Sommaire
Présidence de Mme Monique Papon
Secrétaires :
Mmes Michelle Demessine, Christiane Demontès.
2. Participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et jugement des mineurs. – Suite de la discussion, en procédure accélérée, d’un projet de loi dans le texte de la commission
Amendements nos 92 rectifié, 4 à 6, 93 rectifié à 101 rectifié, 152 rectifié bis, 102 rectifié, 104 rectifié à 107 rectifié et 149 rectifié (suite). – MM. Jean-René Lecerf, rapporteur de la commission des lois ; Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés ; Jacques Mézard, Mmes Nicole Borvo Cohen-Seat, Virginie Klès, MM. Charles Gautier, Robert Badinter. – Rejet des amendements nos 92 rectifié, 4 à 6, 93 rectifié à 102 rectifié et 104 rectifié à 107 rectifié ; adoption des amendements nos 152 rectifié bis et 149 rectifié.
Adoption de l'article modifié.
Amendement n° 7 de M. Jean-Pierre Michel. – MM. Charles Gautier, le rapporteur, le garde des sceaux. – Adoption de l'amendement supprimant l'article.
M. Jean-Pierre Michel, Mme Josiane Mathon-Poinat.
Amendements identiques nos 8 de M. Jean-Pierre Michel, 45 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et 108 rectifié de M. Jacques Mézard. – M. Alain Anziani, Mme Josiane Mathon-Poinat, MM. Jacques Mézard, le rapporteur, le garde des sceaux. – Rejet des trois amendements.
Amendement n° 9 de M. Jean-Pierre Michel. – MM. Robert Badinter, le rapporteur, le garde des sceaux. – Retrait.
Amendement n° 109 rectifié de M. Jacques Mézard. – MM. Jacques Mézard, le rapporteur, le garde des sceaux. – Rejet.
Amendement n° 110 rectifié de M. Jacques Mézard. – M. Jacques Mézard.
Amendement n° 46 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – Mme Josiane Mathon-Poinat.
Amendement n° 158 de la commission. – M. le rapporteur.
Amendement n° 12 de M. Jean-Pierre Michel. – Mme Virginie Klès.
Amendement n° 10 de M. Jean-Pierre Michel. – M. Jean-Pierre Michel. – Retrait.
Amendement n° 11 de M. Jean-Pierre Michel. – M. Jean-Pierre Michel.
Amendement n° 159 de la commission. – M. le rapporteur.
MM. le rapporteur, le garde des sceaux, Mme Alima Boumediene-Thiery. – Rejet des amendements nos 110 rectifié, 46, 12 et 11 ; adoption des amendements nos 158 et 159.
Amendement n° 111 rectifié de M. Jacques Mézard. – MM. Jacques Mézard, le rapporteur, le garde des sceaux, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – Rejet.
Amendement n° 160 de la commission. – MM. le rapporteur, le garde des sceaux. – Adoption.
Amendement n° 112 rectifié de M. Jacques Mézard. – MM. Jacques Mézard, le rapporteur, le garde des sceaux, Mme Virginie Klès. – Rejet.
Amendement n° 113 rectifié de M. Jacques Mézard. – MM. Jacques Mézard, le rapporteur, le garde des sceaux, Mmes Virginie Klès, Nicole Borvo Cohen-Seat. – Rejet.
Amendements nos 114 rectifié à 118 rectifié de M. Jacques Mézard. – MM. Jacques Mézard, le rapporteur, le garde des sceaux, Virginie Klès. – Rejet des cinq amendements.
Amendement n° 119 rectifié de M. Jacques Mézard. – MM. Jacques Mézard, le rapporteur, le garde des sceaux. – Rejet.
Amendement n° 120 rectifié de M. Jacques Mézard. – Rejet.
Amendement n° 121 rectifié de M. Jacques Mézard. – Rejet.
Adoption de l'article modifié.
Amendements identiques nos 13 de M. Jean-Pierre Michel, 47 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et 122 rectifié de M. Jacques Mézard. – Mmes Catherine Tasca, Éliane Assassi, MM. Jacques Mézard, le rapporteur, le garde des sceaux, Jean-Pierre Michel, Mmes Nicole Borvo Cohen-Seat, Virginie Klès. – Rejet des trois amendements.
Amendement n° 103 rectifié bis de M. Jacques Mézard. – MM. Jacques Mézard, le rapporteur, le garde des sceaux. – Adoption.
Amendement n° 123 rectifié de M. Jacques Mézard. – MM. Jacques Mézard, le rapporteur, le garde des sceaux. – Adoption.
Mme Virginie Klès, MM. le garde des sceaux, Jean-Jacques Mirassou, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat.
Adoption de l'article modifié.
Amendements identiques nos 14 de M. Jean-Pierre Michel, 48 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et 124 rectifié de M. Jacques Mézard. – M. Alain Anziani, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. Jacques Mézard, le rapporteur, le garde des sceaux, Robert Badinter, Mmes Virginie Klès, Catherine Tasca, M. Jean-Jacques Mirassou. – Rejet des trois amendements.
Adoption de l'article.
Amendements identiques nos 15 de M. Jean-Pierre Michel, 49 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et 125 rectifié de M. Jacques Mézard. – Mmes Alima Boumediene-Thiery, Josiane Mathon-Poinat, MM. Jacques Mézard, le rapporteur, le garde des sceaux. – Rejet des trois amendements.
Adoption de l'article.
Amendements identiques nos 16 de M. Jean-Pierre Michel, 50 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et 126 rectifié de M. Jacques Mézard. – M. Jean-Pierre Michel, Mme Josiane Mathon-Poinat, MM. Jacques Mézard, le rapporteur, le garde des sceaux. – Rejet des trois amendements.
Amendement n° 51 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – Mme Josiane Mathon-Poinat, MM. le rapporteur, le garde des sceaux. – Rejet.
Amendement n° 127 rectifié de M. Jacques Mézard. – MM. Jacques Mézard, le rapporteur, le garde des sceaux. – Adoption.
Adoption de l'article modifié.
Amendements identiques nos 17 de M. Jean-Pierre Michel, 52 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et 128 rectifié de M. Jacques Mézard. – M. Charles Gautier, Mme Josiane Mathon-Poinat, MM. Jacques Mézard, le rapporteur, le garde des sceaux.
Suspension et reprise de la séance
Mme Virginie Klès, MM. le garde des sceaux, Jean-Pierre Michel. – Rejet des amendements identiques nos 17, 52 et 128 rectifié.
Amendement n° 53 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – Mme Josiane Mathon-Poinat, MM. le rapporteur, le garde des sceaux, Jean-Pierre Michel, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – Rejet.
Mme Virginie Klès.
Adoption de l’article.
Amendements identiques nos 18 de M. Jean-Pierre Michel et 54 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – M. Alain Anziani, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. le rapporteur, le garde des sceaux, Mme Alima Boumediene-Thiery. – Rejet des deux amendements.
Amendement n° 161 de la commission. – MM. le rapporteur, le garde des sceaux. – Adoption.
Amendement n° 55 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – MM. le rapporteur, le garde des sceaux. – Rejet.
Amendement n° 162 de la commission. – MM. le rapporteur, le garde des sceaux. – Adoption.
Adoption de l’article modifié.
Article additionnel après l'article 8
Amendement n° 163 de la commission. – MM. le rapporteur, le garde des sceaux. – Adoption de l’amendement insérant un article additionnel.
3. Engagement de la procédure accélérée sur un projet de loi et une proposition de loi
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE Mme Monique Papon
4. Participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et jugement des mineurs. – Suite de la discussion, en procédure accélérée, d'un projet de loi dans le texte de la commission
Amendements identiques nos 19 de M. Jean-Pierre Michel et 56 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – M. Jean-Pierre Michel, Mme Josiane Mathon-Poinat, MM. Jean-René Lecerf, rapporteur de la commission des lois ; Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés. – Rejet des deux amendements.
Adoption de l’article.
Amendements identiques nos 20 de M. Jean-Pierre Michel et 57 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – Mmes Catherine Tasca, Josiane Mathon-Poinat, MM. le rapporteur, le garde des sceaux. – Rejet des deux amendements.
Amendements nos 169 et 170 du Gouvernement. – MM. le garde des sceaux, le rapporteur. – Adoption des deux amendements.
Adoption de l’article modifié.
Amendement n° 58 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – Mme Josiane Mathon-Poinat, MM. le rapporteur, le garde des sceaux. – Rejet.
Adoption de l’article.
Article additionnel après l'article 9 ter
Amendement n° 164 de la commission. – MM. le rapporteur, le garde des sceaux. – Adoption de l’amendement insérant un article additionnel.
M. Jean-Pierre Michel.
Amendements identiques nos 31 de M. Jean-Pierre Michel, 71 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et 137 rectifié de M. Jacques Mézard. – Mmes Alima Boumediene-Thiery, Josiane Mathon-Poinat, MM. Jacques Mézard, le rapporteur, le garde des sceaux, Mmes Virginie Klès, Nicole Borvo Cohen-Seat, Catherine Tasca, MM. Jean-Pierre Sueur, Jean-Jacques Pignard, Charles Gautier. – Rejet des trois amendements.
Amendement n° 151 rectifié de M. Yves Détraigne. – MM. Yves Détraigne, le rapporteur, le garde des sceaux. – Retrait.
Amendement n° 154 rectifié de M. Yves Détraigne. – MM. Yves Détraigne, le rapporteur, le garde des sceaux. – Adoption.
Amendement n° 156 du Gouvernement. – M. le garde des sceaux. – Retrait.
Amendement n° 150 rectifié de M. Yves Détraigne. – M. Yves Détraigne.
Amendement n° 153 rectifié de M. Yves Détraigne. – M. Yves Détraigne.
MM. le rapporteur, le garde des sceaux. – Retrait de l’amendement n° 150 rectifié ; adoption de l’amendement n° 153 rectifié.
Adoption de l’article modifié.
Mmes Nicole Borvo Cohen-Seat, Alima Boumediene-Thiery.
Amendements identiques nos 41 de M. Jean-Pierre Michel, 88 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et 147 rectifié de M. Jacques Mézard. – M. Alain Anziani, Mme Éliane Assassi, MM. Jacques Mézard, le rapporteur, le garde des sceaux, Mmes Virginie Klès, Nicole Borvo Cohen-Seat. – Rejet des trois amendements.
Adoption de l’article.
Amendements identiques nos 21 de M. Jean-Pierre Michel, 59 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et 130 rectifié de M. Jacques Mézard. – M. Charles Gautier, Mme Éliane Assassi, MM. Jacques Mézard, Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. – Rejet des trois amendements.
Adoption de l’article.
Articles additionnels après l'article 10
Amendement n° 61 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – Mme Josiane Mathon-Poinat, MM. le rapporteur, le garde des sceaux. – Rejet.
Amendement n° 60 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. – Mme Josiane Mathon-Poinat, MM. le rapporteur, le garde des sceaux. – Rejet.
Amendements identiques nos 22 de M. Jean-Pierre Michel, 62 de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat et 131 rectifié de M. Jacques Mézard. – M. Alain Anziani, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. Jacques Mézard, le rapporteur, le garde des sceaux. – Rejet des trois amendements.
Adoption de l’article.
Renvoi de la suite de la discussion.
compte rendu intégral
Présidence de Mme Monique Papon
vice-présidente
Secrétaires :
Mme Michelle Demessine,
Mme Christiane Demontès.
1
Procès-verbal
Mme la présidente. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et jugement des mineurs
Suite de la discussion, en procédure accélérée, d’un projet de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion, en procédure accélérée, du projet de loi sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs (projet n° 438, texte de la commission n° 490, rapport n° 489).
Titre Ier (suite)
DISPOSITIONS RELATIVES À LA PARTICIPATION DES CITOYENS AU FONCTIONNEMENT DE LA JUSTICE PÉNALE
Chapitre Ier (suite)
Dispositions relatives aux citoyens assesseurs
Mme la présidente. Hier, le Sénat a entamé l’examen de l’article 1er, dont je rappelle les termes :
Article 1er (suite)
Le titre préliminaire du code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° L’intitulé est ainsi rédigé : « Dispositions générales » ;
2° Il est créé un sous-titre Ier intitulé : « De l’action publique et de l’action civile » comprenant les articles 1er à 10 ;
3° Il est ajouté un sous-titre II ainsi rédigé :
« SOUS-TITRE II
« DE LA PARTICIPATION DES CITOYENS AU JUGEMENT DES AFFAIRES PÉNALES
« Art. 10-1. – Les citoyens peuvent être appelés, comme jurés, à composer le jury de la cour d’assises constitué conformément aux articles 254 à 267 et 288 à 305-1.
« Ils peuvent également être appelés, comme citoyens assesseurs :
« 1° À compléter le tribunal correctionnel et la chambre des appels correctionnels dans les cas prévus par les articles 399-2 et 510-1 ;
« 2° À compléter le tribunal de l’application des peines et la chambre de l’application des peines de la cour d’appel dans les cas prévus par les articles 712-13-1, 720-4-1 et 730-1 ;
« 3° (Supprimé)
« Les règles relatives à la désignation des citoyens assesseurs sont fixées par les dispositions du présent sous-titre.
« Art. 10-2. – Il est établi annuellement, pour chaque tribunal de grande instance, une liste de citoyens assesseurs dont le nombre est fixé par arrêté du ministre de la justice.
« Art. 10-3. – Peuvent seules être inscrites sur la liste annuelle des citoyens assesseurs établie pour chaque tribunal de grande instance les personnes remplissant les conditions suivantes :
« 1° Ne pas avoir été inscrites la même année sur la liste annuelle du jury d’assises en application des articles 263 et 264 ;
« 2° Ne pas avoir exercé les fonctions de juré ou de citoyen assesseur au cours des cinq années précédant l’année en cours et ne pas avoir été inscrites, l’année précédente, sur une liste annuelle du jury ou sur une liste annuelle des citoyens assesseurs ;
« 3° Satisfaire aux conditions prévues par les articles 255 à 257 ;
« 4° Résider dans le ressort du tribunal de grande instance ;
« 5° (Supprimé)
« 6° (Supprimé)
« Art. 10-4. – Les citoyens assesseurs sont désignés parmi les personnes ayant été inscrites par le maire sur la liste préparatoire de la liste annuelle du jury d’assises établie, après tirage au sort sur les listes électorales, dans les conditions prévues par les articles 261 et 261-1.
« Les personnes inscrites sur la liste préparatoire en sont avisées par le maire qui les informe :
« 1° Qu’elles sont susceptibles d’être désignées soit comme juré, soit comme citoyen assesseur ;
« 2° Qu’elles peuvent demander au président de la commission prévue à l’article 262 le bénéfice des dispositions de l’article 258.
« Le maire adresse en outre aux personnes inscrites sur la liste préparatoire un recueil d’informations dont le contenu est fixé par décret en Conseil d’État. Les réponses au recueil d’informations sont adressées directement par les personnes concernées au président de la commission instituée par l’article 262.
« Art. 10-5. – La liste annuelle des citoyens assesseurs de chaque tribunal de grande instance est dressée, après établissement de la liste annuelle du jury d’assises, par la commission instituée par l’article 262. La commission est alors présidée par le président du tribunal de grande instance. Le bâtonnier siégeant au sein de la commission est celui de l’ordre des avocats de ce tribunal.
« La commission examine la situation des personnes figurant sur la liste préparatoire dans un ordre déterminé par le tirage au sort. La commission exclut les personnes qui ne remplissent pas les conditions prévues par l’article 10-3, celles auxquelles a été accordée une dispense en application de l’article 258, ainsi que celles qui, au vu des éléments figurant dans le recueil d’informations ou résultant de la consultation des traitements prévus par les articles 48-1 et 230-6, ne paraissent manifestement pas être en mesure d’exercer les fonctions de citoyens assesseurs. Elle peut procéder ou faire procéder à l’audition des personnes avant leur inscription sur la liste annuelle.
« La commission délibère dans les conditions prévues par le troisième alinéa de l’article 263.
« La liste annuelle des citoyens assesseurs est arrêtée lorsque le nombre de personnes inscrites atteint celui fixé en application du second alinéa de l’article 10-2. Elle est alors adressée au premier président de la cour d’appel et aux maires des communes du ressort du tribunal de grande instance.
« Le premier président s’assure que la liste a été établie conformément aux exigences légales et avise les personnes retenues de leur inscription.
« Art. 10-6. – À la demande du président du tribunal de grande instance ou du procureur de la République, le premier président de la cour d’appel, après avoir convoqué le citoyen assesseur et l’avoir mis en mesure de présenter ses observations, se prononce sur son retrait de la liste annuelle :
« 1° Lorsqu’il se trouve dans l’un des cas d’incompatibilité ou d’incapacité prévus par la loi ;
« 2° Lorsque, sans motif légitime, il s’est abstenu à plusieurs reprises de répondre aux convocations l’invitant à assurer son service juridictionnel ;
« 3° Lorsqu’il a commis un manquement aux devoirs de sa fonction, à l’honneur ou à la probité.
« Si, en raison du nombre des retraits décidés en application du présent article ou des décès constatés, le bon fonctionnement de la justice se trouve compromis, le premier président convoque la commission mentionnée à l’article 10-5 afin de compléter la liste.
« Art. 10-7. – Le service des audiences de la chambre des appels correctionnels et de la chambre de l’application des peines est réparti entre les citoyens assesseurs par le premier président de la cour d’appel.
« Le service des audiences du tribunal correctionnel et du tribunal de l’application des peines est réparti entre les citoyens assesseurs par le président du tribunal de grande instance, siège de ces juridictions.
« Il est procédé à la répartition prévue aux deux premiers alinéas pour chaque trimestre. Les citoyens assesseurs doivent être avisés quinze jours au moins avant le début du trimestre de la date et de l’heure des audiences au cours desquelles ils sont appelés à siéger comme titulaires ou peuvent être appelés comme suppléants. Toutefois, le premier président de la cour d’appel ou le président du tribunal de grande instance peut appeler à siéger sans délai, avec son accord, un citoyen assesseur soit en cas d’absence ou d’empêchement du titulaire et de ses suppléants, soit lorsque la désignation d’un citoyen assesseur supplémentaire apparaît nécessaire en application de l’article 10-8, soit en cas de modification du calendrier des audiences imposée par les nécessités du service.
« Art. 10-8. – Lorsqu’un procès paraît devoir entraîner de longs débats, le premier président de la cour d’appel ou le président du tribunal de grande instance peut décider qu’un ou plusieurs citoyens assesseurs supplémentaires assistent aux débats. Ces citoyens assesseurs supplémentaires remplacent le ou les citoyens assesseurs qui seraient empêchés de suivre les débats jusqu’au prononcé de la décision.
« Art. 10-9. – Les citoyens assesseurs appelés à siéger au sein de la chambre des appels correctionnels et de la chambre de l’application des peines sont désignés parmi les citoyens assesseurs inscrits sur les listes annuelles des tribunaux de grande instance du département où la cour a son siège. En cas de nécessité, ils peuvent être désignés, avec leur accord, sur les listes annuelles des autres tribunaux de grande instance du ressort de la cour d’appel. Le premier président informe les présidents des tribunaux de grande instance de son ressort des désignations auxquelles il a procédé.
« Les citoyens assesseurs appelés à siéger au sein du tribunal correctionnel ou du tribunal de l’application des peines sont choisis parmi les citoyens assesseurs figurant sur la liste annuelle du tribunal de grande instance, siège de la juridiction. En cas de nécessité, ils peuvent être désignés, avec leur accord, sur la liste annuelle de l’un des tribunaux de grande instance limitrophes appartenant au ressort de la même cour d’appel. Le président de ce tribunal en est informé.
« Art. 10-10. – Chaque citoyen assesseur ne peut être appelé à siéger, y compris comme assesseur supplémentaire, plus de huit jours d’audience dans l’année.
« Toutefois, lorsque l’examen d’une affaire se prolonge au-delà de la limite prévue au premier alinéa, le citoyen assesseur est tenu de siéger jusqu’à l’issue du délibéré.
« Art. 10-11. – Avant d’exercer leurs fonctions, les citoyens assesseurs inscrits sur la liste annuelle prêtent serment devant le tribunal de grande instance de bien et fidèlement remplir leurs fonctions et de conserver le secret des délibérations.
« Art. 10-12. – Les citoyens assesseurs désignés pour siéger à une audience ne peuvent être récusés que pour l’une des causes de récusation applicables aux magistrats.
« Cette récusation peut être demandée par le ministère public ou les parties avant l’examen au fond.
« Les trois magistrats de la juridiction statuent sur la demande de récusation.
« Le citoyen assesseur qui suppose en sa personne une cause de récusation ou estime en conscience devoir s’abstenir le fait connaître avant l’examen au fond. Le président de la juridiction peut alors l’autoriser à se faire remplacer par un citoyen assesseur dans les formes prévues par l’article 10-7. En début d’audience, le président rappelle les dispositions du présent alinéa.
« Art. 10-13. – L’exercice des fonctions de citoyen assesseur constitue un devoir civique.
« Art. 10-14. – Un décret en Conseil d’État fixe les modalités d’application du présent sous-titre. Il précise, en particulier :
« 1° Les modalités selon lesquelles les citoyens assesseurs doivent bénéficier, avant d’exercer leurs fonctions, d’une information sur le fonctionnement de la justice pénale ;
« 2° Les modalités et le calendrier des opérations nécessaires à l’établissement de la liste annuelle des citoyens assesseurs ;
« 3° Les modalités de l’indemnisation des citoyens assesseurs. »
Mme la présidente. Au sein de cet article, vingt amendements en discussion commune ont été présentés. J’en redonne lecture :
L'amendement n° 92 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéas 7 à 12
Supprimer ces alinéas.
L'amendement n° 4, présenté par MM. Michel et Anziani, Mmes Klès et Tasca, M. Badinter, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 9
Supprimer cet alinéa.
L'amendement n° 5, présenté par MM. Michel et Anziani, Mmes Klès et Tasca, M. Badinter, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 10
Supprimer cet alinéa.
L'amendement n° 6, présenté par MM. Michel et Anziani, Mmes Klès et Tasca, M. Badinter, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéas 12 à 53
Supprimer ces alinéas.
L'amendement n° 93 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéa 13
Supprimer cet alinéa.
L'amendement n° 94 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéas 14 à 20
Supprimer ces alinéas.
L'amendement n° 95 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéas 21 à 25
Supprimer ces alinéas.
