité, approuve la présente proposition de résolution. Ceux qui ont choisi de s’abstenir le feront uniquement en raison de l’institution d’une journée nationale supplémentaire.
J’ajoute que, si cette journée était instaurée, elle ne devrait pas nous dédouaner d’une attention quotidienne et surtout partagée à tous les niveaux et par tous les représentants de l’État.
M. Claude Domeizel, auteur de la proposition de résolution. Bien sûr !
M. Yvon Collin. La laïcité est un principe qui doit être mis en pratique tous les jours !
M. Claude Domeizel, auteur de la proposition de résolution. Absolument !
M. Yvon Collin. Il serait vain, en effet, de réaffirmer la laïcité de l’État français si c’était pour voir le premier représentant de celui-ci ne pas faire preuve de la plus grande prudence dans ses propos. Sans vouloir rouvrir une polémique, il me semble utile de rappeler que le chef de l’État, gardien de la Constitution, doit afficher la neutralité la plus absolue. Or, en s’agenouillant devant le pape en sa qualité de chanoine, en faisant approuver par décret le pouvoir du Vatican d’admettre ou de refuser la validation de nos diplômes, en rappelant régulièrement l’identité chrétienne de la nation française, le Président de la République s’écarte de son rôle, de sa mission et de sa fonction.
M. Claude Domeizel, auteur de la proposition de résolution. C’est certain !
M. Yvon Collin. Si ses convictions personnelles sont respectables – et nous les respectons ! –, elles ne doivent pas, à mon sens, s’immiscer dans le discours public ou la posture publique.
Mes chers collègues, parce que les radicaux ont été à l’avant-poste du combat qui a conduit à la loi de 1905, c’est dans un esprit de responsabilité que nous apporterons notre soutien à la proposition de résolution de nos collègues socialistes. Nous souhaitons être non pas des héritiers passifs, mais des républicains vigilants et protecteurs d’un principe ni négociable ni ajustable. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Agnès Labarre.
Mme Marie-Agnès Labarre. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, très chère Marianne, notre assemblée se pose aujourd’hui la question de savoir s’il est opportun d’instaurer en France une « journée nationale de la laïcité ». Mon groupe et moi-même frissonnons devant tant d’audace… Et l’on imagine l’émotion que cela pourrait faire ressurgir sous les linceuls de Jean Jaurès, Léon Gambetta et Victor Hugo !
Une « journée nationale de la laïcité », proposez-vous, quand 365 jours par an ne nous suffisent pas à regagner le terrain perdu depuis la séparation, au demeurant incomplète, des églises et de l’État !
Les livres d’histoire décrivent un Sénat autrement plus combatif sur le sujet ! Sur ces travées, combien d’illustres tribuns se sont fait entendre avec force pour défendre la primauté des pouvoirs civils sur l’ordre du religieux ? Combien se sont battus pour faire reconnaître le droit de croire ou de ne pas croire, pour abolir toute hiérarchie entre les croyances, comme entre croyance et non-croyance, sous la protection vigilante d’un État neutre et désintéressé ?
C’est un contresens de déclarer la laïcité ennemie de la religion. Elle est, au contraire, le fruit d’un combat pour la liberté de conscience ; pour la liberté, tout simplement.
Là, la guerre civile en vue d’instaurer un pouvoir religieux. Ici, la gangrène du communautarisme et, trop souvent, le citoyen français ramené à un statut de franco-musulman ou de franco-juif... Cette pente réactionnaire nous rappelle que, comme pour la démocratie, nos combats pour la laïcité sont universels et permanents. Au moment où la laïcité est menacée, nous ne devons pas faiblir !
Aussi, je critique votre idée de résolution non parce qu’elle est mauvaise, mais parce qu’elle n’est pas à la hauteur du défi et des exigences de notre temps.
« Liberté, égalité, fraternité » et laïcité ne sont pas des croyances ; ce sont les éléments de l’air que nous respirons tous les jours. Que l’un d’eux vienne à manquer et la société tout entière devient irrespirable.
Aurait-on l’idée d’instaurer une journée pour la liberté, une autre pour l’égalité, une autre encore pour la fraternité ? C’est chaque jour que nous devons nous lever pour faire vivre ces valeurs, et chaque jour plus vigoureusement ; au Parlement comme ailleurs, au Parlement plus qu’ailleurs. Chez nous, on ne dénonce pas les privilèges seulement le 4 août !
La laïcité est un état d’esprit qui se vit dans tout l’espace de notre République.
En France, l’Église et l’État sont presque séparés. Ce « presque » signifie que nous n’avons pas fini le travail entrepris par nos prédécesseurs.
Vous le savez, notre groupe et le Parti de gauche sont attachés à l’application pleine et entière de la règle de la séparation des églises et de l’État contenue dans la loi de 1905. Pour nous, les privilèges publics dont bénéficient encore certains cultes en Alsace-Moselle ne se justifient plus. Du temps a passé en Guyane depuis le décret-loi de Charles X ! Les délais nécessaires à une transition culturelle non violente vers un régime authentiquement républicain me paraissent donc avoir été amplement respectés.
Je me permets de pointer que la départementalisation de Mayotte a mis fin aux droits coutumiers : preuve que l’on peut étendre les lois de la République à l’ensemble du territoire.
La règle est simple à énoncer et respectueuse des orientations religieuses et philosophiques de chacun : les cultes sont libres et égaux en droit, mais ils ne constituent pas un service public. Ce sont les fidèles, et non pas l’impôt, qui financent leurs lieux de culte, les salaires du prêtre et de l’évêque ! Notre combat est celui-là.
« En un mot, je veux, je le répète, ce que voulaient nos pères, l’Église chez elle et l’État chez lui. », proclamait Victor Hugo, le catholique, debout au premier rang de notre hémicycle, comme le rappelait M. Domeizel. Quelles raisons impérieuses auraient les Républicains d’aujourd’hui d’y renoncer ?
À la puissance publique de s’occuper de l’intérêt général, aux citoyens de financer ce qu’ils croient juste pour eux et leurs intérêts particuliers, en fonction de leurs convictions spirituelles et religieuses.
Déshabiller Marianne pour habiller Marie, c’est chercher noise à la communauté des citoyens, qui est une et indivisible.
La liberté d’adhérer à une église ne donne aucun droit particulier, ne dispense pas de l’application des lois et relève de la sphère privée.
La France, officiellement laïque, permet pourtant à son président de porter le titre de chanoine d’honneur de la basilique Saint-Jean de Latran. C’est symbolique, certes, mais la République, surtout lorsqu’elle est menacée dans ses fondements, de l’intérieur comme de l’extérieur, aurait besoin d’exposer d’autres symboles au regard de ses citoyens et à la face du monde.
Est-ce en tant que Président ou en tant que chanoine que Nicolas Sarkozy demande que les étudiants israélites puissent passer leurs examens la nuit, en raison de la Pâque juive ?
Assez de ce mélange des genres !
Nous l’avons dit en débattant des horaires de piscine, des consultations à l’hôpital ou du port du voile intégral : en République, il n’y a pas de place pour des privilèges, des passe-droits attachés à des appartenances ou à des pratiques religieuses.
En France, l’école privée a droit de cité. Elle ne doit plus avoir le droit de détrousser l’école publique. Chaque année, 10 milliards d’euros sont volés à l’école publique, offerts à l’enseignement privé, confessionnel à 90 %. Cela a assez duré ! Les vases communicants ont été organisés et, je le déplore, ils ont été votés dans cette assemblée.
La République ne doit plus céder aux exigences des églises, voilà tout ! Cette soumission a privé cinq cents de nos villages d’une école publique, a fait naître plus encore d’écoles confessionnelles payées par les communes et de nombreuses crèches confessionnelles. En poursuivant dans cette voie, M. Carle doit le savoir, nous irons sans aucun doute au-devant de graves déconvenues.
Pour toutes ces raisons, j’estime que promouvoir la laïcité, c’est faire plus et mieux que de l’honorer une fois l’an. Défendre l’idée de laïcité, c’est l’appliquer et l’appliquer sans trêve !
En conséquence, je pense que, sans rejeter la proposition minimaliste qui nous est soumise pour solde de tout compte, il conviendrait plutôt d’aborder cette question au fond, par exemple en débattant de bonne foi sur la proposition de loi du Parti de gauche, proposition dont M. François Autain et moi-même avons eu l’honneur d’être les premiers signataires.
« Trop souvent les hommes ont tendance à privilégier ce qui les divise. Avec la laïcité, il faut apprendre à vivre avec ses différences dans l’horizon de l’universel... ». Je vous invite à vous approprier cette recommandation du philosophe Henri Peña-Ruiz.
Puisque vous semblez tenir à une commémoration, je vous propose de célébrer l’école laïque, chaque 28 avril par exemple, en reprenant l’hymne qui fut chanté dans toutes les écoles lors de son cinquantenaire :
« Honneur et gloire à l’École laïque,
« Où nous avons appris à penser librement,
« À défendre, à chérir la grande République
« Que nos pères jadis ont faite en combattant. »
Mme la présidente. Monsieur le ministre, mes chers collègues, dans la mesure où la séance doit impérativement être suspendue avant treize heures, je me vois contrainte d’interrompre l’examen de cette proposition de résolution. Croyez bien que j’en suis particulièrement désolée pour vous, monsieur le ministre, ainsi que pour ceux de nos collègues qui étaient inscrits dans la discussion et n’ont pas encore pu s’exprimer.
Il reviendra à la conférence des présidents de trouver, dans le calendrier de nos travaux, un créneau pour terminer la discussion de cette proposition de résolution, qui est donc renvoyée à une séance ultérieure.
Nous reprendrons nos travaux, pour la suite de l’ordre du jour, à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures cinquante-cinq, est reprise à quinze heures, sous la présidence de M. Gérard Larcher.)
PRÉSIDENCE DE M. Gérard Larcher
4
Questions d'actualité au Gouvernement
M. le président. L’ordre du jour appelle les réponses à des questions d’actualité au Gouvernement.
Je rappelle que l’auteur de la question de même que la ou le ministre pour sa réponse disposent chacun de deux minutes trente.
révolutions arabes et immigration
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Jean-François Voguet applaudit également.)
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le ministre de l'intérieur, vous le savez, 200 000 réfugiés libyens ont été accueillis en Tunisie ; ils l’ont été dans des conditions difficiles, mais la Tunisie a fait tout ce qu’elle a pu.
Aujourd'hui, des milliers de Tunisiens viennent en Europe, utilisant des moyens très précaires et souvent au péril de leur vie.
Voici donc ma première question, monsieur le ministre : comment pensez-vous agir concernant ces personnes ? La responsabilité, nous y tenons, mais, comme l’a souligné Bertrand Delanoë, nous tenons aussi beaucoup à la fraternité.
Ma deuxième question est relative à la position de la France à l’égard de ces pays, et je pense en particulier à la Tunisie. Les Tunisiens ont recouvré la liberté à mains nues. Le Gouvernement français l’a reconnu avec un peu de retard, mais les Tunisiens sont maintenant engagés sur ce chemin.
Est-ce que la seule parole qui puisse se donner à entendre dans les médias de France, de Tunisie et du monde, c’est que certains veulent les renvoyer à la mer ? Ce n’est évidemment pas possible, monsieur le ministre, vous le savez bien, car c’est indigne !
Je souhaite également vous interroger sur nos responsabilités européennes. Schengen fut et reste une grande avancée. Mettre fin à ces accords ou même simplement y porter atteinte, ce serait à coup sûr une erreur, car ce serait commencer à défaire l’Europe. (Protestations sur les travées de l’UMP.)
M. René-Pierre Signé. Il a raison !
M. Alain Gournac. C’est faux !
M. Jean-Pierre Sueur. Nous sommes pour Schengen.
M. Alain Gournac. Nous aussi !
M. Jean-Pierre Sueur. Alors, c’est très bien ainsi !
Monsieur le ministre, quelles initiatives comptez-vous prendre pour conforter l’espace européen, faire en sorte qu’existe une politique d’immigration commune qui soit portée par l’ensemble des États membres ? Comment permettre l’émergence en Europe d’un vaste plan qui soit efficace et dynamique, afin qu’elle vienne en aide à la Tunisie et à tous ces pays qui aspirent au développement ? Œuvrer avec eux pour leur essor économique, c’est contribuer à trouver de véritables solutions aux problèmes qui se posent.
Monsieur le ministre, la voix de la France est très importante. L’attitude de la France l’est tout autant. Nous espérons vivement qu’elle sera faite de responsabilité, mais aussi de fraternité, car nous sommes la France. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.
M. Claude Guéant, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration. Monsieur le sénateur, comme vous, le Gouvernement se réjouit que la Tunisie accède à une ère nouvelle de son histoire, une ère empreinte de liberté et de démocratie.
C'est la raison pour laquelle la France souhaite aider la Tunisie à amorcer cette vie nouvelle, à définir et conforter son développement économique, le concours de notre pays pouvant revêtir bien des formes. C’est d’ailleurs à ce titre qu’Alain Juppé se trouvait en Tunisie voilà quelques jours.
M. René-Pierre Signé. Et Michèle Alliot-Marie ?
M. Claude Guéant, ministre. Pour autant, nous n’entendons pas subir des vagues de migration qui ne sont justifiées que par des motifs économiques.
Mme Éliane Assassi. Ce n’est pas le cas !
M. Guy Fischer. Quel langage ! C’est stigmatisant !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Faites attention quand vous parlez de vagues !
M. Claude Guéant, ministre. Il serait paradoxal que nous accueillions des gens qui viennent d’un pays qui s’ouvre à la liberté et qui inaugure une ère où l’oppression n’a plus sa place.
Voilà pourquoi la France refuse que les clandestins entrent sur son territoire. Et je suis surpris que des parlementaires invitent à ne pas respecter les lois de la République. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Guy Fischer. On n’a pas dit cela !
M. Claude Guéant, ministre. J’en viens à Schengen. C’est un espace de libre circulation. Le Gouvernement français y est extrêmement attaché, car cela constitue, avec l’euro, l’une des grandes conquêtes européennes.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ah bon ?
M. Claude Guéant, ministre. C’est précisément pour sauver ces accords que la France, avec l’Italie, prend des initiatives. L’Allemagne travaille en ce sens également, tout comme le Royaume-Uni ; même si ce dernier pays n’est pas membre de l’espace Schengen, il n’en reste pas moins que œuvrons dans la même direction.
Que faire ? D’abord, il nous faut faire en sorte que l’espace Schengen se dote de mécanismes efficaces de protection des frontières. Cela suppose un renforcement des moyens de l’agence Frontex.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il faut sans doute dresser des murs autour de l’Europe !
M. Claude Guéant, ministre. Cela implique aussi une amélioration de la gouvernance. Qui commande Schengen aujourd'hui ? La réponse à cette question n’a rien d’évident. Le conseil Justice et affaires intérieures doit donc créer une instance spécifique pour gouverner cet espace. Il faut des mécanismes d’évaluation de ce qui se passe véritablement aux frontières extérieures avec les pays d’entrée. Enfin, il convient d’amorcer cette garde des frontières européennes qui est souhaitée depuis tant d’années. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
pouvoir d'achat et primes
M. le président. La parole est à Mme Marie-France Beaufils. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)
Mme Marie-France Beaufils. Ma question s'adresse à M. le Premier ministre.
À un peu plus d’un an de la prochaine élection présidentielle, le Président de la République semble redécouvrir que la préoccupation première de nos concitoyens demeure, et de loin, leur pouvoir d’achat. Cela se conçoit puisque, tout temps de travail confondu, 40 % des hommes et 50 % des femmes gagnent moins de 1 200 euros par mois.
M. Guy Fischer. Voilà la vérité !
Mme Marie-France Beaufils. Au lieu du partage promis des bénéfices en trois tiers, Nicolas Sarkozy propose une prime exceptionnelle de 1 000 euros tout au plus, et qui ne concernera que les salariés des entreprises de plus de cinquante salariés dont les dividendes versés aux actionnaires ont augmenté.
M. Guy Fischer. On ne sait d’ailleurs pas où elle en est, cette prime !
Mme Marie-France Beaufils. Autrement dit, l’immense majorité des salariés de notre pays ne bénéficiera ni de cette prime ni d’une réelle revalorisation du SMIC. En effet, celle qui est prévue couvre à peine l’inflation.
Un sénateur de l’UMP. Toujours plus !
Mme Marie-France Beaufils. Je rappelle quelques chiffres : + 3 % sur les produits frais au mois de mars, + 5 % pour les pâtes, + 5 % pour le pain, entre + 2 % et + 4 % pour le fromage, annonce la Fédération des entreprises du commerce et de la distribution.
L’octroi d’un chèque bienvenu pour ces salariés ne masque pas les dégâts de votre politique ni les fins de mois difficiles qui s’inscrivent, elles, dans la durée.
Les organisations syndicales, mais aussi de nombreux Français, ne sont pas dupes. Ils savent que le Président de la République fait mine de se préoccuper de leur pouvoir d’achat, alors qu’il s’apprête à faire cadeau aux plus riches de la quasi-suppression de l’ISF.
M. Guy Fischer. Eh oui !
Mme Marie-France Beaufils. Il veut éviter d’aborder la vraie question, celle d’une juste rémunération du travail et d’une répartition plus équitable des richesses.
De plus, pour que les salariés puissent espérer bénéficier d’une légère prime, il faut impérativement que les actionnaires gagnent toujours plus. Voilà votre conception du partage des richesses !
Les salariés ont accru leur productivité en France. Cela a permis d’augmenter considérablement la valeur ajoutée des entreprises, au point que le bénéfice des sociétés du CAC 40 a fait un bond de 85 % en 2010.
M. Guy Fischer. C’est incroyable !
Mme Marie-France Beaufils. Leurs dirigeants ont vu leurs rémunérations augmenter de 24 % l’année dernière. La part de la valeur ajoutée consacrée aux actionnaires et aux remboursements bancaires a progressé de 14 % entre 1992 et 2009.
Les salariés ont donc bien droit à une augmentation immédiate et générale des salaires, seul mode légitime de rémunération de leur travail.
M. Guy Fischer. Absolument !
Mme Marie-France Beaufils. Ma question est simple : qu’attendez-vous pour instaurer le SMIC à 1 600 euros, augmenter le traitement des fonctionnaires et, ainsi, déclencher l’augmentation générale des salaires ? Ne serait-ce pas le meilleur signe que vous vous préoccupez du pouvoir d’achat de nos concitoyens ? (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et sur les travées du groupe socialiste.)
M. Guy Fischer. Voilà qui parle aux Français !
M. le président. La parole est à M. le ministre du travail.
M. Xavier Bertrand, ministre du travail, de l'emploi et de la santé. Madame la sénatrice, votre conception du partage de la valeur ajoutée...
M. Guy Fischer. Est juste !
M. Xavier Bertrand, ministre. ... s’arrête à la théorie et ne souffre en aucune façon le passage à la pratique. (Rires et exclamations sur les travées du groupe CRC-SPG.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. La pratique pour les salariés, c’est la fin du mois !
M. Xavier Bertrand, ministre. Pour notre part, nous avons un raisonnement très simple, qui dépasse même la seule question du pouvoir d'achat. Si une entreprise dégage des bénéfices, c’est bien sûr grâce à l’actionnaire qui a versé une mise de départ, mais c’est aussi grâce aux salariés. Dès lors, si la valeur progresse pour l’actionnaire, le salarié doit en profiter également. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – Exclamations sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. Guy Fischer. Non !
Mme Nicole Bricq. Parlez-nous des salaires !
M. Xavier Bertrand, ministre. Ce qui nous différencie, c’est que vous demeurez dans une théorie dépassée au moins depuis le siècle dernier, alors que, pour nous, le principe de réalité prime.
Un texte sera bien déposé au Parlement dès cette année afin que soit mis en place un autre partage de la valeur ajoutée et que, en plus du salaire, une prime soit versée aux salariés.
Mme Annie David. Sans cotisations sociales !
Mme Nicole Bricq. C’est n’importe quoi !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Les salaires !
M. Xavier Bertrand, ministre. Le montant et les modalités seront fixés dans l’entreprise, par le dialogue social.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Les salaires, cela fait de l’argent pour la sécurité sociale !
M. Xavier Bertrand, ministre. Force est toutefois de reconnaître que, si le Gouvernement n’avait pas pris ses responsabilités pour donner suite à la volonté du Président de la République,...
Mme Nicole Bricq. Ah, voilà !
M. Xavier Bertrand, ministre. ... les discussions seraient toujours enlisées et aucune avancée n’aurait été possible.
M. Guy Fischer. Les retraites !
M. Xavier Bertrand, ministre. Car il faut bien reconnaître que, sur ce sujet, certains acteurs, notamment le MEDEF, n’ont pas engagé les négociations nécessaires.
Nous prenons nos responsabilités. Il y aura toujours la place pour la négociation à l’échelon national comme dans les entreprises, mais nous voulons que la situation évolue.
M. René-Pierre Signé. C’est un leurre !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Le salaire est essentiel !
M. Guy Fischer. Augmentez les fonctionnaires !
M. Xavier Bertrand, ministre. Le salaire, il y a ceux qui en parlent et ceux qui agissent.
Grâce à ce qu’a fait le président Larcher lorsqu’il était ministre (Applaudissements sur les travées de l’UMP), aujourd'hui, des négociations annuelles obligatoires ont lieu dans les branches professionnelles. C’est nous qui les avons instituées.
Sur tous ces sujets, nous sommes au rendez-vous d’un meilleur partage, d’un partage plus juste.
Mme Catherine Tasca. Cela fait quatre ans que vous cherchez !
M. Xavier Bertrand, ministre. Sur la question du pouvoir d'achat, vous avez omis de rappeler cette réalité. Où en serait le pouvoir d'achat des Français si le Gouvernement n’avait pas pris ses responsabilités au cœur de la crise, notamment quand il a fallu aider les Français et les salariés les plus modestes ?
Mme Nicole Bricq. Mais oui, on vous croit !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Et les banques ? Et les dividendes ?
M. Xavier Bertrand, ministre. Sans toutes ces décisions, nous n’aurions pas été en mesure de préserver notre pacte social. Mais vous avez la mémoire courte !
La vérité, c’est que le principal ennemi du pouvoir d'achat des Français, ce sont les impôts. Il est vrai que, en matière d’imposition, vous autres, communistes et socialistes, vous êtes les champions ! C’est vous qui êtes les ennemis du pouvoir d'achat ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – Protestations sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. Guy Fischer. Provocateur !
M. le président. La parole est à M. Jean Bizet.
M. Jean Bizet. Ma question s’adresse à M. le ministre de l’intérieur, de l’outre-mer, des collectivités territoriales et de l’immigration.
Les événements qui se déroulent en Afrique du Nord suscitent des réactions où se mêlent l’espoir et l’inquiétude : espoir de voir cette région évoluer vers la démocratie et vers plus de prospérité ; inquiétude devant le risque pour l’Union européenne, dans un contexte de grande instabilité, d’être confrontée à des mouvements migratoires importants et difficiles à maîtriser.
Dans ce contexte se pose la question cruciale des modalités de mise en œuvre des accords de Schengen. Le tout récent sommet franco-italien s’en est fait l’écho en se prononçant pour une réforme de Schengen qui permette de le renforcer.
Compte tenu de l’importance de cette question, la commission des affaires européennes du Sénat a décidé, avec son homologue de l’Assemblée nationale, de mettre en place un groupe de suivi qui pourrait réfléchir à des clauses de sauvegarde renforcées en cas de défaillance des contrôles des frontières extérieures, ainsi qu’à une mutualisation européenne accrue des moyens nationaux, humains et matériels de contrôle des frontières de l’Union.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous rappeler la position du Gouvernement sur les conditions de mise en œuvre des accords de Schengen face aux mouvements migratoires récents en Méditerranée et, ensuite, nous indiquer quelles seraient les mesures qui vous sembleraient nécessaires pour renforcer les conditions d’application de ces accords ? (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.
M. Claude Guéant, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration. Monsieur le sénateur, je voudrais tout d’abord vous donner quelques indications sur la façon dont le Gouvernement entend que soient aujourd’hui mis en œuvre les accords de Schengen.
Il suffit, à vrai dire, de s’en tenir à leur lettre. La lettre des accords de Schengen, c’est que le premier pays d’entrée gère les entrées sur son territoire ; c’est aussi qu’il doit y avoir une coopération loyale entre les pays.
Nous avons pu déceler, de la part de nos amis Italiens, quelque tentation de renvoyer chez nous des personnes que, en application des accords, ils devaient gérer. Nous nous sommes accordés avec eux sur la façon de mettre en œuvre le traité et sa convention d’application. En conséquence, nous reconduisons en Italie les personnes qui ne disposent pas des ressources nécessaires pour vivre en France mais qui sont titulaires d’un titre de séjour en Italie.
Comment faire évoluer les règles ? Il faut les faire évoluer pour sauver les accords de Schengen, comme je le précisais tout à l’heure, et cela dans cinq directions : ce sont les propositions que nous avons faites au Conseil et à la Commission, en accord avec l’Italie.
Première idée : renforcer l’agence Frontex, qui est chargée du contrôle des frontières extérieures. Concrètement, il s’agit de faire en sorte que Frontex puisse organiser des patrouilles maritimes afin d’interdire la progression vers l’Italie des personnes qui quittent la Tunisie sur des embarcations et, éventuellement, de leur porter secours.
Deuxième idée : créer le noyau dur d’un système européen de garde aux frontières – j’y faisais allusion tout à l’heure. Si nous voulons que la confiance revienne entre les pays, il faut en arriver là.
Troisième idée : mettre en place un mécanisme d’évaluation afin que chaque pays soit rassuré sur la pratique des autres.
Quatrième idée : retenir la possibilité, à titre exceptionnel, de rétablir le contrôle aux frontières si nous sommes confrontés à un risque systémique de grande ampleur que nous n’arrivons pas à gérer.
Cinquième idée : doter l’espace Schengen d’une véritable gouvernance.
Aujourd’hui, le conseil Justice et affaires intérieures s’en préoccupe de temps à autre, pendant quelques minutes, dans le cadre de réunions dont l’ordre du jour est extrêmement chargé. Il faut changer de dimension à cet égard. De tout cela il sera d’ailleurs question à Bruxelles, le 12 mai, lors d’un conseil Justice et affaires intérieures, précisément. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
pêche à saint-pierre-et-miquelon
M. le président. La parole est à M. Denis Detcheverry.
M. Denis Detcheverry. Ma question, qui s’adresse à M. le ministre de l’intérieur, de l’outre-mer et des collectivités territoriales, concerne la très grave crise que traversent le secteur de la pêche à Saint-Pierre-et-Miquelon et, avec lui, l’ensemble de l’économie de l’archipel.
Alors que Saint-Pierre-et-Miquelon abritait jadis une très importante entreprise de transformation, Interpêche, l’actuelle société SPM Seafood se trouve dans une situation alarmante. Cela était pourtant prévisible avant même que l’État ne décide de remettre les clefs d’Interpêche à des Canadiens. La majorité des représentants locaux étaient défavorables à une reprise perpétuant un système insoutenable, qu’ils jugeaient par trop fondé sur du social et dépourvu de réelle vision économique à moyen et à long terme.
Or, depuis 1992, sous la houlette des gouvernements successifs, le maintien de la paix sociale a été privilégié au détriment de la mise en place d’un système économique viable et durable. Les Saint-Pierrais-et- Miquelonnais, qui étaient connus et reconnus pour leur sens de l’effort et du travail bien fait, ont été plongés dans un assistanat improductif, réducteur, dégradant et néfaste à long terme.
Il faut dire que, déjà à l’époque, les motivations étaient politiques. On a préféré sacrifier Saint-Pierre-et-Miquelon et sa population dans l’espoir, vain, de vendre des Airbus et des TGV au Canada. Pourtant, les solutions étaient simples. Une diversification de la pêche et de notre système économique était tout à fait possible. La prospérité dans les provinces canadiennes voisines en apporte aujourd’hui la meilleure preuve.
Alors que la France ne produit que 15 % de sa consommation de produits de la mer, Saint-Pierre-et-Miquelon, collectivité française, n’a les moyens ni de valoriser ni d’exporter la richesse qui existe encore sur les bancs de Terre-Neuve. Même l’avenir de l’aquaculture, qui a fait l’objet d’investissements privés importants et de recherches poussées, semble incertain. Pourtant, de nombreux rapports scientifiques sur nos ressources et notre potentiel halieutiques existent et indiquent la marche à suivre.
Aujourd’hui, nous nous retrouvons une fois de plus dans l’impasse parce que les choix faits ont reposé uniquement sur une appartenance partisane et quelques calculs politiques. Ce n’est pas l’idée que je me fais de la République et de la défense de l’intérêt général qui nous anime dans cette enceinte !
