Sommaire
Présidence de M. Roland du Luart
Secrétaires :
Mme Michelle Demessine, M. François Fortassin.
2. Communication relative à une commission mixte paritaire
3. Sessions plénières du Parlement européen à Strasbourg. – Adoption d'une proposition de résolution
M. Roland Ries, auteur de la proposition de résolution.
M. Yvon Collin, Mme Annie David, MM. André Reichardt, Richard Yung, Serge Lagauche, Jean-Pierre Sueur.
M. Henri de Raincourt, ministre chargé de la coopération.
Adoption de la proposition de résolution.
Suspension et reprise de la séance
4. Politique énergétique de la France. – Rejet d'une proposition de résolution
M. Jean-Claude Danglot, auteur de la proposition de résolution.
Mme Mireille Schurch, MM. René Beaumont, Marcel Deneux, Daniel Raoul, Jean-Pierre Chevènement, Ladislas Poniatowski, Jean-Jacques Mirassou, Jean Desessard.
M. Éric Besson, ministre chargé de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique.
Rejet, par scrutin public, de la proposition de résolution.
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Raffarin
5. Droit de la chasse. – Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Discussion générale : MM. Pierre Martin, auteur de la proposition de loi ; Ladislas Poniatowski, rapporteur de la commission de l’économie ; Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement.
MM. Joseph Kergueris, Jean-Louis Carrère, Yvon Collin, Gérard Le Cam, Rémy Pointereau, François Patriat, Mme Marie-Christine Blandin.
Mme la ministre.
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 12 de Mme Marie-Christine Blandin. – Mme Marie-Christine Blandin, M. le rapporteur, Mme la ministre, M. Jean-Louis Carrère. – Rejet.
Amendement n° 13 de Mme Marie-Christine Blandin. – Mme Marie-Christine Blandin.
Amendement n° 9 rectifié de M. Jean-Louis Carrère. – M. François Patriat.
M. le rapporteur, Mme la ministre, M. François Patriat. – Retrait de l’amendement no 9 rectifié ; rejet de l’amendement no 13.
Adoption de l'article.
Amendement n° 14 de Mme Marie-Christine Blandin. – Mme Marie-Christine Blandin, M. le rapporteur, Mme la ministre. – Rejet.
Amendement n° 25 du Gouvernement. – Mme la ministre, MM. le rapporteur, Jean-Louis Carrère. – Adoption.
Adoption de l'article modifié.
Amendements nos 15 et 16 de Mme Marie-Christine Blandin. – Mme Marie-Christine Blandin, M. le rapporteur, Mme la ministre, MM. François Fortassin, François Patriat. – Rejet des deux amendements.
Adoption de l'article.
Amendement n° 17 de Mme Marie-Christine Blandin. – Mme Marie-Christine Blandin, M. le rapporteur, Mme la ministre, M. Jean-Louis Carrère. – Rejet.
Amendement n° 27 du Gouvernement et sous-amendement no 28 de M. Ladislas Poniatowski. – Mme la ministre, MM. Ladislas Poniatowski, Jean-Paul Emorine, président de la commission de l'économie.
Amendements identiques nos 6 de la commission, 11 rectifié de M. Jean-Louis Carrère et 18 de Mme Marie-Christine Blandin. – MM. le rapporteur, Jean-Louis Carrère, Mme Marie-Christine Blandin.
Amendements nos 3 et 4 de M. Rémy Pointereau. – M. Rémy Pointereau.
M. le rapporteur, Mme la ministre, MM. Rémy Pointereau, Jean-Louis Carrère. – Retrait des amendements nos 3 et 4 ; adoption du sous-amendement no 28 et de l'amendement no 27 modifié rédigeant l'article, les amendements nos 6, 11 rectifié et 18 devenant sans objet.
Article additionnel après l’article 4
Amendement n° 24 rectifié de M. Jean-Louis Carrère. – MM. Jean-Louis Carrère, le rapporteur, Mme la ministre. – Retrait.
Amendement n° 10 rectifié de M. François Patriat. – M. François Patriat.
Amendement n° 5 de la commission. – M. le rapporteur.
Mme la ministre, MM. le rapporteur, Jean-Louis Carrère, François Patriat, Rémy Pointereau. – Rectification de l’amendement no 5 ; retrait de l’amendement no 10 rectifié ; adoption de l’amendement no 5 rectifié.
Adoption de l'article modifié.
Articles additionnels après l'article 7
Amendement n° 1 rectifié de M. Alain Houpert. – MM. Alain Houpert, le rapporteur, Mme la ministre. – Retrait.
Amendement n° 2 de M. Alain Houpert. – MM. Alain Houpert, le rapporteur, Mme la ministre. – Retrait.
Articles additionnels après l'article 8 bis
Amendements nos 20 et 21 de Mme Marie-Christine Blandin. – Mme Marie-Christine Blandin, M. le rapporteur, Mme la ministre. – Retrait de l’amendement no 20 ; rejet de l’amendement no 21.
Amendement n° 8 rectifié bis de M. Alain Vasselle. – MM. Pierre Martin, le rapporteur, Mme la ministre. – Adoption de l'amendement insérant un article additionnel.
Amendement n° 19 de Mme Marie-Christine Blandin. – Mme Marie-Christine Blandin, M. le rapporteur, Mme la ministre. – Rejet.
Amendement n° 23 de Mme Marie-Christine Blandin. – Mme Marie-Christine Blandin, M. le rapporteur, Mme la ministre. – Rejet.
Amendement n° 22 de Mme Marie-Christine Blandin et sous-amendement no 26 du Gouvernement. – Mmes Marie-Christine Blandin, la ministre, M. le rapporteur. – Rejet du sous-amendement et de l'amendement.
Mme Marie-Christine Blandin, MM. Joseph Kergueris, Jean-Louis Carrère, Pierre Martin.
Adoption de la proposition de loi.
6. Communication du Conseil constitutionnel
Suspension et reprise de la séance
7. Prix du livre numérique. – Adoption des conclusions d'une commission mixte paritaire
Discussion générale : Mme Colette Mélot, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire ; M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication.
Mme Catherine Morin-Desailly, M. David Assouline, Mme Françoise Laborde, M. Jack Ralite.
Clôture de la discussion générale.
Texte élaboré par la commission mixte paritaire
Mme Lucienne Malovry, MM. Yann Gaillard, Jacques Legendre, président de la commission de la culture.
Adoption de la proposition de loi.
Suspension et reprise de la séance
8. Régulation du système de distribution de la presse – Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
Discussion générale : MM. Jacques Legendre, auteur de la proposition de loi ; David Assouline, rapporteur de la commission de la culture ; Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication.
Mme Françoise Laborde, M. Ivan Renar, Mmes Catherine Dumas, Catherine Morin-Desailly, M. David Assouline.
Clôture de la discussion générale.
Amendement n° 1 de M. Ivan Renar. – MM. Ivan Renar, le rapporteur, le ministre. – Rejet.
Adoption de l’article.
Amendement n° 2 de M. Ivan Renar. – MM. Ivan Renar, le rapporteur, le ministre. – Rejet.
Amendement n° 6 du Gouvernement. – MM. le ministre, le rapporteur, Serge Lagauche. – Adoption.
Amendement n° 3 de M. Ivan Renar. – MM. Ivan Renar, le rapporteur, le ministre. – Rejet.
Amendement n° 9 de la commission. – MM. le rapporteur, le ministre. – Adoption.
Amendement n° 10 de la commission. – MM. le rapporteur, le ministre. – Adoption.
Amendement n° 5 du Gouvernement. – MM. le ministre, le rapporteur. – Adoption.
Amendement n° 4 rectifié du Gouvernement. – MM. le ministre, le rapporteur, Jacques Legendre, auteur de la proposition de loi. – Retrait.
Amendement n° 8 du Gouvernement. – MM. le ministre, le rapporteur. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 7 du Gouvernement. – MM. le ministre, le rapporteur. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 11 du Gouvernement. – M le ministre. – Adoption de l’amendement supprimant l’article.
MM. Serge Lagauche, Ivan Renar, Jacques Legendre, auteur de la proposition de loi ; David Assouline.
Adoption de la proposition de loi.
compte rendu intégral
Présidence de M. Roland du Luart
vice-président
Secrétaires :
Mme Michelle Demessine,
M. François Fortassin.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Communication relative à une commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à l’immigration, à l’intégration et à la nationalité est parvenue à l’adoption d’un texte commun.
3
Sessions plénières du Parlement européen à Strasbourg
Adoption d'une proposition de résolution
M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen, à la demande du groupe socialiste, de la proposition de résolution relative à la tenue des sessions plénières du Parlement européen à Strasbourg, présentée, en application de l’article 34-1 de la Constitution, par M. Roland Ries et les membres du groupe socialiste et apparentés (proposition n° 358).
Dans le débat, la parole est à M. Roland Ries, auteur de la proposition de résolution.
M. Roland Ries, auteur de la proposition de résolution. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 9 mars dernier, les parlementaires européens ont voté l’amendement dit « Fox », du nom du député européen britannique Ashley Fox, amendement ramenant, de fait, de douze à onze le nombre de sessions plénières du Parlement européen à Strasbourg pour les années 2012 et 2013.
Cet amendement vise à positionner deux périodes de session de deux jours chacune sur une même semaine, aux mois d’octobre 2012 et 2013, en lieu et place des deux sessions de quatre jours prévues initialement au cours de ce mois.
Depuis plusieurs années – vous le savez, monsieur le ministre, mes chers collègues –, certains lobbies, emmenés par les plus eurosceptiques des députés européens, s’évertuent à vider de leur contenu les sessions plénières du Parlement européen à Strasbourg. Le bien-nommé amendement Fox, adopté à la faveur d’un vote à bulletin secret, procédure très rarement utilisée, entre dans cette même logique. Il s’agit là d’une nouvelle attaque visant à remettre en cause le siège du Parlement européen à Strasbourg.
La souveraineté du Parlement européen dans l’organisation de ses sessions ne peut évidemment pas être contestée. En revanche, je regrette l’état d’esprit qui prévaut à ces réorganisations et, surtout, le non-respect manifeste des traités qui, sur ce point, sont sans équivoque : « le Parlement européen a son siège à Strasbourg où se tiennent les douze périodes de sessions plénières mensuelles, y compris la session budgétaire. » À cet égard, le Gouvernement français, par la voix de M. Laurent Wauquiez, ministre chargé des affaires européennes, a d’ailleurs clairement fait part, le 14 mars dernier, de son intention de saisir une nouvelle fois la Cour de justice de l’Union européenne, afin de contester la légalité de la décision prise par le Parlement européen.
En outre, la mise en place de deux sessions de deux jours sur une même semaine, alors que toutes les autres sessions plénières se déroulent mensuellement sur une période de quatre jours, contrevient sans nul doute au « rythme régulier » auquel le Parlement européen devrait tenir ses sessions.
Je rappelle en ce sens l’arrêt rendu par la Cour de justice des Communautés européennes le 1er octobre 1997, arrêt qui a en effet annulé, à la demande de la République française, soutenue devant la cour par le Grand-Duché de Luxembourg – cela sera encore le cas cette fois –, la délibération du Parlement européen du 20 septembre 1995 fixant déjà à onze le nombre de sessions plénières devant avoir lieu à Strasbourg pour l’année 1996. À l’appui de cette décision, l’arrêt mentionnait que « le siège du Parlement est le lieu où doivent être tenues, à un rythme régulier, douze périodes de sessions plénières ordinaires de cette institution ». Il précisait également que « des périodes de sessions plénières additionnelles ne peuvent donc être fixées dans un autre lieu de travail que si le Parlement tient les douze périodes de sessions plénières ordinaires à Strasbourg, lieu du siège de l’institution ». La cour a ajouté par ailleurs qu’« il est cependant constant entre les parties que les périodes de sessions plénières s’étendant d’un lundi à un vendredi se tiennent à Strasbourg ».
Le vote de l’amendement Fox va donc très clairement à l’encontre de la jurisprudence communautaire. Il est également dommageable aux intérêts de l’institution et, plus généralement, de l’Union européenne dans son ensemble. En effet, alors que les pouvoirs du Parlement européen se sont accrus au fil des traités successifs et que le travail parlementaire est devenu sans cesse plus dense, les calendriers, tels qu’ils ont été votés, mettent à mal l’ambition démocratique de l’institution.
Cibler en permanence le siège de Strasbourg, c’est remettre en cause l’équilibre institutionnel de l’Union européenne. En effet, une Europe centralisée serait contraire au principe même d’une Europe « unie dans sa diversité », devise, je vous le rappelle, de l’Union européenne. L’Europe est polycentrique. L’Union a fait le choix de déconcentrer ses centres de décision, afin d’être incarnée dans différents États membres.
Vous le savez, monsieur le ministre, mes chers collègues, Strasbourg tire sa légitimité non seulement du droit, mais surtout de l’Histoire. Le cœur de l’Europe s’est mis à battre à Strasbourg le 10 août 1949, lors de la session constitutive du Conseil de l’Europe. Moins d’un an après, le 9 mai 1950, Robert Schuman y a prononcé sa fameuse déclaration, qui deviendra le véritable acte de naissance de l’Europe communautaire.
Le choix de la localisation du Parlement européen à Strasbourg est donc loin d’être le fruit du hasard. La construction de l’Europe s’est fondée sur le dépassement des conflits historiques et, plus singulièrement, sur la réconciliation franco-allemande, dont Strasbourg est à l’évidence le symbole. Siège de la première organisation paneuropéenne créée par les gouvernements au sortir de la guerre, à savoir le Conseil de l’Europe, Strasbourg a conscience des responsabilités qui lui incombent dans la mise en œuvre du projet de construction d’une Europe unie autour des valeurs de la démocratie et des droits de l’homme.
La construction européenne s’est développée sur le principe de trois villes hôtes d’institutions, jouant chacune un rôle spécifique, nécessaire et indispensable. Aux côtés de Bruxelles et Luxembourg, qui incarnent respectivement le pouvoir exécutif et judiciaire de l’Union européenne, Strasbourg est le siège du pouvoir législatif. La ville est par ailleurs – faut-il le rappeler ? – le symbole historique de l’humanisme, de la démocratie, de la paix, des droits de l’homme et des citoyens. Elle est ainsi le siège de plusieurs institutions qui incarnent ces valeurs : le Conseil de l’Europe, dont la mission est de promouvoir la démocratie, de protéger les droits de l’homme et l’État de droit en Europe ; la Cour européenne des droits de l’homme, le Médiateur européen et, enfin, le Parlement européen. Il s’agit donc non pas d’opposer ces trois capitales – Strasbourg, Bruxelles et Luxembourg –, mais bien de les associer dans une perspective de complémentarité.
D’ailleurs, dans cette lignée, le conseil municipal de Strasbourg a acté la création prochaine d’un « Lieu d’Europe », qui aura pour mission principale de faire découvrir l’Europe aux citoyens et de renforcer leur sentiment d’appartenance à un ensemble géographique et politique large.
Nous avons également noué avec le Parlement européen un partenariat qui se décline à travers maintes actions conjointes, la plus emblématique étant sans aucun doute le prix Sakharov, remis chaque année par le Parlement européen. Je pense aussi à la Fête de l’Europe ou aux journées portes ouvertes. Nous entendons approfondir encore ce partenariat, qui pourra peut-être se concrétiser par une convention, à l’instar de celle qui a été conclue entre la ville de Strasbourg et le Conseil de l’Europe en mai 2010.
À l’heure où les peuples se soulèvent au nom des valeurs que je viens d’évoquer et où les Européens ont besoin de repères forts pour traverser la crise qui les accable, le rayonnement européen et international de Strasbourg contribue pleinement à celui de la France. « Strasbourg, capitale européenne » n’est donc pas un simple enjeu municipal. C’est une cause nationale, qui nécessite l’engagement ferme et résolu, dans la durée, de toutes les autorités de l’État.
C’est la raison pour laquelle je souhaite voir aujourd’hui l’ensemble des groupes parlementaires du Sénat soutenir cette proposition de résolution, qui « demande […] aux institutions européennes et notamment au Conseil d’empêcher toute remise en cause de la tenue des sessions plénières du Parlement européen à Strasbourg ».
Cette proposition de résolution ayant été reprise par le député Armand Jung et déposée sur le bureau de l’Assemblée nationale, j’espère voir acter une position nationale ferme et forte sur cette question par l’ensemble du Parlement.
Pour répondre aux arguments avancés par ceux qui sont opposés à ce que le Parlement européen siège à Strasbourg, je prendrai la liberté de rappeler certains éléments.
En matière d’accessibilité, outre les actions qui devraient être menées dans le cadre du prochain contrat triennal, j’ai invité, lors de la réunion annuelle des trois capitales européennes en juin 2010, les bourgmestres de Bruxelles et de Luxembourg à répondre de concert à la consultation de la Commission européenne sur les grands projets d’infrastructure visant à la constitution d’un vaste réseau transeuropéen de transport. Ainsi, dans une déclaration commune en date du 10 septembre 2010, nous avons appelé à la réalisation rapide du projet Eurocaprail, soulignant son « intérêt prioritaire » pour « améliorer la qualité, la performance et la fréquence des liaisons ferroviaires » entre nos trois villes, sièges d’institutions européennes.
À cet égard, je tiens à vous informer que, dès la session que le Parlement européen tiendra la semaine prochaine, un second train Thalys sera mis en service, à neuf minutes d’intervalle avec le premier, pour relier Strasbourg et Bruxelles via Paris.
Les conditions de l’hébergement hôtelier à Strasbourg inspirent aux députés qui militent en faveur d’une localisation du Parlement européen à Bruxelles l’un de leurs principaux arguments : ces députés arguent en effet de l’augmentation des tarifs pendant les sessions, hors de proportion selon eux et conduisant au dépassement des plafonds autorisés dans le cadre du per diem. D’autres arguments relèvent de la même critique.
Cette situation révèle l’état de mécontentement dans lequel se trouvent aujourd’hui l’administration et les personnels du Parlement européen, ainsi que celui des députés eux-mêmes.
Afin de remédier à cela, nous avons décidé de réunir ce mois-ci les hôteliers strasbourgeois en vue d’améliorer la qualité de l’offre d’hébergement. À cette occasion, le projet d’une charte des hôteliers sera relancé.
Strasbourg a pour elle le droit et l’histoire, ainsi que le rôle essentiel de complémentarité dont j’ai parlé.
Je crois cependant, monsieur le ministre, que le moment est venu d’être plus offensif face à ces provocations, pour défendre la présence du Parlement européen sur notre territoire.
En 2008 à Copenhague, M. le Premier ministre François Fillon avait vivement et clairement défendu le statut de Strasbourg en tant que capitale parlementaire de l’Union européenne. Répondant à un journaliste qui l’interrogeait sur les dépenses supplémentaires et la trace carbone résultant de ses voyages entre Bruxelles et Strasbourg, il avait déclaré ceci : « si on ne veut pas déplacer autant de personnes, c’est très simple : il suffit de faire siéger le Parlement européen à Strasbourg de manière définitive ! »
M. Henri de Raincourt, ministre auprès du ministre d’Etat, ministre des affaires étrangères et européennes, chargé de la coopération. Il avait raison !
M. Roland Ries, auteur de la proposition de résolution. À ce moment-là, il avait, je crois, indiqué clairement la voie : si l’on s’interroge sur le coût de ces déplacements, il faut aller jusqu’au bout de l’esprit des traités en faisant se réunir à Strasbourg l’administration, les commissions et les groupes politiques du Parlement européen ; on pourra alors faire l’économie de ces déplacements.
Il faut donc pousser à l’engagement de discussions devant aboutir à l’implantation de tous les services du Parlement européen à Strasbourg.
Depuis 1980, dans le cadre du contrat triennal « Strasbourg, capitale européenne », la ville et la communauté urbaine de Strasbourg se sont engagées, aux côtés de l’État, de la région Alsace et du département du Bas-Rhin, à améliorer l’attractivité internationale de la métropole alsacienne, dans un esprit de large partenariat et de concertation.
Au titre du contrat triennal 2009-2011, une étude stratégique sur le renforcement du rôle européen de Strasbourg avait été lancée. Elle a aujourd’hui rendu ses conclusions.
J’attire d’ailleurs régulièrement l’attention des ministres successifs en charge des affaires étrangères et européennes sur l’enjeu – enjeu national, je le répète – que représente le statut européen de Strasbourg, ainsi que sur la nécessité d’une réaction concertée des autorités nationales et locales.
Aujourd’hui, plus que jamais, Strasbourg doit pouvoir compter sur la volonté et la détermination du Gouvernement français, pour poursuivre l’amélioration de l’accessibilité de Strasbourg, ainsi que des conditions d’accueil des parlementaires, des fonctionnaires et des assistants.
C’est la raison pour laquelle, en tant que maire de Strasbourg et sur la base de la motion adoptée à l’unanimité par le conseil municipal le 21 mars dernier, j’ai demandé au Gouvernement de prendre une initiative forte visant à engager toutes les démarches nécessaires pour que Strasbourg devienne l’unique lieu de réunion et de travail du Parlement européen, et que, en conséquence, tous les services de celui-ci y soient implantés.
Il conviendra dans cette perspective, et dans le cadre de la négociation du prochain contrat triennal, portant sur la période 2012-2014, entre l’État et les collectivités locales alsaciennes, de prendre la mesure des efforts qui restent à accomplir en vue non seulement de renforcer l’accessibilité de Strasbourg, mais, plus globalement, de conforter la vocation européenne et internationale de cette ville.
La ville de Strasbourg, pour sa part, a déjà pris les mesures nécessaires pour permettre l’accueil des activités du Parlement européen. C’est ainsi que nous allons réaliser, à proximité immédiate du Parlement, un quartier d’affaires international établi sur 12 hectares, dont une réserve foncière de 35 000 mètres carrés destinée aux institutions européennes.
Il s’agit de répondre à la double ambition, d’une part, de fournir au Parlement européen les moyens de l’implantation complète à Strasbourg de tous les services concourant à sa fonction de siège et, d’autre part, d’accueillir au même endroit des implantations internationales relevant des fonctions tertiaires supérieures, autour d’un parc des expositions modernisé et d’un palais des congrès rénové qui dotera le centre-ville de Strasbourg d’une structure apte à accueillir des rencontres internationales de haut niveau, comme, en avril 2009, le sommet de l’OTAN.
Le développement économique induit par ces investissements, pour la ville et son agglomération, permettra aussi de lisser tout au long de l’année l’activité hôtelière, et, par voie de conséquence – je l’espère, du moins – les prix pratiqués.
En outre, l’École européenne ouverte en 2008, école dont les premiers bacheliers sortiront en 2014, dote Strasbourg d’une capacité d’accueil des fonctionnaires européens et de leurs familles. Une cité scolaire européenne verra prochainement le jour, à proximité des institutions européennes, sur un terrain mis à disposition par l’État.
Monsieur le ministre, mes chers collègues, Strasbourg et la France offrent au siège du Parlement européen un environnement national et local stable. Loin de se laisser affaiblir par les attaques contre le siège du Parlement européen, Strasbourg entend au contraire en tirer parti pour pousser à l’engagement de discussions devant aboutir à l’implantation de tous les services du Parlement européen à Strasbourg.
Au fond, cette énième attaque contre Strasbourg doit pouvoir être retournée contre ses auteurs, de façon à mettre un terme à cette guerre qui dure depuis trop longtemps et à nous permettre d’aller au bout des logiques contenues dans les traités fondateurs de l’Union européenne.
C’est la raison pour laquelle je demande à l’ensemble des groupes parlementaires du Sénat de soutenir cette proposition de résolution, afin de nous permettre d’être plus forts dans cette bataille qui continue, mais dont j’espère pouvoir voir prochainement l’issue. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, en avril 2009, à l’occasion du sommet de l’OTAN qui se tenait à Strasbourg, le président des Etats-Unis, Barack Obama, fit se lever l’assemblée en prononçant ces quelques mots, simples mais à la portée universelle : « Pendant plusieurs siècles, Strasbourg a été attaquée, occupée et disputée par les nations en guerre de ce continent ; aujourd’hui, dans cette ville, la présence du Parlement européen et du Conseil de l’Europe demeurent les symboles de l’Europe unie, en paix et libre. » Mes chers collègues, on ne peut mieux dire !
Ces propos cachent pourtant une polémique récurrente, de nature à menacer le destin profondément européen de la ville de Strasbourg. En effet, une « guerre des sièges » oppose depuis plusieurs années les partisans d’un maintien du Parlement européen à Strasbourg aux adeptes d’un siège unique situé à Bruxelles.
Le 9 mars dernier, à l’occasion de l’adoption du calendrier des périodes de session du Parlement européen pour les années 2012 et 2013, les députés européens ont adopté un amendement prévoyant que, sur les douze sessions plénières qui doivent se tenir chaque année à Strasbourg, deux auront lieu durant la même semaine du mois d’octobre.
Cet amendement a été approuvé par 58 % des votants, au cours d’un vote à bulletin secret. Déposé sur l’initiative d’un parlementaire européen britannique, il a été cosigné par 215 autres députés, et finalement voté par plus de 350 d’entre eux.
L’objectif de ce texte est de réduire au maximum les déplacements des élus, fonctionnaires et journalistes accrédités entre Bruxelles et Strasbourg.
Dans un rapport publié en février 2011, un autre eurodéputé britannique avait déjà relancé la polémique sur le double siège du Parlement européen à Bruxelles et Strasbourg, en pointant du doigt les inconvénients supposés du maintien d’un Parlement bicéphale.
Je conviens, mes chers collègues, que la transhumance parlementaire entre les villes capitales de l’Union puisse apparaître comme coûteuse, et pour le moins étrange, à l’opinion ; mais transférer définitivement l’intégralité de la vie parlementaire européenne à Bruxelles serait particulièrement mal perçu par les citoyens européens, la ville belge ayant la réputation tenace d’être synonyme de technocratie européenne.
Les pères fondateurs de l’Europe – les Schuman, Adenauer, de Gasperi ou Jean Monnet – auraient répondu négativement à l’affirmation selon laquelle Strasbourg serait un investissement trop onéreux pour l’Union.
Tout est question de mémoire. Il n’est pas permis d’oublier quand, comment et dans quelles conditions s’est construite l’Europe. Faut-il rappeler que, après les traumatismes provoqués par la Seconde Guerre mondiale, l’unité européenne méritait un lieu à la hauteur de ses enjeux ? Strasbourg fut la localisation idéale.
Qu’il me soit permis de citer un ancien ministre des affaires étrangères de la Grande-Bretagne, Ernest Bevin, qui, au moment du choix de Strasbourg comme capitale européenne en 1949, s’exprimait ainsi : « cette grande cité avait été témoin de la stupidité du genre humain, qui avait essayé de régler les affaires par la guerre, la cruauté et la destruction. L’Europe a gagné le droit de résoudre ses problèmes par des méthodes plus humaines et plus sensées. Nous avons pensé que Strasbourg était vraiment le lieu qui convenait pour développer ce grand effort dans une atmosphère de bonne volonté. »
Il serait bon de rappeler ces propos à quelques députés européens britanniques, qui privilégient le pragmatisme par rapport au symbole… Ce n’est jamais une bonne solution, surtout lorsqu’il s’agit de politique et de construction européenne.
Je crois également utile de rappeler que Strasbourg, en changeant quatre fois de nationalité en soixante-quinze ans, entre 1870 et 1945, est devenue la ville symbole de la réconciliation franco-allemande et, plus globalement, de l’unité européenne.
Le choix de la capitale alsacienne comme carrefour de l’Europe apparaît comme une évidence. J’associe tout particulièrement à mes propos le sénateur du Haut-Rhin Jean-Marie Bockel, mon collègue au sein du groupe RDSE qui n’a pas pu, comme il l’aurait souhaité, siéger ce matin parmi nous.
Le 25 juillet 1952, à l’occasion de l’entrée en vigueur du traité instituant la Communauté européenne du charbon et de l’acier, ou CECA, les ministres des affaires étrangères des États membres ont décidé que l’assemblée tiendrait sa première réunion à Strasbourg. La ville de Strasbourg a ensuite été désignée comme le siège du Parlement européen le 7 janvier 1958, au moment de l’entrée en vigueur des traités de Rome instituant respectivement la Communauté économique européenne, ou CEE, et la Communauté européenne de l’énergie atomique, ou CEEA.
Le 22 septembre 1977, au président du Parlement qui l’avait interrogé sur les problèmes de fonctionnement qui se poseraient au Parlement après l’élection de ses membres au suffrage universel et l’accroissement concomitant de leur nombre, le président du Conseil a répondu que les gouvernements des États membres confirmaient qu’il n’y avait pas lieu de modifier, ni en droit ni en fait, les dispositions en vigueur touchant aux lieux de travail de l’Assemblée.
Enfin, le 12 décembre 1992, le conseil européen d’Édimbourg a tranché de façon définitive la question des sièges des principales institutions communautaires. S’agissant du Parlement européen, la formulation ne laisse aucune place au doute : « le Parlement européen a son siège à Strasbourg, où se tiennent les douze périodes de sessions plénières mensuelles, y compris la session budgétaire. » En dehors des sessions mensuelles, le Parlement européen peut organiser des sessions additionnelles consacrées à des sujets spécifiques, lesquelles ont lieu à Bruxelles.
Aujourd’hui, le protocole n° 6 sur la fixation des sièges des institutions, annexé au traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, confirme cette décision. De même, le règlement du Parlement européen mentionne, dans son article 135, que « le Parlement tient ses séances plénières et ses réunions de commission conformément aux conditions prévues par les traités. »
Quant à la Cour de justice, elle a confirmé, dans un arrêt du 1er octobre 1997, que le siège du Parlement était fixé conformément à l’article 289 du traité CE ; le contenu de cette décision a ensuite été intégré au traité d’Amsterdam, sous la forme d’un protocole annexé aux traités communautaires.
J’estime, mes chers collègues, que, aux côtés de l’Europe économique et financière installée à Bruxelles et Luxembourg, Strasbourg est le symbole de l’Europe de l’humanisme et de la démocratie, de l’Europe de la paix, des droits de l’homme et des citoyens, en un mot, de cette Europe politique qu’il nous faut construire chaque jour un peu plus.
Strasbourg est également le siège de plusieurs institutions incarnant les valeurs démocratiques qui nous sont si chères : le Conseil de l’Europe, dont la mission est de promouvoir la démocratie et de protéger les droits de l’homme et l’État de droit, la Cour européenne des droits de l’homme, le Médiateur européen et – c’est l’objet de notre débat – le Parlement européen. Aussi ne faut-il jamais oublier que Strasbourg symbolise l’inscription des générations futures dans l’identité européenne.
Prendre pour cible le siège de Strasbourg, c’est menacer tout l’équilibre institutionnel de l’Union européenne, qui n’a jamais fait le choix de la concentration des centres de décision dans un même lieu.
Depuis les prémices de la construction européenne, un consensus s’est toujours dégagé en faveur d’une conception polycentrique de l’Europe afin de respecter la diversité, la pleine participation de tous les États membres au bon fonctionnement des institutions et le souci de proximité avec les citoyens européens.
Par conséquent, les querelles incessantes sur le siège du Parlement européen à Strasbourg et les attaques croissantes visant à vider de leur contenu les sessions plénières se déroulant dans cette ville sont à regretter, et même à condamner, ce à quoi nous invite très clairement la proposition de résolution de notre collègue Roland Ries, lequel – faut-il le rappeler ? – est au demeurant maire de Strasbourg.
C’est pourquoi, vous l’aurez compris, mes chers collègues, les membres du groupe RDSE, tous profondément européens et tous profondément militants pour une Europe unie, forte et souveraine, voteront le texte de cette résolution et, plus encore, espèrent que celle-ci sera entendue, au-delà des frontières, par l’ensemble des vingt-sept pays membres de l’Union. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Annie David.
Mme Annie David. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, jadis portée aux nues, l’Union européenne paraît de plus en plus contestée par des citoyennes et des citoyens qui subissent, depuis trop longtemps déjà, des décisions aux conséquences bien souvent dramatiques.
Alors que l’Union européenne doit faire face à des crises successives, dans le déclenchement desquelles elle ne peut s’exonérer de toute responsabilité, que ce soient la crise financière qui touche l’Irlande, la crise économique, qui a nécessité la mise en place d’un plan de sauvetage pour la Grèce, ou encore la crise de légitimité démocratique, qui se concrétise par un regain des nationalismes dont l’exemple le plus récent est celui de la Finlande, cette Europe semble aujourd’hui plus encline à trancher des questions comme celle du siège du Parlement européen qu’à tenter d’apporter des réponses politiques fortes à ces situations.
Pour ma part, dans un contexte où la dignité des travailleuses et des travailleurs est sans cesse sacrifiée sur l’autel de la concurrence libre et non faussée, je considère le débat sur le siège du Parlement européen comme surréaliste.
Cette situation m’interpelle d’autant plus que, à l’heure où les députés européens voient leurs compétences étendues – le traité de Lisbonne leur a conféré plus de pouvoirs –, ces derniers décident, par eux-mêmes, et alors que les traités fondateurs de l’Union européenne fixent à douze le nombre de leurs sessions plénières, de réduire celui-ci en votant un amendement supprimant l’une des sessions plénières du mois d’octobre à Strasbourg.
Et, non contents de revoir à la baisse le nombre de leurs sessions plénières, certains eurodéputés souhaitent désormais déplacer le siège du Parlement de Strasbourg à Bruxelles.
Ils nient à l’évidence l’enjeu symbolique de Strasbourg comme siège du Parlement européen.
Ainsi, on a pu lire que « 91 % des membres du Parlement européen, députés et assistants, dont 28 % de Français, préféreraient Bruxelles à Strasbourg » comme siège du Parlement européen.
Les parlementaires européens auraient-ils décidé de privilégier leurs commodités personnelles à la dimension symbolique de Strasbourg ?
M. Roland Ries, auteur de la proposition de résolution. Eh oui !
Mme Annie David. Pour ma part, je ne minimise pas l’enjeu symbolique que représente Strasbourg dans le processus de construction de l’Union européenne, car il va sans dire que cette ville incarne bel et bien la réconciliation franco-allemande…
M. Guy Fischer. C’est sûr !
Mme Annie David. … et s’impose, par là même, comme l’un des actes fondateurs de l’Europe actuelle.
En outre, dans un contexte où la légitimité démocratique de l’Union européenne est en perte de vitesse, comme en témoigne la baisse constante du taux de participation aux élections, les députés européens, en se concentrant sur ce faux débat, perdent en crédibilité. Pourtant, le 9 mars 2011, ceux-ci ont approuvé à 58 % la suppression de l’une des sessions plénières du Parlement à Strasbourg !
En outre, non contents de ne pas respecter les traités, les eurodéputés britanniques conservateurs ont déposé cet amendement à la dernière minute, avant de le faire approuver selon la procédure du vote secret.
Soit dit en passant, cela ne dénote pas un très grand courage politique ni une très grande assurance dans le bien-fondé de cette proposition.
MM. Guy Fischer et Roland Ries, auteur de la proposition de résolution. Très bien !
Mme Annie David. Or, après ce premier « coup de canif » dans les traités de l’Union européenne, et fort de sa première victoire, le groupe des « anti-strasbourgeois » a désormais décidé de s’attaquer au protocole n° 6 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne : ils entendent désormais déplacer le Parlement européen à Bruxelles !
Les arguments invoqués par ces députés sont tous sinon fallacieux, à tout le moins démagogiques. En effet, arguant des coûts entraînés par les déplacements entre Strasbourg et Bruxelles, des difficultés d’accès à la ville de Strasbourg et de la nécessité de rapprocher le Parlement de la Commission pour une « meilleure collaboration », ce groupe de députés semble avoir occulté le fait que l’Union européenne ne se résume pas à sa seule capitale économique, financière et, comme le rappelait Yvon Collin, technocratique, à savoir Bruxelles.
Ainsi, à Strasbourg siègent également le Conseil de l’Europe, la Cour européenne des droits de l’homme et le Médiateur européen.
De plus, le Parlement européen tient certaines de ses sessions à Luxembourg, où siège également la Cour de justice de l’Union européenne.
Quant à la BCE, la Banque centrale européenne, elle a son siège à Francfort, Europol étant, quant à lui, localisé à La Haye.
Et c’est bien cette multiplicité des lieux d’exercice de l’institution européenne qui donne véritablement à cette dernière son visage européen. C’est ce qu’a rappelé Roland Ries tout à l’heure quand il évoquait le choix fait par l’Europe de déconcentrer ses lieux d’exercice du pouvoir, choix qui a fait sa grandeur.
Certes, les coûts entraînés par les déplacements pourraient justifier de donner au Parlement européen un siège unique ; mais, dans ce cas, il va sans dire que Strasbourg devrait être ce lieu unique.
Abritant déjà le Conseil de l’Europe, Strasbourg, contrairement à Bruxelles, s’impose comme la capitale européenne naturelle des droits de l’homme et de la démocratie.
Comme il est rappelé dans l’exposé des motifs de cette proposition de résolution, Strasbourg a été choisie en raison de sa position géographique, de sa situation transfrontalière et de son histoire mouvementée.
Ville meurtrie et marquée par une double culture, Strasbourg est devenue une ville de rencontre et de brassage, et c’est dans cette ville, sur une proposition d’un autre Britannique, ministre travailliste des affaires étrangères, que l’assemblée a tenu sa première réunion en 1952.
Cela justifie que la seule institution de l’Union européenne dépositaire d’une légitimité démocratique reste dans cette ville.
De plus, à l’heure où la ville de Bruxelles est devenue le symbole d’une succession de politiques « antisociales » décrétées par les conseils européens, et dont la plus récente prend la forme d’un « pacte de super-rigueur » injuste, concocté par Angela Merkel, avec la collaboration de Nicolas Sarkozy, et dont les mesures principales consistent à déconnecter salaires et inflation, à faire peser la charge des économies sur le travail et non sur le capital,…
M. Guy Fischer. C’est « l’hyperaustérité » !
Mme Annie David. … installer le siège du Parlement européen à Bruxelles n’aurait, à mon sens, que des conséquences négatives pour la démocratie européenne.
Pour conclure – j’aurais pu m’exprimer plus longuement, mais il me faut respecter le temps qui m’est imparti –, je souhaite souligner que, si le Parlement européen connaît des dysfonctionnements, ceux-ci ne tiennent pas tant au lieu de son siège qu’aux pratiques de certains lobbies, qui essaient d’entraîner des eurodéputés – malheureusement, parfois avec succès – dans des pratiques peu vertueuses.
M. Guy Fischer. Eh oui ! On compte 15 000 lobbies !
Mme Annie David. Dès lors, contrairement à ce que semblent penser certains eurodéputés, la priorité est non pas de déplacer le siège du Parlement de Strasbourg vers Bruxelles, mais plutôt de lutter contre ce fléau, qui, comme en témoigne l’actualité, aurait tendance à se répandre.
Pour toutes ces raisons, je suis convaincue que le Parlement européen, n’en déplaise à certains, doit rester à Strasbourg. Déplacer son siège vers Bruxelles ne ferait qu’enterrer l’espoir d’une Europe sociale, pour laquelle des politiques fortes en direction des populations, de l’emploi et de la solidarité sont plus que jamais attendues et nécessaires.
C’est pourquoi les sénatrices et sénateurs du groupe CRC-SPG voteront cette proposition de résolution. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. André Reichardt.
M. André Reichardt. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je m’empresse de dire que je soutiens bien sûr pleinement la proposition de résolution présentée par notre collègue Roland Ries ; je la soutiens à titre personnel, au nom du groupe UMP et au nom de mes collègues alsaciens.
En effet, à Strasbourg, en Alsace, cette question suscite une belle unanimité : unanimité des parlementaires, sénateurs et députés, unanimité des maires, des conseillers généraux, des conseillers régionaux, unanimité de l’Alsace tout entière à défendre la vocation européenne de Strasbourg.
Cette mobilisation des Strasbourgeois, des Alsaciens, n’est pas dictée que par le seul intérêt, même s’il s’agit d’un intérêt bien compris.
C’est un rapport très particulier à l’Europe que la capitale alsacienne entretient. Au long des siècles, elle a appris, comme l’a longuement évoqué notre collègue Roland Ries, le prix de la paix. Ainsi que l’a rappelé le Président de la République, le 8 mai dernier, à Colmar, « l’Alsace sait ce que le mot guerre veut dire ».
Elle a su construire patiemment la réconciliation, et ce à au moins deux reprises : d’abord, une réconciliation essentielle avec l’Allemagne, dès l’immédiat après-guerre, alors que toutes les plaies étaient encore ouvertes ; ensuite, plus récemment, en 1989, une réconciliation de l’est et de l’ouest du continent européen.
C’est à Strasbourg, au Conseil de l’Europe, que les peuples de l’Est sont venus chercher leurs soutiens et leurs appuis. Ce n’est pas par hasard si le président Václav Havel appelle « génération Strasbourg » ces femmes et ces hommes qui ont apporté la démocratie et les droits de l’homme dans leurs pays respectifs.
M. Roland Ries, auteur de la proposition de résolution. Très bien !
M. André Reichardt. Oui, chaque Strasbourgeois, chaque Alsacien entretient un rapport charnel à l’Europe. Et nos collectivités s’engagent depuis des décennies afin de répondre par l’action et par les faits à ceux qui voudraient défaire les traités internationaux et déplacer le Parlement européen à Bruxelles.
La région Alsace vient par exemple de lancer les études afin de relier par le TER l’aéroport international de Bâle-Mulhouse au centre-ville de Strasbourg. Roland Ries nous a rappelé quant à lui les efforts engagés, sur le plan ferroviaire, en faveur d’un second Thalys.
Monsieur le ministre, l’argument selon lequel Strasbourg serait inaccessible autrement qu’à dos de cigogne ne tiendra plus désormais ! (Sourires.)
De la mauvaise foi, les détracteurs de Strasbourg, siège du Parlement européen, en ont à revendre. Parfois, il est vrai, ils visent juste, et Strasbourg, bien souvent, aurait tout intérêt à oser : oser se développer, oser accueillir de grands événements populaires comme le championnat d’Europe de football, auquel elle a malheureusement renoncé, oser rayonner au rythme d’une métropole.
Mais, mes chers collègues, l’enjeu n’est pas strasbourgeois ; il est national, il est européen.
Le Parlement européen est la seule institution de l’Union européenne à avoir son siège en France. Cela est inscrit dans les traités, tout particulièrement dans le traité d’Amsterdam : Strasbourg, redisons-le, est le siège du Parlement européen !
Alors, au nom de quoi devrions-nous accepter que les traités internationaux soient appliqués à la lettre quand il s’agit de fixer le siège de la Commission à Bruxelles, celui de la Banque centrale à Francfort, celui de la Cour de justice à Luxembourg, et qu’ils ne le soient pas quand il s’agit de fixer le siège du Parlement européen à Strasbourg ?
Au nom de quoi devrions-nous nous taire quand des parlementaires européens se mettent en tête, pour des motivations qu’il ne nous appartient pas de juger, mais sur lesquelles nous pouvons émettre les plus vives réserves, de siéger à Bruxelles plutôt qu’à Strasbourg ?
Le Gouvernement réagit. Il le fait avec fermeté, monsieur le ministre, et je voudrais ici saluer son action.
Mais Strasbourg a besoin de vous, elle a besoin de ses parlementaires, de leur engagement et de leur soutien.
C’est en effet la parole de la France qui est en jeu, c’est la place de notre pays dans la construction européenne qui est en cause.
Nous entendons bien l’argument suivant lequel le travail parlementaire serait facilité à Bruxelles puisque l’exécutif européen, c’est-à-dire le Conseil et la Commission, y ont leur siège. Soit !
Mais, dans ce cas, puisqu’il faut réviser les traités, révisons-les de fond en comble et transférons en un lieu unique à définir – et pourquoi pas, cher Roland Ries, à Strasbourg ? –, la Banque centrale, la Cour de justice, la Cour des comptes. Pendant qu’on y est, rapatrions donc aussi au même endroit les différents organismes et agences de l’Union.
Je croyais que l’Europe en avait fini avec le cauchemar du centralisme bureaucratique. Vous avez compris que nous n’en prendrions pas le chemin.
Je croyais aussi que le modèle européen était le polycentrisme, que nous avons déjà eu l’occasion d’évoquer longuement. Et c’est bien ce modèle polycentrique que nous devons défendre si nous voulons renforcer la démocratie européenne.
L’enjeu de la localisation du siège du Parlement européen à Strasbourg dépasse le niveau local et même national ; c’est un enjeu pour l’Europe tout entière.
Lorsqu’il se réunit à Strasbourg, le Parlement européen tient des débats de nature politique – j’insiste sur ce terme.
Lorsque le Parlement émet un vote de défiance contre la Commission – c’est arrivé –, il le fait non à Bruxelles, lors des séances additionnelles qu’il a le droit d’organiser, mais bien à Strasbourg. Pourquoi ?
Comme le veut un principe qui est quasiment devenu une loi dans l’histoire des démocraties parlementaires, un parlement existe réellement lorsqu’il prend ses distances par rapport à l’exécutif, au sens propre et au sens figuré, lorsqu’il n’en subit pas les actions constantes de lobbying. Un parlement existe lorsque c’est l’exécutif qui se déplace pour venir devant lui rendre des comptes.
M. Roland Ries, auteur de la proposition de résolution. Très bien !
M. André Reichardt. Mes chers collègues, imaginez-vous que nous ne puissions plus, demain, siéger au palais du Luxembourg et qu’il nous faille exercer notre mandat à côté de l’hôtel Matignon…
M. Yvon Collin. Non !
M. André Reichardt. … ou – pourquoi pas ? – à côté des différents ministères concernés par les textes qui nous occupent ?
M. Yvon Collin. Non !
M. André Reichardt. Serions-nous encore réellement le même Sénat ?
M. Guy Fischer. Non ! Certainement pas !
M. Roland Ries, auteur de la proposition de résolution. C’est du Montesquieu dans le texte !
M. André Reichardt. Eh bien, à l’échelle de l’Europe, la même chose se passe pour Strasbourg et Bruxelles.
À Bruxelles, le Parlement, qu’il le veuille ou non, est dans un plus grand état de dépendance par rapport à la Commission (M. Roland Ries acquiesce.) ; à Strasbourg, c’est exactement le contraire : il gagne en indépendance. C’est un fait !
C’est la raison pour laquelle Philippe Richert, actuel président du conseil régional d’Alsace, propose de transférer aussi à Strasbourg les travaux des commissions des groupes et les services du Parlement, lequel verrait ainsi garantie la plénitude de ses fonctions.
M. Roland Ries, auteur de la proposition de résolution. Parfait !
M. Richard Yung. Très bien !
M. André Reichardt. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, un parlement a besoin d’autonomie, simplement parce que la démocratie a besoin de liberté. Et cette liberté démocratique et parlementaire, si chère à ceux qui se sont succédé sur l’ensemble de nos travées, Strasbourg la garantit au Parlement européen.
Mes chers collègues, mobilisons-nous : l’Europe n’a pas besoin de bureaucratie ; elle a avant tout et plus que jamais besoin de démocratie. (Applaudissements.)
M. Roland Ries, auteur de la proposition de résolution. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Richard Yung.
M. Richard Yung. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le maire de Strasbourg, mes chers collègues, les orateurs précédents ont excellemment expliqué les raisons institutionnelles fondamentales qui font que Strasbourg est le cœur du Parlement européen ; je n’y reviendrai donc pas.
J’incarne, me semble-t-il, une race en voie d’extinction : celle des Européens convaincus. Aujourd’hui, un Européen convaincu n’ose plus affirmer ses convictions, il rase les murs, il tait son souhait d’une Europe fédérale. C’est sous cet angle que j’aborderai la proposition de résolution qui nous est soumise aujourd’hui, car s’il est un symbole de l’Europe, un symbole, aussi, de l’amitié franco-allemande, c’est bien Strasbourg !
Tout d’abord, la place de Strasbourg au cœur de l’Europe est commandée par la géographie, puisque la ville est adossée au Rhin, fleuve européen qui traverse huit pays et concentre tant d’histoire.
Cette place se justifie aussi par le travail considérable qui est accompli à l’Eurodistrict de Strasbourg-Ortenau, doté de services publics communs, dont l’objet n’est rien de moins que la création d’une métropole de près d’un million d’habitants au cœur de l’Europe. On l’oublie trop souvent, mais c’est important.
Enfin, Strasbourg est bien évidemment un carrefour commercial et économique. La ville, carrefour routier, est aussi située sur la ligne ferroviaire qui dessert à la fois Stuttgart et le Bade-Wurtemberg, Munich et la Bavière, deux Länder qui réalisent respectivement 450 et 800 milliards d’euros de produit intérieur brut : excusez du peu ! Nous jouons incontestablement dans la cour des grands !
J’ajoute, après d’autres intervenants, que cette ville est chargée d’histoire. Elle est un symbole et de la culture française et de la culture allemande. Certes, ce symbole s’est construit dans la douleur, et nous respectons la souffrance des Strasbourgeois, qui ont changé quatre fois d’« occupants », si je puis m’exprimer ainsi, durant les quatre-vingts dernières années. Mais aujourd’hui, avec le recul, nous constatons bien que la richesse de cette ville tient précisément à son histoire. Strasbourg mène de front deux langues et deux cultures qui sont inscrites dans son urbanisme, dans son université, et plus généralement dans la vie quotidienne des Strasbourgeois.
Ville de culture, qui possède une grande université, avec laquelle j’ai un peu collaboré, Strasbourg est aussi un lieu d’accueil des religions persécutées. C’est une de ces grandeurs de la cité.
Rappelons aussi le serment de Koufra dans lequel, après avoir conquis cette oasis, celui qui n’était encore que le colonel Leclerc fait le serment de ne plus déposer les armes avant que le drapeau français ne flotte sur la ville de Strasbourg. Et il a tenu parole.
Pour ces raisons, mon cœur, comme celui de tous les Français sans doute, bat à l’évocation de Strasbourg.
Comme l’a rappelé André Reichardt, l’Europe se veut une structure décentralisée. Mes chers collègues, les tenants d’une concentration des pouvoirs, au lieu de se tourner vers Bruxelles, devraient plutôt regarder vers Bucarest...
M. Richard Yung. Eh oui ! À Bucarest, un dictateur fou a construit le plus grand palais du monde – vous l’avez sans doute visité –, car il avait l’idée de réunir tous les centres de pouvoir au même endroit. Il est vrai qu’il est plus facile pour l’exécutif de contrôler le Parlement lorsque le président et le Premier ministre siègent au vingt-cinquième étage ! C’est ni plus ni moins ce que nous proposent ceux qui veulent tout concentrer à Bruxelles… Je force un peu le trait, j’en conviens (Si peu ! sur les travées du groupe socialiste.), mais c’est malgré tout l’idée sous-jacente.
Et Strasbourg n’est qu’un exemple parmi d’autres. Dans de nombreux pays, il existe une répartition géographique des pouvoirs, expression de la séparation des pouvoirs que prônait Montesquieu. Ainsi, au Chili, en Afrique du sud ou en Australie, le parlement siège dans une ville et le gouvernement dans une autre. Dans certains pays, le pouvoir judiciaire siège même dans une troisième ville.
La localisation du Parlement européen à Strasbourg s’inscrit dans la logique des institutions démocratiques et d’une construction européenne forte et voulue ; nous soutenons donc ce projet de résolution. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Serge Lagauche.
M. Serge Lagauche. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le 9 mars dernier, à l’occasion de l’adoption de son calendrier pour les sessions 2012 et 2013, le Parlement européen votait, à bulletin secret, un amendement visant à scinder les deux sessions plénières d’octobre en deux jours chacune et, par ce biais, décidait de regrouper ces deux sessions plénières en une seule semaine.
Le vote de cet amendement présenté par l’eurodéputé conservateur et eurosceptique britannique Ashley Fox a donc relancé la polémique sur la localisation du siège du Parlement européen à Strasbourg.
Je ne reviendrai pas sur la fragilité juridique de cette nouvelle attaque contre la localisation du Parlement européen dans la capitale alsacienne. Cette question a déjà été développée fort justement par mon collègue Roland Ries, et nous ne pouvons qu’être satisfaits de la saisine par le gouvernement français, rejoint par le gouvernement luxembourgeois, de la Cour de justice de l’Union européenne.
Cependant, l’adoption de ce nouveau calendrier du Parlement européen, par le biais d’un scrutin secret peu habituel pour des questions d’une telle portée symbolique, témoigne des progrès d’une hostilité récurrente à la localisation strasbourgeoise du Parlement européen qui mérite que l’on rappelle avec force la légitimité de Strasbourg.
En fait, Strasbourg bénéficie d’une double légitimité, historique et géographique, pour demeurer la capitale exclusive de l’Europe parlementaire.
La légitimité historique de Strasbourg est incontournable. Mieux que toute autre ville, elle symbolise les douleurs et la force de la réconciliation des nations européennes. C’est ainsi que la première session du Comité des ministres du Conseil de l’Europe et la session inaugurale de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, moments fondateurs de l’Europe unie, se tinrent respectivement à l’hôtel de ville de Strasbourg, le 8 août 1949, et au palais universitaire, le 10 août 1949.
Au fil des ans, la ville s’est imposée comme la capitale européenne des droits de l’homme. Le Conseil de l’Europe, protecteur des droits et des libertés et promoteur de la démocratie à l’échelle du continent européen, y siège depuis 1949 alors que la Cour européenne des droits de l’homme, gardienne des libertés fondamentales de 800 millions d’Européens, a son siège à Strasbourg depuis le 1er novembre 1998.
Dans ce contexte, l’impact sur l’opinion publique, notamment française, d’une concentration des institutions européennes à Bruxelles et d’un effacement programmé du rôle de Strasbourg serait désastreux.
L’Europe est aujourd’hui déterminée à combler le fossé démocratique qui la tient encore trop souvent éloignée de ses peuples. Pour cela, elle a besoin plus que jamais de symboles forts permettant de réconcilier son identité, multiple, et la force de son projet unificateur. Quelle ville autre que Strasbourg peut mieux symboliser les douleurs de l’Histoire et la force de la réconciliation des nations européennes ? De la lutte fratricide à la réconciliation exemplaire des ennemis d’hier, devenus les plus proches partenaires, Strasbourg réunit en un même lieu des traditions européennes diverses sur le terreau d’une amitié franco-allemande devenue motrice pour toute l’Europe. C’est cela la légitimité historique de Strasbourg pour héberger la démocratie européenne. Remettre en cause cette légitimité serait un affront à la mémoire européenne.
Le vote intervenu au Parlement européen le 9 mars dernier porte également un coup dangereux à l’un des fondements symboliques les plus forts de l’Union européenne : la diversité assumée de ses centres et de ses racines.
C’est ainsi que chaque ville européenne s’est construite au fil des ans une image forte auprès des citoyens : à Bruxelles la place de la Commission et de l’exécutif européen, à Luxembourg le siège de la Cour de justice de l’Union européenne et de l’Europe juridique, et à Strasbourg le siège du Parlement européen et de la démocratie européenne.
Concentrer à Bruxelles les institutions européennes reviendrait donc à appauvrir l’Union en la privant de l’une de ses richesses essentielles : la diversité de ses représentations.
L’ambition européenne a toujours été de s’appuyer sur les forces de ses États membres et non sur leur dilution par le biais d’une concentration des institutions européennes en un lieu unique. Cette conception polycentrique reflète une volonté constante de mettre l’Europe au plus près de ses citoyens, et non de l’isoler dans un centre lointain et monolithique. L’extrême soin apporté, parfois au mépris de toute cohérence budgétaire, à répartir harmonieusement les sièges des nombreuses agences et institutions de l’Union sur l’ensemble du territoire européen témoigne de cette volonté de faire toute leur place aux citoyens européens. Remettre en cause cet édifice complexe de la répartition géographique des agences et institutions européennes impliquerait de redoutables marchandages politiques dont l’image de l’Europe sortirait ternie. La multiplicité géographique des implantations des institutions européennes est et doit demeurer l’un des principes cardinaux de la construction européenne.
Le vote intervenu au Parlement européen le 9 mars dernier est le résultat d’une conjonction entre des parlementaires eurosceptiques historiques et des parlementaires européens qui sont gênés dans leur déplacement.
Ce vote doit être entendu. À cet égard, je sais que notre collègue Roland Ries a d’ores et déjà engagé, en partenariat avec l’État et la région Alsace, tous les efforts nécessaires pour renforcer les moyens immobiliers du Parlement européen et l’amélioration des transports en direction de Strasbourg.
Ces efforts doivent être soutenus par une mobilisation politique forte. Je considère, avec les membres du groupe socialiste, que le Sénat participera utilement à cette mobilisation et s’honorera en votant cette proposition de résolution. Strasbourg est la capitale de l’Europe parlementaire où se déroulent les sessions plénières du Parlement européen. La défense de la démocratie européenne ne peut souffrir aucune ambiguïté. (Bravo ! et applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur.
M. Jean-Pierre Sueur. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me suis inscrit dans ce débat par amitié pour Roland Ries. C’est le premier motif de mon intervention, et il est important, mais ce n’est pas le seul.
Je me suis aussi inscrit dans ce débat par conviction pour ce que, à l’instar de Roland Ries, nous défendons tous : une certaine idée de l’Europe, une certaine conception qui est l’Europe du partage, l’Europe polycentrique – comme l’a dit notre collègue maire de Strasbourg –, où les pouvoirs et les institutions ne sont pas centralisés en un même lieu, enfin une Europe de l’histoire parce que le choix de Strasbourg tient à l’histoire.
À cet égard, je voudrais relever à mon tour ce qu’il y a d’insidieux et de subreptice dans la démarche de M. Fox. Tout le monde sait ici, et il n’est pas nécessaire d’avoir fait de longues études de droit pour le comprendre, que seul un traité pourrait défaire ce qui est acté dans un traité.
Par conséquent, cet amendement ne peut pas avoir d’effet, puisque, s’il en avait, cela reviendrait à bafouer le traité qui engage tous ses signataires.
Mme Annie David. Oui !
M. Jean-Pierre Sueur. Il est donc quelque peu insidieux, et même hypocrite, de défaire le traité sans le dire. Ce n’est pas acceptable !
Je note aussi, comme plusieurs de nos collègues, que le vote de cet amendement a été acquis de manière secrète. Or je tiens à souligner que, au sein du Parlement de notre République, que ce soit à l’Assemblée nationale ou au Sénat, nous nous proclamons tous les héritiers de la Révolution française. Or, dans les différentes assemblées qui ont été mises en place pendant la Révolution française, il est un point qui n’a jamais été remis en cause : les votes publics. Pourquoi ? Tout simplement parce que, dans la mesure où nous sommes les représentants de la nation, les représentants des Français, il est normal que ceux-ci puissent savoir, en lisant le Journal officiel ou, beaucoup plus simplement aujourd’hui, en consultant les sites internet des assemblées, quel a été le vote des différents parlementaires, qu’il s’agisse des votes ordinaires ou, a fortiori, de votes plus importants.
C’est pourquoi il existe un vote à main levée et un vote par scrutin public, où chacun engage sa responsabilité. Le vote à bulletin secret est utilisé uniquement lors de l’élection du président du Sénat, qui est un vote sur une personne.
Donc, ce vote secret a quelque chose d’insidieux, parce que c’est une manière de faire passer une disposition contraire au traité sans le dire, et sans que ceux qui votent justifient leur position devant les peuples de l’Europe.
Il est vrai que tout a été dit sur l’initiative d’Ernest Bevin.
Tout a été dit sur le fait que Strasbourg est une ville qui accueille des institutions importantes : je pense à la Cour européenne des droits de l’homme et au Conseil de l’Europe.
Tout a été dit, par Roland Ries, sur les efforts qu’accomplit Strasbourg sous son impulsion et sur ce qui m’est apparu très important, à savoir le travail mené en commun par les maires de Strasbourg, de Bruxelles et de Luxembourg pour porter ensemble une certaine idée européenne dans l’union et non la division, pour créer les infrastructures nécessaires et aller de l’avant : c’est quelque chose de très positif.
J’évoquerai maintenant le protocole n° 6 : « Le Parlement européen a son siège à Strasbourg où se tiennent les douze périodes de sessions plénières mensuelles, y compris la session budgétaire… » C’est le traité : nous défendons tout le traité, rien que le traité, et nous refusons toutes les manœuvres subreptices qui viseraient à le nier.
En conclusion, je rappellerai cette période de l’histoire où l’Alsace et la Lorraine ne faisaient plus partie de la France.
Je rappellerai que le cœur de tous les Français bat quand on parle de Strasbourg, qui a été par excellence la ville de l’unification européenne, la ville de l’esprit européen, la ville de l’espoir européen, et qui est pour moi le cœur battant de l’Europe. C’est pourquoi nous défendons Strasbourg ! (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Henri de Raincourt, ministre auprès du ministre d'État, ministre des affaires étrangères et européennes, chargé de la coopération. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, sur l’initiative de M. Roland Ries, sénateur-maire de Strasbourg, le Sénat est donc invité ce matin à approuver une proposition de résolution relative à la tenue des sessions plénières du Parlement européen à Strasbourg.
La séance de ce matin me prive d’ailleurs de participer au séminaire gouvernemental qui se tient en ce moment même…
M. Roland Ries, auteur de la proposition de résolution. J’en suis désolé !
M. Henri de Raincourt, ministre. Cependant, d’une part, le Gouvernement est à la disposition du Parlement, et je suis heureux d’en faire la démonstration en son nom, et, d’autre part, je n’ai aucun regret, dans la mesure où ce que j’ai entendu depuis plus d’une heure me fait chaud au cœur ; je suppose qu’il en est de même pour chacune et chacun d’entre vous.
J’ai en effet entendu des interventions de grande qualité, d’une profonde authenticité, ayant toutes pour objet de défendre une juste et noble cause. J’ai vu se déployer ce matin beaucoup de talent et de passion, dans le mélange harmonieux du cœur et de la raison.
Je voudrais donc vous dire d’emblée, mesdames, messieurs les sénateurs, que le Gouvernement souscrit pleinement et intégralement aux motivations et aux termes de la proposition qui vous est soumise. J’espère vivement que la Haute Assemblée sera en mesure de lui apporter l’adhésion la plus large possible, peut-être même unanime. Ce serait pour le Gouvernement un soutien de poids, d’une forte portée symbolique et politique.
Il est essentiel en effet – dans cette affaire, nous sommes évidemment tous mobilisés – que, dans sa défense du siège à Strasbourg du Parlement européen, le Gouvernement, à la place qui est la sienne, puisse savoir compter sur l’appui du Parlement français. Je me félicite à cet égard qu’une initiative similaire ait été portée à l’Assemblée nationale, sur le rapport de Christophe Caresche.
Mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi quelques observations même si tout a été dit, et fort bien dit !
Le 9 mars, lors du vote du calendrier des sessions plénières pour 2012-2013, le Parlement européen a donc adopté, dans le cadre d’un vote à bulletin secret – j’ai bien entendu ce qu’a dit à l’instant M. Sueur sur ce sujet –, presque honteusement…
Mme Annie David. On peut le dire !
M. Guy Fischer. Tout à fait !
M. Henri de Raincourt, ministre. … un amendement réduisant chacune des deux sessions plénières d’octobre de quatre à deux jours tout en les regroupant sur une même semaine.
Disons-le clairement : cet amendement est ni plus ni moins, une nouvelle fois, la mise en cause directe de Strasbourg comme ville de siège du Parlement européen ; il est, dans sa motivation, parfaitement inacceptable.
De plus, en droit, en effet, monsieur Sueur, cet amendement est contestable au regard de l’esprit et de la lettre des traités, qui stipulent bien que le Parlement européen a son siège à Strasbourg. Or, nous le savons les uns et les autres, ce qu’un traité a fait, seul un autre traité peut le défaire.
Je pense d’ailleurs que les auteurs de cet amendement le savent fort bien, mais que, tel le Petit Poucet, ils sèment sur le chemin un caillou après l’autre, menant ainsi un combat politique subreptice pour, un jour, parvenir à la décision qu’ils souhaitent.
Eh bien, les choses ne pourront pas se passer de cette façon, parce que le gouvernement français a décidé de contester ce qui a été voté, en portant l’affaire devant la Cour de justice de l’Union européenne. Le recours sera déposé dans les tout prochains jours.
Que l’on ne se méprenne pas : nous respectons bien sûr pleinement le Parlement européen, qui est une institution majeure de l’Union et qui apporte une contribution déterminante au projet européen. Nous sommes les défenseurs de son action et de son développement, qui constitue un progrès pour la démocratie européenne elle-même. Nous ne mettons certainement pas en cause son pouvoir d’organisation interne. Il s’agit en revanche de veiller simplement à ce que ce pouvoir s’exerce dans le cadre et le respect des traités et, au-delà, dans le respect de l’esprit européen. Cet amendement combat en réalité, certains d’entre vous l’ont fort bien relevé, cet état d’esprit européen que nous avons en partage.
Comme vous le savez sans doute, le Grand-duché de Luxembourg – M. Ries l’a dit lui-même –, par la voix de son Premier ministre, Jean-Claude Juncker, a annoncé à la suite d’un entretien avec Laurent Wauquiez, ministre chargé des affaires européennes, son intention de se joindre au recours des autorités françaises. Je rappelle que, dans des circonstances similaires, nos deux pays étaient intervenus ensemble en 1997.
Cet appui des autorités luxembourgeoises est très important, car c’est bien la « trilocalisation » du Parlement européen que nous entendons défendre, dont le principe est énoncé dans le protocole n° 6 annexé aux traités. Je rappelle, mais vous le savez évidemment tous, que le Luxembourg accueille le secrétariat général et les services du Parlement européen.
Oserai-je dire également que, dans le cas d’espèce, nous avons le sentiment, en contestant le vote du 9 mars, de défendre l’efficacité du Parlement européen ?
Qui peut croire en effet que l’institution parlementaire, dont les attributions ont été significativement renforcées par le traité de Lisbonne, serait en mesure d’accomplir l’ensemble des tâches qui lui reviennent à la faveur de deux sessions d’à peine deux jours chacune, regroupées sur une seule semaine, alors même que le débat budgétaire a lieu au cours de l’une des sessions d’octobre ?
Au-delà, c’est aussi une conception particulière du projet européen que nous entendons défendre. Vous avez, mesdames, messieurs les sénateurs, chacun avec vos propres mots, exprimé un même idéal. Soyez assurés que le gouvernement français le partage.
Le siège de Strasbourg porte en effet témoignage de l’histoire et des valeurs dans lesquelles s’inscrit le projet européen. Il est profondément regrettable et potentiellement dangereux de prétendre ignorer cette réalité, voire de la considérer comme dépassée, au risque d’affecter durablement le sentiment d’appartenance et l’adhésion des citoyens au projet européen, à l’heure où il aurait plutôt besoin d’être renforcé. Comment pourrait-on espérer bâtir un avenir européen commun en ignorant l’histoire ? Cela ne ferait qu’affaiblir la perspective européenne que nous avons en partage.