L'amendement n° 96 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéas 26 à 30
Supprimer ces alinéas.
L'amendement n° 97 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéas 31 à 35
Supprimer ces alinéas.
L'amendement n° 98 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéas 36 à 38
Supprimer ces alinéas.
L'amendement n° 99 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéa 39
Supprimer cet alinéa.
L'amendement n° 100 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéas 40 et 41
Supprimer ces alinéas.
L'amendement n° 101 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéas 42 et 43
Supprimer ces alinéas.
L'amendement n° 152 rectifié bis, présenté par MM. Maurey, Détraigne, Zocchetto et Amoudry, Mme Morin-Desailly, MM. Merceron et Biwer, Mme Férat et les membres du groupe Union centriste, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 42
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Au cours de cette période, les citoyens assesseurs désignés pour siéger au sein d’une chambre des appels correctionnels ou d’un tribunal correctionnel ne peuvent être appelés à siéger au sein d'une chambre de l'application des peines, d’un tribunal de l'application des peines ou d'un tribunal correctionnel pour mineurs. Les citoyens assesseurs désignés pour siéger au sein d'une chambre de l'application des peines ou d’un tribunal de l'application des peines ne peuvent être appelés à siéger au sein d’une chambre des appels correctionnels ou d’un tribunal correctionnel ou d'un tribunal correctionnel pour mineurs. Les citoyens assesseurs désignés pour siéger au sein d'un tribunal correctionnel pour mineurs ne peuvent être appelés à siéger au sein d'une juridiction correctionnelle pour majeurs ou d'une juridiction de l'application des peines.
L'amendement n° 102 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéa 44
Supprimer cet alinéa.
L'amendement n° 104 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéas 45 à 48
Supprimer ces alinéas.
L'amendement n° 105 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéas 45 et 46
Remplacer ces alinéas par six alinéas ainsi rédigés :
« Art. 10-12. - Avant l’examen au fond, les citoyens assesseurs désignés pour siéger peuvent être récusés par le prévenu ou son avocat d’abord, le ministère public ensuite.
« Ni le prévenu, ni son avocat, ni le ministère public ne peuvent exposer leurs motifs de récusation.
« L’accusé ou son avocat non plus que le ministère public ne peuvent récuser plus de deux citoyens assesseurs chacun.
« S'il y a plusieurs prévenus, ils peuvent se concerter pour exercer leurs récusations ; ils peuvent les exercer séparément.
« Dans l'un et l'autre cas, ils ne peuvent excéder le nombre de récusations déterminé pour un seul prévenu.
« Si les prévenus ne se concertent pas pour récuser, le sort règle entre eux le rang dans lequel ils font les récusations. Dans ce cas, les citoyens assesseurs récusés par un seul, et dans cet ordre, le sont pour tous jusqu'à ce que le nombre des récusations soit épuisé.
L'amendement n° 106 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéa 49
Supprimer cet alinéa.
L'amendement n° 107 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéas 50 à 53
Supprimer ces alinéas.
L'amendement n° 149 rectifié, présenté par MM. Maurey, Détraigne et Zocchetto, Mmes Gourault et Morin-Desailly, MM. Merceron et Biwer, Mme Férat et les membres du groupe Union centriste, est ainsi libellé :
Alinéa 51
Remplacer le mot :
information
par le mot :
formation
Quel est l’avis de la commission sur ces différents amendements ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. L’amendement n° 92 rectifié vise à supprimer les dispositions du projet de loi créant les citoyens assesseurs.
Si la réforme ne suffira sans doute pas, à elle seule, à garantir une meilleure compréhension de la justice pénale, elle devrait pourtant y contribuer. La présence de citoyens assesseurs devrait conduire à mieux faire accepter les décisions de justice, plus particulièrement celles qui concernent l’aménagement de peine. C’est pourquoi la commission émet un avis défavorable.
Le neuvième alinéa de l’article 1er que tend à supprimer l’amendement n° 4 prévoit la présence des citoyens assesseurs au sein des tribunaux correctionnels et paraît indispensable. La commission est donc défavorable à cet amendement.
L’amendement n° 5 a pour objet de supprimer la disposition qui prévoit la présence des citoyens assesseurs au sein des juridictions de l’application des peines.
À l’occasion de l’examen des amendements portant sur l’article 9, j’exposerai les raisons qui me paraissent justifier une telle participation. La commission émet également un avis défavorable.
L’amendement n° 6 vise à supprimer les dispositions concernant le mode de désignation des citoyens assesseurs, que la commission s’est pourtant efforcée d’améliorer.
La détermination du mode de désignation des citoyens assesseurs constitue un exercice délicat pour deux raisons.
En premier lieu, quelle que soit la juridiction, les citoyens assesseurs seront appelés à y siéger au nombre de deux seulement. Une éventuelle inaptitude ne connaîtra pas les correctifs que l’effet du nombre peut apporter dans le cadre du jury d’assises.
En second lieu – cette observation vaut pour le jugement des délits –, la procédure devant le tribunal correctionnel, plus contrainte par les délais, a fortiori lorsque la juridiction est saisie dans le cadre de la comparution immédiate, suppose du citoyen assesseur qu’il se familiarise rapidement avec un dossier qui peut être juridiquement complexe.
En conséquence, le Gouvernement, lors de la rédaction du projet de loi, n’a pas entendu s’en remettre totalement au hasard du tirage au sort. Le citoyen assesseur doit certes émaner d’un éventail de population aussi large que celui dont le jury provient – cela explique la désignation à partir de la liste préparatoire, tirée au sort sur les listes électorales –, mais aussi répondre à des critères d’aptitude plus stricts que ceux qui sont exigés des jurés.
Cependant, le mécanisme proposé dans le texte du Gouvernement n’a pas paru pleinement satisfaisant à la commission pour plusieurs raisons.
D’abord, aux critères déjà réclamés pour les jurés étaient ajoutées de nouvelles conditions concernant l’aptitude, l’impartialité et la moralité dont le contenu demeurait flou.
Ensuite, le choix d’adresser un « questionnaire » aux personnes inscrites sur la liste préparatoire pour mesurer ces critères pouvait sembler intrusif.
Enfin, la possibilité d’entendre la personne qui n’aurait pas répondu au questionnaire ou qui y aurait répondu de manière incomplète, doublée avec l’exigence d’une enquête préalable à toute inscription sur la liste annuelle de citoyens assesseurs, aurait constitué une procédure lourde, susceptible de connaître de nombreux retards.
La commission a retenu un système plus simple.
S’agissant des conditions requises, elle a supprimé les critères autres que ceux qui sont fixés pour les jurés de manière objective par les articles 255 à 257 du code de procédure pénale, que nous avons d’ailleurs complétés et modifiés.
S’agissant de la procédure, elle a substitué un « recueil d’informations » au questionnaire destiné à recueillir des éléments de fait, et non quelque opinion que ce soit.
Au vu des éléments figurant dans ce recueil ou résultant de la consultation du fichier Cassiopée ou des fichiers de police, la commission départementale, composée de magistrats et de conseillers généraux et chargée d’établir la liste du jury, devra écarter les personnes qui ne lui paraissent manifestement pas en mesure d’exercer les fonctions de citoyen assesseur.
La commission a maintenu la possibilité pour la commission susvisée d’entendre ou de faire entendre les personnes avant leur inscription sur la liste annuelle de citoyens assesseurs.
Étant donné l’ensemble des précautions que j’ai tenu à rappeler, j’émets, au nom de la commission, un avis défavorable.
Par coordination, la commission est également défavorable aux amendements nos 93 rectifié et 94 rectifié.
J’en viens à l’amendement n° 95 rectifié.
Comme je l’ai indiqué précédemment, la commission a substitué le recueil d’informations au questionnaire initialement prévu par le texte. Dans l’esprit de ses membres, cette modification a pour objet de recueillir des informations strictement factuelles. Nous pourrons bien sûr interroger le garde des sceaux sur le contenu des informations qu’il entend voir réunir dans ce document. Au demeurant, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
L’amendement n° 96 rectifié vise à supprimer les dispositions concernant le mode d’inscription des citoyens assesseurs sur la liste annuelle. Eu égard aux explications que j’ai fournies tout à l’heure et par coordination, la commission y est défavorable.
L’amendement n° 97 rectifié tend à supprimer les dispositions relatives aux conditions dans lesquelles le président de la cour d’appel peut décider le retrait d’une personne inscrite sur la liste de citoyens assesseurs.
Les hypothèses dans lesquelles ce magistrat prend une telle décision, par exemple en cas d’incompatibilité prévu par la loi, paraissent difficilement contestables. Par conséquent, la commission émet un avis défavorable.
L’amendement n° 98 rectifié a pour objet de supprimer les dispositions concernant la répartition des audiences entre citoyens assesseurs. Cette répartition constituera une charge lourde qui devrait peser principalement sur le greffe de la juridiction. C’est l’un des motifs pour lesquelles M. le garde des sceaux a annoncé en commission qu’il avait obtenu la création de 108 postes de greffier.
La commission a amélioré ces dispositions en prévoyant que les citoyens assesseurs ne peuvent être appelés sans préavis qu’avec leur accord.
Pour toutes ces raisons, elle est défavorable à l’amendement en cause.
L’amendement n° 99 rectifié vise la suppression des dispositions relatives aux citoyens assesseurs supplémentaires, dont la présence ne s’imposera dès le début du procès que si le président estime que celui-ci devrait entraîner de longs débats.
Cette disposition permet de garantir la présence de citoyens assesseurs pendant toute la durée du procès. Elle est indispensable et doit être conservée. La commission émet par conséquent un avis défavorable.
L’amendement n° 100 rectifié tend à supprimer les dispositions qui prévoient que, si les citoyens assesseurs siègent en principe dans une juridiction située dans leur département, ils peuvent, en cas de nécessité et avec l’accord de celle-ci, siéger dans une juridiction voisine.
Ces mesures introduisent un élément de souplesse permettant éventuellement de pallier l’insuffisance du nombre de citoyens assesseurs dans certaines juridictions relevant du ressort de la même cour d’appel. La commission est donc défavorable à leur suppression.
L’amendement n° 101 rectifié a pour objet de supprimer la disposition qui fixe à huit jours d’audience le temps pendant lequel le citoyen assesseur peut être appelé à siéger, cette limite ne pouvant être dépassée que pour permettre au citoyen assesseur de participer, jusqu’à son terme, au procès. La commission y est défavorable.
L’amendement n° 152 rectifié bis vise à « spécialiser » les citoyens assesseurs, soit dans la juridiction correctionnelle, soit dans la juridiction de l’application des peines, soit dans le tribunal correctionnel des mineurs.
Une telle spécialisation paraît intéressante pour permettre de familiariser autant que possible les citoyens assesseurs aux procédures auxquelles ils seront associés.
Néanmoins, la commission s’est demandée si cette disposition, rendant nécessaire le recrutement d’un plus grand nombre de citoyens assesseurs, ne soulèverait pas des difficultés pratiques. Aussi a-t-elle souhaité recueillir l’avis du Gouvernement.
L’amendement n° 102 rectifié tend à supprimer les mesures relatives au serment des citoyens assesseurs.
Le projet de loi exige de ces derniers qu’ils prêtent serment devant le tribunal de grande instance avant d’exercer leurs fonctions. Il leur est demandé de « fidèlement remplir leurs fonctions et de conserver le secret des délibérations ».
En outre, le projet de loi prévoit, à l’article 3, que le président rappelle aux citoyens assesseurs, avant l’ouverture des débats relatifs à la première affaire inscrite au rôle de l’audience, qu’ils sont tenus de respecter les prescriptions contenues dans le serment que prêtent les jurés des cours d’assises, en application de l’article 304 du code de procédure pénale. La lecture des dispositions d’un serment que les citoyens assesseurs n’auront pas à prêter a suscité la perplexité de plusieurs de nos interlocuteurs lors des auditions de la commission.
Il est indispensable de maintenir le principe d’un serment. C’est pourquoi la commission émet un avis défavorable sur le présent amendement. En revanche, il peut être opportun d’aligner, avec certaines adaptations, le serment des citoyens assesseurs sur celui des jurés, comme le proposent les auteurs de l’amendement n° 103 rectifié déposé à l’article 3.
L’amendement n° 104 rectifié a pour objet de supprimer les dispositions du projet de loi relatives à la procédure de récusation des citoyens assesseurs.
La récusation est possible pour l’une des causes de récusation applicables aux magistrats. Cette procédure n’a donc pas le caractère discrétionnaire que revêt, devant la cour d’assises, le droit ouvert au ministère public ou à l’accusé de récuser les jurés sans avoir à en donner les motifs. En effet, l’exercice d’un tel droit devant le tribunal correctionnel citoyen impliquerait de mobiliser un effectif important de citoyens assesseurs, ce qui ne paraît pas réalisable en pratique.
La commission émet par conséquent un avis défavorable.
L’amendement n° 105 rectifié vise à aligner la procédure de récusation des citoyens assesseurs sur celle des jurés. Pour les motifs que je viens d’indiquer, j’émets, au nom de la commission, un avis défavorable.
L’amendement n° 106 rectifié tend à supprimer la disposition du projet de loi selon laquelle l’exercice des fonctions de citoyen assesseur constitue un devoir civique.
Il paraît nécessaire de la maintenir dans la mesure où elle peut servir de support à l’édiction de l’amende qui figurait initialement dans le projet de loi, mais que la commission a supprimée compte tenu de son caractère réglementaire.
L’amendement n° 107 rectifié a pour objet de supprimer les dispositions renvoyant à un décret en Conseil d’État les modalités d’application de l’article 1er, en particulier l’information dont les citoyens assesseurs doivent bénéficier avant d’exercer leurs fonctions.
Les auteurs de cet amendement attirent de manière tout à fait légitime l’attention sur la préparation des citoyens assesseurs. Il semble nécessaire d’obtenir de la part du garde des sceaux des précisions sur le contenu qu’il entend donner à cette information. Selon la commission, celle-ci doit aller au-delà d’une simple action de communication. C’est pourquoi elle est défavorable à cet amendement. En revanche, elle émet un avis favorable sur l’amendement n° 149 rectifié, qui vise à substituer la notion de « formation » à celle d’« information », même s’il est indispensable de respecter les contraintes de disponibilité des citoyens assesseurs comme des magistrats.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Michel Mercier, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés. Monsieur le rapporteur, vous m’avez posé deux questions.
La première était motivée par l’amendement n° 95 rectifié déposé par M. Mézard.
Le livret qui sera envoyé par le maire aux personnes tirées au sort comportera deux parties.
La première contiendra des informations obligatoires, nécessaires pour vérifier que la personne ne présente aucune incompatibilité avec la fonction de citoyen assesseur, en raison de sa profession, de l’existence de mandats électifs, d’un placement sous tutelle, etc.
La seconde partie, à laquelle la réponse ne sera que facultative, comportera des informations de nature à faciliter l’exercice des fonctions de citoyen assesseur si la personne est désignée. Il pourra par exemple lui être demandé les périodes de l’année, du mois ou de la semaine pendant lesquelles sa participation à des audiences pénales lui poserait le moins de problèmes. Il pourra également lui être demandé si elle fait partie d’une association d’aide aux détenus ou aux victimes ou si elle a récemment été partie civile dans une procédure pénale ; dans ces différents cas, en effet, les exigences conventionnelles sur la composition d’une juridiction impartiale interdisent de la désigner comme citoyen assesseur.
La seconde question portait sur la formation des citoyens assesseurs. Dispensée par des magistrats, celle-ci durera une journée. Elle comportera une partie générale destinée à mieux faire connaître l’institution judiciaire, et une seconde partie portant sur le procès correctionnel lui-même, son déroulement, la façon dont les choses se présentent, le rôle de chacun, afin de familiariser les citoyens assesseurs avec le tribunal dans lequel ils vont officier.
Vous m’avez également demandé, monsieur le rapporteur, l’avis du Gouvernement sur l’amendement n° 152 rectifié bis. Cet amendement peut certes constituer un facteur de rigidité, mais il ne me semble pas sans intérêt. Aussi le Gouvernement s’en remet-il à la sagesse du Sénat.
Par ailleurs, en ce qui concerne l’amendement n° 149 rectifié, je me range à votre opinion et émets donc un avis favorable.
Enfin, s'agissant de l’ensemble des autres amendements déposés, qui sont tous peu ou prou des amendements de suppression, mon rôle étant de défendre le texte, je suis conduit, quelle que soit mon envie d’être agréable à MM. Michel et Mézard (Sourires), à émettre un avis défavorable.
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.
M. Jacques Mézard. Sans reprendre les explications que nous avons données hier sur le fond de cet article 1er, je voudrais répondre à M. le rapporteur, qui déclarait que l’objet de cet article, et de la création des citoyens assesseurs, était « de mieux faire accepter les décisions de justice ». J’en conclus que vous considérez, monsieur le rapporteur, que, dans notre République, les décisions de justice sont aujourd'hui mal acceptées.
Je ne partage pas ce constat. Je considère, en accord avec M. le garde des sceaux, que, en dépit de ses problèmes, qui sont des problèmes de moyens matériels et humains, ainsi que nous l’avons évoqué lors du débat sur son classement, notre justice repose sur de bonnes bases. Il serait donc très dangereux de modifier son orientation générale, pour se rapprocher d’autres systèmes, tels que le système anglo-saxon, actuellement en vogue.
En outre, quand bien même les décisions de justice seraient effectivement mal acceptées dans notre pays, la création de citoyens assesseurs ne constituerait pas pour autant la bonne méthode pour résoudre ce problème. La bonne méthode serait de donner à notre justice les moyens de mieux fonctionner. Elle donnerait ainsi davantage satisfaction à l’ensemble de nos concitoyens. Tel est le véritable débat de fond qui devrait nous occuper, plutôt que cette accumulation de réformes, cette avalanche de textes, souvent contradictoires et même parfois incohérents, sous lesquelles est noyé le Parlement.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je ne donnerai pas notre avis sur les différents amendements, même si nous n’adhérons pas à tous.
J’interviendrai plutôt sur les réponses que vous avez données monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, à ces amendements, qui cherchaient à améliorer, ou en tout cas à rendre plus compréhensible, le fonctionnement de cette nouvelle juridiction. En effet, ces réponses ne sont pas du tout satisfaisantes. Vous ne répondez pas à certaines des questions que nous vous avons posées, les uns et les autres, et qui sont au cœur de nos incompréhensions et donc de l’opposition que nous manifestons.
Vous avez déclaré, mais sans le justifier de manière satisfaisante, préférer la création de deux citoyens assesseurs à une forme d’échevinage, qui a pourtant fait la démonstration de son efficacité. Vous dîtes vous rapprocher, ce faisant, du système des jurés d’assises, alors qu’il n’en est rien, ne serait-ce que pour une raison essentielle, à savoir que votre proposition ne permet pas de garantir une véritable représentativité des citoyens. Celle-ci tient en effet – nous aurons d’ailleurs l’occasion d’en débattre lors de la discussion des dispositions portant sur la cour d’assise –, au nombre, à la possibilité de récusation, ou encore à la forme du procès.
Il est donc évident que ces citoyens assesseurs constituent un système assez bancal, qui réunit beaucoup d’inconvénients au regard d’avantages incertains qui, pour l’instant, se résument en réalité – vous ne pouvez pas me contredire – à l’introduction de l’opinion publique dans les tribunaux.
Or l’opinion publique est aussi différente de la citoyenneté que la démocratie d’opinion l’est de la démocratie. Être citoyen et refléter l’opinion publique à un moment donné, ce n’est pas du tout la même chose. L’opinion publique peut en effet varier fortement selon les événements, les faits divers, les personnes jugées.
Il y a donc quelque chose de préoccupant dans le système que vous proposez. Vous avez beau nous dire que le but n’est pas de rendre les jugements plus sévères, il est évident – vous le savez bien – que c’est la seule motivation de votre texte.
Mme la présidente. La parole est à Mme Virginie Klès, pour explication de vote.
Mme Virginie Klès. Je souhaite m’associer aux propos de notre collègue Mézard, et ajouter simplement une remarque.
S’il y a véritablement, aujourd'hui, un besoin de mieux faire accepter les décisions de justice par les citoyens, il me semble qu’il existe pour ce faire une autre méthode, certainement plus efficace que des réformes complexes auxquelles personne ne comprend rien et qui ne seront pas applicables faute de moyens.
Il faudrait d’abord que l’exemple vienne d’en haut, qu’au plus haut niveau de l’État on s’abstienne de commenter les décisions de justice à la va-vite, qui plus est sans connaître les affaires.
Il faudrait également que les avocats, notamment ceux qui ne sont rétribués que grâce à l’aide juridictionnelle et qui n’ont généralement que peu de temps à accorder à leurs clients, soient correctement rémunérés et disposent de plus de temps pour expliquer, d’une manière individualisée, les décisions de justice à M. ou Mme Tout le monde, aux citoyens lambda qui en font les frais ou les subissent. Non seulement ce serait bien plus efficace, mais en outre cela coûterait moins cher.
Mme la présidente. La parole est à M. Charles Gautier, pour explication de vote.
M. Charles Gautier. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’idée qui est à l’origine de ce texte repose sur un bon sentiment, à savoir la volonté de mettre fin aux incompréhensions de nos concitoyens et ainsi de réduire le fossé qui existe entre leurs attentes et les décisions des instances judiciaires. De fait, le lien qui les unit ne cesse de se distendre. Les magistrats sont sans arrêt critiqués, à tous les niveaux – cela vient d’être rappelé.
Toutefois, si le but poursuivi est louable, les moyens mis en œuvre pour l’atteindre demeurent à mon sens très critiquables. Rapprocher les citoyens de la justice ne nécessite pas forcément de leur demander de la rendre. L’introduction de citoyens assesseurs au sein des tribunaux correctionnels pose en effet de nombreux problèmes.
Je mentionnerai tout d'abord le manque d’expérience et de formation professionnelle de ces citoyens. Vous conviendrez avec moi que la fonction de magistrat ne s’improvise pas après une formation de quelques heures et l’acquisition de quelques informations sur l’affaire traitée. On ne peut pas se contenter de cela, en effet, alors que l’enjeu est capital : il s’agit bel et bien de prononcer, parfois, une peine de prison.