Il est urgent de repenser la filière halieutique dans son ensemble, et de manière objective.
Monsieur le ministre, pouvez-vous m’assurer d’un réel soutien technique et d’un réel suivi des services de l’État afin que nos choix économiques soient enfin assis sur les faits et dictés par la seule logique économique ?
Finissons-en avec toutes ces erreurs à répétition, avec tout ce gaspillage financier, et redonnons vie à une économie réelle et durable à Saint-Pierre-et-Miquelon !
Monsieur le ministre, mes chers collègues, Saint-Pierre-et-Miquelon, territoire de la République française, veut vivre de son travail ! (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, du groupe socialiste et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.
M. Claude Guéant, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration. Monsieur le sénateur, le Gouvernement connaît bien l’importance de la filière pêche pour Saint-Pierre-et-Miquelon. Il n’ignore rien non plus des difficultés que l’archipel rencontre depuis le début des années quatre-vingt-dix, quand est intervenu le moratoire.
Depuis 2009, un soutien très important est apporté par l’État, au côté de la collectivité territoriale, à la modernisation de l’outil de production des différentes entreprises de la filière halieutique.
Le pôle de transformation de Saint-Pierre a été repris par une société canadienne. Cette reprise a été validée en toute transparence par le tribunal de première instance de Saint-Pierre-et-Miquelon, qui statuait en matière commerciale au terme d’une procédure de redressement judiciaire tout à fait classique.
La société Seafood a néanmoins accumulé des pertes importantes. Elle n’a pas pu réaliser son plan d’affaires et un rapport commandé par Marie-Luce Penchard, qui sera disponible la semaine prochaine, expliquera comment on est arrivé à cette situation. L’entreprise s’est déclarée en cessation de paiements il y a deux semaines.
Il est bien clair, monsieur le sénateur, que l’État apportera tout son soutien, technique, opérationnel, financier, pour mettre en place un projet économique viable, durable, valide. Il est en effet extrêmement important, aux yeux du Gouvernement, que soit garantie la pérennité d’une filière pêche active à Saint-Pierre-et-Miquelon.
Le préfet a été mandaté pour consulter sans tarder les différents acteurs de la filière. Le mandataire judiciaire sera nommé à la mi-mai et les élus seront également consultés. Il faudra, bien sûr, trouver un repreneur.
J’ajoute qu’il semble important d’assurer une meilleure coordination entre les deux pôles de transformation de Saint-Pierre et de Miquelon.
Je précise, enfin, qu’un spécialiste de la filière sera mandaté par l’État pour accompagner concrètement le plan de rénovation. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
suppressions de postes dans l’éducation nationale
M. le président. La parole est à M. Jean Boyer.
M. Jean Boyer. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, bien que mes cordes vocales soient défaillantes, je vais m’efforcer de les mobiliser pour me faire entendre, et surtout pour me faire comprendre. (Sourires.)
Monsieur le ministre de l’éducation nationale, nous le savons, nos budgets sont contraints, et je suis solidaire de l’action que mène le Gouvernement face à cette réalité. Mais nous savons aussi qu’il doit y avoir des priorités afin de ne pas compromettre l’avenir.
Notre société est certes malade, mais ne le sera-t-elle pas davantage si les élèves d’aujourd’hui travaillent dans des classes surchargées, loin de chez eux, loin de cette proximité indispensable ?
M. Guy Fischer. Vous le reconnaissez !
M. Jean Boyer. Quand 8 800 postes sont supprimés dans le primaire, monsieur le ministre, c’est – permettez à l’ancien agriculteur que je suis de recourir à cette métaphore – un orage de grêle qui s’abat sur les grandes parcelles de blé semées en France !
M. Guy Fischer. Bravo !
Mme Nicole Bricq. Alors, ne votez pas les budgets !
M. Jean Boyer. Si, dans certains secteurs, les machines peuvent remplacer les hommes, ce n’est certainement pas le cas dans l’enseignement, où la mission des enseignants deviendra de plus en plus difficile, voire ingrate.
M. Roland Courteau. C’est vrai !
M. Jean Boyer. Entendez, monsieur le ministre, le message que vous adresse l’un des élus d’un département rural, un message qui est en fait un appel : l’école constitue le dernier lieu d’un service au public ; elle est un élément fondamental de la vie locale dans nos petites communes. Dans celles-ci, les maires ont toujours donné une priorité à l’école, car ils savent que c’est un investissement primordial et incompressible pour demain.
Mes chers collègues, sur quelque côté de l’hémicycle que vous siégiez, vous savez tous que, dans notre jeunesse, l’école a été notre deuxième famille. Elle nous a aidés à devenir des hommes et des femmes parce que l’enseignement que nous avons reçu était personnalisé.
M. Guy Fischer. Quand même !
M. Jean Boyer. Il n’y avait pas un enseignant pour vingt ou trente élèves. L’enseignement était personnalisé et il nous était délivré généreusement.
Alors, ne vaut-il pas mieux, aujourd’hui, payer des enseignants plutôt que, demain, être obligé – et je ne cède là à aucune démagogie ni à aucune dramatisation – de prévoir un peu partout des éducateurs spécialisés, voire des policiers ?
Monsieur le ministre, la société de demain se bâtit aujourd’hui et, j’en suis convaincu, comme vous l’êtes aussi, l’école en est le meilleur des artisans.
En 1944, Albert Camus, enseignant résistant, n’a-t-il pas écrit, au Chambon-sur-Lignon, en Haute-Loire, l’un des plus beaux bastions de la Résistance, que « la meilleure générosité envers l’avenir est de donner beaucoup au présent » ?
Bien sûr, on ne peut plus revenir à l’école d’il y a cinquante ans. L’école doit s’adapter.
M. le président. Votre question, s’il vous plaît !
M. Jean Boyer. Je vois, monsieur le président, que la pendule tourne.
M. le président. Vous avez même dépassé votre temps de parole ! Pensez à vos cordes vocales ! (Sourires.)
M. Jean Boyer. Nous n’en sommes plus au temps où il s’agissait avant tout de savoir calculer en mètres ou en kilos, mais nous devons avoir un regard social et répondre aux vœux des enseignants, des parents et des élèves.
Merci, monsieur le ministre, de me dire ce que vous envisagez de faire. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. Bernard Frimat. Ils veulent supprimer 1 500 postes !
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’éducation nationale.
M. Luc Chatel, ministre de l'éducation nationale, de la jeunesse et de la vie associative. Monsieur le sénateur, le Gouvernement partage votre ambition pour l’école. (Rires et exclamations sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. Guy Fischer. Quel double langage !
M. Luc Chatel, ministre. C’est la raison pour laquelle il a présenté ici même, au Sénat, l’année dernière, le budget le plus important jamais défendu pour le système éducatif : 60,5 milliards d’euros, soit, je le rappelle, 21 % du budget de la nation.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cela a toujours été !
M. Luc Chatel, ministre. Il faut également savoir que, depuis 1981, le budget par élève a augmenté, en euros constants, de 80 %.
M. David Assouline. Ce n’est pas vrai !
M. Luc Chatel, ministre. Vous avez raison, monsieur le sénateur, d’être vigilant quant à l’encadrement. Je veux vous rassurer en vous disant que, à la rentrée prochaine, il y aura 35 000 professeurs de plus qu’il n’y en avait il y a vingt ans dans le système éducatif, alors qu’il y a 550 000 élèves de moins.
Vous avez raison, monsieur le sénateur, d’être également vigilant quant au nombre d’élèves par classe.
M. Guy Fischer. Vous êtes en train de nous enfumer !
M. Luc Chatel, ministre. Là aussi, je veux vous rassurer : nous aurons, à la rentrée prochaine, en moyenne, 25 élèves par classe de maternelle, contre 27 en 1990.
M. René-Pierre Signé. On apprend quelque chose !
M. Luc Chatel, ministre. Nous aurons environ 22 élèves par classe dans les écoles primaires, contre 23 en 1990.
M. Guy Fischer. Dans les quartiers populaires, ça remonte !
M. Luc Chatel, ministre. Dans certains départements ruraux, comme la Haute-Loire, dont vous êtes l’élu, monsieur Boyer, il y aura en moyenne 20 élèves par classe à la prochaine rentrée dans les écoles primaires.
M. Guy Fischer. Il y a des privilégiés !
M. Luc Chatel, ministre. Je pense que, aujourd’hui, l’enjeu majeur pour le système éducatif, c’est d’être capable de faire en sorte que chaque élève sorte de l’école primaire en sachant lire, écrire et compter.
M. René-Pierre Signé. Il y en a 300 000 qui ne savent pas lire !
M. Luc Chatel, ministre. La loi Fillon de 2005 a posé les fondamentaux. Dans ce cadre, nous avons mis en place, depuis 2008, un système d’aide personnalisée,…
M. René-Pierre Signé. Sans résultat !
M. Luc Chatel, ministre. … permettant à chaque élève qui rencontre des difficultés à l’école de bénéficier d’une « remédiation », prenant la forme d’une aide à la lecture de deux heures par semaine, dispensée au sein même du système éducatif.
Nous avons en outre mis en place des stages de soutien scolaire : 230 000 élèves en ont bénéficié l’année dernière, là encore au sein même du système éducatif.
Bref, notre objectif est de soutenir davantage ceux qui rencontrent des difficultés scolaires.
M. René-Pierre Signé. C’est faux !
M. Luc Chatel, ministre. C’est cela, l’école de la République : faire davantage pour les élèves en difficulté. Telle est, monsieur le sénateur, la politique que nous menons.
N’oublions pas non plus que de nombreux pays dans le monde obtiennent de meilleurs résultats que le nôtre, alors qu’ils consacrent moins de crédits à leur système d’éducation. (Protestations sur les travées du groupe CRC-SPG.)
Mme Jacqueline Gourault. Il faut former des maîtres !
M. Luc Chatel, ministre. Nous devons tenir compte de cette réalité pour mener une politique éducative qualitative, « sur mesure », adaptée à la situation de chaque élève. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP.)
otages français et opérations extérieures
M. le président. La parole est à M. David Assouline.
M. David Assouline. Monsieur le président, mesdames, messieurs les ministres, mes chers collègues, 485 : c’est le nombre de jours de détention de Stéphane Taponier et Hervé Ghesquière, enlevés en Afghanistan avec leurs trois accompagnateurs, alors qu’ils réalisaient un reportage pour notre télévision de service public.
Comme de nombreux journalistes dans le monde, là où il y a des guerres, là où il y a des révolutions, là où la presse est bâillonnée et où l’on risque sa vie en exerçant tout simplement ce métier, ils ont voulu nous informer.
Je veux dire avec force, au nom de tout le groupe socialiste et apparentés, qu’ils remplissaient une mission d’intérêt général : nous informer d’une guerre dans laquelle nos forces armées, que je salue, sont engagées, d’une guerre qui entraîne des pertes humaines régulières, sans que l’on sache d’ailleurs pourquoi nos troupes se trouvent encore dans ce pays, et pour combien de temps ; mais c’est une autre histoire...
Ma question a tout d’abord pour objet de parler d’eux, ici, au Parlement, avec la force indispensable que les politiques de notre pays doivent manifester, au diapason des innombrables initiatives locales et citoyennes, comme ces 10 000 dessins d’enfants dont certains sont exposés depuis ce matin. Parce que le pire pour Stéphane et Hervé, comme pour les autres otages français retenus par Al-Qaïda au Maghreb islamique au Niger, serait l’oubli ou l’habitude que nous prendrions de leur absence.
Que pouvez-vous nous dire de leurs conditions de détention, des chances que nous avons de les voir libres le plus vite possible, des conditions posées par leurs geôliers pour leur libération, de ce qui est fait et sera fait par le Gouvernement pour que leurs vies ne soient pas mises en danger et qu’ils soient libérés ? Je vous pose les mêmes questions, bien sûr, pour tous nos otages retenus à l’étranger.
Si je parle plus particulièrement de Stéphane Taponier et Hervé Ghesquière, c’est parce que nous constatons, alors que se développent les gigantesques nouveaux moyens de communication citoyenne dont se saisissent les peuples et les jeunes pour demander la démocratie, partout dans le monde, combien la liberté de la presse est menacée, combien la violence d’État s’exerce contre les journalistes : en Russie, en Chine, hier en Égypte, bien sûr en Libye, et aujourd’hui en Syrie, pays qui leur interdit d’exercer leur métier et dans lequel, entre autres, le journaliste algérien Khaled Sid Mohand, qui travaille pour France Culture, est en état d’arrestation depuis le 9 avril dernier.
Que pouvez-vous nous dire sur les actions entreprises par le Gouvernement, au sein des instances internationales, au travers de ses relations avec les États concernés, pour que cette liberté fondamentale, consubstantielle de la démocratie, celle d’informer, soit respectée et pour que la vie de celles et ceux qui exercent ce noble métier de journaliste soit protégée ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre chargé de la coopération.
M. Henri de Raincourt, ministre auprès du ministre d’État, ministre des affaires étrangères et européennes, chargé de la coopération. Je remercie M. David Assouline de m’avoir posé cette question, car elle nous donne l’occasion d’avoir en cet instant une pensée très forte pour nos deux compatriotes retenus en otage en Afghanistan depuis presque 500 jours, une durée énorme qui doit être, moralement et physiquement, à la limite du supportable. Leur courage mérite d’être salué et de recevoir l’hommage unanime de la représentation nationale.
Vous me permettrez de rendre également hommage au courage de nos compatriotes détenus dans d’autres parties du monde, dont vous avez également parlé, monsieur le sénateur. Nous pensons aussi à eux.
Le gouvernement actuel est mobilisé à chaque seconde sur ce dossier, comme l’ont été les gouvernements précédents pour de semblables affaires, et c’est tout à l’honneur de notre République. Les ministres des affaires étrangères et de la défense, le Premier ministre, le Président de la République font tout ce qui est en leur pouvoir pour obtenir la libération prochaine de tous nos otages, dans des conditions acceptables par les uns et par les autres. C’est un travail de tous les instants !
Vous nous demandez des informations, monsieur le sénateur.
Nombre de ceux qui siègent dans cet hémicycle ont exercé des responsabilités gouvernementales et savent combien il est difficile de fournir des informations sur ce type de situation, d’abord parce que nous ne les avons pas toutes, mais aussi parce que celles dont nous disposons ne sont pas nécessairement fiables.
De plus, en la matière, le dilemme entre transparence et discrétion n’est jamais définitivement tranché.
Je veux vous dire que nous communiquons aux familles des otages, jour après jour, toutes les bribes d’information que nous pouvons récolter ici ou là. Je vous demande de nous faire confiance, car nous partageons avec vous la volonté très forte de ramener à la maison nos compatriotes qui en ont été injustement éloignés.
Vous avez raison, monsieur le sénateur, de saluer aussi le travail des journalistes en cette période difficile.
Sachez que la France n’est pas inactive au sein du Conseil de sécurité des Nations unies, où nous avons pris des initiatives en la matière dès 2006, et, plus récemment, en votant la résolution 1973 relative à la situation en Lybie.
Comme vous, nous considérons que la liberté de la presse est l’un des éléments fondateurs de la démocratie et qu’aucun pays ne saurait s’en exonérer. Nous partageons avec vous tous ce bel idéal. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, de l’Union centriste et du RDSE.)
chiffres du chômage
M. le président. La parole est à M. Alain Fouché.
M. Alain Fouché. Ma question s’adresse à M. le ministre du travail, de l’emploi et de la santé.
Après une année 2009 difficile pour l’emploi en France, 2010 n’a pas été épargnée par les effets de la crise. Nous avons subi, l’an dernier, une augmentation de 5,3 % du nombre d’inscrits sur les listes de Pôle emploi.
Certes, d’autres pays, notamment parmi nos voisins européens, connaissent encore plus de difficultés. Le taux de chômage en Espagne est ainsi de 20,2 % et celui de l’Irlande de 14,9 %. Comme vous l’avez dit précédemment, monsieur le ministre, la politique sociale française, unique au monde – revenu de solidarité active, politique familiale, régime d’indemnisation chômage... –, a permis, mieux qu’ailleurs, de protéger les demandeurs d’emploi.
Toutes les mesures prises en faveur de l’emploi commencent à porter leurs fruits. Ainsi le nombre de chômeurs a-t-il diminué de 0,8 % au mois de mars, ce qui représente une nouvelle baisse significative.
M. René-Pierre Signé. Question téléphonée !
M. Guy Fischer. Le nombre des précaires augmente !
M. Alain Fouché. S’il semble bien que nous nous dirigions vers la sortie de crise, nous ne saurions relâcher les efforts accomplis en faveur d’une véritable politique pour l’emploi. Nous constatons en effet tous les jours, sur le terrain, que les Français éprouvent encore de l’inquiétude face à cette fébrile reprise.
Une récente étude de l’INSEE indique que la France gagnera, d’ici à 2025, 110 000 actifs par an. C’est un signe très positif pour la santé de notre pays ; mais les créations d’emplois doivent suivre.
Vous aviez fait savoir en janvier, monsieur le ministre, que vous mobiliseriez tous les acteurs de l’emploi, notamment sur le plan régional, afin que « 2011 soit une année de baisse sensible du chômage ». Aussi, je me réjouis du travail accompli et de l’évolution positive apparue depuis trois mois.
M. Jean-Pierre Sueur. C’est téléphoné !
M. Alain Fouché. Je souhaite connaître vos engagements et les mesures que vous comptez prendre pour maintenir une action forte en faveur de l’emploi, et plus particulièrement de celui des jeunes et des plus de 55 ans. Car la création d’emplois, monsieur le ministre, reste notre priorité ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi que sur plusieurs travées de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre du travail.
M. Xavier Bertrand, ministre du travail, de l’emploi et de la santé. Comme vous l’avez dit, monsieur le sénateur, il n’est pas question un seul instant de relâcher nos efforts, au moment même où nous prenons connaissance d’une double bonne nouvelle.
Première bonne nouvelle : le chômage a reculé au mois de mars. Le nombre de demandeurs d’emploi a en effet baissé de 21 100.
M. René-Pierre Signé. Des faux emplois !
M. Xavier Bertrand, ministre. C’est la baisse la plus importante depuis février 2008, c’est-à-dire avant la crise. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Des contrats d’un mois par-ci, par-là !
M. Xavier Bertrand, ministre. Deuxième bonne nouvelle : depuis le premier trimestre 2008, donc également avant la crise, c’est la première fois que le chômage enregistre une baisse pendant trois mois consécutifs.
Nous savons pertinemment que la sortie de crise ne sera effective pour nos concitoyens que lorsque le chômage aura reculé durablement. Voilà la réalité !
Il nous faut aussi noter, parmi ces bonnes nouvelles, que le chômage des jeunes ne cesse de reculer : il a baissé de près de 7 % sur une année. Certes, ce n’est pas assez !
Mme Nicole Bricq. Et les chômeurs de longue durée ? Et les seniors ?
M. Xavier Bertrand, ministre. Les mesures prises par le Gouvernement en faveur de l’accompagnement des demandeurs d’emploi de longue durée et de plus de 50 ans commencent seulement à porter leurs fruits. (C’est faux ! sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.) Nous devons d’abord leur permettre de bénéficier d’un suivi individualisé. C’est pourquoi ils sont tous reçus individuellement par les agents de Pôle emploi. Nous voulons aussi leur proposer des formations et des contrats aidés.
À cet égard, je demande à tous ceux qui exercent des responsabilités départementales de répondre à l’appel du Gouvernement en leur proposant davantage de contrats aidés.
Mme Nicole Bricq. C’est ça !
M. Xavier Bertrand, ministre. Un contrat aidé offert à un chômeur de longue durée qui perçoit le RSA coûte moins cher au département : 400 euros au lieu de 467 euros. Et, à la fin du mois, c’est une personne qui reçoit une fiche de paie plutôt qu’une allocation sans activité professionnelle.
M. René-Pierre Signé. Une fiche de paie pour un mois !
M. Xavier Bertrand, ministre. Voilà ce que nous proposons aujourd'hui.
Ensemble, nous pouvons faire encore plus ! Sur tous ces sujets, nous continuerons à proposer de nouvelles mesures en faveur de la formation en alternance, de l’apprentissage et des contrats de professionnalisation. Je prendrai, avec Nadine Morano, de nouvelles initiatives, qui seront également soumises au Parlement.
Enfin, il nous faut adopter, en matière d’emploi, une approche qui soit au plus près du terrain et, pour cela, définir une nouvelle feuille de route pour Pôle emploi.
Prenons l’exemple de la restauration. J’ai signé tout à l’heure, avec Frédéric Lefebvre, l’avenant relatif aux métiers de la restauration. Je rappelle que le premier objectif de la baisse de la TVA dans la restauration était de créer des emplois. Ce secteur s’est engagé à recruter, demain, 20 000 personnes de plus chaque année.
M. René-Pierre Signé. Pour faire la vaisselle !
M. Guy Fischer. Il y a 10 % d’employés en moins !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Échec total !
M. Xavier Bertrand, ministre. Nous devons trouver les demandeurs d’emploi susceptibles d’occuper ces postes. Or cet objectif, nous ne pourrons pas l’atteindre à coup sûr en travaillant au niveau national ou régional : pour être réellement efficaces, nous devons agir au niveau local, et je revendique clairement cette option.
Nous avons l’ambition de faire reculer le chômage en adoptant une approche pragmatique.
M. Guy Fischer. Avec une réduction des effectifs !
M. Xavier Bertrand, ministre. C’est ainsi que nous redonnerons à nos concitoyens un emploi, de l’espoir et de la confiance. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Jean Boyer applaudit également.)
fonctionnement de la justice et gardes à vue
M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Je souhaitais attirer l’attention du ministre de la justice sur le désarroi et la colère qui règnent dans le monde de la justice, comme d’ailleurs au sein de la police, ces deux maillons indispensables d’une même chaîne.
Depuis plusieurs mois, avocats et magistrats s’inquiètent du dépouillement progressif de la justice. Je rappelle, notamment, l’ampleur du rassemblement du 29 mars dernier et l’unité affichée à cette occasion par les personnels de justice. Cette colère s’est amplifiée avec le vote de la loi relative à la garde à vue, en raison des difficultés liées à son entrée en application.
Cette loi n’est qu’une illustration de ce malaise du monde judiciaire. Le Gouvernement se voit contraint de faire appliquer dans la précipitation une loi qui aurait dû être fondamentale !
Depuis plusieurs années, la Cour européenne des droits de l’homme alerte la France sur la nécessité d’une réforme de la garde à vue. Mais il aura fallu attendre l’intervention du Conseil constitutionnel, en juillet 2011, pour que vous vous penchiez enfin sur cette réforme !
L’Assemblée plénière de la Cour de cassation, au travers des arrêts du 15 avril 2011, a décidé de l’application immédiate de cette loi. Le ministre a pris une circulaire, soit, mais celle-ci reste très évasive quant à l’application concrète de cette réforme.
Policiers, avocats et magistrats sont unanimes : cette loi a été votée sans que les moyens nécessaires à sa bonne mise en œuvre aient été prévus !
Les acteurs du monde judiciaire n’avaient déjà plus les moyens d’exercer leurs missions dans des conditions acceptables. Or l’entrée en vigueur, non préparée, de cette loi n’a rien arrangé. Le caractère dérisoire des ressources qui sont allouées à la justice est à la hauteur du peu de cas que la majorité en fait !
M. le garde des sceaux a déclaré récemment que la justice disposait désormais de ressources, y compris humaines, suffisantes pour son fonctionnement. Or cela est faux, vous le savez, et je regrette qu’il ne soit pas présent pour me répondre.
Vous ne savez comment faire, aujourd’hui, pour mettre en œuvre cette réforme de la garde à vue qui vous est imposée et que vous n’avez pas su anticiper. Pourtant, cela fait près de dix ans que vous auriez dû la prévoir...
Les locaux des services de police et de gendarmerie doivent être modernisés. Cette réforme s’impose, mais elle ne pourra entrer dans les faits sans que des fonds soient débloqués.
Vous devez également doter de plus de moyens les recours à l’aide juridictionnelle pour les gardés à vue.
M. le président. Votre question, s’il vous plaît !
Mme Alima Boumediene-Thiery. Près de 100 millions d’euros semblent nécessaires. Les avocats qui assisteront des gardés à vue au titre de l’aide juridictionnelle sont rémunérés en moyenne 4,68 euros de l’heure ! C’est réellement irrespectueux de leur travail !
Il convient donc que vous preniez les mesures nécessaires dès aujourd’hui pour que les droits des personnes gardées à vue soient respectés et qu’avocats, magistrats et policiers puissent travailler dans des conditions décentes.
Je souhaiterais donc savoir comment le Gouvernement envisage de prendre en compte toutes les revendications des policiers, des avocats et des magistrats. Comment allez-vous enfin donner à la justice les moyens de fonctionner correctement et de mettre en œuvre de façon effective la réforme de la garde à vue ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. le ministre du budget.
M. François Baroin, ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'État, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, madame la sénatrice, permettez-moi tout d’abord de définir en quelques mots le cadre général de l’effort entrepris sous l’impulsion du Gouvernement s’agissant des politiques publiques en matière de justice.
Le budget de la justice est l’un des deux budgets auxquels ont été épargnés les efforts de réduction des déficits.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il est tellement bas !
M. François Baroin, ministre. C’est, avec celui de l’enseignement supérieur et de la recherche, le seul à connaître une augmentation : il a été relevé de 4 % cette année.
M. Roland Courteau. Tout va bien, donc !
M. François Baroin, ministre. Permettez-moi simplement, madame la sénatrice, pour nourrir votre réflexion et vous permettre d’adopter une vision peut-être un peu plus objective de la réalité du monde judiciaire, de citer quelques chiffres : entre 2002 et 2009, les effectifs pénitentiaires ont augmenté de 33 % ; sur la même période, le nombre de conseillers d’orientation et de conseillers de probation a augmenté de 55 % ; enfin, à l’horizon de 2018, conformément à la volonté du Président de la République, 70 000 places seront ouvertes dans les prisons.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous ne parlez que des prisons ! Nous parlons des magistrats, des greffiers, des personnels ! Il n’y a pas que la pénitentiaire !
M. François Baroin, ministre. Le garde des sceaux, dont je vous prie de bien vouloir excuser l’absence – il est actuellement en déplacement en province – précisera les modalités de ce plan, qui seront formalisées avant l’été.
Une dynamique complémentaire sera donc donnée pour répondre aux sollicitations de la société à l’égard de l’autorité judiciaire, dont les peines prononcées doivent bien entendu être effectivement subies.
M. Yannick Bodin. Vous êtes donc contents de vous !
M. François Baroin, ministre. J’en viens maintenant, madame la sénatrice, plus précisément à la partie de votre question qui portait sur l’application de la réforme de la garde à vue.
Tout d’abord, pourquoi une telle réforme ? Vous l’avez rappelé vous-même : le Conseil constitutionnel, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, a rendu sa décision et demandé l’applicabilité immédiate du dispositif, c’est-à-dire la présence de l’avocat en garde à vue dès la première heure. Cette décision a été confirmée par la Cour de cassation, qui a appuyé sa propre jurisprudence sur celle, constante, de la Cour européenne des droits de l’homme, laquelle a justifié cette règle au titre du respect des libertés publiques.
C’est la raison pour laquelle le Gouvernement a décidé d’appliquer instantanément la loi du 14 avril 2011 relative à la garde à vue. Le ministre de l’intérieur a rendu immédiatement opérationnel ce dispositif, et je salue sa diligence et la célérité avec laquelle il a pris les dispositions pour les officiers de police judiciaire.
Où en sommes-nous aujourd'hui ? À l’issue des discussions avec les barreaux et les avocats, nous avons décidé que la rémunération pour une présence en garde à vue serait de 300 euros hors taxes, ce qui est, pour les avocats assistant les gardés à vue ou pour les avocats commis d’office, supérieur au niveau moyen observé dans les pays de l’Union européenne. Je vous renvoie précisément aux niveaux de rémunération fixés en Espagne, en Allemagne et en Grande-Bretagne.
La proposition du Gouvernement permettra donc, en termes de rémunération, de délai d’intervention et de temps de présence des avocats, de répondre à l’exigence de respect des libertés publiques dans notre pays. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
sécurité en nouvelle-calédonie
M. le président. La parole est à M. Simon Loueckhote. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Simon Loueckhote. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'intérieur.
Tout comme en métropole, l’insécurité progresse en Nouvelle-Calédonie. En effet, d’année en année, les chiffres de la délinquance ne cessent d’augmenter – la hausse était de 4,45 % en 2010 – alors que les effectifs et les moyens des forces de sécurité rapportés à la population sont supérieurs à ceux de la métropole.