Notre conception de la réalité européenne n’est pas non plus celle d’une concentration des pouvoirs en un lieu unique, mais, bien au contraire, celle de la nécessaire diversité géographique des sièges. À cet égard, je fais pleinement miens les mots de Roland Ries, lorsqu’il relève que « la concentration ne correspond pas aux besoins d’une Union européenne élargie ». D’autres l’ont dit après lui, et je relève également que cette nécessité est bien comprise des groupes parlementaires du Parlement européen, qui organisent régulièrement des journées d’études dans différentes villes de l’Union européenne.
Le Parlement européen irait ainsi tenir des journées d’études, ici ou là, dans les vingt-sept pays membres, mais serait privé à terme de la possibilité de siéger à Strasbourg… Quelle conception surprenante !
Pour l’ensemble de ces raisons, nous continuerons, non seulement de défendre, mais aussi de promouvoir le statut européen de Strasbourg et ses atouts auprès de nos partenaires et des différents acteurs européens.
Comme vous le savez, ce siège fait également l’objet, depuis 1980, d’un contrat triennal conclu entre l’État et les collectivités territoriales alsaciennes, comme l’ont rappelé, entre autres, MM. Ries et Reichardt. Une enveloppe de quelque 245 millions d’euros est mobilisée à ce titre pour la période 2009-2011, à laquelle l’État contribue à hauteur de 117,5 millions d’euros, et la négociation du contrat triennal s’engagera prochainement pour la période 2012-2014.
M. André Reichardt. Très bien !
M. Henri de Raincourt, ministre. Dans ce cadre, la poursuite de l’amélioration de l’attractivité de Strasbourg et, singulièrement, de son accessibilité sera une priorité forte.
Il est tout de même assez paradoxal de vouloir remettre en cause le siège du Parlement européen à Strasbourg alors que l’accès à la métropole alsacienne a été notoirement amélioré, et qu’il le sera encore à l’avenir.
Telles sont les quelques observations que je souhaitais brièvement faire devant vous, mesdames, messieurs les sénateurs, au nom du Gouvernement français.
Pour conclure, je me réjouis que le pouvoir exécutif et le pouvoir législatif défendent ensemble cette noble cause. Il ne s’agit pas de défendre le siège de Strasbourg parce que la ville est française ; il s’agit de défendre la ville française de Strasbourg, qui, au moins autant que d’autres, pour ne pas dire plus, occupe une place singulière dans ce bel idéal de la construction européenne. (Applaudissements.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Nous allons procéder au vote sur la proposition de résolution.
Proposition de résolution
Le Sénat,
Vu l’article 34-1 de la Constitution,
Vu les articles 1er à 6 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution,
Vu le chapitre VIII bis du Règlement du Sénat,
Vu le protocole n° 6 du Traité sur l’Union européenne sur la fixation des sièges des institutions de l’Union européenne,
Vu l’article 135 du règlement du Parlement européen,
Considérant que la légitimité historique et le caractère hautement symbolique qui a fondé le choix de la ville de Strasbourg comme siège du Parlement européen ne peuvent être remis en cause,
Considérant que la conception polycentrique de l’Union européenne traduit la volonté d’un équilibre institutionnel entre les États membres,
Rappelle que, en vertu des traités, « le Parlement européen a son siège à Strasbourg où se tiennent les douze périodes de sessions plénières mensuelles, y compris la session budgétaire »,
Estime que les actions visant à vider de leur contenu les sessions plénières du Parlement européen à Strasbourg vont à l’encontre de ces dispositions des traités,
Demande par conséquent aux institutions européennes et notamment au Conseil d’empêcher toute remise en cause de la tenue des sessions plénières du Parlement européen à Strasbourg.
M. le président. Mes chers collègues, la conférence des présidents a décidé que les interventions des orateurs valaient explication de vote.
Je mets aux voix la proposition de résolution relative à la tenue des sessions plénières du Parlement européen à Strasbourg.
Je constate qu’il n’y a pas de vote contre.
M. le président. Par ce vote, la proposition de résolution est devenue résolution du Sénat. Elle sera communiquée au Gouvernement et publiée, imprimée et distribuée, et sera mise en ligne sur le site du Sénat.
Mes chers collègues, avant d’aborder le point suivant de l’ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux pendant quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix heures vingt, est reprise à onze heures.)
M. le président. La séance est reprise.
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Politique énergétique de la France
Rejet d'une proposition de résolution
M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen de la proposition de résolution relative à la politique énergétique de la France, présentée, en application de l’article 34-1 de la Constitution, par M. Jean-Claude Danglot et les membres du groupe CRC-SPG (proposition n° 397).
La parole est à M. Jean-Claude Danglot, auteur de la proposition de résolution.
M. Jean-Claude Danglot, auteur de la proposition de résolution. Monsieur le président, monsieur le ministre chargé de l’industrie, de l’énergie et de l’économie numérique, mes chers collègues, si les sénateurs du groupe CRC-SPG ont souhaité que leur proposition de résolution relative à la politique énergétique de la France soit examinée par le Sénat en séance publique, c’est notamment parce qu’ils considèrent qu’il est grand temps que soit lancé un véritable débat public sur les questions énergétiques et que les femmes et les hommes politiques assument leur projet énergétique et l’expliquent clairement à la population .
L’accident nucléaire majeur qui est survenu au Japon, et qui touche en premier lieu les populations se trouvant à proximité de la centrale de Fukushima ainsi que les personnels intervenant sur le site, a réveillé les inquiétudes fondées et légitimes de la société civile sur cette source d’énergie.
Cet accident a cristallisé les antagonismes entre les partisans et les opposants au nucléaire. Le Président de la République a rapidement clos les discussions en déclarant deux jours après le drame que, pour la France, il n’était « évidemment pas question de sortir du nucléaire », tandis que d’autres voix, tout aussi intransigeantes, portaient le message d’une sortie immédiate, oubliant malheureusement les contraintes scientifiques et climatologiques qui s’imposent à nous.
Rappelons à ce propos que, pour répondre à l’urgence climatique, il faudra diviser par quatre les émissions de gaz à effet de serre dans les pays de l’OCDE d’ici à 2050.
En l’état actuel des connaissances scientifiques, quelle est la solution alternative à l’arrêt immédiat des centrales ? Les énergies carbonées ? Cela mérite une clarification.
Notre proposition de résolution, vous l’aurez noté, pose les termes d’un débat qui dépasse la seule question du nucléaire. Selon nous, on ne peut prendre de décision en ce domaine sans examiner l’ensemble des problématiques énergétiques. J’ajoute que notre débat ne peut faire l’économie de la question des actions et des politiques à mener au niveau européen et mondial.
Or, jusqu’à présent, les débats raccourcis organisés par le Gouvernement au Sénat, au travers des questions cribles thématiques, un jour sur « l’avenir de la filière photovoltaïque », un autre sur « les problèmes énergétiques », ne nous ont pas permis d’avoir des discussions de fond sur la politique énergétique.
Ils ont cependant mis en exergue les impasses dans lesquelles la droite a conduit la France en faisant le choix de la libéralisation et de l’argent. Cette politique est mauvaise ; elle est incapable d’ouvrir la voie aux investissements énormes qui devraient être réalisés dans le secteur ; elle ignore la recherche ; et elle est source de désorganisation et de fragilisation de l’ensemble du système énergétique.
Ces désordres, qui découlent des contradictions entre les objectifs de rentabilité à travers la spéculation, la rémunération du capital, les marchés spot, la concurrence, ont des conséquences délétères sur l’indépendance énergétique et la sécurité de l’ensemble des installations et des réseaux. Ce sont là autant de vecteurs d’inégalités sociales.
Cependant, si une maîtrise publique du secteur énergétique – tant à l’échelon national et qu’au niveau européen – est nécessaire, elle n’est pas suffisante. Elle doit s’accompagner d’une plus grande transparence et associer étroitement les citoyens et les salariés aux décisions prises, comme aux problèmes rencontrés.
Or la politique de privatisation menée par la droite a été conduite dans le mensonge et le secret.
En 2004, en effet, Nicolas Sarkozy déclare : « Il n’y aura pas de privatisation d’EDF et de Gaz de France, c’est clair, c’est simple et c’est net. » Pourtant, en 2006, la droite vote la privatisation de GDF et, en 2010, elle contraint EDF à engraisser les opérateurs privés…
En 2007, partant du constat selon lequel la France traversait une crise climatique et écologique de grande ampleur, le Président de la République lance le Grenelle de l’environnement avec M. Borloo. C’est ce dernier qui a signé les permis d’exploration en France de gaz de schiste sans la moindre transparence.
François Fillon, quant à lui, a confié à l’Autorité de sûreté nucléaire la réalisation d’une étude sur la sûreté des installations nucléaires au regard des risques d’inondations, de séismes, de pertes d’alimentation électrique et de pertes de refroidissement. Or, quand ma collègue Evelyne Didier a demandé en séance un audit social, aucune réponse ne lui a été apportée !
Vous jurez que le nucléaire restera sous maîtrise publique. Mais l’article 1er de la loi portant nouvelle organisation du marché de l’électricité, la loi NOME, prévoit – et cette disposition a été introduite par la droite sénatoriale – que l’on pourrait envisager « une prise de participation d’opérateurs privés dans les réacteurs nucléaires d’EDF ».
Enfin, vous affirmez haut et fort le principe de transparence en ce qui concerne, notamment, la sûreté dans le domaine nucléaire. Nous vous avons demandé que le rapport Roussely sur la filière industrielle nucléaire soit rendu public ; tout n’est pas classé « secret défense » ! Là encore, refus du Gouvernement !
Ce double langage témoigne de l’incapacité ou, pis, de l’absence de volonté du Gouvernement de répondre aux attentes de nos concitoyens en termes d’accès à l’énergie, de sécurité, d’indépendance énergétique et de préservation de l’environnement.
Pour atteindre ces objectifs, nous devons changer radicalement notre politique énergétique. Les logiques marchandes et financières, qui ont guidé l’action des gouvernants aux niveaux national, européen et mondial, doivent être abandonnées. La perversité du marché, qui entraîne des délocalisations d’industries polluantes et qui multiplie les transports de marchandises par avion et camion, tout cela témoigne, au passage, de la grande illusion de l’écologie libérale.
L’énergie n’est pas une marchandise comme les autres. Elle est vectrice de développement humain, de progrès social. Or, dans le monde, 1,6 milliard de personnes n’ont pas accès à l’électricité. Le tiers des habitants de la planète n’a pas du tout accès aux sources d’énergie modernes et 20 % de la population mondiale consomme 80 % de la production énergétique. Cette situation emporte des conséquences dramatiques sur le niveau des services de santé, d’éducation, de transport, particulièrement pour les populations du Sud.
La politique étrangère en matière énergétique dans le contexte de raréfaction des ressources énergétiques doit être orientée vers la coopération et la solidarité, non vers l’exploitation et la guerre.
La précarité énergétique est un fléau qui progresse également en Europe et en France. Comme vous le savez, grâce à votre Observatoire de la précarité énergétique, et comme le vivent 3,5 millions de personnes au quotidien, ces foyers consacrent 10 % à 15 % de leurs ressources aux factures de gaz et d’électricité, soit une deux fois et demie plus importante que celle qu’y consacrent les ménages les plus riches. Et combien de personnes renoncent à se chauffer, faute d’avoir les moyens de payer leur facture ?
Depuis 2009, en pleine crise économique, le Gouvernement a également abandonné les ménages aux revenus modestes en supprimant la prime à la cuve. Cette prime les aidait à payer une facture dont le prix a augmenté de 61 % entre octobre 1999 et octobre 2009, soit près de 5 % par an. Votre argument : le prix du fioul a baissé ! Depuis, les prix ont flambé, mais la prime n’a pas été rétablie… La contribution des compagnies pétrolières que vous avez annoncée est une goutte d’eau dans l’océan des difficultés financières des ménages.
Alors que les bénéfices de Total continuent d’augmenter ses – le groupe a réalisé un bénéfice net de 3,1 milliards d’euros au premier trimestre de 2011 –, vous laissez le groupe fermer des sites de raffinage stratégiques pour l’indépendance énergétique du pays et vous jetez des centaines de salariés à la rue !
Depuis le début de la libéralisation du secteur de l’énergie, les tarifs du gaz et de l’électricité ont également augmenté de façon spectaculaire. Cela s’accompagne, bien entendu, d’une augmentation des coupures de gaz et d’électricité chez les particuliers, coupures que les tarifs sociaux ne parviennent pas à endiguer.
La politique économique et sociale du Gouvernement aggrave la détresse des foyers. Le chômage, la baisse du pouvoir d’achat, le faible niveau des retraites, la vétusté des logements et des installations ont plongé une partie de la population dans une véritable misère sociale.
Là où devrait s’imposer une réflexion sur une politique tarifaire solidaire et de long terme, c’est la déréglementation, la concurrence au profit de la hausse des prix qui s’organisent. Pour le gaz, les tarifs ont augmenté de 5,2 % le 1er avril 2011, ce qui porte l’augmentation à plus de 20 % en un an et à plus de 61 % depuis 2005. Au titre de 2010, GDF-Suez a réalisé 4,6 milliards d’euros de bénéfices.
Ces augmentations ont été cautionnées par le Gouvernement puisqu’il s’est complètement désengagé de la fixation des tarifs du gaz. En effet, le décret du 18 décembre 2009 met en place une seule révision annuelle et prévoit, entre deux décrets, que l’entreprise peut modifier ses tarifs sur sa seule initiative, en demandant simplement l’avis la Commission de régulation de l’énergie. L’article 13 de la loi NOME organise pour 2015 un dispositif similaire pour les tarifs de l’électricité.
Vous avez annoncé, monsieur le ministre, vouloir réviser la formule tarifaire du gaz. Est-ce encore d’actualité ? Si c’est le cas, il serait judicieux de ne plus faire payer aux consommateurs le déficit de la marge commerciale, inventé de toutes pièces par la direction commerciale : vous le savez fort bien, il n’y a jamais eu de vente à perte sur l’ensemble de la chaîne, depuis l’approvisionnement jusqu’à la vente ; il s’agit simplement d’un transfert de marge interne au détriment de la branche commerciale de GDF-Suez.
L’opacité dans la formation des tarifs n’est pas acceptable. Nous demandons qu’une commission composée d’élus, de salariés et d’usagers soit associée à l’État pour définir des mesures de régulation dans la fixation des tarifs réglementés. Il est également nécessaire de revenir à la notion de coûts réels comptables, qui permettrait aux usagers de bénéficier de l’optimisation des approvisionnements.
En ce qui concerne l’électricité, votre ministère a annoncé une « légère hausse » des tarifs pour cet été. L’entreprise aurait demandé « de 28 % à 37 % » d’ici à 2015. Alors, de quoi se plaint-on ? D’ailleurs, selon la Commission européenne, le prix de l’électricité, qui a déjà augmenté de 6,4 % depuis un an, serait trop bas dans notre pays…
La recherche de la rentabilité au profit de l’actionnariat public ou privé, qui pèse lourdement sur les consommateurs, a également des conséquences sur la réduction des investissements nécessaires à la maintenance et à la sûreté des installations, des réseaux de transport et de distribution électriques.
À ce titre, la loi NOME, adoptée par la majorité, est un véritable gâchis du patrimoine énergétique de la France. Elle est absurde et injuste. En effet, elle constitue une véritable aide de l’État au privé, au détriment des investissements de l’entreprise publique, lesquels ont été payés, faut-il le rappeler, par les usagers.
Cette loi oblige EDF à revendre une partie de sa production nucléaire et lui permet de reporter la mise en œuvre du plan de constitution des actifs dédiés au démantèlement des installations nucléaires. Il semblerait que le drame de Fukushima ait joué en faveur du tarif de rachat proposé par M. Proglio, le Gouvernement prenant subitement conscience des dépenses que devra couvrir l’entreprise pour assurer la maintenance de ses installations nucléaires.
Pour notre part, nous avons demandé le retrait pur et simple de cette réglementation. La production énergétique, en particulier celle qui est d’origine nucléaire, ne doit pas être laissée entre les mains d’opérateurs privés. Or la loi NOME ouvre cette voie, notamment en donnant aux opérateurs privés l’obligation d’investir dans des moyens de production d’énergie. Pourtant, le nucléaire reste la principale source de production énergétique.
Pour ce qui concerne la filière nucléaire, nous demandons que la production des pièces ne soit pas sous-traitée. Je rappelle que le groupe AREVA a déjà reçu des mises en garde de l’Autorité de sûreté nucléaire, l’ASN. En effet, le contrôle de l’ASN « a mis en évidence un écart dans la conformité de la réalisation d’essais mécaniques permettant de vérifier la qualité des pièces fabriquées ».
Si le Gouvernement souhaite réellement plus de transparence dans ce secteur, qu’il arrête de mettre en concurrence l’opérateur AREVA, le CEA – Commissariat à l’énergie atomique et aux énergies alternatives – et EDF. S’il veut améliorer la sûreté, pourquoi avoir tenté d’instaurer une redevance pour financer l’IRSN, l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire ?
Grâce à la résistance des salariés, la solution alternative votée dans la loi de finances est un moindre mal. En effet, contrairement à ce qui était prévu pour la redevance, la contribution sera payée non pas pour chaque dossier, mais correspondra à un forfait annuel. Surtout, elle sera versée au Trésor public et non pas directement à l’IRSN.
En matière de sûreté et de sécurité de toutes les installations et de tous les réseaux énergétiques, notamment du secteur nucléaire, il est absolument nécessaire de garantir de hautes conditions salariales, ainsi qu’une formation poussée, qui passe en partie par le retour d’expérience. Le management privé, les petites économies faites sur le personnel, la sous-traitance doivent être prohibés.
En occultant le problème de la sous-traitance, une manière pour les donneurs d’ordres d’externaliser 80 % des risques professionnels, en particulier les doses de radioactivité et les dégâts sociaux, le Gouvernement et les entreprises refusent d’aborder le véritable débat : celui d’une gestion uniquement tournée vers l’argent. Des positions claires doivent être prises pour garantir l’aspect social de la sûreté. II faut en revenir, en dépit du troisième paquet énergétique, qui reste un choix purement idéologique, au modèle de l’entreprise intégrée.
Les exigences sociales appellent une maîtrise publique, et, en cela, elles rejoignent les impératifs environnementaux et climatologiques.
En effet, le réchauffement climatique dû aux émissions de gaz à effet de serre, la raréfaction des ressources fossiles, la spéculation qu’elle engendre et la nécessité de sortir des énergies carbonées contraignent les États à abandonner toute libéralisation du secteur énergétique. Les objectifs de rentabilité et les logiques marchandes ne sont pas conciliables avec les objectifs de préservation de l’environnement. Les États se sont d’ailleurs engagés aux niveaux mondial et européen à réduire les émissions de gaz à effet de serre.
Des efforts doivent être consentis, nous en sommes d’accord, en faveur des économies d’énergie et du développement des énergies renouvelables. Cependant, la politique du Gouvernement en la matière de même que les dispositions du Grenelle restent anecdotiques et ne tiennent pas compte de la réalité, notamment en ce qui concerne la vétusté de certains logements et la pauvreté des personnes qui y habitent.
Pour ce qui est des énergies renouvelables, le rôle de l’État est fondamental. Le fiasco du photovoltaïque est emblématique d’un État incapable de conduire une telle politique énergétique et industrielle cohérente, complémentaire à l’échelle de l’ensemble de son territoire. Vous le savez, mes chers collègues, les énergies renouvelables sont contraignantes dans le sens où elles doivent être associées à d’autres sources d’énergie.
De plus, l’État doit définir une politique industrielle de la formation professionnelle au traitement des déchets produits par ces types d’énergie. On est donc loin du compte !
Le Gouvernement a été pris à son propre piège en faisant reposer les énergies renouvelables sur l’initiative privée anarchique, l’incitation fiscale et le crédit d’impôt. En confiant la production d’électricité d’origine hydraulique à des intérêts privés, vous avez également fragilisé la stabilité du système électrique. En effet, dès lors que l’énergie hydraulique de pointe sera entre les mains d’industriels ou de traders, l’État perdra une grande partie de ses capacités d’action en ce domaine.
M. Guy Fischer. Tout à fait !
M. Jean-Claude Danglot, auteur de la proposition de résolution. Ensuite, il est indispensable d’engager un effort massif en faveur de la recherche et du développement des énergies renouvelables englobant la question du traitement des déchets produits parfois à moyen terme, comme pour les panneaux photovoltaïques.
Mme Annie David. Exactement !
M. Jean-Claude Danglot, auteur de la proposition de résolution. Les moyens dédiés à la recherche fondamentale doivent être renforcés. Le recul des moyens financiers et humains dévolus au CEA nous conduit à nous interroger sur ce que désire réellement le Gouvernement. Il reste à accomplir des progrès immenses dans la recherche ; je pense notamment au stockage de l’électricité à grande échelle.
Enfin, le marché libéralisé au niveau européen entre en opposition avec la garantie de la sécurité d’approvisionnement électrique.
En effet, comme le notait notre collègue Michel Billout, soutenu par l’ensemble de ses co-rapporteurs, dans le rapport d’information sur la sécurité d’approvisionnement électrique de la France et les moyens de la préserver, déposé le 27 juin 2007, « ce choix, qui a considérablement bouleversé les conditions d’exercice du métier d’électricien et remis en cause des logiques d’organisation parfois vieilles de cinquante années, n’a pas été assorti d’une véritable réflexion sur la spécificité du système électrique et sur la notion de sécurité d’approvisionnement ».
La grande panne qui avait privé d’électricité dix millions d’Européens, en 2006, n’appartient pas au passé ; il est temps d’en tirer les enseignements.
Au-delà du volet « sûreté » de la politique énergétique, qui est un point central, il est nécessaire de revoir l’ensemble de la conception de cette politique. L’accès à l’énergie pour tous, la nécessité d’un prix de l’énergie régulé, la lutte contre la précarité énergétique, la place des énergies renouvelables et la redéfinition du mix énergétique, les économies d’énergie, la recherche, l’indépendance et la sécurité énergétique, le traitement des déchets résultant de la production énergétique représentent des enjeux incompatibles avec les appétits de la finance et des opérateurs privés.
Les États doivent redéfinir des coopérations et des accords sur le long terme, afin de sécuriser les échanges, de lutter contre les spéculations et de mettre en œuvre des stratégies cohérentes, complémentaires et solidaires à des échelons supranationaux. La maîtrise publique du secteur énergétique, accompagnée de sa démocratisation sociale, est la seule voie possible. Elle s’impose au Gouvernement s’il veut respecter les engagements qu’il a pris envers nos concitoyens, que ce soit en termes de pouvoir d’achat ou de sûreté.
Monsieur le ministre, l’État doit reprendre la place qui est la sienne dans un secteur aussi stratégique. Notre projet est d’avoir une politique énergétique publique au service de l’intérêt général et dans le respect des exigences environnementales, une politique qui favorise les coopérations et la solidarité entre les États, une politique qui encourage la recherche fondamentale et qui définisse des exigences sociales fortes pour les travailleurs du secteur. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Mireille Schurch.
Mme Mireille Schurch. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, mon ami Jean-Claude Danglot ayant présenté la question des problèmes énergétiques dans leur ensemble, j’interviendrai, pour ma part, plus précisément sur celle de la sécurité nucléaire.
Celle-ci doit être garantie au regard des risques naturels, mais elle doit aussi intégrer les aspects techniques et la dimension sociale et humaine. Ce point a d’ailleurs fait l’objet d’une question crible thématique de ma collègue Évelyne Didier en avril dernier, question hélas restée sans réponse.
Les sénateurs de mon groupe et moi-même sommes très attachés à l’aspect social et organisationnel de la sûreté nucléaire, c'est-à-dire aux collectifs de travail, aux habitudes de coopération et à la transmission des savoirs, qui sont les fondements de la culture de la sûreté dans une entreprise.
S’agissant, tout d’abord, des savoir-faire, s’il est un secteur qui nécessite une main-d’œuvre hautement qualifiée et très compétente, c’est bien l’industrie nucléaire, car, de l’exploitation aux contrôles de sûreté, aucune défaillance n’est concevable. Les qualifications, l’expérience et la compétence des opérateurs à tous les niveaux sont tout aussi essentielles.
Comme le souligne, l’OCDE, « la disparition de spécialistes expérimentés et compétents préoccupe de plus en plus les autorités de sûreté et l’industrie nucléaire ». Il est indispensable de disposer d’un personnel de maintenance compétent pour prévenir les incidents dus à des défaillances ou des dysfonctionnements. Or la formation à la maintenance a été plutôt négligée et le besoin d’amélioration est généralement reconnu. On compte actuellement, en France, 300 diplômés de niveau bac+5 dans cette filière, alors que les besoins sont estimés à 1 200 par an.
De plus, si l’accent a été mis sur le renforcement de l’attractivité des métiers de haut niveau, on reste muet sur la formation des ouvriers chargés de la maintenance des sites et la perte progressive de leur savoir-faire face aux restructurations et à la nouvelle culture managériale d’EDF.
Les salariés de la centrale nucléaire du Blayais ont rappelé à plusieurs reprises le risque de voir se perdre les savoir-faire des agents, dont une grande partie a atteint l’âge de cinquante ans, alors que, dans le même temps, « on demande aux nouveaux de surveiller des travaux qu’ils n’ont jamais effectués ». Et les salariés d’expliquer encore : « Dans les dix années à venir, on va perdre tous les bâtisseurs de la centrale, ceux qui ont vécu le démarrage de la centrale. » Ce mouvement est renforcé par la politique de remplacement d’un salarié sur trois partant à la retraite.
De plus, dès 2004, l’OCDE a lancé l’alerte sur les risques du recours à la sous-traitance pour la maintenance des sites, soulignant que ces salariés avaient souvent « une expertise et une expérience limitées et n’avaient pas toujours une compréhension globale de la sûreté des centrales sur lesquelles ils interviennent ».
En France, par exemple, on dénombre quelque 600 sous-traitants intervenant dans 58 centrales nucléaires, avec un chiffre d’affaires de 800 millions d’euros par an. Le volume de maintenance sous-traitée est passé, en cinq ans, de 20 % à 80 %. Il arrive même que des sous-traitants confient leurs tâches à d’autres sous-traitants !
Les témoignages alarmants ne manquent pourtant pas. Ainsi, Le Monde diplomatique nous rapporte les propos de salariés d’EDF : « Les conditions de cette externalisation se traduisent par une montée des accidents parmi les salariés de cette sous-traitance. Beaucoup de ses salariés ont été affectés à ces activités sans formation et, pour la plupart, sans connaissance des règles de sécurité fondamentales inscrites dans le recueil des prescriptions au personnel. » Ils sont en outre soumis à de fortes pressions en termes de temps d’intervention.
Le moment est venu de mettre un terme à cette logique d’externalisation des risques, à cette course au moins-disant social ! Et je ne fais qu’évoquer la sous-traitance en Chine d’une partie de la fabrication des matériels nucléaires, comme les générateurs de vapeur ou les cuves, qui met à mal non seulement le principe de sécurité, mais aussi la politique industrielle de la France.
J’en viens maintenant à la question de la nécessité d’un audit social.
Nicolas Sarkozy a dû se résoudre, il y a quelques jours, à demander un audit financier portant sur toute la filière à la Cour des comptes, un audit qui intégrera les coûts des futurs renouvellements et le démantèlement des centrales, lesquels ne sont pas, pour l’instant, pris en compte. Nous nous en réjouissons, mais nous pensons qu’il est impératif d’intégrer la dimension sociale à cet audit.
En effet, établissement public transformé en société anonyme en 2004 et coté en bourse, ce « service public » doit désormais rémunérer ses actionnaires. Cependant, comme le rappelle M. Michel Lallier, représentant CGT, « la sûreté nucléaire a reposé durant des décennies sur un cadre social bien défini pour un personnel qualifié, par la vigilance et le travail de ce personnel et par la cohérence humaine de ce collectif de travail ». Il ajoute : « Or la dérégulation du marché de l’électricité, puis la privatisation partielle d’EDF avec sa course aux économies mettent à mal depuis les années 1990 tout cet édifice. »
C’est pourquoi un audit général des installations nucléaires doit intégrer les conditions d’exploitation en lien avec les conditions de travail des salariés et les activités confiées à la sous-traitance.
Durant de nombreuses années, les salariés d’EDF ont tiré la sonnette d’alarme sur leurs conditions de travail, sur l’accélération des rythmes, dénoncé les ravages du nouveau management sur la santé psychologique des personnels, la dévalorisation et le cloisonnement des métiers, mais tout cela est resté sans écho.
Enfin, nous pensons que le débat sur la sécurité nucléaire est inséparable du débat sur le démantèlement du service public de l’électricité et des grands services publics en réseaux.
Ainsi que Jean-Claude Danglot l’a très bien expliqué, il ne faut pas se leurrer : les impératifs de rentabilité, la charge de travail accrue, le recours massif à la sous-traitance et la situation des salariés qui n’est pas favorable à une sûreté optimale des centrales françaises sont les maux d’une politique d’ouverture à la concurrence et de privatisation partielle de l’opérateur historique.
L’acceptation démocratique du nucléaire repose sur le contrat moral passé entre les Français et le Conseil national de la Résistance. Une remise en cause du risque zéro en faveur du risque calculé est inacceptable.
C’est pourquoi nous souhaitons la tenue d’un grand débat public national sur l’organisation et l’utilisation du nucléaire dans des conditions de sécurité, de sûreté et de transparence qui garantissent l’accessibilité de tous à l’énergie.
Pour notre part, nous pensons que seul un grand service public national de l’énergie est en mesure de répondre à ces exigences ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et sur certaines travées du RDSE.)
M. Guy Fischer. C’était clair et précis !
M. le président. La parole est à M. René Beaumont.
M. René Beaumont. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de résolution relative à la politique énergétique de la France présentée par M. Danglot et plusieurs de ses collègues nous donne l’occasion d’évoquer aujourd’hui certaines questions que se posent les Français, notamment au sujet du nucléaire. Nous serons très attentifs aux éclaircissements que vous nous apporterez, monsieur le ministre, et je me félicite de votre présence au banc du Gouvernement.
Vous l’avez compris, j’évoquerai principalement la question du nucléaire.
L’industrie nucléaire française, après cinquante-cinq ans d’activité, est la plus surveillée au monde. Cela dit, la catastrophe japonaise nous oblige à toujours plus de sûreté, à toujours plus de rigueur, ce qui passe impérativement par une autorité nucléaire forte, totalement indépendante et intraitable.
Le Japon a été victime d’une catastrophe qui était d’origine non pas nucléaire, mais bien sismique, et qui a induit un drame humanitaire. La catastrophe de Fukushima a touché de vieux réacteurs, puisqu’ils sont âgés d’une quarantaine d’années. Elle amène forcément à s’interroger à la fois sur le risque sismique et sur le vieillissement des centrales françaises de Fessenheim, du Bugey, de Saint-Alban, de Cruas et du Tricastin, situées en zones sismiques.
M. Jean-Jacques Mirassou. Ce n’est pas rassurant !
M. René Beaumont. Toutefois, ce risque sismique a été étudié dès le départ, en prenant en compte les spécificités de chaque site. Une marge de sécurité appropriée a été ajoutée au risque maximal historiquement vraisemblable.
Notons qu’il n’existe pas, à ce jour, de zone à force sismicité en France. Certes, des tremblements de terre se produisent sur notre territoire, mais ils sont peu nombreux et de très faible magnitude. Par ailleurs, le risque d’un tsunami pouvant menacer nos centrales nucléaires est quasi nul.
Cependant, il ne faut rien négliger, et surtout pas les risques que peuvent engendrer les tempêtes, notamment sur le littoral. Souvenons-nous de celle de décembre 1999 en Gironde. La conjonction de la fameuse tempête du siècle avec une très grande marée a provoqué, à la centrale du Blayais, des inondations qui ont été aggravées par la non-réalisation par EDF des travaux de rehausse de la digue et de remise en état demandés par l’Autorité de sûreté nucléaire, laquelle, je tiens à le rappeler, est une autorité administrative indépendante chargée depuis 2006 de contrôler les activités nucléaires civiles en France.
Le vieillissement des centrales est une autre question. Les réacteurs français les plus anciens, comme ceux des centrales de Fessenheim, de Golfech et du Triscastin, ont plus de trente ans. Tous les dix ans, l’Autorité de sûreté nucléaire impose une visite extrêmement fouillée ; c’est l’occasion d’une remise à niveau de la sûreté.
Vieillissement ou non, la plupart du temps, l’accident survient là où on ne l’attend pas : il y a des possibilités de défaillance matérielle et, malheureusement, d’erreur humaine. Souvenons-nous de Tchernobyl !
Par conséquent, monsieur le ministre, je vous serais reconnaissant de bien vouloir nous donner des précisions sur l’audit, actuellement en cours, des centrales nucléaires françaises existantes, notamment des plus anciennes, comme celle de Fessenheim. Peut-on considérer cette dernière comme dangereuse ? Quelles décisions comptez-vous prendre quant à son avenir ?
Par ailleurs, l’Autorité de sûreté nucléaire pourrait, dit-on, envisager de suspendre la construction du réacteur EPR de Flamanville 3, qui est fourni par AREVA et qui doit être exploité par EDF, en réaction à la crise nucléaire japonaise. Qu’en est-il ? Et quid du futur EPR de Penly, en Seine-Maritime ? Ce site n’a pas encore été mis en chantier. Toutefois, l’entrée en service du réacteur de Penly, qui doit également être exploité par EDF, est attendue pour 2017. L’hypothèse d’un éventuel moratoire est-elle concevable pour ces futurs projets ?
Quoi qu'il en soit, cela ne doit pas engendrer de retards sur les projets en cours, car l’arrêt des chantiers serait fort dommageable, non seulement pour les territoires concernés, mais également pour le pays tout entier. L’émotion suscitée par le drame du Japon ne doit pas nous faire prendre des décisions qui ne sont pas forcément appropriées, surtout si elles devaient laisser penser que l’ensemble de nos centrales ne sont pas suffisamment contrôlées ni sécurisées, ce qui n’est absolument pas le cas.
Enfin, qu’en est-il du projet de construction du réacteur EPR sur le site du Tricastin, dans la Drôme ? Observons que ce site abrite déjà une centrale comportant quatre réacteurs et l’usine d’enrichissement d’uranium Eurodif. Est-il possible d’y ajouter un EPR sous la responsabilité d’un autre opérateur électricien français ? Les ressources en eau, plus particulièrement l’été, seront-elles suffisantes ? Faut-il limiter la taille des centrales ? En tout cas, il faudra raison garder sur cette question que, pour être élu local de cette région, vous connaissez mieux que personne, monsieur le ministre et maire de Donzère.
Chaque Français doit savoir que, grâce à l’énergie nucléaire, il paie l’électricité 40 % moins cher que partout dans le monde. Sans le nucléaire, il faudrait utiliser le charbon, le gaz ou le pétrole, tous grands émetteurs de CO2 dans l’atmosphère, avec une facture énergétique qui serait de plus de 200 milliards d’euros par an.
Les énergies renouvelables ont toute leur place, mais elles ne pourront offrir que des solutions partielles. Dans vingt ans, elles ne représenteront au mieux 15 % à 20 % des dépenses d’énergie actuelles. C’est la raison pour laquelle l’avenir du nucléaire ne peut être remis en cause.
Toutefois, tirant les leçons de Fukushima, nous devons être toujours plus rigoureux sur le choix des sites, des matériels et aussi des hommes, et pousser la sûreté des centrales toujours plus loin.
En tant qu’élu de la Bourgogne, permettez-moi de vous interroger également sur le pôle nucléaire bourguignon et, à l’intérieur de celui-ci, sur une disposition qui est à mes yeux essentielle pour l’avenir : la création d’une formation très pointue sur le démantèlement des centrales dans le monde entier. Elle est d’autant plus nécessaire que nombre de centrales sont déjà arrivées en fin de vie ou sont sur le point d’y arriver. Or, à ce jour, nous n’avons aucune technique assurée ni aucune démarche arrêtée pour démanteler des centrales.
Enfin, la filière nucléaire française, reconnue comme l’une des plus sûres du monde, doit, dans sa structure, demeurer composite et très complémentaire, en particulier en conservant le couple AREVA-EDF tel qu’il est actuellement constitué, et dont j’ai pu récemment constater la parfaite efficacité sur le chantier du premier EPR chinois à Taishan.
Il convient de ne pas céder aux prétentions monopolistiques de certains au détriment des intérêts de toute l’ingénierie française, laquelle doit pouvoir concourir et s’investir dans tous les projets du monde, quel que soit le distributeur électrique concerné. Monsieur le ministre, je vous remercie par avance de toutes les précisions que vous ne manquerez pas de nous apporter aussi sur ce sujet.
Vous l’avez compris, mes chers collègues, le groupe UMP votera contre la proposition de résolution qui est présentée par le groupe CRC-SPG et qui va à l’encontre de la politique énergétique de la France mise en œuvre par le gouvernement que nous soutenons. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Marcel Deneux.
M. Marcel Deneux. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le thème de la proposition de résolution de notre collègue Jean Claude Danglot, relative à la politique énergétique de la France, est loin d’être dépourvu d’intérêt. En effet, il est important de nous interroger sur les choix de la France en matière de politique énergétique, notamment nucléaire, à l’heure où nous avons un peu plus de recul par rapport aux événements qui se sont déroulés au Japon.
La catastrophe de Fukushima a amené la France, pourtant « championne du nucléaire », à entreprendre un audit sur la sûreté des installations nucléaires face à des risques, particulièrement redoutables lorsqu’ils se cumulent, tels que les séismes, les inondations, la perte d’alimentation électrique et l’arrêt du refroidissement.
Plusieurs audits sont en cours ; nous y participons et nous en attendons les résultats. Monsieur le ministre, je souhaite une vraie transparence et une communication sans réserve.
Quels enseignements tirer aujourd’hui de ce choix énergétique ? La filière nucléaire française est très fiable. Elle joue un rôle essentiel dans la sécurité de l’approvisionnement électrique de la France. Gardons-nous donc, en France, de tout catastrophisme, même si nous avons tous été émus et troublés par ces événements, car il est maintenant avéré que « les centrales ont résisté au tremblement de terre, mais c’est dans la chaîne de décisions pour gérer la perte du refroidissement qu’il y a eu des difficultés ; l’organisation n’était pas robuste. »
En France, les risques sismiques, la culture dans la chaîne de décisions et la répartition du capital de l’exploitant ne sont pas les mêmes que pour la centrale de Fukushima. C’est pour ces raisons que les appels à fermeture des centrales que j’ai entendus, et qui ont même été votés par certains conseils municipaux, me semblent peu raisonnables.
L’âge des installations n’est pas forcément le critère le plus pertinent. Si l’on examine les incidents survenus dans les 143 réacteurs en service en Europe, on constate beaucoup d’incidents au cours des cinq premières années et un régime de croisière plus rassurant ensuite. L’amélioration en continu, qui est dans les gènes d’EDF, contribue largement au maintien en parfait état de toutes nos centrales.
Je crois que, en matière nucléaire – je ne parle pas là de l’énergie en général –, il ne faut pas faire primer la logique économique sur la logique sécuritaire. En revanche, il ne faut pas non plus ignorer ni évincer cette logique économique. Il faut articuler les deux. Là est le secret d’une politique énergétique pérenne, rentable, sûre et accessible pour chacun.
Aujourd’hui, c’est le cas : l’accessibilité est assurée par les tarifs sociaux du gaz et de l’électricité. En revanche, du point de vue de la gouvernance, je regrette que la puissance publique ne semble pas toujours suffisamment jouer son rôle d’actionnaire dans les conseils d’administration où elle est représentée. Pourtant, l’État est garant de l’équilibre entre logique économique et ordre public attaché au fonctionnement de ces entreprises.
Concernant la dimension internationale de la question énergétique, notamment nucléaire, on peut se féliciter que ce sujet soit mis à l’ordre du jour du sommet du G8 des 26 et 27 mai à Deauville et, le 8 juin, d’une réunion des autorités de sûreté des pays du G20 dotés du nucléaire civil.
Enfin, si l’énergie nucléaire est une chance pour la France, ce n’est pas pour autant une énergie renouvelable. Notre indépendance énergétique n’est donc que relative.
Nous avons un besoin absolu de la filière nucléaire pour de nombreuses années. Il n’y a donc pas lieu de nous précipiter, mais engageons une réflexion sur ce que certains ont appelé la sortie progressive du « tout nucléaire », quoiqu’il faille plutôt, notre mix énergétique comportant déjà 20% de non-nucléaire, parler de « diminution de la part du nucléaire ».
Il importe de ne pas limiter la politique énergétique de la France à la seule question du nucléaire. Au contraire, nous devons nous donner les moyens de développer des filières structurées et solides dans le secteur des énergies renouvelables et accroître nos efforts de sobriété énergétique, dans la droite ligne des engagements du Grenelle de l’environnement et par anticipation du relèvement des objectifs de l’Union européenne en la matière, que le Président de la République a su faire adopter par nos partenaires durant la présidence française, en décembre 2008. Nous avons là, monsieur le ministre, un devoir d’exemplarité.
Or, dans ce domaine, l’État n’a pas toujours été bon. Je pense notamment au fiasco de la gestion du photovoltaïque par l’État, dont les mesures d’appui à la filière se sont réduites brusquement. Au demeurant, n’ayant pas toujours été bien expliquées, elles ont parfois été mal comprises par les utilisateurs. De la même manière que pour l’énergie éolienne, l’État a privilégié les aides directes aux installations plutôt que le financement de la recherche, qui aurait permis de promouvoir un made in France performant en la matière. De ce fait, l’État n’a pas réussi à structurer la filière.
Toujours en ce qui concerne les énergies renouvelables, je constate que la géothermie, une filière qui me paraît prometteuse, ne reçoit pas, en métropole, la considération qu’elle mérite.
Le rapport entre l’argent public investi et la consolidation structurelle de ces filières « vertes » n’est donc pas satisfaisant. Mon collègue Claude Biwer l’ayant récemment souligné lors du débat sur la désindustrialisation, je n’y reviendrai pas.
Cependant, il est encore temps d’agir et je ne peux qu’espérer que le Gouvernement conduira une politique raisonnable, stable et structurée dans les filières des énergies renouvelables où cela reste possible : l’éolien off shore, la méthanisation ou encore le solaire.
Si je partage certaines des préoccupations énoncées dans l’exposé des motifs de la présente proposition de résolution, je ne partage pas nécessairement ce qui les justifie ni les conclusions que nos collègues en tirent.
Par exemple, le groupe de l’Union centriste ne souscrit pas à l’éradication de la logique marchande du secteur de l’énergie.
Mme Annie David. C’est bien dommage !
M. Marcel Deneux. Elle est en effet nécessaire pour assurer la rentabilité des investissements dans ces secteurs et, à l’heure où les caisses de l’État sont vides, il faut pouvoir faire appel au marché des capitaux. (Exclamations sur les travées du groupe CRC-SPG.)
Pour autant, cette logique marchande ne doit pas gouverner notre politique énergétique.
M. Jean-Jacques Mirassou. C’est la meilleure, celle-là !
M. Marcel Deneux. Les principes du service public, et notamment celui de l’égalité d’accès, appliqués d’ailleurs par des entreprises tant privées que publiques, doivent conserver toute leur place dans un domaine aussi stratégique que celui de l’énergie.
De même, nous ne souscrivons pas à l’analyse selon laquelle la loi NOME est responsable de la hausse des prix de l’énergie. C’est la prise de conscience trop tardive de la sous-évaluation grave, pendant des années, des tarifs de l’électricité qui nécessite un jour ou l’autre le rehaussement de ces tarifs. Les gouvernements passés en sont, avec la bienveillance d’EDF, en partie responsables, car ils ont sans cesse repoussé la hausse des tarifs, pour des raisons certainement électoralistes.
Il faut dire aux Français que nous sommes entrés pour longtemps dans un cycle de prix élevés de l’énergie. Tout gaspillage d’énergie est une dépense inutile qui nuit au pouvoir d’achat des consommateurs.
De surcroît, nous ne faisons pas nôtre l’allégation selon laquelle les objectifs de rentabilité et les logiques marchandes ne sont pas conciliables avec les objectifs de préservation de l’environnement : la puissance publique, nationale ou communautaire, fixe un cadre de normes environnementales, à l’intérieur duquel les entreprises inscrivent leur logique marchande. Les deux principes ne sont pas exclusifs l’un de l’autre, mais ils doivent être bien articulés.
Rappelons enfin qu’une entreprise peut être publique et bien gérée,…
M. Daniel Raoul. Ce n’est pas interdit !
M. Marcel Deneux. … et qu’il n’est pas question aujourd’hui de privatisations.
Pour ces raisons, les membres de notre groupe voteront contre la proposition de résolution, tout en restant vigilants sur les travaux parlementaires à venir – s'agissant notamment du gaz de schiste –, au cours desquels ils feront entendre une voix prônant l’équilibre entre les dimensions économique, sociale et environnementale des choix énergétiques de la France d’aujourd’hui et de demain.
Dans le système économique et social qui est le nôtre, il n’est pas de développement global sans consommation d’énergie. Mais ne nous égarons pas : si l’on exclut la production d’électricité, qui est un peu l’arbre qui cache la forêt, notre mix énergétique est bien trop carboné, et il le demeurera encore longtemps.
Pour l’améliorer, et cela est nécessaire, il nous faudra utiliser toutes les technologies disponibles aujourd’hui : compteurs intelligents, biocarburants au-delà de la première génération, stockage d’électricité, piégeage de CO2 et bien d’autres qui font actuellement l’objet de recherches, notamment pour mieux comprendre le cycle du carbone.
La France a des atouts à faire valoir, des textes à appliquer, des filières industrielles et des chercheurs à encourager. Il y a de quoi faire, monsieur le ministre ! Mais c’est sans doute pour cela que votre ministère a compétence sur l’énergie. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Raoul.
M. Daniel Raoul. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat sur la proposition de résolution déposée par le groupe CRC-SPG est le bienvenu et permet de souligner une nouvelle fois les carences résultant de la dérégulation du secteur énergétique et les problèmes que celle-ci pose.
Je voudrais dénoncer ici le non-sens que représente cette voie après ce qui s’est passé à Fukushima.
Le paradoxe réside dans le fait que cette dérégulation a été pensée dans les années 1980 et 1990, à une époque où les prix étaient bas et où l’approvisionnement n’était pas menacé. Tant du point de vue de la géopolitique ou de l’environnement que de celui du marché, cette ouverture à la concurrence s’est effectuée à contre-cycle, à rebours des intérêts des États et de leurs citoyens.
Je souhaite insister une fois de plus sur les conséquences à venir de cette dérégulation sur les prix de l’énergie, et plus particulièrement sur ceux de l’électricité.
Il convient tout de même de rappeler que l’objectif affiché de l’ouverture à la concurrence était la baisse des prix pour le consommateur. Mais cette ouverture a fini par devenir un objectif en soi, une option purement idéologique, une décision dépourvue de tout souci pragmatique, en somme une sorte de TOC, c'est-à-dire un « trouble obsessionnel de la concurrence ». (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Michel Teston. L’expression est très jolie !
M. Daniel Raoul. Or on sait ce qu’il est advenu dans les pays qui ont pratiqué cette ouverture à la concurrence.
En France, la dérégulation, entamée en 1996 avec la transposition de la première directive Électricité, approuvée par le Premier ministre Alain Juppé, s’est accélérée après 2002 avec le retour de la droite aux responsabilités. Alors que nous avions fait porter nos efforts sur le maintien d’un « service public de l’énergie », le gouvernement de M. Raffarin a pris le contre-pied en engageant clairement la France sur la voie d’une libéralisation à marche forcée.
Cela a commencé avec l’accord de Mme Fontaine, alors ministre déléguée à l’industrie, sur les grandes lignes de la deuxième directive Énergie, exposées lors du sommet européen de novembre 2002, ce qui n’était rien d’autre que le reniement de l’engagement pris par le président Chirac en février 2002, soit à peine quelques mois auparavant. La loi du 3 janvier 2003 s’est ensuivie ; celle-ci constitue d’ailleurs le canevas de votre politique actuelle. Six autres lois ont ensuite été adoptées, jusqu’à la fameuse loi NOME.
Ces lois ont progressivement libéralisé le secteur de l’énergie, l’ouvrant à la concurrence sous couvert de transposition de directives européennes. Elles ont également été l’occasion pour le Gouvernement de remettre en cause le statut de nos entreprises publiques, ce qui n’a jamais figuré au rang des exigences de Bruxelles. Mais nous en subissons aujourd’hui les conséquences !
Alors que, il y a seulement une semaine, nous débattions dans cette enceinte de notre politique industrielle, je tiens à souligner que cette dernière n’aura pas grand sens si la France se sépare de ses leviers d’action en matière énergétique, et en particulier si elle renonce à l’avantage de compétitivité que représentent nos tarifs de l’électricité.
Je voudrais maintenant, de façon très concrète, revenir sur la situation de ce qui devrait être aujourd’hui un grand service public.
Les Français subissent une double peine : en tant que citoyens et en tant qu’usagers.
En tant que citoyens, ils font face à une véritable entreprise de spoliation, en ce sens qu’EDF – comme GDF en d’autres temps – a bénéficié pendant des décennies d’une véritable manne, en l’espèce des ressources publiques, afin d’assurer la pérennité du réseau et du parc électronucléaires.
La question de la préservation des tarifs réglementés d’électricité se pose avec encore plus d’acuité du fait des investissements financés par les citoyens. En effet, il existe en France une rente nucléaire, évaluée à 9 milliards d'euros par an et dont l’appropriation relève d’une décision d’ordre politique.
Une telle rente peut-elle être captée par le secteur privé ? À qui peut-elle être distribuée ? Aux actionnaires ? Aux consommateurs ? À l’entreprise publique, pour que celle-ci procède à des réinvestissements productifs et environnementaux, alors même que le nucléaire soulève aujourd'hui de nombreuses questions ?
Les Français sont également pénalisés en tant qu’usagers. Après avoir vu cette contrepartie confisquée et assujettie aux lois du marché, ils vont faire face à une augmentation sensible des tarifs d’électricité, alors qu’ils ont déjà eu à subir celle des tarifs du gaz. L’accroissement de la concurrence et la déréglementation contribueront en effet à de fortes tensions sur les prix, avec un alignement tendanciel sur les prix fixés par le marché. Les consommateurs, en particulier les ménages, en feront les frais.
C’est dans cette voie que les autorités de Bruxelles, grâce à Mme Kroes, qui vous a transmis le virus (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.), nous entraînent.
Compte tenu de ces hausses régulières des tarifs réglementés du gaz et de l’électricité, que se passe-t-il pour les ménages ? On estime aujourd’hui que 3,4 millions d’entre eux, soit 13 % des foyers, sont en situation de précarité énergétique, consacrant plus de 10 % de leur revenu au paiement de leur facture d’énergie. En réalité, si l’on prend en considération ceux qui ne peuvent plus se chauffer correctement, ce sont sans doute plutôt 4 à 5 millions de personnes qui sont touchées par cette précarité.
C’est donc une nouvelle fois le pouvoir d’achat des plus modestes qui va subir le contrecoup de cette dérégulation, alors que celle-ci était initialement censée favoriser la baisse des prix…
Par ailleurs, je rappelle que les tarifs réglementés profitent non seulement aux ménages, mais aussi aux entreprises. En effet, de par leur stabilité, ils offrent à ces dernières des possibilités d’anticipation sur un horizon plus lointain : c’est, pour nos entreprises, un élément de compétitivité par rapport à leurs concurrentes européennes. Les tarifs réglementés sont donc indispensables au maintien et au développement de toute notre industrie, actuellement mal en point.
Aujourd’hui, les prix de gros se situent en moyenne aux alentours de 60 euros par mégawattheure, contre moins de 35 euros pour les tarifs verts dont bénéficient certains industriels, et dont la loi NOME programme l’extinction à la fin de l’année 2015.
De la même façon, le tarif réglementé transitoire d’ajustement du marché, le TARTAM, a permis aux gros consommateurs d’électricité, comme les collectivités territoriales ou des établissements publics tels les hôpitaux, de bénéficier d’un tarif inférieur aux prix de marché et ne pouvant dépasser de plus de 25% le tarif réglementé en vigueur. Ce tarif transitoire prendra fin, selon ce que prévoit la loi NOME, avec la mise en œuvre effective de l’ARENH – l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique –, c'est-à-dire dès 2015.
Puisque vous savez mettre en œuvre des moratoires, monsieur le ministre, utilisez donc ce savoir pour repousser l’application de cette loi eu égard au nouveau contexte né de ce qui s’est passé au Japon et attendez les conclusions de l’audit parlementaire actuellement en cours.
Cette proposition de résolution souligne à juste titre que la libéralisation du secteur énergétique, sa soumission à la concurrence libre et non faussée et sa privatisation sont incompatibles avec les exigences de sécurité, de sûreté et d’indépendance énergétique.
Par ailleurs, il faut effectivement exclure la sous-traitance dans un certain périmètre autour des centrales, ce qui doit recouvrir des domaines aussi sensibles que la sûreté nucléaire ainsi que toutes les opérations de maintenance de l’enceinte de confinement et de stockage des combustibles.
Nous sommes donc en accord avec l’esprit qui se dégage de cette proposition de résolution. Après la catastrophe de Fukushima, la maîtrise publique du nucléaire en France est encore plus impérieuse. C’est pourquoi je vous demande une nouvelle fois, monsieur le ministre, de repousser l’application de la loi NOME en attendant le rapport parlementaire sur le nucléaire. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement.
M. Jean-Pierre Chevènement. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de résolution présentée par M. Jean-Claude Danglot et ses collègues du groupe CRC-SPG vient en discussion devant le Sénat deux mois après la catastrophe de Fukushima. Elle a le grand intérêt de mettre l’accent sur les conséquences pratiques que nous devons en tirer si nous voulons préserver l’atout que le secteur nucléaire représente pour la France, plutôt que céder à la démagogie obscurantiste et technophobe de la « sortie du nucléaire ».
Il faut tout d’abord comprendre la nature de l’accident. Rappelons que la catastrophe de Fukushima tient à l’insuffisance des dispositifs de sécurité mis en place par l’exploitant, Tokyo Electric Power Company, ou TEPCO, face à l’ampleur du tsunami : des murs de sept mètres de haut n’ont pu arrêter des vagues de vingt-trois mètres, qui ont noyé les centrales diesel de secours, alors que l’arrêt automatique des réacteurs, du fait d’une secousse sismique d’intensité 9 sur l’échelle de Richter, avait entraîné la perte des alimentations électriques externes. Le cœur des réacteurs et les assemblages combustibles n’ont plus été refroidis en raison de cette imprévoyance quant à la hauteur de la vague du tsunami. De l’arrêt des circuits de refroidissement, dû à la perte d’électricité, tout le reste a découlé : échauffement des combustibles irradiés, dégagement d’hydrogène, explosions endommageant l’enceinte de confinement.
Je le répète, il est extrêmement important de comprendre l’origine de l’accident pour en tirer les leçons adéquates. C’est la survenue d’un événement naturel imprévu, à savoir le tsunami, qui a rendu inopérants les dispositifs de secours. À ce stade, ce n’est pas s’aventurer que de pointer la responsabilité de l’exploitant, TEPCO, qui n’a pas pris les précautions nécessaires eu égard à l’ampleur des tsunamis observés, fût-ce dans des temps assez anciens, comme à la fin du XIXe siècle.
L’analyse de l’accident mérite sûrement d’être complétée. Dès maintenant, cependant, on peut dire – et la résolution présentée par M. Danglot le souligne à juste titre – qu’il est important de soustraire le secteur énergétique, particulièrement la filière nucléaire, aux logiques de rentabilité qui gouvernent la libéralisation de l’énergie.
Il faut affirmer avec force la nécessité d’un grand pôle public de l’énergie, incluant la totalité des entreprises composant l’industrie nucléaire. C’est la raison pour laquelle je voterai cette proposition de résolution. J’ajoute que ce texte attire justement l’attention sur l’importance d’une formation de haut niveau des personnels – Mme Schurch en a parlé avec beaucoup de pertinence – ainsi que sur la proscription de la sous-traitance dans le secteur nucléaire.
M. Danglot a aussi raison de pointer les conséquences de la libéralisation du secteur de l’énergie sur la fixation des prix. Il est tout de même admirable, au sens classique de ce terme, que l’intervention de l’Europe, au nom de la concurrence, aboutisse à un relèvement des prix de l’électricité et du gaz !
Le Gouvernement est dessaisi de ses attributions : ce n’est plus lui qui fixe les tarifs de l’énergie !
Monsieur Danglot, je vous adresserai une seule remarque : la loi NOME est intervenue en application de directives prises sur la base des décisions arrêtées lors des sommets de Lisbonne, en 2000, et de Barcelone, en 2002, à une époque où le parti communiste participait au gouvernement. (M. Jean Desessard s’exclame. – Rires sur les travées de l’UMP.)
M. Ladislas Poniatowski. Rappel utile !
M. Jean-Pierre Chevènement. Ne riez pas trop tôt, chers collègues : attendez que j’aille au bout de ma remarque.
M. Alain Gournac. Nous vous écoutons !
M. Jean-Pierre Chevènement. En effet, je ne rappelle ce fait que pour montrer combien il est difficile de résister à une logique de libéralisation européenne qui se déroule implacablement, depuis plus de vingt ans, en vertu de l’Acte unique ratifié en 1987 par l’ensemble des forces politiques, à l’exception – il faut tout de même le rappeler – du parti communiste.
Il est vrai que ceux qui l’ont voté, comme moi d'ailleurs, n’étaient nullement avertis du contenu des trois cents directives d’application qui allaient le suivre.
N’est-il pas temps de remettre en cause cette philosophie de la concurrence, qui imprègne tous les textes européens, y compris le traité de Lisbonne, et qui n’exprime rien d’autre que le dogme néolibéral de l’efficience des marchés, auquel Milton Friedman a attaché son nom ?
En votant la loi NOME, le Parlement n’a fait qu’exécuter un dessein conçu il y a plus de trente ans par les doctrinaires d’un néolibéralisme aujourd’hui à bout de souffle !
M. Daniel Raoul. C’est vrai !
M. Jean-Pierre Chevènement. Il faut cesser de libéraliser. Il est nécessaire de réglementer de nouveau, de mettre un peu de viscosité dans le fonctionnement de marchés devenus fous, car la totale déréglementation conduit à des mouvements spéculatifs dont l’amplification, dans un monde décompartimenté et globalisé, ne peut plus être maîtrisée. (M. Jean-Louis Carrère applaudit.)
M. Daniel Raoul. Joli !
M. Jean-Pierre Chevènement. Cette nécessité vaut plus encore pour les marchés financiers que pour l’électricité, mais il s'agit d’une vérité générale.
M. Yvon Collin. Très bien !
M. Jean-Pierre Chevènement. Si le progrès procède d’erreurs corrigées, il est tout de même préférable, quand c’est possible, d’éviter de se tromper !
La catastrophe de Fukushima alimente une immense campagne en faveur de la sortie du nucléaire, qui est, soit dit en passant, le noyau – si j’ose dire ! – de l’idéologie des Verts fondamentalistes.
M. Jean Desessard. Merci pour eux !
M. Jean-Pierre Chevènement. Il est vrai que de nombreux gouvernements n’ont pas montré beaucoup de courage pour résister à cette « giga-campagne », et d’abord pour expliquer la nature de l’accident. Le comportement de l’exploitant japonais et les failles du contrôle public n’ont évidemment pas aidé à la réalisation de cet effort de pédagogie, pourtant nécessaire.
Bien sûr, la capacité acquise par l’homme de désintégrer la matière, inévitablement associée aux explosions d’Hiroshima et de Nagasaki de 1945, contribue à maintenir autour de l’industrie nucléaire un halo d’épouvante méthodiquement exploité par tous ceux que révulse la vision cartésienne de l’Homme « maître et possesseur de la nature ».
C’est un vieux débat : Ève fut punie pour avoir cueilli le fruit qui poussait sur l’arbre de la connaissance et Prométhée, pour avoir dérobé le feu aux dieux afin de le donner aux hommes. Rien de nouveau sous le soleil !
La proposition de résolution de M. Danglot vise à ouvrir un grand débat public sur les choix en matière de politique énergétique. Nous en sommes pleinement d’accord ! Mais encore faut-il que cette discussion soit instruite de manière approfondie.
Ceux qui nous proposent tout bonnement la « sortie du nucléaire » ont-ils bien mesuré toute la portée du « choix de société », comme ils disent, qu’ils nous proposent ?
M. Jean Desessard. Oui !
M. Jean-Pierre Chevènement. Monsieur Desessard, vous devriez tout de même vous en rendre compte : il n’existe aucune énergie, dans le bouquet dont nous disposons, qui n’emporte de lourds inconvénients.
L’exploitation des réserves de pétrole, et même de gaz, sera de plus en plus coûteuse étant donné leur épuisement prévisible à l’horizon de quelques décennies.
Le charbon, disponible en plus grande quantité, est encore plus polluant. Selon l’OMS, la pollution de l’air par l’utilisation massive de ce combustible en Chine tue au moins 750 000 personnes par an – un chiffre non démenti par le gouvernement chinois.
Les gaz non conventionnels et l’exploitation de schistes bitumineux sont à la source de pollutions qui sont considérées comme plus graves encore.
Le nucléaire, lui, ne rejette pas de gaz à effet de serre et produit un kilowattheure très bon marché. Il a, certes, deux inconvénients : d'une part, la sûreté des centrales ne peut être garantie à 100 %, mais il n’y a pas d’activité humaine sans risque ; d'autre part, la recherche n’a pas encore résolu complètement le problème des déchets radioactifs à très long terme. Toutefois, il faut comparer ces inconvénients, qui peuvent être réduits, à ceux que présentent d’autres activités humaines.
La sortie du nucléaire en vingt ans, selon les calculs du sénateur honoraire M. René Trégouët – vous vous souvenez certainement, mes chers collègues, qu’il a créé le groupe de prospective du Sénat – impliquerait, si l’on voulait remplacer le nucléaire pour une moitié par l’énergie solaire et pour l’autre par l’énergie du vent, la pose de 2 000 kilomètres carrés de panneaux photovoltaïques, de 3 400 éoliennes terrestres géantes et de 8 400 éoliennes marines.
M. Trégouët évalue le coût de cette politique de substitution à 100 milliards d’euros par an, soit plus du double de notre facture énergétique actuelle. Il estime que cet effort n’est pas hors de notre portée, mais encore faut-il que nous soyons prêts à le consentir.
Toutefois, ce choix serait-il raisonnable ? Il faut se souvenir que le kilowattheure d’origine éolienne coûte deux fois plus cher que celui qui est produit par le nucléaire ou le gaz. Quant au prix du kilowattheure d’origine photovoltaïque, il est dix fois plus élevé !
M. Jean Desessard. Cela va changer !
M. Jean-Pierre Chevènement. Les centrales nucléaires fournissent 80 % de l’électricité que nous consommons. La sortie du nucléaire aurait donc un coût exorbitant pour notre pays, pour sa compétitivité et pour son commerce extérieur – 8 milliards d’euros si l’on compte à la fois les exportations d’électricité et celles des services nucléaires.
Ce choix serait non pas seulement hors de prix, mais aussi contraire à l’intérêt national, à l’aune duquel une partie importante de nos responsables semble avoir désappris de se placer.
Ceux qui parlent de « choix de société » doivent avoir l’honnêteté de mettre le nucléaire en parallèle avec d’autres choix collectifs que nous avons réalisés : la pollution de l’air par les énergies fossiles tue chaque année, selon l’OMS, 13 millions de personnes ; les accidents de la route coûtent annuellement la vie à 1,2 million de personnes.
Le choix du néolibéralisme effectué dans les années 1980 et 1990 par la France a entraîné dans notre pays une désindustrialisation massive et un chômage structurel touchant 10 % de la population active. On ne compte pas les drames humains que cette situation entraîne. Le vrai choix de société, ce serait de mettre un terme à la dictature des marchés financiers !
Il me semble que les choix technologiques ne doivent pas être dissociés des décisions économiques et sociales.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Jean-Pierre Chevènement. Je termine, monsieur le président.
La sortie du nucléaire est un choix de régression, non de société. En ce sens, la proposition de résolution de M. Danglot liant l’exploitation du nucléaire au choix de l’appropriation publique et visant plus généralement à réglementer de nouveau le secteur de l’énergie me paraît mériter pleinement d’être soutenue. C’est les sénateurs du groupe RDSE, dans leur majorité, la voteront. (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Jean Desessard. Vous permettrez que je n’applaudisse pas ! (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. Ladislas Poniatowski.
M. Ladislas Poniatowski. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la proposition de résolution qui nous est soumise aujourd'hui nous incite, à juste titre, à débattre de la politique énergétique de la France à la suite de l’accident nucléaire de Fukushima.
Ce texte met l’accent, en premier lieu, sur le rôle du nucléaire, auquel le Sénat et l’Assemblée nationale – plusieurs orateurs l’ont rappelé – consacrent des travaux communs dans le cadre d’une mission constituée autour de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, élargi à huit sénateurs et huit députés supplémentaires.
Je me trouvais d'ailleurs ce matin à l’Assemblée nationale en tant que membre de cette mission, qui tenait sa première audition publique sur la gestion du risque à la suite d’un accident nucléaire. J’aurai donc d’autres occasions d’évoquer ici la question fondamentale de la place de l’électricité d’origine nucléaire dans le mix énergétique français.
Ce texte traite aussi des autres sources d’énergie, notamment celles qui sont renouvelables.
Mes chers collègues, dans le temps qui m’est attribué, je voudrais évoquer ici une énergie renouvelable qui possède l’un des plus grands potentiels de développement : la biomasse.
M. Jean Desessard. Absolument !
M. Ladislas Poniatowski. Sur une production primaire totale d’énergies renouvelables de 20 millions de tonnes d’équivalent pétrole en 2009, la biomasse en assurait près de la moitié : 9 millions.
Je le rappelle, la bioénergie a représenté 6,7 % de la consommation finale d’énergie dans l’Union européenne en 2007.
L’essentiel de cette production est constitué par le bois-énergie, mais les autres utilisations de la biomasse ont vocation à constituer le principal poste d’accroissement de la production d’énergies renouvelables dans les années à venir.
En effet, la production de biomasse-énergie devrait progresser de 7,4 millions de tonnes d’équivalent pétrole d’ici à 2020, contre – retenez ces chiffres, mes chers collègues ! – 5 millions de tonnes pour l’éolien, moins d’un million pour l’hydraulique et à peine un demi-million pour le photovoltaïque.
Tel est l’objectif que nous avons souhaité atteindre dans le cadre du Grenelle de l’environnement. Serons-nous à la hauteur de cette ambition ?
D’après les tendances actuelles, la France risque de ne pas atteindre l’objectif de 36 millions de tonnes d’équivalent pétrole d’énergie d’origine renouvelable en 2020. Un effort est donc nécessaire si nous voulons réaliser 23 % de notre consommation d’énergie à partir des énergies renouvelables à cette date. Au demeurant, nous n’avons pas vraiment le choix, car il s'agit d’un engagement que nous avons pris devant Bruxelles !