Avec ce projet de loi, vous faites donc à l’évidence fausse route. Il est certes nécessaire d’ouvrir et de diversifier le corps judiciaire, qui est manifestement trop fermé, mais pas de cette façon. Contrairement à ce que ce projet de loi énonce, le niveau de qualification des personnes qui jugent les justiciables doit être revu à la hausse plutôt qu’à la baisse. Dans le système britannique, par exemple, seuls des avocats confirmés jouissant d’une excellente réputation professionnelle accèdent aux fonctions de magistrat professionnel. Dans le système que vous proposez, les citoyens assesseurs, même s’ils ne sont pas placés exactement au même rang que les magistrats, auraient des responsabilités qui pourraient dépasser leurs facultés.
Comme mon collègue Pierre Fauchon et moi-même le constations en 2007 dans notre rapport d’information sur le recrutement et la formation initiale des magistrats de carrière, la question est de savoir si les règles actuelles en la matière garantissent que la justice est rendue par des juges possédant les qualités, intellectuelles mais également humaines, nécessaires à l’acte de juger.
Par ailleurs, n’ayant ni la formation, ni l’expérience, ni le statut de magistrat, ces citoyens ne pourraient être récusés que pour l’une des causes de récusation applicables aux magistrats. Ainsi, loin de rendre la justice plus efficace, ce projet de loi induit une confusion des genres qui ajoute encore à son illisibilité, déjà plus que patente.
Les personnes amenées à juger au nom du peuple français – je le rappelle – ne peuvent le faire qu’après avoir acquis les compétences juridiques et l’expérience nécessaires à l’exercice de cette fonction. La tâche des citoyens assesseurs est présentée comme un devoir civique. Ces citoyens doivent présenter des garanties d’impartialité et de moralité. Ils doivent également prêter serment devant le tribunal de grande instance. Ces conditions apparaissent très nettement insuffisantes.
Ces citoyens assesseurs sont également censés faire partie du tribunal de l’application des peines, où ils doivent se prononcer sur les demandes de libération conditionnelle et d’aménagement de peine. Il est prévu qu’ils soient aussi présents en appel. Or ce domaine ne doit pas relever de la compétence de citoyens inexpérimentés et, pour certains, très jeunes, a fortiori si vous envisagez d’abaisser l’âge requis. Les carences de ces citoyens assesseurs en matière de technique juridique et de culture pénitentiaire les empêcheront en effet d’être en mesure de rendre des décisions pertinentes.
Par ailleurs, les moyens de la justice étant déjà insuffisants – cela a été souvent rappelé –, l’introduction de jurys populaires ne pourrait qu’entraver davantage son fonctionnement général. La mise en place de ce système entraînerait donc avant tout une détérioration des conditions de jugement, au détriment des personnes jugées.
Enfin, l’instauration de ces jurys populaires donnerait une part plus importante au caractère oral des débats et augmenterait la durée des délibérés. Loin de rendre la procédure plus fluide, cela ralentirait de manière considérable le déroulement des audiences, qui, rappelons-le, sont déjà surchargées.
Je pense donc que ce texte n’est pas le bon moyen pour renforcer ou plutôt pour recréer le lien censé unir les instances judiciaires et nos concitoyens.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Monsieur Mézard, ne vous méprenez pas sur le sens de mes propos : lorsque je souhaitais que les décisions de justice soient mieux acceptées par nos concitoyens, je pensais aux arrêts des cours d’assises, qui, en général, sont bien reçus et ne font guère l’objet de critiques, tout simplement parce que des jurés siègent dans ces formations et que nos concitoyens s’y sentent donc davantage représentés. Grâce à la présence des citoyens assesseurs, il devrait en aller de même en correctionnelle.
Ce raisonnement vaut aussi pour l’application des peines. Lorsqu’une affaire se passe mal, par exemple lorsqu’un récidiviste est libéré et qu’il commet ensuite un crime, les juges de l’application des peines sont stigmatisés, non par la majorité, l’opposition ou le Gouvernement d'ailleurs, mais par la population et les médias, ce qui est totalement injuste. Grâce à la présence de citoyens dans la formation de jugement, ces magistrats ne devraient plus servir de bouc-émissaires.
Pour le reste, un élément m’étonne dans ces explications de vote : chacun considère que les citoyens sont capables d’intervenir dans des procès criminels quand ils sont jurés mais pas de juger des affaires correctionnelles quand ils sont assesseurs. Or, théoriquement, le crime est l’infraction la plus grave. Sur ce point, je ne suis donc pas totalement convaincu.
Mme la présidente. La parole est à M. Robert Badinter, pour explication de vote.
M. Robert Badinter. Monsieur le rapporteur, excusez mes propos, mais vous avez une vision quelque peu irénique de la cour d’assises !
Mon cher collègue, je vous invite à fréquenter davantage les palais de justice. Vous y verrez que, à l’issue des procès d’assises, il y a d’un côté les victimes, ivres de rage parce que l’on n’a pas assez condamné, et, de l’autre, les amis de l’accusé, hors d’eux parce que la sanction a été trop lourde.
M. Robert Badinter. Pour ma part, je me souviens d’avoir dû quitter des palais de justice par des escaliers dérobés, à la demande des magistrats : on redoutait que ne me soit fait un mauvais sort, tout simplement parce qu’une vie humaine avait été sauvée, celle de l’accusé. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Jacques Mézard applaudit également.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 1er, modifié.
(L'article 1er est adopté.)
Article 1er bis (nouveau)
I. – À l’article 255 du même code, les mots : « vingt-trois » sont remplacés par les mots : « dix-huit ».
II. – Au deuxième alinéa (1°) de l’article 256 du même code, les mots : « à une peine égale ou supérieure à six mois d’emprisonnement » sont supprimés.
Mme la présidente. L'amendement n° 7, présenté par MM. Michel et Anziani, Mmes Klès et Tasca, M. Badinter, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Charles Gautier.
M. Charles Gautier. Le débat sur l’abaissement de 23 à 18 ans de la condition d’âge requise pour être juré n’est pas nouveau. Certains d’entre nous ont déjà eu à s’interroger sur l’opportunité d’une telle mesure lors de l’examen du projet de loi portant réforme de la procédure criminelle, en 1996.
En 1972, le législateur avait déjà fait le choix d’abaisser de 30 à 23 ans l’âge requis. Toutefois, aujourd’hui, les auteurs de cet article voudraient aller plus loin encore, en alignant la condition d’âge requise pour être juré sur celle qui est nécessaire à la majorité civile. Or il ne faut pas confondre cette dernière avec les capacités que requiert la qualité de juré.
On ne peut pas demander à un jeune citoyen qui vient d’avoir 18 ans d’avoir la maturité nécessaire pour affronter la réalité, souvent sordide, évoquée au cours des débats de cours d’assises.
En effet, la majorité des citoyens âgés de 18 à 23 ans sont de jeunes adultes qui ne travaillent pas, n’ont pas encore fondé de famille et n’ont guère d’expérience. Tous les sociologues s’accordent à le dire, si, aujourd’hui, nos jeunes sont adolescents plus tôt, ils deviennent adultes plus tard. La plupart d’entre eux ne possèdent pas encore le recul nécessaire afin d’appréhender l’ensemble des éléments auxquels ils devront faire face.
Il ne faut pas non plus oublier que le législateur a toujours cherché à assurer un équilibre entre les jurés citoyens et les magistrats professionnels. Ces derniers, vous le savez, mes chers collègues, commencent leur carrière tardivement et ont bien plus de 18 ans lors de leur prise de fonction.
L’exigence d’un âge de 23 ans vise aussi à garantir que les jurés ne pourront être excessivement plus jeunes que les magistrats. En effet, avec l’abaissement de l’âge requis pour être juré, les juges pourraient avoir une trop grande influence sur les trop jeunes membres du jury.
Si nous, membres du groupe socialiste, avons toujours cherché à associer les jeunes citoyens au fonctionnement de nos institutions, il ne nous semble pas approprié aujourd'hui, vu la gravité et la complexité des cas abordés aux assises, d’abaisser la condition d’âge requise pour être juré.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Je comprends tout à fait les objections qui viennent d’être formulées par M. Gautier.
Cependant, la commission a proposé de moderniser les conditions d’âge pour exercer les fonctions de juré ou de citoyen assesseur en les abaissant de 23 à 18 ans, c'est-à-dire l’âge de la majorité civique. Cette modification nous a semblé conforme à l’évolution des mœurs. En effet, un jeune majeur peut voter et assurer des mandats électifs. Il est susceptible de devenir maire, député et même Président de la République
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Eh oui ! Mais pas sénateur.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. C’est seulement pour être sénateur, en effet, qu’il devra attendre l’âge de 24 ans, puisque six années d’expérience municipale sont requises. Par conséquent, on ne voit pas pourquoi on lui interdirait de participer à l’œuvre de justice.
Il nous semble qu’il doit exister un lien fort, conformément à la logique du projet de loi, entre la citoyenneté et l’exercice de sa responsabilité au sein des juridictions.
En outre, je le rappelle, cet article renforce les conditions requises pour être juré ou citoyen assesseur, en exigeant qu’aucune condamnation pour crime ou délit ne figure au bulletin n°1 du casier judiciaire des personnes concernées. Or, actuellement, il est possible d’être juré même si l’on a été condamné à une peine d’emprisonnement inférieure à six mois.
La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement. Toutefois, je comprends que, sur une telle question, on puisse nourrir une conviction différente.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je comprends parfaitement le point de vue de M. Gautier, mais je resterai tout de même fidèle au texte de la commission.
Mme la présidente. Monsieur Gautier, l'amendement n° 7 est-il maintenu ?
M. Charles Gautier. Oui, je le maintiens, madame la présidente.
Mme la présidente. En conséquence, l'article 1er bis est supprimé.
Chapitre II
Participation des citoyens au jugement des délits
Article 2
La section 2 du chapitre Ier du titre II du livre II du code de procédure pénale est ainsi modifiée :
1° Il est créé un paragraphe 1 intitulé : « Dispositions générales » comprenant les articles 398 à 399 ;
2° Il est ajouté un paragraphe 2 ainsi rédigé :
« Paragraphe 2
« Du tribunal correctionnel citoyen
« Art. 399-1. – Pour le jugement des délits énumérés à l’article 399-2, le tribunal correctionnel est composé, outre des trois magistrats mentionnés au premier alinéa de l’article 398, de deux citoyens assesseurs désignés selon les modalités prévues par les articles 10-1 à 10-13. Il ne peut alors comprendre aucun autre juge non professionnel.
« Art. 399-2. – Sont jugés par le tribunal correctionnel citoyen, conformément à l’article 399-1, les délits suivants :
« 1° Les atteintes à la personne humaine passibles d’une peine d’emprisonnement d’une durée égale ou supérieure à cinq ans prévues par le titre II du livre deuxième du code pénal ;
« 2° Les vols avec violence prévus par le dernier alinéa de l’article 311-4, le 1° et le dernier alinéa de l’article 311-5 et l’article 311-6 du code pénal ;
« 3° Les destructions, dégradations et détériorations dangereuses pour les personnes passibles d’une peine d’emprisonnement d’une durée égale ou supérieure à cinq ans prévues par la section 2 du titre II du livre troisième du code pénal ;
« 4° L’usurpation d’identité prévue par l’article 434-23 du code pénal ;
« 5° Les infractions prévues par le code de l’environnement passibles d’une peine d’emprisonnement d’une durée égale ou supérieure à cinq ans.
« Art. 399-3. – Le tribunal correctionnel citoyen est également compétent pour connaître des contraventions connexes aux délits énumérés à l’article 399-2.
« Il est également compétent pour connaître, lorsqu’ils sont connexes à ceux énumérés au même article, les délits prévus par les 2°, 3°, 4°, 5° et 7° bis de l’article 398-1, ainsi que les délits d’atteintes aux biens prévus par les chapitres Ier et II des titres Ier et II du livre III du code pénal n’entrant pas dans les prévisions de l’article 398-2-1.
« Hors les cas prévus au présent article, le tribunal statue dans la composition prévue par le premier alinéa de l’article 398 pour le jugement des délits prévus à l’article 399-2 lorsqu’ils sont connexes à d’autres délits.
« Art. 399-4. – La décision sur la qualification des faits, la culpabilité du prévenu et la peine est prise par les magistrats et les citoyens assesseurs. Sur toute autre question, la décision est prise par les seuls magistrats.
« Art. 399-5. – Si le prévenu est jugé par défaut, le tribunal correctionnel saisi d’un délit entrant dans les prévisions de l’article 399-2 examine l’affaire dans sa composition prévue au premier alinéa de l’article 398 en l’absence de coprévenus à l’égard desquels il devrait être statué par jugement contradictoire ou contradictoire à signifier.
« Art. 399-5-1 (nouveau). – Lorsque l’action de la partie civile n’est pas jointe à celle du ministère public, le tribunal correctionnel statue dans sa composition prévue au premier alinéa de l’article 398 pour fixer le montant de la consignation en application de l’article 392-1.
« Art. 399-6. – L’ordonnance prévue au premier alinéa de l’article 179 précise, s’il y a lieu, que les faits relèvent des dispositions de l’article 399-2 et que l’affaire est renvoyée devant le tribunal correctionnel citoyen.
« Art. 399-7. – Lorsque le tribunal correctionnel citoyen est saisi selon la procédure de comparution immédiate, la procédure prévue par les articles 395 à 397-3 est applicable sous réserve des adaptations prévues aux articles 399-8 à 399-11.
« Art. 399-8. – Si la présentation devant le tribunal correctionnel citoyen n’est pas possible le jour même et si les éléments de l’espèce lui paraissent exiger une mesure de détention provisoire, le procureur de la République peut traduire le prévenu devant le juge des libertés et de la détention qui statue dans les conditions prévues à l’article 396.
« Lorsque le prévenu est placé en détention provisoire par le juge des libertés et de la détention, sa comparution devant le tribunal correctionnel citoyen doit intervenir à la première audience de ce tribunal et au plus tard dans le délai de huit jours. À défaut, le prévenu est mis d’office en liberté.
« Art. 399-9. – (Supprimé)
« Art. 399-10. – Lorsque le prévenu placé en détention provisoire en application de l’article 399-8 demande sa mise en liberté conformément à l’article 148-1, sa demande est portée devant le tribunal correctionnel composé conformément au premier alinéa de l’article 398.
« Art. 399-11. – La durée de la détention provisoire exécutée en application de l’article 399-8 s’impute sur la durée prévue aux deux derniers alinéas de l’article 397-3.
« Art. 399-12. – Lorsque le tribunal correctionnel composé conformément au premier alinéa de l’article 398 constate que la qualification retenue dans l’acte qui le saisit entre dans les prévisions de l’article 399-2, il renvoie l’affaire devant le tribunal correctionnel citoyen.
« S’il a été saisi selon la procédure de comparution immédiate, le tribunal correctionnel peut ordonner le placement sous contrôle judiciaire ou en détention provisoire du prévenu jusqu’à la date de l’audience de renvoi. Quelle que soit la procédure selon laquelle il a été saisi, il peut ordonner le maintien de ces mesures de sûreté jusqu’à cette date lorsque le prévenu en faisait l’objet lors de sa comparution. Les dispositions des articles 399-8, 399-10 et 399-11 sont applicables.
« Art. 399-13. – Lorsque le tribunal correctionnel citoyen constate que la qualification retenue dans l’acte qui le saisit relève du tribunal correctionnel composé conformément au premier alinéa de l’article 398, l’affaire est jugée immédiatement par les seuls magistrats.
« Lorsqu’il constate que la qualification retenue dans l’acte qui le saisit relève du tribunal correctionnel composé conformément au troisième alinéa de l’article 398, l’affaire peut être soit renvoyée devant le tribunal correctionnel ainsi composé, soit jugée par le seul président.
« Art. 399-14. – Lorsque le tribunal correctionnel dans sa composition prévue au troisième alinéa de l’article 398 constate que la qualification retenue dans l’acte qui le saisit relève des dispositions de l’article 399-2, il renvoie l’affaire devant le tribunal correctionnel citoyen. »
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Michel, sur l'article.
M. Jean-Pierre Michel. Avec cet article, nous abordons le problème des délits pour le jugement desquels on a choisi que les tribunaux seraient composés de citoyens assesseurs et de magistrats.
Personnellement, je l’ai dit, je ne suis pas défavorable à la participation des citoyens à l’œuvre de justice, non sous la forme qui est proposée ici, mais plutôt au travers de l’échevinage. Cela dit, pour quels délits cette procédure a-t-elle été retenue dans le projet de loi ?
Je n’ignore pas que la commission a mis un peu d’ordre dans la liste de ces infractions. Nous assistons d'ailleurs à un jeu de duettiste redoutable entre M. le garde des sceaux, représentant le Président de la République, et M. le rapporteur. Ce dernier, pour maquiller un peu les intentions du Gouvernement, a ajouté à la liste des délits visés les atteintes à l’environnement, un sujet extrêmement complexe d’un point de vue juridique.
Ainsi les citoyens assesseurs interviendront-ils en cas de violences aux personnes, d’agressions et d’infractions au code de l’environnement. Pourquoi cette précision ? Pour notre part, nous aurions préféré que l’on ajoute à la liste les délits de corruption.
En effet, les citoyens assesseurs auraient été particulièrement intéressés de savoir pourquoi les hommes politiques, qu’ils soient de droite ou de gauche d'ailleurs, sont tellement compromis avec les milieux d’affaires, et pourquoi il existe tant de procès pour ce chef. Toutefois, comme de juste, on n’a pas prévu ce genre de délits.
Par ailleurs, je ne comprends absolument pas le seizième alinéa de cet article – peut-être M. le garde des sceaux pourra-t-il m’éclairer à cet égard ? –, aux termes duquel les citoyens assesseurs délibéreront sur tout, sauf… « sur toute autre question ». Mais qu’est-ce qu’il reste ?
En effet, il ne s'agit pas d’exclure les citoyens assesseurs de la détermination des questions juridiques puisqu’ils délibéreront sur la qualification des faits, qui appartient tout à fait à cette catégorie et qui est extrêmement importante, notamment pour la suite de l’affaire en cause.
Tout cela montre que ce projet de loi a été très mal conçu, comme nous l’avons souligné hier soir. Ce n’est pas la peine de lui ajouter des dispositions : ce texte est mauvais, on ne peut plus mauvais !
Mme la présidente. La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat, sur l'article.
Mme Josiane Mathon-Poinat. La question de la participation des citoyens au fonctionnement de la justice est tout à fait raisonnable et sensée. Elle est malheureusement déviée et déformée par le Gouvernement, qui s’en sert, tout simplement, pour instrumentaliser la justice à des fins qui, elles, sont bien moins fondées.
En effet, l’association étroite des citoyens aux jugements peut constituer une réponse adaptée à l’interrogation fondamentale qui porte sur la légitimité démocratique de la justice.
L’élection des juges a été avancée dans certains cas, mais elle est extrêmement dangereuse, en ce sens qu’elle porte atteinte à l’indépendance et à l’impartialité de la justice et remet totalement en cause son exercice démocratique. L’échevinage ou l’association de citoyens volontaires et compétents à l’exercice de la fonction de juger, aux côtés de professionnels, permet de rendre le peuple acteur d’une certaine justice.
Cette solution apparaît comme une manière de renforcer la légitimité démocratique de la justice sans pour autant porter atteinte à son indépendance. Loin de là l’idée du Gouvernement ! S’il communique beaucoup là-dessus, il utilise surtout cette idée pour faire des citoyens le bras armé d’une justice qu’il souhaite – il faut bien le dire – de plus en plus répressive. Comme si l’augmentation des mesures de répression n’avait pas déjà démontré l’ampleur de son inefficacité ! Une fois de plus, il poursuit dans cette voie, mais par d’autres moyens, continuant ainsi une certaine surenchère.
Ainsi, le choix des tribunaux et l’affectation en leur sein d’affaires précises auxquels seront associés ces deux citoyens assesseurs sont marqués par cette vision biaisée de la société. Ces citoyens seront associés aux jugements des tribunaux d’application des peines et aux jugements des délits des tribunaux correctionnels. Mais que l’on se rassure, ils ne seront pas associés à tous les délits ! Dans l’esprit même du Gouvernement, les délits économiques et financiers n’intéressent en rien les citoyens, lesquels seraient, en revanche, particulièrement au fait des atteintes aux personnes…
L’exclusion de ces délits économiques ne saurait se justifier par une quelconque complexité qui rendrait illusoire, voire dangereuse, la participation des citoyens à de tels jugements. En effet, en matière d’application des peines, les citoyens seraient amenés à participer alors que les professionnels eux-mêmes constatent une grande augmentation de la complexité de ces jugements.
Voilà quel est l’enjeu de la participation des citoyens : l’augmentation de l’enfermement et de la sévérité pour des affaires « graves », qui « portent quotidiennement atteinte à la sécurité et à la tranquillité » des Français ; comme si les délits économiques et financiers n’étaient pas aussi graves et ne portaient pas atteinte aux citoyens…
Loin de nous inscrire dans cette vision dangereuse, nous nous prononçons pour une participation des citoyens qui prenne modèle sur l’existant : des citoyens experts comme les assesseurs qui siègent au sein des tribunaux pour enfants ou bien les représentants syndicaux au sein des tribunaux prud’homaux.
Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements identiques.
L'amendement n° 8 est présenté par MM. Michel et Anziani, Mmes Klès et Tasca, M. Badinter, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.
L'amendement n° 45 est présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche.
L'amendement n° 108 rectifié est présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Alain Anziani, pour présenter l’amendement n° 8.
M. Alain Anziani. Cet article 2 fixe la liste des infractions qui relèveront désormais de la compétence du tribunal correctionnel citoyen. Je voudrais quand même poser une question simple à M. le garde des sceaux et à M. le rapporteur pour les interroger sur la cohérence de ce choix.
À la lecture des textes, il apparaît qu’une ligne très précise est fixée. Elle consiste à viser « toutes les infractions qui portent atteinte à la cohésion de la société ». C’est vaste ! Après quoi, ce texte décline ce qu’est la cohésion de la société. Et il apparaît qu’au fond les infractions qui sont visées concernent les atteintes à la personne et les délits connexes à ces dernières. Cela m’amène à reprendre des propos déjà tenus pour vous demander si la corruption, l’escroquerie, l’abus de confiance et toutes les infractions commises en matière financière ne portent pas atteinte à la cohésion sociale.