En zone police, la ville de Nouméa concentre plus de 550 policiers, dont 150 municipaux, sans compter les 60 auxiliaires de proximité récemment créés et financés par la province Sud.
Monsieur le ministre, ce constat m’amène à vous demander un audit et une rénovation en profondeur des services concourant à la sécurité publique en Nouvelle-Calédonie, car il semble y avoir un problème.
Apparemment, la police nationale ne manque ni de moyens humains ni de moyens matériels. Cependant, des dysfonctionnements dans l’utilisation de ceux-ci et dans leur répartition ont été dénoncés avec force ces derniers temps.
Ainsi, j’ai pu le constater moi-même, la brigade anti-criminalité de Nouméa patrouille parfois à pieds, faute de véhicules de service disponibles en raison de… la généralisation de l’usage privé de ces derniers. (Sourires.)
La population dans son ensemble a par conséquent le sentiment que l’État n’exerce pas pleinement sa mission de sécurité publique faute de rationalisation de ses moyens.
Aussi, monsieur le ministre, je vous remercie de bien vouloir nous donner l’assurance que l’État adaptera ses moyens pour lutter contre l’insécurité grandissante en Nouvelle-Calédonie en général, et à Nouméa en particulier.
Par ailleurs, alors que les chiffres de la délinquance en Nouvelle-Calédonie atteignent des sommets, il apparaît curieusement que la lutte contre la délinquance se fait moins pressante en Nouvelle-Calédonie qu’en France métropolitaine.
Ne faudrait-il pas redéployer les effectifs et instituer une véritable unité de police anti-délinquance à Nouméa ? J’aimerais savoir, monsieur le ministre, ce que vous avez à proposer en la matière.
En effet, un redéploiement des effectifs et la création d’une véritable unité de maintien de l’ordre par la remise en cause de la compagnie d’intervention sont souhaités. L’objectif serait de donner à cette unité une véritable mission de sécurisation des biens et des personnes. Actuellement, 45 % seulement des appels au 17 sont satisfaits faute de moyens réellement disponibles. Les moyens sont certes présents, mais il faut les optimiser, et la marge de progression semble être importante.
Monsieur le ministre, que comptez-vous faire concrètement pour enfin redonner à la Nouvelle-Calédonie la douceur de vivre qu’elle semble avoir perdue ? (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. le ministre de l’intérieur.
M. Claude Guéant, ministre de l'intérieur, de l'outre-mer, des collectivités territoriales et de l'immigration. Monsieur le sénateur, je commencerai par apporter quelques compléments aux indications chiffrées que vous citiez à l’instant.
Permettez-moi tout d’abord de souligner que l’insécurité en métropole n’augmente pas ; au contraire, elle est en recul : elle a diminué de 2 % l’an dernier et de 10 % depuis 2002. (Exclamations étonnées sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Pour ce qui est de la Nouvelle-Calédonie, il est vrai que, en 2010, la délinquance a augmenté dans les proportions que vous avez indiquées. Je voudrais simplement rappeler que, l’année précédente, elle avait baissé de près de 3 % – 2,94 % exactement – et de 5 % à Nouméa.
M. Roland Courteau. À vérifier !
M. Claude Guéant, ministre. J’ajoute que l’augmentation de 2010 est justifiée notamment par ce que, dans le jargon policier, on appelle les IRAS, ou infractions révélées par l’action des services, c'est-à-dire des infractions ne donnant pas lieu à plainte mais que l’activité policière met en évidence.
Celant étant, monsieur le sénateur, je suis d’accord avec vous : il est toujours possible de mieux faire et, comme vous, je ne me satisfais pas de la situation actuelle en Nouvelle-Calédonie. J’approuve en outre tout à fait la façon constructive et opérationnelle dont vous abordez le problème.
Le haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie a chargé le directeur de la sécurité publique d’une mission de réorganisation des services, qui doit lui être présentée le 20 mai prochain. Cette nouvelle organisation aura pour but, en particulier, d’adapter tout le dispositif policier à la réalité concrète de la délinquance selon les horaires et les quartiers.
J’ajoute que, au-delà de cette mission locale, j’ai demandé au directeur général de la police nationale de faire en sorte qu’une mission de la direction centrale de la sécurité publique se rende sur place dès que le directeur de la Nouvelle-Calédonie aura fait son travail, pour procéder à un audit et examiner l’éventualité de la création d’une unité spécialisée dans le maintien de l’ordre.
M. Claude Domeizel. Dormez tranquilles, braves gens !
M. Roland Courteau. Tout va bien !
M. Claude Guéant, ministre. … il est très important que les Calédoniens soient en sécurité, au même titre que l’ensemble de leurs compatriotes. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
forêt de montmorency
M. le président. La parole est à M. Hugues Portelli.
M. Hugues Portelli. Ma question s'adresse à M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l'aménagement du territoire.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Absent !
M. Hugues Portelli. La sauvegarde de notre patrimoine forestier est une priorité environnementale pour laquelle M. le Président de la République a rappelé aujourd’hui même son engagement personnel.
Or, depuis plusieurs années, nous assistons à l’intensification des coupes massives dans les forêts du Val-d’Oise, c’est-à-dire les forêts de Montmorency, Carnelle et L’Isle-Adam, malgré la mobilisation de nombreux élus, des associations et des promeneurs.
Pour la seule forêt de Montmorency, nous sommes passés entre 2005 et 2009 de 10 000 mètres cubes d’arbres abattus par an à 21 000 mètres cubes, soit une augmentation de plus de 100 %, et la tendance n’a fait que s’aggraver depuis.
Cela signifie que cette forêt sera percée de trouées irréversibles durant plus de cinquante ans.
Ces destructions sont tellement impressionnantes que nous enregistrons des protestations croissantes de la part des habitants, qui croient que ces coupes sont motivées par la construction d’autoroutes…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Une autoroute à Montmorency ? Jamais de la vie !
M. Hugues Portelli. … ou d’équipements de gros calibre, ce qui n’est évidemment pas le cas.
Face à nos protestations, l’Office national des forêts, qui n’a même pas été capable de procéder au ramassage des arbres abattus lors de la grande tempête de 1999, fait la sourde oreille.
M. René-Pierre Signé. Et qui a vendu la forêt de Chantilly ?
M. Hugues Portelli. Il est primordial de défendre notre patrimoine forestier périurbain, de défendre les paysages sylvestres du Val-d’Oise et de la périphérie de l’Île-de-France, qui constituent l’un des « poumons verts » de notre région. Il y va également de la sauvegarde de la biodiversité.
Mme Nicole Bricq. Ce type de questions, c’est le mardi matin, normalement !
M. Hugues Portelli. Monsieur le ministre, comment comptez-vous agir pour faire cesser les coupes de bois intensives ? Est-il possible de classer rapidement ces forêts en forêts de protection ? Peut-on même envisager un moratoire sur les coupes programmées ? (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme Nicole Bricq. Revenez mardi matin !
M. le président. La parole est à M. le secrétaire d'État chargé du logement.
Mme Nicole Bricq. Robin des bois !
M. Benoist Apparu, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement, chargé du logement. Je vous demande tout d’abord de bien vouloir excuser M. Bruno Le Maire qui, comme vous le savez, est en déplacement en Corrèze avec le Président de la République, précisément pour parler de la forêt.
Vous lui demandez d’envisager le classement du massif forestier de Montmorency en forêt de protection et un moratoire sur les coupes programmées.
M. René-Pierre Signé. Et sur l’hippodrome de Chantilly ?
M. Benoist Apparu, secrétaire d'État. Ce massif du Val-d’Oise, d’une superficie de 4 700 hectares, assure trois fonctions importantes pour la population : une fonction sociale – accueil du public et espace de loisirs –, une fonction de protection de la biodiversité et de la ressource en eau et une fonction économique à travers la production de bois.
M. David Assouline. Vous êtes un grand spécialiste de tout cela !
M. Benoist Apparu, secrétaire d'État. La politique forestière dans les forêts périurbaines repose sur la nécessité de trouver un équilibre entre deux réalités : d’un côté, l’expansion urbaine et, de l’autre, la protection des espaces boisés périurbains.
La région d’Île-de-France est évidemment particulièrement concernée, avec 21 000 hectares de forêts susceptibles de faire l’objet d’un tel classement.
Concernant le classement du massif de Montmorency en forêt de protection, un dialogue est en cours entre les services de la préfecture et ceux du ministère. L’engagement de cette procédure est simplement soumis à une condition préalable : sa compatibilité avec la présence d’un important gisement de gypse, exploité en souterrain et d’intérêt national.
Enfin, concernant la question des coupes de bois effectuées dans ce massif par l’Office national des forêts, en charge de la gestion des forêts domaniales, elles sont conformes au schéma d’aménagement 2004-2023. Le retard pris dans le renouvellement des peuplements au cours du précédent aménagement a, il est vrai, entraîné un vieillissement prématuré de cette forêt, qui rend nécessaire un effort de régénération.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Et alors ?
M. René-Pierre Signé. Éric Woerth !
M. Benoist Apparu, secrétaire d'État. L’accueil du public a, dans ce cadre, été pris en compte par la réalisation de coupes limitant les impacts visuels et préservant des îlots paysagers. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. Nous en avons terminé avec les questions d'actualité au Gouvernement.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures, est reprise à seize heures quinze, sous la présidence de Mme Catherine Tasca.)
PRÉSIDENCE DE Mme Catherine Tasca
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
5
Dépôt dE rapports du Gouvernement
Mme la présidente. M. le Premier ministre a communiqué au Sénat, en application de l’article 67 de la loi n° 2004-1343 du 9 décembre 2004 de simplification du droit, les rapports de mise en application de :
- la loi n° 2009-1312 du 28 octobre 2009 tendant à garantir la parité de financement entre les écoles élémentaires publiques et privées sous contrat d’association lorsqu’elles accueillent des élèves scolarisés hors de leur commune de résidence ;
- la loi n° 2010-1149 du 30 septembre 2010 relative à l’équipement numérique des établissements de spectacles cinématographiques ;
- la loi n° 2010-873 du 27 juillet 2010 relative à l’action extérieure de l’État.
Acte est donné du dépôt de ces rapports.
Les deux premiers ont été transmis à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, le troisième à la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées ainsi qu’à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication.
Ils seront disponibles au bureau de la distribution.
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Renforcement des moyens de contrôle et d'information des groupes politiques
Rejet d'une proposition de loi
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe RDSE, de la proposition de loi tendant à renforcer les moyens de contrôle et d’information des groupes politiques de l’Assemblée nationale et du Sénat, présentée par M. Yvon Collin et les membres du groupe du RDSE (proposition de loi n° 355, rapport n° 436).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Yvon Collin, auteur de la proposition de loi.
M. Yvon Collin, auteur de la proposition de loi. « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants ou par la voie du référendum. »
Voilà, madame la présidente, mes chers collègues, tout le fondement de notre pouvoir. Voilà toute la légitimité du pouvoir constitutionnel qu’est le Parlement.
L’exercice de la souveraineté part du peuple et, toujours, il doit y revenir ; mieux, il ne doit jamais s’en éloigner.
Le peuple est divers, le Parlement est divers, chacun des groupes politiques qui le composent l’est également, et le RDSE en est le meilleur exemple.
Mes chers collègues, c’est de par notre diversité que nous sommes vraiment les représentants de la nation souveraine. C’est de notre diversité que nos assemblées tirent leur essence d’assemblées démocratiques. Notre fonctionnement doit être fidèle à cette diversité. Il n’y a pas de Parlement démocratique qui ne la respecte.
Il s’ensuit que le Parlement ne saurait être le siège d’aucun monopole. La majorité exerce, si l’on veut, une forme de monopole, mais c’est un monopole ponctuel, fugace, qui se limite au moment très bref du vote. Or le Parlement n’est pas que le lieu des votes : c’est aussi et peut-être surtout le lieu des débats et des délibérations.
Dans les délibérations, tout doit être pluriel, tout doit être partagé. Le partage, c’est l’échange ; mieux encore, c’est le don. Les assemblées parlementaires, souvent décrites et parfois vécues comme des lieux d’antagonisme, sont avant tout des lieux de don. C’est à cette condition que la nation peut percevoir que le Parlement est à son image, l’image d’une société politique où la différence des points de vue et des préférences coexistent dans la communauté d’une association politique dans laquelle importe avant tout l’accord sur la nécessité de délibérations communes.
Toutefois, ce don ne peut être n’importe quel don. À l’évidence, il rayonne au-delà de nos hémicycles en direction de la nation. Le destinataire ultime, c’est elle. Or on ne fait pas n’importe quel don à la nation. Tout mandat électif implique l’engagement de lui faire le don de son attention, mais cela ne suffit pas. L’attention qu’il nous faut porter à la nation doit être une attention appliquée, sérieuse, informée. Le Conseil constitutionnel l’a, d’une certaine manière, reconnu en dégageant le principe de clarté et de sincérité des débats parlementaires.
De fait, l’engagement politique réclame cette vertu qui, à tout le moins, implique une forme de déontologie : s’engager à prendre soin de la nation, et mm à en prendre un soin rigoureux. C’est notre responsabilité collective et c’est la responsabilité de chacun d’entre nous.
Mais n’est responsable que celui qui est en état d’assumer ses devoirs. Pour remplir nos obligations, qui sont au cœur de notre mandat démocratique, nous avons besoin de moyens et, ces moyens, nous y avons droit !
Il n’y a point ici de distinction à faire entre un parlementaire et un autre. Face à notre responsabilité démocratique, nous sommes tous égaux. Partant, nous sommes tous égaux devant les droits qui sont nécessaires à l’accomplissement de notre devoir.
Chacun le sait ici, l’histoire parlementaire est traversée par la préoccupation de donner aux représentants du peuple la garantie des droits indispensables à leur mandat et par les luttes entreprises en ce sens. Toute l’histoire des parlements démocratiques est l’histoire d’un élargissement de leurs moyens et, même si nous respectons tous ici les équilibres du régime politique que dessine la Constitution, nous devons admettre que cette histoire n’est pas finie.
C’est dans cette histoire que, modestement, s’inscrit la proposition de loi que j’ai déposée avec l’ensemble des membres de mon groupe et dont tout l’objet est d’augmenter les moyens des parlementaires en vue de leur permettre d’exercer plus pleinement leur responsabilité élective, qui est leur responsabilité démocratique, ni plus, ni moins !
Mes chers collègues, notre pays souffre de sa politique, et nous ne sommes pas les derniers à éprouver cette souffrance. Il semble en effet qu’un nombre toujours plus important de nos concitoyens ait le sentiment diffus que les réponses du politique ne sont pas celles qu’ils en attendent. L’abstention progresse ; nous nous en lamentons. La confiance dans les institutions régresse ; nous le déplorons. L’influence des partis non républicains augmente ; nous nous en inquiétons et nous déclarons vouloir nous mobiliser pour endiguer ce que nous percevons à juste titre comme une montée des périls.
Les sentiments contre-démocratiques qui agitent certains de nos concitoyens ne sont pas seulement des sentiments de déception devant les résultats d’une politique donnée. Il y a plus grave : la percée d’un sentiment de défiance, particulièrement vis-à-vis des institutions.
Cette défiance ne s’ancre pas dans la considération d’un manquement à une obligation de résultat. Bien pis, elle met en cause notre capacité à satisfaire à nos obligations d’employer tous nos moyens au service du pays.
Plus que jamais, nous devons obvier à ce sentiment. Plus que jamais, nous devons nous préoccuper non seulement de mettre en œuvre les moyens dont nous disposons mais également, si c’est nécessaire et lorsque ça l’est, les réunir.
Or cette nécessité se fait toujours et encore plus sentir à mesure que les affaires du monde se complexifient et que les défis dont la société attend de nous que nous les prenions à bras-le-corps se diversifient.
Sans doute, presque par réflexe d’ailleurs, ne sommes-nous pas restés inertes face à la possible perte d’efficacité de notre mission que nous percevons. Dans certaines proportions, nous avons su voir le grave péril que représente cette perspective et, tous, nous ressentons la nécessité de le prévenir.
Des réformes, dont je ne citerai que les plus réussies, ont ainsi été adoptées.
Ce fut d’abord l’initiative, sur le moment passée un peu inaperçue, mais désormais considérée comme un exemple, qui a conduit à la réforme de l’ordonnance organique sur les lois de finances : c’est maintenant la fameuse LOLF.
Cette réforme était – faut-il le rappeler ? – d’origine parlementaire puisque issue d’une proposition de loi organique de Didier Migaud, relayé au Sénat par notre ancien collègue Alain Lambert, dont je veux saluer le rôle, notamment parce qu’il a alors témoigné d’un esprit transcendant les attaches partisanes pour promouvoir ce qui lui paraissait être l’intérêt du Parlement et finalement celui de la Nation.
Permettez-moi, monsieur le ministre, mes chers collègues, d’associer à cet hommage celui qui est encore le rapporteur général de la commission des finances du Sénat, Philippe Marini, sans le soutien duquel cette réforme n’aurait pas été possible.
Je crois pouvoir citer également la loi organique sur les lois de financement de la sécurité sociale, dont la discussion a donné au président de la commission des affaires sociales et à notre collègue Philippe Vasselle de défendre les missions du Parlement. Il faut en effet savoir que le rôle joué alors par le Sénat n’a pas été seulement d’améliorer le texte de l’Assemblée nationale : il est allé très au-delà puisque notre assemblée a ajouté au texte transmis la totalité des articles relatifs à l’information et au contrôle du Parlement.
Malheureusement, un certain nombre d’évolutions récentes laissent plus sceptiques.
Je reconnais que les tentations de supprimer certaines délégations parlementaires dans lesquelles nos assemblées ont trouvé des vecteurs utiles à la réflexion du Parlement ont été écartées, et je m’en réjouis. Je m’interroge toutefois sur les moyens d’action de ces délégations. Je m’inquiète des réticences manifestées par le Sénat devant l’initiative prise par l’Assemblée nationale de créer un comité ad hoc d’évaluation des politiques publiques, réticences qui ne font que prolonger les échecs finalement rencontrés par les offices parlementaires d’évaluation des politiques publiques et de la législation.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est l’Assemblée nationale qui n’en a pas voulu !
M. Yvon Collin. Enfin, je déplore que la révision constitutionnelle de 2008 n’ait pas été l’occasion d’une véritable revalorisation du Parlement, pourtant si nécessaire. Il faudra sans doute y revenir, car on ne peut s’arrêter en chemin : il faut aller au bout de la logique.
Il y eut des avancées, me dira-t-on. Je ne le nie pas et ce n’est pas parce qu’elles furent trop limitées qu’on doit les négliger. Encore faut-il, pour ne pas céder à une telle tentation, que nous ayons réellement les moyens de faire en sorte que ces maigres avancées n’en restent pas au stade des virtualités !
C’est aussi l’objet de notre proposition de loi, texte d’appel pour vous dire à cette tribune, mes chers collègues, qu’il faut poursuivre la revalorisation des droits du Parlement…
M. René Garrec, rapporteur de la commission des lois. C’est vrai ! Mais pas comme ça !
M. Yvon Collin. …et qu’il faut donner aux groupes parlementaires les moyens d’exercer les droits nouveaux qui leur sont désormais reconnus dans la Constitution.
En matière institutionnelle, il existe de petites mesures qui produisent de grands effets et de grandes proclamations qui n’en ont guère ! Et comme il n’y a pas grand-chose de pire que de voir de grandes proclamations n’engendrer que déception et méfiance, il faut louer les petites mesures qui permettent aux grands principes d’avoir la portée qu’on leur prête mais qu’ils n’ont pas sans elles.
La révision constitutionnelle de 2008 a été présentée comme devant permettre de revaloriser le rôle du Parlement et de donner une plus large place aux groupes politiques. Notre proposition de loi traite précisément des moyens de travail concrets des groupes parlementaires et plus largement, à travers ceux-ci, des moyens donnés aux parlementaires.
On a beaucoup insisté au moment de l’examen de la révision constitutionnelle sur l’innovation que constitueraient la reconnaissance du rôle des groupes politiques et celle des « groupes minoritaires ou d’opposition », catégories créées à cette occasion.
Personne ne contestera que les groupes politiques n’ont pas attendu 2008 pour exister et jouer le rôle que l’on sait dans la vie démocratique de la nation, au Parlement, bien sûr, mais également au-delà. Il me semble que cette réalité politique et quasi institutionnelle devrait dispenser de tout débat juridique préalable à l’attribution de droits à des entités aussi essentielles à notre vie politique et à notre vie démocratique que nos groupes parlementaires.
Mais voilà que, trouvant à redire à l’attribution par notre texte des droits qui leur ont été conférés aux groupes, notre commission des lois prétend que ceux-ci n’ont pas une substance juridique telle que ces droits soient à considérer !
Elle souhaite placer le débat sur le terrain juridique ou du moins saisir la politique par le droit quand c’est toujours l’approche contraire qui est toujours la plus pertinente et la plus vraie. J’y reviendrai lorsque j’interviendrai contre la motion déposée par le rapporteur, mais je dois quand même dire à ce stade combien je trouve surprenant que l’interprétation de nos usages parlementaires comme le sens donné à la dernière révision constitutionnelle ainsi qu’à la révision de notre propre règlement puissent conduire à considérer que les groupes sont quantité négligeable sur le plan juridique !
Finalement, le problème que s’attache à résoudre notre proposition de loi est simple. Devant la reconnaissance incontestable du rôle des groupes parlementaires, devions-nous rester inertes ? Nous ne le croyons pas, et c’est pourquoi nous avons déposé la présente proposition de loi, signe d’une Haute Assemblée active, en alerte et soucieuse d’améliorer toujours davantage les moyens d’action et de contrôle des groupes et des parlementaires.
Je regrette de devoir répondre à des arguments qui me paraissent relever d’un juridisme assez peu en rapport avec l’importance de ce qui est en cause cet après-midi, c’est-à-dire le travail parlementaire, et, au-delà, notre mission de représentants du peuple.
Je regrette d’autant plus de devoir répondre à de telles objections que celles-ci émanent d’une majorité qui nous a vanté les mérites d’une révision constitutionnelle dont elle ne semble pas vouloir appliquer toute la logique. Je dirai donc à cette majorité que, en plus de faire barrage à des mesures simples et de bon sens, non seulement conformes à la Constitution mais en outre que celle-ci implique, elle prend le risque d’altérer le sens d’un texte qu’elle nous a présenté comme essentiel à la rénovation du Parlement. Elle ne voit pas à quel point les dispositions que nous lui proposons d’adopter pourraient lui être utiles dans le futur.
Il est juste de dire que la nécessité de notre proposition de loi peut se faire plus ou moins sentir selon que l’on appartient à un groupe minoritaire et d’opposition ou à un groupe soutenant le Gouvernement, et ce indépendamment des majorités politiques. Qu’ils soient de gauche, de droite ou du centre, les groupes de la majorité obtiennent toujours quelques contreparties de leur soutien au Gouvernement : ils reçoivent l’appui de ce dernier et de l’administration, ce qui est bien compréhensible.
Dans ces conditions, je conçois que l’amélioration des moyens de travail des groupes parlementaires vous paraisse moins urgente, chers collègues de la majorité, qu’à vos collègues membres des groupes minoritaires ou de l’opposition. Mais nul n’est propriétaire de l’avenir et, indépendamment du fait que la volonté de conserver le monopole de l’information n’est compatible ni avec l’esprit de nos institutions ni avec le principe constitutionnel, si essentiel, d’égalité, vous pourriez regretter, à la faveur d’une alternance politique toujours envisageable, d’avoir négligé l’occasion qui vous est aujourd’hui offerte d’asseoir mieux le nécessaire pluralisme de la représentation nationale.
Au passage, j’en profite pour évoquer le mur de la séparation des pouvoirs, que vous dressez contre notre proposition de loi. En pratique, nul ne peut contester qu’il compte quelques brèches dans lesquelles s’engouffrent des collaborations, parfois fort étroites, entre certains groupes politiques parlementaires et le Gouvernement avec une prise directe sur l’administration. N’avons-nous pas eu sous les yeux encore très récemment un exemple de cette collaboration avec le groupe de travail réuni pour préparer la réforme de la fiscalité du patrimoine à Bercy, groupe exclusivement composé de parlementaires de la majorité ? L’administration était-elle absente de ces séances de travail ?
Quoi qu’il en soit – la révision constitutionnelle ainsi que la réforme de notre règlement constituent une sorte d’occasion mais aussi de justification juridique positive –, le moment n’est-il pas venu de confier aux groupes des moyens de travail proportionnés à leur rôle politique éminent, dans le respect des prérogatives positives qui leur sont reconnues ? Doit-on continuer à renoncer à donner tous les prolongements pratiques nécessaires, et seulement ceux-là – j’insiste sur ce point –, aux évolutions de notre droit parlementaire ?
Ceux d’entre vous, mes chers collègues, qui répondent positivement à ces questions ne doivent pas voter la présente proposition de loi. En revanche, ceux qui pensent que les groupes ont besoin de moyens supplémentaires pour exercer leurs attributions pour jouer leur rôle doivent alors se rallier au texte simple qui vous est soumis. Et point n’est besoin de le détailler beaucoup.
Cette proposition de loi énonce d’abord un principe, une déclaration de droits, que vous jugez insuffisamment normative, monsieur le rapporteur. Mais n’est-ce pas le sort des déclarations de droits que de paraître telles et ne faut-il pas attendre parfois bien longtemps pour mesurer leur portée normative ? Au demeurant, l’argument est un peu difficile à accepter, puisqu’il soutient en réalité une position visant à refuser aux parlementaires les moyens opérationnels de leur mission.
La proposition de loi contient encore l’énoncé de droits permettant aux groupes de recueillir les informations nécessaires aux différentes contributions à l’exercice des missions du Parlement et de ses organes qui leur sont reconnues, notamment par la Constitution.
Enfin, il est accordé aux groupes politiques, sous l’autorité de leur président, la faculté de mettre en œuvre un certain nombre de droits de saisine d’autorités administratives indépendantes, possibilité déjà ouverte à différents organes parlementaires, et dont bénéficie explicitement parfois tout parlementaire.
L’ensemble des droits ouverts par notre proposition de loi, en particulier les droits d’information, doivent être considérés comme proportionnés au rôle des groupes.
En outre, ils sont respectueux des principes constitutionnels. À cet égard, la séparation des pouvoirs, qui met l’administration à la disposition du Gouvernement – ne dirait-on pas parfois qu’elle est également à la disposition du Président de la République ? – ne s’oppose nullement à ce que des responsables politiques ou administratifs, qu’il ne s’agit pas alors de mettre en cause, soient entendus.
Dans un échange de cette sorte, destiné à recueillir les informations nécessaires au travail parlementaire des groupes, il n’est nullement question de donner quelque instruction que ce soit à l’administration ni même de lui demander l’assistance d’experts dès lors qu’ils devraient être considérés comme placés sous la direction du Gouvernement. La jurisprudence du Conseil constitutionnel nous l’interdit, ce que, pour ma part, je déplore, étant donné le monopole des moyens d’expertise dont peut bénéficier dans certains domaines, dans ces conditions, le Gouvernement. Nous ne sommes donc pas à armes égales, reconnaissez-le !
Au demeurant, ces droits destinés à l’instruction du travail des parlementaires dans les groupes excèdent le champ strict des administrations. Il en va de même pour l’assistance dont nous prévoyons le bénéfice et qui peut être fournie par tout organe auquel la séparation des pouvoirs ne l’interdit pas.
Sur tous ces points, les intentions des auteurs de la présente proposition de loi sont claires et nous ne croyons pas que la séparation des pouvoirs empêche de nouer un dialogue avec l’administration, quand ce dialogue est nécessaire à l’exercice d’un rôle reconnu par la Constitution.
Face à ces propositions, la commission des lois s’émeut que les groupes politiques, qui ne sont pas des organes internes du Parlement, disposent de certains des droits qui sont déjà attribués à de tels organes. J’en conviens absolument, les groupes politiques ne sont pas des organes du Parlement. Nous ne pouvions les ériger à ce rang et nous ne le désirions pas.
Les droits ouverts aux groupes ne sont pas motivés par un quelconque exercice des missions du Parlement qu’ils ne sont nullement chargés de mettre en œuvre.
Mais est-il nécessaire d’être un organe interne du Parlement pour en être un acteur ? Faut-il être un organe interne du Parlement pour être doté de moyens ? La responsabilité de proposer des textes législatifs ou des débats, le devoir d’apporter une contribution utile aux travaux du Parlement, contribution dont le principe est désormais expressément admis et dont les modalités sont posées dans notre droit positif, sont-ils compatibles avec la privation de tout moyen d’information autre que les procédures de questions en vigueur, manifestement inappropriées, de par leur lourdeur notamment, aux responsabilités des groupes ?