Seul le photovoltaïque, nous le savons, devrait atteindre ses objectifs, et cela bien avant 2020. Cependant, si ce secteur constitue un enjeu considérable en termes de filière industrielle et d’emplois, il n’apportera pas une contribution aussi importante que les autres sources renouvelables à l’approvisionnement en énergie de notre pays. En outre, comme M. Jean-Pierre Chevènement vient de le rappeler, son coût est particulièrement élevé puisqu’il est dix fois plus cher que toutes les autres énergies.
C’est donc sur les autres filières qu’il faut mettre l’accent : l’éolien, sur terre et en mer, la géothermie et les pompes à chaleur, le solaire thermique, les biocarburants, enfin la biomasse, que je voudrais évoquer plus en détail.
En effet, la production d’énergie à partir de la biomasse présente un intérêt en termes à la fois écologiques, énergétiques et d’aménagement du territoire. Elle permet d’économiser les sources d’énergies fossiles et évite des émissions de gaz à effet de serre ; elle favorise l’indépendance énergétique grâce à une production au plus près de la consommation ; elle crée de l’activité et des emplois à l’échelon local, qu’il s’agisse de construction de chaudières, de génie civil ou d’exploitation forestière.
Il est donc important de poursuivre le soutien à cette filière, monsieur le ministre, aussi bien pour la production de chaleur que pour l’électricité.
Il faut saluer la mise en œuvre du fonds chaleur par l’ADEME en application du Grenelle de l’environnement. Le fonds chaleur soutient, par exemple, les projets de production de chaleur à partir de biomasse d’une capacité annuelle supérieure à 1 000 tonnes d’équivalent pétrole par an, dans le cadre d’un appel à projets national renouvelé chaque année.
Lancé l’an dernier, le deuxième appel à projets « Biomasse chaleur industrie, agriculture et tertiaire » a permis de sélectionner 31 projets et a atteint l’objectif de production qui lui était fixé. Le coût à la tonne de CO2 évitée est d’environ 16 euros, ce qui est tout à fait compétitif.
La question est de savoir si ce fonds est suffisamment pourvu. Doté de 1 milliard d’euros pour la période 2009-2011, il devrait atteindre les objectifs qui lui ont été fixés en 2012, mais il faudra veiller à poursuivre l’effort dans les années qui suivent. Malgré un contexte budgétaire difficile, nous devons considérer qu’il s’agit d’un investissement d’avenir prioritaire.
Pour ce qui est du bois-énergie à usage individuel, le potentiel est déjà considérable puisqu’il représente aujourd’hui près de la moitié de l’énergie produite à partir de sources renouvelables. L’enjeu porte moins sur l’augmentation des capacités que sur l’amélioration des appareils de chauffage : le parc doit être amélioré et développé afin de chauffer un nombre de logements plus importants avec la même quantité de bois, tout en réduisant les émissions polluantes.
S’agissant de la production d’électricité, les possibilités de développement supplémentaire de l’hydroélectricité en France sont aujourd’hui limitées. La biomasse représente donc un mode de production d’électricité renouvelable intéressant, même si le potentiel le plus important se trouve sans doute dans les éoliennes. Cette production a du sens dans le cadre de la cogénération – chaleur et électricité –, afin de privilégier l’utilisation de la biomasse.
Le Gouvernement a choisi de soutenir les installations d’une capacité supérieure à 5 mégawatts, en raison du coût des petites installations et de leur bilan moins satisfaisant en termes de qualité de l’air.
D’abord, le tarif d’achat de l’électricité produite à partir de biomasse a triplé pour les installations les plus efficaces en 2010 et, malgré une baisse légère, il demeure très intéressant en 2011.
Ensuite, plusieurs appels d’offres ont été organisés depuis 2005 pour les unités les plus importantes, mais leur efficacité est remise en cause par des organisations professionnelles qui estiment que seuls 40 % des projets sélectionnés ont été effectivement mis en œuvre. Cela mérite, monsieur le ministre, que le groupe d’étude sur l’énergie, que je préside, se penche sur ce problème.
Enfin, je rappelle que le Grenelle a prévu la possibilité de valoriser le biogaz issu de la méthanisation en l’injectant dans le réseau de gaz naturel, comme le font plusieurs pays voisins. Nous sommes, monsieur le ministre, dans l’attente du décret d’application sur ce délicat problème technique de raccordement. Les professionnels sont aussi en attente de la fixation du nouveau tarif d’achat pour l’électricité produite à partir de biogaz. Comme vous le voyez, le cadre réglementaire doit encore être finalisé pour permettre un développement de l’énergie à partir de la biomasse.
Voilà quelques points que je souhaitais souligner dans ce débat consacré à la politique énergétique de la France.
La proposition de résolution sur laquelle nous devons nous prononcer met avec raison l’accent sur la nécessité de la régulation, ainsi que sur le renforcement des investissements dans la recherche.
Pour autant, vous comprendrez que, en tant que rapporteur de la loi NOME, je ne puisse m’associer aux conclusions de cette proposition de résolution.
Mme Mireille Schurch. C’est normal !
M. Ladislas Poniatowski. C’est normal, en effet, car elle remet en cause l’ouverture des marchés de l’énergie et l’instauration de la concurrence, y compris dans la production et la commercialisation de l’énergie.
Certes, le système de l’accès régulé à l’électricité nucléaire historique, l’ARENH, mériterait sans doute d’être adapté dans les années à venir, notamment à l’occasion des investissements importants que vous évoquez dans votre proposition de résolution, chers collègues, et qui vont concerner le secteur nucléaire, aussi bien pour assurer le prolongement des centrales que pour mettre en œuvre des mesures de sûreté renforcées sur lesquelles tout le monde travaille en ce moment. Toutefois, je ne crois pas qu’il y ait lieu de remettre en cause la loi NOME, qui trouve progressivement un équilibre entre concurrence et régulation. Il faut, au contraire, la mettre en application et veiller, pour cela, monsieur le ministre, à la publication des décrets qu’elle prévoit. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou.
M. Jean-Jacques Mirassou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens à mon tour à remercier le groupe CRC-SPG, qui, en déposant cette proposition de résolution, permet de lancer un débat utile, intéressant l’ensemble de nos compatriotes.
En effet, depuis de longs mois, dans notre pays, les prix de l’énergie flambent et, malheureusement, rien ne permet d’être optimiste pour le futur, car l’incidence de ces coûts sur les budgets des ménages entraîne de plus en plus d’entre eux dans ce qu’il est convenu d’appeler la « précarité énergétique ». Cela signifie, plus prosaïquement, que beaucoup de ménages n’ont pas pu se chauffer l’hiver dernier, faute de moyens.
Nos concitoyens ont pourtant raison de réclamer des tarifs de l’énergie qui leur permettent de mener une vie décente. Rappelons que 1,5 million de personnes actives vivent, en France, sous le seuil de pauvreté et que 6 millions de salariés touchent moins de 750 euros nets par mois !
Pourtant, dans le même temps, le Gouvernement, celui dont vous êtes membre, monsieur le ministre, se défausse de ses responsabilités en matière de fixation des tarifs de l’énergie sur la Commission de régulation de l’énergie. Autrement dit, vous avez réduit ce qui était un levier ou un enjeu politique à une question purement technique, en laissant les tarifs s’envoler, même si, dernièrement – élection présidentielle oblige ! –, vous avez fait semblant de froncer les sourcils…
Est-il besoin de répéter que l’énergie est un bien vital et un produit de première nécessité, et que les ménages les plus modestes ne disposent souvent pas de solution alternative en ce qui concerne, par exemple, le mode de transport et le chauffage ? Et cela parce qu’ils sont tout simplement dans l’impossibilité d’opérer des investissements qui leur permettraient de réduire leur facture énergétique, qu’il s’agisse du gaz, de l’électricité ou du carburant.
Faut-il rappeler une nouvelle fois que c’est le Conseil national de la Résistance qui, au lendemain de la guerre, a établi le principe selon lequel il faut soustraire le secteur de l’électricité et du gaz aux logiques du marché et faire de l’État le garant de tarifs équitables pour tous les citoyens ?
Comme le rappelait tout récemment notre excellent collègue Roland Courteau, les tarifs du gaz ont augmenté de 20 % en un an et de 55 % depuis la privatisation de Gaz de France ! Dans le même temps, GDF-Suez annonçait avec cynisme un résultat net en hausse de 4,6 milliards d’euros, en proposant, bien sûr, une augmentation substantielle des dividendes versés à ses actionnaires.
Nous considérons qu’il y a là une forme de provocation au moment où 3 400 000 ménages sont en situation de précarité énergétique en consacrant plus de 10 % de leurs revenus au paiement de leurs factures.
Et lorsque le Gouvernement sort de son chapeau l’Observatoire national de la précarité énergétique, nous affirmons, avec les associations, que l’urgence est plus à l’action qu’à l’observation.
Pour autant, je n’ignore pas la mise en place du tarif social du gaz. Mais elle arrive bien tardivement et elle sera insuffisante parce que ce dispositif, inspiré du tarif social de l’électricité, n’obtient pas le succès escompté. Je précise à ce propos que, pour de multiples raisons, deux tiers des personnes qui pourraient prétendre bénéficier de ce dispositif y échappent ; cela relativise l’efficacité des deux tarifs sociaux !
Dans un autre registre, parler d’opacité en ce qui concerne les modalités de fixation des prix du gaz ou des carburants est un doux euphémisme. Je pense notamment à l’extravagante indexation du prix du gaz sur le prix du pétrole, qui se fait, de surcroît, sous l’œil amusé et gourmand du PDG de Total, le même qui revendique les bénéfices colossaux de son entreprise, tout en évoquant la fatalité, à court ou à moyen terme, d’un litre de super à 2 euros !
Concernant le prix de l’électricité, plutôt que d’évoquer pêle-mêle le coût des énergies renouvelables, des tarifs sociaux, l’impact de Fukushima, que sais-je encore…, la véritable urgence devrait obliger le Gouvernement à s’interroger – mais en est-il encore temps ? – sur les effets néfastes qu’aura la loi NOME, obligeant EDF à vendre son énergie nucléaire à des opérateurs qui n’auront pas investi un centime dans les unités de production. II en résultera mécaniquement une nouvelle augmentation des tarifs de l’électricité, contredisant formellement la vocation de cette loi, c’est-à-dire une mise en concurrence qui devrait entraîner une diminution des prix.
Dans ce contexte, la mise en place du TARTAM, qui réintroduit – en deuxième main, serais-je tenté de dire – une relative régulation des tarifs, ressemble un peu à un aveu de faiblesse et ne saurait suffire à masquer l’incohérence des décisions prises jusqu’à ce jour.
La question énergétique, parce qu’elle concerne l’intérêt général, relève d’une démarche éminemment politique, dans laquelle l’intervention volontariste de l’État est plus que jamais une nécessité absolue. Elle impose, à notre sens, la taxation des superprofits des groupes pétroliers, qui devrait permettre, par divers moyens, d’agir efficacement sur la facture énergétique des Français. En tout état de cause, dans l’immédiat, l’État doit décréter un moratoire sur tous les tarifs de l’énergie.
Mais, monsieur le ministre, c’est sans illusion que je vous fais ces deux suggestions au nom du groupe socialiste, tout en précisant que, bien sûr, nous voterons la proposition de résolution de nos collègues du groupe CRC-SPG. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard.
M. Jean Desessard. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’une des raisons qui conduisent les écologistes à demander la sortie du nucléaire, c’est le caractère irrémédiable des dégâts qu’occasionne un accident. Le tsunami du Japon est une catastrophe d’ampleur inédite, extrêmement meurtrière. Malgré tout, à terme, il sera remédié aux dommages qu’il a causés. En revanche, à la contamination nucléaire des sols, de ce qui y pousse, des poussières qui circuleront pendant des décennies, de la chaîne alimentaire dans l’océan, il n’y aura pas de remède !
Autour de Tchernobyl, des territoires de plusieurs centaines d’hectares sont contaminés sans qu’aucune des initiatives internationales prises pour dépolluer les sols aboutisse à des résultats probants.
Les populations ont absorbé des quantités importantes de radioéléments, iode, césium et autres, qui se sont installés dans leurs organismes, entraînant cancers, leucémies et anomalies génétiques des bébés.
La défense du nucléaire repose sur des affirmations mensongères.
Il n’y aurait, paraît-il, pas de facteur de dépendance énergétique ? Pourtant, il faut exploiter de rares gisements d’uranium sur d’autres continents, souvent au mépris des conséquences sanitaires pour les populations locales.
Il s’agirait, paraît-il, d’une filière sans reproche ? Pourtant, à Cadarache, le suivi rigoureux de la matière active se trouve pris gravement en défaut. Le CEA évaluait à 7 kilogrammes de poussières de plutonium ce que l’on retrouverait au démontage des boîtes de manipulation du combustible… On en a retrouvé 39 kilogrammes !
La sécurité serait, paraît-il, garantie à 100 % ? Pourtant, au Tricastin, des négligences laissent se répandre dans la nature le liquide contenant l’uranium. Et l’on n’a toujours pas de solutions pour les déchets nucléaires, comme cela a été dit ici même à plusieurs reprises. Il est à noter qu’EDF exporte en Sibérie des centaines de tonnes d’uranium sans que cela soit mentionné dans le plan de gestion des matières et déchets radioactifs, alors que la loi sur la transparence et la sécurité en matière nucléaire l’avait imposé.
Nous pourrons aussi, monsieur Chevènement, discuter du coût du nucléaire : il est largement sous-estimé.
Quant à la prétendue probabilité d’accidents graves qui avait été annoncée, si faible que de tels accidents ne devaient jamais se produire, Fukushima nous en démontre l’inanité !
Oui, cela peut aussi arriver en France : les centrales nucléaires vieillissantes de Fessenheim et de Cruas-Meysse, qui sont respectivement installées sur une faille sismique et sur un barrage, en sont des exemples menaçants.
Les écologistes sont pour une transition sobre et responsable. Sans retomber dans les carburants fossiles et leur cortège de maladies respiratoires en ville et d’effet de serre pour toute la planète, il est possible de faire mieux et, à terme, à moindre coût. Pour cela, cessons de vampiriser les budgets de la recherche en énergie pour le nucléaire, aux dépens de l’efficience énergétique du solaire et de l’éolien. Cessons de changer sans cesse de stratégie économique. Le dernier exemple est la brutale remise en cause des aides au solaire.
M. Jean-Louis Carrère. Nous sommes d’accord !
M. Jean Desessard. Cessons de tirer vers le bas les exigences d’économie dans le bâtiment, qui nous conduisent à construire encore des logements énergivores qui coûteront au final plus cher aux locataires et à la collectivité.
M. Jean-Louis Carrère. Encore d’accord !
M. Jean Desessard. J’évoquerai enfin la folie des gaz de schiste.
Destructeur du sous-sol, saboteur des territoires, fatal pour l’eau potable, disséminateur de polluants chimiques en nombre inédit, ce projet est une hérésie.
Signée par le ministre Borloo, l’autorisation de prospection a été combattue par tous, et même, ensuite, par le député Borloo !
Alors que notre pays est théoriquement engagé dans la lutte contre les changements climatiques, il est pour le moins contradictoire de chercher de nouveaux combustibles d’origine fossile au moyen d’une technique extrêmement coûteuse en énergie.
Mes chers collègues, je souhaite également attirer votre attention sur le risque financier de ce genre de pratique. Les exploitants déboutés de la mine d’or de Kaw, en Guyane, réclament actuellement 80 millions d'euros de dommages et intérêts au Gouvernement !
À signer des autorisations irresponsables de prospection pour le gaz de schiste, ne prend-on pas le risque de brader à terme l’argent public ?
Après Fukushima, après les nombreux accidents et pollutions de rivières provoqués aux États-Unis par des fracturations hydrauliques, il est encore plus urgent de fonder une politique énergétique responsable, durable, adaptée aux territoires, fondée sur les énergies renouvelables et la réduction des consommations. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Louis Carrère. Pas mal !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Éric Besson, ministre auprès de la ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, chargé de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition de résolution qui vient d’être présentée m’offre l’occasion de remettre en perspective notre politique de l’énergie. Je répondrai ensuite plus précisément aux différents intervenants.
Vous le savez, la politique énergétique de la France vise cinq objectifs, qui sont de pleine actualité : la sécurité des approvisionnements et la réduction de notre dépendance aux énergies fossiles ; la compétitivité des prix pour les particuliers et pour les entreprises ; la protection de notre environnement et la lutte contre le réchauffement climatique ; l’accès de tous à l’énergie ; l’objectif industriel de développement de filières porteuses de croissance et d’emploi.
Nous nous sommes donné les moyens d’atteindre ces objectifs au travers de trois grands axes.
Le premier concerne la régulation. Celle-ci a fait l’objet de profondes réformes permettant de moderniser et de pérenniser une action efficace de l’État, dans un contexte de marchés ouverts.
Pour ce qui est de l’électricité, la loi NOME, qui a été diabolisée par certains au cours de ce débat,...
M. Jean-Jacques Mirassou. À juste titre !
M. Éric Besson, ministre. ... constitue la pierre angulaire de cette nouvelle régulation. Elle garantit un accès de tous les consommateurs à un prix de l’électricité tirant pleinement parti de la compétitivité de notre parc de production électronucléaire.
M. Jean-Louis Carrère. C’est faux !
M. Éric Besson, ministre. Elle suscite également une émulation entre les fournisseurs d’électricité se focalisant sur les segments les plus utiles : les services innovants, les économies d’énergie, etc. Elle permet encore une contribution responsable de chacun à la gestion de nos pics de consommation. Elle assure enfin le maintien de tarifs réglementés pour tous les Français, ce qui a permis au Gouvernement de s’engager à ce que la hausse du prix de l’électricité soit limitée à 1,7 % pour le tarif et à 1,2 % pour la contribution spéciale, soit 2,9 % pour les douze prochains mois.
Par ailleurs, le Gouvernement a annoncé que le prix du gaz naturel n’augmentera pas dans les douze prochains mois. Cette période sera mise à profit par GDF-Suez pour prendre en compte les opportunités d’optimisation de ses approvisionnements. (M. Jean-Jacques Mirassou s’exclame.)
Au-delà de ce cadre qui reste très régulé, le Gouvernement mène une action concrète pour lutter contre la précarité énergétique. Ainsi, nous avons augmenté de dix points le rabais social sur l’électricité. Nous avons également créé un tarif social du gaz que nous avons revalorisé de 20 % au 1er avril dernier.
Le Gouvernement a créé un fonds d’aide à la rénovation thermique des logements, doté de 1,35 milliard d’euros. Plus de 300 000 foyers en situation de précarité bénéficient de ce dispositif.
Des mesures plus conjoncturelles ont également été prises. Je pense à la revalorisation du barème kilométrique pour les Français qui utilisent beaucoup leur véhicule pour travailler, ainsi qu’à la prime à la casse des anciennes chaudières. Songez qu’on estime à 1 million le nombre de logements équipés de chaudières de plus de vingt ans !
Je tiens à souligner que ces aides s’accompagnent le plus souvent d’un effort en termes de maîtrise de la demande énergétique. Tout est lié : économiser l’énergie, c’est aussi se protéger demain des impacts des potentielles évolutions de prix.
Le deuxième axe est relatif au renforcement de notre politique de maîtrise de l’énergie et à la diversification de notre bouquet énergétique.
En matière de maîtrise de l’énergie, au-delà de la lutte contre la précarité énergétique, nous respecterons, grâce aux mesures du Grenelle de l’environnement, l’objectif européen de 20 % de gain en efficacité énergétique à l’horizon 2020, notamment dans le secteur du bâtiment qui concentre 44 % des consommations énergétiques du pays. Nous avons également, outre le renforcement des certificats d’économie d’énergie, créé un éco-prêt à taux zéro allant jusqu’à 30 000 euros.
En matière d’énergies renouvelables, sujet sur lequel beaucoup se sont exprimés, le cap est clair et très ambitieux, contrairement à ce qui a pu être suggéré. Il s’agit de faire en sorte que, d’ici à 2020, les énergies renouvelables représentent 23 % de notre consommation finale d’énergie. Nous avons défini une trajectoire précise avec des points de passage en 2012, pour atteindre 38 millions de tonnes équivalent pétrole produites en énergies renouvelables en 2020.
Je souhaite, à cet égard, rappeler que l’effort porte majoritairement sur les énergies renouvelables non électriques, au premier rang desquelles la fourniture de chaleur, qui concentrera plus de la moitié de la hausse d’ici à 2020 et pour laquelle nous avons créé le fonds chaleur renouvelable. Ladislas Poniatowski, président du groupe d’études de l’énergie, a consacré une large part de son intervention à ce sujet. Il a pleinement raison : l’énergie ne se limite pas à l’électricité.
Sur les énergies renouvelables électriques, notre objectif sera atteint grâce aux différentes formes d’énergies que nous avons soutenues.
S’agissant de l’éolien, sur les quatre dernières années, la capacité installée a été multipliée par quatre. En matière d’éolien offshore, le Gouvernement lancera à la fin du mois la première tranche d’un appel d’offres visant à doter la France d’une première capacité de 3 000 mégawatts.
Par ailleurs, depuis le mois de janvier 2010, le tarif d’achat de l’électricité biomasse, évoqué par Ladislas Poniatowski, pour les installations de moyenne puissance – de 5 mégawatts à 12 mégawatts – a plus que doublé.
Enfin, sous ce Gouvernement, la puissance installée du parc photovoltaïque français a été multipliée par 73 entre 2007 et 2010. L’objectif 2012 du Grenelle de l’environnement est quasiment atteint avec deux ans d’avance.
Nous nous assurons que ces développements soient porteurs d’emplois. C’est tout le sens des investissements d’avenir : 2,6 milliards d’euros sont consacrés à la création d’instituts d’excellence pour des énergies décarbonées, pour des démonstrateurs en énergies renouvelables et chimie verte et pour les réseaux de distribution d’énergie intelligents, que l’on appelle en bon français smarts grids. (Sourires.)
Le troisième axe porte sur notre politique nucléaire, qui a été largement évoquée. Elle est, je crois, responsable et ambitieuse. Il s’agit là d’un pilier fort, maîtrisé et reconnu.
Ce choix du nucléaire, confirmé depuis près de cinquante ans par tous les gouvernements successifs, a été motivé par nos besoins en matière tant de sécurité d’approvisionnement que de compétitivité. Il est aujourd’hui renforcé dans la mesure où il s’agit de la production d’une électricité décarbonée.
Le Président de la République a eu l’occasion de le rappeler mardi dernier lors de son déplacement à la centrale de Gravelines. Nous n’avons eu de cesse d’accompagner ce choix d’une amélioration continue en matière de sûreté nucléaire et de transparence.
Je vous rappelle que le Parlement a voté en 2006 deux lois très importantes sur le nucléaire : la loi relative à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire et la loi de programme relative à la gestion durable des matières et déchets radioactifs. Le Gouvernement a veillé à la mise en œuvre de ces deux lois, avec la publication de plus d’une vingtaine de textes réglementaires.
Nous disposons de l’Autorité de sûreté nucléaire, l’ASN, dont les compétences et l’indépendance sont reconnues dans le monde entier, et du Haut Comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire. Le Gouvernement a veillé à ce que cette dernière instance soit impliquée dans les audits qui seront réalisés après la catastrophe de Fukushima.
Monsieur Danglot, vous avez parlé de désengagement de l’État. C’est bien tout le contraire que nous avons fait, que nous faisons et que nous continuerons de faire !
Le Conseil de politique nucléaire, qui n’avait pas été saisi depuis 1997, l’a été cinq fois par le Président de la République. Par les décisions qui y ont été prises, ces réunions ont signifié sans ambiguïté un retour et un renforcement de l’État dans la politique nucléaire.
Nous consacrons par ailleurs, dans le cadre du grand emprunt, 1 milliard d’euros à la recherche dans le domaine nucléaire, dont 650 millions d'euros pour un prototype de réacteur dit de quatrième génération.
Nous répondons aux interrogations soulevées par l’accident très grave survenu au Japon en mettant en œuvre des audits de sûreté sur notre parc, en pleine transparence et sous la responsabilité de l’ASN.
Mesdames, messieurs les sénateurs, voilà le cadre général de déploiement de notre politique de l’énergie et l’articulation cohérente entre les trois axes sur lesquels le Gouvernement concentre ses efforts. J’ajoute que nos choix domestiques sont solidement relayés à l’échelle européenne et internationale.
Je voudrais maintenant répondre de façon plus détaillée aux différents intervenants.
Monsieur Danglot, vous avez souligné qu’il fallait une action forte à l’échelon international, européen, mais aussi national. Mais nous le faisons déjà ! J’aurai sans doute l’occasion d’y revenir lors de prochaines auditions devant la Haute Assemblée.
Madame Schurch, vous avez à juste titre insisté sur l’importance de la formation et des compétences dans le domaine du nucléaire. C’est vrai à l’échelon national comme à l’échelon international. Nous sommes nombreux à affirmer qu’aucun pays ne devrait pouvoir se doter d’une industrie nucléaire sans avoir préalablement formé ses salariés, qu’ils soient agents ou cadres, au pilotage nucléaire. C’est l’une des raisons pour lesquelles le Président de la République, s’exprimant sur ce point avant-hier, a déclaré qu’il refusait tout moratoire. En effet, l’investissement et la formation dans le nucléaire sont des préoccupations constantes qui ne peuvent faire l’objet d’une suspension, sauf à les fragiliser.
En revanche, madame la sénatrice, vous vous êtes trompée lorsque vous avez évoqué le nombre de diplômés issus des formations nucléaires : ils sont bien 600, et non 300. Je rappelle, par ailleurs, que nous avons créé l’Institut international de l’énergie nucléaire et que nous allons prochainement installer le Comité stratégique de l’énergie nucléaire, qui sera compétent sur les questions que vous avez soulevées.
Monsieur Beaumont, je partage les préoccupations que vous avez exprimées dans votre intervention, qui était tout à fait pertinente. Vous avez fort opportunément rappelé que nous n’avions pas attendu l’accident de Fukushima pour nous préoccuper de la sûreté nucléaire. Dans le même temps, nous tiendrons compte du retour d’expérience de cet événement.
Il va de soi qu’EDF intégrera dans les projets de l’EPR les conclusions des audits qui seront menés. Nous n’arrêterons pas le chantier de Flamanville, mais ce site ne sera pas exonéré de l’audit post-Fukushima et les recommandations qui seront éventuellement formulées seront intégrées.
Le projet de Penly n’est pas arrêté, contrairement à ce qui a pu être suggéré hier. Le dossier est en cours d’élaboration et sera soumis à l’enquête publique, dès lors qu’il sera complet. À quelle date ? Cela relève à la fois d’EDF et de l’ASN.
Nous espérons, en revanche, que l’entrée en activité de l’EPR de Flamanville aura lieu en 2014.
Pour ce qui concerne un éventuel nouveau réacteur dans la vallée du Rhône, par exemple sur le site du Tricastin que vous avez cité, cette question n’est pas pour l’instant à l’ordre du jour, même si le dernier conseil de politique nucléaire avait conclu à l’intérêt d’étudier l’opportunité de construire en France un réacteur dit de moyenne puissance ATMEA. Nous allons réfléchir à cette possibilité.
Pour l’instant, il n’y a pas d’autre nouvelle construction envisagée. Un tel projet relèverait de l’élaboration de la prochaine programmation pluriannuelle des investissements de production électrique, qui sera préparée par le gouvernement actuel et arrêtée par le prochain gouvernement.
Sur le démantèlement de réacteurs nucléaires, je tiens à apporter une légère nuance : notre expertise n’est pas aussi limitée que vous le dites. Vous êtes bien placé pour savoir qu’à Marcoule, à Pierrelatte, nous sommes en train de réaliser des démantèlements très importants, mais j’ai bien retenu votre suggestion pour aller plus loin, notamment en Bourgogne. Nous regarderons cela ensemble.
Monsieur Deneux, vous avez fait une intervention que j’ai trouvée, elle aussi, très intéressante. Je vous sais gré d’avoir notamment dit très clairement qu’il n’y a pas de lien entre l’âge d’une centrale qui, par hypothèse, aurait atteint vingt-cinq ou trente ans, et le nombre d’incidents qui peuvent s’y produire. Je le rappelle, et il faut insister sur ce point, la référence à cette durée de trente ans relève plus d’une question d’amortissement financier que d’espérance de vie proprement dite. Vous savez, de plus, que chaque centrale, à l’occasion des travaux requis par la garantie décennale, bénéficie du retour d’expérience de toutes les autres. Aussi, sans provocation aucune, il peut être affirmé qu’une centrale de vingt, vingt-cinq ou trente ans est presque plus sûre qu’elle ne l’était à sa mise en route, car elle a bénéficié de travaux.
L’audit sur les installations nucléaires, qui devra être transparent, portera sur cinq points : les risques d’inondation et de submersion marines, les risques sismiques, la perte des alimentations électriques, la perte des systèmes de refroidissement et la gestion opérationnelle des situations accidentelles majeures.
Le Haut Comité pour la transparence et l’information sur la sécurité nucléaire contribuera à toutes les étapes de cet audit. Il est présidé par le sénateur honoraire Henri Revol et accueille en son sein deux députés et deux sénateurs, ce qui permettra d’associer étroitement le Parlement à cette démarche. Les conclusions de cet audit seront rendues publiques et feront l’objet d’une large discussion.
Je ne m’attarderai pas sur la filière industrielle des énergies renouvelables. Vous avez évoqué la nécessité de créer une telle filière. Un instrument a été spécialement créé à cet effet dans le cadre des comités stratégiques de filières industrielles : il s’agit du Comité stratégique des éco-industries, COSEI, que nous installerons, avec ma collègue Nathalie Kosciusko-Morizet, dans le courant du mois de juin. Il devra travailler sur les perspectives des différentes filières vertes.
Monsieur Raoul, vous avez parlé de « double peine ». Pour ma part, je suis toujours surpris lorsqu’on utilise ce type d’expression ou d’image en dehors de son contexte.
M. Daniel Raoul. Je pourrais vous citer, à une certaine époque !
M. Éric Besson, ministre. À mon tour, je pourrais reprendre cette expression pour vous dire que vous nous infligez, vous aussi, une double peine.
En premier lieu, vous pratiquez le déni de réalité : on peut certes critiquer la libéralisation du marché de l’électricité en Europe, mais il n’est pas nécessaire de la caricaturer. Nous conservons un certain nombre de moyens de régulation, avec les tarifs réglementés et la loi NOME pour l’encadrement. Si vous critiquez cette libéralisation, ayez au moins l’honnêteté de reconnaître que cette ouverture du marché de l’énergie est une œuvre commune de la droite et de la gauche. Vous devriez par conséquent vous auto-flageller !
Le premier « paquet énergie » a été mis en œuvre par la loi du 10 février 2000, quand le Premier ministre était Lionel Jospin. Le deuxième paquet, qui concernait la séparation des activités de production et de transport d’électricité, a, quant à lui, été adopté lors du Conseil européen de Barcelone du 16 mars 2002, en présence du Président de la République et du Premier ministre de l’époque. Évitons donc les caricatures !
En second lieu, vous ne nous avez strictement rien dit de ce que pourrait être, à vos yeux, une politique de rechange. Les observateurs qui lisent le projet du parti socialiste en cours d’élaboration – pour ma part, je l’ai lu avec encore plus d’intérêt que d’autres –…
M. Daniel Raoul. Vous êtes un expert !
M. Éric Besson, ministre. Monsieur Raoul, l’ambiguïté et les faux-semblants sur le nucléaire ont justement été l’une des causes de ma rupture avec le parti socialiste.
J’ai donc lu que le parti socialiste propose de sortir à la fois du « tout-nucléaire » et du « tout-pétrole ». J’attendais avec intérêt que vous nous disiez comment, mais le temps vous a sans doute manqué, car vous n’en avez pas parlé…
Monsieur Poniatowski, vous avez raison de le rappeler, l’énergie, c’est non seulement l’électricité, mais également la chaleur.
La biomasse, sur laquelle vous avez beaucoup insisté, est l’une des sources les plus appropriées pour la production de chaleur. Le Gouvernement a mis en place le fonds chaleur à cette fin, avec les résultats que vous avez évoqués : 31 projets retenus en 2009 ; un succès également en 2010, avec de nouveau 31 projets retenus, pour 313 millions d’euros d’investissement et une puissance thermique de 665 mégawatts, ce qui représente une économie de 338 000 tonnes de pétrole. La biomasse concerne aussi l’électricité produite en cogénération : depuis 2010, les tarifs de rachat de l’électricité ainsi produite ont doublé, conformément aux engagements du Président de la République.
Quant à la méthanisation, les tarifs de rachat de l’électricité qui en est issue seront publiés ce mois-ci. Le décret est actuellement examiné par le Conseil d’État et pourrait être publié en juin ou, au plus tard, dans le courant de l’été.
Monsieur Chevènement, j’espère ne pas vous porter préjudice en relevant que je suis d’accord avec de nombreux points de votre intervention. Vous avez eu raison de souligner que le nucléaire reste un atout pour notre pays. Je n’aurais pas utilisé les formules dont vous avez le secret, mais j’ai tout de même noté que vous aviez parlé de « démagogie obscurantiste et technophobe » : il fallait oser !
Vous avez très bien expliqué ce qu’ont été les enchaînements de l’accident de Fukushima : un séisme de magnitude 9 sur l’échelle de Richter, puis un tsunami d’une violence inouïe et, malgré cela, la centrale de Fukushima n’a, pour l’essentiel, pas bougé. C’est si vrai d’ailleurs qu’il a fallu attendre vingt-quatre à trente-six heures pour qu’on commence à parler d’un problème nucléaire. La centrale a ensuite « encaissé » beaucoup de répliques de force 6 ou 7 pendant le mois suivant. Elle a donc bien résisté.
M. Jean-Jacques Mirassou. Bref, ça aurait pu être pire…
M. Éric Besson, ministre. Ce sont, vous l’avez souligné, les systèmes de refroidissement qui ont cédé. Il faut en tirer une leçon pour l’avenir. L’audit nous le confirmera, et ira probablement plus loin : bien que nos systèmes de refroidissement soient plus puissants et plus solides qu’à Fukushima, il sera sans doute nécessaire de les multiplier, de mieux les protéger, en les rehaussant encore pour empêcher toute inondation. Surtout, il sera indispensable d’installer des systèmes de secours à proximité, en cas d’accident majeur.
En ce qui concerne la sortie du nucléaire, vous avez bien posé les termes du débat. Je le dis à ceux qui sont intervenus en ce sens, nous pouvons évoquer ce sujet, qui n’est pas tabou. Il faut simplement proposer une solution de remplacement et, surtout, évaluer combien il en coûtera à nos concitoyens.
Ma remarque vaut pour Jean-Jacques Mirassou et Daniel Raoul.
M. Daniel Raoul. Même traitement !
M. Éric Besson, ministre. Monsieur le sénateur, je regrette que vous ayez encore cité, dans votre intervention, votre mot fétiche : le moratoire. Je vous suggère de respecter un « moratoire sur les moratoires », car vous n’arrêtez pas de les multiplier…
Je conclus en répondant à Jean Desessard. Monsieur le sénateur, vous êtes constant et cohérent lorsque vous demandez que nous sortions du nucléaire, personne ne le conteste. Mais, de grâce, ne caricaturez pas le problème ! Nous n’avons jamais évoqué le risque zéro. Il n’existe ni en matière industrielle ni en matière nucléaire. Simplement, nous pensons que ce risque est bien maîtrisé en France.
Par ailleurs, je tiens à vous signaler que le Commissariat à l’énergie atomique a investi 150 millions d’euros dans les énergies renouvelables. Nous contribuons au développement du solaire et de l’éolien, mais vous devez dire clairement qu’il s’agit d’énergies par essence intermittentes. En effet, lorsque le soleil ne brille pas ou que le vent ne souffle pas, ces énergies s’arrêtent. Il faut donc prévoir des énergies de substitution.
Enfin, je livre ces quelques données pour illustrer notre débat, notamment à l’adresse des écologistes qui prennent souvent l’Allemagne comme exemple : les ménages allemands paient leur électricité deux fois plus cher que les ménages français ; les entreprises allemandes paient leur électricité une fois et demie plus cher que les entreprises françaises ; un Allemand émet 40 % de gaz à effet de serre de plus qu’un Français. Il faudra bien un jour essayer d’en comprendre les raisons. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Nous allons procéder au vote sur la proposition de résolution.
Proposition de résolution
Le Sénat,
Vu l’article 34-1 de la Constitution,
Vu les articles 1er à 6 de la loi organique n° 2009-403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution,
Vu le chapitre VIII bis du Règlement du Sénat,
Considérant que le droit à l’énergie est un droit fondamental de l’homme, que l’accès à l’énergie doit être garanti équitablement à l’ensemble des peuples et des individus,
Considérant que l’énergie, bien essentiel au développement humain, ne peut être assimilée à une marchandise,
Considérant que l’indépendance énergétique et la sécurité énergétique constituent des enjeux majeurs dans les relations internationales,
Considérant qu’il est essentiel de protéger les équilibres de la planète et les intérêts écologiques des générations futures,
Considérant que la sûreté des installations de production, de transport et de distribution de l’énergie, et particulièrement de l’énergie nucléaire, doit être renforcée,
Considérant que la spéculation financière sur les matières premières énergétiques, la volatilité des prix qui en résulte et la rémunération des actionnaires sont responsables de l’augmentation chronique des tarifs énergétiques renforçant les inégalités sociales et la précarité énergétique,
1. Considère que la libéralisation du secteur énergétique, sa soumission à la concurrence libre et non faussée découlant des textes européens et internationaux et sa privatisation sont incompatibles avec les exigences de sécurité, sûreté, d’indépendance énergétique et avec celles du service public de l’énergie, tant en terme d’accessibilité que de solidarité,
2. Affirme que les activités de production, de transport, de distribution et de commercialisation doivent être entièrement publiques et placées sous le contrôle de la puissance publique, dans le cadre d’un pôle public de l’énergie qui associe les citoyens et les travailleurs du secteur énergétique,
3. Souhaite insister sur l’importance de la qualification des personnels du secteur, de l’organisation du travail, et interdire la sous-traitance,
4. Estime nécessaire d’instaurer une régulation dans la fixation des tarifs de l’énergie et de garantir la transparence dans leur formation,
5. Réaffirme solennellement son attachement au renforcement des investissements dans la recherche dans le secteur énergétique, notamment celui des énergies renouvelables, pour trouver de nouveaux moyens de production d’énergie et de traitement des déchets,
6. Souhaite l’organisation d’un grand débat public national sur les choix en matière de politique énergétique nationale dans les années à venir, portant sur l’utilisation actuelle du nucléaire dans des conditions de sécurité renforcées, mais aussi sur l’ensemble des choix énergétiques menacés,
7. Estime nécessaire que tous les moyens utiles soient mis en œuvre au niveau national, européen et international pour porter ces exigences.
M. le président. Mes chers collègues, la conférence des présidents a décidé que les interventions des orateurs valaient explication de vote.
Je mets aux voix la proposition de résolution relative à la politique énergétique de la France.
J'ai été saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l'une, du groupe UMP et, l'autre, du groupe CRC-SPG.
Je vous rappelle que l'avis du Gouvernement est défavorable.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 202 :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 338 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 170 |
Pour l’adoption | 151 |
Contre | 187 |
Le Sénat n'a pas adopté.
En conséquence, la proposition de résolution est rejetée.
Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à treize heures, est reprise à quinze heures cinq, sous la présidence de M. Jean-Pierre Raffarin.)
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Pierre Raffarin
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
5
Droit de la chasse
Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande du groupe UMP, de la proposition de loi visant à moderniser le droit de la chasse, présentée par M. Pierre Martin (proposition n° 355, texte de la commission n° 444, rapport n° 443).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Pierre Martin, auteur de la proposition de loi.
M. Pierre Martin, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, madame le ministre, mes chers collègues, il y a plus d’un an, le 15 mars 2010, je déposais, sur le bureau de notre Haute Assemblée, une proposition de loi que j’ai aujourd’hui l’honneur de vous présenter. Je suis très heureux, vous vous en doutez, que ce texte puisse enfin être examiné.
Cette proposition de loi comporte huit articles et vise, d’une part, à promouvoir une gestion plus efficace de la biodiversité et, d’autre part, à moderniser la législation pour permettre aux chasseurs de mieux accomplir leur mission d’intérêt général.
Lorsque je déposais cette proposition, mes chers collègues, l’année 2010 avait justement été consacrée « année internationale de la biodiversité » et il m’était alors apparu nécessaire de rappeler la contribution de la chasse à la gestion des espèces et des espaces.
M. Yvon Collin. Très bien !
M. Pierre Martin, auteur de la proposition de loi. Quelles que soient nos sensibilités au sein de cet hémicycle, je crois que nous avons tous le souci d’une gestion équilibrée des espaces naturels et d’une responsabilisation toujours plus grande de l’ensemble des acteurs intervenant dans la préservation de la biodiversité.
Avant de détailler le texte qui est soumis à notre examen aujourd’hui, je voudrais rappeler les conditions dans lesquelles il a été élaboré.
Le premier élément sur lequel je voudrais insister est la diminution croissante du nombre de chasseurs, qui a été divisé par deux en moins de trente ans. Si la France reste le premier pays de chasseurs en Europe, devant l’Espagne et l’Italie, elle a toutefois vu le nombre de pratiquants passer de 2,4 millions au milieu des années soixante-dix à environ 1,3 million en 2008. Cet élément doit être pris en compte pour rénover la pratique de la chasse : il est impératif de trouver des moyens de la rendre plus attractive et plus accessible, aux jeunes notamment.
Par ailleurs, les deux années qui ont suivi l’entrée en vigueur de la loi du 31 décembre 2008 pour l’amélioration et la simplification du droit de la chasse, dite « loi Poniatowski », ont permis de mettre en lumière certaines insuffisances en matière de pratique de la chasse et l’inadaptation de certaines dispositions en vigueur, faiblesses auxquelles nous pouvons aujourd’hui remédier.
Je suis intimement persuadé que le législateur doit avoir une approche pragmatique, avec le souci constant d’améliorer des dispositifs qui, une fois entrés en application sur le terrain, font apparaître un certain nombre de difficultés. Nous sommes des élus locaux, nous devons être attentifs à la bonne application des normes générales sur nos territoires.
C’est dans cet esprit que j’ai entrepris, notamment en tant que président du groupe d’études Chasse et pêche au Sénat, d’apporter des réponses aux difficultés rencontrées sur le terrain par les chasseurs. Ma démarche a privilégié la concertation. J’insiste sur ce point, car il me semble absolument indispensable, sur un sujet comme la chasse, de consulter l’ensemble des acteurs concernés et de recueillir leurs observations concrètes pour faire avancer les choses dans le bon sens…
M. Jean-Louis Carrère. Vous avez concerté tout seul, alors !
M. Pierre Martin, auteur de la proposition de loi. … sans éveiller de polémiques inutiles et surtout contreproductives. J’ai donc travaillé avec les chasseurs, les associations communales de chasse agréées, l’Office national de la chasse et de la faune sauvage et l’ensemble des acteurs contribuant sur le terrain à une gestion équilibrée de la biodiversité.
Le texte issu de ce long travail de concertation ne révolutionne pas l’exercice de la chasse. Il n’en a pas l’ambition. Il prétend, au contraire, contribuer modestement, mais efficacement, à une amélioration de sa pratique et à une mise en valeur du rôle des chasseurs en matière de biodiversité. C’est un texte court, précis et pragmatique. Il n’entend rallumer aucune polémique, ni revenir sur des équilibres acquis. Il vise simplement à adapter ce droit séculaire qu’est le droit cynégétique aux évolutions contemporaines, à le simplifier pour permettre une pratique de la chasse démocratique, apaisée et responsable.
Venons-en maintenant au détail de la proposition de loi. Ses huit articles s’articulent autour de trois objectifs principaux.
Le premier objectif est une gestion plus efficace de la biodiversité, qui reconnaît le rôle essentiel des chasseurs, notamment dans la préservation et la gestion des zones humides ; le deuxième objectif est d’améliorer le fonctionnement institutionnel par le biais d’une réforme des modalités d’adhésion aux associations communales de chasse agréées, confrontées à une baisse constante de leurs membres qui pourrait aboutir à priver des pans entiers de territoires de gestion cynégétique ; le troisième objectif, enfin, plus concret et pragmatique, est de poursuivre la simplification du droit de la chasse.
Sur les huit articles initiaux, seul un a été supprimé en commission de l’économie, à l’initiative du rapporteur Ladislas Poniatowski : il s’agit de l’article 8 prévoyant que le Gouvernement remette un rapport au Parlement sur les modalités que pourraient prendre un suivi des exactions commises en matière d’obstruction des activités de chasse par l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales.
Le Gouvernement s’était fortement engagé devant notre assemblée en 2008 à créer par décret un délit d’entrave à la chasse afin de pouvoir apporter une réponse juridique à cette difficulté. Au moment où j’ai rédigé cet article, il n’avait toujours pas publié ce décret. C’est chose faite depuis, avec la parution du décret du 4 juin 2010, ce dont je me réjouis, tout en espérant qu’il fasse l’objet d’une application sans complaisance.
C’est donc avec mon approbation que le rapporteur a proposé de supprimer cet article devenu inutile en la forme, même si les exactions commises par les extrémistes des droits de l’animal n’ont pas cessé en dehors du cadre de la chasse.
Un article additionnel a également été introduit lors du passage en commission : il s’agit d’une simple précision, à laquelle je suis tout à fait favorable, concernant l’article L. 141-1 du code de l’environnement, qui ne mentionnait pas explicitement les fédérations régionales et interdépartementales de chasseurs au titre de l’éligibilité à l’agrément de protection de l’environnement, alors que c’était le cas de la fédération nationale et des fédérations départementales.
Quant aux autres articles, je me félicite aujourd’hui que l’esprit et les objectifs qui étaient les leurs dans ma proposition initiale aient été préservés, et même confortés, par la commission de l’économie.
Les articles 1er et 3 visent à reconnaître le rôle essentiel des chasseurs en matière de préservation de la biodiversité. À ce sujet, j’insiste sur le rôle éminent joué par les fédérations en matière d’information et d’éducation au développement durable, comme en matière de connaissance et de préservation de la faune sauvage. C’est un fait, sur le terrain, en 2010, quatre-vingts fédérations départementales et régionales ont été sollicitées localement sur l’éducation à l’environnement.
L’article 2, relatif à l’exonération de taxe foncière sur les propriétés non bâties situées en zone humide, a été précisé pour davantage d’efficacité pratique, et je m’en réjouis. L’objectif demeure : il s’agit de garantir sur le terrain la possibilité pour les installations de chasse situées dans une zone humide – de type tonne, gabion ou hutte – de bénéficier de l’exonération partielle de taxe foncière sur les propriétés non bâties, la TFNB. Au contraire, aujourd’hui, ces dernières en sont a priori exclues au motif que le fait de pouvoir y chasser serait incompatible avec l’engagement de préservation de l’avifaune, qui fait figure de condition essentielle pour pouvoir en bénéficier.
Cet article, mes chers collègues, est très important : il répond à une réelle demande de la part des chasseurs, qui, dans de nombreux départements, vous le savez sûrement, ont été des précurseurs dans l’entretien et la restauration des zones humides. Pensez aux platières du nord de la France, aux marais de la Charente-Maritime ou du Médoc, ou encore aux lagunes des Landes !
Ce serait assurément un signal très fort et positif à envoyer aux chasseurs afin de les inciter à préserver ces zones humides, aujourd’hui menacées et dont on constate pourtant à quel point elles constituent des lieux privilégiés de préservation de la biodiversité en général, et pas seulement de la faune chassable – il faut insister sur ce point.
L’article 4, quant à lui, prévoit de régler enfin la question de l’accumulation du grand gibier dans les territoires non chassés, où celui-ci se réfugie avant de provoquer des dégâts matériels dans les champs voisins. La commission de l’économie a fort justement relevé lors de l’examen de cet article que cette accumulation occasionnait, outre des dégâts agricoles, de nombreux accidents de circulation.
Le préfet pourra désormais imposer, sur proposition de la fédération départementale ou interdépartementale des chasseurs, le prélèvement d’un nombre déterminé d’animaux au propriétaire d’un territoire qui ne procède pas ou ne fait pas procéder à la régulation des espèces sur son fonds, lorsque ces dernières causent des dégâts.
Si ce prélèvement n’est pas fait, la responsabilité financière du propriétaire pourra être engagée. Il n’est pas possible de laisser les fédérations continuer de supporter seules le poids financier de l’indemnisation des dégâts. Par ailleurs, j’approuve le remplacement de la notion de « plan de tir » par celle de « prélèvement d’un nombre déterminé d’animaux » effectué par la commission de l’économie.
Ce problème récurrent est, je le rappelle, très important : les dégâts financiers et humains causés par cette accumulation de gibier peuvent être considérables. Je tiens également à être tout à fait clair : cette mesure ne remet nullement en cause le droit à l’opposition cynégétique puisque le propriétaire peut refuser d’exécuter ou de faire exécuter son prélèvement. Dans ce cas, il est tenu d’assumer sa responsabilité environnementale et d’indemniser les dégâts agricoles commis par les animaux provenant de son fonds.
Les articles 5 et 6 permettent une meilleure organisation institutionnelle des associations communales de chasse agréées, les ACCA. L’article 5 autorise leur fusion en une seule association intercommunale. L’article 6 assouplit les modalités d’adhésion dans le cas de l’acquisition d’une propriété ou d’une fraction de propriété ayant fait l’objet d’un apport à la date de création de l’ACCA. Dans le cas où l’acquisition porte sur la totalité de ce territoire, le nouveau propriétaire sera membre de droit de l’ACCA s’il le demande. Dans le cas où ce dernier n’est acquéreur que d’une fraction de ce même territoire, il ne sera automatiquement membre de droit que si cette portion est supérieure au seuil d’opposition en vigueur dans le département. Dans le cas contraire, les modalités de son éventuelle adhésion sont déterminées par le règlement intérieur de l’ACCA.
Cette solution, qui va un peu plus loin que ma proposition initiale, est très satisfaisante, d’autant qu’elle émane des ACCA elles-mêmes. Ces dernières se sont saisies – et il faut s’en féliciter – du problème de la baisse du nombre d’adhérents, faisant ainsi preuve de leur capacité à s’adapter pour garantir une bonne gestion cynégétique dans la durée.
L’article 7, enfin, améliore la rédaction du dispositif introduit par la loi de 2008 sur la réfaction appliquée à la redevance cynégétique pour les nouveaux chasseurs. En outre, sur l’initiative de notre collègue Rémy Pointereau, la commission de l’économie a introduit à cet article la possibilité pour un chasseur détenteur d’un permis départemental validé pour un an d’obtenir une validation d’un jour valable dans un autre département.
Cette mesure, réclamée par les jeunes chasseurs notamment, va dans le sens d’une plus grande attractivité de la pratique de la chasse. J’y suis personnellement favorable dans son principe, sous réserve de prévoir un encadrement du dispositif. En effet, pour éviter le nomadisme des chasseurs et pour mettre en œuvre une organisation rationnelle de la délivrance de ces validations, il faudra déterminer précisément quelle fédération les délivre – s’agit-il de la fédération d’origine ou de la fédération d’accueil ? –, selon quelles modalités, etc. Au total, je juge cet ajout sympathique, mais assez difficilement applicable. Il existait déjà le permis de neuf jours et celui de trois jours. Nous inventons aujourd’hui le permis d’un jour sans avoir mesuré toutes ses implications.
M. Jean-Louis Carrère. À quand le permis d’une heure ?
M. Pierre Martin, auteur de la proposition de loi. Voilà rapidement brossé le détail de la proposition de loi que je suis heureux de voir arriver en discussion devant vous aujourd’hui. Elle ne transformera pas en profondeur le droit de la chasse – elle n’y a pas vocation –, mais, par petites touches, elle s’attache à atteindre l’objectif énoncé par Victor Scherrer dans le rapport intitulé Réinventer la chasse au 21e siècle qu’il a rédigé pour le Conseil économique, social et environnemental : « la chasse, réinventée pour le 21e siècle, contribue à la restauration de la qualité écologique des territoires ruraux et au rétablissement de liens sociaux harmonieux ». Cet objectif doit être aujourd’hui le nôtre.
Mes chers collègues, je souhaite que votre vote soit identique à celui de la commission de l’économie afin de démontrer, une fois de plus, que le Sénat est une réelle force de proposition, d’adaptation et de modernisation, aujourd'hui au service de la chasse et du monde rural. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - M. Joseph Kergueris applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le 13 avril dernier, la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire a adopté à l’unanimité des présents la proposition de loi visant à moderniser le droit de la chasse de notre collègue Pierre Martin.
Je me réjouis de voir notre collègue de retour dans notre hémicycle après une interruption de plusieurs semaines pour des raisons de santé : je le vois d’attaque, non pas pour chasser en l’occurrence (sourires), mais pour défendre sa proposition de loi, qu’il a déposée le 15 mars 2010 et que nous avons adoptée en y apportant quelques modifications.
Je tiens à saluer le travail que Pierre Martin a effectué et à le féliciter d’avoir été à l’initiative d’un texte qui, comme il vient de nous l’exposer, vise, d’une part, à rappeler le rôle essentiel des chasseurs en matière de préservation de la biodiversité et, d’autre part, de manière plus concrète, à améliorer la pratique de la chasse.
Ce texte, élaboré un peu plus d’un an après la dernière loi relative à la chasse, la loi du 31 décembre 2008, dont j’étais à l’origine, constitue le sixième texte relatif à la chasse en un peu plus de dix ans. Est-il vraiment utile ? Ma réponse est clairement oui, car le monde de la chasse est confronté à un double contexte que vous connaissez tous, mes chers collègues, et que vient d’évoquer Pierre Martin.
En premier lieu, on assiste à une diminution constante du nombre de chasseurs, qui a été divisé de moitié en à peine une génération. Les pratiquants sont en effet moins de 1,3 million aujourd’hui, alors qu’ils étaient le double dans les années 1970. Il n’y a qu’un seul moyen d’agir face à cela : il faut rendre la chasse toujours plus accessible et toujours plus attractive.
En second lieu, le rôle et la place des chasseurs en tant qu’acteurs de la préservation de la biodiversité ont évolué, cette évolution étant inextricablement liée à la baisse de leur nombre.
Des états généraux de la chasse se sont tenus à Paris en février dernier. Plusieurs d’entre nous y ont d’ailleurs assisté et votre intervention, madame la ministre, y a été très appréciée. Ces états généraux ont été l’occasion de débattre du rôle et de la place de la chasse dans la société d’aujourd’hui et de demain, et d’analyser, en toute logique, l’évolution majeure qui a caractérisé le début du XXIe siècle : l’émergence du concept même de biodiversité.
Au cours de ces dernières années, les acteurs concernés sont parvenus à trouver un équilibre agro-sylvo-cynégétique, qui s’est traduit par une volonté de protéger et de restaurer les zones humides, d’indemniser les dégâts de gibier et, enfin, d’améliorer et de moderniser la gestion de la pratique de la chasse. Ce serait une erreur de le remettre en cause.
Dans ce double contexte, cette proposition de loi courte et efficace a le mérite de remédier aux insuffisances de la législation en vigueur et de conforter le rôle des chasseurs.
J’apporterai deux précisions avant d’examiner ce texte.
Tout d’abord, l’élaboration de ce texte a fait l’objet, cher Pierre Martin, d’une réelle concertation en amont. J’ai eu, en tant que rapporteur, l’occasion de m’en rendre compte au fil des auditions – une vingtaine – que j’ai effectuées.
Ensuite, comme vous le savez sans doute, mes chers collègues, l’Assemblée nationale a inscrit à son ordre du jour une proposition de loi déposée près d’un an après celle que nous examinons aujourd’hui et qui reprend l’essentiel de ses dispositions. Ce procédé, qui n’est pas très élégant, ne doit pas nous empêcher d’examiner sereinement et sérieusement notre texte.
Pierre Martin ayant très bien exposé les enjeux de sa proposition de loi, je serai bref et me concentrerai sur les modifications apportées par la commission de l’économie.
La proposition de loi initiale comportait huit articles. Elle en comporte toujours huit : en effet, la commission de l’économie a supprimé un article, mais elle en a inséré un nouveau.
Sur mon initiative, la commission de l’économie a étendu le champ d’application de l’article 1er aux fédérations régionales des chasseurs. En effet, ces dernières mènent, au même titre que les fédérations départementales et interdépartementales, des actions d’information et de sensibilisation en matière d’environnement : il est donc nécessaire de l’inscrire dans le code de l’environnement.
La commission a également adopté, à l’unanimité, une nouvelle rédaction de l’article 2 visant à faire bénéficier les installations de chasse situées en zone humide de l’exonération partielle de taxe foncière sur les propriétés non bâties prévue par le code général des impôts afin d’inciter à la préservation des zones humides. Aujourd’hui, ces territoires ne peuvent en bénéficier par principe, dans la mesure où la condition de préservation de l’avifaune est réputée incompatible avec la pratique de la chasse, ce qui est surprenant. L’article 2, tel qu’il a été rédigé par la commission, précise donc clairement que cet engagement de gestion n’exclut pas, par principe, la pratique de la chasse.
L’article 3, sur lequel est longuement intervenu l’auteur de la proposition de loi, remplace la notion d’ « écosystème » par celle de « biodiversité ». Il a été adopté sans modification.
L’article 4 traitant d’un sujet particulièrement important, permettez-moi de m’y arrêter un instant.
Il existe en France entre 700 et 800 territoires non chassés, territoires privés et publics, communaux ou appartenant à l’État. Certains de ces territoires sont très étendus, comme les terrains militaires. Ces zones posent le problème, soulevé depuis plusieurs années déjà, des dégâts provoqués par le gibier qui s’y accumule. Ces dégâts représentent environ 1,5 million d’euros à la charge des fédérations départementales, soit 5 % de leur facture annuelle. En outre, le gibier qui s’accumule sur ces territoires non chassés provoque non seulement des dégâts agricoles, mais également des dégâts matériels et humains en raison des nombreux accidents qui en découlent, comme l’a fort justement souligné François Patriat lors de la réunion de la commission.
Nous aurons l’occasion de revenir sur ce sujet lors de la discussion des articles, mais l’article 4 règle un problème important. Il prévoit que le préfet peut, à la demande de la fédération de chasse, imposer le prélèvement d’un nombre déterminé d’animaux au propriétaire de l’un de ces territoires qui ne régule pas ou ne procède pas à la régulation des animaux présents sur son territoire alors que ceux-ci causent des dégâts. En cas de refus du propriétaire, le préfet pourra exiger une indemnisation financière.
L’article 5 apporte de la souplesse au dispositif de regroupement des associations communales de chasse agréées en une seule association intercommunale. Ces associations ont aujourd’hui la possibilité de se regrouper, mais en gardant chacune leur personnalité propre. Cet article leur permettra de fusionner si elles le souhaitent.
Quant à l’article 6, qui vise à assouplir les modalités d’adhésion aux ACCA, la commission de l’économie en a adopté, à l’unanimité, une nouvelle rédaction, fondée sur une proposition, que je qualifierai de très responsable, des ACCA elles-mêmes. Il s’agit d’éviter les effets néfastes de la désertification humaine dans certaines communes. En effet, des pans entiers du territoire pourraient se trouver privés de toute forme de gestion cynégétique.
Aujourd’hui, lorsque vous achetez un terrain soumis à l’action d’une ACCA, le droit de chasser est transféré à l’ACCA et vous ne pouvez en disposer. Le nombre de membres des ACCA ne cesse donc de diminuer. Tel qu’il est désormais rédigé, l’article 6 prévoit deux cas de figure. Si l’acquéreur achète l’intégralité de la propriété, il est alors reconnu membre de droit de l’ACCA, s’il en fait la demande. Si l’acquéreur achète une partie de cette propriété, et si cette fraction est supérieure à 10 % du seuil d’opposition en vigueur pour le département – taux suggéré par les ACCA elles-mêmes et non imposé par le Parlement –, il est reconnu membre de droit de l’ACCA. Même si le taux est inférieur à 10 % – cerise sur le gâteau ! –, l’ACCA peut, dans ses statuts, prévoir que le nouvel acquéreur pourra devenir membre de l’association.
À l’article 7, qui prévoit de rectifier une erreur matérielle concernant la réfaction sur la redevance cynégétique pour les nouveaux chasseurs, la commission de l’économie a introduit, sur l’initiative de notre collègue Rémy Pointereau, la possibilité pour tout détenteur d’une validation départementale de son permis de chasser d’obtenir une validation d’un jour valable dans un autre département.
Cette mesure est un petit clin d’œil aux chasseurs qui n’est pas inutile. La chasse se pratique en effet en grande convivialité. Très souvent, on est invité et on renvoie l’invitation. Grâce à cette mesure, on peut obtenir l’autorisation d’aller chasser dans un département voisin pour une journée.
L’article 8 initial de la proposition de loi, qui prévoyait un rapport du Gouvernement sur les modalités d’un éventuel suivi par l’Observatoire national de la délinquance des exactions commises par les extrémistes lors des chasses et des réponses pénales, a été unanimement rejeté par la commission, en accord avec Pierre Martin – que j’avais auditionné par téléphone dans la période difficile qu’il a traversée –, dans la mesure où le décret prévoyant le délit d’entrave à la chasse a enfin – et je vous en remercie, madame le ministre – été publié le 4 juin 2010.
Il a été inséré, à mon initiative, un article additionnel visant à combler une lacune à l’article L. 141-1 du code de l’environnement. Ce nouvel article précise que les fédérations régionales et interdépartementales des chasseurs sont, comme les fédérations départementales, éligibles à l’agrément au titre de la protection de l’environnement.
Voilà en quelques mots, mes chers collègues, l’essentiel des propositions de la commission, qui modifient ou entérinent les articles du texte initial présenté par notre collègue Pierre Martin. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – M. Joseph Kergueris applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement. Monsieur le président, monsieur le président de la commission de l’économie, monsieur le rapporteur, monsieur le président du groupe d’études Chasse et pêche et auteur de cette proposition de loi, mesdames, messieurs les sénateurs, la production législative sur le sujet de la chasse est dense.
Au cours des dix dernières années, ce ne sont pas moins de cinq lois qui lui ont été consacrées : deux lois « chasse » en 2000 et 2003, la loi relative au développement des territoires ruraux en 2005, une nouvelle loi « chasse » en 2008 – sur votre initiative, monsieur le rapporteur – suivies enfin en 2009 de mesures prises à l’occasion de la loi de simplification et de clarification du droit et d’allègement des procédures.
Cette abondance législative prouve, à elle seule, l’importance que le Parlement reconnaît à cette activité, qui recouvre de multiples facettes.
La chasse contribue à la gestion de la biodiversité. Par ailleurs, et cela participe du même mouvement, elle est de première importance pour les hommes et les femmes qui s’y adonnent et qui sont attachés, de ce fait, à leur territoire. Cette activité, enfin, est majeure du fait de son importance sociale et de son poids économique. La chasse générerait – même si c’est toujours difficile à mesurer – 23 000 emplois et 2,3 milliards d’euros de flux financiers.
Le législateur pourrait s’inquiéter, comme il le fait sur d’autres sujets, de l’abondance législative dont je viens de faire état.
Après tout, cinq lois en dix ans, n’était-ce pas suffisant pour améliorer le corpus législatif, pour faire en sorte que les chasseurs puissent exercer leur passion dans les meilleures conditions, pour adapter la chasse française aux dispositifs communautaires et internationaux ?
Comme l’a rappelé M. Martin, la chasse est une activité vivante. S’il ne s’agit pas aujourd’hui de révolutionner le droit de la chasse, un certain nombre d’adaptations intéressantes et importantes peuvent être apportées à ce droit, notamment pour tenir compte du souhait accru, que nous partageons tous, de préserver notre environnement.
Je voudrais tout d’abord rappeler que les chasseurs sont des acteurs et des défenseurs de la biodiversité, comme je l’ai souligné, ainsi que M. le rapporteur, lors des états généraux de la chasse le 16 février dernier. Et ce rappel n’est pas que symbolique ou déclaratoire.
M. Yvon Collin. Ce n’est pourtant pas toujours admis !
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre. Il convenait de mieux l’expliciter dans la loi. Il s’agit d’une évidence pour les acteurs du monde de la chasse, mais pas forcément pour les autres, qui ne le connaissent pas nécessairement bien.
Cette loi est ainsi l’occasion de reconnaître l’action de toutes les fédérations de chasseurs en faveur de la conservation de la biodiversité, y compris celle des fédérations régionales et interdépartementales.
Tel est le sens des articles 1er, 3 et 8 bis de la présente proposition de loi, ce dernier article ayant d’ailleurs été ajouté en commission à l’initiative du rapporteur.
Cette démarche va, me semble-t-il, dans le bon sens. C’est aussi la raison pour laquelle j’ai signé le 3 mars 2011 l’arrêté qui accorde à la Fédération nationale des chasseurs, la FNC, son agrément la reconnaissant comme association de protection de l’environnement.
L’article 2, relatif à l’exonération de la taxe foncière concernant les territoires aménagés pour la chasse en zones humides, poursuit le même objectif.
Permettez-moi de m’arrêter un instant sur cet article, qui est certes assez technique, mais qui mérite d’être explicité. La loi de 2005 visait à soutenir les terrains humides qui ne bénéficient pas de rémunération importante, comme par exemple les prairies humides, alors que les installations situées en milieux humides chassés, comme les tonnes, les gabions et les huttes, peuvent bénéficier de tarifs de locations élevés.
Il subsistait peut-être une certaine d’ambiguïté, car il n’était pas dans l’esprit de la loi de 2005 d’exclure ces terrains de l’exonération de la TFNB. Mon prédécesseur l’a confirmé en 2009 à votre rapporteur dans la réponse à une question écrite qu’il lui avait adressée.
Pourtant, je considère que ces milieux, parmi les plus menacés et souvent les plus dégradés de France, en raison de leur grande fragilité, peuvent utilement accueillir les chasseurs qui jouent un rôle important en matière de protection, d’entretien et parfois de restauration.
M. Pierre Martin, auteur de la proposition de loi. C’est vrai !
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre. Il convient donc d’encourager leurs pratiques en ce sens. C’est l’objet de cet article que je soutiendrai avec, toutefois, un amendement de précision que je vous soumettrai.
Par ailleurs, il faut faciliter le fonctionnement institutionnel tout autant que l’accueil des nouveaux chasseurs. L’importance de ce mouvement a été soulignée par M. Martin, dans un contexte de diminution constante du nombre de chasseurs.
Il faut être cohérent. Si l’on considère – et c’est le cas ! – que les chasseurs participent d’une forme de protection de la biodiversité, la diminution de leur nombre, avec à terme le risque de disparition de cette activité, est un problème que nous voulons combattre.
Le monde cynégétique en milieu rural a beaucoup évolué. Il faut répondre à cette évolution et chercher de nouvelles dynamiques. Les propositions relatives au fonctionnement des associations communales de chasse agréées, que vous proposez aux articles 5 et 6, vont dans ce sens.