On voit bien, lorsque se produisent une affaire comme celle de Jérôme Kerviel ou d’autres affaires beaucoup plus sensibles politiquement que la cohésion sociale se fragmente, s’émiette ! Dès lors, pourquoi ces infractions-là ne relèveraient-elles pas de la compétence du tribunal correctionnel citoyen ?
J’ai cru comprendre qu’il y avait une autre explication subsidiaire : que les infractions visées ne soient pas trop compliquées. J’observe quand même que notre excellent rapporteur nous a dit exactement le contraire voilà un instant. Ne vient-il pas de souligner que la cour d’assises se prononce sur des crimes qui revêtent une certaine complexité ? Et pourtant des jurés ne siègent-ils pas à la cour d’assises pour y examiner des affaires d’assassinats, de fausse monnaie, de proxénétisme aggravé et bien d’autres infractions ?
Si des jurés examinent d’ores et déjà ce genre d’affaires dans le cadre de la cour d’assises, pourquoi ne pourraient-ils pas se prononcer sur les cas que je viens d’énumérer : la corruption, le trafic d’influence et d’autres infractions comme l’homicide involontaire en matière d’accident du travail ou les délits d’entrave en matière de droit du travail ? Nous ne le savons pas et nous ne connaissons pas la raison pour laquelle ce texte vise à instaurer deux justices : une justice qui associe les citoyens, limitée à l’examen de certaines infractions, et une justice en dehors du regard du citoyen, réservée au traitement d’autres infractions qui concernent les affaires financières.
Mme la présidente. La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat, pour présenter l'amendement n° 45.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Cet article 2 crée, en effet, un nouveau tribunal correctionnel comprenant deux citoyens assesseurs, et précise ses compétences.
Il y a donc un nouvel échelon dans la complexité juridictionnelle : alors qu’existent les jugements correctionnels à juge unique, des tribunaux correctionnels composés de trois magistrats – voire de deux magistrats et d’un juge de proximité –, un nouveau tribunal correctionnel citoyen composé de trois magistrats et deux citoyens-assesseurs va voir le jour. À ce tribunal vont s’ajouter les tribunaux correctionnels pour enfants, sans oublier les instances d’appel.
Ce ne sont pas moins de cinq juridictions extrêmement différentes qui pourront ainsi juger les délits, ce qui pose avec toujours plus d’acuité la question de l’égalité des citoyens devant la justice.
En outre, les compétences de ce tribunal correctionnel citoyen sont pour le moins contestables, car il s’agit d’associer les citoyens en première instance et en appel aux affaires dites « sensibles », celles qui « portent atteinte quotidiennement à la sécurité et à la tranquillité de la population ».
Pour le moins politiques, elles concernent principalement les atteintes aux personnes ou délits contre les biens accompagnés de violence qui sont passibles d’une peine supérieure ou égale à cinq ans d’emprisonnement, mais aussi les délits d’usurpation d’identité ou encore les infractions au code de l’environnement.
Le Conseil constitutionnel, s’il reconnaît au législateur la possibilité d’établir une liste limitative de crimes et de délits appelant des règles de procédure pénale spéciales, pose tout de même la nécessité d’une liste claire et précise pour respecter le principe de légalité. Cette liste doit également être cohérente et justifiée pour respecter les principes de proportionnalité.
En l’espèce, le Gouvernement et le rapporteur ont tenté de créer une cohérence a posteriori, mais il est clair que cette sélection a été établie en fonction des faits pour lesquels le Gouvernement souhaite une réponse pénale plus ferme : les agressions sexuelles, les homicides involontaires ou encore les vols avec violence pour lesquels le Gouvernement estime que les juges seraient plus indulgents que les citoyens.
Nous sommes donc formellement opposés à l’introduction de citoyens assesseurs au nom de la poursuite de votre objectif illusoire d’efficacité sécuritaire augmenté et de défiance envers les magistrats.
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard, pour présenter l'amendement n° 108 rectifié.
M. Jacques Mézard. Par moments, ce débat revêt un caractère un peu surréaliste ! Lorsqu’on nous dit qu’il faut que les décisions de justice soient mieux acceptées, cela va à l’encontre de ce que j’avais compris, au fil de mon expérience acquise dans la vie juridique et judiciaire, à savoir qu’il n’appartenait à personne de critiquer les décisions de justice et de les remettre en cause.
Et, lorsque j’entends M. le rapporteur nous dire, prenant l’exemple de l’application des peines, que le fait d’associer deux citoyens assesseurs aux décisions prises pour statuer sur les libérations conditionnelles permettra de mieux faire accepter lesdites décisions, cela m’apparaît absolument stupéfiant !
S’agit-il de faire retomber la responsabilité de décisions qui ne correspondraient pas à ce que pense une certaine opinion publique sur ces citoyens assesseurs ? Faut-il comprendre que les magistrats professionnels vont se cacher derrière les citoyens assesseurs ?
Le métier des magistrats, c’est de rendre la justice et d’assumer leurs responsabilités. Ce n’est pas de chercher les paravents ! Et je crois que, là, vous faites totalement fausse route !
J’en viens à l’article 2.
Comme M. Badinter l’a très justement rappelé hier, le fait d’associer deux citoyens assesseurs à trois magistrats, n’en fait pas un système comparable aux jurés d’assises.
Par ailleurs, notre collègue Alain Anziani a très justement rappelé qu’il manquait certains délits sur la liste de ceux qui seraient visés. Nous avons déjà mentionné les lacunes : rien sur les délits financiers ! Rien sur le trafic de stupéfiants ! Ne croyez-vous pas, pour être totalement en accord avec vos objectifs, qu’il serait bon que des citoyens assesseurs voient ce qu’est le trafic de stupéfiants, ce que sont les conséquences de l’usage et du trafic des stupéfiants ? Mais vous, sur la liste des infractions visées, vous préférez inclure les homicides découlant des morsures de chiens ! C’est un choix, mais un choix extrêmement discutable !
Dans certains alinéas – nous y reviendrons –, l’articulation entre les diverses mesures est d’une complexité telle qu’elle donnera sans doute du travail à certains conseils. Je ne crois pas que ce soit une bonne solution. Ainsi, on voit bien les difficultés que pourra engendrer l’articulation avec la comparution immédiate. Tout cela n’est ni fait ni à faire ! Nous le répétons, c’est du mauvais travail législatif qui justifie la suppression de la totalité de cet article 2, comme celle du reste du texte d’ailleurs.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Ces amendements tendent à supprimer l’article 2, qui prévoit la participation des citoyens assesseurs au jugement des délits.
Il faut d’abord rappeler que ces dispositions, comme toutes celles qui concernent la participation des citoyens assesseurs aux juridictions pénales, présentent un caractère expérimental. Elles ne feront l’objet d’une généralisation qu’au vu des résultats de cette expérimentation à compter de 2014.
Votre commission a, par ailleurs, apporté des améliorations très significatives au dispositif proposé, qui suscitait quelques objections.
Le texte prévoyait que, dans le cadre de la comparution immédiate, le prévenu pourrait être placé en détention provisoire pour une durée pouvant aller jusqu’à un mois, le temps nécessaire pour permettre à la formation comprenant des citoyens assesseurs de se réunir.
Sur l’initiative de notre collègue François Zocchetto, votre commission a ramené ce délai de un mois à huit jours.
Les critiques portaient également sur le périmètre des infractions entrant dans le champ de compétence du tribunal correctionnel citoyen, limité aux violences aux personnes. Cette spécialisation revenait à « cibler » une catégorie de délinquants qui, le plus souvent, se recrutent au sein d’une frange particulièrement démunie de la population.
D’autres formes d’atteintes aux personnes aussi graves auraient continué de relever des seuls magistrats professionnels. Il n’était pas sûr que ce traitement différencié contribue à rapprocher les citoyens de l’œuvre de justice.
C’est pourquoi votre commission a décidé d’élargir le périmètre des compétences du tribunal correctionnel citoyen à l’ensemble des atteintes aux personnes passibles d’une peine d’emprisonnement égale ou supérieure à cinq ans. Ce critère semble cohérent au regard de la nature des infractions concernées et de leur gravité. Il recouvre, en outre, des formes de délinquance d’origine plus diverse que celle des faits de violence.
Ainsi, au-delà des seules violences relèveront, par exemple, du tribunal correctionnel citoyen, le délaissement d’une personne vulnérable, le fait de soumettre une personne vulnérable ou dépendante à des conditions de travail ou d’hébergement incompatibles avec la dignité humaine, les atteintes aux droits de la personne résultant des fichiers ou des traitements informatiques.
Nous avons ajouté à cette liste le délit d’usurpation d’identité, ainsi que les infractions prévues par le code de l’environnement dès lors qu’elles sont punies d’une peine égale ou supérieure à cinq ans d’emprisonnement.
Si la cohérence n’était pas totale, nous aurions l’ensemble de la période d’expérimentation pour tenter de nous approcher d’une cohérence plus parfaite.
J’en viens au problème de l’application des peines, domaine dans lequel je n’arrive décidément pas à trouver, pour le moment du moins, l’accord parfait avec M. Mézard. Je rappellerai simplement que ce qui peut choquer une partie de l’opinion, c’est le fait que des décisions prises par des cours d’assises, et donc par une majorité de jurés populaires, sont remises en cause soit par un juge de l’application des peines lorsque les condamnations sont de dix ans au moins, soit par d’autres magistrats professionnels.
Je ne pense pas que la présence de citoyens assesseurs va changer le fond des décisions prises. Mais je pense que les citoyens qui étaient représentés au niveau de la cour d’assises trouveront cohérent et satisfaisant d’être représentés également dans le domaine de l’application des peines.
J’émets, au nom de la commission, un avis défavorable sur les trois amendements de suppression.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Mesdames, messieurs les sénateurs, vous l'aurez compris, le Gouvernement tient à ce texte. Il ne peut donc qu’être défavorable à tout amendement de suppression.
Mme Éliane Assassi. Quel argument !
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 8, 45 et 108 rectifié.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. L'amendement n° 9, présenté par MM. Michel et Anziani, Mmes Klès et Tasca, M. Badinter, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Du tribunal de police correctionnel
La parole est à M. Robert Badinter.
M. Robert Badinter. Madame la présidente, j'indique d'emblée que je vais retirer cet amendement, car il s'agit avant tout d'ouvrir la discussion.
La dénomination qui a été retenue n'est pas bonne. En effet, on ne peut appeler cette nouvelle instance « tribunal correctionnel citoyen » quand il existe déjà un tribunal correctionnel composé exclusivement de magistrats, qui, eux aussi, sont des citoyens. Cette dénomination est donc trompeuse.
Il y a là, je le conçois bien, une difficulté, mais je souhaite que, au cours des travaux parlementaires, nous parvenions à une appellation plus satisfaisante que celle qui nous est proposée.
L'adjectif « populaire » est à exclure : il a subi, hélas ! trop de connotations désastreuses en matière judiciaire pour que nous l’envisagions ne serait-ce qu’un instant.
Pour ma part, je suggère, non pas le retour aux origines, c'est-à-dire à la terminologie du code d'instruction criminelle, car il ne s’agit que d’une proposition formulée plaisamment pour attirer l’attention sur le problème, mais « tribunal correctionnel mixte ».
Cette solution serait, pour les magistrats, tout de même préférable à celle qui consiste à laisser entendre que le tribunal composé uniquement de magistrats ne serait pas citoyen. De plus, une telle dénomination aurait le mérite de décrire effectivement la réalité de la composition de cette instance.
Cela étant précisé, je vais retirer l’amendement, mais libre à vous de le reprendre, monsieur le rapporteur, si vous le souhaitez ! (Sourires.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. La suite de la discussion parlementaire permettra vraisemblablement de trouver une appellation plus satisfaisante que celle qui a été retenue dans ce projet de loi.
J'avais émis quelques réticences sur la proposition « tribunal de police correctionnel », en raison de la confusion que cette appellation pourrait entretenir avec celle de tribunal de police.
M. le garde des sceaux se prononcera sur la suggestion de « tribunal correctionnel mixte ». À cet égard, je fais observer que certains de mes collègues souhaitaient que les deux citoyens assesseurs ne soient pas de même sexe. Ce tribunal serait alors doublement mixte : il compterait à la fois des citoyens et des magistrats et des hommes et des femmes !
Mme la présidente. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je reconnais que l'appellation retenue n'est pas la meilleure qui soit. On peut certainement trouver mieux, et je suis tout à fait ouvert à la discussion.
Pour autant, il faut absolument que demeure un tribunal correctionnel de droit commun, afin que soit strictement respectée la décision du Conseil constitutionnel de 2005.
J’ai bien entendu la suggestion de M. Badinter, mais il faut prendre garde au sigle qui ne manquera pas d’être utilisé dans la pratique : le ministère de la justice dispose de peu de moyens – vous n’avez d’ailleurs de cesse de le rappeler – et il est évidemment plus économique de recourir aux initiales ! (Sourires.) Or TCM, pour tribunal correctionnel mixte, pourrait entretenir une confusion avec le tribunal correctionnel pour mineurs.
En tout cas, d’ici à la fin de la navette parlementaire, je suis prêt à étudier la question avec le rapporteur et tous les parlementaires intéressés pour trouver l’appellation la plus adéquate.
M. Alain Anziani. Supprimez le tribunal correctionnel pour mineurs, ce sera plus facile !
Mme la présidente. L’amendement n° 9 est retiré.
L'amendement n° 109 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéa 6
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. L'alinéa 6 crée le « tribunal correctionnel citoyen » – appellation peut-être provisoire, donc –, composé, outre de trois magistrats, de deux citoyens assesseurs. Cet alinéa se conclut ainsi : « Il ne peut alors comprendre aucun autre juge non professionnel. »
Nous nous sommes déjà longuement expliqués sur les raisons pour lesquelles nous nous opposons à cette création tout à fait originale,…
M. Charles Gautier. Baroque !
M. Jacques Mézard. Oui, c’est le terme !
… et qui ne peut avoir aucun effet positif sur notre justice.
Voilà quelques semaines, sur l'excellent rapport de notre collègue Yves Détraigne, nous avons discuté des juges de proximité. Vous aviez supprimé les juridictions de proximité et prévu de demander aux juges de proximité de compléter les juridictions correctionnelles. Or le Conseil constitutionnel a déjà rendu une décision sur ce point : les magistrats professionnels doivent être majoritaires dans ces compositions.
En d’autres termes, monsieur le garde des sceaux, vous allez devoir vous priver de la présence de ces supplétifs qu’étaient les juges de proximité. Je me permets donc de vous poser à nouveau la question, puisque vous n’y avez toujours pas répondu : qu'allez-vous en faire ?
Par ailleurs, y a-t-il une cohérence entre le texte voté voilà un mois et le texte qui nous est soumis aujourd'hui ?
M. Jacques Mézard. C'est plutôt la cohérence dans l'incohérence ! C’est une nouvelle formule de la vie législative ! Encore une fois, nous avons la démonstration de l'absence totale de logique et de simple bon sens !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. La commission émet un avis défavorable.
La Haute Assemblée a contribué à sauvegarder la compétence des juges de proximité en matière civile. Il existera également des formations correctionnelles dans lesquelles les citoyens assesseurs ne seront pas présents et où le juge de proximité pourra trouver toute sa place.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est une subdivision du tribunal correctionnel !
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je fais miens les propos de la commission.
M. Mézard le sait bien : malheureusement, chaque année, environ 110 000 décisions sont rendues par les tribunaux correctionnels. Désormais, 40 000 le seront par les tribunaux correctionnels comprenant des citoyens assesseurs. Il restera 70 000 décisions rendues par des formations susceptibles de comporter des juges de proximité, qui rempliront par ailleurs les fonctions civiles qui leur ont été conservées à la suite du vote du Sénat, voilà quelques semaines.
Mme la présidente. Je suis saisie de sept amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 110 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéas 7 à 12
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Les alinéas 7 à 12 énumèrent les délits relevant de ce qui s’appelle encore le « tribunal correctionnel citoyen », c'est-à-dire « les atteintes à la personne humaine passibles d'une peine d’emprisonnement d’une durée égale ou supérieure à cinq ans », « les vols avec violence », « les destructions, dégradations et détériorations dangereuses pour les personnes passibles d’une peine d’emprisonnement d’une durée égale ou supérieure à cinq ans », « l'usurpation d'identité », « les infractions prévues par le code de l'environnement passibles d’une peine d’emprisonnement d’une durée égale ou supérieure à cinq ans ».
Nous avons déjà souligné que ce choix totalement arbitraire et discriminatoire n'avait d'autre but que d'utiliser un certain nombre d'affaires médiatisées pour justifier l'intégration de citoyens assesseurs dans la composition des tribunaux correctionnels. Des exemples sont mentionnés dans le rapport : chauffards, propriétaires de chien dont l'animal a provoqué une mort violente… Bref, il s’agit de délits ayant fait épisodiquement la une des journaux dans les dernières années ou les dernières semaines.
En revanche, on a pris soin d’omettre de cette liste toute une série d'infractions que, s’il fallait vraiment instituer les citoyens assesseurs, il aurait pourtant été opportun d’y faire figurer. Je pense notamment à la délinquance économique. Mais que faites-vous depuis des mois ? Vous vous employez à éliminer au maximum cette forme de délinquance de l'audience publique des tribunaux correctionnels !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Eh oui !
M. Jacques Mézard. Et, pour cela, vous utilisez la CRPC, la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité ou, pour des infractions moins graves, les ordonnances pénales, qui se multiplient. Voilà la réalité !
J’ai évoqué le trafic de stupéfiants. Certes, on peut mettre en avant le travail accompli, par exemple par les douanes, et c'est très légitime. Toutefois, si l’on considère que la lutte contre les infractions de ce type relève, comme c'est écrit dans le rapport, des « exigences de cohésion sociale », on ne peut que rester pantois, car c'est vraiment la démonstration que ce n'est pas une politique pénale, monsieur le garde des sceaux, mais que c'est une politique médiatique !
Mme la présidente. L'amendement n° 46, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 7
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« …° Les délits économiques et financiers prévus à l’article 704 du code de procédure pénale. »
La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Ce texte exclut du champ des compétences des tribunaux correctionnels citoyens les délits relevant du domaine économique et financier, qui intéressent néanmoins tout autant les citoyens.
Il nous semble indispensable que, si des citoyens doivent être associés aux tribunaux correctionnels, ils le soient également pour ces affaires, les décisions rendues n’étant pas plus sévères dans ce domaine que dans celui des atteintes aux personnes, bien au contraire.
Le laxisme des juges dénoncé par le Gouvernement semble étrangement s’arrêter aux délits économiques. L’impératif de renforcement du lien entre la population et l’institution judiciaire aurait-il des frontières ? À moins que vous n’ayez peur du jugement que porteront les citoyens sur ces délits-là…
Dès lors qu’il est envisagé de faire participer des citoyens aux tribunaux d’application des peines, qui sont notoirement confrontés à des situations pour le moins complexes, pourquoi empêcherait-on les citoyens de statuer aux côtés des magistrats sur les délits économiques et financiers ?
Car, s’il est un domaine où l’on peut parler d’évolution de la société, c’est bien celui-là ! On ne peut sélectionner ainsi, parmi les délits, ceux pour lesquels les magistrats auraient suivi cette évolution et ceux pour lesquels ils seraient à la traîne... C’est pourquoi, monsieur le garde des sceaux, par cet amendement, nous proposons d'aller au bout de votre propre logique.
Mme la présidente. L'amendement n° 158, présenté par M. Lecerf, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 9
Compléter cet alinéa par les mots :
, ainsi que les extorsions prévues et réprimées par les articles 312-1 et 312-2 du code pénal
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Cet amendement tend à réparer une omission. En effet, les extorsions, qui sont des infractions d’une particulière violence à l’égard des personnes, ont vocation à être jugées par le tribunal correctionnel citoyen.
Mme la présidente. L'amendement n° 12, présenté par MM. Michel et Anziani, Mmes Klès et Tasca, M. Badinter, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 10
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
…° – La corruption active et le trafic d’influence commis par les particuliers prévus aux articles 433-1 et 433-2 du code pénal.
La parole est à Mme Virginie Klès.
Mme Virginie Klès. Par cet amendement, nous entendons ajouter à la liste des délits relevant de la compétence du « tribunal correctionnel citoyen » la corruption active et le trafic d’influence. En effet, s’il est des délits qui sont médiatisés et dont la résolution n’est pas forcément bien comprise des citoyens, en tout cas les exaspère et fait naître toutes sortes de soupçons, ce sont bien ces affaires politico-financières où des élus se laissent corrompre. Car il s’agit d’argent public : ce n’est pas de l’argent qui n’a pas d’odeur ; c’est de l’argent qui vient de la poche des contribuables, des citoyens et qui est détourné de son utilisation première.
Ces délits et l’incompréhension qui découle éventuellement de la façon dont l’affaire a pu être jugée sont à mon sens porteurs de conséquences beaucoup plus graves que toutes les émotions ponctuelles qui sont soulevées par des faits divers, même s’il s’agit d’événements dramatiques.
C’est à partir de cela que se développe chez nos concitoyens une méfiance de fond. C’est cela qui les éloigne des structures politiques et du fonctionnement démocratique. Ces délits et le traitement auquel il donne parfois lieu ont, sur la cohésion républicaine, des effets certainement beaucoup plus destructeurs que tous les autres délits qui sont actuellement visés dans le projet de loi.
C’est la raison pour laquelle il nous paraît fondamental de les ajouter à la liste prévue.
M. Jacky Le Menn. Très bien !
Mme la présidente. L’amendement n° 10, présenté par MM. Michel et Anziani, Mmes Klès et Tasca, M. Badinter, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 11
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Jean-Pierre Michel.
M. Jean-Pierre Michel. Cet amendement vise à supprimer l’usurpation d’identité de la liste des délits relevant de la compétence du tribunal correctionnel avec participation de citoyens assesseurs. Mais je consens à le retirer parce que je sais M. le rapporteur très attaché à la mention de ce délit, et aussi parce que le tribunal aura très rarement à connaître de tels cas, le délit en question étant fort difficile à établir.
Mme la présidente. L’amendement n° 10 est retiré.
L’amendement n° 11, présenté par MM. Michel et Anziani, Mmes Klès et Tasca, M. Badinter, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Alinéa 12
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Jean-Pierre Michel.
M. Jean-Pierre Michel. En revanche, je ne retirerai pas cet amendement, qui tend à supprimer de ladite liste les infractions commises en matière d’environnement, car on ne voit pas très bien lesquelles seront concernées.