Les organes internes du Parlement sont des acteurs institutionnels de celui-ci particulièrement éminents et sont dotés à ce titre non seulement de droits mais aussi de pouvoirs. Sont-ils les seuls acteurs de notre vie parlementaire ? Je ne le crois pas. Au demeurant, des Parlements très évidemment démocratiques savent ménager à côté des droits reconnus aux institutions parlementaires les droits non seulement individuels des parlementaires, mais aussi des groupes. Une telle reconnaissance ne figure-t-elle pas dans la Constitution helvétique, qui n’est pas un contre-modèle démocratique, me semble-t-il ?
Parmi les organes internes du Parlement, certains sont d’extraction constitutionnelle, d’autres ont trouvé naissance dans la loi ou dans de simples instructions du bureau, d’autres enfin ont dû leur existence et les droits nécessaires à leur travail pratique à de simples mesures d’organisation d’une commission. Leur origine diverse ne les empêche pas d’avoir été dotés de droits. Je pourrais par exemple citer l’office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques ou la délégation à la prospective.
N’y aurait-il pas quelque paradoxe à refuser aux groupes politiques, que la pratique de nos institutions et désormais le texte suprême reconnaissent comme des acteurs essentiels de la vie parlementaire, de bénéficier des droits accordés à des instances désignées comme organes internes de nos assemblées par des textes de plus modeste rang ? Et je passe sur les pratiques de la vie courante qui voient ce dialogue se nouer naturellement avec les médias.
Finalement, je ne me rallie pas à l’affirmation, que vous faites vôtre, selon laquelle seuls les organes internes du Parlement seraient à même de disposer des droits indispensables à tout travail parlementaire, seraient-ils des plus élémentaires. Elle implique de vider de tout prolongement concret l’ambition de diversifier et de revitaliser la vie démocratique et le fonctionnement pluraliste du Parlement. Et je ne vois pas comment la Constitution pourrait conduire à souscrire à un tel principe, elle qui, à la suite d’une pratique constante de nos institutions, pose explicitement le principe de l’existence des groupes et de leur rôle.
Au fond, la seule question qui vaille est la suivante : les moyens de travail dont nous prévoyons de faire bénéficier les groupes sont-ils ou non accordés à leur place dans nos institutions ? Sont-ils proportionnés à cette place ?
Répondre par la négative, c’est en pratique empêcher les groupes d’exercer des droits désormais explicitement constitutionnels. Quelle grave responsabilité politique ! Et si, d’aventure, cet empêchement devait être assis sur des considérations constitutionnelles, il faudrait y voir la nécessité de réviser à nouveau la Constitution, dont certaines interprétations, je le concède, ne peuvent parfois que laisser quelque peu sceptique.
En réalité, la présente proposition de loi n’est destinée qu’à permettre aux parlementaires, à partir de leur position dans les groupes politiques, de disposer des moyens d’exercer leur mandat et aux groupes de bénéficier des moyens d’accomplir au mieux leurs nouvelles attributions.
Et pour tout à fait vous rassurer, mes chers collègues, je veux maintenant vous dire ce que notre proposition de loi n’est pas.
Elle n’a pas pour finalité de procéder à un réaménagement des pouvoirs constitutionnels ni à un réaménagement de l’organisation des assemblées.
Elle ne touche en rien l’architecture des pouvoirs publics constitutionnels. Si elle est adoptée, les groupes politiques ne seront pas plus qu’à ce jour des pouvoirs de cette nature. Coexistent deux pouvoirs constitutionnels, l’exécutif et le législatif, et l’autorité judiciaire. La chose est entendue. Les groupes politiques ne légifèrent pas ; ils ne contrôlent pas l’action du Gouvernement, au sens formel retenu par la Constitution. Ils ne le feront pas davantage s’ils sont dotés des droits que leur ouvre notre texte. En particulier, celui-ci n’est pas et ne doit pas être un moyen de harcèlement de l’administration. C’est simplement un moyen de recueillir les informations nécessaires à un travail parlementaire sérieux des groupes parlementaires. Si une confusion apparaissait sur ce point, nos travaux préparatoires suffiraient à la dissiper. Et, s’ils n’y suffisaient pas, nous pourrions améliorer le texte en prévoyant des dispositifs aptes à prévenir tout harcèlement.
La présente proposition de loi ne touche pas plus l’organisation interne de nos assemblées dans la mesure où celle-ci résulte de la Constitution, des lois organiques et même des règlements des assemblées. Par exemple, nous ne retranchons aucun pouvoir aux commissions et nous ne confions aux groupes aucun des pouvoirs dont seules les commissions parlementaires disposent.
Comme cela fut fait pour de nombreux organismes, dont la reconnaissance constitutionnelle n’est pourtant pas assurée, nous prévoyons seulement de doter les groupes des moyens de travail nécessaires à leur rôle parfaitement décrit dans le rapport de la commission des lois.
Ce rôle consiste à favoriser l’initiative législative des parlementaires, ainsi qu’à mettre en débat, tout en animant celui-ci, des propositions de résolution et à examiner les politiques publiques. Sur ce dernier point, pas plus demain qu’hier les groupes ne procéderont au contrôle ou à l’évaluation des politiques publiques. Simplement, ils seront mieux à même de contribuer à la mise en œuvre de ces fonctions par les organes constitués du Parlement, dont les travaux s’en trouveront – je l’imagine – améliorés, plus clairs, plus sincères, plus informés et plus diversifiés.
J’affirme que la présente proposition de loi est conforme à la Constitution. Plus encore, j’affirme que la Constitution l’appelle, l’exige. Que serait l’initiative législative d’un parlementaire qui ne s’appuierait point sur le témoignage intime des acteurs, des agents d’une politique publique ? Que seraient les droits ménagés aux groupes politiques s’ils n’étaient soutenus par les informations nécessaires à la qualité de notre œuvre parlementaire et que tout organe de presse peut aisément réunir ?
Si la révision constitutionnelle a un mérite, c’est celui de nous obliger à regarder en face la division du travail parlementaire. Il y a d’un côté les institutions parlementaires, de l’autre les parlementaires, considérés individuellement ou en raison de leur participation aux premières nommées ou à des groupes politiques, et enfin, il y a les groupes politiques. Ceux-ci, au cœur des pratiques parlementaires, ne peuvent plus être relégués à la périphérie des droits nécessaires à l’accomplissement de leur rôle au service d’une démocratie plus vivante et donc plus forte. (M. Jacques Mézard applaudit.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. René Garrec, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Mon cher collègue, bien que je vous aie écouté avec intérêt, je n’ai pas toujours suivi votre raisonnement. Il y a des failles dans votre conception du droit constitutionnel.
Sur le fond, je le reconnais, la question que vous soulevez est réelle, mais la forme retenue pour y répondre ne me semble pas adéquate. Je ne suis pas sûr que la proposition de loi que vous nous soumettez soit le bon vecteur.
Votre volonté de renforcer les moyens de contrôle et d’information des groupes politiques est partagée par tous les membres de la Haute Assemblée. Mais si votre intention est pertinente, la solution que vous proposez est inadaptée, car contraire à la Constitution. Les textes encadrant le fonctionnement de la vie politique de notre pays devant être respectés, je défendrai tout à l’heure, au nom de la commission, une motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
La commission estime que la présente proposition de loi procède à une forme de mélange des genres entre les groupes et les commissions, dont les attributions sont en réalité différentes. Les commissions ont un rôle à jouer dans la mission d’information et de contrôle du Parlement, dont elles préparent le travail et qui seul exprime des positions politiques globales. Je crois que ce « mélange des genres » vient heurter certains principes de notre Constitution.
Avant de développer les arguments d’ordre constitutionnel, je souhaite rappeler les grandes avancées – vous les avez évoquées tout à l’heure – qui ont été obtenues par les groupes politiques depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, et en particulier, au Sénat, depuis la réforme de notre règlement du 2 juin 2009.
Le groupe de travail sur cette réforme de notre règlement, dont nos collègues Jean-Jacques Hyest et Bernard Frimat ont été les deux rapporteurs, sous la présidence de Gérard Larcher, a effectué un travail remarquable – je regrette d’ailleurs de ne pas y avoir participé.
Chacun s’accorde à reconnaître que ce travail a été conduit dans un esprit consensuel et constructif, dans le respect du pluralisme sénatorial, qui est notre tradition partagée, que nous siégions sur les travées de la majorité ou sur celles de l’opposition.
Vous me permettrez donc de rappeler, mes chers collègues, à travers une petite énumération, les avancées dont les groupes politiques ont bénéficié en quelques années.
La révision de 2008 comporte deux dispositions majeures : d’une part, énoncées à l’article 51-1 de la Constitution, la reconnaissance constitutionnelle des groupes politiques et la possibilité pour les règlements des assemblées de leur attribuer des droits spécifiques, ce qui permet d’organiser clairement la manière dont travaillent les groupes politiques dans chaque assemblée ; d’autre part, en vertu du nouvel article 48 de la Constitution, la réservation d’une séance par mois à un ordre du jour fixé par les groupes d’opposition et minoritaires – c’est du reste dans ce cadre que vous avez pris la parole à l’instant, monsieur Collin.
Mentionnons qu’au Sénat le groupe UMP est entré dans le « tourniquet » de cette séance mensuelle réservée, sans pour autant que les autres groupes perdent ne serait-ce qu’une minute de temps de parole.
La réforme du règlement du Sénat en 2009 est allée beaucoup plus loin, plus moins même que celle du règlement de l’Assemblée nationale, que vous avez évoquée tout à l’heure.
Permettez-moi de citer quelques-uns des points de cette réforme qui me semblent importants :
Premier point, la désignation des membres du Bureau du Sénat, autres que le Président bien sûr, à la proportionnelle des groupes.
Deuxième point, l’instauration d’un droit de tirage annuel pour la création d’une commission d’enquête ou d’une mission d’information selon un système plus libéral qu’à l’Assemblée nationale, où la demande peut être rejetée par un vote négatif des trois cinquièmes des membres de l’assemblée.
Troisième point, le partage entre la majorité et l’opposition des fonctions de président et de rapporteur d’une commission d’enquête ou d’une mission d’information.
Quatrième point, la désignation dans les organismes extraparlementaires en tenant compte du principe de la représentation proportionnelle des groupes.
Cinquième point, la consultation des présidents de groupe politique pour la composition des commissions mixtes paritaires.
Sixième point, la faculté pour les groupes de faire annexer leur opinion aux rapports des commissions.
Septième point, la pondération des votes, au sein de la Conférence des présidents, en fonction non plus des représentants mais de l’importance numérique de chaque groupe.
Ce dernier point est fondamental dans la mesure où cette nouvelle pondération permet aux différentes composantes de notre assemblée de faire entendre leur voix dans le travail de la conférence des présidents – c’est ce que le président Larcher a appelé le « retour du politique ». Cela témoigne du souci de donner aux groupes politiques toute leur place au sein du Sénat. Ils peuvent ainsi peser sur la confection de l’ordre du jour, tant en matière d’initiative qu’en matière de contrôle, au-delà de la seule séance mensuelle réservée aux groupes d’opposition ou minoritaires.
À cet égard, la conférence des présidents préserve l’équilibre entre les demandes des groupes et celles des commissions : en 2009-2010, selon les informations qui m’ont été communiquées, deux tiers des sujets inscrits durant les semaines d’ordre du jour sénatorial hors séance mensuelle réservée ont été proposés par les groupes et un tiers par les commissions.
Enfin, huitième et dernier point – je peux en parler en ma qualité de questeur –, les crédits attribués aux groupes pour leur fonctionnement ont augmenté de 30 % depuis 2008, à budget constant en euros courants.
Au vu de ce bilan, je ne crois pas que l’on puisse affirmer que la situation des groupes n’a pas été sensiblement améliorée. C’est peut-être insuffisant, mais nous y reviendrons plus tard.
J’en viens à la proposition de loi de nos collègues du groupe RDSE.
En la lisant, je me suis demandé – permettez-moi de reposer à voix haute cette question que j’ai déjà évoquée avec le président Collin – pourquoi, dans le contexte actuel, vous aviez choisi le vecteur législatif.
La réponse est sans doute que cela permet d’organiser un débat dans notre hémicycle. Je crois d’ailleurs que c’est une bonne solution, la discussion faisant toujours avancer la réflexion sur un sujet donné.
Toutefois, il me paraît difficile d’aller beaucoup plus loin en conférant aux groupes politiques des prérogatives propres en matière d’information et de contrôle.
L’article 1er de votre proposition de loi, mes chers collègues, me paraît plus déclaratoire que réellement normatif : il affirme simplement que les groupes politiques contribuent à l’exercice des missions du Parlement. Très bien !
L’article 2 crée, quant à lui, un droit d’accès des groupes « à toutes les informations nécessaires ». Il prévoit également l’assistance des groupes par tout organisme de leur choix, sauf les autorités judiciaires, la communication dans les meilleurs délais de tous les documents dont la transmission au Parlement est prévue par des textes, et l’obligation pour toutes les personnes dont l’audition est jugée nécessaire par un groupe de s’y soumettre, ces personnes – je pense aux fonctionnaires – étant alors déliées du devoir de réserve, ce qui, logiquement, n’est pas le cas devant un groupe politique.
Enfin, l’article 3 étend aux groupes la faculté de saisir ou consulter une vingtaine d’organismes, tels que l’Autorité de la concurrence, le Conseil des prélèvements obligatoires, l’Autorité de sûreté nucléaire, le Conseil supérieur de l’audiovisuel, le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, et ce au motif que ces organismes peuvent être saisis par la commission parlementaire compétente, par le président d’une assemblée ou par un parlementaire individuellement.
Ces dispositions me semblent reposer sur une erreur de conception du rôle des groupes par rapport à celui des commissions en matière d’information et de contrôle.
Or cette erreur pose un triple problème de constitutionnalité.
Il ne s’agit pas de monter les groupes contre les commissions et vice versa – cela n’aurait pas de sens –, mais de rappeler pourquoi les commissions disposent de certaines prérogatives que n’ont pas et que ne sauraient avoir les groupes, car cela ne correspond pas à leur fonction ni à leur mode de fonctionnement.
Premièrement, l’article 51-1 de la Constitution renvoie aux règlements des assemblées, et non à la loi, le soin de déterminer les droits des groupes politiques.
À cet égard, je remarque que l’ordonnance du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires ne prévoit aucun droit particulier pour les groupes. La proposition de loi de nos collègues du RDSE se trouve de ce seul fait contraire à la Constitution.
Deuxièmement, l’article 20 de la Constitution énonce que le Gouvernement « dispose de l’administration ». C’est une traduction claire du principe de la séparation des pouvoirs, qui signifie que le Parlement n’a pas autorité sur les fonctionnaires de l’exécutif.
En donnant aux groupes un droit d’accès à toutes les informations et une assistance par tout organisme, y compris ceux qui relèvent de l’autorité du Gouvernement, on viole manifestement la séparation des pouvoirs.
Seule la Cour des comptes, en vertu de la Constitution, peut assister le Parlement. Vous avez évoqué, monsieur Collin, les missions de la commission des finances dans les domaines concernés par les projets de loi de finances et les projets de lois de financement de la sécurité sociale. Mais il s’agit de l’application de textes de loi particuliers.
Au demeurant, chacun d’entre nous peut utiliser la faculté qui lui est reconnue, en tant que parlementaire, de poser des questions écrites ou orales au Gouvernement pour demander des informations. Cela fait partie des droits individuels des parlementaires, et non de ceux des groupes.
Concernant les rapports au Parlement, visés à l’article 2, chacun d’entre nous peut en prendre connaissance au bureau de la distribution s’il le souhaite : le Gouvernement les transmet à chaque assemblée, c’est-à-dire à tous les parlementaires ; ils ne sont pas réservés aux commissions.
Troisièmement – et j’en viens aux rôles respectifs des groupes et des commissions –, l’article 24 de la Constitution attribue au Parlement, et non aux groupes politiques, la mission de contrôler l’action du Gouvernement et d’évaluer les politiques publiques.
L’organisation institutionnelle qui en découle confie aux commissions permanentes, aux commissions d’enquête, aux missions d’information et aux délégations le soin de remplir cette mission, à côté du droit individuel des parlementaires de poser des questions au Gouvernement.
Selon une jurisprudence constante, et reprise encore dans sa décision du 25 juin 2009 sur la modification du règlement de l’Assemblée nationale, le Conseil constitutionnel reconnaît de façon stricte un « rôle d’information » des commissions et autres organes internes, afin de permettre à leur assemblée d’exercer sa mission de contrôle. C’est ce rôle d’information de l’assemblée qui justifie les prérogatives des commissions, par exemple en matière de convocation à des auditions.
Les commissions permanentes et temporaires comme les missions d’information sont composées de manière pluraliste, ce qui assure l’information et la participation de tous les groupes politiques. Les commissions d’enquête sont constituées sur un objet déterminé. Surtout, les travaux des commissions et des missions d’information sont rendus publics par la diffusion de leurs comptes rendus et de rapports d’information, qui assurent l’information de l’ensemble de l’assemblée.
A contrario, les travaux des groupes politiques, qui rassemblent des parlementaires par affinités politiques en vue d’organiser collectivement leur travail et leur expression dans l’assemblée, ne sont pas publics. Les groupes politiques ne rendent pas compte à leur assemblée de leurs travaux. C’est d’ailleurs très bien ainsi : personne n’imagine, en effet, que les groupes politiques puissent publier les comptes rendus de leurs réunions et rédiger des rapports d’information.
Il apparaît donc clairement que les commissions et les groupes politiques relèvent de deux systèmes divergents. De fait, si les groupes politiques disposaient de prérogatives propres en matière d’information et de contrôle, ils n’exerceraient pas un « rôle d’information »• au nom de leur assemblée mais pour eux-mêmes, et donc en contradiction avec l’article 24 de la Constitution.
Pour ces trois motifs d’inconstitutionnalité, je vous proposerai tout à l’heure, au nom de la commission, d’adopter une motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité à l’encontre de la proposition de loi.
Pour conclure sur une note positive – car cette proposition comporte de nombreux points positifs –, je dois dire que je comprends et partage les intentions et réflexions de notre collègue Yvon Collin : comment faire en sorte que les groupes politiques prennent toute leur part dans les travaux de contrôle du Sénat, mais aussi dans ses travaux législatifs ?
Si la proposition de loi constituait une bonne base de discussion, ce n’était pas la bonne manière de résoudre le problème. À mon sens, monsieur Collin, la bonne solution serait, à l’occasion d’un prochain bilan de la réforme de notre règlement, de réfléchir, avec le président du Sénat et la conférence des présidents, dont vous faîtes partie, aux dispositions qui pourraient répondre le mieux à la question que vous avez soulevée. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Patrick Ollier, ministre chargé des relations avec le Parlement. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames et messieurs les sénateurs, la proposition de loi de M. Collin et des membres du groupe RDSE qui est soumise à votre examen cet après-midi, vise à élargir les droits reconnus aux groupes politiques des deux assemblées et à renforcer leurs moyens d’action au-delà de ceux que la réforme des règlements des deux chambres intervenue en 2009 leur a reconnus, dans le cadre du nouvel article 51-1 de la Constitution – que vous n’avez d’ailleurs pas mentionné, monsieur Collin.
J’observe que votre groupe est bien prolifique : il a déposé une multitude de propositions de loi témoignant de beaucoup d’imagination. Je vous en félicite, et je reconnais bien les intentions qui ont présidé à l’élaboration de la présente proposition de loi. Toutefois, quelle que soit la sincérité de ces intentions,….
M. Yvon Collin. Elle est entière !
M. Patrick Ollier, ministre. … je ne peux y souscrire.
Je sais l’excellent travail que M. Garrec a réalisé en tant que rapporteur, et je ne peux que faire miens les arguments qu’il a développés ; je vais donc me contenter de les répéter. Je remercie également le président Hyest d’avoir conduit les débats de la commission avec l’autorité qu’on lui connaît, mais surtout l’efficacité que l’on a pu constater.
Les innovations proposées pour accroître les pouvoirs des groupes d’expression politique – telles que vous les présentez, en tout cas – sont, d’une part, inefficaces et, d’autre part, inconstitutionnelles, monsieur le président Collin. Elles ne répondent pas à la finalité ni n’assurent l’efficacité du travail parlementaire.
En outre, je pense qu’elles contribueraient à créer de la confusion entre les commissions permanentes et les groupes politiques au sein de nos deux assemblées, risquant ainsi de perturber gravement le fonctionnement de ces dernières.
Je n’ai certes que vingt-cinq années d’expérience au Parlement,…
M. Jean-Pierre Sueur. Vous pouvez toujours progresser, monsieur le ministre ! (Sourires.)
M. Patrick Ollier, ministre. Monsieur Sueur, je reconnais bien là votre humour !
… je crois toutefois pouvoir parler en connaissance de cause de ce qui s’y passe.
Monsieur Collin, je vous rappellerai que tout y est fondé sur la représentation proportionnelle des groupes politiques. Les groupes sont le fondement même des parlements : tous les autres organes parlementaires sont composés en fonction de l’importance numérique de chacun d’entre eux, qu’il s’agisse du bureau de l’assemblée, du bureau des commissions, des commissions d’enquête, des missions d’information, etc.
Les groupes politiques sont donc incontestablement la pierre angulaire de l’expression politique des sénatrices et sénateurs dans cet hémicycle, comme des députés à l’Assemblée nationale.
Cependant, dans le cadre institutionnel, ce sont les commissions permanentes qui sont à la base même du travail parlementaire, à travers les pouvoirs spécifiques dont elles sont dotées.
M. Yvon Collin. Nous ne le contestons pas.
M. Patrick Ollier, ministre. Je ne vais pas revenir sur ce qu’a dit mieux que moi M. Garrec, mais je l’approuve totalement : le fait de vouloir transférer aux uns les pouvoirs des autres…
M. Yvon Collin. Le texte ne dit pas cela.
M. Patrick Ollier, ministre. … créerait de la confusion et entraînerait une perturbation grave du fonctionnement de nos institutions.
Or je ne suis pas sûr que tel soit votre objectif, monsieur Collin ; à vrai dire, je suis même certain du contraire. Par conséquent, peut-être allez-vous réfléchir et, tout à l'heure, voter l’exception d’irrecevabilité que nous défendrons. (Sourires sur les travées de l’UMP.)
Monsieur Collin, Dieu sait si j’ai du respect pour votre personne et pour le groupe que vous représentez !
M. Yvon Collin. Cela commence bien ! (Sourires.)
M. Patrick Ollier, ministre. Toutefois, cette proposition de loi n’est pas déposée au meilleur moment. Je le rappelle, la révision constitutionnelle de 2008, adoptée sur l’initiative du Président de la République et du Premier ministre, a profondément renforcé le rôle du Parlement, en offrant aux groupes politiques tous les pouvoirs supplémentaires que nous pouvions espérer leur donner, ce qui correspond justement à l’objectif que vous visez aujourd'hui.
M. Yvon Collin. Je l’ai dit ! Mais il faut aller plus loin.
M. Patrick Ollier, ministre. En particulier, l’initiative parlementaire occupe davantage de place dans l’ordre du jour des assemblées. C’est bien grâce à elle que, aujourd'hui, nous allons passer deux heures à discuter ensemble agréablement de ce texte.
M. Yvon Collin. Quel bonheur ! (Sourires.)
M. Patrick Ollier, ministre. Du reste, dans votre intervention, vous avez oublié de remercier la majorité d’avoir voté cette réforme qui vous donne aujourd'hui les moyens de vous exprimer, en tant que président de groupe.
M. Robert del Picchia. Il le sait, et il en use !
M. Yvon Collin. Je ne l’ai pas votée !
M. Patrick Ollier, ministre. La fonction de contrôle et d’évaluation des politiques publiques a, elle aussi, été consacrée, à l’article 24 de la Constitution.
Tout en renforçant ainsi la place du Parlement, le constituant a énoncé des règles précises visant à établir un nouvel équilibre entre la majorité et les groupes d’opposition ou minoritaires.
Là encore, c’est bien des groupes qu’il s'agit ! Ceux-ci sont dorénavant parties prenantes à l’élaboration de l’ordre du jour des assemblées, aux termes de l’article 48 de la Constitution. Ils peuvent également être à l’origine d’une déclaration du Gouvernement, en vertu de l’article 50-1 de notre loi fondamentale. Pour le reste, l’article 51-1 de la Constitution confie aux règlements des assemblées la définition du rôle qui est imparti aux groupes dans le fonctionnement du Parlement. Quoi de plus démocratique que cette disposition, qui renvoie à un processus efficace et tout à fait transparent ?
Par la suite, entre 2009 et 2011, les assemblées ont poursuivi cette démarche. En particulier, elles ont tiré toutes les conséquences de la révision constitutionnelle dans leur règlement. Au début de cette année, la loi adoptée sur proposition du président de l’Assemblée nationale, Bernard Accoyer, a permis de mettre en place un nouveau dispositif de contrôle et d’évaluation des politiques publiques. M. le président de la commission des lois en sait quelque chose ! (M. le président de la commission des lois acquiesce.)
Or l’encre de ce dernier texte est à peine sèche que, déjà, les auteurs de la présente proposition de loi suggèrent qu’il faudrait revenir sur les règles nouvelles que les assemblées s’appliquent à mettre en œuvre – avec difficulté, certes, mais consciencieusement. De grâce, monsieur Collin, un peu de patience ! Chaque jour nous révèle les effets des réformes engagées depuis 2008. Permettez-moi donc de m’interroger sur le calendrier dans lequel intervient cette proposition de loi, dont les auteurs donnent le sentiment de rouvrir des débats très récemment tranchés dans chacune des assemblées.
J’en viens au contenu même de la proposition de loi. Je ne vois pas ce qu’apporte l’article 1er, monsieur Collin : les groupes politiques des assemblées participent d’ores et déjà à la vie démocratique de la nation en contribuant à l’exercice des différents pouvoirs attribués au Parlement, comme je l’ai expliqué à l’instant.
Surtout, je crois devoir le souligner, à la différence des droits déjà reconnus aux groupes dans les règlements des assemblées, les innovations que vous proposez auraient trait, pour la plupart d’entre elles, non pas à l’organisation interne des travaux des assemblées, mais à l’affirmation des groupes comme acteurs à part entière des relations entre les pouvoirs publics. Or cela change tout !
Tel est le cas de l’article 2 de la proposition de loi, en ce qu’il permettrait aux groupes de demander l’assistance de tout organisme pouvant les aider à contribuer à l’exercice des missions législative et de contrôle du Parlement, qu’il les investirait du pouvoir d’entendre toute personne et qu’il lèverait le secret professionnel dans le cadre de ces auditions. Or ces prérogatives appartiennent aux commissions permanentes.
Tel est également le cas de l’article 3 de la proposition de loi, en ce qu’il donnerait à chaque groupe un droit de saisine identique de diverses instances, notamment les autorités administratives indépendantes. Au passage, je rappelle que les présidents de groupes peuvent déjà inviter les personnes qu’ils souhaitent auditionner. Aucune règle institutionnelle ne leur a jamais interdit de le faire !
D'ailleurs, le signe tangible que ces innovations sont perçues comme étant d’une nature différente de celles qui sont intervenues en 2009 par la refonte des règlements des assemblées est que leurs auteurs ont déposé une proposition de loi plutôt qu’une proposition de résolution visant à réformer le règlement du Sénat. La démarche que vous avez choisie, monsieur Collin, indique clairement la nature de votre objectif.
Pour toutes ces raisons, cette proposition de loi se heurte à des objections juridiques déterminantes.
Tout d’abord, l’affirmation d’un droit des groupes à requérir l’aide de l’administration est contraire à ce qui paraît constituer un principe à valeur constitutionnelle, à savoir la neutralité de l’administration. Aux termes de l’article 20 de la Constitution, le Gouvernement « dispose de l’administration ».
La loi peut, dans une certaine mesure, aménager cette règle pour offrir au Parlement et à ses instances certaines facilités. Toutefois, il faudrait une habilitation constitutionnelle explicite pour que les groupes puissent disposer de l’administration, qu’il s’agisse des services placés sous l’autorité du Gouvernement ou des autorités administratives indépendantes. Jean-Jacques Hyest ne me contredira pas, tant cette règle complique souvent l’activité des commissions et la vie de leurs présidents ; j’ai exercé assez longtemps des fonctions similaires aux siennes à l’Assemblée nationale pour parler de ce problème en connaissance de cause !