La proposition de loi rend également opérationnelle, dans son article 7, une disposition déjà adoptée dans la précédente loi « chasse » de 2008, visant à diminuer le coût du permis pour les jeunes chasseurs.
Je suis en revanche plus réservée sur l’ajout à cet article de la validation du permis d’un jour. Ni la FNC ni l’Office national de la chasse et de la faune sauvage, l’ONCFS, me semble-t-il, ne sont demandeurs d’une telle disposition. Elle risque d’être administrativement assez compliquée à mettre en œuvre, alors qu’existe déjà la validation du permis dans un autre département pour trois jours à un coût très accessible, même pour les jeunes chasseurs. Il me semble donc que cette mesure est superfétatoire.
Enfin, MM. Martin et Poniatowski ont tous deux souligné la question, malheureusement récurrente, de l’indemnisation des dégâts de gibier. Je souhaite vous proposer un amendement à l’article 4, qui traite, à juste raison, de cette question, en complétant la responsabilité, déjà inscrite dans la loi, du titulaire d’un plan de chasse et d’une personne ayant marqué son opposition à la chasse par la responsabilité du détenteur du droit de chasse quand il ne chasse pas. Il sera ainsi plus facile de faire appel à sa responsabilité financière parce qu’il est effectivement injuste que les fédérations de chasse soient responsables financièrement de dégâts d’animaux qui prospèrent sur des terrains non chassés.
M. Jean-Louis Carrère. C’est déjà scandaleux qu’elles soient responsables des dégâts de gibier !
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre. Enfin, vous avez relevé, monsieur le rapporteur et monsieur Martin, la suppression en commission de l’article 8.
Il s’agissait, me semble-t-il, d’un article d’appel, auquel le Gouvernement a d’ailleurs répondu en publiant le décret du 4 juin 2010 sur l’obstruction à la chasse. Je tiens à souligner que ce dispositif a été efficace : les chasses à courre, principales victimes de ce mouvement, qui souffraient d’une dizaine d’actes d’obstruction à la chasse il y a trois ans, n’ont été victimes lors de la dernière saison que d’une seule tentative d’obstruction.
Mesdames, messieurs les sénateurs, l’ensemble de ces dispositions nouvelles facilitera une contribution accrue de la chasse aux trois piliers du développement rural, tant il est vrai qu’au-delà de leur attachement profond à la nature et de leur contribution à une activité économique importante, les chasseurs jouent un rôle déterminant en matière de lien social. (Applaudissements sur les travées de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Joseph Kergueris.
M. Joseph Kergueris. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, on n’a jamais autant légiféré sur la chasse que durant ces dix dernières années, comme l’a fait remarquer Mme Kosciusko-Morizet.
Ceci procède d’un certain nombre de causes qui tiennent à l’évolution de nos territoires, de leur environnement, de leur démographie et du système juridique qui les régit. Elles tiennent aussi au fait que les chasseurs changent et qu’ils deviennent moins nombreux.
Ces évolutions obligent le droit à s’adapter pour favoriser la pérennité de cette pratique fortement ancrée dans la culture de nos territoires.
Le texte que nous nous apprêtons à examiner répond justement – et de manière pragmatique – à ce besoin d’adapter le droit de la chasse à cette évolution.
En premier lieu, je souhaiterais souligner qu’au-delà de son aspect social, culturel et de son statut de divertissement, la chasse contribue de manière singulière, sur nos territoires, à la gestion des espèces et des espaces naturels qui les abritent.
La pratique de ces dernières années a montré qu’un grand nombre de conventions ont été passées pour encadrer les pratiques de chasse, au regard de son impact tant sur l’environnement que sur la sécurité. Ceci a eu – je me plais à le constater, alors que je ne suis pas chasseur ! – des résultats tout à fait heureux en termes non seulement de sécurité, mais également de pacification de la relation avec ceux qui ne sont pas chasseurs.
Nous pouvons nous féliciter que ces bonnes pratiques, encadrées par les schémas départementaux cynégétiques, se soient ainsi généralisées chez les chasseurs. La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui en est l’aboutissement heureux. Je salue donc l’initiative de Pierre Martin de sceller et de reconnaître dans la loi la responsabilité des chasseurs dans leur contribution à l’entretien de l’environnement et au maintien de la biodiversité.
Pour entrer dans le détail, il nous faut souligner que depuis quelques années, et notamment à l’occasion du Grenelle de l’environnement, la gestion de la biodiversité est devenue une composante essentielle du développement durable, ce dont nous nous réjouissons tous.
Cette biodiversité s’apprécie naturellement en considérant la diversité des écosystèmes, des espèces et des populations, dans l’espace et dans le temps, ainsi que leur organisation et leur répartition.
Les chasseurs jouent un rôle indéniable, en permettant la régulation de certaines espèces, qui, si elles n’étaient pas tirées, pourraient porter atteinte à l’équilibre des écosystèmes. Je pense notamment aux sangliers. Bien sûr, cette régulation est encadrée, pour permettre à ces espèces de se reproduire.
Par ailleurs, les chasseurs participent à la préservation de la biodiversité par l’entretien qu’ils font des zones qu’ils parcourent, notamment, cela a été évoqué tout à l’heure, les zones humides.
La loi doit les encourager dans cette démarche par une fiscalité non discriminatoire des installations de chasse dans les zones humides.
L’impact au niveau fiscal est, de plus, peu déterminant au vu de l’importance de l’action des chasseurs dans la préservation et l’entretien des zones humides. Cette proposition va donc également dans le bon sens.
Enfin, toujours sur le rôle des chasseurs dans la régulation de la gestion des espèces, je souhaite revenir sur l’indemnisation, que vous avez évoquée, madame la ministre, des dégâts du grand gibier dans les territoires non chassés, aujourd’hui à la seule charge des fédérations départementales des chasseurs, ce qui ne peut durer.
L’attribution d’un plan de tir – ou devrais-je plutôt dire d’un plan de « prélèvement d’un nombre déterminé d’animaux » au propriétaire de terrains non chassés – me semble une disposition nécessaire et permet de répartir les responsabilités des dégâts causés par le gibier de manière plus équitable.
En outre, les dispositions de la proposition de loi qui affectent directement la communauté des chasseurs, dont l’effectif est malheureusement en diminution, vont dans le bon sens. Nous le savons, la France a perdu plus d’un million de chasseurs entre 1974 et 2008. Il est donc indispensable d’adapter les modalités d’adhésion aux associations de chasse, afin de favoriser les nouvelles adhésions ou, du moins, d’en lever les obstacles potentiels.
À cette fin, il est indispensable de permettre, voire de suggérer, le regroupement au niveau intercommunal des associations de chasse communales. Ce mouvement va de pair avec la réalité de « l’intercommunalisation » de nos territoires ruraux. Les associations de chasse intercommunales permettent ainsi de promouvoir le rôle « social » de l’intercommunalité, au-delà de ses fonctions économiques et d’aménagement du territoire.
Par ailleurs, l’automaticité de l’adhésion à l’ACCA pour l’acquéreur d’un terrain situé sur le territoire de cette association me semble une évolution souhaitable dès lors que les micro-parcelles sont exclues de ce droit. Là encore, il s’agit d’une modernisation attendue du droit de la chasse.
Vous l’aurez compris, tout ce qui peut permettre de promouvoir de nouvelles adhésions et de développer ces associations, qui assurent un lien social important dans nos territoires et sont fortement ancrées dans la culture populaire, est pour moi une source de satisfaction.
Enfin, je me félicite de la suppression de l’article 8 par la commission. À mes yeux, un tel article, dont la rédaction pouvait se comprendre, avait l’inconvénient de raviver des conflits potentiels dans un texte pourtant empreint d’une belle sérénité. La commission a eu la sagesse de supprimer cette disposition à l’unanimité, ce dont je me réjouis. Au demeurant, madame la ministre, un décret de juin 2010 permet déjà de résoudre les problèmes que sont susceptibles de créer certaines pratiques des activistes de la cause animale.
Cela étant, le groupe de l’Union centriste votera en faveur de la proposition de loi, qui constitue un ensemble cohérent et garantit des pratiques respectueuses de l’environnement et des droits de chacun. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP. – M. Yvon Collin applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Carrère.
M. Jean-Louis Carrère. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission de l’économie, monsieur le rapporteur, monsieur le président du groupe d’études sur la chasse et la pêche, mes chers collègues, comme cela a déjà été souligné, un certain nombre de dispositions législatives portant sur la chasse ont été adoptées au cours de la dernière décennie.
Je pourrais ainsi mentionner des textes issus de projets de loi, comme la loi du 26 juillet 2000 relative à la chasse, dite « loi Voynet », la loi du 30 juillet 2003 relative à la chasse ou la loi du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux, dont l’objet est plus large.
Mais les évolutions les plus récentes du droit de la chasse sont effectivement d’origine parlementaire, à chaque fois sous couvert de « simplification ». C’est le cas de la proposition de loi n° 269 du sénateur Ladislas Poniatowski pour l’amélioration et la simplification du droit de la chasse, qui a fait l’objet d’un vote conforme à l’Assemblée nationale en décembre 2008, ou de la proposition de loi n° 1085 de Jean-Luc Warsmann de simplification et de clarification du droit et d’allégement des procédures, qui a été adoptée en avril 2009.
Cette tendance se confirme avec la proposition de loi visant à moderniser le droit de la chasse, que notre collègue Pierre Martin, sénateur de la Somme et successeur de Ladislas Poniatowski à la présidence du groupe d’études Chasse et pêche du Sénat, a présentée voilà plus d’un an. Si ce texte est adopté, ce sera la sixième loi relative à la chasse en onze ans ! Même si le sujet m’intéresse au plus haut point, je trouve que cela commence à faire beaucoup…
Notons d’ailleurs qu’une proposition de loi portant diverses dispositions d’ordre cynégétique a été récemment déposée à l’Assemblée nationale par Jérôme Bignon, lui aussi élu de la Somme et président du groupe d’études sur la chasse et le territoire, ainsi que par plusieurs de ses collègues. Le texte a été renvoyé à la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire et devrait être examiné par l’Assemblée nationale le 10 mai, c'est-à-dire après l’examen de la présente proposition de loi par le Sénat !
Comme la proposition de loi déposée à l’Assemblée nationale est plus récente que celle de M. Martin et comporte une dizaine d’articles en plus, nous pourrions croire que ses auteurs se sont inspirés des suggestions formulées lors des états généraux de la chasse du mois de février dernier. Apparemment, il n’en est rien. Cherchez l’erreur !
À présent, je souhaiterais évoquer les tables rondes qui ont été organisées sur la chasse, car elles ont soulevé quelques inquiétudes de notre part. Lors d’un précédent débat parlementaire, je m’étais quelque peu étonné de la représentation quasi monopolistique des formations politiques de la majorité de l’Assemblée nationale et du Sénat au sein de ces groupes de travail. Il m’avait alors été répondu – je vous renvoie aux comptes rendus de nos débats – que j’y serai associé ou, à tout le moins, que la famille politique à laquelle j’appartiens y serait représentée. Que je sache, en France, il n’est pas encore interdit aux socialistes de pratiquer la chasse ! (Sourires.)
M. Yvon Collin. Pour l’instant ! (Nouveaux sourires.)
M. Jean-Louis Carrère. Cela pourrait venir ! (Mêmes mouvements.)
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Je ferai en sorte que cela ne soit jamais le cas, mon cher collègue !
M. Jean-Louis Carrère. Au demeurant, d’après ce que j’avais pu comprendre, je devais normalement pouvoir compter sur le soutien d’un certain nombre de parlementaires de la majorité. Il n’en a rien été…
Pis encore, la plus récente des sept tables rondes qui se sont réunies a tenu ses travaux – je vous le donne en mille ! – en plein cœur de la campagne des élections régionales ! Elle n’a concerné essentiellement que deux territoires : la Picardie et les Landes. Et comme les perspectives de victoire électorale dans les Landes étaient quasi nulles pour la majorité présidentielle, autant « charger » ce département en y interdisant certaines pratiques cynégétiques ! Honnêtement, était-il vraiment indispensable de s’en prendre aux Landes pour autoriser ailleurs des prélèvements d’oies tout à fait compatibles avec la conservation de l’espèce et l’évolution des populations ?
C’est alors que j’ai compris toute la vilénie de la démarche : voilà pourquoi nous étions exclus de ces tables rondes ! Mes chers collègues, il ne faut pas utiliser ces réunions sur la chasse ou d’autres artifices de même nature pour pénaliser des territoires et en privilégier d’autres. D’aussi basses manœuvres politiciennes, qui n’ont rien à voir avec l’intérêt général de la pratique de cet art dans notre pays, disqualifient ceux qui s’y livrent ! Au moment où le Sénat, et je rends hommage à mes collègues sur ce point, fait tout pour démontrer, s’il en était besoin, que la chasse est une pratique responsable, honorable et en pleine évolution, de telles méthodes nuisent profondément à son image. C’est très regrettable !
M. Jean-Jacques Mirassou. Très bien dit !
M. Jean-Louis Carrère. Cela étant, la proposition de loi de notre ami président du groupe d’études Chasse et pêche correspond tout à fait à la description qu’il en a faite avec le rapporteur : ce texte, qui n’a pas la prétention de révolutionner la pratique de la chasse en France, permettra tout de même d’en améliorer par petites touches la pratique, après concertation avec les ACCA. Nous devons rendre la chasse plus attractive auprès des jeunes, qu’elle séduit – il faut bien le reconnaître – de moins en moins.
La diminution drastique du nombre de chasseurs, qui a été évoquée, est un problème qui nous préoccupe et qui devrait aussi préoccuper le Gouvernement ; d’ailleurs, je vous ai bien entendue, madame la ministre. En effet, les chasseurs assurent bénévolement une mission de service public : la régulation des espèces. Qui s’en chargera quand il n’y aura plus de chasseurs ? Le Gouvernement, qui fera des battues administratives ? Avouez qu’il y a là un véritable problème.
Mais ce texte me paraît malgré tout important, car il rend possibles les fusions d’ACCA et introduit un certain nombre de clarifications.
Pour ma part, j’étais relativement proche de la position du Gouvernement sur la possibilité du permis d’un jour. Mais comme le permis de trois jours était peu coûteux, je me demande s’il n’aurait pas été préférable de le rendre encore plus accessible au lieu de lui substituer le permis d’un jour. Mais je suis convaincu que si nous avons la volonté d’aboutir, nous parviendrons à un accord.
Madame la ministre, permettez-moi de profiter de ce débat pour vous faire part de deux préoccupations majeures.
D’abord, j’ai été alerté par au moins une quarantaine de fédérations de chasseurs – je tiens la liste à votre disposition – sur les dégâts de gibier.
Un effet de ciseaux est à l’œuvre. D’un côté, nous avons une diminution drastique du nombre de chasseurs. De l’autre, nous avons un accroissement du gros gibier, doublé d’une augmentation des surfaces cultivées. Si l’on ajoute à cela l’évolution du prix des céréales, qui servent de référence au calcul de l’indemnisation, les fédérations, qui vivent du bénévolat et de la cotisation d’hommes et de femmes de condition modeste, n’ont plus la possibilité de faire face à la situation.
À cet égard, je souhaite vous faire part d’éléments objectifs.
Aujourd'hui, l’indemnisation des dégâts de grand gibier est un problème financier préoccupant pour les fédérations de chasse. Le budget dégâts est alimenté uniquement par les recettes du plan de chasse, par des ventes de bracelets et, au cas par cas, par un « timbre sanglier ». De plus en plus de fédérations sont contraintes d’appeler en plus une taxe territoriale pour équilibrer leur budget. L’augmentation des populations de sangliers partout en France provoque un accroissement des dégâts, et aucun signe ne laisse à penser que les populations de sangliers retrouveront leur niveau des années quatre-vingt.
Parallèlement, la population de chasseurs continue de baisser à un rythme stable, hélas ! de 2 % par an. Madame la ministre, il devient donc urgent de réfléchir à une réforme du système d’indemnisation des dégâts de grand gibier, faute de quoi les fédérations ne pourront plus assumer une telle mission de service public et certaines d’entre elles pourraient déposer le bilan.
S’il n’est pas question de revenir sur le principe de la loi, peut-être conviendrait-il en revanche de réexaminer le décret du 30 août 2006, qui fixe à soixante-seize euros le seuil au-dessous duquel un exploitant agricole ne peut prétendre à une indemnisation équivalente à une franchise.
En moyenne, l’ensemble des fédérations déboursent chaque année 22 millions d’euros d’indemnisation en plus de leur frais, soit un total supérieur à 40 millions d’euros.
L’idée serait de revenir à un système plus juste et plus en adéquation avec la réalité, en partant du postulat que la franchise de soixante-seize euros est anormalement basse. D’ailleurs, la caisse est alimentée seulement par les chasseurs bénévoles. Cela revient à fournir une assurance gratuite au monde agricole, madame la ministre.
Loin de moi l’idée d’engager une polémique ou un conflit entre le monde agricole et celui de la chasse. Ce sont deux mondes qui vivent étroitement imbriqués. Il est absolument nécessaire que nous trouvions une solution : il en va de la survie de nos pratiques et de nos passions.
Je dirai un mot des dérogations. Qu’il me soit permis de « zoomer » sur le Sud-Ouest, notamment sur l’Aquitaine et plus précisément sur les Landes. Madame la ministre, est-il scandaleux que des chasseurs vous réclament une étude scientifique pour mesurer l’évolution de certaines espèces ? Est-il scandaleux qu’ils vous demandent, comme je le fais moi-même à cette tribune, que le conseil régional d’Aquitaine et le conseil général des Landes, qui participeront au financement des frais de l’étude que vous avez décidée, puissent également choisir, comme vous, des experts à leur convenance afin que les résultats de ce travail soient parfaitement acceptés ?
Madame la ministre, faire voter 800 chasseurs à main levée pour qu’ils acceptent de suspendre définitivement des pratiques déclarées illicites à Paris – et elles le sont – ou à Bruxelles, parce qu’une espèce est en danger, n’est pas chose aisée ! Je vous invite à m’accompagner dans ces réunions, qui – vous le verrez – se déroulent dans la plus grande courtoisie, pour vous en convaincre. Une telle décision est en soi une grande évolution, car nous contestons, y compris de façon scientifique, les chiffrages qui permettent aux uns et aux autres d’affirmer que ces populations sont en diminution et en danger.
Nous aimerions notamment soumettre ces chiffrages à la méthode des isotopes. (Mme la ministre s’étonne.)
Vous ne saviez peut-être pas que cette méthode était applicable en l’espèce, madame la ministre ! Nous sommes en mesure de prouver que les populations chassées ne correspondent pas à celles qui sont en danger. Je ne vous demande rien d’extraordinaire. J’attends simplement, s’agissant du pinson et du bruant, que des études nous permettent de régler au mieux le problème.
Je dirai un mot, en conclusion, sur les représentants de la chasse en France. J’éprouve beaucoup d’estime pour les défenseurs de la chasse et j’ai quelquefois une certaine confiance en eux, quelles que soient les travées sur lesquelles ils siègent dans cet hémicycle. Néanmoins, la chasse ne se limite pas dans notre pays au seul département de la Somme, pas plus qu’elle ne se limite, sur le plan politique, à l’UMP !
Je suis donc un peu marri de constater que la chasse en France est représentée par cette seule formation politique, pour laquelle j’ai le plus grand respect, même si je la combats, et par ce seul département, pour lequel j’ai de l’affection, mais qui ne représente pas notre pays tout entier. Cela vaut également dans les instances représentatives de la chasse, mais c’est un autre débat…
Quoi qu’il en soit, le groupe socialiste, après discussion des différents articles, apportera certainement son soutien à cette proposition de loi qui, malgré tout, va dans le bon sens. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi qu’au banc de la commission. – M. Joseph Kergueris applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, m’exprimer après Jean-Louis Carrère, qui s’est livré à un plaidoyer aussi vibrant que brillant, n’est pas chose aisée !
Nous abordons l’examen tant et très attendu de la proposition de loi visant à moderniser le droit de la chasse, déposée par notre excellent collègue Pierre Martin le 15 mars 2010. Ce texte s’ajoute, cela a été dit et répété, à cinq lois successivement adoptées sur ce thème depuis 2000.
Pour autant, il s’agit d’un texte indispensable, car la chasse est plus qu’un simple loisir : c’est une activité qui participe pleinement à l’identité de notre territoire, plus particulièrement au dynamisme de nombreuses zones rurales. La France – ce n’est d’ailleurs pas le cas dans tous les pays –permet une chasse populaire, c'est-à-dire ouverte à tous ceux qui souhaitent la pratiquer, sous réserve de l’obtention d’un permis, bien entendu. C’est une tradition issue de la Révolution française que d’avoir dans notre pays une chasse démocratique, accessible à tous.
Loisir sportif, pratique ancestrale, la chasse est encore bien plus aujourd’hui.
En effet, depuis la prise de conscience collective de la nécessité de préserver l’environnement et de respecter la nature, la chasse est investie, de plus en plus concrètement, d’une mission de gestion de la biodiversité, ce qui lui impose des responsabilités dans le domaine de la gestion des habitats, de la régulation des espèces et, in fine, de la protection des écosystèmes. Soucieux de répondre aux nouvelles préoccupations de la société, les chasseurs, qui sont des gens intelligents, ont bien compris et très bien accepté cette nouvelle mission.
J’ajouterai que, au-delà de ses effets concrets sur l’équilibre écologique, cette vocation reconnue depuis plusieurs années maintenant contribue à apaiser les tensions avec ceux qui s’opposent à la chasse. C’est en tout cas ce que j’espère…
Il me semble, en effet, important que la chasse ne soit pas stigmatisée, non plus que les défenseurs de la cause animale d’ailleurs.
Madame la ministre, mes chers collègues, si la chasse a su s’adapter aux nouvelles attentes et aux nouveaux besoins de la société, si la chasse a su s’insérer dans des paysages parfois transformés, son cadre législatif n’est pas encore totalement adapté à ses nouvelles missions.
Pourtant, comme je l’ai dit au début de mon propos, le législateur s’est régulièrement penché sur la question de la chasse, en particulier depuis 2003, soit après l’adaptation des statuts types des fédérations de chasseurs auxquelles la loi du 26 juillet 2000 avait confié des responsabilités d’intérêt général.
Lors de l’examen de la loi du 23 février 2005 relative au développement des territoires ruraux, nous avions une nouvelle fois réaffirmé le rôle et la place des chasseurs, en précisant que ces derniers participaient au développement des activités économiques et écologiques dans les milieux naturels, notamment dans les territoires à caractère rural. C’était une étape importante, qui a contribué à promouvoir une nouvelle vision de la chasse. Il était d’ailleurs temps de changer le regard que l’on portait sur nos chasseurs.
Enfin, nous avons ajouté une nouvelle pierre à l’édifice avec l’adoption à la fin de l’année 2008 de la loi pour l’amélioration et la simplification du droit de la chasse. Il s’agissait, notamment, de renforcer la portée juridique du plan de schéma départemental de gestion cynégétique. Le Tarn-et-Garonne – mon collègue Jean-Michel Baylet et moi-même en sommes particulièrement fiers – a été le premier département à conclure ce schéma en 2006.
Il s’agissait également d’encourager la pratique de la chasse, notamment auprès des jeunes, car l’activité connaît une décrue de ses effectifs déjà préjudiciable, dans certaines zones, à la maîtrise de la prolifération du gibier. Nous avions, par ailleurs, revu la gouvernance de la chasse en permettant, notamment, aux fédérations nationales et aux fédérations départementales d’être éligibles à l’agrément au titre de la protection de la nature. Je n’oublie pas de dire que nous avions également allégé les procédures administratives. C’était important, car la chasse est une activité de proximité, qui a besoin de souplesse dans son fonctionnement quotidien.
Aujourd’hui, si la proposition de loi est adoptée comme je l’espère, nous franchirons une nouvelle étape législative. Très attendu par les fédérations de chasseurs, le texte vise, d’une part, à poursuivre le mouvement de simplification que je viens d’exposer et, d’autre part, à renforcer encore et encore le rôle des chasseurs dans la préservation de la biodiversité. Je m’en réjouis.
Je ne vous cacherai pas que la fédération départementale des chasseurs de Tarn-et-Garonne, qui s’est réunie très récemment dans une excellente ambiance, approuve cette démarche sénatoriale, qu’elle préfère à la soudaine initiative des députés. (Jean-Louis Carrère applaudit.) Les quatre parlementaires de mon département, au-delà des clivages partisans, ont également adopté cette position.
Il existe donc un consensus très large sur la proposition de loi de Pierre Martin. Vous l’avez souligné, mon cher collègue rapporteur, elle est le fruit d’une véritable concertation entre les principaux acteurs de la chasse, la Fédération nationale des chasseurs, l’Office national de la chasse et de la faune sauvage, et les associations communales de chasse agréées.
Je suis, pour ma part, satisfait de constater que si la commission de l’économie, présidée avec talent par notre collègue Jean-Paul Emorine, a amendé la plupart des articles, elle a conservé le fond des dispositions et respecté, c’est important, l’esprit du texte. C’est pourquoi je vous indique d’ores et déjà que l’ensemble des membres du RDSE voteront la proposition de loi.
L’article 1er tend à reconnaître la compétence des fédérations départementales de chasseurs en matière d’information et d’éducation au développement durable, ainsi qu’en matière de connaissance et de préservation de la faune sauvage. C’est déjà le cas pour la pêche, et il est donc logique de le faire également pour la chasse.
L’article 2 de la proposition de loi vise à introduire une disposition fiscale non discriminatoire pour pouvoir continuer à entretenir les zones humides, les zones maintenues en bon état par les chasseurs étant des zones privilégiées pour toutes les espèces aviaires, chassables ou non. Cette mesure, peu coûteuse pour l’État – ce point mérite d’être souligné, car il ne manquera pas de réjouir Mme la ministre ! – s’inscrit encore dans la perspective de préservation de la biodiversité.
Dans l’esprit de l’article 1er, l’article 3 vise à moderniser le code de l’environnement en précisant que la chasse peut contribuer à « une gestion équilibrée de la biodiversité ». C’est ici l’efficacité et donc l’utilité des chasseurs qui est reconnue, ce qui est aussi important.
L’article 4 énonce, me semble-t-il, la bonne formule pour mettre en place un outil juridique destiné à traiter les espaces non chassés ou sous-chassés, où prolifèrent certaines espèces au détriment des récoltes et des autres espèces, comme l’a rappelé Jean-Louis Carrère. La mesure est équilibrée, car elle respecte le droit à l’opposition cynégétique.
Quant aux articles 5 et 6, qui ont pour objet, d’une part, de promouvoir l’intercommunalité cynégétique et, d’autre part, d’assouplir les modalités d’adhésion à une ACCA, ils étaient très attendus. Il est en effet nécessaire de créer les conditions de la continuité de la gestion cynégétique, qui pourrait être à terme perturbée par la désertification rurale.
Enfin, la proposition de loi vise à apporter une réponse à l’ambiguïté créée par la rédaction du dispositif de diminution du coût du permis pour les jeunes chasseurs issu de la loi du 31 décembre 2008. L’article L. 423-21-1 du code de l’environnement a conduit à une déperdition importante de personnes qui ont réussi l’examen, mais qui n’ont pas validé leur permis. Il fallait remédier à cette difficulté, ce qui sera fait grâce à l’article 7 judicieusement complété lors de son examen en commission.
Mes chers collègues, toutes ces mesures, il n’est pas inutile de le répéter, vont dans le bon sens. Elles consacrent le rôle des chasseurs en tant que fins connaisseurs – on ne le rappelle jamais assez –, mais aussi en tant que protecteurs de la nature.
Comme l’a indiqué le Conseil de l’Europe en 2008, la chasse est essentielle à la préservation de la biodiversité et à l’équilibre des espaces ruraux. J’ajouterai que, dans un monde qui s’urbanise et se déshumanise un peu trop à mon sens, les chasseurs sont aussi les gardiens de l’identité des territoires menacés. Il faut non pas les décourager, mais plutôt les encourager dans leur pratique, dans le respect naturellement des convictions des uns et des autres. C’est bien le sens de cette proposition de loi, qui est tout à fait dans l’esprit de la très célèbre loi Verdeille. Tous les sénateurs radicaux de gauche et l’ensemble des membres du RDSE dans sa diversité l’approuveront donc. (Applaudissements.)
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Gérard Le Cam.
M. Gérard Le Cam. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il me semble utile de préciser en propos liminaire que la chasse est un sujet si controversé que, parfois, nous sommes amenés à penser que moins on en parle et mieux on se porte !
Le sujet réveille chaque fois les passions des amoureux de la chasse, comme celles des anti-chasse de tout poil, toujours prêts à nous plumer. (Sourires.)
La proposition de loi de notre collègue Pierre Martin, président du groupe Chasse et pêche au Sénat, s’inscrit dans un paysage plutôt apaisé, ce qui ne signifie pas qu’il soit exempt de dangers.
L’article 1er du texte inscrit dans la loi les missions « d’information et d’éducation au développement durable en matière de connaissance et de préservation de la faune sauvage et de ses habitats ainsi qu’en matière de gestion de la biodiversité ».
Ces missions, conduites par les fédérations départementales, sont réelles et ne demandent qu’à croître. Au-delà de la formation au permis de chasser, des interventions auprès des scolaires, des conventions avec le monde agricole, des millions de nos concitoyens utilisent la nature dans le cadre de leurs loisirs, tout en ignorant la diversité qu’elle recèle en matière de faune et de flore.
Sans prétention, et avec d’autres organisations, les fédérations de chasseurs sont particulièrement performantes pour le volet diversité faunistique et l’entretien des milieux où vit la faune sauvage.
Qui mieux qu’un technicien cynégétique pourra vous expliquer quelles espèces vivent cachées dans la nature, quelles sont leurs mœurs, quels indices de présence permettent de les détecter ? Au même titre qu’un mycologue pour les champignons ou qu’un ornithologue pour les oiseaux, leur rôle est essentiel pour une bonne connaissance et une protection intelligente des milieux naturels.
L’article 3 vient compléter ces missions par la reconnaissance du rôle de la chasse en matière de « gestion équilibrée des écosystèmes et de la biodiversité ». Tout se tient dans le mot équilibre et aucun chasseur n’a intérêt à déséquilibrer une espèce en faveur d’une autre, un espace au détriment d’un autre. À ce titre, l’équilibre agro-sylvo-cynégétique illustre bien ce qui doit être fait pour permettre à chacun des chasseurs, agriculteurs et forestiers de cohabiter en bonne intelligence.
Le milieu naturel est constamment façonné par l’homme, par les pratiques agricoles et forestières, modifié par l’évolution de l’urbanisme, restructuré par les différents modes de propriété. Les chasseurs doivent donc à la fois s’adapter à ces évolutions et collaborer avec les différents acteurs pour préserver la biodiversité et la possibilité de pratiquer leur loisir favori.
Chacun le sait, les principaux dégâts causés à la biodiversité ne sont pas liés à la chasse. Les pesticides, les broyages, certaines pratiques culturales, la myxomatose ont tué bien plus que la chasse elle-même.
M. Jean-Paul Emorine, président de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire. Sûrement !
M. Gérard Le Cam. Les migrateurs, quant à eux, sont souvent victimes des conditions climatiques et de la modification par l’homme de biotopes qui leur étaient favorables.
Cette reconnaissance de la chasse comme instrument efficace de gestion de la biodiversité encouragera à poursuivre les multiples actions déjà engagées dans les zones humides, pour les différents biotopes, les haies, les cultures à gibier, les jachères fleuries...
L’article 4 précise les responsabilités des différents propriétaires de zones non chassées ou sous-chassées, qui abritent parfois des populations conséquentes de sangliers. Ces derniers provoquent des dégâts importants et coûteux sur des territoires voisins qui sont chassés. Il n’est pas inutile de rappeler que ce sont les chasseurs, via leurs fédérations, qui paient les dégâts de gibier aux agriculteurs dont les cultures sont parfois ravagées.
Les articles 5 et 6 concernent les associations communales de chasse agréées, afin, d’une part, de leur permettre de se regrouper en associations intercommunales de chasse agréées et, d’autre part, d’assouplir les modalités d’adhésion.
Ces deux articles témoignent des difficultés que rencontre le monde de la chasse, dont les effectifs se réduisent. Serons-nous suffisamment nombreux, demain, pour maintenir les équilibres de la biodiversité, pour financer les dégâts de gibier, pour réguler les nuisibles ? C’est une véritable question, un véritable problème pour demain, qui ne doit réjouir personne, dans la mesure où tout ce qui se fait naturellement, aujourd’hui, par les chasseurs pourrait être, demain, à la charge de la société, donc sur notre feuille d’impôt.
Enfin, l’article 7 précise les conditions d’attribution de la diminution de moitié des redevances à régler par les chasseurs prenant leur premier permis.
Cet article permet d’évoquer le manque d’engouement des nouvelles générations pour la chasse. Sans aucun doute faudra-t-il trouver d’autres moyens pour sensibiliser les jeunes à ce sport-loisir, qui en vaut bien d’autres.
La chasse en France aura certainement toujours à imaginer et à créer pour assurer son avenir. La fonte des effectifs de chasseurs est un danger réel ; le rapport qu’a la chasse vis-à-vis de la société évoluera-t-il ou non en sa faveur ?
C’est donc dès aujourd’hui qu’il nous faut anticiper ce que sera la chasse de demain. Nous avons pour l’instant la force du nombre et celle de l’ancrage populaire au sein de nos collectivités locales. Ce texte conforte notamment le rôle de la chasse en faveur de la biodiversité et de l’environnement. C’est dans cette voie qu’il faut poursuivre, en maintenant les équilibres, en réintroduisant des souches naturelles et résistantes pour le petit gibier, en consacrant encore davantage de temps et de moyens à l’entretien des espaces naturels. Une nature morte, c’est très beau sur un tableau, mais une nature vivante dans une ruralité vivante, c’est encore plus beau.
Le groupe CRC-SPG votera cette proposition de loi qui vise à moderniser la chasse. Il reste vigilant, avec son réseau d’élus locaux, pour que la chasse populaire continue d’être accessible et attractive pour tous. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – M. Joseph Kergueris applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. Rémy Pointereau.
M. Rémy Pointereau. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, cette proposition de loi qui vise à moderniser le droit de la chasse est constituée de propositions apparues nécessaires pour permettre aux chasseurs l’accomplissement de leur passion dans les meilleures conditions tout en leur reconnaissant une contribution importante à la préservation des territoires.
L’image de la chasse est souvent malmenée, et après les États généraux de la chasse organisés en février dernier par la Fédération nationale des chasseurs, qui ont été un grand succès, la discussion de cette proposition de loi, déposée il y a près d’un an par notre collègue et ami Pierre Martin, contribuera utilement à la rectifier.
En commission, vous l’avez rappelé tout à l’heure monsieur le rapporteur, on se demandait s’il était bien indispensable de soumettre au Parlement pratiquement un texte par an. Je répondrais facilement oui, ne serait-ce que pour dissiper l’image caricaturée qui s’applique trop souvent à la chasse.
Il faut dire et redire l’implication des chasseurs dans l’environnement, et leur importance primordiale dans la gestion de la biodiversité. L’image de l’acteur de la protection de l’environnement et de la régulation des espèces doit s’imposer sur celle du prédateur. La cristallisation de l’opposition entre ruraux et urbains ou entre chasseurs et « protecteurs » n’est pas une solution républicaine.
Il faut donc rappeler sans cesse l’implication des chasseurs dans l’environnement, et c’est l’un des objets de ce texte qui vise, dans un souci pédagogique, à faire reconnaître le rôle de la chasse comme instrument efficace de gestion de la biodiversité.
La chasse est un atout pour la protection de la biodiversité. La présence du petit gibier est par exemple indispensable à la préservation de la chasse dans de nombreux départements. Il est donc nécessaire de disposer d’habitats respectant ce gibier en lui permettant de se reproduire dans de bonnes conditions. Les premiers à défendre le développement et l’agriculture durable dans le respect de la faune sauvage sont les chasseurs.
Je rappelle d’ailleurs que le rôle de régulation des espèces tenu par la chasse est indispensable à la biodiversité.
Une traduction essentielle de cette reconnaissance concerne l’action des chasseurs dans les zones humides. Les chasseurs contribuent incontestablement au maintien et à la gestion de zones humides très importantes pour la préservation de la biodiversité, comme le rappelle dans son rapport notre collègue Ladislas Poniatowski. C’est une réalité trop méconnue. Il était donc souhaitable de favoriser leur action par une exonération de taxe foncière pour les aménagements de chasse, comme c’est le cas pour la gestion d’autres territoires. L’extension de l’exonération de taxe foncière prévue dans le texte est une mesure positive.
Plus généralement, un travail de pédagogie sur le terrain doit être constamment réalisé. La reconnaissance dans ce texte de la mission d’éducation au développement durable et de sensibilisation à la protection de l’environnement confiée aux fédérations départementales de chasseurs est évidemment positive.
La loi était muette sur cette compétence, alors que 81 fédérations sont des associations agréées de protection de l’environnement, sur le modèle de ce qui existe déjà pour les fédérations de pêcheurs. Cette précision législative nouvelle est d’abord une reconnaissance du travail réalisé sur le terrain par de nombreux bénévoles, en interne dans l’accueil des nouveaux chasseurs et auprès des écoles comme du grand public.
Sur le fond, pour mieux gérer la biodiversité, le texte prévoit des mesures visant à gérer les espaces non chassés ou sous-chassés où certaines espèces se multiplient au détriment des récoltes et d’autres espèces.
L’article 4, qui vise l’indemnisation des dégâts provoqués par le gros gibier dans les territoires non chassés, était d'ailleurs au cœur des discussions de l’assemblée générale des chasseurs du Cher à laquelle j’ai participé samedi dernier ; nous y avons consacré les trois quarts de la réunion.
Ces dégâts liés au grand gibier constituent, vous le savez, un sujet sensible, qui souvent fâche. Je ne le dis pas seulement du haut de cette tribune, mais aussi les deux pieds dans la terre du Berry que je connais bien. Ces dégâts ont tendance à augmenter avec la prolifération du gros gibier, notamment des sangliers ; il suffit de se rendre dans un champ traversé et labouré par des sangliers pour le comprendre.
Jusqu’à présent, les chasseurs étaient les seuls à mettre la main au portefeuille pour indemniser ces dégâts. Ils ne peuvent, ni leurs fédérations, continuer à supporter seuls de tels coûts.
Il y avait donc urgence à réfléchir aux mesures complémentaires de nature à réduire les dégâts subis par les agriculteurs et à alléger la facture croissante supportée par les chasseurs. La solution ne passe évidemment que par une coopération entre chasseurs, agriculteurs et propriétaires.
La solution proposée ici, consistant à confier au préfet, à la demande de la fédération des chasseurs, le pouvoir d’imposer un plan de tir aux propriétaires de territoires non chassés sous peine de sanctions financières appliquées au propriétaire me semble équilibrée, quoique légèrement ambiguë : qu’en est-il des propriétés de l’État ?
M. Jean-Louis Carrère. Tout à fait !
M. Rémy Pointereau. Quelle est l’étendue exacte des pouvoirs du préfet ? Même si un amendement du rapporteur a été adopté en commission remplaçant l’expression « plan de tir » par celle, un peu plus précise, de « prélèvement d’un nombre déterminé d’animaux », la pratique montrera si cela fonctionne, et comment.
Dans le Cher, il existe un polygone de tir, destiné non pas à la chasse mais à des essais d’armement. Ces 13 000 hectares, qui appartiennent au ministère de la défense, constituent, certes, une véritable réserve naturelle mais surtout une réserve de sangliers, lesquels occasionnent des dégâts sur une large partie du département. Pourtant, il est très difficile de trouver des solutions pour réguler le nombre de ces sangliers.
M. Jean-Louis Carrère. Nous avons cela aussi dans les Landes !
M. Rémy Pointereau. Il était donc pour le moins urgent de transférer sur les propriétaires qui ne font pas le travail de régulation une responsabilité financière en cas de dégâts. Les chasseurs n’auront plus à assumer cette charge, qui est devenue de plus en plus lourde compte tenu de l’augmentation des produits agricoles, comme l’a souligné Jean-Louis Carrère.
Par ailleurs, il faut souligner que nous avons assisté à une augmentation vertigineuse du nombre d’accidents de la circulation dus au grand gibier, coûteux parfois en vies humaines mais aussi pour les automobilistes et les assurances.
Moderniser le droit de la chasse, c’est évidemment favoriser sa pratique, alors que l’on assiste à une baisse constante du nombre des chasseurs, divisé par deux en moins de trente ans, comme l’a dit notre rapporteur.
Pour y remédier, le texte sécurise la diminution du coût du permis pour les nouveaux chasseurs, ce qui, bien sûr, va dans le bon sens.
J’affirme que le prix du permis de chasser est aujourd’hui prohibitif. Nous devons trouver des formules permettant aux nouveaux chasseurs d’accéder à notre activité dans de meilleures conditions. Il faut que la chasse soit plus attractive et plus accessible, notamment pour les jeunes, sinon nous n’aurons plus de chasseurs dans les années à venir.
L’ouverture aux jeunes doit être favorisée. J’avais déposé en commission un amendement selon lequel la validation du permis de chasser départemental pourrait ouvrir droit à une validation d’une journée valable dans un autre département. Il s’agit ainsi de répondre à une demande constante des jeunes qui vont chasser à titre familial dans un département, une fois par an. Ces jeunes n’utilisent pas la validation de trois jours, car elle est chère, et ils utilisent encore moins celle de neuf jours. Cet amendement, dont j’avais discuté avec la fédération des chasseurs de mon département, a été adopté en commission après une discussion serrée ; il figure désormais dans le texte et est étendu à tous les chasseurs, ce qui accroît ma satisfaction, que je tenais de nouveau à souligner.
Je rappelle que cette ouverture correspond à une réelle demande. Notre rapporteur ayant déposé pour examen en séance un amendement encadrant son application, nous aurons l’occasion d’en reparler.
Enfin, permettez-moi quelques mots sur l’article 8 de ce texte déposé en mars 2010, qui créait un observatoire national de la délinquance et pour la défense de la « cause animale », et qui est devenu sans objet depuis la parution du décret très attendu du 4 juin 2010, qui sanctionne tous les actes délibérés et concertés d’obstruction à une activité en relation avec la chasse.
En effet, une des actions les plus fréquentes des extrémistes dans ce registre consiste à perturber le déroulement de différents types de chasse, et notamment de la chasse à courre. Entre janvier 2007 et mars 2009, 18 opérations de sabotage ont ainsi été recensées. Si de telles exactions ne sont pas très républicaines, le rapporteur et la commission n’ont pas souhaité rouvrir ce dossier, dans un souci d’apaisement et dans un esprit constructif et non sectaire.
Pour terminer, madame la ministre, je serais heureux que vous m’indiquiez si le décret du 4 juin 2010 a bien été appliqué depuis sa parution, et dans quelles conditions il l’a été. Pour ma part, j’espère que son application s’est faite sans complaisance.
Au total, si, comme cela a été dit, ce texte est ciblé et n’entend pas tout bouleverser, il remplit son objectif qui est d’apporter des solutions équilibrées, de reconnaître le chasseur comme un acteur et un défenseur de la biodiversité ainsi que l’investissement des nombreux bénévoles dans la pédagogie – nécessaire – d’une pratique ancrée dans la culture française et qu’il faut s’attacher à préserver. Parmi ces bénévoles, je pense aux lieutenants de louveterie dont l’énorme travail n’est ni rémunéré ni indemnisé. Il faudra, je pense, trouver un jour une solution pour les indemniser, afin de ne pas décourager les vocations.
M. Jean-Louis Carrère. C’est une bonne idée !
M. Rémy Pointereau. Pour conclure, chaque fois que les chasseurs montrent leurs talents en matière de pédagogie – et il en faut beaucoup ! –,…
M. Rémy Pointereau. … leur savoir-faire, leur capacité à gérer leur territoire, chaque fois qu’ils font preuve d’humanité, ils réussissent à convaincre non seulement l’ensemble du monde rural, mais aussi parfois les urbains ou les rurbains, voire les opposants à la chasse.
J’espère que ce texte permettra un nouveau pas en avant vers ceux qui doutent encore du rôle déterminant de la chasse, en matière de lien social comme sur le plan économique, comme cela a été si bien dit par Mme la ministre voilà quelques instants. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Roland du Luart. Excellent !
M. le président. La parole est à M. François Patriat.
M. François Patriat. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission de l’économie, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le débat d’aujourd’hui fait écho, par sa tonalité, au rapport que j’avais rédigé à la demande du Premier ministre Lionel Jospin, il y a un peu plus de dix ans, « pour une chasse responsable et apaisée ».
Les débats organisés alors sur le rôle de la chasse, son utilité, ses excès parfois, mais aussi ses grandeurs, ont abouti à la loi du 26 juillet 2000 relative à la chasse, que j’estime être un texte équilibré, renvoyant chacun à ses responsabilités et permettant de faire entrer la chasse dans le droit positif en France, alors qu’elle n’existait auparavant que dans le droit « négatif ».
Avec ce texte, le monde de la chasse a obtenu de nombreuses avancées : la reconnaissance des fédérations, le rôle des schémas de gestion cynégétique, l’autorisation de chasser accompagné, l’octroi du permis par les fédérations… Dans le même temps, ce texte, voté à l’Assemblée nationale au matin, à sept heures, après une nuit de discussion, avec 350 députés en séance et des tribunes pleines, était respectueux à l’égard des opposants à la chasse, ou en tout cas de ceux qui défendent davantage l’environnement.
Les choses sont aujourd'hui très différentes. Elles ont avancé dans le bon sens. Nous avons progressé. Je me souviens d’ailleurs que M. Poniatowski, qui voulait apporter des améliorations à la loi, m’avait proposé de participer à ses auditions au Sénat, de la même manière que j’avais participé avec lui aux états généraux de la chasse.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. C’est exact !
M. François Patriat. Sommes-nous dans l’urgence ? Non. Sommes-nous dans l’essentiel ? Sans doute pas non plus. Nous sommes, comme l’a dit Mme la ministre, à la marge. Permettez-moi un petit trait d’humour : si une expression populaire parle de « pêche aux voix », j’ai un peu le sentiment, comme l’a affirmé précédemment M. Carrère, que nous sommes ici à la « chasse aux voix ».
M. Rémy Pointereau. Non !
M. François Patriat. Faut-il toujours parfaire ?
Certes, les chasseurs qui se sont réunis à la Maison de la Chimie il y a quelques semaines ont manifesté leur souhait de participer à l’aménagement et à l’attractivité du territoire, ainsi qu’à l’activité économique de la France. Ils sont aujourd’hui face à de nouveaux défis. Mais j’appelle le monde de la chasse, madame la ministre, à assumer aujourd’hui les responsabilités qu’il a voulues naguère. Certes, ce n’est pas si facile. Les articles de la proposition de loi, que nous allons voter en les encadrant, tendent à cet égard à faciliter le rôle de la chasse et même à lui apporter un surcroît d’efficacité, notamment dans les zones humides, dans la gestion par les ACCA, ou dans l’accompagnement à l’éducation, autour de la faune, de la flore et de la gestion des espaces et des espèces.
M. Jean-Louis Carrère. Tout à fait !
M. François Patriat. Mais les deux vrais problèmes qui se posent aujourd’hui au monde de la chasse, comme l’a dit en particulier Jean-Louis Carrère, sont les dégâts de gibier et les surpopulations.
M. Jean-Louis Carrère. Oui !
M. François Patriat. Ces deux problèmes sont liés. Le problème des surpopulations n’est toutefois pas seulement à considérer sous l’angle économique ou accidentel. Il a aujourd’hui également des conséquences sanitaires. Le vétérinaire que je suis sait qu’il y a, un peu partout sur notre territoire, que ce soit dans la courbe de la Seine, dans la forêt de Bretagne ou dans l’est de la France, des problèmes graves de maladie, notamment de tuberculose,…
M. Jean-Paul Emorine, président de la commission de l'économie. C’est sûr !
M. François Patriat. … qui créent des affrontements entre les mondes agricole et cynégétique, parce que les responsabilités ne sont pas déterminées. Je crois que nous pouvons y remédier ensemble.
Sans revenir sur le gibier d’eau, dont Jean-Louis Carrère a parlé dans des propos excellents auxquels je souscris tant sur le plan politique que sur les questions de chasse et des prélèvements, quand je dis « responsabilité », je pense aux fédérations responsables des schémas cynégétiques ainsi qu’au problème des surpopulations, lié à la volonté – naturelle – du monde de la chasse de protéger les populations et de les développer. Je rappelle qu’on a ainsi transporté des cerfs de Chambord dans toutes les régions de France, en Italie et ailleurs !
Les plans de gestion et de tir ont fait croître les populations, jusqu’à aboutir à une surpopulation. La presse s’en fait l’écho chaque semaine, avec la présence de sangliers dans les piscines ou au bord de la mer, un peu partout en France, notamment dans le Luberon. Ce problème doit aujourd’hui être réglé. Les lieutenants de louveterie, dont je salue le bénévolat, ne sont pas à même de le régler seuls.
Chacun doit donc prendre ses responsabilités : les chasseurs, leurs fédérations, ainsi que, bien entendu, l’État. Comme la proposition de loi le prévoit, pour des raisons louables, ou du moins tout à fait compréhensibles, ce dernier doit éviter que ne se créent, sur les territoires non chassés, des refuges à gibier ayant pour conséquences une dissémination de population potentiellement dangereuse et surtout la création de réservoirs à problèmes sanitaires importants.
La responsabilité s’exerce aussi vis-à-vis de la société. Nous devons aujourd’hui légitimement offrir des solutions de simplification aux problèmes que rencontrent les chasseurs.
Ce texte est-il urgent ? Non ! Est-il utile ? Sans doute ! Je pense toutefois que nous aurons encore, au cours des prochaines années, à revenir sur ce sujet, en abordant les vrais problèmes que j’évoquais à l’instant. Mais il faut que, dans le même temps, les chasseurs poursuivent leurs efforts, au-delà de l’image qu’ils cherchent à donner d’eux-mêmes, comme responsables de la nature et comme gestionnaires. Et il est vrai que c’est grâce à eux qu’existent tant le tourisme cynégétique que les populations actuelles de cervidés, notamment de chevreuils, ou d’autres animaux.
Enfin, de même qu’il y a, comme je l’ai toujours dénoncé, une « ultra-chasse », un excès de chasse dans certains endroits, il y a aussi parfois des excès de la part des défenseurs.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. C’est vrai !
M. François Patriat. Défendre à tout prix le renard ou le cormoran en période de surpopulation ne paraît pas approprié à quelqu’un qui, comme moi, a connu la rage, en France, dans le cadre ses responsabilités professionnelles.
En conclusion, si ce texte nous permet de nous écouter un peu plus les uns les autres pour résoudre ensemble des problèmes qui sont à la fois sociétaux, économiques et environnementaux, ce que nous souhaitons, nous aurons, je crois, avancé et fait œuvre salutaire.
Dès lors, sous réserve que certains de ses articles soient encadrés, nous voterons en faveur de cette proposition de loi. Elle permettra d’avancer sur un sujet qui n’est sans doute pas essentiel, mais qui est ô combien épidermique. La chasse n’est certes plus un sujet d’affrontement, mais l’irrationnel y a encore sa place. Il nous faut y apporter un peu plus de raison. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – MM. Joseph Kergueris et Pierre Martin applaudissent également.)
M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.
Mme Marie-Christine Blandin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, j’apporterai ma contribution à la biodiversité sénatoriale par des propos quelque peu décalés dans cette ambiance assez unanime.
Mme Marie-Christine Blandin. Avant d’aborder le texte sur le fond, je voudrais attirer votre attention sur son occurrence. Des salariés et des agriculteurs se suicident, des écoles ferment, il n’y a plus de médecins dans les campagnes, la sécurité sanitaire vacille sous la pression des influences, mais, environ tous les trois ans, et de préférence avant les élections, il faut que nous occupions le Parlement avec la chasse.
M. Yvon Collin. C’est pratique !
Mme Marie-Christine Blandin. Ni les artisans, ni les universités, ni les PME, ni les chômeurs n’ont cette chance. Sur les travées, les groupes ont délégué les plus fervents et les meilleurs de leurs orateurs. (Sourires.) L’unanimité est à portée de main, même s’il ne reste en France que 1 300 000 chasseurs, soit 2 % de la population.
L’unanimité, vous l’obtiendrez sur des articles utiles et raisonnables, comme l’article 5 relatif aux fusions d’associations communales de chasse agréées, ou sur des actes de bon sens, comme l’article 7 qui a trait au permis de chasser.
M. Yvon Collin. Ah !
Mme Marie-Christine Blandin. Mais ce qui relève de l’inutile, comme le remplacement du terme « écosystèmes » par le terme « biodiversité », du prosélytisme, comme le renforcement du droit d’intervention dans les écoles, ou de la tentative de privation de liberté des non-chasseurs sera combattu par les écologistes.
L’article 1er sur les actions d’éducation n’apporte rien. Un de vos représentants, M. Ettori, vice-président de la Fédération nationale des chasseurs, n’a-t-il pas obtenu du Gouvernement la convention, dite « du 4 mars », autorisant cet entrisme pédagogique ? Et n’a t-il pas d’ailleurs déclaré : « Une fédération a le droit de proposer des animations auprès des jeunes, que l’inspecteur d’académie le veuille ou non ? » Et, même si je le regrette, les faits sont là. Dès 2008, 50 fédérations départementales étaient intervenues à l’école, et 14 avaient participé à la formation des enseignants, alors même que 62 % des Français désapprouvent ce type d’actions.
Alors, pourquoi vouloir encombrer le code ? Imaginerait-on les boulangers qui viennent en classe montrer l’eau, la farine…
M. Robert del Picchia. Bien sûr !
Mme Marie-Christine Blandin. … et le pâton qui gonfle sous l’effet de la levure exiger que cette bonne action soit inscrite dans la loi ?
M. Robert del Picchia. Et alors ?
Mme Marie-Christine Blandin. C’est ridicule ! Vous aurez beau prétendre que vous n’y parlerez que de nature, pour les enfants, le chasseur, c’est un homme armé, et rapprocher de l’école l’imaginaire des armes n’est pas une bonne chose. Il en est de même de l’emploi du terme « nuisibles », à l’heure ou la biodiversité bien comprise identifie comme une mosaïque de rôles complémentaires les actes de chaque espèce et les effets de chaque variété de plante, quand bien même certains d’entre eux nous dérangent.
Eh oui, dans la biodiversité, il y a aussi la fouine, le renard,…
MM. Jean-Louis Carrère et Robert del Picchia. Et la belette !
Mme Marie-Christine Blandin. … même s’il apporte l’échinococcose, le lynx, le loup, l’ours… Je ne crois pas pourtant que vous allez dans les écoles en vanter les mérites.
Au-delà de la volonté des chasseurs de montrer régulièrement qu’ils existent, que la loi leur donne des droits et même qu’ils s’occupent, à leur façon, de la nature, il y a tout de même tentative et récidive de priver les autres de leur liberté : convoitise sur les terrains non chassés, injonction de payer à destination des propriétaires qui ne se prêtent pas aux activités cynégétiques, et même, mais ceci a heureusement disparu grâce à la commission, essai d’intimidation… Je veux parler du dernier article du texte initial de la proposition de loi.
Je connais et je partage le plaisir de partir au petit matin en campagne ou en forêt. J’apprécie la sensation des bottes qui se mouillent, le soleil qui commence lentement à chauffer, la brume qui monte, l’odeur de feuilles mortes et de champignon, le silence, la patience, l’aguet et, soudain, un vol de perdrix ou le saut vertical du renard au-dessus d’un petit rongeur. (Sourires sur les travées de l’UMP. – M. Yvon Collin s’exclame.)
M. Alain Gournac. Magnifique ! Bravo !
Mme Marie-Christine Blandin. Mais je ne tue pas ! Et j’entends que soient respectés ceux qui ne veulent pas tuer et qui ne veulent pas que l’on tue sur leur terrain.
À l’heure des fermetures de postes d’enseignants, alors que le Gouvernement a supprimé l’année de formation pédagogique des maîtres, il ne me semble vraiment pas opportun de conforter la légitimité des chasseurs à venir parler à l’école de biodiversité. (Mme Évelyne Didier sourit et applaudit.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre. Mesdames, messieurs les sénateurs, avant de passer à l’examen des articles, permettez-moi, sans reprendre mon propos introductif, de faire écho à quelques-unes de vos interventions.
Monsieur Pointereau, vous avez défendu l’introduction d’une validation du permis de chasser pour une journée. Le code de l’environnement instaure le principe de la validation annuelle du permis de chasser, en contrepartie du versement d’une redevance. Un article du même code prévoit que le permis de chasser peut également être validé pour une durée de neufs jours ou de trois jours, moyennant l’acquittement d’une redevance.
Compte tenu de ces éléments, je ne pense pas que l’introduction d’une validation pour une durée d’un jour soit intéressante, car elle entraînerait en fait des coûts fixes de gestion supérieurs au coût de la validation pour une durée de trois jours,…
M. Jean-Louis Carrère. Oui !
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre. … soit un peu plus de quinze euros. Cette dépense serait mise à la charge de l’Office national de la chasse et de la faune sauvage, l’ONCFS, des fédérations départementales de chasseurs ; elle me semble disproportionnée par rapport au gain en termes d’attractivité. Je le répète, le coût de quelque 16 euros ne représente pas un frein pour les jeunes chasseurs et je pense que l’origine du problème doit être cherchée ailleurs, mais je reconnais bien évidemment que les problèmes de la perte d’attractivité de la chasse et de la baisse du nombre de chasseurs se posent réellement.
Monsieur Kergueris, à propos de l’exonération de la taxe sur le foncier non bâti pour les zones humides, vous suggérez de passer, grâce à l’article 2, à une fiscalité non discriminatoire des installations de chasse. Je tiens à rappeler qu’il n’était pas dans l’esprit de la loi de 2005 de discriminer ces territoires de chasse. Les chasseurs participent, par exemple, par le faucardage, le curage, le maintien en eau aux périodes de présence des oiseaux, au bon entretien de ces milieux. Puisque les dispositions actuelles ne semblent pas suffisamment claires, je défendrai un amendement en ce sens à l’article 2.
Vous avez aussi parlé de l’indemnisation des dégâts de gibier. L’amendement que vous présenterez tout à l’heure tendra à compléter la responsabilité déjà inscrite dans la loi. Cette démarche me semble positive.
M. Collin a rappelé l’importance des schémas départementaux de gestion cynégétique : je tiens à vous dire, monsieur le sénateur, que j’ai appelé par circulaire l’attention des préfets sur ces schémas et sur leur révision. Ce sujet est fondamental et j’ai besoin de la mobilisation de tous les préfets.
MM. Le Cam et Carrère se sont inquiétés, avec d’autres, de la diminution du nombre des chasseurs et se sont réjouis de la simplification du droit des associations communales de chasse agréées. Je crois en effet que cette simplification est une bonne mesure. Nous pouvons avoir des appréciations différentes sur ce point, mais il faut reconnaître que la régulation des populations d’ongulés qui provoquent des dégâts importants, que nous sommes amenés à qualifier de véritables « points noirs », nécessite la présence de chasseurs en nombre suffisant sur les territoires ruraux. Sinon, il faudra trouver une autre solution,…
M. Jean-Louis Carrère. On les nommera ! (Sourires.)
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre. … ce qui ne sera pas forcément simple !
En revanche, je ne partage pas du tout le point de vue exprimé par M. Carrère sur la table ronde. Cette belle initiative a permis d’avancer dans la compréhension mutuelle, même si elle n’a pas permis de faire converger tous les points de vue. En janvier 2010, la table ronde a insisté sur le fait que la chasse devait être pratiquée dans le respect de la législation en vigueur, y compris en ce qui concerne les ortolans. Je crois qu’aucun parlementaire ne doit pouvoir dire le contraire : la chasse doit être pratiquée dans le respect de la réglementation ! Quel parlementaire pourrait s’y opposer ?
M. Jean-Louis Carrère. Moi !
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre. Monsieur le sénateur, reconnaissez que cela pose tout de même un problème !
M. Roland du Luart. Un peu d’indulgence pour M. Carrère, madame la ministre.
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre. Si la fédération départementale souhaite procéder à une étude sur les ortolans, elle peut le faire.
M. Jean-Louis Carrère. Voilà !
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre. Qu’elle associe sa fédération de chasse ou les associations de protection de la nature, soit ! Mais, je le répète, les ortolans sont classés « espèce protégée » depuis le 5 mars 1999 : leur chasse est interdite, elle le reste à ce jour et je crois bien qu’elle le restera !
M. Yvon Collin. À bon entendeur…
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre. C’est très clair ! (Sourires.)
Monsieur Patriat, vous avez souligné l’importante production législative en matière de chasse de ces dernières années. Vous y avez contribué, en d’autres temps, même si vous mettez en doute l’importance de l’évolution qui intervient aujourd’hui. Cependant, je comprends votre point de vue.
Vous évoquez aussi des problèmes sanitaires, notamment le rapport entre la tuberculose bovine et la tuberculose des blaireaux. Je crois que votre département est particulièrement touché : sachez que mes services travaillent avec les services du ministère de l’agriculture pour limiter les conséquences économiques importantes de cette zoonose. Nous sommes très sensibles à ce problème.
Madame Marie-Christine Blandin, vous ne souhaitez pas que le rôle de la chasse et des fédérations départementales de chasseurs dans la gestion des écosystèmes soit inscrit dans la loi. Je salue, comme vous-même, votre participation à la biodiversité de cette assemblée, par ailleurs extrêmement virile, dans laquelle les femmes se sont peu exprimées aujourd’hui !
M. Roland du Luart. On ne va tout de même pas instaurer des quotas !
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre. Néanmoins, je crois que nous pouvons tous tomber d’accord sur le fait que les chasseurs participent, à leur manière, à l’entretien des écosystèmes, notamment des milieux humides, grâce aux réserves de chasse et de faune sauvage. Tel a été le cas, par exemple, avec la création, en 1981, de la Fondation pour la protection des habitats de la faune sauvage ou, depuis 2006, avec le programme Agrifaune qui réunit l’ONCFS, la Fédération nationale des chasseurs, la FNC, l’Assemblée permanente des chambres d’agriculture, l’APCA, et la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles, la FNSEA. Les chasseurs montrent leur implication ; il est vrai qu’elle est inégale selon les départements et que j’aimerais parfois moi-même qu’elle aille un peu plus loin. Mais ce mouvement existe bien et cette proposition de loi nous donne l’occasion de le saluer ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. Yvon Collin. Très bien !
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles du texte élaboré par la commission.
Article 1er
Le deuxième alinéa de l’article L. 421–5 et le premier alinéa de l’article L. 421–13 du code de l’environnement sont complétés par une phrase ainsi rédigée :
« Elles mènent des actions d’information et d’éducation au développement durable en matière de connaissance et de préservation de la faune sauvage et de ses habitats ainsi qu’en matière de gestion de la biodiversité. »
M. le président. L’amendement n° 12, présenté par Mmes Blandin, Voynet et Boumediene-Thiery et M. Desessard, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.
Mme Marie-Christine Blandin. Comme je l’ai rappelé lors de la discussion générale, les chasseurs disposent déjà d’une convention qui les autorise à participer à des actions d’information. Cette convention ne comporte d’ailleurs pas assez de précautions et, en particulier, elle n’encadre pas suffisamment les messages.
Le gradient de l’impossible au possible – je commence par l’impossible – va du fusil, du treillis, du gibier mort et des animaux empaillés, en passant par la notion contestable de « nuisibles », à la connaissance de la faune locale ou à une simple initiation à l’environnement. Ce gradient n’est pas suffisamment balisé.
C’est ainsi que, dans un petit collège du Ternois, dans le Pas-de-Calais, une classe de sixième a bénéficié, il y a quelques années, d’une action éducative intitulée « Initiation au piégeage des petits puants ». Après la description apocalyptique des monstres sanguinaires que sont ces carnivores et la pose des pièges par les élèves, ces enfants de sixième et de cinquième ont découvert, une semaine plus tard, les petites fourrures sanguinolentes. Heureusement, des parents s’en sont émus et cette initiative a pris fin. Heureusement aussi, si j’en crois vos propos, telles ne sont plus vos méthodes ni vos intentions…
Beaucoup ici plaident en faveur de cette sensibilisation pour remédier à la baisse du nombre des chasseurs. Il me semble utile de placer les chiffres en perspective : si la France compte 1 300 000 chasseurs, l’Espagne en compte 980 000, le Royaume-Uni 880 000 et l’Italie 750 000. Vous n’êtes donc pas les plus mal lotis !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. La commission a rendu un avis défavorable, mais j’aimerais vous informer de ce qui se passe vraiment sur le terrain, madame Blandin !
Comme nos autres collègues, j’ai appris, en vous écoutant, ce qui s’était passé dans ce collège du Pas-de-Calais. Mais cet exemple ne correspond pas à la réalité !
En matière d’éducation et d’information, les fédérations de chasse réalisent un travail extraordinaire. Plus de quatre-vingts d’entre elles – autrement dit, les huit dixièmes des départements – invitent des publics scolaires à visiter leurs réserves de chasse. Dans mon département, une réserve a été créée dans le marais Vernier, avec un observatoire. Les enfants des écoles primaires viennent à tour de rôle observer aussi bien le gibier d’eau que les oiseaux protégés ; ils repartent avec des images, de l’information et sont assez enthousiastes ! Même des enseignants au départ un peu réticents n’hésitent pas à revenir dans cette réserve. Voilà pour le travail d’information réalisé à l’intention des écoles primaires !
Le travail de formation va beaucoup plus loin. Dans de nombreux lycées agricoles, les formations qui ont un lien avec la gestion des territoires bénéficient de l’intervention des fédérations. Il ne faut pas tomber dans la caricature des chasseurs en treillis avec leur fusil : je n’ai entendu parler d’aucune formation, dans aucun collège, aucune école, aucun lycée, où l’on apprendrait à des jeunes à manier les armes ! Ce maniement s’apprend plus tard et ailleurs, lors du passage du permis de chasser et ne concerne que ceux qui veulent entrer dans cette démarche.
En revanche, dans les lycées agricoles, grâce à ce que montrent les fédérations de chasse, les élèves apprennent énormément sur la biodiversité, sur les espèces, sur la flore, sur la faune... Ce travail est assez extraordinaire ! Mme la ministre va peut-être vous le rappeler, la convention passée le 4 mars 2010 avec le ministère de l’éducation nationale a pris acte de ces interventions de manière très positive.
Je souhaite donc, premièrement, que nous évitions de tomber dans la caricature et, deuxièmement, que cet article 1er soit préservé. Aussi, la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement de suppression.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre. Le Gouvernement émet également un avis défavorable.
L’exemple que vous citez, madame Blandin, est absolument scandaleux, mais ce n’est pas parce qu’une telle pratique déviante a pu être observée que le système lui-même est mauvais. Le droit de participer à cette sensibilisation à l’environnement est reconnu aux fédérations de pêcheurs ; il est assez naturel qu’il soit également reconnu aux fédérations de chasseurs.