En la matière, les infractions sont multiples : volontaires ou involontaires, elles touchent tous les domaines de la nature, les rivières, le sol, l’air, et l’ensemble des activités, qu’il s’agisse de la chasse, de la pêche ou des cultures d’OGM. Tout cela est extrêmement technique, à tel point que la création d’une police spéciale en matière d’environnement est prévue et qu’une formation spécifique sera dispensée, au sein de l’ENM, afin que, au moins au niveau des cours d’appel, les magistrats siègent en chambres spécialisées pour juger les délits commis en matière d’environnement.
Que signifie donc un tel ajout à cette liste ? Je l’ai dit tout à l’heure, voilà une disposition purement cosmétique : vous maquillez la réalité pour l’enjoliver, pour faire croire que le dispositif ne se limite pas aux violences et aux atteintes aux personnes.
Soyez francs et reconnaissez donc que vos choix ne sont guidés que par une volonté purement répressive !
Mme la présidente. L’amendement n° 159, présenté par M. Lecerf, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Après l’alinéa 12
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« Le tribunal correctionnel citoyen n’est toutefois pas compétent pour le jugement des délits prévus au présent article lorsqu’il s’agit d’un délit mentionné aux articles 706-73 et 706-74 ou, sous réserve des dispositions de l’article 399-3, mentionné à l’article 398-1.
La parole est à M. le rapporteur, pour présenter cet amendement et pour donner l’avis de la commission sur les amendements qui n’émanent pas d’elle.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. L’amendement n° 159 vise à exclure de la compétence d’attribution du tribunal correctionnel comprenant des citoyens assesseurs les délits relevant de la délinquance organisée, comme le trafic de stupéfiants, ou les délits qui sont de la compétence du juge unique en application de l’article 398-1 du code de procédure pénale.
La commission est évidemment défavorable à l’amendement n° 110 rectifié, dont l’adoption aurait pour conséquence de vider totalement de son contenu cette compétence d’attribution.
Elle est également défavorable aux amendements nos 46 et 12, qui tendent à étendre la compétence du tribunal correctionnel citoyen, pour le premier, aux délits économiques et financiers, et, pour le second, aux délits de corruption active et de trafic d’influence.
L’intention des auteurs de ces deux amendements est sans doute de viser une délinquance en « col blanc », afin d’éviter le risque d’une justice à deux vitesses qu’aurait pu entraîner la spécialisation du tribunal correctionnel citoyen sur les faits de violence. Or ce risque est, me semble-t-il, en partie conjuré par l’extension, décidée par la commission, des compétences du tribunal correctionnel citoyen à l’ensemble des atteintes aux personnes.
En outre, à ce stade, il me semble préférable de garder des critères de compétence cohérents, articulés autour des atteintes aux personnes, ce qui n’exclut pas, bien sûr, au vu des résultats de l’expérimentation, de prévoir par la suite une nouvelle extension des attributions du tribunal correctionnel avec citoyens assesseurs.
Tout en remerciant mon collègue Jean-Pierre Michel d’avoir retiré l’amendement n° 10, relatif au délit d’usurpation d’identité, je ne peux qu’émettre un avis défavorable sur son amendement n° 11. Il nous a semblé que les infractions prévues par le code de l’environnement passibles d’une peine d’emprisonnement d’une durée égale ou supérieure à cinq ans, c’est-à-dire les infractions effectivement les plus graves en la matière, telles les pollutions maritimes, constituaient aussi et même fondamentalement des atteintes graves aux personnes.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Le Gouvernement est favorable aux amendements nos 158 et 159 de la commission et partage l’avis défavorable de cette dernière sur l’ensemble des autres amendements.
Mme la présidente. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, pour explication de vote sur l’amendement n° 12.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Si nous, écologistes, avons souhaité être cosignataires de cet amendement de repli, c’est parce qu’il nous semblait logique que votre « tribunal correctionnel citoyen » soit également compétent pour juger des délits financiers, notamment ceux de corruption active et de trafic d’influence commis par les particuliers.
À l’article 2, le Gouvernement précise en effet les compétences et les modalités de saisine du tribunal correctionnel comprenant deux citoyens assesseurs, puis énumère la liste des délits jugés par ce même tribunal correctionnel, mais en omettant les délits financiers.
Dans son esprit, les citoyens assesseurs ne seraient-ils donc pas suffisamment compétents pour juger de tels délits, qui touchent régulièrement la sphère politique française ? Dans ces cas précis, il semble ne pas s’en remettre à la vox populi… Comme c’est curieux !
Pourtant, parmi les délits dont aura à juger le tribunal correctionnel citoyen, novice en la matière, on trouve des délits beaucoup plus complexes, tels que les atteintes à la personne humaine ou encore les fameux délits environnementaux.
Faut-il le rappeler, ces citoyens assesseurs seront amenés à prendre la « décision sur la qualification des faits ». Or le doute plane sur la manière dont ils seront formés à la complexité de notre droit pénal.
La qualification des délits énumérés à l'article 2 est relativement délicate, notamment lorsqu’il s’agit de raisonner sur les éléments constitutifs de l’infraction. Je me permets de reprendre l’exemple des infractions prévues par le code de l’environnement, dont les subtilités peuvent même parfois échapper à des juristes généralistes. Le droit de l’environnement, extrêmement spécifique, est assez difficile à cerner. Si certains juristes, avocats et enseignants en droit, avouent éprouver des difficultés en la matière, on peut déduire que vos deux citoyens assesseurs ne manqueront évidemment pas de rencontrer des problèmes pratiques, sauf à ce que les magistrats présents dans la formation correctionnelle consacrent un temps important à leur expliquer les « bases » dans ce domaine.
Ce n’est donc pas l’excuse de la complexité des délits financiers qui a conduit le Gouvernement à les exclure de cette liste, auquel cas les atteintes à la personne, l’usurpation d’identité ou encore les infractions environnementales ne pourraient pas y figurer non plus !
Cette liste de délits, de laquelle les délits financiers ont été curieusement « oubliés », marque bien les limites de la confiance que place le Gouvernement dans ces jurés populaires.
Mme la présidente. L’amendement n° 111 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéas 13 à 15
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Les alinéas 13 à 15 de l'article 2, relatifs aux infractions connexes, loin d’être anodins, posent un véritable problème juridique, que j’ai déjà soulevé hier en défendant la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Ainsi que le relève le Gouvernement dans l’étude d’impact, « 1 500 affaires relevant de la compétence d’attribution du tribunal correctionnel avec des citoyens assesseurs seront en définitive jugées par le tribunal correctionnel sans citoyens assesseurs ».
L’aiguillage se fera selon qu’il existe ou non des infractions connexes. Or le Conseil constitutionnel a déjà rappelé, dans sa décision du 23 juillet 1975, que le respect du principe d’égalité « fait obstacle à ce que des citoyens se trouvant dans des conditions semblables et poursuivis pour les mêmes infractions soient jugés par des juridictions composées selon des règles différentes ».
Ce qui nous est proposé, avec ces alinéas 13 à 15, c’est une ventilation extrêmement compliquée des infractions connexes. À ceux d’entre vous, mes chers collègues, qui n’ont pas eu l’occasion de fréquenter les salles d’audience ou de rédiger des conclusions je précise que les magistrats professionnels, en particulier ceux du parquet, pourront arguer de l’existence ou non d’infractions connexes pour diriger les affaires vers telle ou telle composition de chambre.
Pour me répondre, on bottera certainement en touche, comme d’habitude, et on remplacera l’absence d’argument juridique par de l’onctuosité… (Sourires sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.) Il n’en reste pas moins, monsieur le garde des sceaux, que ce réel problème juridique est, avec d’autres éléments, de nature à vicier très fortement le dispositif de l’article 2, en particulier son alinéa 15 : « Hors les cas prévus au présent article, le tribunal statue dans la composition prévue par le premier alinéa de l’article 398… » – c’est-à-dire la composition classique – « … pour le jugement des délits prévus à l’article 399-2 lorsqu’ils sont connexes à d’autres délits. »
Voilà donc une possibilité d’aiguillage réellement arbitraire !
Vous pourrez toujours chercher toutes les explications possibles – et vous aurez d’ailleurs du mal à en trouver –, vous serez de toute façon bien en peine de répondre d’un point de vue technique à mon interrogation, laquelle justifie la suppression pure et simple de ces trois alinéas.
Mme Catherine Tasca et M. Jacky Le Menn. Très bien !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Monsieur Mézard, je m’efforcerai de ne pas confondre onctuosité et courtoisie !
Si vos remarques sont tout à fait dignes d’être prises en considération, on se trouve ici dans le cadre de l’application des règles en matière de connexité utilisées, par exemple, au niveau des cours d’assises. Le fait de revenir sur des règles différentes risquerait de vider de sa substance la compétence du tribunal correctionnel citoyen.
Par conséquent, la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Plus qu’une explication de vote, je voudrais faire une observation générale à la suite des avis exprimés par M. le rapporteur et M. le ministre.
À propos de la liste des délits entrant ou non dans le champ de compétence de ce tribunal, on a beaucoup parlé de « cohérence ». Vous-même, monsieur le rapporteur, avez tenté de rendre le dispositif plus cohérent. Mais il y a tout de même une certaine cohérence, et elle est déjà présente dans le projet initial.
Ainsi les délits visés sont-ils très connotés socialement et touchent-ils particulièrement les catégories populaires. Parce qu’ils sont fortement médiatisés par les journaux locaux, et surtout par la télévision – certains de ses journalistes ou animateurs se font quotidiennement les spécialistes de ce genre de « sujets » –, ces délits courants ternissent le « vivre ensemble » dans les quartiers populaires. Évidemment, dans les quartiers qui le sont beaucoup moins, c’est bien connu, on ne vit pas beaucoup ensemble : on vit entre soi !
Votre refus de sortir de cette logique est manifeste. Ainsi, lorsque nous proposons d’ajouter les délits financiers ou le trafic de stupéfiants à la liste – vous pouvez certes y voir de la provocation de notre part puisque nous sommes hostiles au principe ! –, vous ne nous donnez aucune raison valable pour vous y opposer.
Notre collègue Jacques Mézard soulève le problème des infractions connexes aux infractions entrant dans le champ de compétences du tribunal correctionnel citoyen. Ces dispositions nous entraînent dans une complexité très grande et aboutissent à de multiples incohérences puisque les infractions connexes peuvent être extrêmement diverses.
Vous vous préoccupez de la façon dont la société apprécie les décisions de justice. Toutefois, il faudrait se demander comment les auteurs d’infractions, qui sont aussi nos concitoyens, comprendront qu’ils soient renvoyés soit devant le tribunal correctionnel dit « citoyen » – avec tout ce que cette qualification peut avoir d’ambigu, cela a été dit –, soit devant le tribunal correctionnel composé uniquement de magistrats professionnels, ou encore devant le tribunal correctionnel comprenant d’ex-juges de proximité.
Quid de l’égalité des citoyens devant la justice ? Ces dispositions ne font que complexifier le fonctionnement de la justice aux yeux de nos concitoyens.
Mme la présidente. L'amendement n° 160, présenté par M. Lecerf, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 14
Après les mots :
de l’article 398-1,
rédiger ainsi la fin de cet alinéa :
ainsi que les délits d’atteintes aux biens prévus par le chapitre Ier du titre Ier et par les chapitres Ier et II du titre II du livre III du code pénal.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Il s’agit de simplifier l’écriture de l’alinéa et de supprimer des références inutiles ou erronées.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. L'amendement n° 112 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéa 16
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Je rappelle les termes de cet alinéa 16 : « La décision sur la qualification des faits, la culpabilité du prévenu et la peine est prise par les magistrats et les citoyens assesseurs. Sur toute autre question, la décision est prise par les seuls magistrats. »
Je souhaite obtenir une précision, monsieur le garde des sceaux, et je ne doute pas que vous allez me la donner.
J’ai sous les yeux les articles 384 et 385 du code de procédure pénale. Qu’en est-il des exceptions qui peuvent être proposées par le prévenu pour sa défense, le principe dans notre droit pénal étant, vous le savez, que le juge de l’action est le juge de l’exception ? Qu’en est-il, en particulier, des questions préjudicielles relatives à la qualification, sachant que les exceptions de nullité visées à l’article 385 restent – vous me le confirmerez certainement – de la compétence des magistrats professionnels ?
Pour le cas où ce texte trouverait application, ce sont là des débats très intéressants non seulement pour les praticiens, mais aussi et surtout, car c’est l’essentiel, pour les justiciables.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. La commission est défavorable à cet amendement.
Le texte, en l’espèce, reprend directement la disposition qui s’applique devant les cours d’assises. S’agissant des questions préjudicielles, si l’on prend le cas de celles qui sont liées à l’appréciation de légalité ou à l’interprétation d’un acte administratif, le droit qui s’appliquera – c’est le droit dégagé par le Conseil d’État et le tribunal des conflits – sera exactement le même que celui qui est applicable devant les juridictions d’assises.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Cet alinéa important ne saurait être supprimé : il prévoit que les citoyens assesseurs statueront non pas sur des incidents de procédure, mais uniquement sur la culpabilité et la peine. Comme vient de l’indiquer M. le rapporteur, cette disposition est similaire à celle qui s’applique pour les jurés d’assises
Elle ne devrait pas soulever de difficulté puisque les assesseurs feront l’objet d’une information générale adaptée. En complément, l’article 4 du projet de loi prévoit des adaptations nécessaires de la procédure devant les tribunaux correctionnels citoyens afin de garantir l’aptitude des citoyens assesseurs à participer de manière effective au jugement des affaires qui leur seront soumises.
Ces adaptations procédurales garantissent la constitutionnalité de l’intervention des citoyens assesseurs.
Pour autant, si ces garanties permettent aux citoyens assesseurs de se prononcer de manière éclairée sur la qualification des faits, la culpabilité et la peine, ainsi que le prévoit l’alinéa 16 de l’article 2 du projet de loi, les autres décisions techniques seront prises par les seuls magistrats professionnels.
Mme la présidente. La parole est à Mme Virginie Klès, pour explication de vote.
Mme Virginie Klès. Monsieur le ministre, je m’interroge sur la réelle efficacité d’une journée de formation en la matière.
Depuis maintenant trois ans que je me forme en droit au sein de notre assemblée, je suis encore loin de tout connaître et de tout comprendre. Dès lors, j’ai vraiment beaucoup de mal à imaginer qu’en une seule journée de formation les citoyens sélectionnés sur la base d’un tirage au sort seront tous capables, quels que soient leur milieu social et leur niveau culturel, d’assurer avec compétence les missions qu’on va leur confier.
Mme la présidente. L'amendement n° 113 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéas 17 et 18
Supprimer ces alinéas.
La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Ces deux alinéas dont nous demandons la suppression instaurent en réalité des procédures de renvoi en cas de jugement par défaut, c’est-à-dire quand le prévenu ne se présente pas, ou en cas d’audience de fixation de la consignation de la partie civile, c’est-à-dire du plaignant.
On peut s’étonner de ce système, et d’abord parce que les parties civiles peuvent être présentes à l’audience de jugement par défaut. Ensuite, dans tous les cas, si le prévenu fait opposition, il sera jugé par la formation créée à l’article 399-1.
La bonne administration de la justice et le principe d’égalité devant la loi imposent, selon nous, que toutes les infractions relevant de l’article 399-2 nouveau soient jugées par une formation identique.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. La commission émet un avis défavorable.
En l’occurrence, il ne s’agit pas de procédures de renvoi. Ce sont des cas où le tribunal qui statue doit être exclusivement composé de magistrats.
En l’espèce, nous estimons que, dans l’hypothèse où le prévenu est absent et où il n’y a pas de coprévenus, il n’est pas utile de faire appel aux assesseurs citoyens.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Le Gouvernement émet le même avis. Il s’agit de mesures d’administration judiciaire.
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.
M. Jacques Mézard. La réponse qui m’est apportée à la fois par la commission et par le Gouvernement est parfaitement compréhensible. Toutes les opinions sont respectables, en particulier en matière juridique. Cependant, monsieur le rapporteur, monsieur le garde des sceaux, votre raisonnement me paraît illogique. Vous considérez que le citoyen assesseur ne doit pas participer au tribunal lorsqu’il y a jugement par défaut. Or un jugement par défaut implique une décision.
D’un côté, vous visez un certain nombre d’infractions qui justifient la composition du « tribunal correctionnel citoyen », futur ex-citoyen, mais, d’un autre côté, si le prévenu ne vient pas, exit le citoyen assesseur. C’est la démonstration qu’il s’agit bien là d’un problème d’opinion publique et de médiatisation !
Je rappelle en outre que le prévenu condamné par défaut peut faire opposition dans certains cas. D’autres voies de recours peuvent aussi être utilisées.
Mme la présidente. La parole est à Mme Virginie Klès, pour explication de vote.
Mme Virginie Klès. J’espère qu’au cours de la journée de formation vous n’oublierez pas d’expliquer aux citoyens assesseurs tous ces systèmes et procédures de renvoi d’une formation à une autre afin qu’ils comprennent pourquoi, parfois, ils siègent tandis que, en d’autres occasions, ils ne siègent pas. Cela va les intéresser !
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il faudra expliquer aussi au prévenu que, s’il ne se présente pas, il sera jugé de telle façon et, s’il se présente, de telle autre. Il pourrait d’ailleurs, s’il est bien informé, choisir d’être présent ou non en fonction de la formation devant laquelle il sera jugé et de sa sévérité, ou de sa bienveillance, présumée. On frise le ridicule !
Vous avez fixé une liste de délits relevant du tribunal correctionnel citoyen. Ou vous vous y tenez ou vous entrez dans une autre logique ! Faut-il, comme l’a dit Jacques Mézard, que le citoyen voie la tête du prévenu pour juger de telle ou telle façon ? C’est absolument injustifiable ! Il faut vraiment arrêter cela !
Ce raisonnement ne correspond pas du tout à votre propre logique puisque celle-ci est censée se fonder sur certaines catégories de délits.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. J’ajouterai deux arguments complémentaires, sans espérer pour autant emporter la conviction des adversaires de ce projet…
Tout d’abord, l’oralité des débats est un élément important devant le tribunal correctionnel. Ils n’auront guère d’intérêt en l’absence du prévenu, s’il n’y a pas de coprévenus.
Ensuite, on finira bien par retrouver la personne qui aura été jugée par défaut, à moins qu’elle ne se soit volatilisée à tout jamais dans la nature ! Elle passera alors devant la formation correctionnelle avec les assesseurs citoyens.
Il me semble qu’il y a là une certaine cohérence.
Mme la présidente. L'amendement n° 114 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéa 19
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Madame la présidente, si vous le permettez, je présenterai en même temps les amendements nos 115 rectifié, 116 rectifié, 117 rectifié et 118 rectifié.
Mme la présidente. J’appelle donc en discussion l'amendement n° 115 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéa 20
Supprimer cet alinéa.
L'amendement n° 116 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéas 21 et 22
Supprimer ces alinéas.
L'amendement n° 117 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéa 24
Supprimer cet alinéa.
L'amendement n° 118 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéa 25
Supprimer cet alinéa.
Alinéa 24
Supprimer cet alinéa.
Veuillez poursuivre, monsieur Mézard.
M. Jacques Mézard. Avant de les défendre, madame la présidente, je me permettrai de réagir à ce que je viens d’entendre.
Un jugement par défaut n’a pas lieu seulement dans le cas où l’on ne retrouve pas le prévenu. Il se peut que le prévenu soit absent tout simplement parce qu’il n’a aucune envie de comparaître.
Avec votre système à multicomposition, véritable usine à gaz, le prévenu pourra préférer être condamné par défaut, surtout dans les petites juridictions, plutôt que de comparaître devant la juridiction composée avec des citoyens assesseurs. Du reste, c’est déjà ce qu’on observe de plus en plus sur le terrain : aujourd'hui, mes chers collègues, beaucoup de prévenus font volontairement le choix de ne pas comparaître. Et, soulignons-le, cela ne change guère le cours des choses !
Les amendements nos 114 rectifié et 115 rectifié sont des amendements de coordination.
C’est également le cas des amendements nos 116 rectifié, 117 rectifié et 118 rectifié, mais ils vont un peu au-delà de la coordination et je souhaite apporter à leur propos quelques explications complémentaires.
L’article 399-8 institue, à l’instar des articles suivants, des procédures de renvoi d’une formation à l’autre qui sont extrêmement complexes.
Vous ne cessez de nous faire examiner des lois de « simplification du droit », et dans le même temps, hélas ! de compliquer les textes. Ces procédures complexes alourdiront encore davantage le fonctionnement, déjà peu simple, des juridictions. Cette usine à gaz sera incompréhensible tant pour les citoyens assesseurs que pour les victimes et pour les prévenus.
Pour ce qui est des citoyens assesseurs, ils devront assimiler en une journée ce dont nous débattons depuis hier ! Et vous, mes chers collègues, vous êtes déjà très avertis de ces sujets, tandis que la plupart des futurs assesseurs, eux, ne possèdent pas vos connaissances. Pourtant, après cette unique journée de formation, ils devront statuer sur la qualification, la culpabilité et la sanction, ce qui représente tout de même une responsabilité. Quel étrange système ! Et quelle curieuse conception de la justice !
Par ailleurs, ce dispositif ouvre la voie à des dysfonctionnements encore plus importants. Si le prévenu placé en détention provisoire ne peut être jugé par le tribunal citoyen dans les huit jours, il sera automatiquement remis en liberté. On pourra ainsi voir libérées des personnes dangereuses pour la société, des récidivistes ! Nul doute que cela provoquera quelques réactions médiatiques, ce qui vous conduira à nous proposer de nouveaux textes...
Cela étant dit, je tiens à rappeler que, pour nous, la privation de liberté doit être l’exception absolue.
Quoi qu'il en soit, en élaborant ces mécanismes d’une complexité extrême, vous allez à l’encontre de ce que vous souhaitez puisque cet article crée la possibilité, qui n’existait pas auparavant, de libérer par anticipation des personnes pouvant présenter un danger, alors que l’objectif du projet de loi était précisément – autant dire les choses comme elles sont ! – d’aggraver les peines pour mettre ces personnes hors d’état de nuire. Souvenons-nous de la colère du chef de l’exécutif contre les magistrats après les affaires de Grenoble ou de Pornic !