À cet égard, la formulation de l’article 4 de la Constitution est bien trop générale pour que l’on puisse y voir un fondement possible à cette proposition de loi, monsieur Collin. Le lien entre le texte que vous défendez et « la participation […] à la vie démocratique » est beaucoup trop ténu.
Quant à l’article 51-1 de la Constitution, non seulement il est inopérant, mais il révèle, a contrario, l’intention du constituant : en ce qui concerne les groupes, celui-ci a voulu des aménagements internes au fonctionnement des assemblées, et rien de plus.
Aucune des dispositions constitutionnelles relatives aux groupes ne permet donc de considérer que le constituant aurait entendu faire de ces derniers des acteurs à part entière du fonctionnement des pouvoirs publics, au-delà des cas qu’elles déterminent.
Pour ces raisons, la proposition de loi me semble contraire à la Constitution.
Mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi d’ajouter que, dans ces domaines, tout ne tient pas à la modification des règles dans lesquelles se déroule le travail parlementaire. On le sait, la pratique peut aussi être une source de progrès.
J’en citerai un exemple auquel j’ai modestement participé. En 2006, donc avant même la révision constitutionnelle de 2008, en tant que président de commission, j’inaugurais à l’Assemblée nationale la formule des corapporteurs, associant un membre de la majorité et un représentant de l’opposition pour le contrôle de l’exécution d’une loi, une pratique qui a ensuite été consacrée dans les nouvelles dispositions introduites dans le règlement. Personne ne m’a empêché de le faire ! En effet, je considère, et je ne suis pas le seul, que, s'agissant de l’exécution des lois, l’opposition doit être associée au contrôle exercé par la majorité.
Cette formule a montré tout son intérêt : elle permet de donner aux groupes minoritaires un rôle important dans le contrôle de l’action du Gouvernement. D'ailleurs, la réforme engagée par la révision de la Constitution a confirmé ces dispositions.
Je le répète, selon moi, le problème essentiel de cette proposition de loi est qu’elle risquerait de créer une confusion entre le travail des groupes et celui des commissions. Or ces dernières sont essentielles à l’activité des parlementaires. Si les groupes constituent la pierre angulaire du fonctionnement des assemblées, les commissions sont le garant de leur expression. En effet, c’est à travers elles qu’ils peuvent formuler toutes leurs demandes, à due proportion de leur effectif, bien sûr, car la règle, dans toute assemblée démocratiquement élue, est qu’il y a une majorité et une minorité.
M. Jean-Pierre Fourcade. Très bien !
M. Patrick Ollier, ministre. Je le répète, ce transfert de pouvoir n’est pas souhaitable. Il ne ferait que créer de la confusion et mettrait à mal l’équilibre de la Constitution, comme les auteurs du rapport de la commission l’ont d'ailleurs souligné : « En voulant attribuer aux groupes les prérogatives propres aux commissions en matière d’information, de contrôle et d’enquête, ce texte repose fondamentalement sur une erreur de conception du rôle des groupes par comparaison avec celui des commissions ».
À ce titre, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens de nouveau à rendre hommage au président de votre commission des lois, M. Jean-Jacques Hyest, et à souligner la qualité et la pertinence du travail de votre rapporteur, M. René Garrec.
Monsieur Collin, ayez confiance en les prérogatives que le règlement vous reconnaît d’ores et déjà en tant que président de groupe. Exercez-les ! C’est d'ailleurs ce que vous faites aujourd'hui, avec beaucoup de compétence, en défendant cette proposition de loi.
Pour ma part, je crois que les innovations introduites depuis 2008 sont en train de produire tous leurs effets. Il appartient à chaque parlementaire et à chaque groupe constitué dans l’une ou l’autre assemblée d’en tirer le meilleur parti. Ainsi trouverons-nous un bon équilibre entre le travail des commissions et celui des groupes, ce qui permettra un fonctionnement harmonieux des institutions.
En conclusion, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement souhaite que le Sénat rejette cette proposition de loi en adoptant la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité présentée par la commission. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est toujours un plaisir que de débattre des propositions de loi présentées par le groupe RDSE, et particulièrement par son président.
Vous le savez, monsieur Collin, nous avons eu l’occasion de soutenir nombre de vos initiatives. Aujourd'hui, vous avez raison de mettre l’accent sur le rôle des groupes politiques au sein des assemblées parlementaires, car il s'agit là d’un beau sujet, qui pose un véritable problème. Toutefois, nous ne reprendrons pas à notre compte la totalité de vos propositions.
En effet, les propos des orateurs précédents contiennent une part de vérité qui tient, me semble-t-il, à l’idée que nous nous faisons de l’État.
Monsieur Collin, il est arrivé à certains d’entre nous d’exercer des fonctions au sein de gouvernements. Peut-être d'ailleurs les éminents représentants du RDSE et vous-même aurez-vous cette possibilité, à la faveur de l’alternance que nous appelons de nos vœux. (Sourires.)
M. Jacques Mézard. J’en prends note !
Mme Éliane Assassi. C’est réglé !
M. Jean-Pierre Sueur. Si tel était le cas, je ne suis pas certain que le membre du Gouvernement que vous seriez accepterait volontiers que l’un ou l’autre des groupes parlementaires convoque incontinent le directeur général de son administration, son directeur de cabinet, voire les préfets et les sous-préfets, pour qu’ils rendent des comptes.
Autant il est juste, me semble-t-il, que de telles prérogatives soient accordées aux commissions d’enquête parlementaire, devant lesquelles chacun doit venir s’exprimer – à l’exception, en vertu de notre Constitution, du Président de la République –, autant il me paraîtrait peu adapté de confier à chaque groupe parlementaire les mêmes pouvoirs. Je tenais à vous le dire amicalement et franchement, monsieur Collin, car tel est le fond de ma pensée.
Toutefois, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur, notre groupe ne souscrira pas – cela dit sans vous désobliger – à la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
En effet, lorsque vous déposez une telle motion, vous nous dites en quelque sorte, en langage juridique : « Il est inutile de débattre de cette question ; ce n’est pas le lieu de l’aborder, ce texte n’étant pas conforme à la Constitution ».
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Pas du tout ! La preuve, c’est que nous menons ce débat.
M. Jean-Pierre Sueur. Pourtant, il y a dans l’initiative de M. Collin des éléments utiles, me semble-t-il, et pour ma part je salue sa démarche.
Monsieur le ministre, j’ai constaté, une fois encore, que vous donniez quelque peu dans l’autosatisfaction. Or tout ne va pas pour le mieux dans le meilleur des mondes !
Comme il faut être positif, j’expliquerai pourquoi il est regrettable, selon nous, que notre assemblée ne se saisisse pas de cette proposition de loi.
Tout d'abord, monsieur le ministre, vous eussiez pu amender ce texte. C’est à cela que sert le Parlement.
Monsieur le président de la commission, vous eussiez pu, vous aussi, l’amender.
M. Jean-Pierre Sueur. Pour en arriver à toujours plus de démocratie ! La démocratie, comme la République, et je parle sous le contrôle de Jean-Pierre Chevènement – pas de lui seul d’ailleurs, car nous sommes tous attachés à la République –, réclame la perfection.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le ministre, c’est parce que nous avons participé aux travaux de la commission et que nous savions que le couperet de l’exception d’irrecevabilité s’abattrait sans appel.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Cela ne vous empêchait pas de déposer des amendements !
M. Jean-Pierre Sueur. Nous n’avons pas voulu travailler en vain, monsieur le président de la commission.
Cela étant, concernant le renforcement des moyens de contrôle des groupes politiques, je me permettrai de faire quatre suggestions.
La première de ces suggestions fait suite aux propos de M. Garrec, qui a beaucoup insisté sur le fait que les membres du bureau du Sénat étaient désignés à la proportionnelle et que la pratique avait changé au sein de la conférence des présidents.
M. René Garrec, rapporteur. C’est vrai !
M. Jean-Pierre Sueur. En effet ! Toutefois, il y a une chose qui n’a pas changé.
Mme Jacqueline Gourault. Il n’y a pas assez de femmes !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Les présidences de commission !
M. Jean-Pierre Sueur. Et voilà ! Monsieur le président de la commission des lois, vous êtes vous aussi tellement convaincu par cette idée que vous en parlez avant moi.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Je sais simplement ce que vous allez dire. Vous êtes si prévisible… (Sourires.)
M. Jean-Pierre Sueur. Cela montre que vous connaissez ma pensée – encore que ce terme de « pensée » soit totalement présomptueux de ma part –, et je vous en remercie.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Nous nous connaissons bien !
M. René Garrec, rapporteur. C’est l’apanage des vieux couples !
M. Jean-Pierre Sueur. Toujours est-il qu’il est profondément anormal que les sept commissions permanentes du Sénat soient toutes présidées par des membres appartenant à des groupes politiques de la majorité. Dans de très nombreux parlements de par le monde – je parle naturellement des pays démocratiques –, on jugerait cette situation incongrue.
Quelle difficulté y aurait-il à nommer des présidents de commission parmi les membres de groupes de la minorité ? Après tout, plusieurs groupes politiques ont l’honneur de voir certains de leurs membres occuper le poste de vice-président du Sénat. N’est-ce pas, madame la présidente ?
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ce n’est pas la même fonction !
M. Jean-Pierre Sueur. De la même manière, sauf exceptions notables que vous connaissez bien, monsieur le président de la commission des lois – je ne vais donc pas les rappeler –, il est dommageable qu’un très grand nombre de rapports concernant des projets de loi – je dis bien des projets de loi – soient confiés à des membres de la majorité. Il serait équitable que ceux-ci fussent répartis entre la majorité et l’opposition.
Le rapporteur a pour rôle de donner l’avis de la commission. Je me souviens de tel ou tel député, aujourd’hui certainement disparu, qui s’acquittait de cette tâche solennellement en expliquant qu’il n’avait pas été suivi par la commission. Une telle démarche serait un progrès pour nos institutions.
Faire confiance à nos collègues, quel que soit leur groupe politique, pour rapporter la position de la commission et présider une commission, voilà ma première suggestion. Celle-ci est parfaitement conforme à la Constitution ainsi qu’au règlement du Sénat. Je pense, monsieur le ministre, que vous y trouveriez beaucoup d’aspects positifs.
M. Jean-Pierre Sueur. Ma deuxième suggestion touche aux séances de questions, qui sont quelque peu figées.
Mme Jacqueline Gourault. Les questions d’actualité au Gouvernement !
M. Jean-Pierre Sueur. Parlons, en effet, des séances de questions d’actualité au Gouvernement, madame Gourault, puisqu’il y en a eu une cet après-midi.
Cette séance fut courtoise, comme souvent au Sénat, mais, une fois que nous avons posé notre question pendant deux minutes trente et que le Gouvernement y a répondu en utilisant une parfaite langue de bois – c’est souvent le cas – ou en étant hors sujet, pendant deux minutes trente également, nous ne pouvons plus rien dire.
Les questions orales du mardi matin, qui se déroulent dans une certaine confidentialité, même si tout le monde peut lire le Journal officiel ou consulter le site internet du Sénat, offrent, quant à elles, un droit de réplique. Mais que se passe-t-il ensuite ? Si la réponse du Gouvernement ne nous convient pas, il nous reste encore la possibilité de reposer notre question par écrit. Si, au bout de six mois, le ministre n’a pas répondu, que se passe-t-il alors ? Rien ! Nous pouvons à nouveau poser la question en séance publique, mais il ne se passera toujours rien.
M. le président du Sénat a introduit une innovation avec la séance des questions cribles thématiques, mais je pense que cette formule n’est pas très concluante.
Pourquoi ne pas regarder du côté de nos amis britanniques, qui ont des pratiques très intéressantes ? Le ministre est présent en séance, comme vous l’êtes aujourd’hui, monsieur Ollier, et, pendant une heure, les parlementaires l’interroge. Ils peuvent reprendre la parole et insister dix fois s’il le faut, s’ils estiment que le Gouvernement n’a pas répondu assez précisément à leur question.
Pour un membre du Gouvernement, cette situation n’est sans doute pas très confortable. Mais, si l’on veut vivre dans le confort, il ne faut pas être ministre ; en tout cas, c’est l’idée que je me fais de cette fonction !
Les séances de questions pourraient donc être plus nerveuses, davantage contradictoires afin de permettre de creuser le sujet. Pour le moment, chacun se contente de dire ce qu’il a à dire, sans plus d’approfondissement.
J’en viens maintenant à ma troisième suggestion qui a trait à la semaine de contrôle et à la semaine d’initiative.
Nous nous louons de l’existence de ces deux semaines, même si je sais que vous ne manquerez pas de nous reparler de notre vote lors de la réforme constitutionnelle. Quoi qu’il en soit, le système doit, là aussi, être amélioré.
L’expérience de plusieurs mois montre que nous assistons à une grande succession de débats quelque peu platoniques, encore que, j’en conviens, il soit fâcheux d’embarquer un grand penseur comme Platon dans cette affaire… (Sourires.)
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Je suis d’accord avec vous sur ce point ! (Nouveaux sourires.)
M. Jean-Pierre Sueur. Nous assistons donc à des débats quelque peu abstraits pendant une heure à une heure et demie après lesquels il ne se passe rien.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. On a parlé du sujet en cause !
M. Jean-Pierre Sueur. Certes, et cela est très intéressant ! Reste que le Parlement a pour mission principale de faire la loi.
Or, en ce qui concerne les propositions de loi, le système mériterait d’être amélioré. En effet, nombreuses sont celles qui ne vivent pas une vie parlementaire complète. Examinées une fois en séance publique, elles ne connaîtront jamais la navette. Je souhaite donc que l’on répertorie toutes ces propositions de loi mort-nées.
Le système est tel que, lorsque l’on veut faire avancer une question, il est plus efficace de défendre un amendement dans le cadre d’un projet de loi de simplification du droit, par exemple, que de déposer une proposition de loi qui sera inscrite dans un créneau parlementaire. Nous pouvons tous reconnaître cette évidence !
Je ne prends qu’un exemple.
Ce matin, deux textes étaient inscrits à l’ordre du jour. La discussion du premier a beaucoup débordé. Monsieur le ministre, vous avez d’ailleurs contribué à ce débordement en nous faisant part de vos opinions sur la fiscalité pendant un long moment.
M. Jean-Pierre Sueur. Si, par exemple, vous aviez parlé quinze minutes – et ce n’est pas moi qui vais vous dire qu’il faut être bref (Rires) –, nous aurions pu achever l’examen de la proposition de résolution instituant une « journée nationale de la laïcité » avant treize heures. Ce texte important, qui aurait sans doute été adopté, n’a pas pu être mis aux voix faute d’une maîtrise de l’ordre du jour de ces séances réservées. En disant cela, je m’adresse bien entendu à tout le monde.
Ma troisième suggestion, monsieur le président de la commission, est donc qu’il serait bien de parfaire ce système et de lui donner une plus grande efficacité.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Vous ne voulez pas le temps programmé, quand même ?
M. Jean-Pierre Sueur. Ma quatrième suggestion est d’accorder aux groupes politiques, et par conséquent aux parlementaires, plus de pouvoir en matière d’application des lois.
À cet égard, je ne saurais trop regretter, comme l’a fait l’autre jour M. Jean-René Lecerf, rapporteur de la précédente proposition de loi de M. Collin, à laquelle on ne rendra jamais assez hommage, que les parlementaires ne puissent pas saisir le Conseil d’État en cas de non- application d’une loi qu’ils ont eux-mêmes votée, parce que le Gouvernement s’est refusé à publier les décrets. Je regrette que cette proposition n’ait pas été approuvée par le Sénat et qu’elle reste ainsi lettre morte.
En conclusion, voici résumés les moyens très simples et concrets d’améliorer le rôle des groupes politiques : un meilleur partage des présidences de commission et des fonctions de rapporteur, une procédure de questions plus nerveuse, plus démocratique et plus réactive, une organisation des semaines de contrôle et d’initiative nous permettant d’agir avec efficacité afin que les lois votées soient effectivement appliquées. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC-SPG et du RDSE.)
Mme Jacqueline Gourault. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je crains d’avoir une approche différente sur la question qui nous occupe, mais cela nous permettra d’avoir un échange, ce qui est très important au Parlement.
M. Yvon Collin. C’est la diversité !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Notre collègue Yvon Collin, qui a le mérite de présenter cette proposition de loi, dit que les groupes ont trouvé place expressément au sein de la Constitution lors de la révision votée à Versailles le 23 juillet 2008.
Oui, mais cette reconnaissance s’accompagnait de la tentative de faire passer cette révision pour ce qu’elle n’est pas à notre sens, à savoir un renforcement des droits du Parlement !
Notre groupe a de la constance. Nos prédécesseurs se sont opposés à la Constitution de 1958, car elle portait en germe la présidentialisation de nos institutions et la subordination du Parlement à l’exécutif. Les gouvernements qui se sont succédé nous ont confortés dans cette analyse et n’ont fait qu’aggraver cette logique.
Mes amis et moi n’avons eu de cesse de souligner le recul du pouvoir législatif face au pouvoir exécutif. La loi constitutionnelle de 2008 n’a pas du tout remis en cause cette situation, elle l’a entérinée.
L’hyper-présidence de Nicolas Sarkozy depuis quatre ans confirme la difficulté croissante que rencontre le Parlement à remplir deux missions essentielles à nos yeux : représenter les citoyens et faire la loi.
Le divorce entre les citoyens et leurs représentants est aujourd’hui particulièrement inquiétant. En tant que parlementaires, c’est ce qui doit nous préoccuper le plus.
Le partage de l’ordre du jour, présenté comme le point d’orgue du renforcement du pouvoir des assemblées, a surtout permis à la majorité parlementaire d’accompagner les initiatives du Gouvernement. Le nombre de propositions de loi déposées à l’initiative de la majorité, qui ne sont en fait que des projets de loi recyclés pour des raisons conjoncturelles et opportunistes, le montre de façon manifeste.
De plus, comme il n’est pas possible d’examiner la question institutionnelle en dehors du contexte politique, comment ne pas constater que cette initiative parlementaire, dans le cadre d’une inflation législative gouvernementale renforcée, du développement de la législation d’affichage et d’opinion, met une pression permanente sur l’institution parlementaire, au point de dégrader fortement la qualité de l’intervention et du rôle du Parlement ?
L’adage « trop de lois tue la loi » se vérifie chaque semaine depuis plusieurs années, comme l’a d’ailleurs souligné le rapport de la commission des lois sur l’application des lois.
Soyons francs, l’initiative parlementaire, le fameux droit de tirage, se trouve marginalisée par cet activisme législatif du pouvoir et, de surcroît, elle est méprisée, en particulier à l’Assemblée nationale, par la majorité parlementaire.
Le dépôt systématique de motions de procédure sur les textes déposés par l’opposition confirme cette conception réductrice de l’initiative parlementaire. En réalité, il n’y a pas d’équivalence entre les propositions des parlementaires et les projets du Gouvernement.
Comment parler de renforcement des pouvoirs des groupes politiques, sources de structuration du débat politique, alors que le régime du « crédit temps » à l’Assemblée nationale réduit de plus en plus les débats à des déclarations de principe, abandonnant le travail législatif aux commissions ?
Au Sénat, malgré des tentatives de la majorité, l’équilibre des forces politiques n’a pas permis une telle restriction du débat démocratique – certains, sans doute, le regrettent –, même si l’utilisation extensive et excessive de l’article 40 de la Constitution, le développement de la règle dite « de l’entonnoir » limitant le dépôt d’amendements en deuxième lecture ou l’épée de Damoclès de l’irrecevabilité dite « réglementaire » de l’article 41 de la Constitution brident petit à petit la place des groupes parlementaires dans le travail d’élaboration législative.
Cette description de l’évolution, selon nous négative, du travail parlementaire, que la réforme de 2008 n’a pas permis de corriger, vise à souligner que les propositions du groupe RDSE concernant l’activité de contrôle des groupes, donc du Parlement, sont peu compatibles avec les rapports actuels entre les pouvoirs exécutif et législatif. Pour notre groupe, la question est ailleurs, elle est dans le déséquilibre, inhérent à la logique présidentialiste, qui prévaut aujourd’hui entre ces deux pouvoirs.
Les auteurs du texte indiquent dans l’exposé des motifs qu’« il est temps désormais de passer à l’étape suivante en donnant aux groupes politiques les moyens de leur mission constitutionnelle au service d’une démocratie parlementaire effective ». Je ne peux être en accord avec cette approche qui valide la révision constitutionnelle de 2008, ce que je me refuse à faire.
Pour restaurer les droits du Parlement et combattre le déséquilibre institutionnel actuel, dans la perspective des échéances électorales à venir, il faut élaborer, j’en suis convaincue, un autre projet constitutionnel qui rende réellement au peuple et à ses représentants leur souveraineté. Cela me paraît essentiel.
Le quinquennat de Nicolas Sarkozy a démontré la conception de la démocratie parlementaire en vogue à l’Élysée : un Parlement aux ordres, une majorité convoquée régulièrement à l’Élysée pour se faire rappeler à l’ordre, une marche forcée dans les travaux législatifs.
Bien entendu, nous approuvons tout ce qui peut permettre aux groupes politiques de remplir leur mission, mais nous alertons également sur un renforcement excessif du travail de contrôle qui se ferait dans le cadre actuel, au détriment de l’essentiel, compte tenu des conditions dans lesquelles nous travaillons aujourd’hui.
Lorsque les auteurs s’interrogent sur le suivi des finances publiques, avec mon groupe je m’interroge sur le recul progressif de la participation du Parlement à l’élaboration du budget et de la loi de financement de la sécurité sociale. Nous avons critiqué la loi organique relative aux lois de finances, la LOLF. Celle-ci semble convenir à tout le monde, mais, au fil des années, on constate un amoindrissement considérable du rôle du Parlement en matière budgétaire. Vous proposez même de constitutionnaliser le fait que le Parlement ne soit plus libre en matière de décisions budgétaires et de finances publiques, ce qui est pourtant un droit essentiel du Parlement, pour les confier à Bruxelles. Comme vous pouvez le constater, des questions de fond nous séparent.
Pour renforcer le pouvoir des groupes politiques en matière budgétaire, commençons par supprimer les articles 40 et 41 de la Constitution…
Pour conclure, j’annonce dès maintenant que nous voterons contre la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité défendue par la majorité, qui utilise souvent ce procédé pour ne pas discuter sur le fond des propositions de loi de l’opposition. Un immense chantier constitutionnel est nécessaire pour démocratiser en profondeur les institutions. Toute proposition tendant à améliorer les moyens des groupes politiques, et donc du Parlement, mérite d’être prise en considération parce qu’elle aborde un sujet sur lequel nous aurions fort à gagner. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Jacqueline Gourault.
Mme Jacqueline Gourault. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, comment permettre aux groupes politiques de mieux participer aux débats et aux travaux de notre assemblée et d’y prendre pleinement la place qui leur revient ? C’est la question que pose la proposition de loi qui nous est soumise aujourd’hui, sur laquelle je suis chargée de vous donner l’avis du groupe Union centriste.
Il faut reconnaître, monsieur Collin, comme l’ont fait d’autres intervenants avant moi, que c’est une bonne question,…
M. Yvon Collin. Cela commence mal !
Mme Jacqueline Gourault. … une question en tout cas qui était au cœur des débats, lors de la dernière révision constitutionnelle opérée en 2008.
À cette occasion, les groupes politiques ont vu leur rôle amplifié et démultiplié, grâce notamment au droit de tirage accordé aux groupes pour la création de commissions d’enquête ou de missions d’information, ou encore à la possibilité pour les secrétariats des groupes d’assister à certaines réunions de commission.
Enfin, la présence des présidents de groupes à la conférence des présidents renforce d’autant plus l’importance des groupes que c’est cette même conférence qui fixe la moitié de l’ordre du jour en vertu des dispositions nouvelles de l’article 48 de la Constitution, et qu’un jour de séance par mois est réservé à l’initiative des groupes d’opposition et des groupes minoritaires.
Leurs moyens ont également été multipliés. Comme nous le rappelle notre collègue Garrec dans son rapport, reprenant alors sa « casquette » de questeur du Sénat : les crédits affectés aux groupes politiques ont augmenté de plus de 30 % depuis 2008.
Des avancés non négligeables ont donc eu lieu ces dernières années, et l’on doit bien sûr s’en réjouir. Pour autant, il est vrai aussi que nous pourrions aller encore plus loin, comme le défendent les auteurs du texte.
Cependant, mon groupe considère que l’on se heurte à une question de forme : une proposition de loi est-elle le bon vecteur pour de tels changements ? Nous ne le pensons pas.
M. Yvon Collin. Oh !
Mme Jacqueline Gourault. En effet, beaucoup d’éléments de ce débat relèvent en réalité du règlement des assemblées. L’article 51-1 de la Constitution renvoie au règlement des assemblées et non à la loi le soin de déterminer les droits des groupes politiques. Il ne fait d’ailleurs aucun doute que, malgré le travail intense et constructif mené au sein du groupe de travail sur la réforme du règlement de notre Haute Assemblée, ce dernier demeure aujourd’hui perfectible. Notre débat me donne l’occasion de rappeler qu’il est nécessaire de poursuivre la réflexion autour des aménagements et améliorations possibles de notre règlement.
Ainsi, il paraîtrait opportun que le représentant du secrétariat des groupes puisse être présent à l’ensemble des réunions de commission, notamment lors de l’examen des amendements extérieurs. Le travail est alors le même que lors de l’élaboration du texte de la commission, c’est pourquoi nous comprenons mal cette restriction.
Sur le fond, le texte que nous examinons aujourd'hui repose selon nous sur une erreur de conception du rôle des groupes par rapport à celui des commissions en matière de contrôle. Les auteurs de ce texte voudraient aller plus loin, en reconnaissant aux groupes des prérogatives qui appartiennent aux commissions et à elles seules. Là encore, la proposition de loi paraît contraire à la Constitution, qui est la norme définissant les prérogatives des commissions.
Pour conclure, je salue l’initiative prise par nos collègues du groupe RDSE, car elle nous a permis d’évoquer en séance publique des problèmes touchant au fonctionnement de notre Haute Assemblée.
M. Yvon Collin. Lot de consolation !
Mme Jacqueline Gourault. Cependant, pour les raisons que j’ai évoquées précédemment touchant à l’inconstitutionnalité du texte, le groupe Union centriste votera en faveur de la motion présentée par le rapporteur, dont j’ai pu apprécier le travail en commission.
Et, pour finir sur une note personnelle, puisque nous évoquons les changements à opérer dans notre règlement, je reviendrai sur l’un de mes « dadas », même si je sais que le président Hyest ne partage pas mon point de vue : comme l’atteste notre hémicycle clairsemé, sans doute conviendrait-il de revoir la manière de voter dans la Haute Assemblée.
Mme la présidente. La parole est à M. Christophe-André Frassa.
M. Christophe-André Frassa. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme vous le savez, la loi constitutionnelle de modernisation des institutions de la Ve République du 23 juillet 2008 a élargi les attributions du Parlement.
Nous connaissons l’importance des missions du Parlement, nous avons d’ailleurs eu à débattre de ce sujet au début de l’année, lors de l’examen de la loi tendant à renforcer les moyens du Parlement en matière de contrôle de l’action du Gouvernement et d’évaluation des politiques publiques, promulguée par la suite le 3 février 2011.
Mais la révision constitutionnelle de 2008 a également consacré le rôle des groupes politiques. Il est ainsi inscrit dans la Constitution que « la loi garantit [...] la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation ».
Par cette entrée dans le texte même de la Constitution, le travail des groupes politiques du Parlement a été institutionnalisé.
Notre collègue Yvon Collin a déposé une proposition de loi tendant à renforcer les moyens de contrôle et d’information des groupes politiques de l’Assemblée nationale et du Sénat.
Notre Assemblée a déjà adopté en ce sens plusieurs dispositions, le 2 juin 2009, à l’occasion de l’examen d’une proposition de résolution modificative de notre règlement.
Pour les auteurs de la proposition de loi, le règlement des assemblées parlementaires ne pouvait comporter l’ensemble des dispositions nécessaires pour que les groupes politiques soient en mesure d’accomplir leur mission institutionnelle.
L’objectif recherché est donc de remédier à cette lacune, de telle sorte que les groupes politiques disposent de nouveaux moyens dans l’exercice de leurs fonctions : la législation, le contrôle de l’action du Gouvernement et l’évaluation des politiques publiques.
La question à l’origine de cette réflexion était la suivante : comment permettre aux groupes politiques de mieux participer aux débats et aux travaux de notre assemblée et d’y prendre pleinement la place qui leur revient ?
Les réponses apportées dans cette proposition de loi semblent inadaptées et contraires à la Constitution, comme nous l’a brillamment exposé le rapporteur, René Garrec.