Cela dit, je partage votre insatisfaction quant à l’emploi du terme « nuisibles ». Je serais preneuse d’une meilleure formulation, sous réserve que l’on ne s’oriente pas vers une appellation comme celle de « petits puants » (Mme Marie-Christine Blandin sourit.), qui me semble en effet très peu adaptée !
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Carrère, pour explication de vote.
M. Jean-Louis Carrère. Je regrette également que l’on puisse rencontrer, dans certains départements, des caricatures du type de celle qui a été évoquée par Mme Blandin.
Le département des Landes abrite deux réserves naturelles, l’une à Pontonx-sur-l’Adour, où je l’invite, et l’autre sur le marais d’Orx. Je puis attester que ces réserves sont extrêmement bien entretenues par la fédération des chasseurs, avec l’appui des collectivités locales. Les enfants des écoles s’y rendent aussi pour observer la faune au moment des migrations et cette activité, très formatrice, s’avère extrêmement intéressante.
L’effort pédagogique des fédérations de chasseurs en direction des enfants de nos zones sera bénéfique pour l’image de la chasse et pour des pratiques encore améliorées, qui réduiront à néant ce que nous décrivait Mme Blandin.
M. Roland du Luart. Très bien !
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 13, présenté par Mmes Blandin, Voynet et Boumediene-Thiery et M. Desessard, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Elles mènent des actions d’information en matière de connaissance de la faune sauvage et de ses habitats. »
La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.
Mme Marie-Christine Blandin. Il s’agit d’un amendement de repli visant à supprimer simplement la fin de la dernière phrase de l’article, soit les termes « ainsi qu’en matière de gestion de la biodiversité ».
Vous le savez, mes chers collègues, les déséquilibres causant la prolifération de certaines espèces, que vous avez tous évoqués, sont souvent d’origine humaine : apport d’espèces invasives ou éradication d’un prédateur dont on mesure a posteriori l’action régulatrice, agrainage, ou encore pratique qui consiste à enduire d’asphalte les troncs d’arbre pour inciter les sangliers à venir s’y gratter et pour qu’ils soient plus nombreux sur un territoire. Puis, lorsque les dégâts dont ils sont à l’origine commencent à gêner, on regrette leur présence !
Au demeurant, la biodiversité, globalement, n’a pas besoin d’être gérée : elle se porte nettement mieux quand on la laisse tranquille ! Mais la place de l’homme et de ses activités provoque des perturbations, qui ne sont pas « naturelles ». Cependant, il s’agit de notre vie, de notre raison d’être. Il convient simplement d’agir avec précaution, ce que ne font pas forcément les chasseurs.
Ainsi, la pédagogie que vous mettez aujourd’hui en avant n’a pas toujours bénéficié de connaissances justes.
À cet égard, permettez-moi de vous rappeler qu’un numéro du Chasseur français proposait la description du croisement de la belette et de l’hermine. L’« herminette », phénomène inédit, était censée regrouper toutes les férocités de ses géniteurs. Le seul problème, c’est que ces deux espèces ne sont pas interfécondes ! Pourtant, un joli dessin illustrait l’article en question…
Aujourd’hui encore, l’Observatoire national de la délinquance et des réponses pénales relève dans sa rubrique « atteinte à la protection de la faune et de la flore » 9 000 infractions concernant la chasse et seulement 2 000 relatives à la pêche. Par conséquent, comme vous pouvez le constater, il existe un décalage entre vos affirmations et la réalité. Comme en matière de gestion, il faut beaucoup de temps pour faire cesser les transgressions.
Je pense notamment à la réserve naturelle du Platier d’Oye, classée en 1987, mitée de huttes illégales déplacées sur fonds publics, puis réinstallées clandestinement. Ces abris furent ensuite condamnés à l’enlèvement par le tribunal correctionnel de Saint-Omer, puis par la cour d’appel de Douai, enfin, en 2004, par le Cour de cassation. Toutefois, l’enlèvement ne fut mis en œuvre qu’en 2007 ! Il aura donc fallu vingt ans pour appliquer la loi et épargner, outre le site, des migrateurs protégés, qui payaient là un très lourd tribut aux chasseurs.
Il serait bon que ces acteurs-là ne deviennent pas pédagogues de la biodiversité. Aussi convient-il de supprimer, par modestie, la fin de la phrase proposée à l’article 1er.
M. le président. L'amendement n° 9 rectifié, présenté par MM. Carrère et Patriat, Mme Herviaux, M. Mirassou et les membres du groupe Socialiste, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Remplacer le mot :
Elles
par les mots :
Les Fédérations départementales des chasseurs agréées associations de protection de l’environnement au titre de l’article L. 141–1
La parole est à M. François Patriat.
M. François Patriat. Au travers de cet amendement, nous cherchons justement à encadrer quelque peu le texte, afin que les choses soient plus claires, ce qui permettra d’ailleurs de répondre pour partie aux préoccupations de Mme Blandin.
J’ai pu en être le témoin, les fédérations départementales de chasseurs participent à la mise en valeur du patrimoine, notamment cynégétique. Elles assurent, dans les écoles, la promotion et la défense de la chasse, même s’il ne s’agit pas là de leur mission essentielle. Elles conduisent également des actions d’information, d’éducation et d’appui technique à l’intention des gestionnaires des territoires et des chasseurs et, le cas échéant, des gardes-chasse particuliers.
Dans cette proposition de loi, il est proposé de reconnaître que ces fédérations départementales peuvent mener des « actions d’information et d’éducation au développement durable en matière de connaissance et de préservation de la faune sauvage et de ses habitats ainsi qu’en matière de gestion de la biodiversité ».
Il s’agit d’une avancée, sur laquelle nous n’avons pas d’opposition notoire. Nous souhaitons par conséquent prévoir certains encadrements en la matière.
Dans la pratique, il faut le reconnaître, de nombreuses fédérations mènent d’ores et déjà de telles actions, notamment auprès des élèves à la demande des chefs d’établissement. Or leurs interventions ne se limitent pas au domaine de la faune sauvage, elles abordent aussi, M. le rapporteur l’a dit tout à l’heure, la problématique de la préservation de l’habitat des espèces et de leur milieu naturel. Elles relèvent donc, de manière plus générale, du champ du développement durable.
Cette pratique a d’ailleurs déjà été formalisée, cela vient d’être rappelé, le 4 mars 2010, dans une convention de partenariat pour l’éducation au développement durable conclue entre la Fédération nationale des chasseurs, le ministre de l’éducation nationale et le ministre de l’écologie.
Permettez-moi de citer l’article 7 de cette convention, laquelle précise que la fédération nationale et les fédérations départementales « tiennent à la disposition des écoles et des établissements scolaires qui en font la demande les structures, territoires et personnels dédiés à l’éducation et au développement durable, à la biodiversité et au respect de la nature ».
Vous le savez aussi, mes chers collègues, nous reconnaissons explicitement, depuis plusieurs années, le rôle pédagogique des associations agréées de pêche.
Notre groupe pourrait donc soutenir la disposition qui nous est proposée, à condition qu’une précision, à laquelle nous tenons, soit introduite à l’article 1er.
Vous vous en souvenez certainement, lors de l’examen, en 2008, de la proposition de loi pour l’amélioration et la simplification du droit de la chasse de M. Poniatowski, nous avions eu une longue discussion relative à l’agrément des associations de protection de l’environnement.
Nous nous étions mis d’accord sur le fait que la Fédération nationale des chasseurs et les fédérations départementales des chasseurs étaient éligibles à l’agrément « association de protection de l’environnement ».
Il était important pour notre groupe que cette reconnaissance ne soit pas automatique, pour les raisons évoquées à l’instant par Mme Blandin. Vous aviez bien voulu soutenir notre amendement, qui fait désormais l’objet de l’article L. 141–1 du code de l’environnement.
Il ne suffit pas qu’une association ait pour objectif la gestion de la faune sauvage pour recevoir l’agrément. Il faut remplir d’autres conditions, notamment mener des activités de protection de la nature, de l’eau, des sites et des paysages.
Nous estimons en effet que les fédérations de chasseurs peuvent tout à fait prétendre à cet agrément, dans la mesure où est entreprise la démarche nécessaire pour l’obtenir. Nous vous proposons donc de préciser dans cet article que seules les fédérations ayant reçu l’agrément « association de protection de l’environnement » peuvent mener des actions d’information et d’éducation au développement durable.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. L’amendement n° 13 est un amendement de repli, comme vient de le dire Mme Blandin elle-même, sur lequel la commission a émis un avis défavorable. Son objet, en effet, est loin d’être innocent !
Madame Blandin, je vous invite à découvrir des choses plus intéressantes que celles que vous rapportez, des endroits où les activités des fédérations sont extraordinaires, qu’il s’agisse de la gestion des espèces ou des espaces. Vous seriez bluffée !
Votre vision me fait penser à celle que présente à loisir la presse, laquelle n’évoque que trains en retard et catastrophes diverses. Ce qui fonctionne bien, en revanche, ne fait jamais l’objet d’un article.
Or, je vous l’assure, de très nombreuses fédérations mènent une action tout à fait satisfaisante. Mon invitation n’est pas un effet de manche : j’aimerais vraiment vous montrer le travail de certaines fédérations.
Quant à l’amendement n° 9 rectifié, je souhaiterais convaincre ses auteurs de le retirer.
Tout d’abord, je tiens à rappeler que 80 fédérations sur 94 mènent des actions d’information et d’éducation. Beaucoup s’impliquent, d’une manière intelligente, dans ce domaine, pour montrer des choses susceptibles d’intéresser un public.
Monsieur Patriat, vous proposez d’encadrer le dispositif et d’interdire aux fédérations qui ne sont pas agréées de mener ces actions d’information et d’éducation. Or, aujourd’hui, en France, seules deux fédérations – la fédération départementale de Seine-et-Marne et la FICEVY, fédération interdépartementale – n’ont pas encore reçu cet agrément ! Mes chers collègues, en tant que législateur, aussi bien en 2005 qu’en 2008, nous avions souhaité que les fédérations de chasse soient agréées. Je pense donc qu’il ne serait pas très adroit de montrer du doigt les deux dernières fédérations dont les demandes d’agrément sont en cours d’instruction.
Par ailleurs, nous en avons parlé en commission, certaines associations écologistes s’emploient à faire en sorte que cet agrément soit retiré aux fédérations. Une telle tentative a été menée contre la fédération départementale de la Manche, en raison d’une incompréhension relative aux motifs pour lesquels le Parlement avait créé cette possibilité d’agrément. À la surprise générale, un premier jugement avait retiré l’agrément à cette fédération départementale. Fort heureusement, cette décision a été annulée en appel.
Selon moi, il convient de ne pas affaiblir les fédérations de chasse, notamment les deux dont la demande d’agrément est en cours d’instruction. C’est pourquoi, mes chers collègues, je vous demande de bien vouloir retirer cet amendement. À défaut, je me verrais obligé de confirmer les propos que j’ai tenus en commission et d’émettre un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre. Le Gouvernement est défavorable à l’amendement de Mme Blandin, pour les raisons qui ont déjà été évoquées.
Sur l’amendement n° 9 rectifié de MM. Carrère, Patriat and Co, je partage complètement l’argumentaire de M. le rapporteur, ce qui me conduit à m’en remettre à la sagesse du Sénat.
M. le président. Monsieur Patriat, l’amendement n° 9 rectifié est-il maintenu ?
M. François Patriat. Madame la ministre, ce n’est pas « Carrère, Patriat and Co », c’est Carrère, Patriat and so ! (Sourires.)
Quoi qu’il en soit, j’ai bien entendu ce que vient de dire M. le rapporteur. Puisque ces fédérations disposent déjà de cet agrément, en quoi le fait d’indiquer qu’il est nécessaire pour mettre en œuvre ces actions d’information et d’éducation leur serait-il préjudiciable ?
Dans le cadre des dérives qui ont pu être observées, il s’agit simplement de souligner que cet agrément, n’étant pas automatique, peut être retiré par l’autorité publique. Les fédérations devront donc veiller à le conserver.
Toutefois, compte tenu des explications que pourra nous apporter Mme la ministre sur ce point, je retire cet amendement.
M. le président. L’amendement n° 9 rectifié est retiré.
Je mets aux voix l'amendement n° 13.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. Je mets aux voix l'article 1er.
(L'article 1er est adopté.)
Article 2
I. – Le premier alinéa du I de l’article 1395 D du code général des impôts est ainsi rédigé :
« I. – Les propriétés non bâties classées dans les deuxième et sixième catégories définies à l’article 18 de l’instruction ministérielle du 31 décembre 1908 et situées dans les zones humides définies au 1° du I de l’article L. 211–1 du code de l’environnement sont exonérées de la taxe foncière sur les propriétés non bâties perçue au profit des communes et de leurs établissements publics de coopération intercommunale à concurrence de 50 % lorsqu’elles figurent sur une liste dressée par le maire sur proposition de la commission communale des impôts directs et qu’elles font l’objet d’un engagement de gestion pendant cinq ans portant notamment sur le non-retournement des parcelles et la préservation de l’avifaune, sans exclure la pratique de la chasse. »
II. – La perte de recettes résultant pour les collectivités territoriales du I ci-dessus est compensée à due concurrence par une majoration de la dotation globale de fonctionnement.
III. – La perte de recettes résultant pour l’État du paragraphe précédent est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
M. le président. L'amendement n° 14, présenté par Mmes Blandin, Voynet et Boumediene-Thiery et M. Desessard, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.
Mme Marie-Christine Blandin. L’article 2 de la présente proposition de loi est le symbole même d’un nouveau cadeau fiscal accordé à une certaine catégorie de la population.
Vous souhaitez en effet mettre en place des exonérations de taxe foncière sur le non-bâti qui bénéficieront aux propriétaires d’installations de chasse situées dans les zones humides. Étant donné l’état actuel des finances publiques, dont on ne cesse de nous parler, il serait sûrement plus judicieux de s’abstenir de voter une telle mesure.
À dire vrai, j’ai parfois du mal à comprendre les intentions du Gouvernement. Monsieur le rapporteur, vous avez indiqué en commission que le Gouvernement est favorable à cet article et qu’il lèvera le gage, alors que, le 19 avril dernier, Mme Lagarde et M. Baroin affirmaient devant la commission des finances de l’Assemblée nationale leur volonté de « poursuivre l’effort de réduction des niches fiscales et sociales », dans le cadre de la politique de réduction des déficits publics. M. Arthuis a indiqué ne pas comprendre qu’on puisse prendre, le matin, l’engagement de supprimer des niches fiscales et en instituer de nouvelles l’après-midi...
J’aurais d’ailleurs aimé connaître le montant total que représenteront ces exonérations.
Par ailleurs, pour justifier cette nouvelle exonération, vous évoquez, pour ces zones humides, un entretien respectueux de l’équilibre de la biodiversité, auquel seraient ainsi incités les propriétaires. Il aurait peut-être été plus judicieux d’utiliser cet argent pour nettoyer ces zones et restaurer les habitats, qui ont subi durant de trop longues années et subissent toujours les conséquences de l’utilisation, malgré son interdiction, de la grenaille de plomb, qui modifie gravement le milieu aquatique et provoque, si elle est ingérée, des cas de saturnisme (M. Jean-Louis Carrère est dubitatif.) ou d’infertilité : la taille des pontes est réduite et la masse des œufs diminue.
En effet, les 250 millions de cartouches tirées par an, dont 6 000 tonnes dans le cadre de la chasse, ont laissé des traces. Il s’agit d’une drôle de gestion de la biodiversité !
Les plans d’eau et les zones humides dans lesquelles se trouvent des installations fixes de chasse représentent pour leurs propriétaires une manne financière importante. On trouve sur Internet des offres de location de couchettes dans des huttes et des gabions à des prix impressionnants !
La rigueur budgétaire souhaitée par le Gouvernement ne saurait être à deux vitesses : d’un côté, vous « soignez » les chasseurs et de l’autre, madame la ministre, vous supprimez des niches fiscales vertes, je pense notamment au photovoltaïque. De tels sacrifices doivent être étendus à toute la population : si la rigueur doit tomber, elle ne peut épargner personne.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Je voudrais tout de même vous rappeler certaines réalités, madame Blandin.
L’objet de cet article est à des années-lumière de votre interprétation : il ne s’agit pas ici de créer une niche fiscale.
La mesure dont il est question avait été adoptée – je crois d’ailleurs me souvenir que vous aviez voté le texte – dans le cadre de la loi relative au développement des territoires ruraux, et plus particulièrement son volet « zones humides ».
Madame la ministre, vous nous l’avez rappelé tout à l’heure, il est important de protéger et préserver ces zones.
Au moment de la discussion de la loi relative au développement des territoires ruraux, une mesure est apparue – je ne sais d’ailleurs plus comment – qui introduisait une exonération de la taxe foncière au bénéfice des zones humides.
Un amendement avait été adopté précisant que, lorsque sur ces zones humides sont installés des équipements cynégétiques, il n’est pas possible de bénéficier de l’exonération.
En tout état de cause, de quoi s’agit-il ? D’une mesure qui coûte au budget de l’État 30 000 euros ! Je dis bien « 30 000 euros », madame Blandin ! On ajoutera quelques zones humides, qui coûteront quelques centaines d’euros supplémentaires. Mais ne faisons pas de comparaisons avec des niches fiscales qui représentent des dizaines ou des centaines de millions d’euros !
Il s’agit de traiter des zones humides. Veut-on, oui ou non, les protéger ? Prévoyons-nous, oui ou non, les moyens de le faire ? Dans l’affirmative, il est absurde de considérer que de méchants individus viennent chasser sur ces zones et que, pour eux, cette petite exonération de taxe foncière, c’est non !
C’est pour ces raisons que, madame Blandin, nous ne vous avons pas suivie et que, en commission, nous avons émis un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre. S’il fallait envisager la question du coût de ce dispositif, je regretterais plutôt qu’il ne soit pas plus élevé ! En effet, cela prouverait que les zones humides sont correctement protégées.
Sur le principe, surtout, je ne crois pas que ce dispositif, dans son esprit, modifie les textes qui existent. Ceux-ci, à vrai dire, étaient peu explicites, ce qui a causé des problèmes, des tensions et des malentendus. Aujourd’hui, notre objectif est de préciser les textes, et de séparer clairement ce qui pourra donner droit à l’exonération, et ce qui ne le pourra pas.
En réponse à votre intervention, madame Blandin, je veux redire que la grenaille de plomb est interdite dans les zones humides. La dernière dérogation, qui concernait la régulation du cormoran, a même été supprimée. Aussi ces sujets, qui ont existé, appartiennent-ils heureusement au passé.
S’agissant du photovoltaïque, j’aurais préféré vous entendre parler des plus de 10 milliards d’euros qui vont être consacrés à l’éolien offshore 3 gigawatts ; il s’agira d’équipements produits en France, et qui permettront la création d’emplois pour nos compatriotes, ce qui, vous le savez, n’était pas toujours le cas des équipements importés dans le domaine de l’énergie photovoltaïque.
En conséquence, le Gouvernement émet un avis défavorable.
M. le président. L'amendement n° 25, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Compléter cet alinéa par les mots :
sous réserve que celle-ci soit associée à la préservation et à l’entretien des habitats
La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre. Comme je l’ai dit, il n’est pas nécessaire de modifier l’esprit du dispositif ; il faut seulement le préciser, en indiquant ce qui donne lieu à exonération, et ce qui n’y donne pas lieu.
L’esprit de l’exonération consiste à préserver l’environnement. Cet objectif n’exclut pas que l’on puisse chasser sur les terrains en cause, mais les dispositifs doivent concourir à la préservation et à l’entretien de l’environnement.
Avec cet amendement, il n’y a plus d’ambiguïté : il s’agit d’un dispositif destiné à préserver l’environnement ; on ne considère pas que la préservation de l’environnement et la chasse soient exclusives l’une de l’autre.
Il me semble que cet amendement pourrait réconcilier les différentes positions qui ont été exprimées dans votre hémicycle.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Je vois d’autant moins d’inconvénients à l’adoption de cet amendement qu’il nous permet de rappeler avec force le rôle essentiel que jouent les chasseurs dans les zones humides.
Je voudrais simplement, madame la ministre, que vous nous donniez l’assurance que le gage sur cet article sera levé. Peut-être ne vous est-il pas facile de le lever tout de suite, mais il faut que vous preniez l’engagement qu’il le sera avant l’adoption définitive du texte…
M. le président. Madame la ministre, je crois que M. le rapporteur sera heureux de vous entendre…
M. Jean-Paul Emorine, président de la commission de l’économie. Nous sommes en zone humide ! (Sourires.)
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre. Comme Mme Blandin l’a rappelé, les finances de l’État, en ce moment, sont quelque peu contraintes…
À propos de la levée des gages, des arbitrages sont nécessaires pour chaque amendement. La question sera naturellement examinée au cours de la procédure, qui comporte encore plusieurs étapes.
Vous pouvez, monsieur le rapporteur, être rassuré.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Dans ces conditions, l’avis de la commission est très favorable !
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Carrère, pour explication de vote.
M. Jean-Louis Carrère. En commission de l’économie, le groupe socialiste avait proposé plusieurs amendements modifiant cet article, afin de donner des garanties accrues sur la nature des terrains concernés par l’extension de l’exonération de taxe foncière, ainsi que sur leur gestion.
La proposition de rédaction faite par M. le rapporteur en commission offrait à mes collègues des garanties suffisantes sur leur bonne gestion. Celle que présente le Gouvernement est encore plus précise ; elle nous satisfait donc.
Il s’agit en effet de préciser que la chasse pratiquée sur ces terrains doit être associée à la préservation et à l’entretien des habitats, ce qui nous paraît tout à fait cohérent.
Je veux d’ailleurs rappeler que, selon l’article L. 424–5 du code de l’environnement, les chasseurs propriétaires de postes fixes pour la chasse au gibier d’eau de nuit sont obligés de participer à l’entretien des plans d’eau et des parcelles attenantes de marais et de prairies humides.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. C’est exact !
M. Jean-Louis Carrère. C’est le schéma départemental de mise en valeur cynégétique qui fixe les modalités de cette participation, ce qui nous donne quelques garanties sur les engagements de gestion dont j’ai parlé précédemment.
Il nous faut absolument protéger ces zones humides, qui remplissent des fonctions hydrographiques et biologiques importantes. L’amendement proposé par le Gouvernement va dans ce sens ; nous le soutenons par conséquent.
M. le président. Je mets aux voix l'article 2, modifié.
(L'article 2 est adopté.)
Article 3
(non modifié)
À la fin de la deuxième phrase du second alinéa de l’article L. 420–1 du code de l’environnement, les mots : « la gestion équilibrée des écosystèmes » sont remplacés par les mots : « une gestion équilibrée de la biodiversité ».
M. le président. L'amendement n° 15, présenté par Mmes Blandin, Voynet et Boumediene-Thiery et M. Desessard, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.
Mme Marie-Christine Blandin. Si vous le permettez, monsieur le président, je défendrai en même temps l’amendement no 15 et l’amendement no 16, puisque ce dernier est un amendement de repli.
M. le président. J’appelle donc en discussion l’amendement n° 16, présenté par Mmes Blandin, Voynet et Boumediene-Thiery et M. Desessard, et qui est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
I. - La deuxième phrase du second alinéa de l’article L. 420-1 du code de l’environnement est supprimée.
II. - En conséquence, au début de la troisième phrase du second du même article, le mot : « Ils » est remplacé par les mots : « Les chasseurs ».
Veuillez poursuivre, ma chère collègue.
Mme Marie-Christine Blandin. Concernant l’amendement n° 15, qui est un amendement de suppression, j’attire votre attention sur l’état actuel de la biodiversité en France, et sur la nécessité de s’interroger sur l’impact des activités de chasse.
Les chasseurs se flattent d’être les premiers gestionnaires de la biodiversité. Mais c’est une gestion qu’ils effectuent au profit de leur propre activité ! De sorte qu’elle ne prend en compte qu’une partie des écosystèmes : c’est seulement certaines espèces que l’on prélève, que l’on introduit et que l’on nourrit. Il s’agit d’une démarche anthropocentrique, et à courte vue.
La gestion de la biodiversité ne peut se réduire à une distinction – pour prendre cet exemple – entre gibiers et nuisibles ; elle le peut d’autant moins que certaines espèces de gibiers sont privilégiées au détriment de certaines autres, et que certains prédateurs sont finalement considérés comme des concurrents, se retrouvant en voie d’extermination pour cette raison.
Un sondage réalisé par la Fédération nationale des chasseurs nous apprend que 80 % d’entre eux sont favorables à des lâchers de repeuplement de petit gibier.
Il ne s’agit pas là d’une gestion équilibrée. Le monde vivant s’équilibre avec le temps, s’autorégulant en fonction des territoires disponibles et des ressources des milieux, dès lors que l’homme respecte ses mécanismes naturels.
Les activités humaines ont assurément un impact : c’est le cas de l’agriculture, du bétonnage, de la construction de routes. Mais la chasse exerce elle aussi une pression, directe et immédiate, sur les équilibres naturels : elle demeure prédatrice dans l’espace de la biodiversité.
Plus de 48 % des espèces d’oiseaux chassables en France sont classées par l’Union internationale pour la conservation de la nature, l’UICN, parmi les vulnérables, celles qui sont en état défavorable ou celles qui sont en danger : la chasse vient accentuer la régression de ces espèces.
Qu’apporte donc la chasse à la biodiversité lorsque, au cours de chasses nocturnes au gibier d’eau, plus de 6 mois dans l’année et 7 jours sur 7, des oiseaux difficilement identifiables, souvent rares et protégés, sont tués en grand nombre ?
J’ajoute également que certains oiseaux ont besoin, particulièrement lors des migrations et de l’hivernage, de pouvoir se nourrir et se reposer. Or, précisément, les zones humides sont occupées par des gabions et des huttes.
La création d’environnements artificiels et la pratique de lâchers d’animaux ne sont pas favorables au respect de la biodiversité.
Enfin, madame la ministre, que penser d’une proposition de loi qui supprime des missions de la chasse – parmi lesquelles elle figure aujourd’hui aux termes du code de l’environnement – la « gestion équilibrée des écosystèmes », pour lui substituer une « gestion équilibrée de la biodiversité », alors que vous me reprochiez tout à l’heure de vouloir ôter des missions de la chasse la gestion des écosystèmes ?
S’il s’agit, en introduisant la « biodiversité », de satisfaire à un effet de mode « année de la biodiversité », vous avez un an retard… S’il s’agit de parler de la variété des espèces, il y a longtemps que le concept de biodiversité recouvre davantage que le simple inventaire des espèces, pour s’étendre aux habitats et aux interactions entre espèces ; aux fonctionnalités qu’elles assurent entre elles et avec leur milieu et aux services rendus ; bref, à tout ce que désigne le mot « écosystème ».
L’amendement n° 16, de repli, supprime seulement une partie médiane de cet article, particulièrement axée sur la reconnaissance d’activités favorables à la gestion de la biodiversité.
J’ai, pour ma part, le souvenir des chasseurs s’opposant à la création de parcs naturels, à Natura 2000, à la réintroduction de l’ours… Je pense que ce n’est pas être caricatural que de rappeler les choses qui se sont produites.
Je vous suis reconnaissante, monsieur le rapporteur, pour votre invitation (Sourires.), mais je n’en ai pas besoin : en effet dans mon département, lorsque je présidais le conseil régional du Nord–Pas-de-Calais, j’ai eu d’excellents rapports avec certains de vos collègues ; avec leur soutien, des morceaux de trame verte innovante ont été financés, destinés à servir de réserves de gibier, en même temps qu’à être utiles à l’environnement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission sur les amendements nos 15 et 16 ?
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Ces deux amendements ont le même objet.
Le débat qu’ils soulèvent est ancien : il s’agit de nier l’utilité de la chasse dans la régulation de la biodiversité.
Les chasseurs n’ont pas la prétention d’être des pionniers en matière de préservation de la biodiversité ; ils ont simplement celle d’être l’un de ses acteurs, voilà tout.
Vouloir aujourd’hui le nier, c’est chercher à rouvrir des combats menés en 2000, 2003 ou 2005. Je pensais que tout cela était révolu, mais je vois qu’il n’en est rien.
Pour finir, madame Blandin, je voudrais vous rappeler qu’en 2008 la charte européenne de la chasse et de la biodiversité a été votée, je crois, par vos collègues Verts du Parlement européen. Elle l’a été dans son ensemble : tout ce qu’elle contient a donc, en principe, été approuvé par eux.
Or cette charte prévoit tout simplement – je me permets de vous le rappeler – que « les chasseurs peuvent contribuer à la sauvegarde de la vie sauvage et du milieu naturel, en régulant les populations de gibier et en prenant soin de leurs habitats, en soutenant le savoir et la recherche et en sensibilisant le public aux problèmes de conservation de la nature ». Autrement dit, ils sont, comme d’autres, des acteurs de la biodiversité.
En conséquence, la commission émet un avis défavorable sur ces deux amendements.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre. L’avis du Gouvernement est également défavorable.
Je comprends l’argumentaire avancé, mais je ne le partage pas dans tous ses développements.
Je ne considère pas que la dynamique naturelle des populations aboutisse nécessairement à un équilibre dans le contexte, où nous vivons, d’une nature très travaillée par l’homme.
Par ailleurs, je ne crois pas qu’il s’agisse d’un sujet absolument majeur, sur lequel nous devions nous étendre pendant des heures…
M. le président. La parole est à M. François Fortassin, pour explication de vote sur l’amendement no 15.
M. François Fortassin. Madame la ministre, mes chers collègues, je prends très brièvement la parole pour dire à ma collègue Mme Blandin qu’il est nécessaire, sur ces sujets, d’être très prudent.
Il ne s’agit pas simplement de vouloir protéger la biodiversité ; il faut encore la connaître.
Or s’il y a une donnée incontestable, c’est que les chasseurs sont certainement, avec les agriculteurs, ceux qui connaissent le mieux le milieu naturel : si on ne connaît pas le milieu naturel, on ne peut pas attraper de gibier…
Je vais prendre un exemple qui vous montrera que le mieux peut être l’ennemi du bien.
Que se passe-t-il lorsqu’une espèce n’est pas chassée dans un parc naturel ? Prenons l’exemple d’un oiseau à mes yeux particulièrement mythique, à savoir le coq de bruyère. Celui-ci ne pouvant faire l’objet d’un élevage, cela signifie que, le jour où il aura disparu d’un territoire, il ne pourra y être réintroduit. Or cet oiseau a presque entièrement disparu du parc national des Pyrénées, qu’aucun chasseur, pourtant, ne fréquente.
M. Jean-Louis Carrère. Très peu de chasseurs ! (Sourires.)
M. François Fortassin. Très peu, en effet ! (Nouveaux sourires.)
Comment cette quasi-disparition s’explique-t-elle ? La polygamie de cet oiseau est bien connue : le mâle a l’habitude de s’accoupler avec trois femelles. De fait, les couvées comptant autant de poussins mâles que de poussins femelles, cet oiseau disparaîtrait si les mâles n’étaient pas chassés, faute de renouvellement de l’espèce. Ainsi, la chasse des mâles, la seule autorisée, permet justement cette régulation.
En réalité, les prédateurs du coq de bruyère sont non pas les chasseurs, mais, sans qu’ils le sachent, les skieurs de randonnée.
Cet oiseau passe tout l'hiver perché immobile sur une branche de sapin à y dorer ses plumes au soleil, se nourrissant de quelques bourgeons de sapin. S'il est dérangé, il tombe et n’a d’autre choix que de s’efforcer de regagner péniblement une branche basse, faute de pouvoir voler plus haut que quelques mètres. C’est ce parcours dans une neige molle de fin d'hiver qui, en l’affaiblissant, peut entraîner sa mort.
Cela étant, des scientifiques de renom nous ont assuré que la cause principale de la disparition des coqs de bruyère était les câbles des remontées mécaniques, auxquels ces oiseaux se heurtent en confondant les trouées réalisées pour leur installation avec des clairières naturelles.
Cette explication de vote a peut-être été un peu longue, mais il me semblait nécessaire de démontrer que la protection de certaines espèces requiert une parfaite connaissance de la nature.
M. le président. La parole est à M. François Patriat, pour explication de vote.
M. François Patriat. J'ai écouté notre collègue François Fortassin avec beaucoup d'attention. Certains éléments naturels expliquent aussi la disparition prématurée des coqs de bruyère : c'est la prolifération de l'aulne vert, qui empêche ces oiseaux de prendre leur envol. Là encore, quand les chasseurs rouvrent les milieux, ils permettent à des espèces de se maintenir.
Madame Blandin, vouloir protéger les blaireaux ou les cormorans en surnombre, c’est bien. Mais on peut aussi se demander pourquoi il n'y a plus de perdrix, plus de cailles,…
M. Jean-Louis Carrère. De même, pourquoi ne trouve-t-on plus d’ombres ou de truites ?
M. François Patriat. … autant d’espèces qui ont fait le bonheur de nombreuses générations et qui ont, elles aussi, le droit de se maintenir. Vous voulez supprimer l’article 3, qui a pour objet de remplacer, à l’article L. 420–1 du code de l’environnement, le mot « écosystèmes » par le mot « biodiversité ». Or ce dernier terme est celui qui est désormais habituellement usité. Ainsi, le Gouvernement s’est engagé à mettre en place une stratégie nationale pour la biodiversité. Le mot écosystème, quant à lui, est tombé en désuétude, ce que l’on peut regretter. En effet, il paraît plus complet et sous-tend la notion d'équilibre entre la faune et l'habitat.
Même si cette évolution lexicale ne changera pas grand-chose pour les chasseurs, nous devons cependant adapter le vocabulaire au contexte.
Pour ces raisons, nous ne voterons pas cet amendement.
M. le président. Je mets aux voix l'article 3.
(L'article 3 est adopté.)
Article 4
Après l’article L. 425–12 du code de l’environnement, il est inséré un article L. 425–12–1 ainsi rédigé :
« Art. L. 425–12–1. – Le préfet, sur proposition de la fédération départementale ou interdépartementale des chasseurs, peut imposer le prélèvement d’un nombre déterminé d’animaux au propriétaire d’un territoire ne procédant pas ou ne faisant pas procéder à la régulation des espèces, présentes sur son fonds, qui causent des dégâts agricoles.
« Si le nombre d’animaux attribués n’est pas prélevé, le propriétaire peut voir sa responsabilité financière engagée en application de l’article L. 425-11. »
M. le président. L'amendement n° 17, présenté par Mmes Blandin, Voynet et Boumediene-Thiery et M. Desessard, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.
Mme Marie-Christine Blandin. Préalablement, je voudrais faire remarquer à notre collègue François Fortassin que, si les chasseurs sont indispensables à la reproduction du coq de bruyère, il est alors permis de se demander comment faisait cet oiseau auparavant, avant l’apparition de l'espèce humaine… (Sourires.)
L’article 4 de la présente proposition de loi est une remise en cause du droit pour tout propriétaire de s’opposer à la chasse sur son territoire. Or ce droit a été reconnu par la Cour européenne des droits de l'homme en 1999.
Ce sont donc bien les opposants à la chasse qui sont visés.
Il ne serait donc plus possible de s’opposer, par principe, par éthique ou par confort, à cette activité. Les chasseurs voudraient avoir accès à tous les territoires. Heureusement, les amateurs de motocross n'ont pas les mêmes demandes !
Le droit actuel est pourtant respectueux du choix de chacun. Ainsi, en cas de dégâts sur les cultures, le propriétaire voit déjà sa responsabilité financière engagée ou bien est obligé d’accepter des battues lorsque l’administration l’estime nécessaire.
Si l’article 4 est adopté, il sera mis fin aux pressions qu’exerçaient souvent sur les propriétaires les chasseurs qui se voyaient refuser l’accès à certains territoires. Néanmoins, ceux-ci prendront la main sur le dispositif : ce seraient désormais les fédérations qui proposeraient au préfet d’imposer un prélèvement.
De plus, en cas de défaillance dans un prélèvement consécutif à un plan de tir proposé par le préfet, la responsabilité financière du propriétaire serait quand même engagée.
Enfin, comment prouver que des animaux responsables de dégâts appartiennent à tel ou tel fonds ?
Plutôt que d’accuser systématiquement les propriétaires, ne vaudrait-il pas mieux essayer de comprendre pourquoi tant de dégâts sont causés à des surfaces agricoles ?
Quand le magazine Le chasseur français titre en une « Sangliers : gardez-les chez vous pour mieux les chasser demain », est-ce la faute des propriétaires ?
J'ai évoqué tout à l'heure la pratique de l’agrainage ou celle qui consiste à enduire d'asphalte les troncs d’arbre pour inciter les sangliers à venir s’y gratter. Si les populations de sangliers, principaux responsables des dégâts causés aux cultures, se développent à ce point, c’est aussi en raison de la complaisance de certains chasseurs, qui veulent être sûrs de ne pas rentrer bredouille.
Appliquons les textes en vigueur, examinons les pratiques et nous devrions pouvoir réguler les populations de sangliers et limiter les dégâts dont ils sont la cause.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. L'article 4 constitue le cœur de cette proposition de loi puisqu'il traite de la question des territoires non chassés, question sur laquelle j'aurai l'occasion de revenir dans la suite de la discussion des amendements. Aussi, la commission émet un avis très défavorable sur cet amendement visant à le supprimer.
Ma chère collègue, si vous craignez sincèrement que ne soit remis en cause le droit à l'opposition cynégétique, alors vous vous trompez. Il n'est aucunement question de remettre en cause ce droit. Cet article dispose simplement que, si le propriétaire d’un territoire ne procède pas ou, n’étant pas chasseur lui-même – il en a parfaitement le droit s’il n’aime pas cette activité –, refuse de faire procéder à la régulation des espèces, présentes sur son fonds, responsables de dégâts agricoles, alors il pourra voir engagée sa responsabilité financière.
Même si je ne suis pas certain que cette crainte était l’unique raison motivant votre proposition de suppression de l'article, je ne peux que vous inviter, ma chère collègue, à retirer votre amendement. À défaut, je le répète, la commission émettra un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre. Le Gouvernement émet lui aussi un avis défavorable sur cet amendement. Son amendement n° 27, tel qu’il est rédigé, devrait mettre tout le monde d'accord. Il me semble nécessaire de préciser une nouvelle fois que le droit d'opposition cynégétique n'est absolument pas remis en cause. Il n’en demeure pas moins qu’il n'est pas légitime de faire supporter par les seules fédérations de chasse les dégâts causés par des animaux en surnombre. C'est pourquoi il nous paraît indispensable, pour des raisons de justice, de trouver une réponse à un problème source de tensions dans certains milieux ruraux.
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Carrère, pour explication de vote.
M. Jean-Louis Carrère. Comme M. le rapporteur, je considère que cet article ne remet aucunement en cause le droit d'opposition cynégétique.
Je profite de cette occasion pour évoquer, brièvement et sans d’inutiles et longs développements, la situation du camp d'entraînement militaire au tir des avions de la base de Mont-de-Marsan, situé à Captieux.
En journée, les populations de sangliers se réfugient dans ce camp, propriété de l’État, avant d’en ressortir la nuit pour aller largement se repaître dans les magnifiques champs de maïs situés au sud de celui-ci, ce qui nous pose d’énormes problèmes.
Lors d’entretiens que nous avions eus avec elle, nous avions expliqué à l’ancienne ministre de la défense qu’enfermer les sangliers dans ce camp n’était pas une solution appropriée dans la mesure où ils n’avaient nulle possibilité d’y trouver de la nourriture. C’est pourquoi nous lui avions demandé de revoir le système de clôtures et, puisque nous sommes des gens responsables, de nous autoriser au moins à réguler ces populations de sangliers.
Supprimer cet article reviendrait ipso facto à transférer sur les chasseurs, sur leur mouvement associatif, des charges croissantes qu’ils ne parviennent pas, d’ores et déjà, à supporter. En outre, la question des dégâts causés par les gibiers ne serait pas réglée.
Je conclurai en disant un mot sur l’agrainage.
Madame Blandin, lorsque nous pratiquons l’agrainage, c'est à des fins de régulation des populations et non à des fins de conservation des espèces pour des raisons cynégétiques ou je ne sais quel autre motif égoïste. Notre objectif est bien de réduire autant que possible les dégâts du gibier sur les cultures.
M. Jean-Louis Carrère. Mais dans les Landes, nous sommes très bien !
M. le président. Je suis saisi de six amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 27, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
La section 2 du chapitre V du titre II du livre IV du même code est complétée par un article L. 425-5-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 425–5–1. – Lorsque le détenteur du droit de chasse d’un territoire ne procède pas ou ne fait pas procéder à la régulation des espèces présentes sur son fonds et qui causent des dégâts de gibier, il peut voir sa responsabilité financière engagée pour la prise en charge de tout ou partie des frais liés à l'indemnisation mentionnée à l'article L. 426–1 et la prévention des dégâts de gibier mentionnée à l'article L. 421–5.
« Lorsque l'équilibre agro-sylvo-cynégétique est fortement perturbé autour de ce territoire, le représentant de l’État dans le département, sur proposition de la fédération départementale ou interdépartementale des chasseurs, après avis de la Commission départementale de la chasse et de la faune sauvage, peut notifier à ce détenteur du droit de chasse un nombre d’animaux non prélevés dans un délai donné servant de référence à la mise en œuvre de la responsabilité financière mentionnée à l’alinéa précédent. »
La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre. M. le président de la commission, avec qui je m’en entretenais à l’instant, et moi-même avons, sur la pratique de l’agrainage, un point de vue quelque peu différent de celui de M. Carrère.
Cet amendement devrait pouvoir réconcilier tout le monde : il ne supprime pas le droit d'opposition cynégétique ; en revanche, il introduit une mesure de justice, équilibrée, qui devrait permettre à certains coins de campagne, dans lesquels ces questions d'indemnisation créent des tensions aussi fortes qu’inutiles, de retrouver de la sérénité.
C’est pourquoi, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous invite à voter massivement cet amendement.
M. le président. Le sous-amendement n° 28, présenté par M. Poniatowski, est ainsi libellé :
Amendement n° 27, alinéa 4
Après les mots :
faune sauvage
insérer les mots :
réunie dans sa formation spécialisée pour l’indemnisation des dégâts de gibier aux cultures et aux récoltes agricoles
La parole est à M. Ladislas Poniatowski.
M. Ladislas Poniatowski. Je précise au préalable que, l'amendement du Gouvernement visant à proposer une nouvelle rédaction pour l'article 4, son adoption rendrait sans objet les amendements suivants.
D’abord, non seulement le Gouvernement accepte la logique d'une responsabilité financière des détenteurs du droit de chasse qui ne procèdent pas à la régulation de leurs fonds, mais il fait même de celle-ci un principe.
Nous approuvons cette disposition, d’autant que tel était l'objet initial de l'article 4 et des amendements que nous avions déposés en commission.
Ensuite, l’amendement du Gouvernement vise à remplacer la notion de propriétaire par la notion de détenteur du droit de chasse, afin de prendre en compte les cas où ce droit de chasse est loué par le propriétaire à une association. C’est également une bonne chose.
En outre, l’imposition d’un nombre d’animaux à prélever est remplacée par la simple notification d’un nombre d’animaux qu’il aurait fallu prélever et qui servirait de référence pour calculer la hauteur de la responsabilité financière. Cela me convient également.
Enfin, le Gouvernement intègre dans cette nouvelle rédaction l’avis de la commission départementale de la chasse et de la faune sauvage, ajout que nous avions tous souhaité en commission. Moi-même ainsi que nos collègues Verts et socialistes avons déposé, sur cet article, un amendement en ce sens.
Mais la commission départementale doit être consultée dans des cas précis. Comme l’a rappelé M. Carrère à l’instant, cet article traite des dégâts provoqués par le gibier qui se concentre sur les territoires non chassés.
M. Jean-Louis Carrère. Y compris les propriétés de l’État.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Bien entendu !
Madame la ministre, la commission a émis un avis de sagesse sur votre amendement…
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. … parce que vous l’avez déposé seulement un quart d’heure avant qu’elle se réunisse ! Nous n’avons donc pas eu le temps d’en mesurer les conséquences. Sur le principe, je n’y étais pas hostile et c’est pourquoi j’ai proposé à la commission d’émettre un avis de sagesse. J’ai bien fait de vouloir prendre le temps de procéder à un examen détaillé de cet amendement, puisqu’il m’a paru souhaitable d’y préciser que la commission départementale est réunie dans sa formation spécialisée pour « l’indemnisation des dégâts de gibier aux cultures et aux récoltes agricoles », ce qui est bien l’objet du dispositif. Ainsi, cela ne concernera pas tous les cas de figure.
Compte tenu des délais auxquels nous étions soumis, j’ai déposé ce sous-amendement à titre personnel. Madame la ministre, si vous l’acceptez, je serai ravi, si M. le président de la commission m’y autorise, de transformer en avis favorable l’avis de sagesse que j’avais préconisé en commission.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission de l’économie.
M. Jean-Paul Emorine, président de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire. Le sous-amendement no 28 n’a pas été examiné en commission. Toutefois, eu égard au nombre de membres de la commission présents dans cet hémicycle, c’est sans inquiétude que je soutiens ce sous-amendement. Si vous l’acceptez, madame la ministre, la commission sera alors favorable à votre amendement no 27 ainsi modifié.
M. François Patriat. Que nous voterons !
M. le président. Les trois amendements suivants sont identiques.
L'amendement n° 6 est présenté par M. Poniatowski, au nom de la commission.
L'amendement n° 11 rectifié est présenté par MM. Carrère et Patriat, Mme Herviaux, M. Mirassou et les membres du groupe Socialiste.
L'amendement n° 18 est présenté par Mmes Blandin, Voynet et Boumediene-Thiery et M. Desessard.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Alinéa 2
Après le mot :
chasseurs
insérer les mots :
et après avis de la commission départementale de la chasse et de la faune sauvage
Vous avez la parole pour présenter l’amendement no 6, monsieur le rapporteur, mais, compte tenu du débat, peut-être renoncez-vous à le défendre…
M. François Patriat. Cet amendement n’a plus d’objet !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Non, monsieur Patriat, puisque le sous-amendement n° 28 et l’amendement du Gouvernement n’ont pas encore été adoptés.
L’amendement no 6 étant identique aux amendements nos 11 rectifié et 18, je laisse à M. Carrère et à Mme Blandin le soin de le présenter.
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Carrère, pour présenter l'amendement n° 11 rectifié.
M. Jean-Louis Carrère. Cet amendement porte sur la consultation de la commission départementale de la chasse et de la faune sauvage.
L’article 4 vise à intégrer un nouvel article à la section sur les plans de chasse du code de l’environnement visant à préserver l’équilibre agro-sylvo-cynégétique, en mettant en place des plans de prélèvements d’un nombre déterminé d’animaux dans les espaces manifestement sous-chassés ou non chassés et en prévoyant un dispositif d’indemnisation financière des dégâts causés par ce gibier.
En fait, il s’agit d’une extension du principe d’engagement de la responsabilité financière déjà établie dans l’article L. 425-11 qui impose pour l’instant la prise en charge de l’indemnisation des dégâts provoqués aux bénéficiaires d’un plan de chasse ne prélevant pas le nombre minimum d’animaux, aux personnes ayant formé l’opposition prévue au 5° de l’article L. 422–10 et qui n’ont pas procédé sur leur fonds à la régulation des espèces de grands gibiers.
Ce principe de responsabilité financière des propriétaires de terrains manifestement non chassés ou sous-chassés serait donc étendu à l’ensemble du territoire national : camps militaires, biens communaux, propriétés privées hors territoire des ACCA.
Aujourd'hui, il est largement admis que, face à l’accroissement des dégâts causés par les gibiers en surpopulation aux cultures ou aux récoltes agricoles, la charge financière liée à leur indemnisation est difficilement supportable par les fédérations départementales de chasseurs.
Il s’agit donc de faire en sorte que les propriétaires, notamment l’État, soient obligés de réguler les espèces présentes sur leur fonds ou, par défaut, de prendre en charge les indemnités versées aux agriculteurs ou d’organiser au mieux les battues de régulation.
Alors, bien sûr, il faudra veiller à ce que, localement, le droit des propriétaires opposants de conscience à la chasse soit respecté, étant entendu que ce droit est déjà assorti de l’obligation de procéder ou de faire procéder à la destruction des animaux nuisibles et à la régulation des espèces présentes sur le fonds.
Pour cela, il nous semble indispensable que ce dispositif soit activable sur proposition de la fédération départementale des chasseurs, mais aussi après que la commission départementale de la chasse et de la faune sauvage, qui rassemble toutes les parties prenantes, a donné un avis. Et je rejoins tout à fait le bémol, ou plutôt le sous-amendement de M. Poniatowski : seule la structure ad hoc de la commission départementale doit être consultée.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, pour présenter l'amendement n° 18.
Mme Marie-Christine Blandin. Monsieur le rapporteur, tout à l’heure, vous avez évoqué mes motivations. Vous m’avez rassurée sur la première, le maintien du droit à l’opposition cynégétique, et l’amendement du Gouvernement répond à la seconde, la sortie du huis clos comminatoire entre l’administration et les chasseurs. (M. Jean-Louis Carrère acquiesce.) Cette seconde motivation fait d’ailleurs l’objet du présent amendement, qui vise à permettre la consultation de la commission départementale de la chasse et de la faune sauvage.
Le sous-amendement no 28 précise que seule la formation spécialisée pour l’indemnisation des dégâts du gibier sera consultée. J’espère que cette disposition n’a pas d’effet restrictif, que la composition de cette formation sera aussi diverse que celle de la commission. Si tel n’était pas le cas, nous perdrions tout l’intérêt que représente cette ouverture.
Sous cette réserve, l’amendement no 27 du Gouvernement, modifié par le sous-amendement no 28 de M. Poniatowski, convient très bien.
M. le président. L'amendement n° 3, présenté par M. Pointereau, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Après le mot :
territoire
insérer les mots :
, y compris à l'État,
L'amendement n° 4, présenté par M. Pointereau, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Après le mot :
procéder
insérer le mot :
suffisamment
La parole est à M. Rémy Pointereau, pour présenter ces deux amendements.
M. Rémy Pointereau. Il s’agit d’amendements de précision.
Au travers de l’amendement n° 3, qui reprend un point ayant été évoqué voilà quelques instants par M. Carrère, je souhaite qu’il soit mentionné que l’État est bien visé par les dispositions de l’article 4.
Dans certaines propriétés de l’État, – je pense au camp militaire des Landes que M. Carrère évoquait tout à l’heure, mais aussi à un terrain de plus de 10 000 hectares situé dans le Cher et sur lequel il est procédé à des essais de tir – on constate une prolifération de sangliers. Des associations de chasse dépendant de l’État interviennent sur ces terrains, mais la régulation est parfois difficile.
Il convient d’être précis. L’État doit faire procéder à des battues de régulation. Si besoin est, il devra indemniser les agriculteurs, ce qui suppose qu’il s’en donne les moyens en prévoyant des lignes budgétaires ad hoc.
L’État, qui possède de nombreuses propriétés sur l’ensemble du territoire national, se doit d’être exemplaire. C'est pourquoi il me paraît utile de préciser qu’il est visé par les dispositions de l’article 4.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. La commission ne peut accepter les amendements nos 3 et 4. En commission, à la suite des explications que je lui avais données, M. Pointereau avait retiré ses amendements, en précisant qu’il déposerait de nouveau un amendement en séance publique afin que Mme la ministre lui confirme que les territoires de l’État sont inclus dans le dispositif.
Mon cher collègue, je le réaffirme – Mme la ministre pourrait également le faire –, tous les territoires non chassés sont concernés, qu’ils appartiennent à l’État – et aient, ou non, une vocation militaire –, à des communes ou à des particuliers. Vous ayant ainsi rassuré, je vous demande par conséquent de bien vouloir retirer l’amendement no 3.
Par ailleurs, l’introduction de l’adverbe « suffisamment »…
M. Jean-Louis Carrère. Elle n’est pas possible.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. … ne me paraît pas utile. À l’heure où nous nous efforçons tous de clarifier et de simplifier les textes, il serait dommage que ce soit lors d’une proposition de loi visant à moderniser le droit de la chasse que l’on complexifie la loi. C'est la raison pour laquelle je vous demande de bien vouloir retirer également votre amendement n° 4.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre. L’avis est fait de compromis. Je dois à la vérité de reconnaître – je le dis en particulier pour Mme Blandin qui s’interrogeait sur ce point – que la composition de la formation spécialisée prévue dans le sous-amendement no 28 est moins ouverte que celle qui avait été envisagée par le Gouvernement. Toutefois, j’ai bien compris que M. Poniatowski était très attaché à son sous-amendement. Aussi, je suis favorable à ce sous-amendement.
Je défends fortement mon amendement. Monsieur Carrère, s’il est adopté,…
M. Jean-Louis Carrère. Comme c’est probable !
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre. … votre amendement deviendra sans objet. Je vous appelle donc à voter en faveur de mon propre amendement.
Monsieur Pointereau, votre amendement no 3, comme votre amendement no 4, n’est pas utile, car les terrains de l’État sont visés de plein droit, au même titre que les autres, comme c’est déjà le cas des territoires sur lesquels il existe un plan de chasse qui n’a pas été suffisamment mis en œuvre. Ainsi, dans le cas du camp militaire de Captieux, qu’évoquait tout à l’heure M. Carrère, l’État a été condamné à indemniser les agriculteurs pour les dégâts aux cultures dus à la prolifération du gibier du fait de la non-réalisation du plan de tir.
L’État est donc bien concerné.
M. Jean-Louis Carrère. Je vous remercie, madame la ministre.
M. le président. Monsieur Pointereau, les amendements nos 3 et 4 sont-ils maintenus ?
M. Rémy Pointereau. Rassuré par les propos de Mme la ministre, et espérant que l’État aura les moyens d’indemniser les agriculteurs (Sourires.), je retire l’amendement no 3, ainsi que l’amendement no 4.
M. le président. Les amendements nos 3 et 4 sont retirés.
La parole est à M. Jean-Louis Carrère, pour explication de vote sur le sous-amendement no 28.
M. Jean-Louis Carrère. Après avoir entendu les explications de M. le rapporteur, nous voterons le sous-amendement no 28.
Mme la ministre ayant affirmé avec insistance que tous les territoires sont concernés, y compris ceux qui appartiennent à l’État, et ayant accepté le sous-amendement no 28, nous voterons avec presque beaucoup d’enthousiasme l’amendement no 27, ainsi modifié.
M. Joseph Kergueris. « Presque beaucoup » ! (Sourires.)
M. Jean-Louis Carrère. J’aime bien les adverbes presque objectifs ! (Nouveaux sourires.)
M. le président. Je constate que cet amendement a été adopté à l’unanimité des présents.
L'article 4 est ainsi rédigé et les amendements nos 6, 11 rectifié et 18 n’ont plus d’objet.
Article additionnel après l’article 4
M. le président. L'amendement n° 24 rectifié, présenté par M. Carrère, est ainsi libellé :
Après l’article 4, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
À la fin du premier alinéa de l’article L. 426-3 du code de l’environnement, les mots : « à un minimum fixé par décret en Conseil d’État » sont remplacés par les mots : « à 3 % de la surface des cultures ou récoltes agricoles, par îlot ou partie de l’îlot concerné par la même culture et par campagne cynégétique. Ce seuil peut être réévalué, par arrêté du ministre chargé de la chasse »
La parole est à M. Jean-Louis Carrère.
M. Jean-Louis Carrère. Je me suis attardé, lors de la discussion générale, sur la problématique que pose cet amendement, relatif aux dégâts de gros gibier. Je voudrais apporter quelques précisions, car Mme la ministre ne m’a pas alors paru encline à admettre la validité de mes arguments en ce qui concerne les techniques d’agrainage.
Nous disposons de plusieurs méthodes pour réguler les populations de gibier. Mais lorsque le nombre de chasseurs décroît et que leur âge s’accroît,… lorsque l’intérêt de ces chasseurs pour certaines pratiques cynégétiques décroît et que le nombre de gros gibiers s’accroît (Sourires.), on rencontre quelques difficultés pour réguler les espèces. (Mme la ministre s’exclame.)
C’est la raison pour laquelle, madame la ministre – votre cabinet doit le savoir –, la Fédération départementale des chasseurs des Landes a demandé une dérogation pour utiliser la chevrotine et pour faire des tirs sur les points d’agrainage, afin de réguler les populations de sangliers.
Donc, je maintiens que, dans le sud de la France et notamment dans les régions Aquitaine et Midi-Pyrénées, on recourt à l’agrainage non pour maintenir ou protéger le gibier, en prenant le risque d’accroître les populations, mais bien pour le réguler.
S’agissant du présent amendement, j’ai parfaitement compris qu’il était très difficile de l’introduire dans le corps de cette proposition de loi dont l’esprit me paraît juste.
Aussi, je demande à Mme la ministre, à M. le président de la commission et à M. le rapporteur de prendre l’engagement de créer une structure ou une instance qui travaillerait sur cette question des dégâts de gros gibier et de leur indemnisation.
Je le dis avec beaucoup de solennité : si nous n’y prenons garde, nous allons décourager les pratiquants de la chasse dans nos fédérations, et nous n’aurons plus ni les moyens de réguler ni les moyens d’indemniser. Nous serons donc dans une situation assez catastrophique par rapport à nos amis agriculteurs.
Je conçois que cet amendement ferait peser sur eux une contrainte financière certainement trop lourde, mais j’espère obtenir des garanties qui ne soient pas un chèque en blanc, comme celui qui m’avait été fait pour les tables rondes auxquelles nous n’avions pas été associés. De telles réunions sont utiles, car elles nous permettront de délibérer sur ce sujet.
M. le président. Si j’ai bien compris, mon cher collègue, outre cet amendement, vous demandez des assurances.
M. Jean-Louis Carrère. Voilà !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Madame la ministre, je vais demander à notre collègue Jean-Louis Carrère de retirer son amendement, mais je soutiens totalement sa demande, parce que son objet, qui consiste à modifier le seuil de déclenchement des procédures d’indemnisation pour les dégâts de gibier, répond à un problème qui ne se pose pas seulement dans le département des Landes.
Sont également concernés nombre d’autres départements, en tout cas beaucoup de fédérations qui rencontrent des difficultés pour traiter les multiples dossiers concernant des dégâts de gibier minimes ou des petites parcelles. Quand les dégâts sont importants mais que la propriété est toute petite, il faut tout de même trouver une solution.
J’ai apprécié la manière dont Jean-Louis Carrère a défendu son amendement : il a bien dit que ce n’est pas à nous, parlementaires, d’aider le monde de la chasse à régler un problème sur le dos des agriculteurs notamment. Ces derniers doivent être associés à la discussion. (M. Jean-Louis Carrère opine.)
C’est la raison pour laquelle notre collègue s’est adressé au Gouvernement et à la commission. Je suis entièrement d’accord avec lui : il faut se mettre autour d’une table pour trouver une solution, parce que ce problème existe dans de nombreux endroits.
Le déclenchement qui est aujourd’hui prévu par un décret, à partir d’un seuil de dégâts de 76 euros, n’est pas une bonne solution. La proposition de notre collègue de déclencher l’examen lorsque 3 % de la surface a été abimée n’est pas non plus satisfaisante. Mais il faut trouver une solution.
C’est pourquoi je lui demande de retirer son amendement, tout en précisant que je soutiens la demande qu’il a formulée à l’intention de Mme la ministre.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre. Je partage totalement le point de vue de M. le rapporteur : 76 euros, c’est peu pour une exploitation de plus de 200 hectares, mais c’est beaucoup pour une exploitation de 50 hectares ou une exploitation d’élevage.
Par conséquent, je m’engage ici à conduire une réflexion avec tous les acteurs concernés. Mais vous comprenez bien que « le dispositif à 3 % » est un peu compliqué.
Je profite de cette occasion pour dire que j’invite M. Carrère à lire la circulaire dont je parlais tout à l’heure. On y distingue deux types d’agrainage : l’agrainage dissuasif pour les cultures – son fonctionnement est expliqué en annexe – et l’agrainage de nourrissage, qui, lui, est problématique – j’insiste sur ce point.
M. le président. Monsieur Carrère, l'amendement n° 24 rectifié est-il maintenu ?
M. Jean-Louis Carrère. Je ne suis pas totalement satisfait, tant s’en faut !
M. Jean-Louis Carrère. Madame la ministre, je vous remercie vraiment d’aller dans le bon sens, mais j’ai été tellement échaudé… Si l’on se réfère au compte rendu des débats et au Bulletin Quotidien, on peut tout à fait vérifier qu’un membre du Gouvernement, l’un de vos prédécesseurs, s’était engagé à ce que la représentation au sein de la table ronde sur la chasse soit équilibrée. Elle ne l’a pas été. Moi, je considère que c’est une parole non tenue ! (Mme la ministre s’exclame.) Je ne vous l’impute pas, madame la ministre !
Si j’ai l’assurance que tout le monde va dans le même sens – je l’ai de votre part et de la part de M. le rapporteur –, que cette question pourra être débattue à l’Assemblée nationale lors de l’examen de ce texte, je suis prêt à retirer mon amendement.
J’ai tout à fait conscience que le dispositif des 3 % que je propose est un peu artificiel et ne peut pas constituer une solution. Donc, je le répète, je suis prêt à retirer mon amendement.
Dans le même temps, je tiens tout de même à vous dire que c’est une assurance bénévole, gratuite, payée par des gens qui sont parmi les moins aisés de toutes les zones rurales. Pour les assureurs, on fait preuve d’un peu plus de mansuétude quand il s’agit de dégâts occasionnés sur les véhicules, puisqu’ils appliquent des franchises.
Il faut arrêter de prendre les chasseurs très populaires pour des vaches à lait. Il faut que nous trouvions une vraie solution !
En tout état de cause, je remercie M. le rapporteur et vous-même, madame la ministre. Cela étant, j’espère que nous allons dans la bonne direction et que la mise en place de cette structure de réflexion sera assez rapide.
Quoi qu’il en soit, je retire mon amendement.
M. le président. L'amendement n° 24 rectifié est retiré.
Article 5
(non modifié)
À l’article L. 422–24 du code de l’environnement, après les mots : « peuvent constituer », sont insérés les mots : «, y compris par la fusion, ». – (Adopté.)
Article 6
L’article L. 422–21 du code de l’environnement est ainsi modifié :
1° Le I est complété par un 5° ainsi rédigé :
« 5° Soit acquéreurs de l’intégralité d’un terrain soumis à l’action de l’association ayant fait l’objet d’un apport à la date de création de l’association. » ;
2° Après le I, il est inséré un I bis ainsi rédigé :
« I bis. – L’acquéreur d’une fraction de propriété ayant fait l’objet d’un apport à la date de création de l’association et dont la surface est supérieure à 10 % du seuil d’opposition en vigueur dans le département prévu à l’article L. 422–13 peut prétendre à la qualité de membre de droit de l’association.
« Les statuts de chaque association déterminent les conditions et les modalités de l’adhésion de l’acquéreur d’une fraction de propriété ayant fait l’objet d’un apport à la date de création de l’association et dont la surface est inférieure à 10 % du seuil d’opposition. » – (Adopté.)
Article 7
Le code de l'environnement est ainsi modifié :
1° L'article L. 423–19 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Cette validation peut ouvrir droit à une validation de un jour dans un autre département. » ;
2° Le huitième alinéa de l'article L. 423–21–1 est ainsi rédigé :
« Lorsqu'un chasseur valide pour la première fois son permis de chasser, le montant de ces redevances est diminué de moitié si cette validation intervient moins d'un an après l'obtention de son titre permanent. »
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 10 rectifié, présenté par MM. Patriat et Carrère, Mme Herviaux, M. Mirassou et les membres du groupe socialiste, est ainsi libellé :
Alinéas 2 et 3
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. François Patriat.
M. François Patriat. En commission de l’économie, notre groupe s’est opposé – d’ailleurs, comme notre rapporteur – à l’adoption de l’amendement qui a modifié l’article 7 de la proposition de loi.
Nous vous proposons donc aujourd’hui un amendement visant à supprimer les alinéas adoptés en commission qui ouvrent la possibilité de chasser une journée dans un autre département – j’ai entendu les interventions des uns et des autres à ce sujet.
En effet, la validation du permis de chasser départemental prévue à l’article L. 423–19 du code de l’environnement est déjà possible pour trois jours, deux fois par campagne cynégétique ou neuf jours consécutifs, une seule fois. Ces validations de courte durée donnent lieu au paiement d’une redevance cynégétique et d’une cotisation fédérale, et il est prévu qu’elles ne soient pas cumulables : il s’agit de 15,30 euros pour trois jours,…
M. Rémy Pointereau. Non, 50 euros !
M. François Patriat. … et de 23,40 pour neuf jours.
En revanche, la nouvelle disposition n’a pas du tout été encadrée, et les conséquences sur les fédérations d’une pratique « nomade » de la chasse – si je puis m’exprimer ainsi – n’ont pas été évaluées : en effet, dans l’état actuel, le coût ne serait pas compensé pour les fédérations, et ce droit pourrait être utilisé plusieurs fois pendant la même campagne ou dans plusieurs départements différents.
Au travers de l’amendement n° 5, la commission semble proposer des encadrements. Donc, nous serons peut-être amenés à retirer notre amendement. Mais nous souhaitons d’abord obtenir des précisions sur ce sujet, monsieur le rapporteur.
M. le président. L’amendement n° 5, présenté par M. Poniatowski, au nom de la commission, et ainsi libellé :
Alinéa 3
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Le titulaire d’une validation départementale de son permis de chasser peut obtenir de sa fédération, une seule fois dans l’année et dans des conditions fixées par voie réglementaire, une validation de un jour valable dans un autre département. » ;
La parole est à M. le rapporteur, pour présenter cet amendement et pour donner l’avis de la commission sur l’amendement n° 10 rectifié.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Je ferai tout d’abord une petite explication chronologique.
Cet amendement que Rémy Pointereau a déposé était un amendement « pratique », qui tendait à permettre à tout chasseur – lors de sa présentation, notre collègue avait parlé seulement des jeunes chasseurs, mais ce dispositif est valable pour tous les chasseurs –, dès lors qu’un permis lui a été délivré dans un département, de pouvoir, sans coût supplémentaire, chasser un jour – et une fois – dans un autre département. Logiquement, la chasse aura lieu dans le département voisin et ne visera pas seulement le gros gibier.
Des gabions existent sur ma commune, en bordure du Calvados. Les gabionneurs appartiennent à une famille de gens modestes, je tiens à le dire, qui, depuis plusieurs générations, se saignent aux quatre veines et dépensent tout ce qu’ils ont afin de pouvoir louer un gabion et, parfois, je les juge sévèrement, au point de ne pas emmener leur famille en vacances.
Les gabions sont situés le long de la Seine, dans l’Eure et dans le Calvados, et sont très souvent occupés par des chasseurs qui s’invitent mutuellement, ne serait-ce qu’une fois de temps à autre, parce que la chasse est une activité conviviale.