Nous avons donc la démonstration de l’inopportunité de ce texte, qui va à l’encontre de sa finalité première. Par conséquent, la suppression de ces alinéas s’impose.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Avant de donner cet avis, je souhaite poursuivre le débat doctrinal...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Et pédagogique !
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. ... qui m’oppose à M. Mézard, et lui rappeler les dispositions des articles 379-2 et 379-3 du code de procédure pénale, relatifs au défaut en matière criminelle.
L’article 379-3 dispose que, dans l’hypothèse où l’accusé est absent devant la cour d’assises, « la cour examine l’affaire et statue sur l’accusation sans l’assistance des jurés, sauf si sont présents d’autres accusés jugés simultanément lors des débats ».
M. Jacques Mézard. Nous ne parlons pas de la cour d’assises !
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Nous avons donc aligné le dispositif de la procédure par défaut devant le tribunal correctionnel citoyen sur celui qui existe, et fonctionnait jusqu’à présent avec une certaine cohérence, devant la cour d’assises.
J’en viens à l’amendement n° 114 rectifié. Il tend à supprimer les dispositions précisant que l’ordonnance de renvoi du juge d’instruction indique si les faits relèvent de la compétence du tribunal correctionnel citoyen. Cette précision a semblé utile à la commission, car elle devrait favoriser une orientation des affaires conforme aux règles de compétence et éviter les renvois. L’avis de la commission sur l’amendement est donc défavorable.
L’amendement n° 115 rectifié tend à supprimer la compétence du tribunal correctionnel citoyen en matière de comparution immédiate. Je rappelle que le dispositif relatif à la compétence en cette matière a été amélioré sur l’initiative de François Zocchetto, qui a proposé de ramener de un mois à huit jours le délai maximal de détention provisoire du prévenu.
Les retours d’expérience obtenus dans le cadre de l’expérimentation seront particulièrement précieux, car ils permettront d’identifier de manière plus précise les difficultés pratiques que pourraient entraîner ces dispositions. Nous pourrons apporter les compléments éventuellement nécessaires au moment de la généralisation de l’expérimentation. J’émets donc un avis défavorable.
Par cohérence, l’avis de la commission est défavorable sur les amendements de coordination nos 116 rectifié, 117 rectifié et 118 rectifié.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je souhaite revenir sur les questions très techniques soulevées par M. Mézard, qui est orfèvre en la matière…
Il existe deux procédures différentes devant le tribunal correctionnel : le jugement rendu par défaut et le jugement réputé contradictoire, à signifier.
Dans la procédure par défaut, la personne qui doit être jugée ne sait même pas qu’elle doit comparaître, car on ne l’a pas trouvée, et le jugement est technique. Lorsque l’on prend connaissance du jugement prononcé par défaut, il est possible d’y faire opposition et la procédure peut alors reprendre en première instance. Dans le cas d’un jugement par défaut, les jurés citoyens n’apporteraient rien de particulier puisque la personne à juger, ne sachant pas qu’elle doit comparaître, n’est pas là. Lorsqu’elle aura connaissance du jugement, elle pourra faire opposition et la procédure devant le tribunal correctionnel citoyen interviendra à ce moment-là.
Dans le cas du jugement réputé contradictoire, la personne sait qu’elle doit être jugée, mais elle ne se présente pas devant le tribunal. Dans cette situation, les jurés citoyens participent au jugement, et le stade ultérieur de la procédure n’est pas l’opposition, mais l’appel. Le jugement aura donc lieu devant la cour d’appel.
Il convient de distinguer ces deux procédures ; tel est l’objet des dispositions figurant dans le texte de la commission, auquel le Gouvernement apporte son soutien.
Pour ces raisons, j’émets un avis défavorable sur les amendements présentés par M. Mézard.
Mme la présidente. La parole est à Mme Virginie Klès, pour explication de vote.
Mme Virginie Klès. Certains principes très simples, comme une participation plus importante des citoyens au fonctionnement de la justice, peuvent se révéler extrêmement difficiles à mettre en œuvre. Dans ces cas-là, me semble-t-il, le bon sens devrait nous conduire à prendre le temps de la réflexion et de la concertation. Au lieu de cela, vous présentez des textes en procédure accélérée, ce que rien ne justifie. Cette procédure, au contraire, va à l’encontre des objectifs poursuivis.
En compliquant à outrance le fonctionnement de la justice, vous le rendez totalement incompréhensible pour les citoyens, alors même que vous souhaitez les faire participer davantage au fonctionnement de la justice. Et c’est ainsi que vous créez de l’incompréhension, donc de la méfiance.
En outre, les procédures seront tellement complexes que nombre d’entre elles ne pourront aboutir faute que leurs règles aient été respectées. Comment nos concitoyens pourront-ils comprendre que l’on remette des personnes dangereuses en liberté tout simplement parce que les procédures sont complexes au point d’être rendues pratiquement inapplicables ?
Ce texte va donc à l’encontre des intentions affichées, du fait même de ses visées médiatiques, populistes ou électoralistes ! Sans doute allez-vous me dire, monsieur le garde des sceaux, que je ne fais pas dans la nuance, mais, face à cette véritable mise à mal de la justice, ce sont les mots qui me viennent à l’esprit, et encore aurais-je plus en employer de plus forts.
Mme la présidente. Je mets aux voix l’amendement n° 118 rectifié.
(L’amendement n’est pas adopté.)
(M. Guy Fischer remplace Mme Monique Papon au fauteuil de la présidence.)
PRÉSIDENCE DE M. Guy Fischer
vice-président
M. le président. Je suis saisi de trois amendements présentés par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi.
L’amendement n° 119 rectifié est ainsi libellé :
Alinéas 26 et 27
Supprimer ces alinéas.
L’amendement n° 120 rectifié est ainsi libellé :
Alinéas 28 et 29
Supprimer ces alinéas.
L’amendement n° 121 rectifié est ainsi libellé :
Alinéa 30
Supprimer cet alinéa.
La parole est à M. Jacques Mézard, pour présenter ces trois amendements.
M. Jacques Mézard. Selon l’alinéa 16 de l’article 2, voté voilà quelques instants dans l’enthousiasme par le Sénat, « la décision sur la qualification des faits [...] est prise par les magistrats et les citoyens assesseurs ».
Quant à l’alinéa 28, il dispose : « Lorsque le tribunal correctionnel citoyen constate que la qualification retenue dans l’acte qui le saisit relève du tribunal correctionnel composé conformément au premier alinéa de l’article 398, l’affaire est jugée immédiatement par les seuls magistrats. »
Aux termes de l’alinéa 29, lorsque le même tribunal « constate que la qualification retenue dans l’acte qui le saisit relève du tribunal correctionnel composé conformément au troisième alinéa de l’article 398, l’affaire peut soit être renvoyée devant le tribunal correctionnel ainsi composé, soit jugée par le seul président ».
Voilà donc deux citoyens assesseurs, siégeant aux côtés de trois magistrats professionnels, qui, après une journée de formation, devront statuer, avec voix délibérative, sur la qualification retenue dans l’acte qui les saisit. Avec tout le respect que je dois au Gouvernement, au garde des sceaux et à la commission des lois, je me demande si c’est bien sérieux !
On nous répliquera sans doute en évoquant les cours d’assises... Mais, dans une année, ce ne sont guère que 2 000 affaires qui relèvent des assises…
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Cela ne change rien au regard de la formation !
M. Jacques Mézard. … tandis que les tribunaux correctionnels traitent des dizaines de milliers d’affaires !
Ces alinéas constituent en outre une véritable usine à gaz. Les barreaux comptent de nombreux excellents avocats : à l’évidence, ils vont, très légitimement, se ruer sur cette mine procédurale pour contester les qualifications et contraindre la juridiction saisie à statuer sur la composition du tribunal – trois magistrats professionnels ou le seul président ? – et l’ordre retenu.
De quelle imagination fertile vous avez dû faire preuve pour rédiger une telle loi !
Monsieur le garde des sceaux, j’ai sous les yeux l’édition de 1809 du code d’instruction criminelle. Je le consulte de temps en temps, car c’est un modèle d’écriture législative, qui a permis d’élaborer une véritable politique pénale. Votre texte, en revanche, est tellement complexe qu’il aura pour seul effet de faire perdre du temps et d’allonger considérablement les délais. Il interdira de rendre une bonne justice !
Cette dérive, qui nous inquiète, justifie nos amendements de suppression.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Il existe trois formations possibles en matière correctionnelle : le juge unique, la formation collégiale exclusivement composée de magistrats professionnels et la formation collégiale composée non seulement de magistrats professionnels, mais également de citoyens assesseurs. Il faut bien prévoir des mécanismes de renvoi vers l’une ou l’autre de ces formations au cas où l’on aurait fait, dans un premier temps, le mauvais choix.
Pour ces raisons pratiques et pragmatiques, j’émets un avis défavorable sur les trois amendements.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l’article 2, modifié.
(L’article 2 est adopté.)
Article 3
La section 4 du chapitre Ier du titre II du livre II du code de procédure pénale est complétée par un paragraphe 5 ainsi rédigé :
« PARAGRAPHE 5
« Dispositions applicables devant le tribunal correctionnel citoyen
« Art. 461-1. – (Non modifié) La présente section est applicable lorsque le tribunal correctionnel est composé conformément à l’article 399-1, sous réserve des adaptations prévues au présent paragraphe.
« Art. 461-2. – (Non modifié) Avant l’ouverture des débats relatifs à la première affaire qu’ils sont appelés à examiner au cours de l’audience, le président rappelle aux citoyens assesseurs qu’ils sont tenus de respecter les prescriptions de l’article 304 dont il leur expose la teneur.
« Art. 461-3. – (Non modifié) Après avoir procédé aux formalités prévues par les articles 406 et 436, le président du tribunal correctionnel ou l’un des magistrats assesseurs par lui désigné expose, de façon concise, les faits reprochés au prévenu et les éléments à charge et à décharge figurant dans le dossier.
« Dans son rapport oral, il ne doit pas manifester son opinion sur la culpabilité du prévenu.
« À l’issue de son rapport, il donne lecture de la qualification légale des faits objets de la poursuite.
« Art. 461-4. – (Non modifié) Lorsqu’il est fait état, au cours des débats, des déclarations de témoins à charge ou à décharge entendus au cours de l’enquête ou de l’instruction et si ces témoins n’ont pas été convoqués ou n’ont pas comparu, le président donne lecture de leurs déclarations, intégralement ou par extraits.
« Le président donne également lecture des conclusions des expertises.
« Il veille à ce que les citoyens assesseurs puissent prendre utilement connaissance des éléments du dossier.
« Art. 461-5. – (Non modifié) Les citoyens assesseurs peuvent, comme les assesseurs magistrats, poser des questions au prévenu, à la partie civile, aux témoins et aux experts en demandant la parole au président.
« Ils ont le devoir de ne pas manifester leur opinion. »
M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.
L’amendement n° 13 est présenté par MM. Michel et Anziani, Mmes Klès et Tasca, M. Badinter, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
L’amendement n° 47 est présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du parti de gauche.
L’amendement n° 122 rectifié est présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Catherine Tasca, pour présenter l’amendement n° 13.
Mme Catherine Tasca. Cet amendement de suppression de l’article 3, qui introduit dans le code de procédure pénale des dispositions applicables devant le tribunal correctionnel citoyen, traduit notre opposition fondamentale à la création d’un tribunal comprenant des citoyens assesseurs.
Nous entrons là dans le déroulement concret de l’audience.
Toute l’ambiguïté du projet de loi tient à ce qu’il ne modifie pas en profondeur la procédure actuelle, et cela pour des considérations tenant au rendement de la justice : la procédure correctionnelle continue à reposer sur l’examen d’un dossier relatant une procédure d’enquête écrite, à laquelle vient s’ajouter une dose d’oralité, obligatoire pour permettre aux citoyens assesseurs de comprendre et de suivre les débats.
Selon l’étude d’impact, « les citoyens assesseurs seront accueillis au sein de la juridiction par le personnel de justice (magistrats, greffiers, fonctionnaires). Ils bénéficieront de sessions de présentation du fonctionnement de la justice pénale. » Mme Klès nous a décrit, avec humour, leur probable déroulement…
« Après cette familiarisation avec la chaîne pénale, les citoyens assesseurs seront amenés à exercer leur responsabilité éminente qui est celle de juger ».
À l’issue de cette familiarisation, les citoyens assesseurs sont donc convoqués pour siéger à l’audience. Avant l’ouverture des débats relatifs à la première affaire qu’ils sont amenés à juger, l’article 3 prévoit que, le président rappelle aux citoyens assesseurs qu’ils sont tenus de respecter les prescriptions de l’article 304 du code de procédure pénale : il s’agit du serment des jurés d’assises, que l’on n’a pas cru bon de faire prêter aux citoyens assesseurs, mais auquel ils doivent se conformer !
Puis, après avoir constaté l’identité du prévenu, donné connaissance de l’acte qui a saisi le tribunal et ordonné aux témoins de se retirer, le président ou le juge désigné par lui « expose » – c’est l’alinéa 6 –, « de façon concise, les faits reprochés au prévenu et les éléments à charge et à décharge figurant dans le dossier ».
La procédure change donc un peu de nature : elle devient plus orale, même si, selon l’alinéa 11, le président doit veiller « à ce que citoyens assesseurs puissent prendre utilement connaissance du dossier ».
Toutefois, rien n’est prévu pour que les citoyens assesseurs prennent connaissance du dossier en dehors du temps de l’audience. L’accès au dossier aura lieu pendant le temps de l’audience, ce qui pourra avoir deux conséquences : soit le temps de l’audience sera considérablement rallongé pour permettre aux citoyens assesseurs de comprendre le dossier ; soit, pour ne pas rallonger les débats, cet accès au dossier sera réduit à sa plus simple expression.
Dans la seconde hypothèse, les citoyens assesseurs seront très démunis par rapport aux magistrats professionnels et ne seront pas à même d’apporter un concours éclairé. Or c’est plutôt cette solution qui sera la règle, car le temps d’audience ne pourra pas être indéfiniment rallongé, sauf à risquer de paralyser complètement le système : Jean-Paul Garraud, responsable de la justice à l’UMP, a d’ailleurs exprimé cette crainte dans son rapport sur le sujet.
M. le président. Vous avez de bonnes références, madame Tasca ! (Sourires sur les travées du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour présenter l’amendement n° 47.
Mme Éliane Assassi. Nous l’avons dit, cette réforme a été conçue dans un contexte de réponse immédiate à des faits divers et n’a pas bénéficié du temps nécessaire à une élaboration cohérente.
Nous avons exposé les raisons de notre opposition à l’introduction des citoyens assesseurs au sein des tribunaux correctionnels, telle que la prévoit le projet de loi. Au-delà de ces raisons, nous constatons que celui-ci n’adapte même pas la procédure à la présence de ces nouveaux citoyens assesseurs, posant ainsi un véritable problème de cohérence.
Ainsi, le déroulement de l’audience, qui repose sur l’examen d’un dossier et sur une procédure d’enquête écrite, n’est pas modifié en profondeur par l’article 3 : on se contente de juxtaposer aux dispositions existantes des dispositions qui introduisent un peu d’« oralité », ce qui est bien le minimum pour permettre la compréhension des affaires par des citoyens peu formés.
Les jurés ne connaissent pas le dossier de l’affaire ; ils n’y ont pas accès, contrairement aux juges qui l’ont en leur possession. Il faut donc que les juges ouvrent l’audience en ayant à l’esprit que les citoyens assesseurs ne connaissent pas les éléments du dossier, qu’il leur faut donc retranscrire à l’oral.
Une transformation totale des débats s’opère, alors que la procédure n’est, je l’ai dit, que très superficiellement modifiée par l’article 3.
D’abord, sans faire prêter serment aux citoyens assesseurs, comme il est demandé de le faire aux jurés d’assises, le président du tribunal doit néanmoins leur rappeler qu’ils sont tenus de respecter les obligations qui découlent de ce serment.
Ensuite, le président doit exposer, à l’ouverture des débats, les faits reprochés au prévenu, ainsi que les éléments à charge et à décharge, et donner lecture, au cours des débats, des déclarations des témoins et des rapports d’expertise.
Outre les soupçons que ces dispositions peuvent susciter quant à l’impartialité du juge, on se rend compte de la lourdeur d’une telle procédure et de son inadéquation à une audience correctionnelle au long de laquelle les jurés pourront de surcroît poser des questions.
Les citoyens assesseurs se trouveront au cœur d’une procédure qui, en réalité, n’a pas été pensée pour eux : d’un côté, une partie de la procédure leur est exposée à l’oral – il faudra bien prévoir à cet effet un temps d’audience supplémentaire – ; de l’autre côté, la procédure écrite est conservée, une grande importance restant attachée aux dossiers, qui sont tenus à disposition des assesseurs, mais sans que soit prévu un temps d’« appropriation » en dehors de l’audience, pas même en amont de celle-ci !
Un grand déséquilibre naît de cette inadéquation entre la procédure et l’introduction de citoyens assesseurs dans les tribunaux correctionnels : les magistrats seront en pleine possession de dossiers auxquels ils ont l’habitude d’être confrontés, alors que les citoyens n’auront ni le temps ni les moyens de maîtriser pleinement tant ces dossiers que les rouages de la procédure.
Au lieu de se limiter à des dispositions d’affichage politique tendant à faire accroire qu’il se préoccupe de la volonté des citoyens, le Gouvernement serait bien avisé de leur donner au moins les moyens effectifs de participer à ces jugements, ce qui suppose, selon nous, une véritable adaptation de la procédure à une institution qui sera transformée en profondeur.
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour présenter l’amendement n° 122 rectifié.
M. Jacques Mézard. En demandant la suppression de l’article 3, nous restons dans la même logique.
Cet article soulève plusieurs questions importantes : celle du serment des citoyens assesseurs, sur laquelle nous allons revenir ; celle du rôle du président de la formation de jugement ; celle de l’allongement considérable des débats qui en découlera de façon certaine – mécaniquement, si j’ose dire –, comme l’ont d’ailleurs reconnu, très objectivement, tant M. le rapporteur que M. le ministre.
D’une part, les magistrats comme les avocats seront contraints de prendre plus de temps pour exposer, de la manière la plus pédagogique possible, l’ensemble des éléments de droit utiles à l’affaire.
D’autre part, le président de la juridiction devra, après avoir indiqué le type d’acte ayant saisi le tribunal, présenter un rapport oral, en application de l’article 461-3 du code de procédure pénale qui dispose : « […] le président du tribunal […] expose, de façon concise, … »
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Voilà qui est clair !
M. Jacques Mézard. Cette formule est en effet assez originale dans le code de procédure pénale !
« … les faits reprochés au prévenu et les éléments à charge et à décharge figurant dans le dossier. »
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. En deux, trois, quatre phrases ?...
M. Jacques Mézard. Monsieur le garde des sceaux, je ne doute pas que vous nous expliquerez votre conception de la concision procédurale, en fonction des faits de surcroît !
Si je poursuis la lecture de cet article, « dans son rapport oral, le président ne doit pas manifester son opinion sur la culpabilité du prévenu ». Encore heureux ! Ce n’est tout de même pas une nouveauté dans notre droit pénal !
M. Jacques Mézard. Évidemment !
M. Jacques Mézard. Monsieur le garde des sceaux, je crois comprendre que vous me traitez de conservateur ; permettez-moi de vous dire que vous parlez en expert ! (M. le garde des sceaux sourit.)
« À l’issue de son rapport », prévoit encore l’article 3, le président « donne lecture de la qualification légale des faits objets de la poursuite ».
Et cela continue… Comme vous l’avez vous-même dit hier, au lieu de traiter de trente à quarante affaires dans une même journée, avec ce système, on en traitera dorénavant quatre.
Il s’agit d’une invention qui, à défaut d’être originale, est absolument surréaliste, je l’ai déjà dit, et je plains les magistrats des deux cours d’appel qui vont être chargées du fardeau de l’expérimentation de cette réforme. Avec la bienveillance qui vous caractérise, monsieur le garde des sceaux, vous allez sans doute me dire dans la foulée qu’il s’agira des cours d’appel de Riom et Limoges…
M. Jacques Mézard. Les magistrats de Riom seront très contents, mais je suis certain que le bilan qu’ils remettront au terme de six mois au Gouvernement – quel qu’il soit alors – et au Parlement permettra de considérer que leur douloureuse expérimentation aura eu une utilité fondamentale, celle de démontrer la nécessité du retour à l’état antérieur !
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Ces trois amendements de suppression de l’article 3 expriment l’opposition de principe de leurs auteurs à la fois à la création des tribunaux correctionnels citoyens et à l’existence même des citoyens assesseurs, donc à deux éléments qui constituent autant de clés de voûte du projet de loi. La commission ne peut donc qu’y être défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Michel Mercier, garde des sceaux. J’avancerai exactement les mêmes arguments : nous sommes là au cœur du projet de loi. Je suis donc défavorable à tout amendement de suppression.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Michel. M. Mézard s’est arrêté en trop bon chemin et, sans reprendre ce qu’il a dit, je vais donc continuer la lecture de l’article 3.
La rédaction de l’alinéa 11 est, elle aussi, tout à fait extraordinaire : le président « veille » – terme dépourvu de tout caractère normatif – « à ce que les citoyens assesseurs puissent prendre utilement connaissance des éléments du dossier ».
Je plains ceux qui ont rédigé cette phrase ! Elle n’a aucune portée, aucun sens. Si le président ne « veille » pas, que se produira-t-il ? Rien ! Si les citoyens assesseurs ne peuvent pas prendre « utilement » connaissance du dossier, qu’arrivera-t-il ? Rien !
On sait comment les choses se passent réellement pour les magistrats assesseurs au tribunal correctionnel : si le président arrive, avec sous le bras la pile des dossiers qu’il a jusque-là conservés dans son bureau pour préparer les débats, un quart d’heure ou une demie heure avant l’audience, un magistrat assesseur qui se trouvera alors dans la salle des délibérés pourra, très rapidement, découvrir les couvertures desdits dossiers.
Le président du tribunal correctionnel citoyen, qui sera évidemment déchargé de plusieurs de ses autres fonctions, pourra étudier ses dossiers très à l’avance, mais qu’en sera-t-il pour les assesseurs, citoyens et magistrats ? Auront-ils les dossiers à leur disposition, pour en prendre « utilement » connaissance, la veille, l’avant-veille, dans les huit jours avant l’audience ? Nous n’en savons rien, monsieur le garde des sceaux !