Cette proposition de loi, d’une part, pose le principe de la participation des groupes politiques aux missions confiées au Parlement et, d’autre part, dote ces groupes de droits et de moyens tendant à garantir une contribution pleinement informée à ces missions, en prévoyant les conditions dans lesquelles s’exercent ces nouvelles prérogatives, ainsi qu’en listant un certain nombre d’autorités et d’organismes qui peuvent être consultés ou saisis par les présidents des groupes politiques de l’Assemblée nationale et du Sénat.
Notre rapporteur nous propose aujourd’hui d’adopter une motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, que le groupe UMP soutiendra, pour les raisons que je vais exposer.
En premier lieu, selon la Constitution, il revient aux règlements des assemblées, et non à la loi, de déterminer les droits des groupes et, plus particulièrement, des groupes d’opposition ou minoritaires.
En deuxième lieu, le Gouvernement dispose de l’administration, selon l’article 20 de la Constitution. En prévoyant pour les groupes un droit d’accès à toute information nécessaire et l’assistance de tout organisme, la proposition de loi porte manifestement atteinte au principe de séparation des pouvoirs, en conférant aux groupes des prérogatives à l’égard du Gouvernement, des administrations et des organismes qui relèvent de son autorité.
En troisième lieu, le texte repose sur une erreur de conception du rôle des groupes en le comparant à celui des commissions, tel que la réforme du règlement du Sénat de 2009 l’a prévu.
Contrairement aux groupes politiques, les commissions parlementaires disposent de prérogatives non pour elles-mêmes, mais en vue de l’information ou de la délibération de l’assemblée dans son entier, afin de lui permettre d’accomplir les missions de législation et de contrôle qu’elle tient de la Constitution.
En outre, les groupes politiques ne sont pas les détenteurs du mandat de leurs membres, c’est-à-dire les « représentants de la Nation », au sens de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Seuls les parlementaires, individuellement et réunis en assemblée, le sont.
Dès lors, les groupes ne sauraient s’arroger les prérogatives de la représentation nationale qui sont attribuées aux commissions d’enquête ou aux commissions permanentes en matière de contrôle.
Ce sont non pas les groupes politiques qui ont pour mission de contrôler l’action du Gouvernement, mais bien les assemblées parlementaires.
De plus, les groupes ne sont pas tenus de rendre compte de leur activité auprès de leur assemblée. Alors que les travaux de contrôle des commissions font l’objet d’une publicité, les travaux des groupes demeurent confidentiels. Dès lors, comment les groupes pourraient-ils participer à la mission de contrôle si leurs travaux ne sont pas, par principe, publics ? La publicité des débats et des travaux est un critère fondamental des travaux parlementaires.
Mes chers collègues, cette proposition de loi allant à l’encontre de notre Constitution, le groupe UMP, vous l’aurez compris, ne peut y souscrire. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Patrick Ollier, ministre. Je souhaite répondre brièvement aux orateurs.
Monsieur Sueur, permettez-moi de vous apporter quelques précisions.
Je rappelle tout d’abord que, selon les règles parlementaires et la tradition de la Ve République, il y a une majorité et une opposition. La majorité détient les moyens du pouvoir, ce qui est tout à fait normal. En revanche, il est normal que l’opposition participe aux actions de contrôle, contrôle que la récente révision constitutionnelle a renforcé. La possibilité donnée à l’opposition d’être associée à part égale à la majorité dans les actions de contrôle me semble une bonne chose. Je regrette que vous ne l’ayez pas relevé, monsieur le sénateur. (M. Jean-Pierre Sueur proteste.)
Monsieur Sueur, puis-je parler s’il vous plaît ?
Vous regrettez, monsieur le sénateur, que les propositions de loi examinées lors des semaines d’initiative parlementaires ne fassent pas l’objet de navette. Je vous répondrai que rien n’empêche le groupe socialiste de l’Assemblée nationale de demander l’inscription à l’ordre du jour de ces textes. Il s’agit ensuite que la règle majoritaire s’applique. On ne peut pas contester à la majorité le droit de dire oui ou non à certaines propositions.
Par ailleurs, monsieur Sueur, vous m’avez personnellement mis en cause, ce que j’ai trouvé quelque peu discourtois de votre part, ce qui n’est pas dans vos habitudes.
M. Jean-Pierre Sueur. Je ne vous ai pas mis en cause personnellement !
M. Patrick Ollier, ministre. Vous m’avez d’abord dit que, si j’avais parlé quinze minutes de moins ce matin, l’examen de la proposition de résolution instituant une « journée nationale de la laïcité » aurait pu être achevé. C’est faux ! Quarante minutes supplémentaires auraient été nécessaires, comme en atteste le décompte du temps de parole des orateurs qui devaient encore s’exprimer. Ils n’auraient pas pu dire pendant le malheureux quart d’heure durant lequel j’ai parlé ce qu’ils avaient prévu de dire en quarante minutes !
M. Jean-Pierre Sueur. D’autres contribuent à l’inflation, c’est certain ! (Sourires.)
M. Patrick Ollier, ministre. Je vous remercie donc de reconnaître que j’ai raison, monsieur Sueur !
Je dirais même que, si le groupe socialiste n’avait pas utilisé, hier, les quatre heures de l’après-midi pour l’examen de la proposition de loi relative à l’organisation du championnat d’Europe de football de l’UEFA en 2016, nous aurions pu examiner la proposition de loi relative à la protection de l’identité. Certains arguments peuvent se retourner parfois contre ceux qui les avancent !
M. Jean-Pierre Sueur. Il faut réfléchir ensemble à ce sujet. Le système ne fonctionne pas.
M. Patrick Ollier, ministre. Madame Borvo Cohen-Seat, vous le saviez d’avance, je ne peux être d’accord avec votre approche de la Constitution de la Ve République, pas plus que je ne peux être d’accord avec votre critique de la règle dite « de l’entonnoir », laquelle découle de l’article 45 de la Constitution. Cette règle n’est pas excessive. Je la trouve au contraire opportune, car elle vise à rapprocher les points de vue des deux assemblées, à éviter l’obstruction et la multiplication à l’excès du nombre d’amendements, tout en laissant, de manière démocratique, les parlementaires s’exprimer.
Madame Gourault, je vous remercie d’avoir soutenu la position du Gouvernement, du président et du rapporteur de la commission. Je suis bien sûr tout à fait d’accord avec vos arguments, car ils sont également les nôtres. Je n’y reviens pas.
Monsieur Frassa, je vous remercie également de votre position. Vous avez souligné la pertinence des argumentations que nous avons développées. La proposition de loi, qui tend à donner de nouvelles prérogatives aux groupes politiques, créerait, vous avez insisté sur ce point, une confusion avec celles des commissions permanentes, qui sont, elles, tout à fait légitimes. Ce sont là des raisons supplémentaires, s’il fallait en trouver, de voter la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité qui va maintenant être défendue.
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
Exception d’irrecevabilité
Mme la présidente. Je suis saisie, par M. Garrec, au nom de la commission, d'une motion n° 1.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 2, du Règlement, le Sénat déclare irrecevable la proposition de loi tendant à renforcer les moyens de contrôle et d'information des groupes politiques de l'Assemblée nationale et du Sénat (n° 355, 2010-2011).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. le président de la commission, pour défendre la motion.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Après le très long débat que nous avons eu sur cette proposition de loi, et que nous aurons l’occasion de poursuivre par ailleurs, je considère que la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité est défendue.
J’ajouterai simplement que, si l’on parle beaucoup des pouvoirs des commissions et de ceux des groupes, on oublie un pouvoir essentiel, à savoir les pouvoirs individuels du parlementaire, qui sont pourtant fondamentaux dans les institutions de la République. Il ne faut pas l’oublier !
Mme la présidente. La parole est à M. Yvon Collin, contre la motion.
M. Yvon Collin. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la commission des lois a fait le choix de couper court à la discussion de cette proposition de loi. Pourtant, M. le rapporteur, et je l’en remercie, a admis que « sur le fond, notre texte pose de bonnes questions ». Elles lui paraissent d’ailleurs si bonnes qu’il suggère aux auteurs de la proposition de loi « de solliciter la réunion d’un nouveau groupe de travail sur le règlement du Sénat ou encore de présenter une proposition de résolution tendant à modifier le règlement en vue d’attribuer des droits supplémentaires aux groupes politiques ».
Si problèmes il y a, il est donc particulièrement regrettable que la commission des lois, plutôt que de contribuer à améliorer un texte perfectible – quel texte ne l’est pas ? – destiné à les résoudre, décide de déclencher le couperet de l’exception d’inconstitutionnalité.
La commission vous propose ainsi d’user d’une procédure particulièrement violente de notre droit parlementaire consistant ni plus ni moins en l’autodestruction du rôle même du Parlement. Or elle le fait sur des fondements si contestables, en s’opposant ainsi à l’extension des droits parlementaires, ce qui est pour le moins paradoxal de la part d’une commission parlementaire, qu’on peut s’interroger sur ses motivations. On peut ainsi se demander si ce qui vous a plu dans la révision constitutionnelle, chers collègues, ce n’était point tant ce qui y figurait que ce qui y manquait, à savoir la définition d’un statut de l’opposition.
Chers collègues de la majorité, si la très bénigne reconnaissance légale de pratiques, à vrai dire évidentes pour qui réfléchit au mandat parlementaire – pratiques que vous reconnaissez, monsieur le rapporteur, puisque vous indiquez dans votre rapport que certaines des dispositions du texte sont satisfaites par le droit en vigueur – vous offusque au point de considérer que leur adoption violenterait notre Constitution essentiellement parlementaire, que direz-vous lorsque le temps sera venu de réellement moderniser le Parlement afin que ses travaux prennent l’ampleur que les Français attendent ? (M. le président de la commission des lois s’exclame.) Le Parlement n’est pas populaire, monsieur le président.
Vous invoquez à l’appui de votre jugement, monsieur le rapporteur, pas moins de trois dispositions constitutionnelles.
Premièrement, dites-vous, il eût fallu en passer par le règlement, seul texte compétent selon vous pour déterminer les droits des groupes politiques, conformément à l’article 5l-l de la Constitution.
Deuxièmement, la proposition de loi porterait atteinte à l’organisation des pouvoirs fixée par la Constitution.
Troisièmement, elle violerait le principe de séparation des pouvoirs.
Je demande à notre assemblée, et je le lui demande afin de préserver ses droits, de ne retenir aucun de ces arguments.
Sur le premier point, on peut admettre que l’article 51-1 de la Constitution, ainsi d’ailleurs que son article 48, constitue une reconnaissance des groupes parlementaires dans notre droit positif constitutionnel. Je pense même qu’on pourrait, à partir des pratiques parlementaires de notre République et des règlements des assemblées, hisser cette reconnaissance au rang des principes généraux reconnus par les lois de la République.
Quoi qu’il en soit, le rôle éminent reconnu aux groupes politiques à la fois dans le fonctionnement interne des assemblées, mais aussi en tant que contributeurs à l’exercice de leurs missions constitutionnelles, suffit à justifier, sans même qu’il soit nécessaire de se référer à l’article 51-1 de la Constitution, l’ouverture de droits correspondants à leur implication dans l’exercice de ces missions.
En revanche, dès lors que ces droits ne concernent pas exclusivement ni même principalement l’organisation interne des assemblées, je ne pense pas que les règlements des assemblées parlementaires puissent être constitutionnellement le support de leur définition. Les reconnaissances de droits prévues dans notre proposition de loi étant en principe opposables à des tiers, nous avons ainsi pris soin d’en passer par la loi et de ne point empiéter au demeurant sur le terrain de la loi organique.
Sur l’organisation des pouvoirs, je serai bref.
Notre proposition de loi ne retranche rien aux pouvoirs des organes internes du Parlement. Elle ne donne aucun nouveau pouvoir aux groupes politiques. Elle se contente de leur ouvrir des droits leur permettant simplement de fonctionner dans le cadre des prérogatives que leur confèrent la Constitution et nos usages républicains. Ces droits sont strictement proportionnés aux fonctions reconnues aux groupes. Au demeurant, en pratique, l’existence des groupes politiques est traversée par un certain nombre de ces conférences ou de ces collaborations avec des tiers dont nous prévoyons la reconnaissance légale sans qu’on s’offusque de leur éventuelle contravention avec l’organisation des pouvoirs.
Enfin, sur la violation de la séparation des pouvoirs, je dirai d’abord qu’il ne fait aucun doute dans notre esprit que les groupes parlementaires ne sont pas des pouvoirs publics constitutionnels. On pourrait d’ailleurs dire, mais nous ne l’avons pas fait, que la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité déposée par la commission manque sur ce point de tout objet.
Mes chers collègues, vous l’aurez compris, je vous demande de rejeter la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité présentée par la commission des lois, car elle ne me paraît pas fondée. Elle aurait pour effet d’empêcher le Parlement de trouver des solutions à ce que la commission reconnaît être un réel problème. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je ne reprendrai pas les arguments que j’ai déjà exposés pour plaider contre la présente motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. Je voudrais simplement profiter de cette explication de vote pour faire une mise au point à la suite des propos de M. le ministre.
Il n’était nullement dans mon intention de me livrer, si peu que ce fût, à une attaque personnelle à votre endroit, monsieur le ministre. J’ai seulement pris l’exemple de la séance de ce matin pour souligner le caractère quelque peu paradoxal de notre organisation pour les semaines d’initiative parlementaire.
En effet, il peut arriver que le débat sur une proposition dure très longtemps, comme ce fut le cas hier, en raison du droit des parlementaires, y compris de ceux qui appartiennent à l’opposition lorsque la proposition émane de la majorité, et inversement, de s’exprimer. C’est bien naturel.
Mais, à partir de ce moment-là, un groupe de la majorité ou de l’opposition peut, pour des raisons qui ne sont pas du tout de son fait, se trouver privé d’un débat ou d’une partie de débat.
Sans doute ai-je eu tort de cibler particulièrement vos propos, monsieur le ministre. D’ailleurs, et je parle sous le regard comme toujours attentif de Mme la présidente Catherine Tasca, je sais que d’autres ont contribué à cette inflation. Par conséquent, si la proposition de résolution sur la laïcité n’a pas pu être adoptée, ce que, pour ma part, je déplore beaucoup, la responsabilité en est collective.
J’appelle simplement de mes vœux, et je ne mets personne en cause, une réflexion dans nos rangs, et peut-être au sein des instances du Sénat, sur l’organisation de ces semaines, compte tenu de l’expérience qui est la nôtre depuis quelques mois. Voilà ce que j’ai voulu dire.
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi.
J'ai été saisie d'une demande de scrutin public émanant du groupe UMP.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
Mme la présidente. Voici le résultat du scrutin n° 199 :
Nombre de votants | 338 |
Nombre de suffrages exprimés | 338 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 170 |
Pour l’adoption | 182 |
Contre | 156 |
Le Sénat a adopté.
En conséquence, la proposition de loi est rejetée.
7
Démarchage téléphonique
Adoption d'une proposition de loi
(Texte de la commission)
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe RDSE, de la proposition de loi visant à renforcer les droits des consommateurs en matière de démarchage téléphonique, présentée par MM. Jacques Mézard et Yvon Collin et les membres du groupe RDSE (proposition n° 354, texte de la commission n° 435, rapport n° 434).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Jacques Mézard, auteur de la proposition de loi.
M. Jacques Mézard, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la loi a pour objet d’organiser la vie en société, en tenant compte des évolutions de cette dernière,…
M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !
M. Jacques Mézard, auteur de la proposition de loi. … soit pour les favoriser, soit pour les réguler, soit parfois pour les interdire : dura lex, sed lex !
Mais une bonne loi est, par nature, une loi d’équilibre, qui préconise l’intérêt général tout en protégeant les libertés individuelles.
Les mutations profondes de nos sociétés ces dernières années ont entraîné des changements considérables, tant dans la vie quotidienne de nos concitoyens que dans les priorités des législateurs et des exécutifs.
Comparons la vie quotidienne des Français en 1911 et en 2011 : en un siècle, il y a eu plus de bouleversements que durant tous les précédents ! La loi précède de moins en moins ces mutations, et elle peine le plus souvent à les suivre et à les réguler.
Téléphone, téléphonie mobile, télévision, internet... ces moyens de communication ont plus qu’envahi notre quotidien ; ils sont pratiquement devenus des prolongements de notre corps, en attendant qu’ils s’y greffent !
Rien d’étonnant, dans ces conditions, à ce que ces moyens de communication deviennent des instruments économiques, commerciaux et soient devenus des moteurs du développement. Légiférer dans ces domaines est difficile ; l’exemple HADOPI, qui est à l’ordre du jour, en est une illustration. Il n’en reste pas moins que cela est nécessaire.
Le démarchage téléphonique est aujourd’hui devenu une pratique courante et s’est développé de manière exponentielle et, il faut le dire, souvent anarchique, au mépris de la protection des usagers et de leur intimité.
Certes, la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés a apporté une première protection, mais ce rempart a été submergé par les nouveaux flux et les avancées technologiques.
La pêche aux clients, par le démarchage téléphonique, a pris une ampleur considérable et les mailles légales du filet sont tellement larges que le braconnage à toute heure et tous les jours de la semaine est devenu la règle.
Il faut reconnaître aussi que les quelques dispositions légales et réglementaires sont très souvent bafouées avec une impunité quasi totale. Je pense par exemple à l’article L. 34-5 du code des postes et des communications électroniques, qui interdit le démarchage sans manifestation du consentement de l’usager quand il est réalisé au moyen d’un automate d’appels, d’un télécopieur ou d’un courrier électronique.
La réalité du terrain, c’est d’abord que les usagers ignorent les quelques droits dont ils disposent et sur lesquels les opérateurs les informent le moins possible. On peut prendre pour exemple l’article R 10 du code des postes et des télécommunications sur la liste rouge et la liste orange.
La réalité du terrain, c’est ensuite que l’accroissement considérable du nombre d’appels intrusifs dans n’importe quelles conditions constitue un trouble excessif chez nos concitoyens, dérangés dans leur domicile à des heures et à des jours inopportuns et, pour certains, victimes d’abus de faiblesse, parfois même de pratiques relevant du harcèlement.
Mes chers collègues, il n’est pas crédible d’oser soutenir que le nombre d’appels téléphoniques de démarchage est raisonnable et de brandir en même temps, comme le fait l’Association française de la relation client, l’AFRC, le chiffre de 260 000 salariés dans 3 500 centres d’appel !
De même, dans certains cas, il est vrai très minoritaires, on peut s’interroger sur l’intérêt pour le développement économique de la France que nos concitoyens reçoivent des appels de la part de centres d’appel installés à l’étranger pour promouvoir la vente de produits fabriqués hors de nos frontières !
Mais soyons clairs : notre objectif n’est nullement d’interdire le démarchage téléphonique ; il est de parvenir à un équilibre entre la protection de l’usager et le souci légitime du développement économique. Nous avons des entreprises performantes à l’échelle internationale dans la technique des centres d’appel, des entreprises performantes avec des pratiques loyales dans le démarchage téléphonique. Mais il est temps de trier le bon grain de l’ivraie, dans l’intérêt même de ceux qui font du bon travail.
Pour cela, la régulation est nécessaire. D’ailleurs, plusieurs pays européens voisins, comme l’Allemagne, les Pays-Bas et la Grande-Bretagne, l’ont fait fermement sans mettre en danger leur économie. Il convient de légiférer rapidement avant même que l’exaspération des usagers n’entraîne dans l’urgence médiatique des réactions plus brutales.
Si la législation n’évolue pas aujourd'hui, elle le fera inéluctablement demain dans des conditions qui découleront des réactions très fermes de nombre d’usagers lassés de la situation. Je crois que c’est l’intérêt commun de travailler et de réfléchir en ce sens.
M. Yvon Collin. Très bien !
M. Jacques Mézard, auteur de la proposition de loi. Oui, de telles pratiques se sont diversifiées et multipliées ! L’intrusion dans le quotidien de nombre de nos concitoyens, chez eux, représente une atteinte à leur vie privée pour le moins déplaisante.
Face à des pratiques commerciales souvent de plus en plus agressives, de nombreuses sociétés de télémarketing n’hésitant pas à appeler les personnes plusieurs fois dans le même mois, à des horaires inopportuns, en soirée ou le week-end, il nous paraît indispensable de renforcer les droits des citoyens, qui devraient pouvoir ne plus être importunés chez eux, contre leur gré, et ne plus être assaillis d’offres et d’informations commerciales diverses qu’ils n’ont pas sollicitées. J’ajoute que les personnes âgées et vulnérables deviennent la cible privilégiée de ces démarchages.
La législation actuelle en la matière repose sur le principe d’opposition de la personne à l’utilisation des données la concernant à des fins de prospection commerciale.
Comme l’a rappelé M. le rapporteur, ce régime de protection des données personnelles s’est progressivement construit. Au niveau communautaire, la directive n° 95/46 CE du 24 octobre 1995 relative à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données prévoit notamment le droit de la personne de « s’opposer, sur demande et gratuitement, au traitement des données la concernant envisagé par le responsable du traitement à des fins de prospection » et d’être informée préalablement à leur première communication à des tiers ou à leur utilisation par eux, afin de pouvoir s’y opposer. Cette directive européenne a été transposée en droit interne par la loi n° 2004-801 du 6 août 2004 qui a modifié à cette fin la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.
Nous avons rappelé qu’il existe dans la législation actuelle un droit d’opposition en matière de démarchage téléphonique, mais force est de constater que cette procédure est très peu connue du grand public et extrêmement marginale dans la pratique.
La démarche de s’inscrire sur « liste rouge » pour échapper à des appels non désirés existe, mais elle sanctionne, de fait, tous ceux qui souhaitent légitimement figurer à l’annuaire afin d’être joignables par leur entourage et leurs connaissances. Contraindre ceux qui ne souhaitent pas être importunés à s’inscrire sur « liste rouge » signifierait la disparition de l’annuaire téléphonique et condamnerait les abonnés à ne plus pouvoir se joindre entre eux ! Quant à la « liste orange », elle ne résout aucunement le problème du démarchage.
Lors de la séance de questions orales du 1er mars dernier, M. le ministre Éric Besson m’avait répondu, en votre nom, monsieur le secrétaire d’État, que le Gouvernement mettait en place un dispositif qui entendait répondre aux mêmes préoccupations. Ce dispositif, dénommé Pacitel, qui devrait être opérationnel au premier semestre 2011, résulte des travaux d’un groupe de travail mis en place par M. Hervé Novelli, alors secrétaire d’État chargé de la consommation, et composé des principales fédérations professionnelles du secteur de la prospection et de la vente par téléphone.
Nous avons rencontré les représentants de ces fédérations, qui ont d’ailleurs conscience des abus existant en matière de démarchage téléphonique et reconnaissent la nécessité de « responsabiliser la profession », selon leurs propres termes. Ils nous ont indiqué qu’ils s’étaient engagés, pour leur part, à recommander à leurs adhérents d’éviter les appels téléphoniques trop matinaux ou trop tardifs, en privilégiant les plages horaires allant de 8 heures à 20 heures 30 du lundi au vendredi et de 9 heures à 18 heures le samedi...
Cependant, le dispositif Pacitel ne constitue qu’une petite avancée dans le droit d’opposition : il s’agit en effet d’une liste d’opposition recensant, à leur demande, les consommateurs qui refusent d’être démarchés. En conséquence, leurs coordonnées ne devraient pas figurer dans des fichiers constitués aux fins de démarchage commercial, mais rien ne permet de présumer que ce dispositif sera mieux connu et plus utilisé que les procédures existantes. En outre, la complexité de ce projet est évidente, car il oblige l’usager voulant s’inscrire sur la liste d’opposition à envoyer une copie de sa carte d’identité et de la facture de sa ligne ! Telle est la réalité de ce projet, qui relève plus de l’affichage médiatique d’une volonté de bonne pratique que de la volonté d’apporter une véritable solution concrète.
Il nous apparaît donc inopportun que ce soit au citoyen de s’opposer expressément à ce que les données le concernant soient transmises à des sociétés et utilisées à des fins de démarchage. Il est bien plus logique et sécurisant que la législation prévoie, à l’inverse, que le citoyen consommateur doive donner expressément son accord pour que ses données personnelles puissent être utilisées à des fins de démarchage.
Il est important de rappeler, comme l’a fait notre rapporteur – j’en profite pour saluer la qualité de son rapport, qui a permis de dégager un consensus tout à fait positif au sein de la commission –, que le principe du consentement exprès existe déjà pour certaines techniques de prospection directe. Ce principe, nous l’avons dit, est posé par l’article L. 34-5 du code des postes et des communications électroniques, qui définit la prospection directe comme « l’envoi de tout message destiné à promouvoir, directement ou indirectement, des biens, des services ou l’image d’une personne vendant des biens ou fournissant des services ».
Nous souhaitons que le principe du consentement exprès soit retenu pour les pratiques relevant du démarchage téléphonique.
Notre commission des lois, sur proposition de son rapporteur, François Pillet, a retenu le principe du recueil du consentement exprès de l’abonné à un service téléphonique, fixe ou mobile, pour l’utilisation des données le concernant à des fins de démarchage, que l’utilisateur de ces données soit l’opérateur lui-même ou un tiers. Le nouveau droit de l’abonné devra figurer sur le contrat d’abonnement téléphonique au titre des informations obligatoires fixées par l’article L. 121-83 du code de la consommation.
Ainsi, le recours au démarchage téléphonique sera subordonné à l’accord préalable et écrit de l’abonné pour l’utilisation de ses coordonnées. Le consentement devra être expressément donné à l’opérateur et ces dispositions s’appliqueront également aux abonnements en cours, selon la rédaction retenue par la commission.
Les sanctions prévues dans la législation actuelle en cas de violation du droit d’opposition de la personne au traitement de ses données personnelles à des fins de prospection commerciale s’appliqueront en cas de non-respect de l’obligation de recueillir le consentement de l’abonné.
Naturellement, l’abonné doit pouvoir revenir sur sa décision initiale ; il doit aussi pouvoir, le cas échéant, manifester à tout moment son refus de l’utilisation de ses données, même après y avoir consenti. Monsieur le secrétaire d’État, peut-être faudrait-il réfléchir, à l’avenir, à permettre aux opérateurs de consentir des abonnements à des tarifs différenciés selon le consentement ou le non-consentement de l’abonné ? Mais il s’agit d’un autre débat !
Comme l’a clairement rappelé notre rapporteur, « il convient, en effet, de renforcer la protection de la personne sans se contenter de lui accorder un simple droit d’opposition, lequel ne constitue souvent qu’une protection illusoire : en effet, soit par défaut d’information, soit faute d’enclencher la procédure, l’inaction prime ouvrant la porte au démarchage téléphonique ; cette technique de vente constitue pourtant une intrusion violente dans la vie privée ».
Vous l’aurez compris, mes chers collègues, notre volonté est de renforcer les droits du consommateur, à savoir le respect de sa vie privée et son droit à la tranquillité ; il était temps que cette évolution intervienne ! Il est primordial que l’utilisation des données personnelles relève d’une démarche volontaire de la part des personnes concernées. Cette proposition de loi vise à rendre effectif ce principe. Je l’ai déjà dit, si nous n’agissons pas rapidement en ce sens, en faisant le maximum pour trouver un véritable équilibre, nous y serons conduits dans d’autres conditions dans les années qui viennent, car on est allé trop loin, en l’absence d’une régulation suffisante.
Encore une fois, notre but n’est pas d’interdire le démarchage : nous souhaitons permettre cette activité économique, qui a son importance dans notre pays, mais en la régulant dans des conditions normales. D’ailleurs, l’avis du 18 mai 2010 du Conseil national de la consommation soulignait à juste titre que « l’efficacité de la protection des données et de la vie privée est devenue autant une condition du développement de la liberté individuelle qu’un facteur important de la confiance du consommateur ». À laisser faire n’importe quoi dans n’importe quelles conditions, la confiance du consommateur risque d’être entamée et une telle situation n’est jamais favorable au développement économique.
Tel est le souci prioritaire auquel cette proposition de loi tend à apporter une réponse. C’est pourquoi nous vous appelons, mes chers collègues, à la soutenir de vos votes. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. François Pillet, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, qui n’a jamais été importuné ou ne s’est senti agressé par l’appel téléphonique intempestif d’un démarcheur, ressenti comme une intrusion dans sa vie privée ?
Ces immixtions dans notre quotidien se sont diversifiées et multipliées à la faveur de l’évolution des technologies, des pratiques commerciales et de consommation et de la création de nouveaux modes de communication. Dans le même temps, le législateur est intervenu régulièrement pour encadrer ces nouvelles pratiques et protéger les personnes physiques. La proposition de loi déposée par nos collègues Jacques Mézard, Yvon Collin et les membres du groupe du rassemblement démocratique et social européen s’inscrit dans ce courant en ciblant le démarchage téléphonique. En imposant l’accord préalable des usagers à l’utilisation de leur ligne téléphonique à des fins de prospection, elle inverse le principe aujourd’hui communément appliqué.