Nous avons tous été sensibles au fait de permettre, comme le souhaitait Rémy Pointereau au travers de son amendement, à tout chasseur de chasser un jour de plus. Mais le groupe socialiste, à travers votre intervention, monsieur Patriat, et moi-même avons estimé que, tel qu’il était rédigé, cet amendement n’était pas satisfaisant et qu’il fallait absolument encadrer différemment ce droit de chasse.
Voilà pourquoi hier matin, en commission, j’ai proposé un encadrement très simple. Vous le voyez, madame la ministre, je vous ai bien entendue. La demande devra être formulée à un seul endroit – ce sera la seule condition –, sa fédération de chasse, afin d’éviter le nomadisme que dénonçait à juste titre François Patriat.
L’objectif est d’éviter que des petits malins ne se rendent dans cinq ou six endroits et parviennent à chasser partout en payant une seule fois pour un permis départemental. Le chasseur ne pourra obtenir le droit de chasser qu’en s’adressant à sa fédération.
Le système est simple et ne coûte pas grand-chose. Dans la mesure où tous les chasseurs sont inscrits sur le site informatique de la fédération qui leur délivre leur permis, ils ne pourront pas user de ce nouveau droit plus d’une fois. Cet encadrement est facile à contrôler et permettra à tout chasseur d’aller chasser au moins une fois en dehors de son département.
Cela n’a rien à voir avec la mesure que nous avions adoptée dans la loi de 2003, le fameux permis de trois jours, qui, souvenez-vous, avait été créé pour aider notamment les expatriés qui reviennent occasionnellement en France, en leur permettant de chasser trois jours. Il ne s’agit donc pas du même problème ni des mêmes chasseurs.
En l’occurrence, nous faisons un petit clin d’œil chaleureux – mais c’est un petit plus – au monde de la chasse.
Voilà pourquoi je vous propose d’adopter l’amendement n° 5. Ainsi, l’amendement n° 10 rectifié serait satisfait.
M. François Patriat. Nous sommes d’accord !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre. Le Gouvernement n’est pas enthousiaste sur cette proposition, qui entraînera des frais de dossiers et compliquera la situation.
Certes, la rédaction de la commission simplifie le dispositif. Cela dit, dans ce cas-là, il vaudrait mieux remplacer les termes « une seule fois dans l’année » par les termes « une seule fois par campagne cynégétique », parce que c’est la formule qui est reprise pour le permis de trois jours et le permis de neuf jours. Sinon, nous serons confrontés à des difficultés de recoupement entre les deux dispositifs.
M. le président. Monsieur le rapporteur, que pensez-vous de la suggestion de Mme la ministre ?
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Je rectifie volontiers mon amendement dans le sens suggéré par Mme la ministre, monsieur le président.
M. le président. Je suis donc saisi d’un amendement n° 5 rectifié, présenté par M. Poniatowski, au nom de la commission, et qui est ainsi libellé :
Alinéa 3
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Le titulaire d’une validation départementale de son permis de chasser peut obtenir de sa fédération, une seule fois par campagne cynégétique et dans des conditions fixées par voie réglementaire, une validation de un jour valable dans un autre département. » ;
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre. Dans ces conditions, le Gouvernement s’en remet à la sagesse de la Haute Assemblée.
M. le président. Qu’advient-il de l’amendement n° 10 rectifié ?
M. Jean-Louis Carrère. Je suis sensible à l’argument de Mme la ministre, selon lequel nous allons vers une complexification administrative.
C’est pourquoi je me demande si nous n’aurions pas pu, de manière un peu plus réaliste, minorer le prix du permis de trois jours. Qui peut le plus peut le moins ! Celui qui ne chasse qu’une journée paierait tout de même les trois jours si le prix est inférieur. Ainsi, les choses ne seraient pas plus complexes, me semble-t-il…
Si cette suggestion n’est pas retenue, je me range à l’avis de la commission sans aucun problème.
M. François Patriat. Je retire l’amendement n° 10 rectifié !
M. le président. L’amendement n° 10 rectifié est retiré.
La parole est à M. Rémy Pointereau, pour explication de vote sur l’amendement n° 5 rectifié.
M. Rémy Pointereau. Il faut savoir ce que l’on veut ! On se plaint d’avoir de moins en moins de chasseurs, mais aujourd’hui, à moins d’être fils d’agriculteur, de chasseur ou de propriétaire forestier, un jeune qui a peu de moyens ne peut pas aller à la chasse, à moins de participer à des chasses communales.
L’amendement qui a été déposé est très bien, mais il nous faut encourager encore plus les jeunes, parce que, compte tenu du prix d’une action de chasse et de tous les frais annexes, demain nous n’aurons plus de jeunes ! Il faut donc donner un signal fort à ces derniers.
C’est la raison pour laquelle j’ai insisté sur cette disposition permettant aux chasseurs de pouvoir aller chasser une journée dans un autre département de notre pays, où les jeunes sont souvent invités par leur famille ou leurs amis. Cela me paraît important. Le coût pour trois jours, c’est non pas 15 euros, mais 50 euros ; et pour neuf jours, c’est 90 euros.
M. Jean-Louis Carrère. En le minorant !
M. Rémy Pointereau. Il faut parler des bons chiffres.
Si l’on pouvait octroyer deux ou trois jours avec le permis départemental, ce serait parfait, mais je ne sais pas si nous pourrons aller jusque-là.
À défaut de pouvoir accorder ce droit à tous nos chasseurs, essayons au moins d’en faire bénéficier les plus jeunes d’entre eux, qui se font de plus en plus rares.
L'encadrement prévu par M. le rapporteur est sans doute positif, mais il nous faut persévérer dans la voie de la diminution du prix du permis de chasser, afin de faciliter l'accès des jeunes à cette activité.
M. le président. Je mets aux voix l'article 7, modifié.
(L'article 7 est adopté.)
Articles additionnels après l'article 7
M. le président. L'amendement n° 1 rectifié, présenté par MM. Houpert et Pointereau, est ainsi libellé :
Après l’article 7, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Au premier alinéa de l'article L. 423-6 du code de l'environnement, les mots : « un certificat médical attestant que son état de santé physique et psychique est compatible avec la détention d'une arme. Il doit en outre présenter » sont supprimés.
La parole est à M. Alain Houpert.
M. Alain Houpert. Cet amendement de bon sens, sans être révolutionnaire, tend à supprimer l'exigence de présenter un certificat médical pour l'obtention du permis de chasser.
En effet, cette formalité est déjà satisfaite à l’occasion de l'acquisition d'une arme, ainsi que le rappellent nos collègues Jean-Patrick Courtois et Ladislas Poniatowski dans la proposition de loi n° 369 relative à la classification, l'acquisition, la détention et le transport des armes, actuellement examinée par la commission des lois du Sénat.
Avec cet amendement, nous voulons aussi épargner des dépenses supplémentaires aux jeunes qui passent le permis de chasser.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Une personne qui achète une arme doit, en effet, fournir un certificat médical. Nous ne devons pas remettre en cause ce principe, au risque pour le Parlement de donner une image catastrophique – je vous renvoie, mes chers collègues, au débat important que nous avons eu sur cette question en 2003.
Toutefois, parmi les chasseurs qui passent leur permis, certains ne sont pas propriétaires d’une arme, et ils doivent aussi être couverts. C’est pourquoi un certificat est également exigé à cette occasion.
Ceux qui ont déjà demandé un certificat médical à l’occasion de l’achat d’une arme pourront utiliser le même document. Quant aux autres, on exige qu’ils fournissent un certificat médical une fois dans leur vie, au moment de passer le permis. Ce système fonctionne parfaitement depuis cinq ans, et personne ne songe à le remettre en cause.
En conséquence, je vous demande de bien vouloir retirer cet amendement, mon cher collègue. À défaut, la commission émettra un avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre. Avis défavorable, pour les mêmes raisons que M. le rapporteur.
M. le président. Monsieur Houpert, l'amendement n° 1 rectifié est-il maintenu ?
M. Alain Houpert. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 1 rectifié est retiré.
L'amendement n° 2, présenté par M. Houpert, est ainsi libellé :
Après l’article 7, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le premier alinéa de l'article L. 423-8 du code de l'environnement est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Les fédérations départementales des chasseurs ne peuvent obliger, directement ou indirectement, les candidats à adhérer à la fédération qui a organisé l'examen du permis de chasser à l'issue de l'examen. »
La parole est à M. Alain Houpert.
M. Alain Houpert. Certaines fédérations obligent aujourd’hui les candidats au permis de chasser à adhérer à l’issue de l’examen, ou à passer l’examen dans un certain délai, à travers des mécanismes de caution. Ce comportement excède la mission de service public qui leur incombe et contribue à diminuer le nombre de jeunes chasseurs, en imposant à ces derniers des formalités ou des surcoûts.
Les jeunes passent souvent le permis de chasser là où ils travaillent ou font leurs études. Mais il leur arrive ensuite fréquemment d’aller chasser dans un autre département, là où réside leur famille. Nous voulons donc, à travers cet amendement, leur faire réaliser des économies.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Vous avez raison sur un point, mon cher collègue : faute d’inspecteurs, le nombre de sessions de permis est insuffisant.
Les futurs chasseurs s’inscrivent donc dans plusieurs fédérations et, lorsque celles-ci organisent les épreuves, elles ont la désagréable surprise de constater qu’une partie seulement des candidats inscrits se présentent, les autres ayant entre-temps passé leur examen dans d’autres départements. Les fédérations dépensent par conséquent du temps et des moyens pour rien.
Il faudrait tenter de remédier à ce nomadisme. Mais ce n'est pas à la loi de régler ce problème. Il s'agit d'abord d'un problème interne aux fédérations départementales, et c’est à la Fédération nationale des chasseurs qu’il revient en premier lieu de prendre des initiatives.
Je signale d’ailleurs à mon collègue Alain Houpert que sa fédération de la Côte-d'Or a résolu le problème, en augmentant le nombre de sessions, tout simplement. C’est l’une des solutions possibles. Une autre consisterait pour la Fédération nationale des chasseurs à faire la police parmi les différentes fédérations départementales de chasseurs. Quoi qu'il en soit, les parlementaires n’ont pas à régler ce problème.
En conséquence, mon cher collègue, je vous invite à retirer votre amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Monsieur Houpert, l'amendement n° 2 est-il maintenu ?
M. Alain Houpert. Non, je le retire, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 2 est retiré.
Article 8
(Supprimé)
Article 8 bis (nouveau)
Au deuxième alinéa de l’article L. 141–1 du code de l’environnement, après les mots : « nationale des chasseurs », sont insérés les mots : «, les fédérations régionales des chasseurs, les fédérations interdépartementales des chasseurs » – (Adopté.)
Articles additionnels après l'article 8 bis
M. le président. L'amendement n° 20, présenté par Mmes Blandin, Voynet et Boumediene-Thiery et M. Desessard, est ainsi libellé :
Après l’article 8 bis, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article L. 424-2 du code de l’environnement est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« La pratique de la chasse à tir est interdite le mercredi. »
La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.
Mme Marie-Christine Blandin. M’autorisez-vous à présenter simultanément l'amendement n° 21, monsieur le président ?
M. le président. Certainement, ma chère collègue.
J’appelle donc en discussion l'amendement n° 21, présenté par Mmes Blandin, Voynet et Boumediene-Thiery et M. Desessard, et qui est ainsi libellé :
Après l’article 8 bis, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article L. 424-2 du code de l’environnement est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« La pratique de la chasse à tir est interdite un dimanche par mois. »
Veuillez poursuivre, ma chère collègue.
Mme Marie-Christine Blandin. L'amendement n° 20 tente de réintroduire un jour sans chasse, en l'occurrence le mercredi.
Comme vous le savez, mes chers collègues, la loi votée en 2000 avait instauré une telle journée, mais la majorité n'avait pas laissé à cette mesure le temps nécessaire pour être acceptée.
La chasse reste pourtant un loisir dangereux et, en période de chasse, c'est aux promeneurs, aux enfants et aux non-chasseurs de s'adapter.
Le partage des usages s’apparente pourtant à une exigence sociale. Il appartient à chacun de savoir se limiter, de ne pas toujours demander plus de droits, et d'accepter certaines restrictions. La réglementation de la chasse devrait tout de même pouvoir prendre en compte les promeneurs, les botanistes, les ornithologues, les poètes, les épicuriens, les esthètes, mais aussi les sorties pédagogiques effectuées par des associations ou des écoles, bref, les autres usagers des milieux naturels…
En 2000, tandis que des divergences existaient sur le choix de la journée sans chasse, le Parlement s'en était remis à la sagesse locale. Au final, le Conseil constitutionnel avait imposé le mercredi.
Les motivations de l'amendement n° 21 sont similaires. Seul le jour change ! Si vous n'avez pas été sensibles à la protection du mercredi – vous souhaitez sans doute, dans l'esprit de l’article 1er du texte, que les pères chasseurs conservent l'opportunité d'initier leurs enfants ! –, peut-être serez-vous sensibles au fait de préserver un dimanche par mois pour les familles ?
En votant cet amendement, vous pourriez jouer gagnant, mes chers collègues. En effet, ce n'est pas une bonne image de la chasse qui est donnée lorsque le projet de pique-nique dans la clairière se transforme en repli précipité au bruit des tirs…
M. Rémy Pointereau. Un pique-nique au mois de décembre ? (Sourires.)
Mme Marie-Christine Blandin. Un dimanche par mois, ce ne serait pas encore un partage équitable, mais l'affirmation que l'exercice de la chasse ne porte pas en lui la condamnation des activités ludiques des autres.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. J’avancerai trois arguments pour justifier l'avis défavorable de la commission.
Premièrement, je vous rappelle, madame Blandin, que le Conseil constitutionnel lui-même avait émis des réserves sur le choix d’un jour précis dans la loi Voynet de 2000. Il s'était prononcé en faveur d’une plage horaire de vingt-quatre heures, sans autre précision.
Deuxièmement, je ne vois pas l’intérêt de rouvrir cette guerre. C’est inutile ! Mercredi ou dimanche sans chasse : nous avons déjà eu ce débat !
Mme Marie-Christine Blandin. Je propose simplement un dimanche par mois !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. En effet, mais il s’agit de votre amendement de repli.
Cela me surprend d’ailleurs de votre part, ma chère collègue, car vous n’êtes pas d’ordinaire une adepte de la provocation.
Enfin, troisièmement, plus de la moitié des départements français ont déjà instauré au moins un jour sans chasse, quand ce n’est pas davantage – je pense à la Charente-Maritime, à la Loire ou au Tarn, ce dernier en étant à cinq jours !
La loi et le schéma cynégétique départemental laissent chaque fédération libre de sa décision. Les chasseurs ont montré leur sens des responsabilités en décidant eux-mêmes de ne pas chasser tel ou tel jour. Parfois, de manière plus intelligente encore, les fédérations ont décidé d'instaurer des jours sans chasse dans les forêts dites « périurbaines », situées à proximité des villes, en décrétant par exemple qu'il est interdit de chasser le mercredi, le samedi et le dimanche dans ces massifs forestiers, en contrepartie d'une autorisation de chasser tous les jours dans les autres massifs où il n'existe aucun danger.
Ces schémas départementaux constituent de bons instruments et les chasseurs en font un bon usage, témoignant de leur sens des responsabilités.
En conséquence, la commission émet un avis défavorable sur ces deux amendements.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre. Je pense avant tout au problème des accidents de chasse, qui sont encore trop nombreux.
Le meilleur moyen de lutter contre ces accidents est encore d'appliquer, au plus près du terrain, des mesures correspondant à la fréquentation des lieux. C'est ce que l'on commence à faire aujourd'hui. Dans de nombreux endroits, on ne chasse que le week-end et les jours fériés ; dans d'autres, au contraire, on ne chasse pas le week-end, mais seulement en semaine. Il est important que ce calendrier puisse être décliné localement. Dans certains endroits, il convient d'aller plus loin, mais il faut le faire en fonction des circonstances locales, plutôt que d'imposer un jour au niveau national.
En conséquence, l’avis du Gouvernement est défavorable.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, pour explication de vote.
Mme Marie-Christine Blandin. J'ai été très vexée par les propos de M. le rapporteur, qui a parlé de provocation… Je retire seulement l'amendement n° 20, qui tendait à instaurer le mercredi comme jour non chassé. (M. Jean-Louis Carrère s’esclaffe.)
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Vous m’avez donc entendu ! Merci !
M. le président. L’amendement n° 20 est retiré.
Je mets aux voix l'amendement n° 21.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président. L'amendement n° 8 rectifié, présenté par MM. Vasselle, Martin, de Montesquiou et Milon, Mme Sittler et MM. Mayet, Pinton et Lardeux, est ainsi libellé :
Après l'article 8 bis, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le troisième alinéa (II) de l’article L. 424-3 du code de l’environnement est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Les dispositions des articles L. 425–3 et L. 425–15 ne s’appliquent pas à la pratique de la chasse dans les établissements de chasse à caractère commercial. »
La parole est à M. Pierre Martin.
M. Pierre Martin, auteur de la proposition de loi. Cet amendement concerne les établissements de chasse à caractère commercial.
Je rappelle qu’il existe actuellement environ 400 établissements de chasse à caractère commercial, qui accueillent 600 000 chasseurs, et qui créent près de 5 000 emplois directs, sans compter les emplois indirects – hôtellerie, restauration, armuriers…
Un contrôle total de leurs activités, avec le contrôle de la garderie, même en enclos, doit être mis en œuvre.
Ces établissements doivent aussi pouvoir exercer leur activité économique de l’ouverture à la fermeture générale de la chasse, mais, bien entendu, exclusivement sur gibier d’élevage. Je signale au passage que, lorsqu'il s’agit de volatiles, parfois ces volatiles sont manqués et ils servent de reproducteurs dans des chasses voisines.
Il serait judicieux que cela se fasse indépendamment des opérations de gestion du gibier naturel, qui sont mises en place sur les territoires des sociétés communales de chasse.
Le but de cet amendement est de rendre possible cette activité.
Sans cette modification, indispensable pour la validation du projet de décret par le Conseil d’État, l’article prévu dans la loi relative au développement des territoires ruraux, ou loi DTR, ne pourra pas être appliqué.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. La commission a émis un avis favorable, mais à la condition, non négligeable, que cet amendement soit rectifié. Bien qu’il soit actuellement à l’étranger, Alain Vasselle, qui a rédigé cet amendement pendant votre absence, monsieur Martin, m’a donné oralement son accord pour opérer cette modification.
Le fait de chasser dans une chasse commerciale ne doit pas dispenser de respecter les règles en vigueur, notamment en matière de sécurité. Un organisateur de chasse commerciale se doit ainsi de respecter le schéma cynégétique départemental, qui contient toutes les règles de sécurité.
Je suis d'accord sur un seul point : le fait que les dispositions de l’article L. 425–15 du code de l’environnement relatives au plan de gestion cynégétique ne s'appliquent pas, pour les raisons que vous avez évoquées, à ces chasses commerciales, parce qu’il s’agit de petit gibier d’élevage.
Je ne vois donc pas d’inconvénient à ce que cet amendement soit adopté, à condition que la référence à l'article L. 425–3 soit supprimée. Alain Vasselle n'ayant pas eu le temps d’effectuer par écrit cette modification, je vous demande de bien vouloir opérer vous-même cette rectification, monsieur Martin.
Nous avons toujours été ici des défenseurs du schéma cynégétique départemental. Il ne faut en aucun cas le remettre en cause pour des chasses commerciales pas plus que pour toutes les autres chasses.
M. le président. Monsieur Martin, que pensez-vous de la suggestion de M. le rapporteur ?
M. Pierre Martin, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, cette proposition de rectification m’agrée totalement, dans le respect du schéma cynégétique départemental, cela va de soi, et je remercie M. le rapporteur de sa suggestion.
M. le président. Je suis donc saisi d’un amendement n° 8 rectifié bis, présenté par MM. Vasselle, Martin, de Montesquiou et Milon, Mme Sittler et MM. Mayet, Pinton et Lardeux, et ainsi libellé :
Après l'article 8 bis, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le troisième alinéa (II) de l’article L. 424-3 du code de l’environnement est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Les dispositions de l'article L. 425-15 ne s’appliquent pas à la pratique de la chasse dans les établissements de chasse à caractère commercial. »
Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre. J’étais moi aussi gênée par la référence faite à l’article L. 425-3, à cause des dispositifs de sécurité. L’article L. 425-15 est beaucoup moins gênant, compte tenu de ce type de chasse.
Le Gouvernement émet donc un avis favorable sur l’amendement ainsi rectifié bis.
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la proposition de loi, après l'article 8 bis.
L'amendement n° 19, présenté par Mmes Blandin, Voynet et Boumediene-Thiery et M. Desessard, est ainsi libellé :
Après l’article 8 bis, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article L. 424-15 du code de l’environnement est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Un décret en Conseil d’État détermine les règles de sécurité s’imposant sur l’ensemble du territoire national. »
La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.
Mme Marie-Christine Blandin. L’article L.424-15 du code de l’environnement dispose : « Des règles garantissant la sécurité des chasseurs et des tirs dans le déroulement de toute action de chasse ou de destruction d’animaux nuisibles doivent être observées, particulièrement lorsqu’il est recouru au tir à balles. »
Or les seules règles encadrant les activités sont fixées par les chasseurs eux-mêmes dans le cadre de schémas départementaux. Les règles sont souvent différentes d’un département à l’autre et elles visent principalement à garantir la sécurité des chasseurs.
La subsidiarité que vous évoquiez comme pertinente pour les jours non chassés ne porte pas ici d’effets positifs, des accidents de chasse arrivant très régulièrement. On estime que près de 95 % des accidents interviennent en action de chasse ; le reste correspond à des opérations de nettoyage ou de braconnage.
Parmi ces accidents, 86 % concernent les chasseurs ou les accompagnateurs, ce qui veut dire que 14 % impliquent des non-chasseurs.
Dans 75 % des cas, c’est la chasse en groupe, dont la battue au sanglier, qui est incriminée. Au début du mois de janvier, c’est un enfant de onze ans qui a perdu la vie en participant à une battue au sanglier avec son père. Même en tant qu’observateur, ce n’était pas sa place.
Sur la saison 2009-2010, on a dénombré 174 accidents, dont dix-neuf mortels. En période de chasse au tir, cela correspond à environ un mort par semaine et une personne blessée par jour…
Je propose simplement que quelques règles claires et précises soient communes et donc édictées, notamment quant à la présence d’enfants lors des parties de chasse.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Madame la sénatrice, je voudrais vous convaincre qu’il n’est pas nécessaire d’instaurer des règles de sécurité nationales, puisque les règles sont prévues dans le schéma cynégétique départemental qui, je le souligne, une fois qu’il a été élaboré par les chasseurs, doit obligatoirement être validé par le préfet.
Si le préfet considère que les mesures sont insuffisantes, lacunaires ou qu’elles ne tiennent pas compte de la réalité de la pratique de la chasse dans ce département, il peut refuser le schéma et demander telle ou telle modification.
Par ailleurs, les problèmes de sécurité ne sont pas les mêmes pour le tir à balles en zone de montagne ou pour la chasse au gibier d’eau en zone marécageuse. C’est la raison pour laquelle la possibilité d’adapter les mesures de sécurité dans chacun des schémas départementaux est une souplesse judicieuse. Je crains même que des mesures nationales ne soient difficiles à appliquer.
Je vous demande donc de bien vouloir retirer votre amendement. À défaut, je serais obligé de confirmer l’avis défavorable que j’avais émis en commission.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre. Sur le fond, je ne serais pas opposée à des règles de sécurité nationales avec, par ailleurs, des dispositifs à décliner localement.
Cela dit, vous le savez, un dispositif de ce type a existé entre 2000 et 2008, mais, en fait, il n’a jamais été mis en œuvre parce que nous n’avons jamais pu nous mettre d’accord.
Telle est la raison pour laquelle j’ai préféré une approche plus pragmatique. Dans la lettre que j’ai adressée à tous les préfets sur les schémas départementaux, j’insiste beaucoup sur les dispositifs de sécurité, auxquels les préfets doivent attacher une importance particulière.
Il faut faire reculer le nombre d’accidents de chasse, mais la déclinaison départementale semble être aujourd’hui le meilleur moyen d’y parvenir.
Le Gouvernement émet donc un avis défavorable.
M. le président. Madame Blandin, l’amendement n° 19 est-il maintenu ?
Mme Marie-Christine Blandin. J’entends bien la pertinence de la déclinaison des dispositifs de sécurité à l’échelon local, mais mon amendement visait surtout à réglementer la présence des enfants et, là, il n’y a pas de particularité des zones de montagne ou des zones humides.
Je maintiens donc mon amendement, uniquement pour cette raison.
M. le président. L'amendement n° 23, présenté par Mmes Blandin, Voynet et Boumediene-Thiery et M. Desessard, est ainsi libellé :
Après l’article 8 bis, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
La section 6 du chapitre IV du titre II du livre IV du code de l’environnement est complétée par deux articles ainsi rédigés :
« Art. L. 424-16. – Même en l’absence de tout signe d’ivresse manifeste, le fait de pratiquer une activité de chasse sous l’empire d’un état alcoolique caractérisé par une concentration d’alcool dans le sang égale ou supérieure à 0,80 gramme par litre ou par une concentration d’alcool dans l’air expiré égale ou supérieure à 0,40 milligramme par litre est puni de deux ans d’emprisonnement et de 4 500 euros d’amende.
« Le fait de pratiquer une activité de chasse en état d’ivresse manifeste est puni des mêmes peines. »
« Art L. 424-17. – I. – Toute personne coupable de l’un des délits prévus à l’article L. 424-16 encourt également les peines complémentaires suivantes :
« 1º la suspension, pour une durée de trois ans au plus, du permis de chasser ;
« 2º l’annulation du permis de chasser avec interdiction de solliciter la délivrance d’un nouveau permis pendant trois ans au plus ;
« 3º la peine de travail d’intérêt général selon des modalités prévues à l’article 131-8 du code pénal et selon les conditions prévues aux articles 131-22 à 131-24 du même code ;
« 4º la peine de jours-amende dans les conditions fixées aux articles 131-5 et 131-25 du code pénal.
« II. – La suspension du permis de chasse prévue au présent article ne peut être assortie du sursis, même partiellement. »
La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.
Mme Marie-Christine Blandin. Il s’agit du principe de précaution, monsieur le rapporteur, et ce n’est pas de la provocation. (Sourires.)
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Un peu tout de même !
Mme Marie-Christine Blandin. Non, monsieur le rapporteur, car si la consommation d’alcool est un problème aussi connu pour les chasseurs en période de chasse que pour les automobilistes, j’observe que le législateur s’est préoccupé des seconds et pas encore des premiers. C’est tout l’objet de cet amendement, ni plus ni moins.
Un conducteur est légitimement contrôlé lorsqu’il est au volant de son véhicule parce qu’il y a un risque d’accident supplémentaire.
Or un chasseur armé qui, par ailleurs, a pu, durant la chasse, à l’occasion de moments de « convivialité », boire quelques verres dans la journée, parfois au-delà de la limite du raisonnable, présente aussi un danger.
Qu’il s’agisse d’un fusil ou d’une carabine, le risque d’accident est bien trop grand lorsque la personne se trouve en état plus ou moins grave d’ébriété. Chacun le sait, l’alcool altère la vigilance, peut pousser à commettre une erreur d’évaluation, une négligence, une faute de sécurité.
Au début du mois de janvier, un chasseur a été contrôlé en voiture à son retour de la chasse avec un taux de 1,32 milligramme d’alcool par litre d’air expiré. S’il a été condamné à de la prison avec sursis et à une suspension de son permis de conduire, aucune mesure n’a été prise quant à l’annulation de son permis de chasser. Attend-on le prochain accident ? On se le demande !
Le garde champêtre ou le garde de l’ONCFS, l’Office national de la chasse et de la faune sauvage, ne peut que constater l’infraction d’ivresse publique et manifeste, mais cette infraction sanctionne non pas le taux d’alcool, mais un état alcoolique qui représente un risque pour d’autres personnes ou pour l’individu ivre lui-même, qui crée un trouble à l’ordre public.
C’est pourquoi il convient de mettre en place des taux maximums de concentration d’alcool dans le sang pour ces personnes armées, sur la même base que pour les conducteurs de véhicules, ainsi que des sanctions allant, pour certains cas, jusqu’à l’interdiction de solliciter la délivrance d’un nouveau permis de chasser.
Bien entendu, je le précise, tous les automobilistes et tous les chasseurs ne sont pas des alcooliques, mais il s’agit ici de sécurité.
M. Jean-Louis Carrère. Et pour les sénateurs ? (Sourires.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. La provocation, ma chère collègue, c’est non pas de traiter du problème de l’alcool, qui est réel – je suis d’accord avec vous –, mais de revenir sur un débat qui a déjà eu lieu et de pointer du doigt les chasseurs en disant que ce sont des alcooliques !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Il y a des chasseurs vertueux et des chasseurs qui ne le sont pas, comme il y a des conducteurs vertueux et d’autres qui ne le sont pas. Dans certains cas, un volant peut être une arme mortelle, et nous en avons eu récemment un exemple dramatique.
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Il y a des élus vertueux et d’autres qui ne le sont pas. Il y a des ministres vertueux et d’autres qui ne le sont pas… (Sourires.)
M. Jean-Louis Carrère. On ne dira pas qui !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Le problème du taux d’alcoolémie est traité dans le code de la santé publique. Des chasseurs ont été sanctionnés, on leur a retiré leur permis de chasser en appliquant l’article L. 3354-3 du code de la santé publique. On a fait payer des amendes à des chasseurs lorsqu’ils ont récidivé.
Le code de la santé publique existe et il traite ce sujet. Ne commençons pas à introduire les mêmes dispositions dans chacun des codes !
Quant à l’alcoolémie, vous trouverez des gens qui boivent de l’alcool dans toutes sortes d’occasions, et pas seulement à la chasse. Que le chasseur soit armé ne fait pas de lui le risque absolu : il y a d’autres armes tout aussi dangereuses, et des accidents mortels partout.
Le sujet est donc déjà traité et c’est la raison pour laquelle montrer du doigt les chasseurs était, à mon sens, de la provocation, madame Blandin.
Je suis hostile à cet amendement, et la commission a émis un avis défavorable.
M. Jean-Louis Carrère. Et le Président de la République ? Il a l’arme nucléaire !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Je ne pensais pas à vous, madame la ministre, en parlant de ministres non vertueux !
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre. Il a entendu les arguments des uns et des autres et il s’en remet à la sagesse du rapporteur, qui invoque le code de la santé publique.
Néanmoins, le Gouvernement espère que cette voix portera au-delà de cet hémicycle pour faire comprendre à chacun que chasser – c’est-à-dire porter une arme – en ayant bu, c’est prendre une très lourde responsabilité.
M. Jean-Paul Emorine, président de la commission de l'économie. Nous sommes d’accord !
M. le président. L'amendement n° 22, présenté par Mmes Blandin, Voynet et Boumediene-Thiery et M. Desessard, est ainsi libellé :
Après l’article 8 bis, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. - Après l’article L. 427-8 du code de l’environnement, il est inséré un article L. 427-8-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 427-8-1. – L’utilisation du grand duc artificiel est autorisée pour la destruction des animaux déclarés nuisibles par arrêté préfectoral. »
II. - L’article 18 de la loi n° 2008-1545 du 31 décembre 2008 pour l’amélioration et la simplification du droit de la chasse est abrogé.
La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.
Mme Marie-Christine Blandin. Cette disposition avait été introduite dans la loi du 31 décembre 2008 pour l’amélioration et la simplification du droit de la chasse, mais sa rédaction n’était pas satisfaisante.
L’article 18 se lit ainsi : « L’utilisation du grand duc artificiel pour la chasse et la destruction des animaux nuisibles est autorisée. »
Par cet article, le législateur souhaitait autoriser l’utilisation du grand duc artificiel pour attirer les animaux nuisibles, à la fois durant la période de destruction des oiseaux nuisibles mais aussi durant les périodes de chasse, afin de réduire la gêne occasionnée par certains oiseaux.
Malheureusement, la rédaction de cet article a conduit à des interprétations qui s’écartaient beaucoup de l’esprit originel du texte. Ainsi, elle a permis la reprise de la chasse avec le grand duc artificiel et a mis en danger de nombreuses espèces fragiles, au lieu de ne servir qu’à chasser les corbeaux quand ils gênaient des chasses autorisées.
Il convient donc de clarifier la rédaction de cet article.
M. le président. Le sous-amendement n° 26, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 3 de l’amendement n° 22
Remplacer les mots :
la destruction des animaux déclarés nuisibles par arrêté préfectoral
par les mots :
la chasse des animaux nuisibles ainsi que pour leur destruction
La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre. L’article 18 de la loi de 2008 manque de clarté, quand il dispose que l’utilisation du grand duc artificiel est autorisée « pour la chasse et la destruction des animaux nuisibles. » Certains ont compris pour la chasse, d’un côté, et la destruction des animaux nuisibles, de l’autre.
J’entends les arguments de Mme Blandin. Cependant, son amendement ne me semble pas assez précis. Le Gouvernement propose donc un sous-amendement visant à préciser que la chasse des animaux nuisibles ainsi que leur destruction avec le grand duc artificiel est autorisée.
On retrouve là l’esprit et ce qui aurait dû être la lettre de la loi de 2008.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. La commission émet un avis défavorable sur le sous-amendement n° 26 comme sur l’amendement n° 22.
Madame la ministre, madame la sénatrice, je vous invite toutes les deux à venir voir mon grand duc artificiel et je vais vous expliquer comment on l’utilise… (Sourires.)
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre. Je demande qu’il soit noté au compte rendu intégral que M. le rapporteur nous invite à venir voir son grand duc artificiel, avec plein de sous-entendus ! (Nouveaux sourires.)
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Madame la ministre, madame la sénatrice, avez-vous déjà vu un grand duc artificiel ?
Mme Marie-Christine Blandin. Je ne fréquente pas les grands ducs artificiels !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Mais savez-vous à quoi ils servent ? On les utilise uniquement, en période de chasse, pour chasser le corbeau, parce que c’est un nuisible, et, en période de non-chasse, là où ces oiseaux sont trop nombreux.
On s’en sert essentiellement durant les mois d’avril et de mai, une période pendant laquelle les corbeaux sont particulièrement nombreux et agressifs, car ils défendent leurs nids et leurs œufs. Dans une moindre mesure, on les utilise aussi en juin et en juillet, lorsque les corbeaux sont encore jeunes.
Il s’agit soit de grands ducs artificiels en plastique, d’une taille comprise entre soixante et soixante-dix centimètres et d’un poids variant entre deux et trois kilos, soit de grands ducs artificiels à plumes – ils sont d’ailleurs assez beaux – d’une taille identique, mais pesant cinq à six kilos.
Madame la ministre, je vais vous expliquer comment fonctionne le dispositif. (Mme la ministre mime un oiseau battant des ailes.) Le grand duc artificiel n’agite pas les ailes, madame la ministre, il bouge simplement la tête, et cela suffit.
Il regarde à droite et à gauche, ce qui met les corbeaux hors d’eux : ils arrivent, et il ne reste qu’à les tirer !
Mais le débat ne porte pas sur le grand duc artificiel. Surtout, conservons dans la loi les termes tels que nous les avons adoptés en 2008. Il faut pouvoir utiliser le grand duc artificiel en période de chasse ainsi qu’en période de non-chasse pour la destruction des nuisibles, à l’instar du renard, dont nous avons parlé tout à l'heure.
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre. Mais c’est ce que prévoit le sous-amendement du Gouvernement !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Certains veulent protéger tous les animaux, y compris les nuisibles, mais le corbeau est le plus grand destructeur de petits œufs notamment de perdreau, de faisan…
M. François Patriat. De canard !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. … ou encore de canard, effectivement. C’est un redoutable nuisible.
Madame Blandin, une grande partie de votre département est rural. Quittez donc la ville et allez vous promener à la campagne, où vous pourrez constater que la prolifération des corbeaux pose problème dans certaines zones, à certaines périodes. Il nous faut donc continuer à traiter ces oiseaux comme des nuisibles pour tenter de réguler leur population.
Telle est la raison pour laquelle il est impératif, je le répète, de maintenir la rédaction de la loi en vigueur. Et cessons de remettre en cause à chaque occasion des décisions qui datent de quelques mois !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. En conséquence, la commission a émis un avis défavorable sur le sous-amendement et sur l’amendement.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nathalie Kosciusko-Morizet, ministre. Je crois que nous ne nous sommes pas bien compris, monsieur le rapporteur.
Avec le sous-amendement que je propose, les choses sont très claires : vous pourrez utiliser votre grand duc artificiel à tout moment de l’année pour chasser les corbeaux, et uniquement à cette fin.
M. le président. La parole est à Mme Marie-Christine Blandin, pour explication de vote sur le sous-amendement n° 26.
Mme Marie-Christine Blandin. J’approuve le sous-amendement du Gouvernement, qui clarifie ma rédaction.
Madame la ministre, si j’ai utilisé l’expression « déclarés nuisibles » dans mon amendement, c’est uniquement pour ne pas cautionner le terme « nuisibles », qui figure dans la loi et que je me devais de reprendre dans mon dispositif.
Quant à l’action du grand duc artificiel sur les corbeaux, je la connais et je l’approuve, mon cher collègue, et je n’ai nul besoin de vos conseils pour aller me promener à la campagne ! Je puis même vous dire qu’il est parfois extrêmement difficile de manger un cornet de frites quand les corbeaux sont déchaînés ! (Sourires.)
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 22.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Vote sur l'ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à Mme Marie-Christine Blandin, pour explication de vote.
Mme Marie-Christine Blandin. Je constate que cette proposition de loi ne change pas grand-chose à l’état des lieux actuel, et c’est essentiellement ce que je lui reproche.
Certes, deux ou trois articles sont bienvenus, mais ce sont des ajustements quasi administratifs. Pour le reste, vous aurez fait force moulinets pour dire que vous existez et qu’il ne faut pas vous ennuyer, avec la prétention de gagner toujours plus.
Voilà pourquoi je voterai contre ce texte inutile.
M. le président. La parole est à M. Joseph Kergueris.
M. Joseph Kergueris. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je viens de passer un après-midi intéressant. En effet, même si je n’appartiens pas à la noble fédération des chasseurs, je suis susceptible de passer l’examen du permis de chasser !
Je vous ai beaucoup écoutés, et la longue expérience d’élu local qui est la mienne m’apporte chaque jour la preuve que les textes que vous proposez les uns et les autres ont pacifié les relations,…
M. Jean-Paul Emorine, président de la commission de l'économie. Absolument !
M. Joseph Kergueris. … et ont créé dans de nombreux endroits où la chasse n’est pas un élément essentiel de l’activité locale une autre forme de relation sociale, et chacun en apprécie la qualité.
Ce texte est empreint de sérénité, et les amendements que vous avez proposés, madame la ministre, vont en ce sens. Ils permettront, me semble-t-il, une meilleure cohabitation des chasseurs et des non-chasseurs et, ce faisant, une meilleure prise en compte de tout ce qui a été dit et décidé en matière d’environnement avec les lois Grenelle 1 et 2.
D’ailleurs, et nous devons réfléchir à cet aspect des choses, il ne s’agit pas de faire un plaidoyer pour l’objet ou pour la cause. Derrière l’objet de cette loi, il faut rechercher la cause, et j’ai l’intime conviction que c’est celle que vous défendez ici, les uns et les autres, ce dont je vous remercie. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. Pierre Martin, auteur de la proposition de loi. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Carrère.
M. Jean-Louis Carrère. Le groupe socialiste votera cette proposition de loi ainsi amendée.
Toutefois, permettez-moi, mes chers collègues, de réitérer, une dernière fois, la demande que j’ai formulée tout à l'heure et qui a reçu un accueil favorable de la part tant de la commission que du Gouvernement, ce dont je les remercie.
En effet, je tiens à ce que figure dans le compte rendu intégral de nos débats l’engagement qui a été pris de travailler à trouver une solution objectivement plus favorable et plus équitable pour l’indemnisation des dégâts causés par le gros gibier.
M. le président. La parole est à M. Pierre Martin.
M. Pierre Martin, auteur de la proposition de loi. Mes chers collègues, vous ne doutez pas bien entendu du sens de mon vote.
Nos travaux vont, j’en suis sûr, connaître une issue positive, et je tiens à en remercier le président de la commission et le rapporteur. Je veux vous dire combien je suis heureux que notre débat ait été apaisé, alors que le sujet est ô combien passionnel.
Madame la ministre, je veux revenir sur la question de la sécurité, car celle-ci doit figurer au premier rang de nos objectifs.
Les schémas cynégétiques vont être reconduits dans les fédérations. Or je souhaiterais que vous insistiez auprès des préfets pour faire cesser la chasse à la rattente – elle se pratique dans mon département, mais elle doit aussi exister ailleurs ! – là où il y a chasse à balles. Cette chasse est très dangereuse dans la mesure où des personnes se camouflent là où elles en ont envie pour attendre le gibier, et nul ne sait où elles sont postées.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.
(La proposition de loi est adoptée.)
6
Communication du Conseil constitutionnel
M. le président. M. le président du Conseil constitutionnel a informé le Sénat, le jeudi 5 mai 2011, que, en application de l’article 61-1 de la Constitution, le Conseil d’État a adressé au Conseil constitutionnel une décision de renvoi d’une question prioritaire de constitutionnalité (2011-148 QPC).
Le texte de cette décision de renvoi est disponible au bureau de la distribution.
Acte est donné de cette communication.
Mes chers collègues, avant de passer à la suite de notre ordre du jour, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures cinquante-cinq, est reprise à dix-neuf heures cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
7
Prix du livre numérique
Adoption des conclusions d'une commission mixte paritaire
M. le président. L’ordre du jour appelle l’examen des conclusions de la commission mixte paritaire chargée d’élaborer un texte sur les dispositions restant en discussion de la proposition de loi relative au prix du livre numérique (texte de la commission n° 485, rapport n° 484).
Dans la discussion générale, la parole est à Mme le rapporteur.
Mme Colette Mélot, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, mes chers collègues, nous arrivons à la fin d’une navette législative qui a permis à nos deux assemblées, dans d’assez brefs délais, d’approfondir et d’enrichir ce texte très attendu par l’ensemble des professionnels de la filière du livre.
Je tiens tout d’abord à vous rappeler les principaux objectifs de cette proposition de loi, dont nos collègues Catherine Dumas et Jacques Legendre sont les auteurs pour le Sénat.
Il s’agit d’accompagner les mutations en cours du marché du livre – caractérisé par l’émergence du livre numérique –, au moins pour ce que l’on appelle les livres homothétiques, et non pas de freiner ces évolutions, mais de les réguler.
Donner valeur législative au rôle central des éditeurs dans la détermination des prix des livres numériques diffusés auprès des lecteurs français doit nous aider à satisfaire nos trois objectifs, que je rappelle.
Le premier objectif est la promotion de la diversité culturelle, qui recouvre à la fois la diversité de la production, de la diffusion et de la « consommation » de livres.
Le deuxième objectif est le respect de la propriété intellectuelle.
Enfin, le troisième objectif est le maintien du maillage culturel sur notre territoire, auquel contribuent les libraires. Cela suppose que les libraires puissent, eux aussi, s’adapter à l’ère numérique dans des conditions économiquement viables.
À cet égard, il est important d’insister, notamment auprès de la Commission européenne, sur le fait que le marché du livre physique et celui du livre numérique ne sont pas déconnectés, mais qu’ils sont bien complémentaires, ce qui contribue à justifier la nécessité et la proportionnalité du texte adopté par la commission mixte paritaire qui s’est réunie le mardi 3 mai dernier.
En effet, il serait très théorique, et donc illusoire, de penser que le lecteur bénéficie nécessairement de la diversité éditoriale, au motif que les livres seraient stockés sur une plateforme numérique. Une telle démarche me semblerait même très élitiste, car elle présuppose que le lecteur connaît en réalité déjà ce qu’il cherche. Or bien des clients des libraires ne connaissent par avance ni l’auteur, ni le titre du livre qui fera pourtant leur bonheur et leur permettra, grâce aux conseils du libraire ou après avoir feuilleté des ouvrages que ce dernier aura décidé de mettre en exergue, de découvrir la richesse du patrimoine écrit et de la création éditoriale, et non de se contenter des best-sellers.
Par ailleurs, n’oublions pas qu’une partie importante de la population ne peut pas accéder à Internet, soit en raison de la fracture numérique, soit pour des motifs d’ordre culturel, économique ou liés à l’âge.
Les élus que nous sommes doivent donc veiller à ce que ceux qui souhaitent fréquenter des librairies, par nécessité ou par plaisir, en aient la possibilité. Or leur rentabilité étant faible, les librairies doivent pouvoir développer leurs activités sur les deux marchés complémentaires.
Sur les dix articles de la proposition de loi, seuls quatre restaient en discussion. Je me réjouis que députés et sénateurs aient pu trouver un accord consensuel, le texte qui vous est proposé aujourd’hui ayant été adopté à l’unanimité par la commission mixte paritaire.
L’article 2, relatif au principe de fixation du prix de vente par l’éditeur, a été adopté dans la rédaction de l’Assemblée nationale, la disposition régissant le commerce transfrontière concernant les éditeurs ne s’imposant pas en définitive. Nous tenons ainsi compte des avis circonstanciés de la Commission européenne et répondons aux impératifs de nécessité et de proportionnalité des mesures retenues afin d’atteindre nos objectifs.
En revanche, l’article 3, qui impose au libraire de respecter le prix de vente fixé par l’éditeur, a été adopté dans la rédaction du Sénat, c’est-à-dire qu’il s’imposera à l’ensemble des libraires exerçant leur activité sur le territoire national. Je vous rappelle que, sur l’initiative de notre collègue Jean-Pierre Leleux, nous avions estimé qu’une disposition de cette nature était indispensable à la pleine efficacité du dispositif.
Nous nous sommes ralliés à la rédaction consensuelle à laquelle étaient parvenus nos collègues députés à l’article 5 bis, en vue de garantir aux auteurs une rémunération juste et équitable en cas d’exploitation numérique de leur œuvre, à une importante réserve près : sur la proposition que nous avons tous soutenue de notre collègue David Assouline, cette disposition sera codifiée. L’article L. 132-5 du code de la propriété intellectuelle a été complété en ce sens.
Enfin, s’agissant du rapport annuel que le Gouvernement devra présenter au Parlement, l’article 7 a été adopté dans la rédaction de l’Assemblée nationale. Son dernier alinéa comporte des précisions très utiles faisant référence au développement de l’offre légale, à la rémunération des auteurs et soulignant son objectif premier de diversité culturelle.
La présente proposition de loi me paraît donc très équilibrée.
Le caractère de « loi de police », dont on peut la qualifier en application du règlement européen dit « Rome I » du 22 décembre 2000, devrait permettre son application à tous. Je vous rappelle qu’aux termes de son article 9.1, une loi de police est « une disposition impérative dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son organisation politique, sociale ou économique, au point d’en exiger l’application à toute situation entrant dans son champ d’application, quelle que soit par ailleurs la loi applicable au contrat d’après le présent règlement. ».
Cette qualification, qui, certes, ressortit à la compétence du juge au regard des travaux préparatoires du Parlement, nous semble clairement résulter des engagements internationaux de la France, et de l’Union européenne, au titre de la convention de 2005 de l’UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles.
À ce titre, la proposition de loi apparaît impérative pour la sauvegarde de cette diversité culturelle, qui représente un intérêt public majeur. Il me semblait important de souligner ce point.
Au terme de cette navette législative très constructive, la France fait, comme souvent dans le domaine de la culture, figure de pionnière.
La force de l’unanimité montre notre conviction partagée de la nécessité de poursuivre ensemble notre combat politique, et de convaincre de son bien-fondé la Commission européenne ainsi que les États membres de l’Union européenne. Car, outre les enjeux économiques et liés à l’emploi, il s’agit bien d’un combat culturel et de société que nous menons. La question est e savoir quelle société nous voulons construire pour demain, au bénéfice des citoyens européens.
Certes, la rapidité des évolutions nous conduira sans doute à remettre l’ouvrage sur le métier. Le comité de suivi prévu à l’article 7 de la loi aura un rôle crucial à jouer à cet égard.
Au moins avons-nous la satisfaction de tenter de réguler au mieux la transition entre deux mondes, qui doivent non pas s’exclure mais se compléter et se stimuler mutuellement le plus harmonieusement possible.
Mes chers collègues, je vous invite donc à adopter les conclusions de la commission mixte paritaire. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste. – M. le président de la commission de la culture applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le président, monsieur le président de la commission de la culture, cher Jacques Legendre, madame le rapporteur, chère Colette Mélot, mesdames, messieurs les sénateurs, trente ans après la loi Lang relative au prix du livre, la proposition de loi soumise aujourd’hui à votre approbation, après son passage en commission mixte paritaire, constitue une avancée historique pour toute la filière du livre, et une loi fondatrice pour la régulation des industries culturelles à l’ère numérique.
Cette régulation, appelée de ses vœux par M. le Président de la République le 7 janvier 2010, est l’aboutissement d’un long processus de réflexion collective.
Je tiens à saluer la contribution essentielle de la Haute Assemblée à une telle réflexion, ainsi que l’attention et le travail du rapporteur de la proposition de loi, Mme Colette Mélot, et bien entendu de Mme Catherine Dumas et du président Jacques Legendre, qui ont eu l’initiative du dépôt de ce texte.
Au terme des discussions interprofessionnelles qui se sont tenues sous l’égide de mon ministère, je tiens aussi à rendre hommage à la capacité de l’ensemble de la filière – auteurs, éditeurs, libraires – à se retrouver sur ce qui va dans le sens du bien commun.
Je tiens enfin à saluer le consensus remarquable que vous avez su trouver au terme de l’examen de cette proposition de loi. Je me réjouis qu’à l’image de la loi Lang qui, depuis 1981, n’a cessé de recueillir l’adhésion des gouvernements successifs, cette loi de civilisation numérique qui nous réunit aujourd’hui bénéficie à son tour d’un soutien politique unique en son genre.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je suis persuadé que nous avons eu raison de ne pas attendre pour définir un cadre de régulation adapté à la réalité de ce nouveau marché qu’est le livre numérique, marché dont la progression formidable aux États-Unis se confirme jour après jour. Une intervention précoce constitue en effet la meilleure garantie que le développement de ce marché s’effectue dans des conditions harmonieuses, sans captation de la valeur par des acteurs dominants.
Nous avons eu également raison, j’en suis fermement convaincu, de mettre l’éditeur en mesure de contrôler la valeur du livre, quel que soit le lieu d’implantation du diffuseur. Je me réjouis donc que la solution équilibrée retenue par la commission mixte paritaire permette aux distributeurs établis en France de jouer à armes égales avec ceux qui sont établis hors de nos frontières.
Il serait en effet paradoxal que certaines plateformes de distribution de livres numériques échappent à une régulation de cette nature lorsqu’elles s’adressent à des lecteurs français. Compte tenu de son objet, la loi sur le prix du livre numérique revêt ainsi le caractère d’une disposition impérative, cruciale pour la sauvegarde d’un intérêt public et devant par conséquent s’appliquer à toute situation entrant dans son champ.
Cette loi historique est un aboutissement, mais c’est aussi un point de départ pour la filière du livre : loin de créer les conditions d’une économie de rente pour certains acteurs, ce texte contribuera, je n’en doute pas, au développement d’une offre légale abondante, attractive pour le lecteur, tout en préservant une assiette stable de rémunération pour les ayants droit, en particulier les auteurs.
Je salue, à ce titre, l’attention portée par le texte à la juste et équitable rémunération des auteurs, afin que celle-ci soit garantie dans le cadre du contrat d’édition.
Cette loi doit également être le point de départ d’une mobilisation renouvelée pour promouvoir la diversité culturelle à l’ère numérique.
Soyez à cet égard assurés de la détermination du Gouvernement et du Président de la République à poursuivre le travail de conviction entamé auprès des institutions européennes et de nos partenaires des autres États membres de l’Union européenne.
Dans sa réponse aux avis motivés de la Commission européenne, le Gouvernement fait ainsi valoir combien, au regard des caractéristiques microéconomiques du marché du livre, la proposition de loi répond à un impérieux motif d’intérêt général : la protection de la diversité culturelle, consacrée par la convention de l’UNESCO ainsi que par les traités et la jurisprudence européenne.
Nous y démontrons pourquoi ce principe cardinal doit faire l’objet d’une attention accrue à l’heure numérique, en veillant à ce que la structuration du marché du livre numérique ne porte pas préjudice à la diversité de la création éditoriale et à la diversité des réseaux de distribution, qui en est indissociable.
À la concentration de la distribution, à la réduction de l’offre à un choix standardisé, limité à quelques best-sellers, il nous faut en effet opposer, sans jamais faiblir, « la propension archipélique à soutenir le divers du monde », pour reprendre les si beaux mots d’Édouard Glissant.
Le consensus remarquable que vous avez su trouver lors de l’examen de cette proposition de loi, mais aussi le soutien et les initiatives qui pourront être les vôtres à l’avenir, constitueront d’évidence un appui précieux dans ces démarches, comme d’ailleurs dans le combat pour l’application d’un taux de TVA réduit au livre numérique.
Mesdames, messieurs les sénateurs, parce qu’elle constitue une contribution essentielle à la construction civilisée du marché du livre numérique, cette loi de développement durable de la filière du livre, telle qu’elle est adoptée par la commission mixte paritaire, recueille évidemment le plein soutien du Gouvernement. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.
Mme Catherine Morin-Desailly. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après de nombreux et passionnants débats sur le livre numérique, nous sommes aujourd’hui réunis pour adopter définitivement un texte proposé par le président de notre commission, Jaques Legendre, et par notre collègue Catherine Dumas, que je tiens à féliciter pour tout le travail accompli. Je tiens également à souligner l’important investissement de notre collègue Colette Mélot, rapporteur de ce texte, qui a ardemment défendu les positions de notre assemblée tout au long de la navette parlementaire.
Nous avons eu à plusieurs reprises l’occasion d’exprimer notre position sur le livre numérique, les enjeux qu’il représente et les nouveaux défis qu’il nous impose de relever. C’est vrai pour les acteurs du secteur, mais pas seulement. C’est vrai pour tous ceux qui, comme un certain nombre d’entre nous, défendent une certaine idée de la culture – j’y reviendrai tout à l’heure.
Je voudrais tout d’abord, à mon tour, exprimer ma satisfaction de voir qu’à l’issue du travail des assemblées nous avons trouvé un compromis satisfaisant pour tous les acteurs de la chaîne du livre.
Par ce texte, auteurs comme éditeurs se voient assurés d’une rémunération juste et équitable, en toute transparence sur les coûts supportés dans l’univers du numérique. Les libraires, auxquels il reste notamment un gros effort d’adaptation à faire pour la mise en place de plateformes collectives, voient leur rôle réaffirmé. Enfin, les lecteurs se voient garantir le maintien d’une offre riche, diversifiée et raisonnable grâce au principe du prix unique du livre appliqué à la version numérique des œuvres.
Ensuite, je me réjouis que nos arguments aient été entendus par nos collègues députés, qui se sont ralliés à notre volonté d’imposer le même prix de vente, en France comme à l’étranger, pour un livre numérique édité dans l’Hexagone, avec l’adoption de la fameuse clause d’extraterritorialité figurant à l’article 3 de la présente proposition de loi. C’est évidemment, monsieur le ministre, un signal fort que nous adressons tant aux professionnels qu’à Bruxelles. Il en est de même, d'ailleurs, de l’adoption d’une TVA à 5,5 % pour la version informatique de l’œuvre comme pour la version papier.
À vous, monsieur le ministre, qui à juste raison avez défendu lors d’une réunion avec les ministres européens de la culture à Budapest, le 28 mars dernier, ce même taux de TVA réduit sur l’ensemble des biens culturels et des services culturels, quel que soit leur mode de distribution, je me permets de rappeler que, chez nous, cela n’a pas été une mince affaire, le Gouvernement y étant dans un premier temps opposé. Ce fut une discussion âpre et argumentée – je parle en connaissance de cause – qu’il fallut mener en loi de finances pour le seul livre numérique !
Cela étant dit, quelle que soit notre satisfaction ce soir, il nous reste à mener une vraie bataille de convictions au niveau communautaire. Ce ne sera pas facile, si l’on considère que le cadre fiscal européen actuel n’est guère propice à l’adaptation au nouvel environnement numérique des dispositions par ailleurs favorables au secteur culturel.
À vrai dire, si l’on y songe, il est complètement absurde que les États membres puissent appliquer des taux de TVA réduits à certains biens culturels mais doivent appliquer le taux normal aux mêmes biens sous une autre forme. C’est le cas des livres ou des journaux électroniques dans leur version dématérialisée, qui, subitement, répondent à la notion non plus d’œuvre mais de service !
On voudrait encourager le piratage que l’on ne s’y prendrait pas autrement ! Et tout cela sans doute en pensant protéger les commerces traditionnels…
Il est donc urgent de mettre en place des taux de TVA réduits pour la mise à disposition des biens culturels sur tous les supports, afin de ne pas pénaliser la distribution numérique en devenir et, au contraire, d’encourager le développement des offres légales.
De la même manière, l’Europe doit mettre un terme à une situation aberrante de dumping qui permet à des entreprises, notamment extracommunautaires – vous savez à qui je fais allusion –, de délocaliser leurs services au cœur même de l’Europe pour échapper à la fiscalité de certains États et aux obligations de soutien à la création, contrairement aux principes de la directive sur les services de médias audiovisuels.
Ne pas se battre au niveau communautaire pour exiger cette harmonisation nous conduit en désespoir de cause à imaginer, à l’échelle nationale, des solutions aussi inefficaces que dangereuses d’un point de vue économique. Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, la fameuse « taxe Google » que notre assemblée a cru bon de voter au mois de décembre dernier répond certes à une bonne question, mais apporte une très mauvaise réponse.
Ainsi, alors que nous vivons un développement sans précédent de l’industrie du numérique, une adaptation harmonisée du taux de TVA favoriserait la compétitivité des acteurs européens face aux géants américains et éviterait que les professionnels français ne paient une charge fiscale supplémentaire par rapport à leurs voisins.
Il y va de l’avenir de la création et des industries culturelles, mais vous en êtes tous convaincus.
Cette harmonisation permettrait d’ailleurs d’afficher une réelle politique culturelle européenne, incarnation de la richesse et de la diversité des vingt-sept États membres. Pour ce faire, revendiquons bien sûr, madame le rapporteur, la Convention de l’UNESCO de 2005 sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles.
Rappelons enfin que notre vote de ce soir intervient alors que la Commission européenne mène une réflexion, dans le cadre de sa « stratégie numérique pour l’Europe », sur une possible révision de sa politique fiscale. Un Livre vert sur l’avenir de la TVA a été publié en décembre dernier. C’est donc bien le moment pour notre gouvernement, dont Jacques Toubon est l’ambassadeur en la circonstance, de faire entendre la voix de ce qui semble être le bon sens.
J’en viens à la dernière remarque que je tenais à faire à l’occasion de cet ultime débat.
Mes chers collègues, nous tentons aujourd’hui d’apporter une réponse adaptée à un secteur en développement qui dépasse d’ailleurs la seule filière du livre. Celle-ci ne sera peut-être que transitoire. On mesure en effet à quel point, dans le domaine du numérique, les choses sont complexes, car extraordinairement évolutives. C’est toute une nouvelle économie émergente dont il convient d’accompagner – à défaut d’imaginer – les nouveaux modèles, tout en respectant la chaîne des valeurs pour les créateurs, quels qu’ils soient.
Ces dernières années ont été l’occasion de débats au Parlement au cours desquels se sont souvent affrontés les acteurs de ce nouvel univers, dont les intérêts sont à première vue divergents, notamment, pour faire simple, sur les tuyaux et sur les contenus. Or l’expérience nous montre progressivement que c’est de manière transversale et globale, et non sectorielle, qu’il nous faut penser.
À cet égard, monsieur le ministre, j’ai apprécié que vous nous annonciez, lors du récent colloque du Conseil supérieur de l’audiovisuel sur la télévision connectée, avoir confié, en lien avec votre collègue Éric Besson, ministre chargé de l'industrie, de l'énergie et de l'économie numérique, à cinq professionnels représentatifs du secteur la mission « d’identifier les enjeux de régulation et de compétitivité liés à la TV connectée et d’en prévenir les effets sur les équilibres de la production et de la diffusion audiovisuelle ».
En revanche, comme plusieurs de mes collègues, j’ai beaucoup moins apprécié, et je ne m’en suis pas cachée, la disparition du Forum des droits sur l’internet, instance dont les missions méritaient certes d’être développées, mais qui présentait l’avantage de porter un regard global sur ce qui est aujourd’hui un véritable écosystème.
Je m’étais d’abord inquiétée de cette disparition auprès d’Éric Besson lors de l’examen du projet de loi de finances. À l’époque, il m’avait garanti qu’une structure plus performante lui serait substituée. Je l’avais ensuite interrogé lors d’une séance de questions d’actualité au Gouvernement – il s’était alors montré rassurant – sur le rôle, les missions et les outils du fameux conseil, ainsi que sur sa composition.
En vérité, le Conseil national du numérique, dont on a appris l’installation la semaine dernière, n’est qu’un club de chefs d’entreprise du Net, ni plus, ni moins. Il n’est pas la structure de référence dont nous avons grandement besoin pour faire face aux bouleversements d’ordre économique, culturel, juridique, éthique et financier provoqués par l’internet. Il faut une structure qui associe l’ensemble des acteurs du secteur au lieu d’en évincer un certain nombre, dont les créateurs ou, tout simplement, les consommateurs.
Dès lors, comment cette instance qui, par ailleurs, je n’en doute pas, compte tenu de la qualité de ses membres, apportera des idées utiles, pourrait-elle être représentative des enjeux qui sont ceux du numérique ? On l’a vu concernant le livre, les enjeux sont tout autant économiques que culturels, techniques, juridiques ou encore financiers. Demain, toute notre vie, ou presque, passera par Internet, que ce soit en matière d’éducation, d’information, d’accès aux services publics ou à l’emploi. Il me semble donc regrettable que cette institution, censée aiguiller les politiques publiques, ne puisse avoir, du fait de sa composition, qu’un point de vue parcellaire et non transversal.
Peut-être pourriez-vous, monsieur le ministre, relayer cette préoccupation ? Je la formule après en avoir longuement discuté avec plusieurs de mes collègues qui connaissent bien ce secteur si pointu et appartiennent au groupe d’études Médias et nouvelles technologies que j’ai l’honneur de présider. Il nous semble d’ailleurs étonnant que le Parlement ne soit pas beaucoup associé à ces questions dont on ne cesse pourtant de débattre.
Je conclurai sur une note plus positive : le groupe de l’Union centriste votera, bien sûr, les conclusions de la commission mixte paritaire, comme il a voté en première lecture ce texte fondateur pour l’industrie culturelle à l’heure du numérique, ainsi que vous l’avez souligné, monsieur le ministre. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. David Assouline.
M. David Assouline. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission de la culture, madame le rapporteur, mes chers collègues, je me félicite, très sincèrement et avec enthousiasme, que le texte élaboré par la commission mixte paritaire ait été adopté à l’unanimité. Le texte issu de travaux du Sénat avait déjà fait l’objet d’un consensus. Mes chers collègues, vous le voyez, quand le Sénat est uni, il est en mesure de peser sur la commission mixte paritaire !
Nous avons finalement réussi à convaincre ceux de nos collègues députés qu’il restait encore à convaincre que les questions abordées dans ce texte étaient fondamentales et qu’il était important de faire une loi qui ne soit pas simplement déclamatoire, mais une loi qui résiste à l’épreuve du réel dès sa promulgation.
La loi que nous allons voter en adoptant les conclusions de la commission mixte paritaire est importante pour le livre numérique. Il était urgent de légiférer pour accompagner et encadrer l’évolution dans ce secteur, car nous savons d’expérience que, lorsque le législateur ne réagit pas à temps face à des mutations dans l’économie de la culture, c’est dos au mur qu’il est ensuite contraint d’intervenir, souvent dans la division et de manière inefficace.
La loi du 10 août 1981 relative au prix du livre, dite « loi Lang », qui a permis de préserver le livre en France, mais aussi de lui donner une vitalité surprenante selon certains observateurs, est encore saluée aujourd'hui par tous les acteurs du secteur, comme on l’a vu récemment à l’occasion du Salon du livre.
Certes, le livre numérique ne représente en France que 1 % du marché, contre 10 % aux États-Unis, mais les ventes connaissent une expansion considérable en Grande-Bretagne, par exemple. Néanmoins, il était important de légiférer dès à présent, même si nous avons beaucoup de travail sur d’autres sujets. Il n’y a en effet aucune raison, si les acteurs se concertent et si nous continuons dans cet état d’esprit, sans remettre en cause le livre papier, que le secteur du livre numérique ne se développe pas de façon très importante dans notre pays comme cela se passe à l’étranger.
Il nous fallait donc absolument adapter la loi Lang, dont nous allons fêter le trentième anniversaire, afin qu’elle trouve son prolongement dans la modernité contemporaine.
En agissant ainsi, nous évitons de répéter les erreurs commises face à la révolution numérique dans les domaines de la musique et du cinéma avec les lois DADVSI et HADOPI, respectivement la loi relative au droit d’auteur et aux droits voisins dans la société de l’information et la loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur Internet.
En intervenant trop tard, le législateur a en effet été contraint d’opter essentiellement pour la répression – l’opposition était contre – face à une déferlante de pratiques qui auraient pu être endiguées s’il avait réagi plus tôt et si les entreprises du secteur avaient proposé des offres commerciales adaptées. Alors que la gratuité était devenue un réflexe quotidien pour les jeunes, le Parlement a voté des textes dont nous avions dit, notamment lors des débats sur les lois dites HADOPI 1 et 2, qu’ils ne pourraient pas être appliqués.
Aujourd’hui, je suis très content que le Président de la République fasse à peu près le même constat que nous et annonce une « HADOPI 3 ». J’espère qu’en nous penchant de nouveau sur ces questions nous pourrons être réellement efficaces et justes.
Par ailleurs, si je me réjouis de l’évolution du Président de la République, je m’insurge contre la forme, la composition et la finalité du Conseil national du numérique, qui n’est effectivement rien d’autre qu’un club de chefs d’entreprise. J’adhère totalement aux propos de Mme Catherine Morin-Desailly sur ce point.
Et pourtant, la commission de la culture avait multiplié les mises en garde contre la tentation de toujours sacrifier les contenus : il n’y a pas que les tuyaux qui comptent, il y a aussi les contenus ; il faut bien que les tuyaux aient quelque chose à transporter !
J’avais moi-même rédigé un rapport, qui a fait l’unanimité de la commission, traitant des effets de la révolution numérique sur les jeunes et sur leurs pratiques. À cette occasion, j’avais essayé de comprendre le point de vue des consommateurs, que nous avons absolument besoin de connaître si nous voulons que l’économie numérique se développe tout en préservant les libertés individuelles. Une régulation est nécessaire, on le voit tous les jours sur les réseaux sociaux.