Tout cela serait risible s’il ne s’agissait pas de juger des citoyens et de permettre à des victimes de faire valoir leurs droits. Ce projet de loi traduit une grande désinvolture par rapport à ce qu’est l’œuvre de justice mais, comme l’a dit mon collègue Jacques Mézard, cette procédure sera supprimée en 2014 !
M. le président. La parole est à Mme Catherine Tasca, pour explication de vote.
Mme Catherine Tasca. Jean-Pierre Michel vient de démontrer excellemment pourquoi l’article 3 nous paraît non seulement inefficace mais nuisible. Hier, monsieur le garde des sceaux, vous avez nié que la présence des citoyens assesseurs ait en quoi que ce soit pour objectif de durcir les condamnations prononcées…
Mme Catherine Tasca. … et vous nous avez conté à ce propos une belle histoire. Il s’agirait, selon vous, d’une « éducation à la citoyenneté » et vous nous avez beaucoup émus avec l’exemple d’un ancien juré d’assises dont la vie a été embellie par cette expérience.
Mme Catherine Tasca. Avec le dispositif prévu à l’article 3, nous allons de complication en complication, allongeant de ce fait la durée de l’audience, et d’imprécision en imprécision.
Ainsi, le président du tribunal correctionnel ou l’un des magistrats assesseurs désigné par lui doit, dans son rapport oral, non seulement veiller à ce que les citoyens assesseurs puissent prendre utilement connaissance des éléments du dossier, mais également ne pas manifester son opinion sur la culpabilité du prévenu pour ne pas les influencer. C’est là une pétition de principe. Qui mesurera cette objectivité ? En effet, les citoyens assesseurs n’auront ni les informations, ni les moyens de disposer de celles-ci en cours d’audience, ni le temps de se faire une opinion personnelle.
Quand on connaît les difficultés extrêmes auxquelles font actuellement face les tribunaux pour organiser les audiences, on ne peut que s’inquiéter de ces innovations, qui multiplient les obstacles au bon fonctionnement de la justice.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je souscris bien évidemment aux propos de nos collègues.
Monsieur le garde des sceaux, vous nous forcez en quelque sorte à légiférer. Même si nous avons indiqué que nous ne voterions pas ce texte, nous nous retrouvons, au fond, entraînés dans une machine infernale, car nous nous sentons responsables de ce que fait le législateur.
Chacun d’entre nous a pu s’enquérir de l’avis de tel ou tel magistrat ou professionnel de la justice, car il n’y a pas eu de véritable concertation. Certes, vous avez procédé à toute une série d’auditions, monsieur le rapporteur, mais je veux souligner le fait que nous n’avons pas pu y participer – pour ce qui me concerne, en tout cas, mais je pense ne pas être la seule dans ce cas ! –, car nous avons reçu le calendrier des auditions alors même que vous aviez déjà auditionné les trois quarts des personnes concernées. (M. le rapporteur s’étonne.) Je ne sais si cela est dû à un problème de correspondance ou à une tout autre raison – je ne veux porter aucun jugement en la matière –, mais c’est un fait.
Monsieur le rapporteur, vous nous avez dit, procédant en quelque sorte à une synthèse de vos auditions, que la solution retenue était, à peu de chose près, satisfaisante. Mais ce n’est absolument pas le cas ! Une fois que la majorité aura décidé de créer ces tribunaux correctionnels citoyens, prévoyant la présence de deux citoyens assesseurs, qu’adviendra-t-il de la mise en œuvre des dispositions prévues ? Il faut bien se préoccuper de la manière dont ils vont fonctionner. En l’occurrence, avec un minimum de concertation, vous auriez pu dégager quelques principes ou pratiques, sur lesquels les participants auraient pu s’accorder !
Vous nous assénez un certain nombre de vérités, mais nous voyons bien que le dispositif prévu ne peut pas fonctionner, en tout cas dans l’optique de l’égalité des citoyens devant la justice et d’une bonne appréhension, par les citoyens assesseurs qui siégeront au tribunal, de la mission qui leur incombe. Dès lors qu’il ne leur sera pas donné lecture du dossier d’instruction au cours de l’audience – vous l’avez d’ailleurs dit vous-même ! –, parce que c’est impossible, que retiendront-ils ? Auront-ils lu un certain nombre d’éléments à la va-vite, cinq minutes avant le début de l’audience, comme l’a dit tout à l’heure notre collègue Jean-Pierre Michel ? Il faut organiser différemment les audiences. La précipitation et le manque de concertation – par « concertation », j’entends engager une discussion pour savoir comment appliquer la loi ! – ne contribuent pas, nous le savons parfaitement, à maintenir les bonnes pratiques de la justice.
On dit aux législateurs : « Votez le projet de loi et dormez tranquilles. » Mais non ! Ce n’est pas de bonne législation !
M. Jean-Jacques Mirassou. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Virginie Klès, pour explication de vote.
Mme Virginie Klès. Je me pose la question suivante. Aux assises – en tout cas, jusqu’à aujourd’hui, mais sans doute plus demain ! –, le président du tribunal procédait à la lecture intégrale d’un certain nombre de pièces du dossier. Certes, la procédure était longue et peut-être rébarbative, mais elle avait au moins l’avantage de ne pas remettre en cause l’impartialité de la cour, car l’ensemble des éléments était exposé aux jurés.
Avec ce nouveau dispositif, le président procédera à un rapport synthétique. Mais qui garantira l’impartialité de cette présentation ?
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. La défense !
Mme Virginie Klès. Et comment la garantira-t-on ? Inévitablement, les avocats des deux parties – les deux, j’y insiste – auront tout intérêt à créer en permanence des incidents d’audience pour remettre en cause les procédures, qui risqueront d’être annulées. C’est ce que vous appelez « améliorer l’efficacité de la justice » ! J’ai beaucoup de mal à comprendre !
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je veux bien entendre toutes les critiques du monde, mais je tiens à préciser à Mme Klès que l’arrêt de renvoi est déjà rédigé par un magistrat. Pourquoi serait-il rédigé de manière plus impartiale que le rapport que rédigera le président du tribunal correctionnel, qui est, lui-même, un magistrat ? Le magistrat est, par définition, impartial ; en tout cas, c’est la conception que j’en ai ! Ne remettez pas sans cesse en cause l’impartialité du président du tribunal, car cela dessert notre justice. Au contraire, nous pouvons être plutôt fiers de notre justice, notamment ces jours-ci…
Monsieur Michel, je comprends parfaitement ce que vous avez dit, mais je tiens à vous indiquer que les technologies modernes entrent aujourd’hui dans les tribunaux. La plupart des dossiers sont numérisés, et ils le seront de plus en plus. Il sera donc facile de tirer une copie du dossier pour permettre aux citoyens assesseurs d’en prendre connaissance.
Par ailleurs, vous estimez que le verbe « veiller » n’a pas de valeur normative. C’est sûrement vrai, puisque vous le dites, monsieur le sénateur… Mais permettez-moi de vous faire remarquer que vous avez vous-même voté, dans le cadre de la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes, dite loi Guigou, l’article préliminaire du code de procédure pénale, qui dispose : « L’autorité judiciaire veille à l’information et à la garantie des droits des victimes au cours de toute procédure pénale. » N’était-ce pas reconnaître que ce verbe n’est pas si mauvais que cela ? Sinon, il n’aurait pas été utilisé !
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 13, 47 et 122 rectifié.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. L’amendement n° 103 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Remplacer cet alinéa par deux alinéas ainsi rédigés :
« Art. 461-2. - Avant l’ouverture des débats relatifs à la première affaire qu’ils sont appelés à examiner au cours de l’audience, le président adresse aux jurés, debout et découverts, le discours suivant : "Vous jurez et promettez d’examiner avec l’attention la plus scrupuleuse les charges qui seront portées contre le prévenu, de ne trahir ni ses intérêts, ni ceux de la société qui l’accuse, ni ceux des victimes ; de ne communiquer avec personne jusqu’après votre déclaration ; de n’écouter ni la haine ou la méchanceté, ni la crainte ou l’affection ; de vous rappeler que le prévenu est présumé innocent ; de vous décider d’après les charges et les moyens de défense, suivant votre conscience, avec l’impartialité et la fermeté qui conviennent à un homme probe et libre et de conserver le secret des délibérations, même après la cessation de vos fonctions".
« Chacun des citoyens assesseurs, appelé individuellement par le président, répond en levant la main : "Je le jure".
La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Cet amendement vise non pas à supprimer l’article 3, monsieur le garde des sceaux, mais à vous faire une proposition !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Enfin !
M. Jacques Mézard. Voilà qui témoigne de notre souci d’engager un dialogue constructif sur ce projet de loi dont nous avons souligné les innombrables défauts.
Hier, lorsque j’ai défendu la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, j’ai dit à M. le rapporteur, spécialiste estimé – et estimable ! – de la loi pénitentiaire, qu’il s’était embarqué dans une galère. J’ajoute ici qu’il a dû beaucoup ramer. La preuve en est, il a, à plusieurs reprises, justifié des dispositions en disant qu’il s’inspirait de la procédure applicable aux cours d’assises. Mais, pour ce qui concerne le serment, la procédure en vigueur devant les cours d’assises n’est plus invoquée en exemple !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Eh non !
M. Jacques Mézard. Je constate simplement, monsieur le garde des sceaux, que les arguments sont manifestement réversibles ! Vous avancez l’exemple de la cour d’assises uniquement lorsqu’il est utile à votre démonstration !
Cet amendement de repli – de pur repli, ajouterai-je, pour insister, une fois encore, sur notre souci premier d’élaborer ensemble la loi – vise à renforcer la portée du serment que devront prêter les citoyens assesseurs en reprenant, à quelques nuances près, le texte du serment des jurés de cours d’assises.
Le texte actuel n’impose aux citoyens assesseurs que le serment que doivent tenir les assesseurs des tribunaux pour enfants et des juges de proximité. Or ces derniers bénéficient de conditions de recrutement beaucoup plus sélectives et présentent des garanties beaucoup plus probantes, eu égard à leur expérience.
Les citoyens assesseurs n’étant recrutés que du seul fait du hasard – parfois, nous l’avons constaté, le hasard est un peu dirigé ! –, comme les jurés d’assises, ils doivent prêter le même serment.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Permettez-moi, tout d’abord, monsieur le président, de profiter de l’occasion pour répondre à notre collègue Nicole Borvo Cohen-Seat.
Bien évidemment, les auditions de la commission des lois étaient ouvertes, comme d’habitude, à l’ensemble de nos collègues qui souhaitaient y participer.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Absolument !
M. Jacques Mézard. Nous ne savions pas qu’elles étaient ouvertes !
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Je ne sais pas s’il y a eu un décalage dans les convocations, mais nos délais de travail étaient relativement contraints.
Je n’ai jamais dit que toutes les auditions auxquelles j’ai assisté ont donné lieu à l’expression d’un enthousiasme généralisé. Des avis différents se sont exprimés, parfois même très différents, et j’en ai d’ailleurs partiellement tenu compte, dans la mesure où le texte issu des travaux de la commission présente des évolutions importantes par rapport au projet de loi initial.
Je pense, par exemple, au refus de scinder les cours d’assises en une cour d’assises allégée et une cour d’assises dont la composition serait identique à celle qui existe actuellement.
Je pense également aux deux plus importantes organisations représentatives de magistrats, qui ont émis des avis radicalement contraires sur la concertation : …
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Absolument !
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. … l’Union syndicale des magistrats a estimé qu’elle avait été rarement autant consultée, et de manière aussi importante, tandis que le Syndicat de la magistrature affirmait le contraire.
Je pense, enfin, aux représentants des juges des enfants, qui n’étaient pas favorables aux évolutions de l’ordonnance du 2 février 1945 ou encore à l’Association nationale des juges de l’application des peines, qui n’était pas favorable à la présence de citoyens assesseurs au sein des tribunaux et des chambres de l’application des peines.
Telle est la diversité des avis exprimés ! Bien évidemment, je n’ai jamais eu l’intention, ni qui que ce soit d’ailleurs, de me réserver le monopole des auditions ; j’aurais été, au contraire, très heureux de compter davantage de collègues parmi nous.
J’en reviens maintenant à l’amendement n° 103 rectifié.
Monsieur Mézard, vous ne me prendrez pas en flagrant délit d’incohérence : votre amendement permet d’améliorer le texte.
M. Yvon Collin. Ah !
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Aussi la commission a-t-elle émis un avis favorable.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. À condition qu’il soit rectifié !
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Rien n’échappe à la vigilance du président de la commission des lois ! (Sourires.) Je vous demande effectivement, mon cher collègue, de bien vouloir remplacer, dans la première phrase, le terme « jurés » par celui de « citoyens assesseurs ». Mais je suis sûr que vous en serez d’accord…
M. Jacques Mézard. Tout à fait, monsieur le rapporteur.
M. le président. Je suis donc saisi d’un amendement n° 103 rectifié bis, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi, et ainsi libellé :
Alinéa 5
Remplacer cet alinéa par deux alinéas ainsi rédigés :
« Art. 461-2. - Avant l’ouverture des débats relatifs à la première affaire qu’ils sont appelés à examiner au cours de l’audience, le président adresse aux citoyens assesseurs, debout et découverts, le discours suivant : "Vous jurez et promettez d’examiner avec l’attention la plus scrupuleuse les charges qui seront portées contre le prévenu, de ne trahir ni ses intérêts, ni ceux de la société qui l’accuse, ni ceux des victimes ; de ne communiquer avec personne jusqu’après votre déclaration ; de n’écouter ni la haine ou la méchanceté, ni la crainte ou l’affection ; de vous rappeler que le prévenu est présumé innocent ; de vous décider d’après les charges et les moyens de défense, suivant votre conscience, avec l’impartialité et la fermeté qui conviennent à un homme probe et libre et de conserver le secret des délibérations, même après la cessation de vos fonctions".
« Chacun des citoyens assesseurs, appelé individuellement par le président, répond en levant la main : "Je le jure".
Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Le serment des jurés est probablement l’un des plus beaux textes de notre code de procédure pénale, en ce qu’il contient pratiquement tous les grands principes. Son contenu a d’ailleurs peu changé depuis l’article 312 du code d’instruction criminelle, sauf le début, qui était le suivant : « Vous jurez et promettez devant Dieu et devant les hommes (Exclamations.) d’examiner avec l’attention la plus scrupuleuse les charges qui seront portées », etc. Manquait également le rappel du principe de la présomption d’innocence.
Pour ma part, je suis très favorable à ce serment parce qu’il est extrêmement pédagogique. On y retrouve, je le répète, les grands principes qui fondent notre justice pénale : la présomption d’innocence, l’intime conviction, le devoir d’écouter et d’instruire, en quelque sorte, à charge et à décharge, ainsi que le secret des délibérations, qui fonde toute bonne décision de justice collégiale. Il est donc essentiel que les citoyens assesseurs l’écoutent et se prononcent sous ce serment.
C’est la raison pour laquelle nous sommes très heureux que M. Mézard apporte, avec cet élément essentiel, sa pierre à la loi nouvelle que nous élaborons, ce dont je le remercie. Ainsi, il ne sera pas tout à fait étranger à la création de ce nouveau tribunal correctionnel. (Sourires.)
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Très bien !
M. le président. L’amendement n° 123 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéa 13
Rédiger ainsi cet alinéa :
Ils ne doivent pas manifester leur opinion.
La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Nous souhaitons modifier le treizième alinéa de l’article 3, fidèles à l’esprit constructif que vous venez de relever, monsieur le garde des sceaux – vous n’avez d’ailleurs pas indiqué qu’il était aussi possible d’ajouter dans la formule du serment : « en votre âme et conscience » !
À l’article 3, il est indiqué que les citoyens assesseurs « ont le devoir de ne pas manifester leur opinion ». Selon nous, il serait plus logique de préciser qu’ils « ne doivent pas manifester leur opinion ».
L’objet de cet amendement est donc une simple rectification.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Bien que nous ne pensions pas qu’une telle modification fera la une des journaux, la commission est favorable à cet amendement. (Sourires.)
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je constate que cet amendement a été adopté à l’unanimité des présents.
La parole est à Mme Virginie Klès, pour explication de vote sur l’article 3.
Mme Virginie Klès. Monsieur le président, je souhaite répondre au Gouvernement.
Monsieur le ministre, je veux bien entendre tous les arguments du Gouvernement, même si je n’y souscris pas. Mais je n’accepte pas que vous nous fassiez dire ce que nous n’avons pas dit !
Nous n’avons jamais remis en cause l’impartialité des magistrats. C’est le Gouvernement qui l’a fait ! (M. le ministre et M. le président de la commission des lois protestent.) Selon lui, en effet, il faut que les citoyens acceptent mieux les jugements, autrement dit qu’ils les comprennent et ne remettent pas en cause leur impartialité.
Nous, nous avons seulement dit que, tel que vous le présentez, le texte de ce projet de loi va à l’encontre de ce que vous préconisez, à savoir une meilleure compréhension et une plus grande confiance du citoyen dans sa justice.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est de la finasserie !
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Madame Klès, je m’efforce d’écouter tous les orateurs, y compris vous-même ! Or il me semble avoir entendu demander à plusieurs reprises : « Qui garantira l’impartialité du président quand il fera son rapport ? ». (Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il faut changer la loi !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Pour moi, ce qui garantit l’impartialité du président, c’est le fait qu’il soit magistrat et c’est une raison suffisante, car sa qualité de magistrat le conduit forcément à être impartial. Telle est ma conception (Mme Virginie Klès proteste.), mais vous avez tout à fait le droit d’avoir une autre opinion !
Je ne cesse de le répéter depuis hier : pour moi, un magistrat est, de par sa qualité, une personne impartiale. Il a été formé pour cela et a appris à l’être.
La pédagogie étant fondée sur la répétition, surtout lorsqu’on ne veut pas entendre, ...
M. Roland Courteau. C’est sûr !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. ... je répète également que le Gouvernement a prévu la présence de citoyens assesseurs, car juger est un acte de citoyenneté. Pardonnez-moi, mais telle est ma façon de voir les choses.
Maintenant, vous pouvez dire ce que vous voulez, ...
Mme Virginie Klès. Non, je ne peux pas !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. ... mais, même si vous n’acceptez pas mes arguments, entendez-les dans un premier temps et combattez-les ensuite, cela ne me pose aucun problème !
Mme Virginie Klès. À moi, si, parce que je ne peux plus vous répondre !
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou, pour explication de vote.
M. Jean-Jacques Mirassou. Monsieur le ministre, pardonnez-moi cette expression quelque peu triviale, mais vous nous faites le coup du pompier pyromane !
M. Jean-Jacques Mirassou. Vous avez posé le postulat que les décisions rendues étaient vraies, valides et justes…
M. Jean-Jacques Mirassou. Mais, dans l’intervalle, vous expliquez qu’un dispositif supplémentaire est nécessaire, car ces décisions, bien que justes, sont mal comprises par la population.
Mme Virginie Klès. Voilà !
M. Jean-Jacques Mirassou. C’est tout simplement ce que voulait vous dire notre collègue Virginie Klès tout à l’heure !
En vérité, vous tournez en rond ! En effet, si le système antérieur était valide et inattaquable, est-il besoin d’injecter des dispositions législatives pour modifier un processus qui donnait satisfaction ?
M. Jean-Jacques Mirassou. Si, c’est précisément la question !
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Loin de moi l’idée de m’immiscer dans ce genre de dialogue, mais je crois néanmoins qu’il nous engage dans la mauvaise voie !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Beaucoup a déjà été dit sur l’impartialité des juges. Je fais allusion non à vos propos, monsieur le ministre, mais à ceux du président de la République qui ont été amplement relayés par la presse.
M. Jean-Jacques Mirassou. Voilà la vérité !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Même s’ils ne nous étaient pas adressés directement, il nous était difficile de ne pas les lire ou de ne pas les entendre ! Par conséquent, nous savons très bien ce qu’il en est.
J’en reviens à l’article 3 et au dispositif que vous voulez mettre en place. Personne ne conteste que les faits exposés par le président du tribunal éclaireront les membres du tribunal, y compris les deux malheureux citoyens assesseurs présents. Ils devront être exposés de façon concise, est-il même précisé. Admettons qu’il parvienne à résumer à l’extrême, sans prendre parti, bien sûr, mais je ne doute pas de sa bonne volonté.
Alors, où est le problème ? Il tient à la façon dont se dérouleront les audiences du tribunal correctionnel citoyen. L’exigence d’un exposé concis suppose que les personnes présentes ont une connaissance minimale du dossier écrit. Or tel ne sera pas le cas !
Par conséquent, avant de demander au législateur de se prononcer sur les dispositions applicables devant le tribunal correctionnel citoyen, il fallait s’interroger sur les conséquences, pour l’organisation des audiences correctionnelles, de la présence parmi les juges de personnes qui n’ont pas la connaissance du dossier. Ce qui pose problème, ce n’est pas l’impartialité des jugements des uns ou des autres, c’est le fonctionnement de l’audience !
J’en profite pour dire à M. le rapporteur qu’il a mal compris ce que je voulais lui signaler. Je n’ai reçu la convocation de la commission des lois que le 26 avril, ce qui ne m’a pas permis d’assister aux auditions qui avaient déjà commencé, et croyez que je le regrette. Si je ne reçois pas les convocations à temps, je ne peux pas être présente, car, n’étant pas pendue au téléphone ou à je ne sais quel moyen de communication, je ne peux pas deviner les dates de vos auditions !
M. le président. Je mets aux voix l’article 3, modifié.
(Après une épreuve à main levée déclarée douteuse par le bureau, le Sénat, par assis et levé, adopte l’article 3.)
Article 4
La section 5 du chapitre Ier du titre II du livre II du code de procédure pénale est ainsi modifiée :
1° Il est créé un paragraphe 1 intitulé : « Dispositions générales » comprenant les articles 462 à 486 ;
2° Il est ajouté un paragraphe 2 ainsi rédigé :
« PARAGRAPHE 2
« Dispositions applicables devant le tribunal correctionnel citoyen
« Art. 486-1. – La présente section est applicable lorsque le tribunal correctionnel est composé conformément à l’article 399-1 sous réserve des adaptations prévues au présent paragraphe.