Un droit spécifique à la protection des données personnelles s’est construit progressivement tant au plan européen qu’au niveau national avec l’institution, dès 1978, de la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL. Parallèlement, ont été mises en place des pratiques destinées à permettre au client de « sanctuariser » certains pans de son intimité.
Au niveau communautaire, une directive du 24 octobre 1995, transposée en droit interne par la loi du 6 août 2004, prévoit notamment le droit de la personne de s’opposer, sur demande et gratuitement, au traitement des données la concernant à des fins de prospection et celui d’être informée préalablement à leur première communication à des tiers ou de leur utilisation par eux, afin de pouvoir s’y opposer.
Pour ce qui concerne le démarchage, un ensemble de règles s’est mis en place sur la base du principe général du droit d’opposition, ou opt out, sauf pour des cas limités.
Tout d’abord, le droit de s’opposer, sans frais, à l’utilisation des données personnelles à des fins de prospection, est opposable tant au responsable actuel du traitement qu’à celui d’un traitement ultérieur. Il s’applique notamment à la réception des appels téléphoniques dans le cadre d’opérations de démarchage effectuées par une personne. Son efficacité est, cependant, liée à la connaissance qu’en ont les intéressés.
En revanche, toute personne physique doit manifester expressément son consentement en matière de prospection directe réalisée au moyen d’un automate d’appel, d’un télécopieur ou d’un courrier électronique. Je rappelle que la prospection directe est définie comme « l’envoi de tout message destiné à promouvoir, directement ou indirectement, des biens, des services ou l’image d’une personne vendant des biens ou fournissant des services ».
Les abonnés à un service téléphonique disposent, pour leur part, de plusieurs protections. Si toute personne « ayant souscrit un abonnement au service téléphonique au public a le droit de figurer gratuitement » dans l’annuaire, elle dispose aussi, dans les mêmes conditions, de celui de ne pas y être mentionnée : c’est ce que l’on appelle la « liste rouge ». L’abonné dispose aussi de la faculté, par son inscription sur la « liste orange » – à la renommée très confidentielle –, d’obtenir gratuitement de l’opérateur l’interdiction d’utiliser ses données personnelles dans des opérations de prospection directe, soit par voie postale, soit par voie de communications électroniques. Mais la constitution des annuaires téléphoniques obéit à la technique d’opt out, puisque les abonnés doivent effectuer une démarche pour protéger leurs données personnelles.
Je ne voudrais pas omettre de mentionner que, au moment où la commission des lois est saisie de la présente proposition de loi, le Gouvernement met en place un dispositif qui entend répondre aux mêmes préoccupations, dénommé Pacitel. Il s’agit d’une liste d’opposition recensant, à leur demande, les consommateurs qui refusent d’être démarchés par les entreprises volontaires, c’est-à-dire les principales fédérations professionnelles du secteur de la prospection et de la vente par téléphone. Pacitel obéit donc, comme la « liste orange », au principe d’opt out.
Saisie de la proposition de loi, la commission a souhaité adapter le dispositif proposé à l’objectif affiché par ses auteurs.
Tenant compte de l’encadrement existant et du but à atteindre, elle a retenu un système protecteur à la source pesant sur les opérateurs téléphoniques.
Les trois articles de la proposition de loi ont été réécrits en ce sens.
L’article 1er, établi par la commission, tend à prescrire le principe du recueil du consentement exprès de l’abonné à un service téléphonique au public, fixe ou mobile, pour l’utilisation de ses données à caractère personnel à des fins de démarchage, que l’utilisateur soit l’opérateur lui-même ou un tiers.
Parallèlement, le nouveau droit de l’abonné devrait figurer sur le contrat d’abonnement téléphonique au titre des informations obligatoires fixées par le code de la consommation.
Point très important, le dispositif préserve la faculté, pour la personne concernée, de manifester son refus à tout moment au traitement de ses données, même après y avoir consenti, conformément au principe institué par la loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.
La rédaction de cet article 1er commandait la suppression de l’article 2.
L’article 3 vise à sanctionner d’une peine d’amende de 45 000 euros le non-respect du consentement préalable de l’abonné à l’utilisation de ses données personnelles à des fins de démarchage.
Sans vouloir anticiper le débat qui pourrait survenir sur ce point, j’indique que la commission est restée ouverte à ce que la répression s’effectue également par la voie d’une amende administrative. Mais, dans ce cas, un système binaire doit rester en place afin que le consommateur ne soit pas privé du droit de citation directe ou de plainte avec constitution de partie civile, ce qui permet alors la poursuite pénale.
En outre, un article 4 est ajouté, ayant pour objet d’appliquer le nouveau principe aux abonnements téléphoniques en cours.
Il tend également à confier au pouvoir réglementaire le soin de déterminer les moyens les plus appropriés au recueil du consentement de l’abonné, dans le délai d’un an à compter de la publication de la loi. Le pouvoir réglementaire trouvera d’ailleurs quelques idées sur le sujet en lisant le compte rendu des débats de la commission.
Afin de ne pas bloquer indéfiniment la pratique du démarchage par l’inaction de l’abonné, l’accord de celui-ci serait considéré comme acquis à défaut de réponse dans un délai de deux mois.
La commission ne prétend pas ainsi régler définitivement la question du démarchage téléphonique agressif, mais elle estime que cette pratique devrait être normalisée et régulée par l’application des nouvelles dispositions.
Ces propositions constituent une avancée juridique, dans la mesure où elles retiennent le principe de l’opt in pour alimenter la source normale du démarchage téléphonique, c’est-à-dire les listes d’abonnés. Elles complètent les outils existants – droit d’opposition, liste orange, dispositif Pacitel –, dont l’utilité n’est pas contestable, mais qui ne permettent pas de résoudre la question essentielle du consentement à ces diverses pratiques entamant la vie privée de chacun.
La profession a manifesté une certaine opposition, en tout cas sur le texte d’origine. Elle a notamment invoqué le risque, selon elle, que cette évolution ferait peser sur les emplois du secteur. Nous avons noté que la démonstration n’était pas faite de cette affirmation et je n’ai pas pu obtenir de précisions sur ce point.
En réalité, le texte de la commission des lois rééquilibre, dans le cadre contractuel classique de notre droit, les relations entre démarcheurs et consommateurs, en offrant à ceux-ci une protection réelle contre des comportements devenus particulièrement intrusifs du fait de pratiques commerciales agressives.
Sous le bénéfice de ces observations, la commission des lois soumet à la délibération du Sénat le texte qu’elle a établi. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État auprès de la ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, chargé du commerce, de l'artisanat, des petites et moyennes entreprises, du tourisme, des services, des professions libérales et de la consommation. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des lois, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais d’abord remercier M. Jacques Mézard, ainsi que tous les auteurs de la proposition de loi, et saluer cette initiative qui porte sur un sujet essentiel, les pratiques dont nous débattons polluant la vie de bon nombre de citoyens et de consommateurs.
De nombreux abus sont effectivement constatés en matière de démarchage téléphonique, et il est évidemment du devoir du législateur d’y mettre un terme.
Le texte issu des travaux de la commission – je salue à ce titre la contribution de M. le rapporteur – vise à renforcer les droits des consommateurs afin que ces derniers ne soient plus victimes de démarchages téléphoniques qu’ils n’ont pas sollicités.
Qui n’a pas été victime de telles pratiques ? a demandé tout à l’heure M. le rapporteur. Oui, nous avons tous subi des démarchages abusifs et nos concitoyens sont nombreux à dénoncer, de plus en plus fréquemment, les sollicitations téléphoniques intrusives et répétées dont ils font l’objet à domicile de la part d’entreprises commerciales. Beaucoup de réclamations parviennent jusqu’à mes services via la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes.
Le Gouvernement, cela a été souligné précédemment, est sensible à cette question, car le démarchage téléphonique peut parfois aboutir, notamment chez les personnes âgées ou fragiles, à la conclusion de contrats qui ne sont pas expressément consentis. Il est donc de notre devoir d’agir.
En tant que secrétaire d’État chargé de la consommation, j’ai déjà expliqué dans cet hémicycle que mon action reposait sur trois piliers : la qualité, la transparence et la protection des consommateurs. En l’occurrence, il s’agit dans la discussion qui nous occupe cet après-midi de protéger les consommateurs.
Un meilleur encadrement des pratiques en matière de démarchage électronique permettrait de répondre à cet objectif. C’est pourquoi je me félicite qu’une telle réflexion soit engagée aujourd’hui sur le sujet. Néanmoins, nous devons être prudents sur les modalités concrètes permettant d’atteindre ce but.
Pour renforcer les droits des consommateurs en matière de démarchage téléphonique, les auteurs de la proposition de loi avaient initialement envisagé de mettre en œuvre un dispositif généralisé de recueil du consentement exprès des consommateurs à l’utilisation de leurs données personnelles.
Cette rédaction faisait basculer le régime actuel dit d’opt out, par lequel un consommateur peut s’opposer à être démarché, vers un régime dit d’opt in, par lequel un professionnel voulant exercer une activité de démarchage doit recueillir au préalable le consentement exprès du consommateur.
Si le régime d’opt in peut apparaître protecteur pour les consommateurs – chacun ici est évidemment sensible à cette question –, il présente de forts risques de déstabilisation du secteur du démarchage téléphonique. Or, si les abus sont bien réels – les orateurs précédents ont eu raison de les souligner –, certains professionnels du démarchage font aussi leur travail de façon respectueuse, à la plus grande satisfaction de nos concitoyens et des clients.
Je rappellerai tout de même quelques chiffres, car nous devons être conscients de ce que représente l’activité des centres d’appels dans notre pays.
Ce secteur totalise aujourd’hui 260 000 emplois, dont tous ne concernent pas les démarchages proprement dits.
En moyenne, près de 160 000 emplois sont consacrés à la gestion des appels entrants : appels émanant des clients vers les centres d’appels et portant essentiellement sur des sujets liés au service après-vente des produits.
En revanche, près de 100 000 emplois sont consacrés à la gestion des appels sortants, qui visent deux objectifs différents. Certains sont destinés à fidéliser une clientèle existante – j’y reviendrai à l’occasion de la présentation d’un amendement que je défendrai au nom du Gouvernement – et d’autres à trouver de nouveaux clients.
Il faut donc veiller à ne pas menacer ces 100 000 emplois par des mesures qui ne seraient pas proportionnées à l’objectif louable, commun à la Haute Assemblée et au Gouvernement, de protéger les consommateurs.
Sur l’initiative de son rapporteur, la commission des lois a adopté le 11 avril dernier une nouvelle version de la proposition de loi, dans laquelle le régime d’opt in, cher à l’auteur du texte, a été conservé, tout en étant principalement ciblé sur les opérateurs téléphoniques. Cette restriction du champ aux opérateurs téléphoniques, que je salue, permet de diminuer très clairement l’impact sur l’emploi du secteur.
Il m’apparaît cependant indispensable de préserver la capacité des opérateurs téléphoniques de pouvoir se mettre en contact avec leurs propres clients, notamment pour que les dispositifs actuels de protection du consommateur soient préservés. Je pense, par exemple, aux dispositifs d’alerte, que les consommateurs appellent de leurs vœux et qui sont aujourd’hui généralisés, ou aux dispositifs de conseils personnalisés, qui vont également dans l’intérêt du consommateur.
Le dispositif retenu dans la proposition de loi ne doit donc pas empêcher les opérateurs téléphoniques d’avoir des échanges réguliers avec leurs propres clients. C’est une évidence, et c’est la raison pour laquelle j’ai déposé un amendement sur ce sujet.
Au-delà de la nécessité de préciser le champ d’application, conviction qui est partagée par la commission – M. le président de la commission montre d’un hochement de tête qu’il est favorable à cet amendement –, le Gouvernement demeure réservé sur le dispositif retenu, car il ne semble pas répondre totalement à l’objectif de protection des consommateurs. Cela ne nous empêche pas, je le redis, d’approuver l’essentiel de la démarche ayant conduit au dépôt de cette proposition de loi.
En l’état, le texte limite les facultés de démarchage à partir des annuaires des opérateurs.
Toutefois, les acteurs économiques autres que les opérateurs téléphoniques pourront continuer à démarcher les consommateurs puisque les numéros de téléphone utilisés dans le cadre de ces opérations proviennent majoritairement des fichiers détenus par les entreprises ou achetés à d’autres entreprises, et non des annuaires téléphoniques réalisés par les opérateurs téléphoniques.
Pour mieux répondre à l’objectif de protection des consommateurs, il me paraît opportun de ne pas rejeter, comme vous en avez peut-être donné le sentiment tout à l’heure, les initiatives qui ont été prises par le secteur.
Quand et comment le démarchage pourra-t-il avoir lieur ? Je vais tenter d’éclairer la Haute Assemblée sur cette question puisque la démarche engagée est suffisamment importante et volontariste pour qu’on s’arrête quelques instants sur ce point. Cela a été souligné, les professionnels reçus dans le cadre des auditions par la commission admettent eux-mêmes la nécessité de réguler leur démarche. Leur idée est d’établir une liste d’opposition au démarchage téléphonique sur laquelle les consommateurs ne souhaitant plus être sollicités peuvent s’inscrire et que les professionnels auraient obligation de consulter avant toute action. Elle ne me semble pas devoir être rejetée.
En réponse aux députés qui, comme vous, avaient interpellé le Gouvernement sur le sujet, Hervé Novelli avait, à l’époque, souhaité renforcer la protection des consommateurs dans ce domaine. À cet effet, le Gouvernement a créé un groupe de travail avec les professionnels concernés pour réfléchir à la mise en place d’un dispositif permettant aux consommateurs de s’opposer à l’utilisation de leurs coordonnées téléphoniques à des fins de prospection commerciale, à l’instar de ce qui existe déjà avec la liste Robinson pour les publicités écrites nominatives, dispositif qui fonctionne parfaitement.
Cette initiative a rencontré un écho favorable auprès des principales fédérations professionnelles représentatives du secteur.
Les travaux du groupe de travail ont débouché sur la proposition de créer une liste d’opposition dite « Pacitel », du nom de l’association formée à cet effet et regroupant les fédérations concernées.
Les professionnels ont lancé un appel d’offres pour les prestations techniques de construction de la liste le 18 avril dernier, et le prestataire sera choisi dans le courant du mois de mai. L’assemblée générale de création de l’association regroupant les fédérations pour la gestion de cette liste s’est tenue hier et le dépôt des statuts en préfecture a eu lieu ce matin. Le lancement opérationnel de la liste est prévu dès cet été.
Ce dispositif s’appliquera à toutes les entreprises membres des associations. Au total, ce sont environ 90 % des entreprises françaises de tous les secteurs d’activité qui, en tant que membres de ces associations, seront tenues de consulter cette liste d’opposition avant de démarcher téléphoniquement les consommateurs et devront exclure de leurs fichiers toute personne inscrite sur la liste.
Cette liste d’opposition applicable aux fichiers « clientèle » échangés par les entreprises entre elles complétera les listes d’opposition déjà mises en place par les opérateurs téléphoniques – je pense aux listes orange –, qui permettent aux abonnés ne souhaitant pas que leurs coordonnées téléphoniques soient utilisées par l’opérateur à des fins commerciales de se protéger de ce type de démarche.
La combinaison de deux listes d’opposition, l’une s’appliquant aux fichiers commerciaux des entreprises et l’autre aux annuaires des opérateurs téléphoniques, devrait permettre d’offrir aux consommateurs qui ne veulent plus être sollicités par téléphone une protection plus efficace contre l’usage commercial de leur numéro de téléphone. C’est l’objectif que vous visez avec ce texte.
Le nouveau dispositif permettra, me semble-t-il, de répondre efficacement, mais il faudra en juger par son application dans la durée, au principe inscrit dans la loi du droit de chacun de s’opposer à l’utilisation par un tiers de ses propres données. Ce sujet me tient tellement à cœur que j’ai signé avec la CNIL, voilà quelques mois, un accord devant permettre au Gouvernement, via la DGCCRL et la CNIL, de travailler à la protection des données personnelles.
Cette démarche d’opt out, qui n’est pas celle que vous entendez défendre au travers de cette proposition de loi, a l’avantage d’être suffisamment générale pour pouvoir être efficace.
C’est la voie qui a été retenue par d’autres pays, notamment par le Canada. Je pense, en particulier, au site canadien « www.lnnte-dncl.gc.ca », qui rencontre un vrai succès. Cette liste d’opposition fonctionne et permet à ceux qui ne veulent plus être démarchés de ne plus l’être.
Je demanderai à mes services d’obtenir du Canada un bilan de ce dispositif qui, visiblement, donne parfaitement satisfaction et de le transmettre, car je pense que ce sera utile pour la poursuite des débats, au rapporteur et aux auteurs de la proposition de loi.
Je sais, monsieur le rapporteur, que la commission a relevé que cette liste ne s’appliquerait qu’aux seuls adhérents des associations concernées. Pour garantir que tous les professionnels auront l’obligation de consulter cette liste, je suis tout à fait prêt à ce que ce dispositif soit inscrit dans la loi.
Grâce à votre initiative, une démarche législative est engagée. Elle nous permettra, dans les prochaines semaines, à la lumière des informations que nous vous fournirons et à la suite des dispositions prises et qui seront appliquées dès cet été par les fédérations professionnelles, de travailler de nouveau sur cette question. Compte tenu de l’éclairage de l’exemple canadien, nous verrons alors laquelle des deux solutions – celle que vous proposez, et sur laquelle vous allez retravailler, monsieur le rapporteur, et celle qui est défendue par les professionnels – est la plus à même de répondre à notre objectif commun de lutte contre le démarchage abusif.
Avant de conclure, je dirai quelques mots sur le régime de sanctions prévu à l’article 3 de la proposition de loi.
Il est proposé une amende pénale plafonnée à 45 000 euros. Ce seuil me paraît élevé. Je considère, en outre, qu’une sanction administrative prononcée par la DGCCRF serait plus efficace qu’une sanction pénale.
M. Jacques Mézard, auteur de la proposition de loi. Avec la RGPP, elle ne peut plus agir !
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. J’ai plutôt tendance à m’inscrire aujourd’hui dans cette logique – je parle sous le contrôle du président de la commission des lois – qui a pour avantage de faire cesser rapidement l’abus dont est victime le consommateur. Une sanction pénale, compte tenu de l’engorgement du système judiciaire, allongerait encore les délais, qui peuvent être très longs, et rendrait inopérant un dispositif qu’au demeurant vous avez voulu efficace et rapide, monsieur Mézard.
Franchement, je suis très réservé sur la rédaction actuelle de l’article 3. Nous aurons l’occasion, au cours de la discussion de la proposition de loi, de revenir sur cette question. Je vous invite néanmoins à une réflexion approfondie sur le sujet, car la voie de la sanction administrative me semble plus efficace. C’est ce que j’ai vérifié lorsque la DGCCRF, voulant convaincre un des opérateurs d’interdire tel ou tel site afin de mettre fin à des actes illicites, des manquements graves, répétés dont étaient victimes les usagers, a recouru dans un passé récent à la sanction administrative. Elle a pu immédiatement faire cesser le trouble et protéger les victimes. On gagne ainsi du temps et de l’énergie.
Enfin, l’article 4 du texte issu des travaux de la commission vise à gérer le stock d’abonnés en prévoyant l’obligation pour les opérateurs de recueillir leur consentement, l’absence de réponse valant approbation. Cette voie paraît équilibrée, tant pour les opérateurs que pour les consommateurs.
Au final, le Gouvernement estime que cette proposition de loi soulève un certain nombre de problèmes, mais il partage les objectifs qui la sous-tendent. En tout état de cause, compte tenu des dispositifs mis en place et de la nécessité d’évaluer leur efficacité, l’initiative de la Haute Assemblée doit pouvoir continuer à prospérer et à être discutée.
Sensible à la nécessité de progresser sur le dossier et de trouver des solutions adaptées aux problèmes que soulève le démarchage, et sous réserve des remarques que j’ai formulées, le Gouvernement s’en remettra à la sagesse de la Haute Assemblée sur cette proposition de loi.
Je ne doute pas que vous aurez à cœur, les uns et les autres, dans les semaines et les mois qui viennent, d’étudier les dispositifs qui se mettent actuellement en place. Je comprends que la Haute Assemblée veuille juger sur pièces de ce qui sera le plus efficace. L’essentiel, quand il s’agira de légiférer en dernière instance, sera de le faire en étant parfaitement éclairés sur les dispositifs qui peuvent exister au-delà de nos frontières et que nous appliquerons d’ici à quelques mois dans notre pays. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Odette Terrade.
Mme Odette Terrade. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, l’usage du démarchage abusif est aujourd’hui tel qu’il est impossible de passer à travers les mailles de ce type de pratique agressive de vente, dont les principales victimes restent les plus fragiles d’entre nous.
La proposition de loi de nos collègues du RDSE prévoit d’inverser le système prévalant aujourd’hui en termes de protection des consommateurs, selon lequel il revient à ces derniers de manifester leur refus de subir ces pratiques. Elle prévoit également qu’à défaut de consentement exprès le consommateur doit être épargné.
De telles mesures, que nous jugeons fondamentalement utiles, risquent cependant de ne pas être suffisantes. En effet, si la législation actuelle est déjà répressive, elle ne permet pas pour autant d’atteindre les objectifs escomptés.
L’article 6 de la loi « Informatique et libertés » précise, notamment, que les données « sont collectées pour des finalités déterminées, explicites et légitimes et ne sont pas traitées ultérieurement de manière incompatible avec ces finalités ».
À ce titre, il est intéressant de noter que le Gouvernement lui-même fait preuve d’assez peu de scrupules en la matière puisque c’est en toute tranquillité qu’il a fait voter en 2009 la vente du fichier des cartes grises à des fins commerciales.
De plus, l’article 32 de ladite loi prévoit que « la personne auprès de laquelle sont recueillies des données à caractère personnel la concernant est informée, sauf si elle l’a été au préalable, par le responsable du traitement ou son représentant : 1° De l’identité du responsable du traitement et, le cas échéant, de celle de son représentant ; 2° De la finalité poursuivie par le traitement auquel les données sont destinées ; 3° Du caractère obligatoire ou facultatif des réponses ; 4° Des conséquences éventuelles, à son égard, d’un défaut de réponse ; 5° Des destinataires ou catégories de destinataires des données ».
Par ailleurs, l’article 38 de cette même loi précise que « Toute personne physique a le droit de s’opposer, pour des motifs légitimes, à ce que des données à caractère personnel la concernant fassent l’objet d’un traitement. Elle a le droit de s’opposer, sans frais, à ce que les données la concernant soient utilisées à des fins de prospection, notamment commerciale, par le responsable actuel du traitement ou celui d’un traitement ultérieur. »
En outre, le code de la consommation interdit et sanctionne déjà les pratiques commerciales agressives, parmi lesquelles figure le démarchage téléphonique.
De surcroît, l’article 39 de la loi n° 2008-3 du 3 janvier 2008, transposant en droit français la directive européenne 2005/29/CE relative aux pratiques commerciales déloyales, pose désormais le principe d’une interdiction générale des pratiques commerciales déloyales des professionnels à l’égard des consommateurs.
Or cette même directive européenne comporte en annexe une liste « noire » de pratiques commerciales déloyales prohibées, parmi lesquelles figurent, au titre des pratiques agressives, le fait de se livrer à des sollicitations répétées et non souhaitées par téléphone ou d’effectuer des visites personnelles au domicile du consommateur en ignorant sa demande de voir le professionnel quitter les lieux.
Sur le fond, nous considérons bien évidemment qu’il n’est pas normal que ce soit au citoyen consommateur de mettre en place les dispositifs pour ne plus être importuné. Il serait plus opportun que le citoyen donne expressément son accord afin que ses données personnelles soient utilisées à des fins commerciales. À défaut, celles-ci devraient être considérées comme strictement confidentielles et donc inutilisables.
Nous estimons à ce titre, contrairement à M. le rapporteur, que la réponse gouvernementale n’est pas à la hauteur des enjeux. Elle se limite seulement à la mise en place du projet Pacitel, évoqué par M. le secrétaire d'État, qui prévoit la création d’une nouvelle liste spéciale d’opposition, en accord avec les fédérations concernées, sur laquelle les consommateurs pourront s’inscrire.
Par ailleurs, les professionnels se sont engagés à ne plus téléphoner au-delà de vingt heures trente et à limiter la prospection entre neuf heures et dix-huit heures le samedi. Ainsi, 90 % des entreprises françaises ont avalisé le respect de cet engagement par le biais d’un accord de leurs fédérations qui précise clairement que « lorsqu’une entreprise envisagera de mener une campagne de prospection téléphonique, elle expurgera de ses fichiers les coordonnées des personnes inscrites dans la liste, excepté celles qui lui auraient été volontairement transmises par les consommateurs eux-mêmes ».
Nous concédons que l’unique point positif d’une telle mesure réside dans la prise en compte du fait que les fichiers utilisés dans les opérations de prospection ne sont pas toujours issus de l’annuaire téléphonique, mais qu’ils sont parfois constitués par les entreprises elles-mêmes.
Cependant, nous ne pouvons être que sceptiques : cette future liste se greffe sur des dispositifs déjà existants – listes rouge, orange, Robinson – au risque de créer de la confusion chez les particuliers.
La procédure demeure compliquée puisqu’il faudra envoyer un courrier avec le numéro de téléphone concerné, les nom et prénom du titulaire de la ligne, son adresse postale ainsi qu’une copie de sa carte d’identité, ce qui signifie que l’on sera amené à fournir des informations supplémentaires.
Par ailleurs, je m’interroge sur les pratiques qui consistent maintenant pour les consommateurs à donner de manière volontaire des informations permettant à des sociétés de relayer ces renseignements à des fins commerciales. Il en est ainsi, par exemple, des réseaux sociaux tels que Facebook.
Ces pratiques inquiètent les défenseurs de la vie privée. En effet, ce réseau constitue la plus grande base d’informations personnelles pouvant être utilisées à des fins commerciales. D’ores et déjà, de nombreux utilisateurs se plaignent du ciblage publicitaire dont ils sont victimes par le biais de Facebook, à la suite de visites de sites internet.
Nous le voyons bien, la question fondamentale réside dans la valeur marchande des informations portant sur les consommateurs. À ce titre, nous estimons qu’il faudrait définir comme illégale toute vente de données relatives à des consommateurs, ce qui permettrait de mieux garantir le respect des libertés individuelles.
D’autre part, les agents de la DGCCRF sont habilités à contrôler le respect des dispositions législatives. Or, la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes subit également les affres de la RGPP, si chère à notre Gouvernement, et n’a tout simplement pas les moyens d’effectuer l’ensemble de ces contrôles.
Je déplore les évolutions préconisées par la commission et par le rapporteur, qui réduisent la portée de la proposition de loi initiale de nos collègues du RDSE.
Alors même que la lutte contre le démarchage abusif à des fins commerciales est un sujet plutôt consensuel, la réécriture préconisée du texte revient sur le principe selon lequel l’interdiction doit devenir la règle et l’autorisation l’exception : en effet, le consentement du consommateur est réputé acquis s’il n’a pas répondu dans un délai de deux mois à la sollicitation de l’opérateur. L’assentiment exprès est ainsi limité aux nouveaux contrats passés par les opérateurs téléphoniques.
La rédaction préconisée englobe l’application de ces dispositions aux instituts de sondage ainsi qu’au démarchage téléphonique dont la visée ne serait pas de nature commerciale. Il s’agit d’un élargissement dangereux.
Pour toutes ces raisons, nous préférions, je le répète, la proposition de loi initialement déposée par le groupe RDSE. Cependant, reconnaissant que ce texte participe à une prise de conscience des méfaits du démarchage téléphonique, même s’il ne constitue qu’une avancée extrêmement limitée dans la bonne direction, nous le voterons. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, nous remercions M. Mézard d’avoir présenté cette proposition de loi, à laquelle nous souscrivons pleinement. Celle-ci vise à renforcer les droits de la personne, et le respect de l’intimité et de la vie privée du consommateur, plus généralement des citoyens que nous sommes tous.
La question qui nous occupe aujourd’hui se posait peu il y a quelques décennies et se posait différemment il y a quelques années. J’ai évoqué récemment auprès d’interlocuteurs de mon département cette proposition de loi : elle a recueilli l’assentiment spontané d’une très forte majorité d’entre eux. Beaucoup m’ont dit qu’il était grand temps d’agir. Les témoignages abondent de personnes constamment dérangées dans la journée, voire, de manière abusive, tôt le matin ou tard le soir, par toutes sortes de démarchages à caractère commercial.