Mais quel dépit aujourd’hui ! Je pense qu’il s’agit là d’un recul. J’espère que le Gouvernement s’en rendra très vite compte et prendra des initiatives. Vous avez là une mission importante, monsieur le ministre, car, ne nous y trompons pas, il s’agit aussi de la culture et de la défense de cette culture.
Telles sont les généralités dont je souhaitais vous faire part avant d’aborder le fond du texte.
Je ne reviendrai pas sur tout ce qui a déjà été dit en première et en deuxième lecture sur ce texte spécifique. Je rappellerai simplement que le Sénat et l’Assemblée nationale s’opposaient sur deux points.
Le premier point portait sur l’extraterritorialité. Nous avons finalement réussi à convaincre nos collègues députés de la majorité – l’opposition partageait notre position – qu’il n’était pas possible d’adopter une loi qui, dès sa promulgation, aurait été battue en brèche par des entreprises étrangères non soumises sur le territoire national aux mêmes lois que les éditeurs français.
Une telle loi, au lieu d’être une arme pour l’édition et pour le livre en France, aurait été un véritable cheval de Troie. Alors que les éditeurs français auraient été soumis à un prix unique, les grandes plateformes étrangères, acteurs essentiels sur le marché international, auraient pu faire ce qu’elles voulaient…
Nous sommes donc parvenus à un compromis : dès lors que l’article 3 de la proposition de loi était adopté dans la rédaction proposée par le Sénat, nous pouvions concéder l’article 2.
Le second point de divergence portait sur la rémunération juste et équitable des auteurs, sujet qui me tient particulièrement à cœur. Je suis content que nous ayons convaincu nos collègues de l’Assemblée nationale sur ce sujet.
C’est une tautologie, mais il n’y a pas de lecteurs, pas d’éditeurs sans créateurs, en l’occurrence sans auteurs. Mais la révolution numérique place les auteurs en général dans une situation difficile, alors qu’il était légitime d’attendre du livre numérique, et des économies de coûts qu’il permet, une amélioration.
Les auteurs ont pu considérer qu’ils allaient gagner davantage et que leurs œuvres allaient être mieux considérées. Or, au contraire, ils se sont sentis en difficulté parce que la révolution numérique pouvait entraîner une remise en cause des droits qu’ils avaient acquis dans les négociations et les conventions avec les éditeurs.
Nous avons, là encore, réussi à convaincre nos collègues députés de souscrire à notre point de vue sur cette question, malgré les déclarations aventureuses d’Hervé Gaymard – « la proposition de loi porte sur la fixation du prix du livre numérique et n’emporte pas réforme de la loi de 1957 sur le droit d’auteur. Elle n’a pas vocation à légiférer sur les relations contractuelles entre les éditeurs et les auteurs ». Hervé Gaymard dit aujourd’hui l’inverse et considère désormais qu’il est bon de légiférer. Je suis plutôt heureux qu’il ait pu être convaincu.
Cependant, nous avons dû préciser ce qui ne figurait pas dans la version de l’Assemblée nationale, à savoir que les dispositions relatives à la rémunération juste et équitable seraient intégrées dans le code de la propriété intellectuelle. J’y ai particulièrement tenu et nos collègues de l’Assemblée nationale y ont consenti sans problème.
Je ne peux, encore une fois, que me réjouir de ce consensus politique, car, et ce sera ma conclusion, la révolution numérique va continuer, et elle va continuer à tout chambouler. Nous légiférons aujourd’hui, mais nous devrons probablement encore accompagner le mouvement.
La situation actuelle est telle que nous ne faisons pas la loi pour de nombreuses années. Nous le savons très bien, il est des évolutions que l’on peut prévoir sans pouvoir encore légiférer, et d’autres que l’on ne peut pas encore prévoir mais qui vont avoir lieu et sur lesquelles il faudra légiférer.
Dans ce chamboulement que j’évoquais, il y aura certes des occasions à saisir, une créativité nouvelle, toujours possible quand les choses changent, mais il y aura aussi bien des dangers à affronter.
Il était donc important que cette loi s’appuie sur un consensus pour avoir assez de force dans cette économie mouvante, mais aussi pour nous permettre de mener à bien les négociations à engager dès demain à Bruxelles afin d’être confortés dans nos intentions, cette fois au niveau européen.
C’est donc avec plaisir que le groupe socialiste s’apprête à voter en faveur de ce compromis, auquel il a œuvré de façon active, de même que Mme Colette Mélot, dont je tiens à saluer le travail.
Je salue aussi, en la personne du président de la commission de la culture, l’auteur de cette proposition de loi, parce qu’il a voulu construire pas à pas – cela ne s’improvise pas ! – ce consensus politique qui, je l’espère, se retrouvera sur d’autres textes. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde.
Mme Françoise Laborde. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, afin de contrecarrer les conséquences de la révolution numérique sur le secteur du livre papier, la représentation nationale se devait d’agir au plus vite pour fixer un cadre légal à ce nouveau mode de diffusion de la culture et, ainsi, adapter notre législation aux nouveaux outils numériques.
L’objectif de la loi est de ne pas pénaliser les principaux acteurs, à savoir les auteurs, les éditeurs ou encore les libraires, tout en bénéficiant à l’ensemble des lecteurs : usagers des bibliothèques publiques ou universitaires, institutions culturelles et enseignement.
Car le livre numérique n’est pas seulement un outil, il est bel et bien une création littéraire à part entière.
Je tiens à féliciter chaleureusement le président de la commission de la culture, M. Jacques Legendre, ainsi que notre collègue Catherine Dumas d’avoir pris l’initiative de cette proposition de loi. Je tiens aussi à remercier notre rapporteur, Mme Colette Mélot, pour le travail qu’elle a accompli sur cette proposition de loi.
Vous nous avez donné, chers collègues, l’occasion de légiférer en amont, alors que le numérique ne concerne encore qu’un très faible pourcentage du marché du livre. On ne pourra pas nous accuser de ne pas avoir anticipé les effets de ce bouleversement technologique majeur !
Face à la montée en puissance du livre numérique, il fallait réagir vite si nous voulions préserver un équilibre déjà fragile en ce domaine.
Le texte que nous allons adopter est le fruit attendu de longues réflexions et concertations.
L’arrivée du numérique bouscule l’économie du livre. Le marché doit s’adapter à de nouvelles contraintes. La numérisation massive pose non seulement la question de la protection des droits d’auteur, mais aussi celle de la protection de l’ensemble des acteurs traditionnels de la filière du livre, comme, par exemple, l’imprimerie mais aussi le papier.
C’est toute la chaîne de production qui est déstabilisée, voire en grand danger.
Notre combat est avant tout celui de l’exception culturelle, de la culture, partie intégrante de l’identité française, ici et dans le monde entier. La protection de cette identité est entre nos mains. Il nous appartient de la défendre, notamment à Bruxelles. J’y vois un impératif d’intérêt général.
J’espère à cet effet que les engagements pris tout au long de nos débats seront tenus et que nous réussirons à plaider auprès de l’Europe l’alignement du taux de la TVA du livre numérique sur celui du livre papier.
Nous savons combien la loi Lang, votée il y a trente ans, en fixant le prix unique du livre a favorisé et préservé la diversité culturelle et la créativité éditoriale. Cette loi a joué en son temps un rôle fondamental pour la protection de l’ensemble de la chaîne du livre, notamment en faveur des librairies indépendantes.
La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui dans sa version finale s’inspire largement du modèle de cette fameuse loi Lang.
Le texte repose sur une définition du livre numérique circonscrite au livre imprimé ou imprimable. Sont ainsi exclus les produits multimédias hybrides, qui à ce jour sont encore moins développés.
L’éditeur conservera la maîtrise du prix de vente des livres numériques, tout comme il la détient sur le livre papier. Ce prix imposé aux revendeurs empêchera toute politique de dumping qui exclurait du marché les acteurs les plus faibles. Il permettra par ailleurs aux auteurs de mieux contrôler la perception de leurs droits et ainsi de maintenir la richesse et la diversité des publications.
Le champ d’application de cette loi reste cependant limité à la version homothétique du livre numérique.
Cependant, l’offre numérique étant appelée à se diversifier rapidement, comme c’est déjà le cas à l’étranger, une définition trop restreinte excluant pour l’instant les produits multimédias, par exemple, devra nécessairement faire l’objet d’ajustements dans un futur proche.
Les évolutions technologiques sont telles qu’il faudra suivre, semaine après semaine, l’applicabilité de la loi. Nous devrons rester réactifs et très vite apporter les précisions qui s’imposeront.
À cet effet, l’article 7, fixant une clause de rendez-vous législatif annuel, nous permettra d’observer l’évolution des pratiques du marché et d’étudier leur impact sur l’ensemble de la filière.
Le comité de suivi, composé de parlementaires, aura un rôle majeur à jouer.
Cette loi spécifique propre au livre numérique a été l’occasion de prendre en compte de nombreuses problématiques dont deux, particulièrement importantes, ont fait l’objet de discussions nourries entre les deux assemblées. Je pense, évidemment, à l’extraterritorialité et à la reconnaissance d’une rémunération équitable pour les auteurs.
Ces deux points sont fondamentaux et ont été particulièrement discutés. Le désaccord entre les deux assemblées a permis, au fur et à mesure de la navette parlementaire, d’améliorer la rédaction du texte et la commission mixte paritaire a finalement réussi à trouver un point d’accord qui me semble satisfaisant.
Tout d’abord, concernant l’extraterritorialité, je tiens à rappeler que, face à l’effacement virtuel des frontières, une loi qui ne toucherait que la France mettrait en danger nos chaînes de distribution et nos maisons d’édition.
Il serait donc impensable que nous imposions des contraintes particulières aux entreprises françaises sans y soumettre les géants étrangers du secteur.
L’objectif de promotion de la diversité culturelle et linguistique est prévu par le droit communautaire. C’est pourquoi il nous semblait essentiel d’étendre l’application de cette proposition de loi aux éditeurs et distributeurs établis hors de France.
Nous ne pouvons donc que regretter la suppression de la clause d’extraterritorialité à l’article 2, pourtant réintroduite par le Sénat en deuxième lecture.
Néanmoins, grâce à la ténacité du Sénat, les dispositions de l’article 3 de la proposition de loi restent étendues à toutes les personnes, y compris celles qui sont établies hors de France, exerçant une activité de commercialisation de livres numériques à destination d’acheteurs situés sur le territoire national. C’est une victoire qu’il faut saluer.
Par ailleurs, concernant la rémunération des auteurs, nous resterons particulièrement attentifs.
Nous nous réjouissons que la notion de rémunération « juste et équitable » ait été inscrite dans le code de la propriété intellectuelle au travers de l’article 5 bis.
Dans le cadre du suivi de l’application de la future loi, le rapport annuel présenté par le Gouvernement à la représentation nationale permettra de vérifier que l’application du prix unique favorise bien cette bonne rémunération.
Pourtant, il faudra rapidement réfléchir à l’avenir du système français des droits d’auteur à l’ère numérique. Les auteurs doivent évidemment pouvoir bénéficier des retombées économiques de la croissance du secteur du livre numérique.
Je veux profiter de ce débat pour rappeler tout l’intérêt qui s’attache à élaborer la loi au gré d’une navette « classique », et non pas au titre d’une procédure accélérée.
Le texte issu des travaux de la CMP montre l’utilité de ne pas s’enfermer dans des procédures trop rapides et de laisser la place au dialogue parlementaire.
Nous avons finalement réussi à concilier la position de la Haute Assemblée avec celle de l’Assemblée nationale et à réaffirmer le poids de nos convictions.
Par ailleurs, force est de constater qu’il est possible d’adopter une loi complète et complexe en à peine quelques mois, dans le cadre d’une navette classique, quand la volonté politique est là !
De surcroît, la France devient ainsi le premier pays au monde à légiférer sur le prix unique du livre numérique. J’espère que notre exemple sera suivi, non seulement au niveau européen mais aussi dans le monde entier. Car, je le répète, ce sujet n’a pas de frontières.
Dans cette attente, avec l’ensemble des membres du groupe du RDSE, je voterai pour l’adoption de cette proposition de loi. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Jack Ralite.
M. Jack Ralite. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me souviens du vote à l’UNESCO de la convention sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles. J’y étais. C’était vraiment un grand, un très grand plaisir. Seuls deux pays s’y étaient opposés : les États-Unis et Israël…
Ce soir, je retrouve au sein de notre assemblée le même climat, et j’en éprouve le même plaisir.
C’est que, mes chers collègues, j’aime, moi, les travaux qui sont menés avec sérieux, avec profondeur, qui laissent toute leur place aux contradictions, tout en sachant en faire la synthèse efficace.
Je crois que c’est ce qui a caractérisé non seulement nos débats, mais aussi, dès le début, la proposition de loi du président de la commission de la culture, M. Jacques Legendre, ainsi que le travail de notre collègue Colette Mélot.
Il vient d’être dit que c’était le premier vote sur ce sujet dans le monde. Je trouve cela très bien. La France donne là l’exemple d’une expérience législative bien préparée et bien pensée pour un texte qui sera donc bien appliqué.
Le vote unanime des deux assemblées est assez rare pour être salué, et encore le mot « unanime » manque-t-il peut-être ici de précision : c’est un geste politique fort, d’autant plus fort qu’il est pluraliste ! Il gagne ainsi en autorité et en ralliement ou, en tout cas, en convergence possible.
En substance, deux grandes questions ont été traitées.
Premièrement, il s’agissait d’empêcher tout contournement par rapport à la diversité culturelle, et de quelque pays que ce soit, même de l’Union européenne, qui a voté en faveur de cette diversité culturelle ; c’est même l’Union européenne qui nous défendait dans les discussions internationales.
Deuxièmement, il fallait faire en sorte que l’on n’oublie jamais que l’audace de la création, sa rencontre avec tous les publics, est à la base de tout ce dont nous discutons. Cette audace a besoin d’être rémunérée, cela a été dit, de manière « juste et équitable ». Il était aussi nécessaire de prendre en compte, y compris dans le code de la propriété intellectuelle, les plus-values que réaliseront les éditeurs à la suite de la baisse du coût de fabrication.
Ce sont ces deux idées fortes qui ont reçu l’aval, collectif et personnel, de tous les parlementaires.
Je tiens à dire que cette qualité politique, ce non-retard d’avenir, nous oblige aujourd’hui, nous, parlementaires et Gouvernement, et nous oblige à regarder plus loin.
En effet, il est impossible de ne pas voir qu’il y a une offensive contre le droit d’auteur, en tout cas une offensive pour le contourner, et que des lobbies puissants sont à l’œuvre dans le monde, singulièrement en Europe.
Il faut donc que notre texte soit suivi d’un acte, de deux actes, voire de trois, dans la foulée. Même s’il est bien aujourd'hui, il sera encore meilleur ainsi. Une loi est un moyen, et non une fin en soi.
Bien entendu, cela, c’est le travail des professionnels. Je pense que, une fois voté, notre texte pourra contribuer à les rassembler, mais le fait est qu’ils sont encore un peu divisés pour le moment, vous l’aurez noté.
Il nous faut donc des actes. Souvenons-nous : à la grande période de la Télévision sans frontières, de l’exception culturelle, de l’Accord multilatéral sur l’investissement, l’AMI, et de la réunion de Seattle, les membres du Parlement français et les autorités gouvernementales, et même les présidents de la République, ont fait tout ce qu’il fallait pour que les choses avancent.
Je me souviens d’un discours du Président de la République François Mitterrand, à Gdansk, et d’un discours du Président de la République Jacques Chirac, au Louvre. Le propos était ferme, poli, mais ferme.
Nous devons nous inscrire dans la même démarche. Peut-être faudrait-il, par exemple, réunir rapidement tous ceux avec qui nous avons travaillé pour montrer comment la substance acquise peut innerver ceux qui n’ont pas tenu l’unité jusqu’au bout et qui ont pourtant grand besoin de réaliser cette unité et de la faire entendre.
J’aimerais aussi que la commission entreprenne des démarches avec le Gouvernement, notamment avec le ministre de la culture, afin de pouvoir affiner les choses. Nous devons emprunter un chemin pour réussir – Aragon parlerait de « venelles », mais, même des venelles débouchent quelque part ! Et je pense qu’une réunion au niveau européen s’impose.
Monsieur le président de la commission de la culture, je crois qu’il faut prendre une initiative, il faut la travailler, la ciseler finement et la faire aboutir !
M. Jacques Legendre, président de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Nous en reparlerons !
M. Jack Ralite. Je me suis récemment rendu à une réunion organisée par un club animé par notre collègue député Franck Riester. Était présent notre commissaire européen, Michel Barnier. Ce n’était pas brillant, d’abord sur la forme, puis sur le fond, qui n’était pas très clair. Il faut aller voir M. Barnier ; d’ailleurs, il nous y a lui-même invités. À mon sens, il serait très important que la commission, dans sa pluralité, réponde à cette invitation.
Avant de venir ici, j’assistais à la réunion de la Coalition française pour la diversité culturelle, qui s’est tenue à la Société des auteurs. Cet organisme, qui regroupe beaucoup d’acteurs, a décidé à l’unanimité d’envoyer une délégation à Bruxelles au cours d’une journée où quantité de professionnels de la culture, notamment des artistes de toute l’Europe, viendraient dire de quoi ils ont besoin.
Je ne m’étendrai pas, car beaucoup de choses ont déjà été dites. Mais, ce soir, je suis un parlementaire heureux ! (Applaudissements.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ? …
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire.
Je rappelle que, en application de l’article 42, alinéa 12, du règlement, étant appelé à se prononcer avant l’Assemblée nationale, le Sénat statue par un seul vote sur l’ensemble du texte.
Je donne lecture du texte élaboré par la commission mixte paritaire :
proposition de loi relative au prix du livre numérique
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Article 2
(Texte de l’Assemblée nationale)
Toute personne établie en France qui édite un livre numérique dans le but de sa diffusion commerciale en France est tenue de fixer un prix de vente au public pour tout type d’offre à l’unité ou groupée. Ce prix est porté à la connaissance du public.
Ce prix peut différer en fonction du contenu de l’offre et de ses modalités d’accès ou d’usage.
Le premier alinéa ne s’applique pas aux livres numériques, tels que définis à l’article 1er, lorsque ceux-ci sont intégrés dans des offres proposées sous la forme de licences d’utilisation et associant à ces livres numériques des contenus d’une autre nature et des fonctionnalités. Ces licences bénéficiant de l’exception définie au présent alinéa doivent être destinées à un usage collectif et proposées dans un but professionnel, de recherche ou d’enseignement supérieur, dans le strict cadre des institutions publiques ou privées qui en font l’acquisition pour leurs besoins propres, excluant la revente.
Un décret fixe les conditions et modalités d’application du présent article.
Article 3
(Texte du Sénat)
Le prix de vente, fixé dans les conditions déterminées à l’article 2, s’impose aux personnes proposant des offres de livres numériques aux acheteurs situés en France.
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Article 5 bis
(Texte élaboré par la commission mixte paritaire)
L’article L. 132-5 du code de la propriété intellectuelle est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Le contrat d’édition garantit aux auteurs, lors de la commercialisation ou de la diffusion d’un livre numérique, que la rémunération résultant de l’exploitation de ce livre est juste et équitable. L’éditeur rend compte à l’auteur du calcul de cette rémunération de façon explicite et transparente. »
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Article 7
(Texte de l’Assemblée nationale)
Un comité de suivi composé de deux députés et deux sénateurs, désignés par les commissions chargées des affaires culturelles auxquelles ils appartiennent, est chargé de suivre la mise en œuvre de la présente loi. Après consultation du comité de suivi et avant le 31 juillet de chaque année, le Gouvernement présente au Parlement un rapport annuel sur l’application de la présente loi au vu de l’évolution du marché du livre numérique, comportant une étude d’impact sur l’ensemble de la filière.
Ce rapport vérifie notamment si l’application d’un prix fixe au commerce du livre numérique profite au lecteur en suscitant le développement d’une offre légale abondante, diversifiée et attractive et favorise une rémunération juste et équitable de la création et des auteurs, permettant d’atteindre l’objectif de diversité culturelle poursuivi par la présente loi.
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Sur les articles 2, 3, 5 bis et 7, je ne suis saisi d’aucun amendement.
Quelqu’un demande-t-il la parole sur l’un de ces articles ?...
Le vote est réservé.
Vote sur l'ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l’ensemble de la proposition de loi dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, je donne la parole à Mme Lucienne Malovry, pour explication de vote.
Mme Lucienne Malovry. Je tiens tout d’abord à remercier M. le ministre de son engagement constant en faveur de la création et de la diversité culturelle. Je remercie également notre rapporteur de la qualité de son travail et de son écoute.
Avec le développement du numérique, le secteur du livre connaît une révolution technologique sans précédent depuis Gutenberg, ce qui l’expose également à des risques. Le législateur se doit d’anticiper certaines dérives qui pourraient se révéler dévastatrices pour l’objet culturel singulier que constitue le livre.
À l’aube du trentième anniversaire de la loi du 10 août 1981 relative au prix du livre, dite « loi Lang », qui a instauré le système du prix unique du livre papier, il semblait nécessaire d’adapter le cadre législatif aux évolutions technologiques de notre temps, l’objectif étant, comme à l’époque, de garantir la diversité de l’offre et la protection des droits d’auteur.
Notre groupe se réjouit qu’un cadre législatif sécurisant soit ainsi proposé grâce à une initiative parlementaire.
Réunis en commission mixte paritaire, sénateurs et députés sont parvenus à un accord sur les quelques points de divergence résultant des deux lectures. Cette démarche consensuelle confère d’autant plus de force à ce texte législatif.
Je tiens également à souligner un élément concernant l’extension du champ d’application du texte à l’ensemble des libraires qui exercent leur activité sur le territoire national : le retour à la rédaction proposée par le Sénat doit garantir une concurrence loyale. Il faudra continuer le combat en ce sens, monsieur le ministre.
Comme l’a expliqué notre rapporteur, cette loi devrait être qualifiée de « loi de police » en vertu des engagements internationaux de la France et de l’Union européenne, au titre de la convention de l’UNESCO sur la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, de 2005.
Bien évidemment, le groupe UMP votera en faveur de ce texte qui, je le rappelle, est le premier au monde à réguler le commerce du livre numérique. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Yann Gaillard.
M. Yann Gaillard. Je voterai évidemment avec enthousiasme cette proposition de loi dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire, en félicitant la commission de la culture et le Gouvernement, qui ont permis de la faire aboutir.
Mais je voudrais également relayer la mise en garde de notre collègue Jack Ralite sur les risques de contournement qui existent en Europe.
Avec la commission des finances, nous nous sommes rendus à un séminaire à Bruxelles et nous avons échangé avec la Commission européenne sur plusieurs sujets, dont le livre numérique. Je me souviens avoir entendu M. Barroso lui-même, et vous conviendrez qu’il est un homme important, affirmer que le livre numérique était un service et non un livre ! (M. Jack Ralite s’exclame.)
Le risque que le livre numérique soit mis en vente non pas par des libraires, mais seulement par des trusts à l’image d’Amazon existe donc bel et bien.
À mon sens, la proposition de loi doit être comme une borne par rapport à certaines erreurs européennes.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission de la culture.
M. Jacques Legendre, président de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce soir, je suis comme vous tous heureux, et doublement heureux, en tant qu’auteur de proposition de loi, mais également en tant que président de la commission de la culture !
À l’issue de ces débats, en effet, nous avons pu aboutir à un accord entre l’Assemblée nationale et le Sénat à l’unanimité des forces politiques représentées au sein des deux assemblées !
C’est évidemment un geste politique fort, et il était indispensable pour faire comprendre notre état d’esprit : nous sommes conscients de la menace réelle qui continue à peser et nous avons la volonté de voir la législation en France, mais aussi ailleurs, évoluer pour y faire face.
La loi que nous nous apprêtons à adopter devra préserver le secteur de la librairie des dangers que font peser les grandes plateformes internationales et garantir aux auteurs une rémunération juste et équitable. Bien entendu, ce n’est qu’une première étape.
Le livre numérique ne doit plus être traité comme un service. Comme vous l’avez rappelé à juste titre, mon cher collègue, le livre numérique est, pour nous, un bien culturel. Nous voulons qu’il soit reconnu comme tel au niveau international.
C’est pourquoi j’apporte mon total soutien à l’action de Jacques Toubon dans sa mission sur l’adaptation de la fiscalité culturelle à l’ère numérique, même si nous sommes bien conscients que la conjoncture économique n’est pas favorable et que les États membres ont parfois d’autres priorités que la culture.
Nous devons rappeler à la Commission européenne son engagement en faveur de la protection et de la promotion de la diversité culturelle, puisqu’elle a ratifié la convention de l’UNESCO de 2005. Le texte que nous allons adopter aujourd’hui en est une traduction concrète. Nous étions un certain nombre à nous être mobilisés jadis pour qu’une telle législation soit adoptée. La convention doit être appliquée, et la Communauté européenne a le devoir de tirer toutes les conséquences de son propre vote.
Mes chers collègues, la commission de la culture vous proposera très bientôt, en liaison avec la commission des affaires européennes, d’adopter une résolution en ce sens. Je suis persuadé que nous serons entendus.
En tout état de cause, il nous restera toujours le plaisir de la lecture. Et, puisque nous parlions tout à l’heure de bonheur, je conclurai par une très belle formule de Montesquieu, disponible sur livre papier comme sur livre numérique et homothétique (Sourires) : « Je n’ai jamais eu de chagrin qu’une heure de lecture n’ait dissipé. » Ce soir, je n’ai pas besoin de lecture : je n’ai pas de chagrin ! (Applaudissements.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Conformément à l’article 42, alinéa 12, du règlement, je mets aux voix l’ensemble de la proposition de loi, dans la rédaction résultant du texte élaboré par la commission mixte paritaire.
(La proposition de loi est adoptée.)
M. le président. Je constate que la proposition de loi a été adoptée à l’unanimité des présents.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures quinze.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures dix, est reprise à vingt-deux heures quinze.)
M. le président. La séance est reprise.
8
Régulation du système de distribution de la presse
Adoption d'une proposition de loi dans le texte de la commission modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion, à la demande de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, de la proposition de loi relative à la régulation du système de distribution de la presse, présentée par M. Jacques Legendre (proposition n° 378, texte de la commission n° 475, rapport n° 474).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Jacques Legendre, auteur de la proposition de loi.
M. Jacques Legendre, auteur de la proposition de loi. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la loi du 2 avril 1947, qui réglemente la distribution de la presse, appelée plus communément « loi Bichet », est l’une de ces grandes lois sacrées qui régissent le secteur de la presse, aux côtés de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse ou encore de la loi du 10 janvier 1957 portant statut de l’Agence France-Presse. On ne doit donc s’en approcher qu’en tremblant.
Ce n’est pas un hasard si ces lois, icônes de la République, ont perduré jusqu’à nos jours, en ne subissant que quelques modifications marginales.
La loi Bichet constitue un héritage précieux de la Résistance qui a consacré un certain nombre de principes fondamentaux qu’il nous appartient de préserver dans un environnement de la diffusion de la presse profondément bouleversé par les mutations technologiques.
C’est pourquoi la proposition de loi que j’ai déposée se cantonne, dans le strict cadre du titre II de la loi Bichet, à rénover la gouvernance opérationnelle du système de distribution de la presse afin de garantir l’effectivité des principes suivants : la liberté de la diffusion de la presse, la maîtrise par les éditeurs de la distribution de leurs titres et l’égalité de traitement entre tous les titres, quel que soit leur poids économique, dans l’accès au système coopératif de distribution de la presse.
Dans ce texte, j’ai tenu compte des multiples réflexions qui ont été conduites sur la modernisation des mécanismes de régulation du secteur de la distribution de la presse.
Le Livre vert des états généraux de la presse écrite, remis au chef de l’État en janvier 2009, appelait au respect des principes fondamentaux de la loi Bichet, à la professionnalisation de la composition du Conseil supérieur des messageries de presse, le CSMP, ainsi qu’au renforcement de son pouvoir décisionnel, dans la logique d’une autorégulation plus efficace et proactive.
M. Bruno Lasserre, président de l’Autorité de la concurrence, proposait, lui, en revanche, dans son rapport, de transformer le CSMP en une autorité complètement indépendante de la profession, dont les membres ne seraient plus issus des entreprises ou des organisations professionnelles du secteur et dont le pouvoir de régulation serait considérablement renforcé. Dans ce schéma, le conseil rénové se serait appuyé, en amont, sur des commissions spécialisées associant à titre purement consultatif les acteurs de la distribution de la presse.
Enfin, dans un rapport consacré au redressement financier de l’entreprise Presstalis, M. Bruno Mettling recommandait une voie intermédiaire qui adosserait à un CSMP complètement professionnalisé une autorité indépendante chargée de contribuer au règlement des différends et de contrôler l’activité normative du Conseil afin de garantir l’effectivité des principes d’indépendance et d’impartialité de la distribution de la presse.
Nous nous sommes inscrits, en collaboration étroite avec notre collègue David Assouline, dans une démarche constructive de dialogue direct avec les différents représentants de la profession et de l’État, dans la mesure où ce dernier consent des sommes significatives à la distribution de la presse d’information politique et générale. En conséquence, le texte que j’ai déposé reprend le principe d’une régulation bicéphale, déjà esquissé dans le rapport de M. Mettling.
Nous accordons ainsi une place substantielle à l’autorégulation en confiant à un CSMP intégralement professionnalisé un pouvoir décisionnel renforcé afin de mettre en œuvre les réformes urgentes préconisées par les états généraux de la presse écrite. La proposition de loi vise à instituer également une procédure de conciliation des différends entre les acteurs de la distribution de la presse devant le CSMP, préalablement à tout recours contentieux.
Nous consacrons le rôle consultatif des commissions spécialisées qui devront permettre au CSMP d’appuyer ses décisions sur une expertise reconnue et diversifiée. En somme, nous institutionnalisons le rôle proactif que le CSMP avait cherché à développer sous l’impulsion de son président, M. Jean-Pierre Roger, en lui donnant désormais une base juridique solide.
Parallèlement au renforcement du CSMP, nous avons créé une nouvelle autorité de régulation de la distribution de la presse chargée de deux missions principales.
D’une part, en cas d’échec de la procédure de conciliation devant le CSMP, elle constituera un cadre efficace de règlement des différends entre les acteurs du secteur, conformément au souhait que vous avez exprimé, monsieur le ministre, lors de votre intervention au congrès annuel de l’Union nationale des diffuseurs de presse, en février 2011. À l’image de ce qui vaut déjà pour le CSMP, les frais de fonctionnement de cette structure seront pris en charge par la profession.
D’autre part, cette nouvelle autorité conférera un caractère exécutoire aux décisions normatives prises par le CSMP afin d’apporter des garanties d’indépendance et d’impartialité aux règles applicables à l’ensemble du secteur.
La commission de la culture a souhaité renforcer la légitimité de ce dispositif en clarifiant le contenu et l’articulation des responsabilités respectives du CSMP et de l’autorité de régulation.
Pour ce faire, elle a adopté les amendements proposés par le rapporteur avec mon soutien. Nous avons tenu compte, en particulier, de la nécessité de prévenir tout risque de conflit d’intérêts et d’entente tacite sur des questions aussi délicates que l’évolution des barèmes tarifaires des messageries de presse ou le contrôle de leur comptabilité.
Je voudrais rappeler que le principe d’une régulation bicéphale du secteur de la distribution de la presse a été voulu par le CSMP lui-même. J’entends cependant, ici et là, que la commission de la culture du Sénat placerait désormais le CSMP sous la tutelle d’une autorité extérieure à la profession. Ce n’est pas le cas, car nous avons toujours veillé, dans le texte de la commission, à préserver la prééminence du CSMP en matière de production normative.
Dans sa nouvelle composition, le CSMP est entièrement professionnalisé et il accorde une place très largement majoritaire aux éditeurs et aux messageries. C’est, du reste, justifié par le principe selon lequel les éditeurs doivent garder la maîtrise de la distribution de leurs titres, les messageries constituant leurs mandataires directs. C’est ce principe qui justifie la prééminence du CSMP dans l’élaboration des règles de la distribution de la presse.
Toutefois, il est nécessaire de s’assurer que son activité normative sera encadrée par une autorité qui en garantira la transparence, l’indépendance et l’impartialité. En somme, c’est la légitimité des décisions du CSMP que cette autorité s’emploiera à renforcer afin de prévenir un recours systématique à la voie contentieuse.
Je vous signale que, si cette autorité n’existait pas, ce serait un coup terrible porté à la confiance des petits distributeurs, dépositaires et diffuseurs de presse qui, minoritaires au sein du CSMP, remettraient alors en cause la légitimité d’un dispositif qui apparaîtrait concentré dans les seules mains des plus puissants, influencé par les conflits d’intérêts et exposé aux risques d’ententes systématiques.
Je pense que nous avons ainsi abouti à un texte équilibré offrant des bases juridiques solides à une gouvernance opérationnelle et proactive du secteur de la distribution de la presse. Je tiens à remercier notre collègue David Assouline, avec lequel j’ai eu le plaisir de travailler en concertation étroite depuis plusieurs mois, de son implication déterminée dans ce chantier législatif passionnant.
Mes chers collègues, je fais le vœu qu’un très large consensus se dégage au sein de notre assemblée, comme cela s’est produit dans notre commission, en faveur d’une modernisation ambitieuse et responsable des mécanismes de régulation institués par la loi Bichet.
En matière de gouvernance dans le secteur de la presse, la commission de la culture a su démontrer que les exigences de liberté, d’indépendance et de pluralisme de la presse devaient nous conduire à privilégier une concertation approfondie et un dialogue constructif qui nous permettent de dépasser les clivages partisans. Tel est l’esprit de la proposition de loi dont nous avons à débattre aujourd'hui et à laquelle, je l’espère, le Sénat donnera son approbation. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – M. le rapporteur applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. David Assouline, rapporteur de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je tiens, tout d’abord, à rendre hommage à la loi Bichet dont la pertinence ne s’est jamais démentie depuis l’après-guerre.
Il s’agit là d’un de ces joyaux législatifs de la Résistance, adoptés dans un climat consensuel et constructif, qui consacrent un certain nombre de principes fondamentaux indispensables à la vitalité du débat démocratique dans notre pays. Y figurent, en particulier, la liberté de la diffusion de la presse imprimée et l’égalité de traitement entre tous les titres, quel que soit leur poids économique, au sein du système coopératif de distribution de la presse.
C’est précisément cette exigence de climat consensuel sur le plan politique et de concertation étroite avec la profession qui a présidé au dialogue constructif que le président de la commission de la culture, Jacques Legendre, et moi-même avons conduit avec les acteurs du secteur et l’État. Je partage d’autant plus l’ambition de ce texte qu’il est également l’aboutissement législatif des préconisations que j’avais formulées dès 2011 dans mon rapport pour avis sur les crédits de la presse rendu dans le cadre de l’examen du projet de loi de finances.
Dans cet esprit, nous avons avancé de façon responsable et ciblée, en nous focalisant sur la réforme de la gouvernance du secteur de la distribution de la presse et en ne modifiant pas le titre Ier de la loi Bichet, dont les principes fondamentaux gouvernent le système de distribution de la presse depuis l’après-guerre. Je souhaite vivement que les deux assemblées adoptent la même conduite et ne touchent pas au titre Ier de la loi Bichet. Nos travaux, sinon, seraient dénaturés.
L’ensemble des acteurs de la profession établissent un diagnostic partagé des difficultés qui affectent le secteur de la distribution de la presse et qui appellent une réforme urgente de sa gouvernance.
D’une part, le développement de la diffusion de la presse sur des supports numériques va sensiblement bouleverser le rapport du lecteur à l’acte physique d’achat d’un titre de presse et commence, d’ores et déjà, à exercer une pression importante sur la vente au numéro de la presse imprimée.
D’autre part, le secteur de la distribution de la presse est exposé à des déséquilibres industriels majeurs.
D’un côté, le niveau 3 du circuit de distribution, c'est-à-dire les diffuseurs de presse – marchands de journaux, petits kiosquiers, etc. –, constitue depuis trop longtemps le parent pauvre de la régulation du secteur et se retrouve tout en bas de la chaîne de valeur de la distribution. D’un autre côté, le niveau 1 des messageries de presse connaît lui aussi désormais des difficultés financières considérables, liées aux tensions qui pèsent sur les logiques de mutualisation des coûts et de solidarité coopérative devant exister entre les différentes catégories de presse.
Faute d’une légitimité solide inscrite dans la loi, le CSMP actuel ne peut adopter que des recommandations qui n’ont pas nécessairement valeur exécutoire. En parallèle, les contentieux se multiplient auprès de l’Autorité de la concurrence, en l’absence de structure de règlement des différends au sein du secteur de la distribution de la presse.
Devant ce diagnostic partagé, l’ensemble de la profession s’est accordée sur la nécessité de mettre en place un CSMP professionnalisé qui garantisse la représentation de tous les acteurs de la profession. En contrepartie, elle a entériné le principe de l’adossement à cette instance d’autorégulation d’une autorité indépendante qui garantira la légitimité de ses décisions, en veillant au respect des principes d’indépendance et d’impartialité régissant la distribution de la presse. C’est ce mécanisme de régulation bicéphale, qui préserve la prééminence du CSMP en matière normative, que reprend la proposition de loi du président de notre commission, en cohérence avec les préconisations finales du rapport de M. Bruno Mettling.
Il nous est cependant apparu nécessaire, au stade de la discussion en commission, d’apporter des modifications à ce schéma afin de garantir, d’une part, sa fonctionnalité, et, d’autre part, sa légitimité aux yeux de tous les professionnels, y compris ceux qui sont minoritaires au sein du CSMP. Il nous a semblé, en effet, indispensable de préciser et d’élargir le contenu des responsabilités de l’autorité de régulation indépendante afin qu’elle ne soit pas une coquille vide. C’est ce que nous avons fait, en veillant toujours à ne jamais remettre en cause la force de décision et l’efficacité de gouvernance du CSMP. En renforçant la légitimité du dispositif, nous permettrons que diminue le recours intempestif à la voie contentieuse ; c’était bien le but visé au travers de cette proposition de loi.
Ainsi, les modifications adoptées par notre commission, en accord avec son président, ont visé deux objectifs fondamentaux.
D’une part, nous avons souhaité garantir la pérennité du système coopératif de distribution de la presse en précisant que le respect des principes de solidarité coopérative et des équilibres économiques du système collectif de distribution de la presse constitue une mission fondamentale et prioritaire des deux instances de régulation.
D’autre part, dans le respect de la prééminence normative du CSMP, nous avons pris soin de rééquilibrer les rapports entre ce dernier et l’autorité indépendante de régulation, afin de garantir l’effectivité des principes de transparence, d’indépendance et d’impartialité dans la régulation économique sectorielle.
Je veux le rappeler solennellement : l’un des objectifs fondamentaux de la régulation du secteur de la distribution de la presse réside dans la préservation de ses équilibres mutualistes et le respect des principes de solidarité coopérative. C’est pourquoi, en accord avec une jurisprudence ancienne, nous avons cherché à exclure, s’agissant des conditions de dérogation à l’exclusivité des contrats de groupage qu’encadrera le CSMP, l’hypothèse d’une situation où l’éditeur réserverait la part la moins rentable de sa distribution au système coopératif, tout en assurant à meilleur coût la distribution de la part la plus rentable.
Je rappelle que les états généraux de la presse écrite avaient déjà pris soin de cantonner les dérogations au principe d’exclusivité, sous des conditions strictes, à des cas bien précis, d’ores et déjà définis par voie contractuelle entre les messageries de presse et les éditeurs. Les précisions apportées par la commission de la culture visent, dans cette logique, à encore mieux prévenir tout risque de contournement systématique par les éditeurs des messageries de presse en vue d’assumer eux-mêmes les activités de distribution les plus rentables et, à terme, tout risque de remise en cause des équilibres économiques du système coopératif, fondé sur une nécessaire mutualisation des coûts.
Notre commission entend également prévenir de façon effective tout risque d’entente, de coordination des pratiques ou de conflits d’intérêts dans l’élaboration par le CSMP des règles de la distribution de la presse, compte tenu de sa nouvelle composition, intégralement professionnalisée.
En conséquence, nous avons pris soin de préciser que toutes les décisions de portée générale prises par le CSMP seront transmises à l’autorité de régulation, qui seule décidera de leur conférer un caractère exécutoire, que ces décisions interviennent dans le cadre de la mission générale du CSMP visant à assurer le bon fonctionnement du système coopératif de distribution de la presse et de son réseau ou dans le cadre de ses compétences énumérées au nouvel article 18-6 de la loi Bichet.
Dans le même ordre d’idées, nous avons introduit deux nouvelles compétences d’avis au profit de l’autorité de régulation, en ce qui concerne la qualité du contrôle comptable des messageries exercé par le CSMP et l’évolution des conditions tarifaires des messageries de presse.
En effet, la prédominance des éditeurs au sein du CSMP ainsi que la présence de représentants des messageries elles-mêmes risqueraient de susciter des soupçons d’ententes ou de pratiques concertées si cette compétence d’avis demeurait exclusivement entre les mains du CSMP. Bien entendu, les messageries de presse demeurent libres de fixer leurs tarifs comme elles l’entendent, dans le strict respect du droit du commerce et de la concurrence. C’est pourquoi l’autorité de régulation, et non plus le CSMP, ne formulera qu’un avis.
Lors de l’examen du texte en commission, j’ai pu relever, à la suite de l’adoption des amendements, un certain nombre d’interprétations parfois contradictoires.
D’un côté, certains redoutent que le CSMP ne soit trop encadré, voire empêché d’exercer une gouvernance efficace par une autorité indépendante exerçant un plus grand rôle. Je leur dis qu’instituer une autorité de régulation de pure façade limiterait la portée et la légitimité des décisions et de la mise en œuvre des règles de régulation. D’un autre côté, les petits distributeurs, dépositaires et diffuseurs de presse, en minorité au sein du CSMP, s’inquiètent d’une autorégulation largement dominée par les éditeurs et les messageries de presse et réclament que l’autorité de régulation indépendante ait des pouvoirs renforcés.
Face à ces positions divergentes, je rappelle que notre souci a justement été de mettre en place un dispositif équilibré qui, d’une part, conserve au CSMP toute sa réactivité et sa fonctionnalité afin de faciliter la mise en œuvre des réformes urgentes, et, d’autre part, repose sur des garanties de transparence, d’indépendance et d’impartialité de nature à rassurer les niveaux 2 et 3 de la distribution de la presse, dont la représentation est minoritaire au sein du CSMP.
Cet équilibre subtil, à la préservation duquel je suis attaché, nous l’avons atteint dans le texte de la commission, après avoir écouté tous les acteurs concernés.
Mes chers collègues, j’ai trouvé une très grande satisfaction à conduire, en accord avec le président de notre commission, un travail de concertation approfondi en vue d’améliorer les conditions de régulation d’un secteur qui a son originalité et sa particularité, un secteur très technique mais fondamental pour la vitalité de notre vie démocratique : celui de la distribution de la presse. C’est la preuve que, sur des sujets aussi délicats que la régulation sectorielle des médias, il est possible, avec de la bonne volonté et des principes d’indépendance, de liberté et de pluralisme de la presse chevillés au corps, d’établir une convergence de vues. Il faut continuer à travailler ensemble en ce sens. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication. Monsieur le président, monsieur le président de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, un kiosque ou un diffuseur de presse qui ouvre, c’est un acteur du lien social qui se crée ou qui renaît, c’est un lieu de sociabilité et de rencontres auquel on donne vie, c’est une chance supplémentaire pour l’exercice de la démocratie. Vous l’aurez compris, la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui revêt à mes yeux une signification culturelle et politique très importante : dans l’ère de « l’entre soi » souvent mise en exergue dans les travaux des sociologues, dans la « société des écrans », c’est un signal très fort en faveur de la culture de l’écrit et de la relation sociale de proximité.
Vous examinez, mesdames, messieurs les sénateurs, une proposition de loi portant sur un sujet qui est au cœur des préoccupations des professionnels de la presse et des pouvoirs publics : l’amélioration du système de distribution de la presse écrite dans notre pays.
Malgré le développement récent de nouveaux modes de diffusion de l’information sur des supports numériques, la presse et ses lecteurs n’ont pas abandonné, loin de là, le support papier. Il demeure un moyen incontournable de diffusion des idées et des opinions auprès de chacun de nos concitoyens, notamment ceux qui n’ont pas encore accès à internet : je pense aux aînés, à ceux qui habitent les zones rurales, pas toujours couvertes par le haut débit.
La matérialité du papier pose la question de sa distribution. Vous le savez, celle-ci est encore en grande difficulté malgré les efforts conjugués de l’État et de la profession.
Le recul des ventes de la presse réalisées par les diffuseurs de presse qui a été constaté en 2010 est particulièrement préoccupant. Ainsi, la vente au numéro des quotidiens a enregistré une baisse en volume de 8,2 % en 2010, contre 5,3 % en 2009. Ce fort recul s’explique non seulement par la disparition de nombreux titres de presse, touchés de plein fouet par la crise – trente-sept ont disparu en 2010 –, mais aussi par la diminution à la fois du nombre et de l’activité des points de vente de la presse au numéro.
L’érosion du réseau des points de vente de la presse a en effet repris en 2010 après une stabilisation en 2009 : 455 points de vente – sur un total de plus de 30 000 – ont été supprimés en 2010. De plus, l’activité du réseau des points de vente est en diminution de 6,1 %, toutes messageries confondues ; pour les quotidiens, le recul est de 7,8 %, pour les magazines de 4,4 %.
Comme j’ai souvent eu l’occasion de le rappeler à la profession, nous nous attachons à poursuivre une politique volontariste en faveur des diffuseurs de presse, dont le développement reste une des conditions prioritaires du redressement des ventes de la presse.
Je prendrai pour exemple de cette politique le soutien exceptionnel de l’État aux diffuseurs spécialisés, que mes services s’apprêtent à reconduire. Je citerai également le plan de développement des kiosques, commerces culturels de proximité par excellence, puissants outils de consolidation du lien social, qui a conduit à la signature, le 22 mars dernier, d’une convention entre le ministère de la culture et de la communication, le Conseil supérieur des messageries de presse et l’Association des maires de France. L’objectif est de créer en France 300 nouveaux kiosques en trois ans, soit une progression d’environ 40 %.
Mais il nous faut aller plus loin. Afin de favoriser le développement des kiosques à journaux, des projets de textes ont été élaborés après concertation avec les professionnels afin de clarifier et d’alléger les règles en vigueur pour leur installation sur le domaine public. Des dispositions législatives modifiant le code général des collectivités territoriales, complétées par des mesures réglementaires dans le code de l’urbanisme et, à la marge, quelques modifications du code général des impôts, devraient être reprises dans les mois qui viennent dans une proposition de loi portée par M. le député Jean-Luc Warsmann.
En effet, la revalorisation du métier de diffuseur reste l’objectif prioritaire du Gouvernement. Ce métier est au cœur de la relation que les éditeurs de presse entretiennent avec leurs lecteurs. Son rôle dans ce lien si singulier, dans ce véritable pacte de lecture entre la presse et ses lecteurs, ne peut être envisagé indépendamment de la question de la distribution de la presse dans son ensemble.
Comme vous l’avez dit, monsieur le rapporteur, la modernisation de la distribution de la presse vendue au numéro et son indispensable régulation s’inscrivent dans le cadre du système coopératif instauré par la loi Bichet du 2 avril 1947, dont on ne doit en effet, monsieur le président Legendre, s’approcher qu’en tremblant.
Ce fut l’un des grands chantiers des états généraux de la presse écrite qui se sont tenus fin 2008. En clôturant ces derniers le 23 janvier 2009, le Président de la République s’est prononcé en faveur d’une réforme ambitieuse de l’instance de régulation, qui devait trouver sa traduction dans la révision de sa composition et de ses compétences, ainsi que dans le renforcement de son indépendance. Il a alors demandé à M. Bruno Lasserre, président de l’Autorité de la concurrence, de lui remettre des propositions en ce sens.
Dans son rapport, M. Bruno Lasserre recommandait la création d’une autorité administrative indépendante, sous la forme d’un collège resserré de cinq membres, seul cadre adapté, selon lui, permettant d’exercer à la fois une mission de régulation sectorielle efficace et une mission de règlement des différends non contestable.
Dans le schéma préconisé par M. Lasserre, les membres du collège n’avaient aucun lien avec les intérêts du secteur. Les professionnels ne devaient intervenir qu’au sein de commissions consultatives statutaires et de groupes de travail pour préparer les décisions de l’instance collégiale.
Le choix d’une autorité administrative indépendante traduisait clairement un ancrage de la régulation dans la sphère publique, indépendante à la fois de l’État et des acteurs et entreprises concernés par la régulation.
Si ce choix représentait une réelle innovation pour le secteur de la distribution de la presse, il ne l’était pas au regard du mode de régulation adopté dans des secteurs aussi différents que l’audiovisuel, à travers le Conseil supérieur de l’audiovisuel, les télécommunications et les postes, avec l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, l’énergie, avec la Commission de régulation de l’énergie, ou les marchés financiers, à travers l’Autorité des marchés financiers.
La profession dans son ensemble a cependant exprimé des réticences à l’égard de ce mode de régulation. En effet, elle l’estimait susceptible de déstabiliser un secteur déjà fragilisé et le considérait comme un frein à la mise en œuvre des réformes importantes engagées par elle sous l’égide du Conseil supérieur des messageries de presse à l’issue des états généraux de la presse écrite.
Selon la profession, la régulation du secteur par une autorité administrative indépendante dans laquelle le pouvoir de décision et d’expertise échapperait aux éditeurs ne constituait pas la meilleure réponse face aux évolutions, qu’elle considérait cependant indispensables, du système coopératif de distribution de la presse et de son réseau.
Vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, la concertation s’est donc poursuivie entre les éditeurs et le CSMP, sous l’égide du ministère de la culture et de la communication, afin de définir une voie médiane, une position équilibrée, tenant compte à la fois des recommandations du Livre vert des états généraux de la presse écrite et des préconisations du rapport de M. Bruno Lasserre.
C’est cette voie médiane de régulation du secteur, la plus sage et la plus respectueuse des équilibres qui ont été, ces cinquante dernières années, à l’origine du développement de la presse, que propose d’emprunter la commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat au travers de la proposition de loi relative à la régulation du système de distribution de la presse présentée par M. Jacques Legendre, son président.
Elle associe étroitement une instance professionnelle – le CSMP rénové – et une autorité administrative indépendante, tout en donnant une définition précise des missions et des compétences de chacun.
Elle entend répondre au souhait de la profession de conserver son indispensable expertise en matière de régulation de la distribution de la presse, ainsi qu’à la nécessité d’instituer un contrôle objectif des décisions de l’instance professionnelle et un arbitrage des différends par une autorité indépendante.
Je tiens à rendre hommage à la commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat pour le travail remarquable qu’elle a accompli dans la recherche de cet équilibre. Elle a veillé à organiser une large concertation, qui a permis à l’ensemble des parties prenantes au processus de distribution de faire valoir leurs arguments. Je salue tout particulièrement le souci de la commission de proposer une organisation non seulement harmonieuse – cela va de soi –, mais aussi efficace et opérationnelle, une organisation qui permette de consolider le fonctionnement du secteur, dans le strict respect des principes fondateurs de la loi Bichet.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous l’aurez compris, j’apporte mon soutien à cette démarche en vue d’une meilleure régulation du système de distribution de la presse. J’y attache une importance toute particulière. À travers une régulation plus efficace de la vente au numéro, nous parviendrons à poser les bases d’une adaptation de la chaîne de distribution aux enjeux de la société numérique et de l’information en temps réel. Dans cette période de remise en cause des équilibres qui ont régi le secteur durant tant de décennies, l’ensemble des professionnels de la presse, des messageries jusqu’aux diffuseurs en passant par les dépositaires, ont besoin d’un outil de référence solide sur lequel s’appuyer. C’est le sens de la réforme que vous proposez, et je me félicite de ce que la Haute Assemblée ait appréhendé l’importance cruciale de cette question.
Je soutiens donc pour l’essentiel la proposition de loi déposée par la commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat. Je présenterai toutefois des amendements sur quelques points. Outre des modifications de caractère formel, je souhaite notamment revenir à la composition de l’Autorité de régulation de la distribution de la presse prévue dans la rédaction initiale de la proposition de loi, à savoir trois magistrats. Je souhaite par ailleurs que soit conservé un caractère facultatif à la consultation publique prévue par la commission pour les décisions importantes du CSMP.
Vous le voyez, mesdames, messieurs les sénateurs, dans le cadre de cette proposition de loi, c’est le « juste milieu », si cher à Aristote, que je vous invite à suivre et à considérer. À mes yeux, ce texte marque une avancée considérable, qui a pu se nourrir de la dynamique du consensus. Il ménage les grands héritages démocratiques issus de la Libération et facilitera considérablement le développement économique, autour d’une régulation dynamique indissociable de nouvelles ambitions pour la distribution de la presse, cet outil essentiel pour le débat et la démocratie dans notre pays. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Françoise Laborde.
Mme Françoise Laborde. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis plusieurs années, l’activité de distribution de la presse se dégrade et connaît de nombreuses difficultés. En particulier, les finances sont structurellement déficitaires. Cette situation fait craindre le pire pour le respect de la diversité et de la liberté de la presse !
Le déficit financier est particulièrement important pour la presse quotidienne nationale, car il résulte essentiellement de coûts spécifiques liés au travail de nuit, au fait que les emplois relèvent de la convention collective des ouvriers du livre ou à la desserte de l’ensemble du territoire. Mais la filière de distribution des autres publications connaît, elle aussi, la crise.
La dramatique accélération de la baisse des ventes de presse contribue chaque année davantage à l’aggravation de cette situation. Dès lors, la distribution de la presse doit relever de nombreux défis.
Pour tenter de retrouver une meilleure santé budgétaire, elle doit gérer des déséquilibres industriels majeurs. Ces derniers sont de plus en plus exacerbés et mettent en danger le secteur tout entier. Tous les acteurs de la chaîne de la distribution, des kiosquiers aux messageries de presse, connaissent des difficultés matérielles considérables.
Comme nous l’avons tous rappelé à l’occasion de la discussion des conclusions de la commission mixte paritaire sur la proposition de loi relative au prix du livre numérique, que nous avons adoptées, la révolution numérique est un facteur aggravant qui touche non seulement l’image et la musique, mais aussi l’écrit.
L’essor exponentiel des abonnements à la presse en ligne, consultable sur tablettes digitales, modifie considérablement le rapport à l’acte d’achat. Dans les années à venir, c’est le défi principal auquel sera confronté le secteur de la presse.
Malgré toutes ces difficultés, le principe fondamental selon lequel chaque éditeur, quelles que soient sa taille et son influence, a l’assurance d’être distribué sur l’ensemble du territoire doit demeurer. Tous les titres, sans exception, bénéficient ainsi de garanties particulières contre le risque d’une distribution arbitraire.
Ce principe, unique au monde, a été gravé dans le marbre par le biais de l’adoption, en 1947, de la loi Bichet, dont l’esprit est de garantir le pluralisme de la presse, à travers l’impartialité de sa distribution. Cette loi constitue véritablement une « icône » de la République. Née dans un contexte particulièrement tourmenté, elle a donné lieu à des débats parlementaires très animés. Elle est devenue, depuis plus de soixante ans, le socle du dispositif organisant la distribution de la presse en France.
Le Conseil supérieur des messageries de presse, chargé d’assurer le respect de ces garanties, a vu ses missions s’élargir, au fil du temps, jusqu’à se voir attribuer le rôle d’organe de régulation pour l’ensemble des sujets se rattachant à la distribution de la presse.
Malheureusement, pour des raisons historiques tenant notamment à ses compétences et à sa composition, le CSMP ne bénéficiait plus d’une confiance suffisante des acteurs, et il était dès lors devenu indispensable de le faire évoluer.
M. Bruno Lasserre, président de l’Autorité de la concurrence, a, dans son rapport au Gouvernement de mai 2009 sur la réforme du CSMP, mis en exergue l’opacité de certaines procédures en matière de régulation du secteur de la distribution de la presse en France. Il a en conséquence proposé la création, par la loi, d’une autorité publique indépendante qui se substituerait à l’actuel CSMP.
Un autre choix a toutefois été fait : celui de faire confiance au CSMP et à l’autorégulation, tout en créant une autorité indépendante à laquelle il viendrait s’adosser, cette dernière n’intervenant qu’en dernier ressort.
La proposition de loi que nous examinons ce soir vise ainsi à moderniser les mécanismes de régulation du secteur de la distribution de la presse.
Je tiens à remercier M. le président de la commission et M. le rapporteur pour la qualité de leur réflexion et pour les améliorations qu’ils ont apportées au texte en commission, en vue de le rendre encore plus consensuel. Je remercie particulièrement M. Legendre d’avoir pris l’initiative de présenter cette proposition de loi.
Nous devrions ainsi réussir à refondre la gouvernance du système de distribution, sans toucher aux principes fondamentaux qui régissent le système coopératif de distribution.
Désormais, la régulation sera bicéphale. D’un côté, le CSMP, doté de la personnalité morale, aura le caractère d’instance professionnelle ; ainsi, les professionnels seront directement associés à l’élaboration des règles et à la gouvernance du secteur. De l’autre, l’Autorité de régulation de la distribution de la presse se verra attribuer le pouvoir d’arbitrer les différends entre acteurs du secteur en cas d’échec du règlement amiable devant le CSMP. Elle aura également le pouvoir de conférer un caractère exécutoire aux décisions de portée générale prises par ce dernier. Le cas échéant, elle pourra adresser des recommandations sur les modifications à apporter à ces décisions.
L’ARDP se voit donc reconnaître, au-delà du règlement des différends, des prérogatives clarifiées, propres à lui permettre d’encadrer effectivement l’activité normative du CSMP.
La définition claire du rôle de ces deux organes de régulation permettra un meilleur respect des principes d’indépendance et d’impartialité. La proposition de loi prévoit de leur donner le rôle de « garants du respect des principes de solidarité coopérative et des équilibres économiques du système collectif de distribution de la presse ».
Ce texte est donc très important pour l’avenir du secteur, dont la gouvernance est obsolète. Les professionnels sont unanimes sur ce point, et les conclusions des travaux menés par les états généraux de la presse ou par M. Bruno Lasserre établissent le même constat. Les circuits sont trop lourds et le contentieux en pleine expansion. Ce texte, qui tend à réformer la loi sans toucher à ses principes fondamentaux, est donc très attendu ; nul doute qu’il sera bénéfique pour tout un secteur, celui du quatrième pouvoir, garant du bon fonctionnement de notre démocratie.
Dans ces conditions, l’ensemble des membres du groupe du RDSE voteront en faveur de l’adoption de cette proposition de loi. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. Ivan Renar.
M. Ivan Renar. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la liberté d’expression et la liberté de la presse font partie des fondements de notre démocratie. Parce que les journaux ne sont pas des biens comme les autres, leur diffusion et leur distribution sont des éléments clés pour garantir un véritable pluralisme des titres. Leur réforme appelle donc la plus grande prudence, et il faut l’aborder en tremblant, comme l’ont dit M. le ministre et M. Legendre, paraphrasant Montesquieu.
La loi Bichet de 1947 relative au statut des entreprises de groupage et de distribution des journaux et publications périodiques a instauré l’impartialité de la distribution de la presse, afin d’assurer le pluralisme de celle-ci. Elle a consacré des principes fondamentaux qui gardent toute leur valeur aujourd’hui encore, telle la liberté pour les éditeurs de diffuser leurs titres par leurs propres moyens, qui s’accompagne cependant de l’obligation de distribution groupée des titres de presse par des sociétés coopératives de messageries de presse. Ainsi, l’égalité de traitement, pour tous les titres de presse de tous les éditeurs, est assurée par ce système coopératif. Par ailleurs, la loi a créé le Conseil supérieur des messageries de presse, instance qui veille à sa bonne application et au respect du système coopératif.
Depuis quelques années, la presse écrite française, notamment la presse quotidienne d’information générale et politique, connaît une crise sans précédent. La forte diminution des ventes, liée en partie à l’essor du numérique et des supports mobiles, remet en cause le modèle économique de la presse écrite : le système de péréquation des coopératives, fondement de la distribution en France, est mis à mal. Ainsi, Presstalis, qui assure la totalité de la distribution de la presse quotidienne nationale et 80 % de la distribution totale, est structurellement déficitaire depuis plusieurs années.
La lutte pour la répartition de la valeur entre les différents acteurs qui composent la chaîne de la distribution s’est faite d’autant plus forte que cette valeur s’est amenuisée. Des conflits importants opposent tous les niveaux de la chaîne : les éditeurs, les messageries de presse, les dépôts, les distributeurs et les diffuseurs peinent à s’accorder sur des réformes pourtant jugées nécessaires.
De même, les messageries de presse s’affrontent entre elles : les intérêts des Messageries lyonnaises de presse, indépendantes, ne coïncident pas avec ceux de Presstalis, qui est détenu par Hachette et se trouve en position hégémonique.
Le CSMP, tel que prévu par la loi Bichet, n’a pu élaborer de solutions pérennes, et pour cause : il ne possède pas de pouvoir contraignant. Petit à petit, son rôle s’est néanmoins renforcé, pour évoluer vers celui d’une instance de régulation du secteur de la distribution de la presse, au-delà même de ses compétences initiales, mais ses avis et propositions ne peuvent s’appliquer d’autorité. Dans ce contexte, une réforme des modes de régulation de la distribution de la presse semble indispensable. Les difficultés financières rencontrées peuvent s’avérer dramatiques pour tous les acteurs professionnels de ce secteur, qui expriment le souhait d’un renforcement des compétences du CSMP.
Mais cet apparent consensus cache une grande diversité d’approches.
La proposition de loi prévoit un CSMP rénové, constitué de vingt membres, exclusivement des représentants des professionnels de la distribution, composition reflétant les forces en présence. Le dispositif de régulation de la loi Bichet étant fondé sur les éditeurs, ceux-ci y occupant une place importante, au côté des messageries de presse.
Il est proposé de créer une nouvelle instance, l’Autorité de régulation de la distribution de la presse, l’ARDP, autorité administrative indépendante composée de trois membres issus du Conseil d’État, de la Cour de cassation et de l’Autorité de la concurrence.
Une telle organisation peut sembler pertinente ; la question centrale tient aux rôles respectifs des deux instances. Le CSMP est une instance représentative de la profession. Il constitue un des fondements et une des garanties de l’existence du système coopératif. Sans CSMP, c’en est fini de la loi Bichet ! Si l’autorité de régulation est présentée comme indépendante et impartiale, elle est surtout l’émanation de la volonté du pouvoir. Dès lors, on est en droit de se demander quelle légitimité elle aurait à édicter la réglementation de ce secteur professionnel.
Ainsi, il apparaît difficile d’approuver la philosophie du texte adopté par la commission : celui-ci accorde, à nos yeux, un pouvoir trop important à l’ARDP, qui a vocation à valider toutes les décisions du CSMP, ainsi qu’à arbitrer les conflits. Le CSMP est, en quelque sorte, complètement placé sous la tutelle d’une autorité dont l’indépendance et la neutralité peuvent s’avérer très théoriques… Ce faisant, la proposition de loi procède à une profonde remise en cause du CSMP et, partant, du système coopératif, qui seul garantit un équilibre propre à permettre d’atteindre l’objectif de pluralisme.
Le CSMP mérite peut-être d’être réformé, mais il doit rester l’instance principale de régulation de la distribution, veillant au respect de l’équilibre instauré par la loi Bichet. Ce n’est pas en amoindrissant son rôle que l’on améliorera la situation de la distribution de la presse française, car il est le dernier rempart contre la marchandisation. Si la presse ne doit pas être structurellement déficitaire, elle ne peut être considérée comme un secteur marchand ordinaire, sauf à porter gravement atteinte aux valeurs mêmes sur lesquelles repose notre système démocratique. Effacer le CSMP revient à introduire la concurrence dans le système coopératif, avec pour conséquence la disparition progressive des titres de petite ou de moyenne diffusion.
Il faut créer une instance de résolution des conflits qui soit complémentaire du CSMP : il lui reviendrait d’arbitrer les différends non résolus au sein de ce dernier et de donner force exécutoire à ses décisions. Si cette instance extérieure et non professionnelle détient tous les pouvoirs de décision, rien ne garantira qu’elle soit fidèle au principe de solidarité défendu par le CSMP, que l’on cherche de toute évidence à transformer en coquille vide.
J’en veux pour preuve la remise en cause du contrat d’exclusivité contenue dans cette proposition de loi qui porte en elle la fin du système coopératif. Le CSMP a désormais pour mission, selon l’alinéa 26 de l’article 4, de définir « les conditions de distribution non exclusive par une messagerie de presse », ainsi que « les conditions d’une distribution directe par le réseau de dépositaires centraux de presse sans adhésion à une coopérative de messageries de presse ».
Ainsi, l’éditeur d’une publication pourrait confier la part la moins rentable de sa distribution aux messageries, tandis qu’il assurerait l’activité de distribution rentable par ses propres moyens ou par le biais d’une société non coopérative.
Mes chers collègues, c’est là une atteinte grave au système coopératif : c’est la fin de la mutualisation des moyens et de la péréquation des coûts de distribution qui permettent pourtant l’égalité de traitement entre tous les éditeurs ! Remettre en cause ces principes revient à déstabiliser entièrement le modèle économique mis en place en 1947, qui permet d’échapper au jeu exclusif des règles de la concurrence, et ainsi d’assurer le pluralisme des opinions et des idées.
Avec la mise sous tutelle du CSMP, cette disposition met fin au système coopératif, alors que le texte tendait en apparence à le sauvegarder.
Conscient du fait que des évolutions sont indispensables, je suis favorable au texte initial de cette proposition de loi, d’autant que les représentants de la profession semblent l’approuver unanimement. Les amendements adoptés en commission ont changé sa nature. Ils sont contraires, à nos yeux, à l’esprit de la loi Bichet et démantèlent, de fait, le système coopératif. Les modifications apportées limitent et minorent le rôle et l’action du CSMP, et donc des éditeurs.
Au lieu d’un rôle d’arbitrage, l’autorité administrative se voit conférer une fonction exorbitante de contrôle : on entre dans un système de distribution administré par l’État. Pour parler franchement, je trouve que cela a un petit parfum d’Union soviétique, et je m’y connais, hélas ! (Sourires.)
Vous l’aurez compris, nous voterons contre la proposition de loi dans cette rédaction qui, au-delà d’un consensus apparent, comporte des dispositions dangereuses pour la liberté de la presse, remettant en cause la liberté de diffusion, que seul le système coopératif peut assurer.
M. le président. La parole est à Mme Catherine Dumas. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme Catherine Dumas. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la baisse de la diffusion, la hausse des coûts de fabrication, le déficit chronique d’un certain nombre de titres, le recul du nombre de points de vente sont autant de signes d’une crise profonde de la presse écrite en France. S’y ajoute un facteur structurel d’envergure : l’émergence de nouvelles technologies, en passe de bouleverser à la fois l’économie des médias et leur mode d’organisation.
Pour faire face à ces évolutions, la presse doit s’adapter. L’enjeu est d’une extrême importance, car il faut noter que la presse, nécessaire à la liberté d’expression et dont le rôle est déterminant dans la construction de l’opinion publique, n’est pas un produit comme un autre. Il y va autant de la sauvegarde d’un secteur économique que de la préservation d’un élément inhérent à la démocratie.
Les états généraux de la presse écrite, voulus par le Président de la République, ont réuni pour la première fois, en octobre 2008, l’ensemble des acteurs concernés. Organisés autour de plusieurs pôles de réflexion, ils ont permis de poser un diagnostic partagé et de formuler des recommandations pour favoriser l’adaptation de la presse à son nouvel environnement.
Le Livre vert issu des travaux des états généraux, ainsi que, par la suite, les rapports de MM. Lasserre et Mettling, ont traité des problèmes spécifiques à la distribution de la presse.
Le réseau de distribution joue un rôle stratégique pour les éditeurs français : assurant le lien entre l’imprimerie et le lecteur, il lui appartient d’acheminer et d’exposer dans les meilleures conditions un produit éminemment périssable. Il faut que tous les titres bénéficient de garanties particulières contre le risque d’une distribution arbitraire.
Le législateur de la période d’après-guerre a prévu que ces garanties seraient apportées par un organisme d’autorégulation, le Conseil supérieur des messageries de presse, créé par la loi Bichet, qui a énoncé les grands principes régissant aujourd’hui encore le système de distribution français.
Tous les acteurs sont attachés à la loi Bichet, mais ils s’accordent également pour dire que celle-ci a doté le CSMP de prérogatives insuffisantes. Certes, depuis quelques années, le CSMP fait preuve d’une plus grande activité de conciliation entre acteurs de la distribution. Il a établi des règles de bonne conduite et créé divers groupes de travail sur les enjeux majeurs pour le réseau de distribution. Cependant, ses moyens juridiques restent manifestement insuffisants pour régler les différends et remédier aux déséquilibres actuels du réseau : encombrement des linéaires, multiplication des invendus, rémunération insuffisante des diffuseurs de presse, réduction du nombre des points de vente.
De ce fait, l’Autorité de la concurrence est régulièrement saisie par de nombreux acteurs du système de la distribution de la presse, afin de trouver des solutions à des litiges dont les enjeux ne sont pas exclusivement concurrentiels. Cette situation n’est pas satisfaisante.
Je me réjouis donc que la présente proposition de loi tende à mettre en place une gouvernance nouvelle, associant les professionnels du secteur et des personnalités indépendantes au sein d’instances de régulation aux missions clairement définies. Comme l’a souligné M. le rapporteur en commission, il s’agit uniquement d’une réforme de la gouvernance, ne portant aucunement atteinte aux autres dispositions de la loi Bichet.
La proposition de loi a retenu un système bicéphale.
Il reviendra au CSMP, remanié dans sa composition pour intégrer les divers représentants de la profession, d’élaborer des normes. Il proposera également une solution amiable à tout différend.
Par ailleurs, est créée une deuxième instance, l’Autorité de régulation de la distribution de la presse, qui sera compétente en matière de règlement des différends lorsqu’aucune solution amiable n’aura été trouvée et qui validera les normes édictées par le CSMP. Pour que son fonctionnement soit efficace, cette instance sera soumise à des règles d’incompatibilité et sera réellement indépendante du CSMP.
En commission, nous avons souscrit aux propositions de M. le rapporteur en vue d’assurer un meilleur équilibre des prérogatives entre les deux instances. Il a été notamment précisé que toutes les décisions de portée générale prises par le CSMP seront obligatoirement transmises à l’ARDP, qui sera chargée de leur donner un caractère exécutoire. Cette autorité pourra adresser des recommandations au CSMP sur les modifications à apporter à ces décisions.
M. le rapporteur David Assouline, dont je souhaite souligner l’excellent travail, a par ailleurs complété les compétences d’avis de l’ARDP, ce qui permettra de garantir l’impartialité de ceux-ci. Tel sera notamment le cas en matière de contrôle comptable sur les conditions tarifaires des sociétés coopératives de messageries de presse.
Les solutions proposées devraient donc permettre d’améliorer significativement la régulation du système de distribution, en accord avec tous les acteurs. Nous serons particulièrement attentifs à son évolution.
Je tiens enfin à remercier le président Jacques Legendre d’avoir engagé cette réforme pragmatique avec un grand sens de l’écoute. J’espère que cette proposition de loi pourra nous rassembler au-delà des clivages politiques. Comme vous l’avez très bien dit, monsieur le ministre, il s’agit ce soir d’adresser un signal fort en faveur de la culture de l’écrit ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et au banc de la commission.)
M. le président. La parole est à Mme Catherine Morin-Desailly.
Mme Catherine Morin-Desailly. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la presse vit une crise de mutation, comme d’ailleurs tous les grands secteurs de l’information et de la culture. Le contexte de la distribution de la presse a fortement évolué ces dernières années, notamment en raison de la révolution numérique.
En effet, outre le phénomène des journaux gratuits, la révolution numérique a non seulement bouleversé le rapport à l’information, et donc les usages en la matière, mais aussi introduit de nouveaux outils : je pense aux nouveaux écrans, en particulier aux liseuses. Il faut aussi souligner le rôle grandissant d’internet.
L’information semble échapper aux journalistes, puisque tout le monde, désormais, « fait de l’information ». Chaque mois, de nouveaux sites internet ouvrent ; nos concitoyens naviguent de plus en plus sur Twitter, Facebook et autres réseaux sociaux, participant ainsi à la circulation de l’information, qu’elle soit d’ailleurs exacte ou non. Si le grand mérite de la « toile » est l’interactivité, l’immédiateté et une totale liberté d’expression, il faut admettre que quantité n’est pas forcément synonyme de fiabilité, tant s’en faut.
Pour la presse, la concurrence est donc rude, et elle doit fournir un effort considérable pour adapter son modèle au nouvel environnement numérique.
En 2011, ce sont près de 400 millions d’euros qui ont été affectés par l’État au soutien à la distribution et à la diffusion de la presse. Si ces aides se sont avérées précieuses et ont contribué à résorber les déficits du secteur, des réformes structurelles sont aujourd’hui nécessaires.
En effet, s’agissant maintenant de la distribution physique de la presse, que je qualifierai de « traditionnelle », régie depuis la Seconde Guerre mondiale par la loi Bichet, nous sommes tous d’accord pour dire qu’elle connaît aujourd’hui de grandes difficultés.
Une réflexion sur ce thème a donc été engagée voilà maintenant trois ans. Les états généraux de la presse écrite, tout comme le rapport de M. Bruno Lasserre, président de l’Autorité de la concurrence, ont analysé les faiblesses de notre modèle de distribution de la presse et ont proposé des solutions.
Parmi ces faiblesses, outre les éléments de contexte que je viens de rappeler, il y a naturellement les déséquilibres en matière de répartition de la valeur entre les différents échelons de la distribution : les messageries de presse, qui concentrent l’essentiel du revenu de la distribution, les quelques éditeurs-dépositaires de presse et, en bas de l’échelle, les diffuseurs, qui rassemblent les kiosquiers et les marchands de journaux.
Ce dernier échelon constitue le maillage de la distribution de la presse et permet à nos concitoyens d’accéder facilement à une presse diversifiée sur l’ensemble du territoire. Toutefois, ce réseau de diffusion n’est pas suffisamment performant, surtout comparé à celui qui existe dans les pays voisins, notamment au Royaume-Uni, où les titres sont beaucoup plus accessibles grâce aux kiosques, aux petits vendeurs ou à une livraison à domicile très tôt le matin.
Il est donc urgent et essentiel de prendre tous types de mesures utiles en vue de favoriser la pérennité et la rentabilité des points de vente, voire leur multiplication, et d’assouplir les règles qui les régissent. Leur rôle, en effet, va au-delà du simple accès à l’information, comme l’ont rappelé M. le ministre et M. Renar : ce sont des lieux d’accès à la démocratie.
Nous avons noté avec satisfaction la signature, en mars dernier, d’une convention entre les diffuseurs, le CSMP et l’Association des maires de France. En tant qu’élus des territoires, nous savons tous ici que les maisons de la presse et autres points de vente, implantés dans toutes les villes, petites, moyennes ou grandes, jouent, au-delà de la diffusion de l’information, un rôle d’animation et constituent des points d’accès à la culture en général, car on y trouve aussi bien souvent des livres. Il faut donc trouver les moyens propres sinon à les développer, du moins à les préserver. Dans cette perspective, nous serons extrêmement attentifs à la proposition de loi déposée par notre collègue député Jean-Luc Warsmann.
Dans ce contexte, et eu égard aux enjeux liés à la préservation d’une information diversifiée et accessible, des propositions ont résulté des travaux des différentes instances, notamment des états généraux de la presse écrite, et des expérimentations menées par le CSMP. Elles contribuent à une certaine maturité du débat, permettant de prendre des mesures législatives relatives à l’organisation de la distribution de la presse.
Je me réjouis donc à mon tour que nous examinions aujourd’hui cette proposition de loi visant à modifier le titre II de la loi Bichet, relatif à la gouvernance du système de distribution de la presse.
Avant d’évoquer les dispositions au fond, je tiens à saluer moi aussi le travail effectué par l’auteur de ce texte, le président Jacques Legendre, ainsi que par le rapporteur, M. David Assouline.
Comme je l’ai souligné tout à l’heure, il fallait réformer la gouvernance de la distribution de la presse, assurée jusqu’à présent par le Conseil supérieur des messageries de presse. Alors que le rapport de l’Autorité de la concurrence prévoyait de faire de cette instance une véritable autorité indépendante –sous-entendu des professionnels de la distribution –, la proposition de loi vise à mettre en place une régulation bicéphale, avec, d’un côté, le CSMP, instance professionnelle dotée enfin d’un statut juridique clairement défini, et, de l’autre, une autorité indépendante chargée de contrôler et rendre exécutoires les décisions du CSMP.
Si les professionnels étaient partisans d’une telle organisation, je crois savoir que le fait de donner in fine à l’autorité de régulation le pouvoir de rendre exécutoires les décisions du CSMP a suscité un certain mécontentement parmi les représentants des distributeurs.
En effet, l’autonomie du CSMP se trouvera considérablement amoindrie dès lors que ses décisions ne seront pas applicables automatiquement.
Cependant, étant donné l’organisation très peu concurrentielle des niveaux 1 et 2 de la distribution – il s’agit des messageries de presse et des dépositaires – et l’opacité de certaines procédures de régulation, mise en exergue par le rapport Lasserre, nous comprenons qu’il était indispensable de confier à une autorité indépendante et impartiale le soin de veiller à la régulation du système.
Cette autorité viendra donc encadrer à bon escient le pouvoir normatif du CSMP, en donnant aux décisions de celui-ci force exécutoire, et interviendra en matière de résolution de conflits. Cela nous semble pertinent et justifié.
Ce nouveau modèle bicéphale de régulation devra donc trouver, en pratique, un équilibre de fonctionnement, afin de pouvoir mener à bien trois chantiers d’importance en matière de distribution de la presse.
Le premier chantier a trait à la marge de manœuvre commerciale qu’il est nécessaire de donner aux diffuseurs pour adapter les modalités de commercialisation à la demande.
Le deuxième touche à la revalorisation du métier de diffuseur de presse, non seulement d’un point de vue financier, mais aussi sur le plan de la formation, afin de remédier au manque de points de vente.
Le troisième, enfin, et non le moindre, consistera à fournir un effort particulier pour régler de manière gracieuse, préalablement à toute action contentieuse, les conflits opposant les distributeurs.
Je me félicite donc du travail mené pour moderniser le titre II de la loi Bichet. L’ensemble des sénateurs du groupe de l’Union centriste soutiennent cette réforme urgente et équilibrée de la régulation du système de distribution de la presse. J’espère qu’elle sera la première pierre d’un édifice de modernisation d’un secteur contraint à des efforts d’adaptation constants, notamment de ses supports, qui permettra à nos concitoyens d’accéder facilement à une presse pluraliste, diversifiée et de qualité. Il s’agit là d’un enjeu essentiel pour notre démocratie. (Applaudissements.)
M. le président. La parole est à M. David Assouline.
M. David Assouline. Bien entendu, je défends les mêmes convictions, que je m’exprime en tant que rapporteur ou en tant que membre du groupe socialiste. Sans reprendre l’argumentation que j’ai déjà développée, je me contenterai donc maintenant de formuler quelques observations, inspirées par les propos des différents orateurs.
Chacun l’a dit, il ne s’agit pas de fragiliser les fondements de la loi Bichet, bien au contraire ! Nous entendons défendre le système équitable et coopératif de distribution de la presse qu’elle a mis en place voilà plusieurs décennies. Notre objectif est simplement de faire évoluer la gouvernance du dispositif, afin de l’adapter aux transformations considérables, d’ailleurs loin d’être achevées, qu’a connues depuis l’économie de ce secteur.
C’est seulement de cette façon que nous pourrons préserver les principes posés par la loi Bichet. En effet, si nous laissons les choses en l’état, cette loi sera contournée et finira sans doute par devenir caduque, faute d’être en phase avec l’économie actuelle.
Nous pourrions d’ailleurs adopter une méthode semblable dans d’autres domaines. Ainsi, la meilleure façon de défendre l’Agence France-Presse sera probablement d’adapter sa gouvernance aux conditions nouvelles, tout en s’appuyant sur les principes fondamentaux qui ont présidé à sa création.
Par conséquent, remanier le titre II de la loi Bichet revient à défendre la philosophie qui sous-tend ce texte. Dans cet esprit, je me réjouis que personne ici ne souhaite, par la même occasion, en modifier le titre Ier.
On ne saurait valablement soutenir que l’instauration d’un dispositif de régulation bicéphale associant un CSMP rénové et une autorité de régulation indépendante saperait les fondements du système coopératif. Lors de l’examen des amendements présentés par le groupe CRC-SPG, je reviendrai de manière plus approfondie sur certains propos outranciers qui ont pu être tenus sur ce sujet. Pour l’heure, je me bornerai à réaffirmer que la création d’une autorité de régulation indépendante ne remettra nullement en cause les fondements de la loi Bichet.
J’ajoute que nous devons être cohérents : si nous rénovons et renforçons le rôle du CSMP, comme nous le souhaitons tous ici, en en faisant une instance professionnalisée, cela nous impose de l’adosser à une autorité de régulation indépendante pour écarter tout risque d’entente ou de conflits d’intérêts. C’est une question de droit, et non d’opinion. Le CSMP aura une marge de manœuvre plus grande qu’aujourd’hui, et sera en mesure d’agir efficacement. L’intervention d’une instance de régulation indépendante pour rendre exécutoires ses décisions de portée générale accroîtra sa légitimité et son autorité. Si nous ne créons pas une autorité de régulation indépendante, les minoritaires au sein du CSMP continueront de considérer que les décisions leur sont imposées et d’engager, en conséquence, des procédures contentieuses. Nous retomberons alors dans les mêmes travers que nous constatons aujourd’hui, à savoir la judiciarisation des litiges, les blocages et les lenteurs.
Mon groupe apporte son complet soutien à la rédaction de cette proposition de loi issue des travaux de la commission. Il s’agit simplement, je le redis, d’améliorer la gouvernance du système de distribution de la presse et de renforcer la légitimité des décisions de la CSMP, par la création d’une autorité indépendante de régulation qui ne sera saisie que des seules décisions de portée générale. Confier de telles compétences à cette autorité ne me semble nullement excessif.
En conclusion, le groupe socialiste se félicite de participer, au travers de cette œuvre de modernisation, à la défense et à la préservation, pour les décennies à venir, des principes posés par une loi issue de la Résistance.
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles du texte élaboré par la commission.
Article 1er
L’intitulé du titre II de la loi n° 47-585 du 2 avril 1947 relative au statut des entreprises de groupage et de distribution des journaux et publications périodiques est ainsi rédigé : « Conseil supérieur des messageries de presse et Autorité de régulation de la distribution de la presse »
M. le président. Je mets aux voix l'article 1er.
(L'article 1er est adopté.)
Article 2
L’article 17 de la même loi est ainsi rédigé :
« Art. 17. – Le Conseil supérieur des messageries de presse, personne morale de droit privé, assure le bon fonctionnement du système coopératif de distribution de la presse et de son réseau.
« L’Autorité de régulation de la distribution de la presse arbitre les différends mentionnés à l’article 18-10 et rend exécutoires les décisions de portée générale prises par le Conseil supérieur des messageries de presse.
« Le Conseil supérieur des messageries de presse et l’Autorité de régulation de la distribution de la presse veillent, dans leur champ de compétences, au respect de la concurrence et des principes de liberté et d’impartialité de la distribution. Ils sont garants du respect des principes de solidarité coopérative et des équilibres économiques du système collectif de distribution de la presse. »
M. le président. L'amendement n° 1, présenté par M. Renar, Mmes Labarre et Gonthier-Maurin, MM. Ralite, Voguet et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Ivan Renar.
M. Ivan Renar. Cet amendement n’a rien d’outrancier… Il ne vise pas à contester le principe d’une réforme du CSMP que, bien au contraire, nous jugeons utile et nécessaire, tant du point de vue de sa composition que de celui de ses compétences, qui doivent être renforcées.
Nous ne sommes pas davantage opposés à la mise en place d’une autorité indépendante de régulation de la distribution de la presse qui aurait vocation à régler les différends. Cependant, nous n’acceptons pas que le CSMP soit en quelque sorte placé sous la tutelle de l’ARDP, comme le prévoit cette proposition de loi. C’est bien des compétences respectives de chacune de ces deux instances qu’il s’agit ici.
Le CSMP est le garant du respect de l’esprit de la loi Bichet, fondée sur la liberté des éditeurs, assurée au travers d’un système coopératif reposant sur la péréquation. Il garantit que la presse ne soit pas considérée comme une marchandise ordinaire et que ses spécificités soient bien prises en compte, notamment la nécessité de préserver sa liberté et son pluralisme.
Le législateur de 1947 a confié aux éditeurs la maîtrise du réseau de distribution, partant du principe que la liberté de la presse devait être assurée par la liberté de sa distribution.
Institution professionnelle, le CSMP se verrait soumis, aux termes de la proposition de loi, à la tutelle et au contrôle d’une autorité administrative indépendante, l’ARDP, constituée de trois membres et chargée de rendre exécutoires toutes les décisions du CSMP.
Nous pensons que la mise en place d’une telle « distribution administrée » serait gravement préjudiciable à l’ensemble du secteur professionnel de la distribution. C’est une attaque qui ne dit pas son nom – j’ai le droit de le penser –contre les principes de la loi Bichet, qui seuls ont permis d’assurer la régulation de ce secteur selon des règles ne relevant pas de la sphère marchande.
Nous sommes donc opposés à la définition des compétences respectives des deux instances prévue à cet article.
Notre analyse n’est nullement outrancière. D’ailleurs, je crois que l’avenir nous donnera raison.
J’ajoute que la version initiale de la proposition de loi, qui réservait le pouvoir décisionnel au CSMP et les fonctions d’arbitrage des conflits et de mise en exécution des décisions à l’ARDP, nous semblait plus conforme aux intérêts de la profession, de la presse, et par conséquent de la société tout entière, que celle qui résulte des travaux de la commission.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. David Assouline, rapporteur. Ce qui est outrancier, c’est de prétendre que la mise en œuvre du dispositif de cette proposition de loi mettrait à bas le système coopératif et ruinerait les fondements de la loi Bichet. Je n’ai pas dit autre chose.
Comment pouvez-vous être favorable au principe de la mise en place d’une autorité de régulation indépendante et proposer la suppression de l’article qui la crée ?
Contrairement à ce que vous affirmez, il ne s’agit nullement d’instituer une tutelle de cette autorité de régulation indépendante sur le CSMP. À cet égard, je ne comprends pas non plus comment vous pouvez préférer la rédaction initiale de la proposition de loi au texte de la commission. Nous entendons instaurer une collaboration harmonieuse entre les deux organismes. L’ARDP n’aura aucun pouvoir de blocage ; son intervention renforcera la légitimité des décisions du CSMP.
Dès lors que seuls des professionnels siégeront désormais au sein du CSMP, cela nous impose d’aménager des garanties en vue de prévenir tout risque d’entente, de pratiques concertées ou de conflits d’intérêts. La création d’une autorité de régulation indépendante, appelée notamment à valider les décisions du CSMP, permet précisément d’assurer l’effectivité des principes de transparence, d’indépendance et d’impartialité dans la régulation sectorielle.
En tout état de cause, le CSMP demeurera le seul détenteur du pouvoir normatif, puisque c’est à lui qu’il reviendra d’élaborer les règles applicables à l’ensemble du secteur.
Nous avons voulu mettre en place un dispositif équilibré, en conservant d’une part toute sa réactivité et sa fonctionnalité, afin de permettre la mise en œuvre de réformes urgentes, et en prévoyant d’autre part des garanties de transparence, d’indépendance et d’impartialité propres à rassurer les niveaux 2 et 3 de la distribution de la presse, dont les représentant sont minoritaires au sein du CSMP.
Très sincèrement, monsieur Renar, le dispositif de la proposition de loi ne recèle pas les dangers que vous dénoncez. J’espère que la suite du débat permettra de rapprocher les points de vue. Quoi qu’il en soit, je pense que l’avenir nous donnera raison.
En conclusion, l’avis de la commission est défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Frédéric Mitterrand, ministre. Monsieur le sénateur Ivan Renar, le Gouvernement est défavorable à votre amendement.
En effet, la suppression de l’article créant l’Autorité de régulation de la distribution de la presse conduirait à rompre l’équilibre instauré par le nouveau dispositif, qui résulte d’une très large concertation entre tous les acteurs de la distribution de la presse.
La mise en place d’une procédure de régulation reposant sur deux instances complémentaires n’est pas de nature à porter atteinte à l’esprit de la loi Bichet, ni aux grands principes d’égalité et de solidarité qui la fondent.
En conséquence, je souhaite le retrait de cet amendement.
M. le président Monsieur Renar, l'amendement n° 1 est-il maintenu ?
M. Ivan Renar. Oui, monsieur le président, car cet amendement, dans son imperfection, vise à sonner l’alarme. Il faut y voir le soupir de la créature accablée (Sourires), mais aussi son cri de protestation…
Tout en reconnaissant le travail accompli par la commission, notamment par le rapporteur et par le président Legendre, j’estime que la navette me donnera raison.
M. le président. Je mets aux voix l'article 2.
(L'article 2 est adopté.)
Article 3
L’article 18 de la même loi est ainsi rédigé :
« Art. 18. – Le Conseil supérieur des messageries de presse comprend vingt membres, nommés par arrêté du ministre chargé de la communication :
« 1° Neuf représentants des éditeurs de journaux et publications périodiques sur proposition des organisations professionnelles les plus représentatives ;
« 2° Trois représentants des sociétés coopératives de messageries de presse sur proposition des assemblées générales des sociétés coopératives de messageries de presse ;
« 3° Deux représentants des entreprises commerciales et des messageries de presse concourant aux opérations matérielles de distribution de la presse sur proposition des assemblées générales de ces entreprises ou messageries ;
« 4° Deux représentants des dépositaires de journaux ou publications périodiques sur proposition des organisations professionnelles les plus représentatives ou, à défaut, d’une assemblée générale des dépositaires ;
« 5° Deux représentants des diffuseurs de presse sur proposition des organisations professionnelles les plus représentatives ou, à défaut, d’une assemblée générale des diffuseurs ;
« 6° Deux représentants du personnel occupé dans les entreprises de messageries de presse sur proposition des organisations syndicales les plus représentatives.
« Les membres du Conseil supérieur des messageries de presse sont nommés pour quatre ans et leur mandat est renouvelable.
« Le président du Conseil supérieur des messageries de presse est élu par l’ensemble de ses membres, parmi les membres ayant la qualité d’éditeur de presse. Son mandat est de quatre ans et il est renouvelable. En cas d’empêchement du président, le doyen d’âge des représentants des éditeurs préside le conseil.
« À l’expiration de leur mandat, les membres restent en fonction jusqu’à la première réunion du conseil dans sa nouvelle composition.
« Il est mis fin de plein droit au mandat de tout membre du conseil qui perd la qualité en raison de laquelle il a été nommé.
« En cas de vacance d’un siège d’un membre du conseil pour quelque cause que ce soit, il est procédé à son remplacement pour la durée du mandat restant à courir.
« Pour l’exercice de ses attributions, le Conseil supérieur des messageries de presse peut constituer des commissions spécialisées en s’appuyant, le cas échéant, sur le concours d’experts.
« Les attributions, la composition et les modalités de fonctionnement de ces commissions spécialisées sont fixées par le règlement intérieur du Conseil supérieur des messageries de presse. » – (Adopté.)
Article 4
Le titre II de la même loi est complété par seize articles 18-1 à 18-13 ter ainsi rédigés :
« Art. 18-1. – L’Autorité de régulation de la distribution de la presse exerce les missions définies aux articles 18-10, 18-11, 18-12, 18-13, 18-13 bis et 18-13 ter. Elle comprend trois membres, nommés par arrêté du ministre chargé de la communication :
« 1° Un conseiller d’État désigné par le vice-président du Conseil d’État ;
« 2° Un magistrat de la Cour de cassation désigné par le premier président de la Cour de cassation ;
« 3° Une personnalité indépendante désignée par le président de l’Autorité de la concurrence à raison de sa compétence en matière de droit de la concurrence.
« Le président de l’Autorité de régulation de la distribution de la presse est élu en son sein.
« Le mandat des membres de l’Autorité de régulation de la distribution de la presse est de quatre ans. Il n’est ni révocable ni renouvelable.
« À l’expiration de leur mandat, les membres de l’autorité restent en fonction jusqu’à la première réunion de celle-ci dans sa nouvelle composition.
« Il est mis fin de plein droit au mandat de tout membre de l’autorité qui perd la qualité en raison de laquelle il a été nommé.
« En cas de vacance d’un siège de membre de l’autorité pour quelque cause que ce soit, il est procédé à son remplacement pour la durée du mandat restant à courir. Un mandat exercé pendant une durée inférieure à deux ans n’est pas pris en compte pour l’application de la règle de non renouvellement du mandat.
« Les fonctions de membre de l’Autorité de régulation de la distribution de la presse sont incompatibles avec celles de membre du Conseil supérieur des messageries de presse et avec l’exercice de fonctions ou la détention d’un mandat ou d’intérêts dans une entreprise du secteur de la presse. Le non respect de cette règle entraîne la cessation d’office des fonctions de membre de l’autorité, par décision des deux autres membres de l’autorité.
« Art. 18-2. – Le Conseil supérieur des messageries de presse ne peut délibérer que si au moins la moitié de ses membres sont présents ou représentés par un autre membre dans les conditions fixées par son règlement intérieur.
« L’Autorité de régulation de la distribution de la presse ne peut délibérer que si au moins deux de ses membres sont présents.
« Le conseil et l’autorité délibèrent à la majorité des membres présents. Leurs présidents ont voix prépondérante en cas de partage égal des voix.
« Art. 18-3. – Les membres et les personnels du Conseil supérieur des messageries de presse et de l’Autorité de régulation de la distribution de la presse ainsi que les experts consultés par ces organismes sont tenus au secret professionnel pour les faits, actes et renseignements dont ils ont pu avoir connaissance dans le cadre de leurs fonctions, dans les conditions et sous les peines prévues aux articles 226-13 et 226-14 du code pénal. Les membres et les personnels du Conseil supérieur des messageries de presse et de l’Autorité de régulation de la distribution de la presse restent tenus à cette obligation de confidentialité pendant une durée d’un an après la fin de leur mandat.
« Les membres du Conseil supérieur des messageries de presse et de l’Autorité de régulation de la distribution de la presse ne prennent, à titre personnel, aucune position publique sur les délibérations de ces organismes.
« Art. 18-4. – Un commissaire du Gouvernement est désigné par le ministre chargé de la communication pour siéger auprès du Conseil supérieur des messageries de presse avec voix consultative.
« Il peut faire inscrire à l’ordre du jour d’une séance du conseil toute question intéressant la distribution de la presse. L’examen de cette question est de droit.
« Dans le cas où il estime qu’une décision du Conseil supérieur des messageries de presse est susceptible de porter atteinte aux objectifs de la présente loi, il peut demander une nouvelle délibération.
« Art. 18-5. – Les frais afférents au fonctionnement du Conseil supérieur des messageries de presse et de l’Autorité de régulation de la distribution de la presse ainsi que les sommes que ces organismes pourraient être condamnés à verser sont à la charge des sociétés coopératives de messageries de presse régies par la présente loi.
« Le conseil et l’autorité établissent, chacun pour ce qui le concerne, un règlement intérieur.
« Le président du Conseil supérieur des messageries de presse et le président de l’Autorité de régulation de la distribution de la presse ont qualité pour agir en justice.
« Art. 18-6. – Pour l’exécution de ses missions, le Conseil supérieur des messageries de presse :
« 1° Détermine les conditions et les moyens propres à garantir une distribution optimale de la presse d’information politique et générale, dans le respect des articles 1er et 2 ;
« 2° Fixe pour les autres catégories de presse, selon des critères objectifs et non discriminatoires définis dans un cahier des charges, les conditions d’assortiment des titres et de plafonnement des quantités servis aux points de vente ;
« 3° Définit les conditions d’une distribution non exclusive par une messagerie de presse, dans le respect des principes de solidarité coopérative et des équilibres économiques des sociétés coopératives de messageries de presse, et les conditions d’une distribution directe par le réseau des dépositaires centraux de presse sans adhésion à une société coopérative de messageries de presse ;
« 4° Fixe le schéma directeur, les règles d’organisation et les missions du réseau des dépositaires centraux de presse et des diffuseurs de presse répondant à l’efficience économique et à l’efficacité commerciale ;
« 5° Établit un cahier des charges du système d’information au service de l’ensemble des messageries de presse et de leurs mandataires, garantissant à tout éditeur, quelle que soit sa messagerie, l’accès aux informations relatives à l’historique des ventes et des fournitures pour chacun de ses titres, au niveau de chaque point de vente. Ce cahier des charges inclut le schéma d’organisation des flux financiers dans l’ensemble de la chaîne de distribution et les conditions de leur sécurisation ;
« 6° Décide, selon des critères objectifs et non discriminatoires définis dans un cahier des charges, de l’implantation des points de vente de presse, des nominations et des mutations de dépositaires centraux de presse avec ou sans modification de la zone de chalandise. À ce titre, il pourra s’appuyer sur les travaux et les propositions d’une commission spécialisée composée d’éditeurs ;
« 7° Délivre un certificat d’inscription aux agents de la vente de presse et assure la gestion du fichier recensant les agents de la vente de presse déclarés ;
« 8° Homologue les contrats-types des agents de la vente de presse au regard des dispositions de la présente loi et des règles qu’il a lui-même édictées ;
« 9° Fixe les conditions de rémunération des agents de la vente de presse, après consultation de leurs organisations professionnelles ;
« 10° Exerce le contrôle comptable des sociétés coopératives de messageries de presse, conformément aux dispositions de l’article 16. Il s’assure, en particulier, que les sociétés coopératives de messageries de presse bénéficiant d’aides publiques au titre de la distribution de la presse quotidienne d’information politique et générale opèrent une distinction claire, le cas échéant dans le cadre d’une comptabilité par branche, entre la distribution des quotidiens et celle des magazines. Tous les documents utiles à cette fin lui sont adressés sans délai après leur approbation par leur assemblée générale. Il peut également demander communication, en tant que de besoin, des comptes prévisionnels des sociétés coopératives de messageries de presse ;
« 11° Dispose d’un droit d’opposition sur les décisions des sociétés coopératives de messageries de presse susceptibles d’altérer leur caractère coopératif ou de compromettre leur équilibre financier, ainsi que sur celles des entreprises commerciales mentionnées à l’article 4 dans lesquelles les coopératives de messageries de presse auraient une participation majoritaire, qui auraient pour conséquence d’altérer le caractère coopératif de ces dernières ou de compromettre leur équilibre financier. Ce droit d’opposition est exercé auprès des sociétés coopératives de messageries de presse ou des entreprises commerciales mentionnées à l’article 4, à l’initiative du Conseil supérieur des messageries de presse, par le commissaire du Gouvernement mentionné à l’article 18-4 ;
« 12° (Supprimé)
« 13° Définit, après consultation des acteurs de la distribution de la presse et notamment des organisations professionnelles représentatives des agents de la vente de presse, les bonnes pratiques professionnelles de la distribution de la presse vendue au numéro.
« Pour l’application des 7°, 8°, 9° et 13°, sont considérés comme agents de la vente de presse les concessionnaires globaux, les dépositaires centraux, les diffuseurs de presse et les vendeurs-colporteurs de presse.
« Art. 18-6 bis (nouveau). – Lorsque, dans le cadre des dispositions de la présente loi, le Conseil supérieur des messageries de presse envisage d’adopter des mesures ayant une incidence importante sur le marché de la distribution de la presse, il rend publiques les mesures envisagées dans un délai raisonnable avant leur adoption et recueille, dans le cadre d’une consultation publique d’une durée maximale d’un mois, les observations qui sont faites à leur sujet.
« Les résultats d’une consultation sont rendus publics par le Conseil supérieur des messageries de presse, à l’exclusion des informations couvertes par le secret des affaires.
« Art. 18-7. – Les présidents du Conseil supérieur des messageries de presse et de l’Autorité de régulation de la distribution de la presse saisissent l’Autorité de la concurrence de faits dont ils ont connaissance et susceptibles de contrevenir aux dispositions des articles L. 420-1, L. 420-2 et L. 420-5 du code de commerce. Ils peuvent également la saisir pour avis de toute autre question relevant de sa compétence.
« L’Autorité de la concurrence communique à l’Autorité de régulation de la distribution de la presse toute saisine entrant dans le champ des compétences de celle-ci. Elle peut également saisir le Conseil supérieur des messageries de presse et l’Autorité de régulation de la distribution de la presse, pour avis, de toute question relative au secteur de la distribution de la presse.
« Art. 18-8. – Le président du Conseil supérieur des messageries de presse et le président de l’Autorité de régulation de la distribution de la presse saisissent le procureur de la République de toute infraction aux dispositions de la présente loi dont ils ont connaissance.
« Art. 18-9. – Le Conseil supérieur des messageries de presse établit chaque année un rapport public qui rend compte de son activité et de l’application de la présente loi en proposant, le cas échéant, des modifications de nature législative ou réglementaire.
« Ce rapport est adressé au Gouvernement et au Parlement avant la fin du premier semestre de chaque année.
« Le Conseil supérieur des messageries de presse peut être saisi par le Gouvernement et par le Parlement de demandes d’avis ou d’études pour les activités relevant de sa compétence.
« Art. 18-10. – Tout différend relatif au fonctionnement des sociétés coopératives et commerciales de messageries de presse, à l’organisation et au fonctionnement du réseau de distribution de la presse et à l’exécution des contrats des agents de la vente de presse est soumis par l’une des parties, avant tout recours contentieux, à une procédure de conciliation, transparente, impartiale et contradictoire, devant le Conseil supérieur des messageries de presse, selon des modalités prévues par son règlement intérieur.
« En cas de conciliation, même partielle, les parties peuvent demander la reconnaissance de l’accord par l’Autorité de régulation de la distribution de la presse.
« Art. 18-11. – I. – Si la procédure de conciliation n’a pas abouti à un règlement amiable dans un délai de deux mois, le différend peut être soumis par l’une ou l’autre des parties à l’Autorité de régulation de la distribution de la presse ou à la juridiction compétente. À défaut de saisine par les parties de l’Autorité de régulation de la distribution de la presse ou d’une juridiction compétente à l’issue d’un délai d’un mois à compter de l’échec de la procédure de conciliation, le président du Conseil supérieur des messageries de presse peut saisir l’Autorité de régulation de la distribution de la presse.
« L’autorité se prononce, au regard des règles et des principes de la présente loi, dans un délai de deux mois, qu’elle peut porter à quatre mois si elle l’estime utile, après avoir diligenté, si nécessaire, une enquête et mis les parties à même de présenter leurs observations. Elle prend en considération les décisions du Conseil supérieur des messageries de presse qu’elle a rendues exécutoires. Dans le respect des secrets protégés par la loi, elle peut entendre toute personne dont l’audition lui paraît utile au règlement du différend.
« La décision de l’autorité est motivée et précise les conditions de règlement du différend. Elle est notifiée aux parties et rendue publique sous réserve des secrets protégés par la loi.
« En cas de méconnaissance de la décision par l’une des parties, le président de l’Autorité de régulation de la distribution de la presse peut saisir le juge afin qu’il soit ordonné à la personne qui en est responsable de se conformer à cette décision. La demande est portée, en fonction de l’objet du différend, soit devant le président du tribunal de grande instance de Paris, soit devant le président du tribunal de commerce de Paris. Il statue en référé et sa décision est immédiatement exécutoire.
« II. – Lorsque les faits à l’origine du différend sont susceptibles de constituer des pratiques anticoncurrentielles au sens du titre II du livre IV du code de commerce, le délai prévu au deuxième alinéa du I du présent article est suspendu jusqu’à ce que l’Autorité de la concurrence, saisie par l’Autorité de régulation de la distribution de la presse, se soit prononcée sur sa compétence. Lorsque l’Autorité de la concurrence s’estime compétente, l’Autorité de régulation de la distribution de la presse est dessaisie.
« Les décisions prises par l’Autorité de régulation de la distribution de la presse peuvent faire l’objet d’un recours en annulation ou en réformation devant la cour d’appel de Paris, dans un délai d’un mois à compter de leur notification.
« Le recours n’est pas suspensif. Toutefois, le juge peut ordonner le sursis à exécution de la décision si celle-ci est susceptible d’entraîner des conséquences manifestement excessives ou s’il est survenu, postérieurement à sa notification, des faits nouveaux d’une exceptionnelle gravité.
« Le pourvoi en cassation formé, le cas échéant, contre l’arrêt de la cour d’appel est exercé dans un délai d’un mois suivant la notification de cet arrêt.
« Un décret en Conseil d’État détermine les conditions d’application du présent article.
« Art. 18-12. – Les décisions de portée générale prises par le Conseil supérieur des messageries de presse dans le cadre de sa mission générale visant à assurer le bon fonctionnement du système coopératif de distribution de la presse et de son réseau ou en application des 1° à 5°, 8°, 9° et 13° de l’article 18-6 sont transmises avec un rapport de présentation au président de l’Autorité de régulation de la distribution de la presse.
« Ces décisions deviennent exécutoires à défaut d’opposition formulée par l’autorité dans un délai de six semaines suivant leur réception. Le refus opposé par l’autorité doit être motivé.
« En cas de refus opposé par l’autorité, le président du Conseil supérieur des messageries de presse dispose d’un délai de quinze jours pour présenter ses observations. Dans les quinze jours suivant leur réception, l’autorité peut rendre exécutoires les décisions ou demander au Conseil supérieur des messageries de presse une nouvelle délibération, en lui adressant, le cas échéant, des recommandations.
« Sur proposition du président du Conseil supérieur des messageries de presse, l’Autorité de régulation de la distribution de la presse peut ne rendre exécutoires que certaines dispositions de la décision qui lui est soumise.
« Les décisions de portée générale rendues exécutoires par l’Autorité de régulation de la distribution de la presse peuvent faire l’objet d’un recours devant la cour d’appel de Paris.
« Les décisions à caractère individuel prises par le Conseil supérieur des messageries de presse peuvent faire l’objet d’un recours, en fonction de leur objet, soit devant le tribunal de grande instance, soit devant le tribunal de commerce territorialement compétents.
« Un décret en Conseil d’État fixe les conditions d’application du présent article.
« Art. 18-13. – En cas de manquement constaté aux obligations résultant des décisions visées à l’article 18-12, le président de l’Autorité de régulation de la distribution de la presse ou le président du Conseil supérieur des messageries de presse peut saisir le juge afin qu’il soit ordonné à la personne qui en est responsable de se conformer à ses obligations, de mettre fin aux manquements et d’en supprimer les effets.
« La demande est portée devant le premier président de la cour d’appel de Paris qui statue en référé et dont la décision est immédiatement exécutoire. Il peut prendre, même d’office, toute mesure conservatoire et prononcer une astreinte pour s’assurer de l’exécution de son ordonnance.
« Art. 18-13 bis (nouveau). – L’Autorité de régulation de distribution de la presse formule, avant la fin du premier semestre de chaque année, un avis sur l’exécution par le Conseil supérieur des messageries de presse des missions qui lui sont confiées par l’article 16 et les 10° et 11° de l’article 18-6. Elle peut demander au Conseil supérieur des messageries de presse, aux sociétés coopératives de messageries de presse et aux entreprises commerciales mentionnées à l’article 4 que lui soient adressés sans délai tous les documents utiles à cette fin. Elle peut entendre toute personne dont l’audition lui paraît susceptible de contribuer utilement à son information.
« Art. 18-13 ter (nouveau). – Après consultation du Conseil supérieur des messageries de presse, l’Autorité de régulation de la distribution de la presse formule, avant la fin du premier semestre de chaque année, un avis sur l’évolution des conditions tarifaires des sociétés coopératives de messageries de presse. À cette fin, elle peut entendre toute personne dont l’audition lui paraît susceptible de contribuer utilement à son information. »
M. le président. L'amendement n° 2, présenté par M. Renar, Mmes Labarre et Gonthier-Maurin, MM. Ralite, Voguet et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Ivan Renar.
M. Ivan Renar. Il s’agit là encore de faire échec à la mise sous tutelle du CSMP par l’ARDP, telle qu’elle est prévue à l’article 4.
Nous ne souscrivons pas à l’instauration d’une « régulation bicéphale », mesure qui contribuera à déséquilibrer le secteur en mettant à mal le système coopératif au travers de l’institution qui en est la garante, et même l’émanation.
L’ARDP se verrait confier des missions qui relevaient à l’origine du CSMP, sur des sujets aussi techniques et importants que l’évolution des tarifs des messageries de presse.
Les barèmes de distribution à des coûts accessibles à tous permettent pourtant d’assurer le fonctionnement du système coopératif issu de la loi Bichet. Ils rendent possible, par la mutualisation des moyens, la péréquation des charges.
Il convient de rééquilibrer les compétences entre le CSMP et l’ARDP.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. David Assouline, rapporteur. Pour les mêmes raisons que précédemment, je demande le retrait de l’amendement, faute de quoi l’avis de la commission sera défavorable.
Il est nécessaire de maintenir cet article, précisément pour défendre le système coopératif de distribution de la presse. Notre objectif est bien de maintenir l’équité et le pluralisme.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Frédéric Mitterrand, ministre. Même motif, même peine : le Gouvernement est défavorable à cet amendement.
M. le président. Monsieur Renar, l'amendement n° 2 est-il maintenu ?
M. Ivan Renar. Oui, monsieur le président.
M. le président. L'amendement n° 6, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Rédiger ainsi cet alinéa :
« 3° Un magistrat de la Cour des comptes désigné par le premier président de la Cour des comptes.
La parole est à M. le ministre.
M. Frédéric Mitterrand, ministre. Dans sa rédaction initiale, la proposition de loi prévoyait que l’Autorité de régulation de la distribution de la presse soit composée d’un conseiller d’État, d’un magistrat à la Cour de cassation et d’un magistrat à la Cour des comptes. Par le biais de l’adoption en commission d’un amendement du rapporteur, ce dernier membre a été remplacé par « une personnalité indépendante désignée par le président de l’Autorité de la concurrence à raison de sa compétence en matière de droit de la concurrence ».
Je comprends que les enjeux concurrentiels que devra prendre en compte l’Autorité de régulation de la distribution de la presse aient pu conduire la commission à modifier sa composition, pour y intégrer un spécialiste des questions de concurrence.
Il m’apparaît cependant qu’une telle substitution aurait pour conséquence d’introduire de l’hétérogénéité dans la composition de l’autorité, au sein de laquelle siégeront par ailleurs des magistrats des hautes juridictions.
De plus, il peut paraître délicat qu’un membre d’une autorité indépendante soit désigné par le président d’une autre autorité indépendante.
Enfin, il semble tout à fait pertinent de prévoir qu’un magistrat de la Cour des comptes siège au sein de l’ARDP, qui aura notamment à connaître de questions financières.
Pour tous ces motifs, il me paraît préférable de revenir à la composition initialement prévue pour l’Autorité de régulation de la distribution de la presse.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. David Assouline, rapporteur. Lors de son audition par la commission, M. Lasserre avait souhaité qu’un membre de l’ARDP soit nommé par le président de l’Autorité de la concurrence, considérant qu’un magistrat de la Cour des comptes n’aurait pas forcément la même expertise. Dans la mesure où une telle requête, exclusivement motivée par un souci d’efficacité, ne déséquilibrait pas le dispositif, nous y avions fait droit.
Cela étant, je pense que la composition à laquelle vous proposez de revenir, monsieur le ministre, est plus cohérente. Une telle homogénéité accroîtra le crédit de l’ARDP, et l’on peut certainement trouver, à la Cour des comptes, un magistrat disposant d’une fine connaissance de ce secteur.
Par conséquent, j’émets un avis favorable sur cet amendement.
M. le président. La parole est à M. Serge Lagauche, pour explication de vote.
M. Serge Lagauche. Compte tenu de l'harmonie qui règne en ce début de soirée, et puisque cette question ne semble pas essentielle, nous avons conseillé à M. le rapporteur d'émettre un avis favorable sur l’amendement du Gouvernement.
M. le président. L'amendement n° 3, présenté par M. Renar, Mmes Labarre et Gonthier-Maurin, MM. Ralite, Voguet et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du parti de gauche, est ainsi libellé :
Alinéa 26
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Ivan Renar.
M. Ivan Renar. Nous demandons la suppression de l’alinéa 26 de l’article 3, car il remet en cause le contrat d’exclusivité et, partant, le système coopératif.
Le CSMP, dont les décisions devront impérativement être validées par l’ARDP, aura désormais pour mission de définir les conditions de distribution non exclusive par une messagerie de presse, ainsi que les conditions d’une distribution directe par le réseau des dépositaires de presse sans adhésion à une coopérative.
Comme je l’ai expliqué lors de la discussion générale, l’éditeur d’une publication pourrait ainsi confier aux messageries la distribution dans des zones où elle est coûteuse, par exemple dans des secteurs ruraux et peu accessibles, cependant qu’il assurerait par ses propres moyens ou en faisant appel à une société non coopérative la distribution dans les grandes villes, où elle est nettement moins onéreuse.
Or l’équilibre financier des coopératives repose sur une péréquation entre activités de distribution rentables et moins rentables. Quand on connaît la gravité de la situation financière des messageries de presse, y compris Presstalis, on ne peut, dès lors, que douter de leur survie dans de telles conditions, et donc de celle du système coopératif.
Encore une fois, il s’agit d’une atteinte à la loi Bichet, d’une mise en concurrence pure et simple, d’une destruction de l’esprit de coopération, lequel permet pourtant la mutualisation des moyens et l’égalité de traitement entre tous les éditeurs.
Il importe donc de supprimer cet alinéa.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. David Assouline, rapporteur. Là encore, mon cher collègue, on ne saurait prétendre que notre objectif est de mettre à bas les principes de la loi Bichet, laquelle permet déjà, d’ailleurs, des dérogations.
J’ajoute que la rédaction initiale de la proposition de loi, dont vous êtes un partisan, faisait pourtant référence à « une distribution non exclusive par une messagerie de presse » et à « une distribution directe par le réseau des dépositaires centraux de presse sans adhésion à une société coopérative de messagerie de presse ».
C’est à la suite de certaines auditions auxquelles nous avons procédé que nous avons voulu bien encadrer les choses, en précisant que toute dérogation à l'exclusivité du groupage au bénéfice d'une messagerie de presse ne pourra être aménagée que « dans le respect des principes de solidarité coopérative et des équilibres économiques des sociétés coopératives de messageries de presse ». Il s’agissait ainsi de protéger le système coopératif, ce qui va tout à fait dans le sens que vous souhaitez.
Par conséquent, je ne comprends pas votre proposition de supprimer l’alinéa 26, car elle va à l’encontre de cet objectif d’encadrer autant que faire se peut les dérogations, lesquelles, je le répète, existent déjà dans le dispositif actuel de la loi Bichet.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Frédéric Mitterrand, ministre. Je me rallie à la position de M. le rapporteur.
La définition des conditions d'une distribution non exclusive par une messagerie de presse et d'une distribution directe par le réseau des dépositaires sans faire appel à une société coopérative sera l’une des compétences du CSMP.
Ainsi, loin de remettre en cause les contrats d'exclusivité dans la distribution, ainsi que le redoutent les auteurs de cet amendement, cette compétence s'exercera « dans le respect des principes de solidarité coopérative et des équilibres économiques des sociétés coopératives de messageries de presse ».
Il est en effet indispensable d'accompagner les évolutions du système de distribution de la presse vers plus d'efficacité et de permettre la mise en place de nouvelles organisations de la distribution qui soient compatibles avec les contrats d'exclusivité et qui demeurent conformes aux principes fondateurs de la distribution de la presse.
Je souhaite donc le retrait de cet amendement ; à défaut, le Gouvernement émettra un avis défavorable.
M. le président. Monsieur Renar, l'amendement n° 3 est-il maintenu ?
M. Ivan Renar. Effectivement, monsieur le rapporteur, nous ne nous comprenons pas… Nous échangeons des pétitions de principe, mais vous ne répondez pas à mes questions et vous n'apaisez pas mes inquiétudes. Cela étant, la discussion ne s’achèvera pas ce soir.
Il s’agit d’un débat difficile, car les questions techniques masquent parfois des enjeux politiques de fond, qui mériteraient un meilleur éclairage.
Mais comme le dirait M. le président de la commission, qui fut maire de la cité de Fénelon, « tout est dans tout, et le reste dans Télémaque » ! (Sourires.)
M. le président. L'amendement n° 9, présenté par M. Assouline, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 29
1° Remplacer le mot : « Décide » par les mots : « Délègue, dans des conditions fixées par son règlement intérieur, à une commission spécialisée composée d’éditeurs le soin de décider » ;
2° Supprimer la seconde phrase.
La parole est à M. le rapporteur.
M. David Assouline, rapporteur. Il convient de clarifier, dans la loi, les responsabilités de l’actuelle commission du réseau du CSMP, dont les décisions, qui doivent être suffisamment en phase avec l’évolution du réseau, n’obéissent pas au même rythme que l’assemblée générale du Conseil.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L'amendement n° 10, présenté par M. Assouline, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 33, deuxième phrase
Rédiger ainsi cette phrase :
Il s’assure en particulier que les sociétés coopératives de messageries de presse et les entreprises commerciales mentionnées à l’article 4 qui distribuent des quotidiens d’information politique et générale opèrent une distinction claire, le cas échéant dans le cadre d’une comptabilité par branche, entre la distribution de ces quotidiens et celle des autres publications.
La parole est à M. le rapporteur.
M. David Assouline, rapporteur. La formulation proposée permet de viser l’entreprise Presstalis, entreprise commerciale au sens de l’article 4 de la loi Bichet, de tenir compte du fait que les aides publiques à la distribution des quotidiens sont versées aux entreprises éditrices, et non aux messageries, et de remplacer le terme « magazine », notion non définie juridiquement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L'amendement n° 5, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 34, seconde phrase
Rédiger ainsi cette phrase :
Ce droit d'opposition ne s'exerce pas si le commissaire du Gouvernement mentionné à l'article 18–4 émet un avis défavorable.
La parole est à M. le ministre.
M. Frédéric Mitterrand, ministre. Le droit d'opposition prévu par l'article 21 de la loi du 2 avril 1947 est exercé par le représentant de l'État ayant qualité de commissaire, après avis du CSMP. Ce commissaire veille ainsi au respect des principes consacrés par la loi.
Aux termes de la présente proposition de loi, cette compétence relèvera désormais du CSMP, instance professionnelle qui veille, comme le rappelle l'article 17, au « respect des principes de solidarité coopérative et des équilibres économiques du système collectif de distribution de la presse ».
Je trouve cette nouvelle orientation tout à fait pertinente ; elle va dans le sens de la responsabilisation de la profession.
Il est apparu nécessaire à la commission de confier au commissaire du Gouvernement le soin d'exercer effectivement le droit d'opposition du CSMP. Je comprends cette démarche. Toutefois, dans la rédaction proposée par la commission, le commissaire du Gouvernement apparaît comme l'instrument juridique du CSMP, au nom duquel il serait donc dans l'obligation d'exercer son droit d'opposition lorsque ce dernier le lui demanderait.
Retenir cette solution placerait le commissaire du Gouvernement dans une position délicate, ne lui permettant pas de jouer, dans des cas qui resteront très exceptionnels, son rôle d'ultime garant du respect des principes fondamentaux de la loi.
Aussi me paraît-il préférable de placer le commissaire du Gouvernement en situation de pouvoir émettre un avis défavorable, lorsqu'il l'estime fondé, sur l'exercice du droit d'opposition du CSMP.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. David Assouline, rapporteur. Cette rédaction est bienvenue, car elle apporte une garantie supplémentaire en s'appuyant sur la vigilance du commissaire du Gouvernement s’agissant de la bonne mise en œuvre, par le CSMP, de sa mission de contrôle comptable et de préservation des équilibres coopératifs et financiers des sociétés de messageries de presse.
L’exercice de cette mission de contrôle comptable a fait l'objet d'un débat en commission. Nous avons voulu que ce soit le CSMP, et non l'autorité de régulation, qui l’exerce, afin d’éviter toute forme de tutelle de celle-ci sur celui-là. Cela étant, il convient que le commissaire du Gouvernement puisse jouer pleinement son rôle et ne soit pas réduit à être l'instrument juridique du CSMP en la matière.
La commission émet donc un avis favorable.
M. le président. L'amendement n° 4 rectifié, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéas 38 et 39
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. le ministre.
M. Frédéric Mitterrand, ministre. On comprend parfaitement la démarche qui a conduit le rapporteur à introduire, par voie d’amendement en commission, cet article 18-6 bis, qui prévoit que le CSMP organise une consultation publique avant de prendre toute mesure « ayant une incidence importante sur le marché de la distribution de la presse ». Je partage sa préoccupation de permettre à l’ensemble des acteurs concernés de s’exprimer avant toute décision du CSMP susceptible d’avoir un impact important sur la filière.
Toutefois, il convient de rappeler que le CSMP est composé de professionnels qui ne peuvent se réunir trop fréquemment. Or l’organisation d’une consultation publique imposée par la loi, et donc soumise à un certain formalisme, supposerait, pour chacune des décisions concernées, que le CSMP se réunisse deux fois, avant et après la consultation publique. Cela ne pourrait que ralentir les travaux du CSMP, qui doit pourtant conserver une certaine réactivité.
De plus, nous devons avoir à l'esprit que la notion d’« incidence importante » risque de susciter des difficultés d’interprétation et d’entraîner du contentieux.
Donner un caractère obligatoire à cette consultation publique m’apparaît donc devoir être source de difficultés. Le CSMP consulte très fréquemment la profession, y compris les organisations professionnelles qui n'y siègent pas. Il me semble donc préférable de faire confiance au CSMP pour organiser les concertations appropriées, sans l’y contraindre par la loi.
C'est pourquoi je vous propose, mesdames, messieurs les sénateurs, de supprimer cette consultation obligatoire.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. David Assouline, rapporteur. Cette fois-ci, monsieur le ministre, je ne vous suivrai pas.
Dans la mesure où cela ne perturbait pas l’équilibre délicat obtenu, la commission a souhaité prendre en compte les observations de chacun des acteurs du secteur de la distribution de la presse.
Dans cet esprit, nous avons été amenés à écarter de nombreuses demandes dont la satisfaction aurait à nos yeux déséquilibré le dispositif. La suppression des alinéas en question en fait partie. La rédaction que nous avons adoptée, qui ne vise que les mesures « ayant une incidence importante sur le marché de la distribution de la presse », nous semble suffisamment restrictive pour éviter que le fonctionnement du CSMP ne soit entravé, d’autant que la durée de la consultation publique ne pourra excéder un mois.
La procédure prévue permettra en revanche de renforcer la transparence et d’améliorer la concertation. Nous jugeons donc souhaitable de maintenir en l’état le texte de la commission. Nous nous sommes inspirés de la procédure de consultation publique mise en œuvre par l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes, qui a fait la preuve de son efficacité.
Concrètement, l’assemblée générale du CSMP déterminera les cas dans lesquels le recours à une consultation publique est justifié au regard de la loi. Dans l’hypothèse où il n’aurait pas été procédé à une telle consultation alors que l’importance de la mesure prise l’exigeait, il reviendra à l’Autorité de régulation de la distribution de la presse, au cours de son examen des décisions du CSMP, de demander à ce dernier une nouvelle délibération, assortie de la mise en œuvre d’une consultation publique. Le cas sera probablement très rare. En tout état de cause, grâce au mécanisme que nous avons mis en place, il n’y a pas de risque de contentieux.
Monsieur le ministre, je vous prie instamment de vous rendre aux arguments de la commission et de retirer votre amendement. Nous nous sommes montrés ouverts à vos suggestions, mais, en l’occurrence, les motifs que vous invoquez ne sont pas suffisants pour que nous fassions machine arrière.
M. le président. La parole est à M. Jacques Legendre.
M. Jacques Legendre, auteur de la proposition de loi. Monsieur le ministre, je joins ma voix à celle du rapporteur pour vous demander de bien vouloir retirer votre amendement.
Le CSMP, auquel nous attachons une grande importance, a un rôle essentiel à jouer dans le processus de production normative, qui ne saurait être entaché d’un quelconque manque de clarté. La plus grande transparence s’impose, c’est pourquoi nous souhaitons le maintien de ces alinéas.
M. le président. Monsieur le ministre, l'amendement n° 4 rectifié est-il maintenu ?
M. Frédéric Mitterrand, ministre. Dans un souci d’apaisement et de maintien du consensus qui préside, pour l’essentiel, à notre discussion, je retire cet amendement.
M. le président. L'amendement n° 4 rectifié est retiré.
L'amendement n° 8, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 41, première phrase
Après le mot :
presse
insérer les mots :
pour avis
La parole est à M. le ministre.
M. Frédéric Mitterrand, ministre. Cet amendement d’ordre formel vise à clarifier les relations entre l’Autorité de la concurrence et l’Autorité de régulation de la distribution de la presse.
En effet, il paraît important de préciser dans la loi que lorsque l’Autorité de la concurrence communiquera à l’Autorité de régulation de la distribution de la presse les saisines intervenant dans le secteur de la distribution de la presse, cette communication devra donner lieu à un avis de l’ARDP. Il ne s’agit d’une simple communication pour information.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. David Assouline, rapporteur. Cet amendement de précision permet d’indiquer expressément que lorsque l’Autorité de la concurrence communiquera des saisines à l’Autorité de régulation de la distribution de la presse, cette dernière émettra un avis sur ces dernières.
Cette précision est bienvenue, eu égard au rôle que nous entendons confier à l’Autorité de régulation de la distribution de la presse. La commission émet donc un avis favorable sur cet amendement.
M. le président. Je mets aux voix l'article 4, modifié.
(L'article 4 est adopté.)
Article 5
Le titre III de la même loi est abrogé. – (Adopté.)
Article 6
L’article 11 de la loi n° 87-39 du 27 janvier 1987 portant diverses mesures d’ordre social est abrogé à compter de l’entrée en vigueur de la première décision prise par le Conseil supérieur des messageries de presse en application du 9° de l’article 18-6 de la loi n° 47-585 du 2 avril 1947 précitée.
M. le président. L'amendement n° 7, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Compléter cet article par les mots :
et au plus tard dans un délai de six mois à compter de la publication de la présente loi
La parole est à M. le ministre.
M. Frédéric Mitterrand, ministre. L’article 11 de la loi du 27 janvier 1987 fait reposer la rémunération des agents de la vente sur la valeur des publications vendues.
Ce mode de rémunération est contesté par la profession, qui souhaite voir davantage pris en compte les coûts de distribution, de stockage et de manutention. Ce serait également un élément de valorisation de la profession de diffuseurs de presse d’une importance capitale pour redynamiser cette profession, aujourd’hui quelque peu sinistrée. C’est pourquoi il me paraît important que ce système soit assez rapidement réexaminé par le CSMP dans le cadre de ses nouvelles compétences.
L’amendement présenté vise à fixer une limite de temps pour l’abrogation des dispositions de l’article 11 de la loi du 27 janvier 1987, afin d’éviter que ne perdure au-delà de cette échéance le système de rémunération ad valorem des agents de la vente de publications. Le CSMP sera ainsi conduit à adopter de façon prioritaire les nouvelles dispositions relatives à la rémunération des agents de la vente, en application de sa compétence prévue au 9° de l'article 18-6.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. David Assouline, rapporteur. Cet amendement a le mérite de mettre en exergue une volonté unanime de faire un geste significatif en faveur du niveau 3, parent pauvre de la chaîne de distribution de la presse.
Fixer, comme le propose le Gouvernement, un délai de six mois au maximum pour modifier le mode de rémunération des agents de la vente constitue un signal supplémentaire adressé à ces acteurs. La commission émet donc un avis favorable sur cet amendement.
M. le président. Je mets aux voix l'article 6, modifié.
(L'article 6 est adopté.)
Article 7
(non modifié)
Les conséquences financières résultant pour l’État de la présente loi sont compensées, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.
M. le président. L'amendement n° 11, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. le ministre.
M. Frédéric Mitterrand, ministre. Cet amendement vise tout simplement à lever le gage prévu par la proposition de loi.
M. le président. La commission n’a pas à statuer sur un tel amendement.
Je mets aux voix l'amendement n° 11.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble de la proposition de loi, je donne la parole à M. Serge Lagauche, pour explication de vote.
M. Serge Lagauche. Au sein de la commission de la culture, de l’éducation et de la communication, le dialogue entre l’opposition et la majorité a toujours été très constructif. Après le travail effectué sur la loi HADOPI, sur le cinéma numérique, sur le livre numérique ou sur la télévision publique, le présent débat nous en offre une nouvelle illustration. La volonté de parvenir à un consensus a été constante.
C’est bien dans cet esprit de dialogue entre la majorité, l’opposition et le Gouvernement que M. David Assouline a exercé ses fonctions de rapporteur du présent texte. Le résultat nous paraît satisfaisant et conforme à l’intérêt du pays.
M. le président. La parole est à M. Ivan Renar.
M. Ivan Renar. On peut faire preuve d’esprit constructif sans approuver pour autant un texte. Cette proposition de loi, qui a donné lieu à un travail intéressant, amène à franchir une étape importante. Cela étant, une réforme était nécessaire, mais pas celle-là.
La navette va maintenant se poursuivre. Je ne doute pas que le texte évoluera encore ; peut-être serons-nous alors en mesure de le voter.
Quoi qu’il en soit, je salue l’effort de concertation consenti afin de progresser vers un véritable consensus. Mais, sur un sujet à aussi fort enjeu, il est parfois du devoir de l’opposition de marquer son désaccord, toujours dans un esprit constructif. Pour l’heure, ce n’est qu’un au revoir, mes chers collègues ! (Sourires.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Legendre.
M. Jacques Legendre, auteur de la proposition de loi. Il est des jours intéressants : peu avant le dîner, nous avons adopté les conclusions d’une commission mixte paritaire sur un texte essentiel, à savoir la proposition de loi relative au prix du livre numérique. C’est sans doute là une première mondiale, qui manifeste notre volonté de ne pas nous laisser dépasser par les évolutions technologiques. Cette volonté a été commune aux deux assemblées, à la majorité et à l’opposition, parce qu’il fallait donner un signal fort.
Nous en donnons un second ce soir : même si le consensus n’est pas total, le travail effectué a permis une convergence entre les principales forces de la majorité et de l’opposition à propos d’une actualisation de la loi Bichet.
Pourquoi une telle convergence n’est-elle pas surprenante ? Peut-être parce que nous voulons tous rester dans la ligne de la loi Bichet, l’une des lois issues des travaux du Conseil national de la Résistance. J’ai qualifié tout à l’heure cette loi d’« icône » : nous nous en sommes approchés, les uns et les autres, en tremblant, et nous avons essayé de maintenir des équilibres.
Je ne suis pas du tout choqué que notre collègue Ivan Renar, au nom du groupe CRC-SPG, marque une divergence, mais en tout cas nous souhaitons tous conserver l’esprit de la loi Bichet. Or, pour y parvenir, il faut parfois savoir la moderniser et la faire évoluer en en respectant les grands équilibres.
C’est ce que nous avons fait ce soir. Une large majorité se dégage pour approuver le travail effectué. Il appartiendra à l’Assemblée nationale de le poursuivre. Pour l’heure, je me réjouis profondément que nous ayons accompli notre mission d’élus républicains.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. David Assouline, rapporteur. Cette proposition de loi, bien que technique, est un texte important. Nous le verrons dans les mois à venir, elle donnera au secteur de la distribution de la presse les moyens de mieux faire face à une situation objectivement très difficile, en lui offrant des outils supplémentaires pour sauver un système coopératif malmené par les évolutions économiques.
À mon humble place de rapporteur, j’ai eu le sentiment qu’il nous fallait, en tant que législateurs, à la fois défendre l’intérêt général, donc les fondements de la loi Bichet, et être à l’écoute de l’ensemble des acteurs du secteur, afin que chacun d’entre eux puisse se sentir pris en compte dans notre réflexion. C’est ce que nous nous sommes efforcés de faire.
Monsieur Renar, la navette nous laisse effectivement encore le temps de rapprocher nos points de vue. Pour l’heure, je ne comprends pas votre opposition à ce texte, d’autant que nous avons le même objectif. Cette proposition de loi me semble aller dans le sens que vous souhaitez.
Quoi qu’il en soit, notre effort de concertation a porté ses fruits, dans la mesure où tous les principaux acteurs ont émis un jugement positif sur la philosophie globale de ce texte ; aucun n’a exprimé une opposition irréductible.
J’espère que l’Assemblée nationale inscrira rapidement l’examen de notre proposition de loi à son ordre du jour et que le Gouvernement se fera auprès d’elle le relais du souhait que j’exprime ici, car il y a urgence. En tout cas, je forme des vœux pour que la prochaine lecture au Sénat nous permette d’affiner encore le texte et d’aboutir au consensus.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble de la proposition de loi.
(La proposition de loi est adoptée.)
9
Ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mardi 10 mai 2011 :
À neuf heures trente :
1. Questions orales.
(Le texte des questions figure en annexe).
À quatorze heures trente, le soir et, éventuellement, la nuit :
2. Projet de loi, adopté par l’Assemblée nationale, relatif aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge (n° 361, 2010-2011).
Rapport de Mme Muguette Dini, fait au nom de la commission des affaires sociales (n° 487, 2010-2011).
Avis de M. Jean-René Lecerf, fait au nom de la commission des lois (n° 477, 2010-2011).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée le vendredi 6 mai 2011, à zéro heure vingt.)
Le Directeur du Compte rendu intégral
FRANÇOISE WIART