Ces prospections provoquent un effet de lassitude et même une sorte de colère chez nos concitoyens, qui ne supportent pas ces intrusions répétitives, d’autant que les techniques se sont énormément améliorées ! On m’a signalé que des systèmes très puissants permettaient dorénavant d’appeler automatiquement des centaines de milliers de numéros depuis des pays éloignés, contribuant ainsi à développer des pratiques intrusives extrêmement désagréables. On m’a même parlé de harcèlement.
Si nous avions les moyens de le vérifier, nous constaterions que cette proposition de loi serait très certainement plébiscitée par tous ceux qui subissent les inconvénients de ces agissements. C’est pourquoi je peux d’ores et déjà vous faire part de l’accord de notre groupe sur la proposition présentée par M. Mézard.
Il est nécessaire que ce texte prenne en compte la commercialisation des fichiers d’abonnés, institue des amendes – faute de quoi la loi serait inopérante – et prévoie que l’accord explicite des personnes soit demandé par l’opérateur pour transmettre les coordonnées à des fins de prospection commerciale.
Je ferai simplement deux remarques.
Ma première remarque a trait à une question déjà évoquée par ma collègue Odette Terrade : il s’agit des démarches liées aux élections. En effet, le phoning, ou campagne téléphonique, se pratique désormais dans un certain nombre d’endroits. Sans porter de jugement sur cette pratique, qui s’est beaucoup développée dans d’autres pays et est maintenant utilisée en France, il serait opportun à la faveur de l’examen de ce texte de préciser comment le dispositif prévu sera appliqué aux démarches à caractère électoral. Le plus simple serait certainement que le dispositif ne s’applique qu’aux démarches à caractère commercial. Cela étant, quand un candidat fait appel à une entreprise, s’agit-il de commerce ? Nous aurions intérêt à préciser les choses.
S’agissant de la pratique des sondages par téléphone, nous avons adopté, à une très large majorité, une proposition de loi déposée par Hugues Portelli et moi-même, visant à réviser la loi de 1977, qui n’est plus conforme aux pratiques actuelles. Monsieur le secrétaire d'État, je profite de votre présence ici, au Sénat, pour vous dire combien nous serions sensibles au fait que l'Assemblée nationale examine prochainement ce texte, afin que la nouvelle législation puisse s’appliquer lors des prochaines élections présidentielles. Ce serait extrêmement positif.
La proposition de loi que j’ai présentée avec Hugues Portelli a pour objet de mieux encadrer les sondages. Il nous semble tout à fait légitime d’effectuer des sondages par téléphone. Nous avons proposé aux instituts de sondages, avec lesquels nous avons beaucoup dialogué, de travailler en toute transparence et avec rigueur. Mais nous avons aussi pris en compte leurs préoccupations. Il serait dommageable de porter atteinte à la possibilité de mettre en œuvre des sondages, notamment à caractère politique, par téléphone. Des précisions doivent donc être apportées sur ce point.
Ma seconde remarque concerne la proposition de M. le rapporteur d’appliquer le dispositif non seulement aux nouveaux contrats qui seront signés entre les usagers et les opérateurs, mais également aux contrats en cours. Si ces derniers n’avaient pas été intégrés, la loi n’aurait eu que peu d’effet. Cet important apport de la commission nous paraît opportun, mais nous proposons de le compléter par un amendement que défendra M. Yung tout à l’heure. Il est bon que l’opérateur soit dans l’obligation d’interroger son client pour savoir s’il souhaite ou non faire l’objet de prospections à caractère commercial. Mais nous estimons que l’absence de réponse de ce dernier dans un délai de deux mois – je reprends l’idée défendue à l’instant par Mme Terrade – doit être considérée comme un refus de toute prospection commerciale.
Telles sont les quelques remarques que je souhaitais formuler au nom du groupe socialiste. La démarche de M. Mézard nous paraît excellente ; c'est la raison pour laquelle nous voterons avec une grande conviction cette proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Christophe-André Frassa.
M. Christophe-André Frassa. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, vous en avez certainement tous déjà fait l’expérience : en matière de démarchage téléphonique, les pratiques commerciales s’avèrent de plus en plus agressives, importunant le consommateur contre son gré, en lui soumettant une multitude d’offres et d’informations commerciales qu’il n’a pas sollicitées. Cela m’est d’ailleurs arrivé pas plus tard que ce matin !
Les appels sont souvent à répétition, parfois très matinaux, voire très tardifs, y compris le week-end. Ces méthodes importunent trop fréquemment nos concitoyens et nourrissent parfois chez eux un sentiment d’insécurité, personne n’ayant connaissance des potentiels détenteurs de données personnelles.
Un droit spécifique à la protection des données personnelles a été instauré dans notre pays. Dès 1978, le Parlement a souhaité agir. La loi du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés a institué une autorité indépendante, la Commission nationale de l’informatique et des libertés, la CNIL, chargée entre autres d’autoriser le traitement des données et de garantir les droits d’accès et de rectification de chacun aux informations le concernant.
Ce droit spécifique à la protection des données personnelles s’est construit progressivement sur le plan tant européen que national.
Outre les droits essentiels que sont le droit d’accès et le droit de rectification, la loi « Informatique et libertés » garantit également un droit de s’opposer, sans justification, à ce que les données personnelles soient utilisées à des fins de prospection, en particulier commerciale.
En effet, la législation et la réglementation actuelles prévoient que le consommateur peut, s’il en fait expressément la demande, s’opposer à ce que ses données personnelles soient utilisées dans des opérations de prospection directe, c’est-à-dire en matière de démarchage téléphonique ou de télémarketing, par le responsable actuel du traitement ou celui d’un traitement ultérieur.
Ce droit d’opposition, dit opt out, s’applique notamment à la réception des appels téléphoniques dans le cadre d’opérations de démarchage effectuées par une personne. Son efficacité est cependant liée à la connaissance qu’en ont les intéressés. En outre, les abonnés doivent effectuer une démarche pour protéger leurs données personnelles.
La proposition de loi que nous étudions aujourd’hui a pour objet d’inverser cette situation. Le consommateur devra donner son consentement exprès préalablement à tout traitement de ses données personnelles à des fins de démarchage téléphonique commercial : il s’agit du principe dit opt in.
En édictant une telle obligation, ce texte a pour ambition de renforcer les droits du consommateur.
Vous avez souhaité, monsieur le rapporteur, tenir compte de l’encadrement existant et de l’objectif recherché, en retenant un système protecteur à la source. C’est pourquoi vous nous proposez une nouvelle règle pesant sur les opérateurs téléphoniques, désormais soumis à l’obligation du consentement exprès.
Nous souscrivons pleinement à cette démarche, qui constitue une avancée juridique en retenant le principe de l’opt in pour alimenter la source normale du démarchage téléphonique : les listes d’abonnés.
Comme vous nous l’avez rappelé, elles impliquent activement les personnes concernées puisque celles-ci devront consentir à l’utilisation de leurs coordonnées téléphoniques.
Ce système est donc plus protecteur que celui de l’opt out, qui est encore aggravé par l’absence fréquente d’information claire et d’une procédure simple pour faire valoir ses droits.
Le texte fixe ainsi dans le droit français le principe du recueil du consentement exprès de l’abonné à un service téléphonique, fixe ou mobile, pour l’utilisation de ses données personnelles à des fins de démarchage téléphonique commercial, que l’utilisateur soit l’opérateur lui-même ou une autre personne.
Ce nouveau droit devra être intégré dans les mentions figurant obligatoirement sur le contrat d’abonnement téléphonique.
Je m’arrêterai un instant sur la question des démarches téléphoniques à but électoral, dites de phoning, au sujet desquelles la commission des lois a longuement débattu. Ces démarches ne sont pas commerciales. Cette question a été réglée dans le « paquet électoral », récemment adopté par le Sénat, qui interdit le phoning le jour du vote.
Le texte que nous examinons prévoit une sanction pour tout traitement d’informations à caractère personnel concernant une personne physique qui n’aurait pas donné son accord exprès préalable, lorsque le traitement répond à des fins de prospection commerciale.
Notre rapporteur – que je tiens à saluer pour la qualité de son minutieux travail – a souhaité proposer de limiter cette sanction à une amende de 45 000 euros pour le non-respect du consentement préalable de l’abonné. Il semble, en effet, préférable de réduire la sanction initialement proposée.
Par ailleurs, un dispositif exceptionnel est prévu afin de régler la situation particulière des abonnements téléphoniques en cours.
Au pouvoir réglementaire est laissé le soin de déterminer les moyens les plus appropriés afin de recueillir l’accord de l’abonné pour l’utilisation de ses données personnelles à des fins de démarchage, dans le délai d’un an à compter de la publication de la loi.
À défaut de réponse dans un délai de deux mois, le consentement sera réputé acquis afin de ne pas enrayer le système.
Enfin, le non-respect par les opérateurs de l’obligation fixée par le législateur sera sanctionné de la même peine d’amende que celle qui a été énoncée précédemment.
Comme l’affirme le Conseil national de la consommation, le CNC, l’efficacité de la protection des données et de la vie privée est devenue autant une condition du développement de la liberté individuelle qu’un facteur important de la confiance des consommateurs.
Mes chers collègues, cette proposition de loi constitue une réponse importante à ces deux objectifs. Elle est nécessaire pour renforcer le droit des consommateurs, et donc de nos concitoyens. C’est la raison pour laquelle – monsieur Mézard, vous allez être heureux ! – le groupe UMP votera le texte issu des travaux de la commission. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Article 1er
I. – Après l’article L. 34-5 du code des postes et des communications électroniques, il est inséré un article L. 34-5-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 34-5-1. – Lors de la conclusion d’un contrat de fourniture de service téléphonique au public, l’opérateur de communications électroniques doit recueillir le consentement exprès de l’abonné, personne physique, pour l’utilisation par voie téléphonique, par lui-même ou par un tiers, de ses données à caractère personnel à des fins de prospection directe ».
II. – Après le septième alinéa de l’article L. 121-83 du code de la consommation, il est inséré un g ainsi rédigé :
« g) Le consentement ou le refus du consommateur à l’utilisation de ses données à caractère personnel à des fins de prospection directe. »
Mme la présidente. L'amendement n°3, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 2
Remplacer les mots :
par lui-même ou par un tiers
par les mots :
par un tiers au contrat
II. – Alinéa 4
Rédiger ainsi cet alinéa :
« g) la mention du consentement ou du refus du consommateur quant à l’utilisation de ses données à caractère personnel à des fins de prospection directe. »
La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. Cet amendement vise à préciser les champs du dispositif prévu par la commission pour permettre aux opérateurs téléphoniques d’entrer en contact téléphonique avec leurs propres clients.
Je l’ai évoqué tout à l’heure, il est indispensable de préserver les dispositifs actuels de protection du consommateur tels que les dispositifs d’alerte, plébiscités par les consommateurs, et les conseils personnalisés aux clients.
C’est une évidence, il ne faut pas que nous n’empêchions les consommateurs de disposer de services bénéfiques en essayant de les protéger des abus. Cet amendement est donc indispensable à l’équilibre du texte.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. Cet amendement prévoit un assouplissement opportun et évite d’enfermer les relations directes entre l’opérateur et le client dans un cadre trop rigide. La commission a émis un avis favorable.
Je profite de la discussion de cet amendement pour confirmer, cela figurera au Journal officiel, que les sondages de nature politique ne sont évidemment pas concernés par la proposition de loi visant à renforcer les droits des consommateurs en matière de démarchage téléphonique. Seuls les sondages portant sur la qualité d’une lessive, par exemple, entreront dans le champ d’application de la loi.
Par ailleurs, le phoning, qui a déjà été encadré par le « paquet électoral », ne sera également pas touché.
Mme la présidente. La parole est à M. Richard Yung, pour explication de vote.
M. Richard Yung. Nous n’avons pas de difficulté avec la deuxième partie de l’amendement, qui vise à rédiger l’alinéa 4 de l’article 1er.
En revanche, la première partie de l’amendement, qui tend à modifier l’alinéa 2, nous pose problème.
La suppression de l’expression « par lui-même » exclut l’opérateur du champ de la loi et lui permet de mener des opérations de démarchage téléphonique auprès de sa clientèle.
Pourquoi l’opérateur bénéficierait-il d’un traitement privilégié ?
M. François Pillet, rapporteur. Évidemment !
M. Richard Yung. L’opérateur a déjà les moyens de contacter sa clientèle et de la tenir informée, notamment grâce à l’envoi de factures sur lesquelles figurent trop souvent des messages commerciaux. Il peut également envoyer des mails.
Pourquoi lui permettre, ainsi que de nombreux orateurs l’ont souligné, d’entrer dans la vie privée des gens au moment de la préparation du dîner familial pour leur proposer des offres commerciales ? Pourquoi prévoir un tel traitement particulier alors que l’opérateur est en position de force par rapport au client ?
Je demande donc que nous pussions nous prononcer séparément sur les deux parties de l’amendement du Gouvernement, car notre vote ne sera pas le même dans l’un et l’autre cas.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. François Pillet, rapporteur. Mon cher collègue, scinder le vote n’aurait pas d’intérêt.
D’une part, la deuxième partie de l’amendement est purement rédactionnelle.
D’autre part, la première partie de l’amendement permettra à l’opérateur d’avoir une relation avec son client. Cette relation demeure uniquement contractuelle. Pourquoi l’opérateur n’aurait-il pas la possibilité de reprendre contact avec son client ?
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Bien sûr !
M. Richard Yung. Il peut le contacter par internet !
M. François Pillet, rapporteur. Vous affecteriez le droit d’une technique assez nouvelle !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Tout le monde n’a pas internet ! Vous vivez sur une autre planète que la plupart de nos concitoyens ! (Sourires.)
M. François Pillet, rapporteur. Lorsque nous en avons débattu en commission, l’auteur de la proposition de loi a parfaitement compris que l’amendement du Gouvernement était en réalité largement rédactionnel et ne gênait en rien la réalisation des objectifs visés au travers du texte.
Enfin, je rappelle que les relations de l’opérateur avec ses clients sont déjà encadrées lorsqu’il réalise un traitement des données relatives au trafic.
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.
M. Jacques Mézard, auteur de la proposition de loi. J’ai en effet donné mon accord sur cette proposition de modification dans la mesure où l’article qui est visé dispose que « lors de la conclusion d’un contrat de fourniture de service téléphonique au public, l’opérateur de communications électroniques doit recueillir le consentement exprès de l’abonné, personne physique, pour l’utilisation par voie téléphonique, par lui-même ou par un tiers, de ses données à caractère personnel à des fins de prospection directe ».
Il y a donc une relation contractuelle entre l’opérateur et le client.
M. François Pillet, rapporteur. Cela paraît évident !
M. Jacques Mézard, auteur de la proposition de loi. Pour y avoir réfléchi depuis, le danger serait qu’un opérateur se serve de cette possibilité pour développer des services annexes pour le compte d’un tiers.
Il est cependant clair – on peut d’ailleurs interpeller le Gouvernement sur ce point – que notre volonté n’est pas de permettre à l’opérateur d’utiliser cette disposition pour offrir des services pour le compte d’un tiers.
M. François Pillet, rapporteur. Bien sûr ! Il n’y a pas d’ambiguïté sur ce point !
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d’État.
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. M. Mézard a parfaitement raison quant à notre intention. Tout détournement de la loi pourra être sanctionné.
Je l’ai dit tout à l’heure, l’objectif du Gouvernement est le même que celui de la Haute Assemblée. Si cet amendement n’était pas retenu, nous ne serions plus d’accord.
En effet, sont créés avec les opérateurs eux-mêmes des dispositifs qui protègent les consommateurs. Sans cet amendement, on entrerait dans une logique absurde qui empêcherait les opérateurs de mettre en place des dispositifs de protection des consommateurs !
M. François Pillet, rapporteur. Eh oui !
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. Sans cet amendement, le dispositif irait contre l’intérêt des consommateurs eux-mêmes.
Mme la présidente. Monsieur Yung, maintenez-vous votre demande de vote par division ?
M. Richard Yung. Au vu des arguments fournis, j’y renonce.
Si vous nous dites que la relation entre l’opérateur et le client est déjà bien encadrée, je suis en grande partie satisfait. Je ne veux pas être un facteur de division sur un sujet pour lequel nous recherchons l’unanimité.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 1er, modifié.
(L'article 1er est adopté.)
Article 2
(Supprimé)
Article 3
Après l’article L. 39-3-1 du code des postes et des communications électroniques, il est inséré un article L. 39-3-2 ainsi rédigé :
« Art. L. 39-3-2. – Les infractions à l’article L. 34-5-1 sont punies d’une amende de 45 000 €. » – (Adopté.)
Article 4 (nouveau)
I. – Pour les contrats en cours, l’opérateur de communications électroniques recueille le consentement de l’abonné, personne physique, dans le délai d’un an à compter de la publication de la présente loi selon des modalités fixées par voie réglementaire.
À défaut de réponse de l’abonné dans le délai de deux mois à compter de la demande de l’opérateur, son consentement est réputé acquis.
II. – Le non-respect de cette obligation est puni de la peine d’amende prévue à l’article L. 39-3-2 du code des postes et des communications électroniques.
Mme la présidente. L'amendement n° 2, présenté par MM. Sueur, Yung et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Rédiger ainsi cet alinéa :
Le défaut de réponse de l’abonné dans le délai de deux mois à compter de la demande de l’opérateur équivaut à un refus.
La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. Cet amendement vise à inverser l’interprétation du défaut de réponse de l’abonné.
Comme plusieurs orateurs l’ont souligné, il s’agirait de passer d’un opt in – comme l’on dit en français ! – à un opt out.
Nous aurons également ce débat lorsque nous discuterons de la proposition de loi sur les actions de groupe, texte qui sera certainement inscrit prochainement à l’ordre du jour de notre assemblée, car il recueille un soutien assez général.
Nous proposons que le défaut de réponse de l’abonné dans un délai de deux mois équivaille à un refus. Contrairement au dicton, qui ne dit mot, ne consent pas !
Certains silences éloquents peuvent transformer l’acte juridique en une acceptation tacite. Cependant, en la matière, nous ne voyons pas quelles circonstances permettraient de donner à ce silence une signification particulière d’acceptation.
La proposition de loi a pour objet fondamental – je me tourne vers son père – de protéger le consommateur. Tel est aussi le sens de cet amendement.
Naturellement, de nombreux abus ont été dénoncés par les uns et par les autres. Nous avons tous subi le démarchage téléphonique et ne savons pas toujours comment réagir. Après tout, la personne qui téléphone est un salarié – pas toujours d’ailleurs ! Elle fait son travail honnêtement et ne mérite pas d’être renvoyée brutalement, même si elle appelle au domicile à vingt heures. Que lui dire ?
Il faut, selon nous, accentuer la défense de la vie privée et familiale : c’est le sens de cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. François Pillet, rapporteur. La commission a décidé de régler le sort des contrats en cours, ce que la proposition de loi initiale ne prévoyait pas. Il va de soi que nous aurions affaibli la portée de la loi si nous avions procédé autrement.
Pour les contrats en cours, nous avons donc invité le Gouvernement à fixer par voie réglementaire les modalités selon lesquelles l’opérateur recueillera, dans le délai d’un an à compter de la publication de la loi, le consentement de l’abonné pour utiliser ses coordonnées.
Le client pourra être informé par les factures qu’il recevra, éventuellement par un jingle lors de la première intervention du démarcheur, etc. Cependant, s’il n’a pas expressément répondu à la demande de l’opérateur au bout de deux mois, alors qu’il aura eu tout loisir de le faire, on considérera qu’il n’a pas exprimé de refus.
En agissant autrement, on ferait du consommateur un incapable majeur qui aurait besoin d’une protection totale !
M. Richard Yung. Oh !
M. François Pillet, rapporteur. Il faut responsabiliser le consommateur et l’amener à se prononcer dans un délai raisonnable.
J’ajoute qu’il ne s’agit nullement d’un opt in définitif : à tout moment, lorsqu’il estimera être harcelé, l’abonné pourra se rapprocher de son opérateur et l’informer qu’il ne veut plus que ses données soient utilisées.
Nous avons trouvé là un équilibre, qui permet notamment de rassurer les professionnels qui travaillent dans ce domaine, pour que cette loi ne soit pas totalement effrayante. C'est la raison pour laquelle la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. M. le rapporteur a été très clair. Le Gouvernement émet également un avis défavorable.
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.
M. Jacques Mézard, auteur de la proposition de loi. L'objet de cet amendement est pertinent. Pour autant – je le dis comme je le pense –, si le texte qui est proposé par la commission pouvait entrer en application et si les dispositions prévues à l'article 4 suivaient le bon chemin législatif, cela constituerait un progrès considérable. En effet, des millions de contrats sont en cours : obliger l’opérateur à s’adresser à chaque client pour lui signifier qu’il a deux mois pour donner ou non son accord sur l’utilisation de ses données personnelles serait déjà une avancée notable par rapport à la situation actuelle, même si j’entends bien qu’avec l’adoption de cet amendement le progrès serait encore plus important.
J’en profite pour répondre plus directement aux propos de M. le secrétaire d'État. Si j’ai bien compris, il considère que ce texte est intéressant, mais qu’il convient de voir si le dispositif Pacitel qui sera mis en place prochainement est satisfaisant avant de recourir à des dispositions législatives.
Monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, j’attire votre attention sur le fait que, avec le dispositif Pacitel, l’usager qui ne voudra plus être importuné devra faire preuve d’une attitude volontariste pour s’inscrire sur une liste, alors que le dispositif ne prévoit nullement que les abonnés devront être avertis qu’une telle possibilité leur est offerte. C’est de la poudre aux yeux !
Il n’est qu’à voir la procédure que devra suivre l’abonné et les pièces qu’il devra fournir ; j’ai le document sous les yeux. Il lui faudra adresser un courrier – on ne sait ni sous quelle forme ni à qui – avec le numéro de téléphone, les nom et prénom, l’adresse postale et la copie de la carte d’identité du titulaire de la ligne, ainsi que de la facture de la ligne. Nous savons très bien qu’une quantité infinitésimale d’usagers s’inscrira sur cette liste et que le dispositif a été élaboré – je le dis sans ambages, car le débat a été, comme à l’accoutumée, constructif et courtois – pour répondre à la volonté des professionnels.
Pour ma part, je ne suis pas favorable à la suppression du démarchage téléphonique, qui permet à des entreprises de prospérer. Une telle pratique contribue au développement de l’économie, ce qui est positif. Il n’en reste pas moins que le dispositif Pacitel permet d’afficher que l’on se préoccupe de la protection des usagers, alors que nous savons pertinemment que seule une disposition législative claire permettra d’éviter les abus.
Si nous ne procédons pas ainsi, monsieur le secrétaire d'État, il nous faudra cent fois sur le métier remettre notre ouvrage, car la pression de nos concitoyens sera de plus en plus forte, comme nous le constatons sur le terrain et dans nos permanences, où le problème est souvent évoqué.
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. Contrairement à vous, monsieur Mézard, je ne veux pas jeter la suspicion sur le dispositif que sont en train de mettre en place les professionnels. Au contraire, cette démarche doit être saluée. Elle sera appliquée et nous verrons comment elle fonctionne.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est trop compliqué.
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. Je le répète, il me paraît opportun d’explorer toutes les pistes. Au Canada, un dispositif similaire au dispositif Pacitel fonctionne. Il nous reviendra alors de déterminer lequel de ces systèmes est le plus efficace.
Monsieur Mézard, vous avez raison d’insister sur la nécessité de renforcer l’obligation faite aux opérateurs d’informer les consommateurs. J’ai affirmé tout à l’heure que je suis tout à fait ouvert à l’idée de consolider le dispositif, éventuellement par voie législative. Mais encore faut-il qu’il fonctionne et qu’il se révèle aussi efficace qu’au Canada !
C'est la raison pour laquelle, monsieur le sénateur, j’ai salué votre démarche. Il me semble utile d’examiner la proposition de loi déposée par le groupe du RDSE, ainsi que le dispositif mis en place par les professionnels, éventuellement en le renforçant. Vous l’avez souligné à juste titre, un certain nombre d’obligations doivent figurer expressément dans la loi.
À la lumière de ce qui s’appliquera dans les mois à venir sur le terrain et de ce qui est déjà en vigueur dans un certain nombre de pays, chacun sera à même de juger quel dispositif est le plus efficace pour protéger les consommateurs sans fragiliser le secteur concerné. Je tiens à préciser que les professionnels ne commettent pas tous des abus. Pour la plupart – vous l’avez souligné –, ils accomplissent leur travail correctement. Par ailleurs, beaucoup d’emplois sont en jeu.
Au cours de la discussion générale, malgré les réserves que j’ai émises sur un certain nombre de points, j’ai déclaré que je ne m’opposais pas à cette proposition de loi, mais que je m’en remettais, au nom du Gouvernement, à la sagesse de la Haute Assemblée.
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Le Gouvernement avait initialement proposé des sanctions administratives, mais il a retiré les amendements qui allaient dans ce sens. Dans un certain nombre de domaines touchant, notamment, au droit de la concurrence et de la consommation, on s’aperçoit pourtant que celles-ci sont extrêmement efficaces pour faire cesser les comportements anormaux, bien plus d’ailleurs que ne le sont les procédures pénales. Entendons-nous bien, disant cela, je ne mets pas en avant l’argument de l’encombrement des juridictions, car je pense qu’il faut laisser à chacun le soin de poursuivre éventuellement au pénal.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Selon moi, il serait judicieux de réfléchir à l’opportunité de prévoir des sanctions administratives au cours de la navette parlementaire. De telles sanctions existent pour le travail dissimulé et donnent des résultats plutôt satisfaisants. Si les abus se répètent, il sera toujours temps de transmettre au parquet et d’envisager des poursuites.
Prévoir une amende d’un montant de 45 000 euros est un peu excessif si une seule infraction est commise. En revanche, infliger régulièrement des amendes administratives de 15 000 euros est une mesure d’une efficacité redoutable, qui a fait ses preuves dans certains domaines de la concurrence.
Nous pourrons réfléchir aux sanctions pénales, mais il faut auparavant prévoir des sanctions administratives.
Mme la présidente. La parole est à M. le secrétaire d'État.
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. Je l’ai souligné tout à l’heure, la sanction administrative est sans doute le dispositif le plus efficace. Il peut se conjuguer avec d’autres mesures. J’ai bien noté que le texte prévoyait initialement des peines d’emprisonnement de cinq ans.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est excessif !
M. Frédéric Lefebvre, secrétaire d'État. Il sera toujours temps d’avoir un tel débat. Quoi qu’il en soit, je partage l’analyse du président de la commission des lois. Sur ce sujet, ce qui compte, c’est l’efficacité et la rapidité. De ce point de vue, la sanction administrative est beaucoup plus adaptée.
Mme la présidente. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.
(La proposition de loi est adoptée.)
Mme la présidente. Je constate que cette proposition de loi a été adoptée à l’unanimité des présents.
8
Ordre du jour
Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 3 mai 2011 :
À quatorze heures trente :
1. Propositions de loi tendant à assurer une gestion effective du risque de submersion marine (nos 172 et 173, 2010-2011).
Rapport de M. Bruno Retailleau, fait au nom de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire (n° 454, 2010-2011).
Texte de la commission (n° 455, 2010-2011).
Avis de M. Dominique de Legge, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale (n° 423, 2010-2011).
De dix-sept heures à dix-sept heures quarante-cinq :
2. Questions cribles thématiques sur « La France et l’évolution de la situation politique dans le monde arabe ».
À dix-huit heures :
3. Suite de la proposition de loi tendant à assurer une gestion effective du risque de submersion marine.
Le soir et, éventuellement, la nuit :
4. Éventuellement, suite de l’ordre du jour de l’après-midi.
5. Projet de loi autorisant la ratification du traité entre la République française et le Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord relatif à des installations radiographiques et hydrodynamiques communes (n° 322, 2010 2011).
Rapport de M. Xavier Pintat, fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (n° 386, 2010-2011).
Texte de la commission (n° 387, 2010-2011).
6. Proposition de résolution européenne tendant à obtenir compensation des effets, sur l’agriculture des départements d’outre-mer, des accords commerciaux conclus par l’Union européenne, présentée, en application de l’article 73 quinquies du Règlement (n° 226, 2010-2011).
Rapport de M. Daniel Marsin, fait au nom de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire (n° 310, 2010-2011).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-neuf heures quarante-cinq.)
Le Directeur du Compte rendu intégral
FRANÇOISE WIART