« Art. 486-2. – Conformément à l’article 399-4, les trois magistrats délibèrent avec les citoyens assesseurs sur la qualification des faits, la culpabilité et la peine.
« Sauf lorsque le président en décide autrement dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, le délibéré se tient à l’issue des débats, avant l’examen de toute autre affaire.
« Art. 486-3. – Avant de délibérer sur la culpabilité du prévenu, le président rappelle chacun des éléments constitutifs et, le cas échéant, des circonstances aggravantes de l’infraction devant être établis pour que la culpabilité puisse être retenue dans les termes de la prévention.
« Lorsqu’il est reproché au prévenu d’avoir tenté de commettre le délit, le président rappelle les dispositions de l’article 121-5 du code pénal. Il rappelle celles de l’article 121-7 du même code lorsque le prévenu est poursuivi en qualité de complice. Lorsque le tribunal doit délibérer sur l’existence d’une cause d’irresponsabilité, le président donne lecture des dispositions qui la définissent.
« Lorsque le tribunal est appelé à examiner si les faits peuvent revêtir une autre qualification que celle qui leur a été donnée par la prévention, le président procède, pour l’examen de la nouvelle qualification, conformément aux deux premiers alinéas. Le tribunal composé conformément à l’article 399-1 est compétent pour statuer sur la nouvelle qualification même si elle n’entre pas dans les prévisions de l’article 399-2. Toutefois, il statue dans la composition prévue au premier alinéa de l’article 398 si la nouvelle qualification entre dans les prévisions des articles 697-1, 702, 704, 706-2, 706-73 ou 706-74.
« Art. 486-4. – En cas de réponse affirmative sur la culpabilité, avant de délibérer sur la peine, le président rappelle les peines encourues pour les faits dont le prévenu a été déclaré coupable compte tenu, le cas échéant, de l’état de récidive. Il appelle l’attention des citoyens assesseurs sur les dispositions des articles 132-19, 132-20 et 132-24 du code pénal et rappelle les différents modes de personnalisation des peines prévus par les dispositions de la section 2 du chapitre II du titre III du livre Ier du même code. »
M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.
L’amendement n° 14 est présenté par MM. Michel et Anziani, Mmes Klès et Tasca, M. Badinter, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
L’amendement n° 48 est présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du parti de gauche.
L’amendement n° 124 rectifié est présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Alain Anziani, pour présenter l’amendement n° 14.
M. Alain Anziani. Vous connaissez notre position sur le fond : nous demandons évidemment la suppression de cet article 4, comme nous le ferons pour les autres articles.
Mais, cela dit, je m’en tiendrai à une considération de forme.
À l’article 4, vous ajoutez un paragraphe 2 relatif aux dispositions applicables devant le tribunal correctionnel citoyen. Aujourd’hui, le code de procédure pénale ne contient aucune disposition particulière précisant le moment auquel se tient le délibéré. Seules quelques dispositions traitent du jugement, ce qui n’est pas tout à fait pareil que le délibéré.
Ainsi, l’article 462 du code de procédure pénale précise bien : « Le jugement est rendu soit à l’audience même à laquelle ont eu lieu les débats, soit à une date ultérieure.
« Dans ce dernier cas, le président informe les parties présentes du jour où le jugement sera prononcé. »
Je ne veux pas vous faciliter la tâche, mais pourquoi n’avez-vous pas repris purement et simplement ces dispositions dans le paragraphe relatif au tribunal correctionnel citoyen ? Non seulement vous compliquez la procédure, mais vous vous exposez à un risque juridique en inventant quelque chose d’autre !
En effet, vous visez uniquement un délibéré, et ce dernier sera extrêmement lourd, car le président devra rappeler chacun des éléments constitutifs et, en fait, donner un véritable cours de droit aux citoyens assesseurs qui composeront le tribunal !
En outre, vous omettez de préciser deux points importants.
Le premier est qu’un délibéré doit se conclure par un vote. À quel moment aura-t-il lieu ?
Le second point est essentiel : le seul intérêt d’un délibéré est de préparer la décision qui va en sortir, en l’occurrence le jugement.
Il est précisé, au paragraphe 2 de l’article 4 : « Sauf lorsque le président en décide autrement dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, le délibéré se tient à l’issue des débats, avant l’examen de toute autre affaire. » Cela signifie-t-il que, en dehors de cette exception, le jugement sera toujours rendu à l’issue de l’audience ?
Je vous rappelle que le jugement devra être motivé, et cela en collaboration avec les citoyens assesseurs. Alors, ne vous réservez-vous pas la possibilité que le jugement soit prononcé ultérieurement ? Par exemple, dans le cas de violences urbaines ou d’autres situations extrêmement compliquées, je ne suis pas sûr que l’ensemble du tribunal correctionnel citoyen, y compris donc les citoyens assesseurs, soit en état de motiver et de rendre le jugement immédiatement à l’issue de l’audience et non, comme cela se passe couramment dans les affaires complexes devant le tribunal correctionnel, sous huitaine ou quinzaine.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour présenter l’amendement n° 48.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. J’irai dans le même sens. Comment peut-on prévoir, pour ce tribunal correctionnel citoyen, que le jugement devra être rendu à l’issue des débats ?
Si le délibéré est remis à plus tard, c’est bien parce qu’il y a des raisons, et celles-ci ne tiennent pas à la composition du tribunal !
M. Roland Courteau. Exactement !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Avec cet article 4, vous introduisez une spécificité qui est très difficilement justifiable. Craignez-vous, par exemple, que les citoyens assesseurs ne se souviennent plus de ce qui s’est passé si on leur demande de revenir ?
Mais le problème n’est pas là ! La question est de savoir si les citoyens assesseurs qui vont devoir se prononcer ont la capacité de le faire. La décision de repousser le délibéré se fonde normalement sur différents éléments liés à l’affaire.
Par ailleurs, il est prévu que le tribunal correctionnel citoyen puisse statuer sur une affaire qui ne relève pas de sa compétence initiale, quand il s’est vu transmettre un dossier pour lequel il procède à la requalification des faits. Cette extension des compétences du tribunal, au-delà de celles qui sont inscrites dans le code de procédure pénale, nous paraît encore une fois porter atteinte, d’une certaine manière, à l’égalité des citoyens face à la justice.
Par conséquent, quel que soit le regard que l’on porte sur ces tribunaux, on constate que des procédures très différentes sont instaurées, pour des délits quasiment identiques.
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour présenter l’amendement n° 124 rectifié.
M. Jacques Mézard. Cet amendement vise également à supprimer l’article 4. Cet article semble, à la première lecture, quelque peu sibyllin, mais il précise en fait la procédure applicable devant le tribunal correctionnel « nouvelle formule » et soulève donc un certain nombre de difficultés.
Tout d’abord, l’alinéa 8 dispose, comme notre collègue Alain Anziani l’a rappelé, que le président du tribunal peut décider, « dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice », que le délibéré ne se tiendra pas à l’issue des débats et sera donc renvoyé à une date ultérieure. Aucune précision complémentaire n’est introduite. Un tel cas de figure est lié, le plus souvent, à des raisons pratiques : à la fin de la soirée, après la troisième, quatrième ou cinquième affaire, les citoyens assesseurs seront très probablement épuisés ! Le président du tribunal prendra alors la décision de renvoyer le délibéré. Mais rien n’est dit sur les citoyens assesseurs qui, tout à fait légitimement, devraient alors retrouver leur famille et leurs activités quotidiennes.
Ensuite, cet article nous permet, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, d’appréhender la véritable complexité de ce projet de loi. Les alinéas suivants décrivent en effet l’ensemble des rappels auxquels le président devra procéder, en quelques dizaines de minutes, à chaque audience. Il devra expliquer aux deux malheureux citoyens assesseurs tout ce qu’ils sont censés savoir, c’est-à-dire tout ce qu’un bon étudiant en droit a du mal à assimiler après plusieurs années d’études. D’ailleurs, si nous faisions ici une interrogation écrite – nous sommes probablement un certain nombre, dans cet hémicycle, à avoir fait des études de droit –, pour vérifier nos connaissances en cette matière, nous aurions de terribles surprises, monsieur le garde des sceaux !
Le président du tribunal devra en effet rappeler les éléments constitutifs de l’affaire, les circonstances aggravantes et leurs conséquences sur la culpabilité, la définition du complice et aussi, malheureusement, de la clause d’irresponsabilité. En outre, si la culpabilité est reconnue, il devra évoquer les peines encourues et les différents modes de personnalisation.
Bravo, monsieur le garde des sceaux ! Si ces présidents, dont les qualités et les compétences sont grandes, arrivent à faire comprendre tout cela à ces malheureux citoyens assesseurs en un temps aussi court, il faudra les nommer professeurs des universités dans les plus brefs délais, car ils auront prouvé qu’ils sont des enseignants de très haute qualité ! (Sourires.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nous aurons des nominations dans les facultés ! (Nouveaux sourires.)
M. Jacques Mézard. Je pense donc avoir démontré l’absurdité du mécanisme qui nous est proposé.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Dans la mesure où ces trois amendements identiques visent à remettre fondamentalement en cause l’esprit du projet de loi et, plus particulièrement, la création des tribunaux correctionnels citoyens, la commission des lois ne peut y être que défavorable.
Même si les choses ne sont pas nécessairement simples, j’ai quelquefois l’impression que mes collègues, du moins un certain nombre d’entre eux, prennent un malin plaisir à les compliquer encore.
Permettez-moi de relire l’alinéa qui vient d’être diversement commenté : « Sauf lorsque le président en décide autrement dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice, le délibéré se tient à l’issue des débats, avant l’examen de toute autre affaire. » Ce texte me semble particulièrement simple à comprendre ! Il signifie que le tribunal correctionnel citoyen délibérera, la plupart du temps, affaire après affaire, c’est-à-dire sur la première, puis la seconde, enfin la troisième, ce qui, après tout, facilitera la compréhension et la cohérence des décisions qui pourront être prises.
Parfois, et peut-être même souvent, le président en décidera autrement, dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice. Il pourra en effet estimer que certaines affaires sont très proches et souhaiter comparer, dans un souci de cohérence en matière de sévérité des sanctions et pour que la justice soit mieux rendue, la décision de la première et de la seconde affaire.
Pour une fois, je ne vois là rien de compliqué.
M. Jacques Mézard. « Pour une fois » !
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je souhaite répondre aux auteurs de ces amendements visant à supprimer l’article 4, et notamment à M. Jacques Mézard, qui, avec beaucoup de continuité, ligne après ligne, s’efforce de détricoter ce texte, ce qui est d’ailleurs son droit le plus absolu.
M. Jacques Mézard. C’est un texte malin !
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Perseverare diabolicum !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Monsieur le rapporteur, voilà quelques instants, vous avez fait allusion au malin en regardant M. Mézard. Il est inutile d’évoquer maintenant le diable, cela ferait beaucoup pour un seul homme ! (Sourires.)
J’estime très honnêtement que cet article est parfaitement clair. Les débats menés dans le cadre de ce nouveau tribunal correctionnel seront forcément différents de ceux qui se tiennent à l’heure actuelle dans un tribunal correctionnel classique. L’oralité sera plus importante, les discussions, plus longues. Les avocats devront probablement s’adapter à ce tribunal correctionnel « nouvelle version », ce qui est tout à fait normal. Tout cela prendra donc plus de temps, vous l’avez souligné hier et je le reconnais bien volontiers. C’est aussi la raison pour laquelle j’ai obtenu des créations de poste, c’est une évidence qu’il nous faut regarder bien en face. Les moyens supplémentaires qui ont été accordés s’inscrivent dans la perspective d’une pratique différente.
La procédure prévue par cet article se rapproche quelque peu de celle qui est appliquée dans les cours d’assises. La part de l’oralité étant plus importante, le principe de continuité des débats doit s’appliquer. En principe, le délibéré interviendra à la fin de l’audience. Il est expressément prévu que le président du tribunal, « dans l’intérêt d’une bonne administration de la justice », peut en décider autrement. Même si une telle précision n’avait pas été introduite dans le texte du projet de loi, le président pourrait prendre cette décision, puisqu’il s’agit d’un principe d’application générale.
Considérons ce texte avec simplicité et non avec malignité ! Comme dans la procédure de comparution immédiate, le délibéré interviendra après chaque audience. Nous n’introduisons ici aucune nouveauté ! Nous nous contentons de reprendre une règle existante, tout en rappelant l’exception qui l’accompagne ordinairement et qui est liée à la bonne administration de la justice. Ne cherchons donc pas dans ce texte ce qu’il n’y a pas lieu d’y trouver !
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.
M. Jacques Mézard. Monsieur le garde des sceaux, à malin, malin et demi ! Je vous accorde très courtoisement cette demi-part supplémentaire en la matière.
Vous avez évoqué l’oralité des débats, ce qui est loin de constituer une nouveauté en matière pénale.
M. Roland Courteau. C’est un pléonasme !
M. Jacques Mézard. Nous ne sommes pas en train de débattre, que je sache, du tribunal administratif !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. L’oralité est également de mise dans le cadre du tribunal administratif !
M. Jacques Mézard. Ah bon ! C’est une nouveauté ! Monsieur le garde des sceaux, affirmer, dans cette auguste enceinte, que les débats sont oraux au tribunal administratif, me paraît tout de même assez curieux !
M. Jacques Mézard. Nul besoin d’épiloguer davantage…
M. Jean-Jacques Mirassou. On en reste sans voix !
M. Jacques Mézard. C’est le cas de le dire !
Plus sérieusement, monsieur le garde des sceaux, le fait que le délibéré intervienne directement après l’audience est, quelles que soient les configurations, tout à fait ordinaire, et pas simplement dans le cadre d’une comparution immédiate. Là n’est donc pas le problème.
La difficulté soulevée par cet article est liée à la « formation », par le président, des citoyens assesseurs, lesquels, je le rappelle, siégeront au maximum huit jours par an. Ces derniers devront ainsi être instruits « des éléments constitutifs et, le cas échéant, des circonstances aggravantes de l’infraction devant être établis pour que la culpabilité puisse être retenue dans les termes de la prévention. »
Vous imaginez ce que cela peut représenter pour des citoyens assesseurs qui n’ont aucune expérience ni compétence en ce domaine !
De la même manière, le président sera chargé d’expliquer les problèmes juridiques liés à la tentative. Il n’est pas toujours simple de comprendre la sanction de la tentative par rapport à celle de l’acte. Lorsque le prévenu est poursuivi en qualité de complice, il revient encore au président d’éclairer les citoyens assesseurs. Qu’est-ce qu’un complice ? Par rapport à l’auteur principal, quelle sanction risque-t-il ? À chaque fois, à chaque audience, il faudra expliquer aux malheureux citoyens assesseurs l’ensemble de ces principes.
Monsieur le garde des sceaux, vous êtes, j’en suis convaincu, un homme de bon sens. Vous savez quelle est la situation des tribunaux correctionnels : les dossiers s’y accumulent et les magistrats rencontrent des difficultés pour les répartir et cherchent par tous les moyens à les orienter vers le juge unique, la comparution immédiate ou toute autre procédure particulière !
Comment pouvez-vous prétendre vouloir améliorer le fonctionnement de la justice avec un mécanisme aussi lourd, qui concernera, chaque année, des dizaines de milliers d’affaires ? À moins que les moyens dont vous allez disposer ne soient affectés qu’aux deux cours d’appel désignées pour expérimenter ces nouvelles dispositions !
Le système que vous voulez mettre en place n’a strictement aucun sens, il ne répond pas aux besoins de nos magistrats ni à ceux de la justice. La réalité, c’est que les magistrats, dans bien des cas, demandent aux avocats et au procureur de faire preuve de concision parce que les dossiers s’accumulent ! Et vous décidez que toute une série d’affaires, pas forcément les plus graves, celles qui vous paraissent les plus médiatiques, bénéficieront d’une procédure beaucoup plus longue.
Tout cela n’est pas sérieux, et je pèse mes mots.
M. le président. La parole est à M. Robert Badinter, pour explication de vote.
M. Robert Badinter. Hier, j’ai eu l’occasion de vous dire, monsieur le garde des sceaux, que vous alliez à l’encontre des besoins de la justice. Je vous le répète. Quiconque connaît aujourd’hui la réalité des audiences correctionnelles ne peut que me rejoindre sur ce point. Les magistrats, excédés, subissent des pressions incroyables ; les audiences se terminent à minuit, voire une heure du matin ; les justiciables ont le sentiment de ne pas être entendus et les avocats, de ne plus servir à rien ; le ministère public, lui-même, n’en peut plus ! Or c’est ce moment que vous choisissez pour inventer une nouvelle procédure, dont je vous demande de mesurer un instant les effets.
Après chaque affaire, il faudra s’interrompre pour délibérer : telle est la règle de principe, qui s’appliquera hors les cas exceptionnels.
Des assesseurs citoyens seront présents – je le conçois. Certains seront de bonne volonté, mais pas tous ! Si vous jamais eu l’occasion de participer à un délibéré, vous savez que d’autres se méfieront, pensant qu’on veut les entraîner vers une décision : ceux-là voudront des explications, s’opposeront, demanderont ce que signifie la complicité… Au total, les délibérations vont durer des heures !
Et voici quel en sera le résultat : le nombre des affaires jugées au cours d’une audience sera, peut-être, inférieur de moitié à ce qu’il est aujourd’hui – au prix de si grandes difficultés, d’un tel harassement pour les magistrats et de telles frustrations pour les justiciables !
Cela n’a pas d’importance, dites-vous, …
M. Robert Badinter. … car vous avez obtenu une enveloppe finançant la création de cent postes de magistrats.
Vous rendez-vous compte de ce que représentent cent magistrats, aujourd’hui ! Mais vous n’entendez pas la magistrature, monsieur le garde des sceaux : on vous les demande de toutes parts !
Vous savez ce que supportent les magistrats, et vous dites : « Qu’importe ! Ils feront encore un cours de droit élémentaire comparé sur la théorie de la complicité, de la tentative et des circonstances aggravantes… »
Je vous le dis clairement : ce que vous nous proposez est une aberration.
Au moment même où la justice ploie sous le fardeau, où les justiciables attendent d’elle qu’elle soit éclairée en même temps que suffisamment prompte, vous inventez de faire participer les justiciables eux-mêmes, qui ne vous demandent rien, à une œuvre judiciaire qui n’est pas la leur et à laquelle ils auront le plus grand mal à comprendre quelque chose – tant est grande l’exaspération des magistrats…
M. Robert Badinter. Les magistrats veulent des moyens pour pouvoir rendre la justice ; ils n’ont pas besoin de se transformer en pédagogues d’occasion pour des citoyens qui ne demandent rien !
Je vous le répète : vous atteignez le comble de l’irréalisme ! Vous n’agissez même pas par idéologie, mais par aveuglement. Dans l’état où se trouve la magistrature, c’est un choix politique absurde, et je suis content de pouvoir vous dire qu’il n’est pas votre fait.
Rappelez-vous que, s’il y a 2 400 affaires d’assises, il y a 450 000 affaires correctionnelles… Et il y en a toujours plus !
J’ajoute – cela n’est indifférent ni pour le Sénat ni pour vous-même – que ces procédures complexes, aggravant encore la lenteur des audiences, multiplieront le nombre de détenus à titre provisoire dans des maisons d’arrêt déjà surpeuplées ; les chiffres vous sont connus.
Tout cela, pourquoi ? Je vous mets au défi devant la Haute Assemblée d’avancer une raison autre que celle de justifier un slogan publicitaire : « En France, dorénavant, non seulement la justice sera rendue au nom des citoyens, mais elle le sera par les citoyens eux-mêmes ! » Assez de slogans, regardez la réalité en face ! C’est un mauvais coup que vous portez à la justice et à la magistrature. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Michel Mercier, garde des sceaux. J’ai beaucoup de respect pour vous, monsieur le sénateur. Mais le respect qui vous est porté ne vous autorise pas à tenir de nombreux propos parfois peu exacts…
Il est vrai qu’aujourd’hui les moyens du service public de la justice ne sont probablement pas au niveau souhaitable. Mais, dans cet état de fait, vous avez comme moi une part de responsabilité, car vous participez depuis trop longtemps, comme ministre ou parlementaire, à la gestion du service public de la justice...
J’essaie, pour ma part, de participer à cette gestion avec beaucoup de modestie, et avec la conscience que, même si les moyens du ministère de la justice ont pu chaque année être un peu accrus, ils ne sont pas suffisants et – je dois le dire – ne le seront jamais, …
M. Robert Badinter. Allégez donc les procédures !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. … j’en ai pleinement conscience. Je sais aussi que la sous-dotation du ministère de la justice ne date pas seulement des dernières années.
J’aimerais que vous reconnaissiez également qu’il s’agit d’une situation historique. Sans doute, à plusieurs reprises, des efforts ont-ils été consentis : je n’en nie aucun, et je respecte trop mes adversaires politiques pour ne pas reconnaître ce qui a été fait, comme ce qui n’a pas été fait.
Je n’ai pas votre expérience d’avocat, et je le regrette. Je ne suis pas non plus magistrat, et crois que je n’aurais pas su l’être. Je suis seulement un pauvre juriste, qui essaie de faire ce qu’il peut… (Sourires.)
Je sais parfaitement que les audiences correctionnelles, aujourd’hui, ne fonctionnent pas bien : commencer à treize heures et finir à vingt-deux heures ou vingt-trois heures, ou plus tard, cela n’est pas satisfaisant. Il s’agit d’une situation ancienne, mais ce n’est pas une raison pour qu’elle se poursuive. Si je cherche à engager des moyens nouveaux, c’est aussi dans le but de l’améliorer. Or je crois très sincèrement que cette réforme, dont j’ai parfaitement conscience qu’elle nécessitera des changements profonds, permettra d’améliorer la situation.
Nous aurons, tous ensemble, à nous assurer que la justice dispose des moyens qui lui sont nécessaires. Chaque jour, les juges remplissent leur office, dans des conditions il est vrai de plus en plus contraintes. Mais ce n’est pas une raison pour ne rien faire et se satisfaire de la situation présente. Je pense au contraire que nous pouvons faire beaucoup mieux, et que cette réforme y concourra. Parce que sa mise en œuvre nécessitera une augmentation des moyens, nous ne l’introduisons pas partout et tout d’un coup : nous avons choisi de l’expérimenter dans les ressorts de deux cours d’appel. Je crois que c’est aussi une manière, pour nous, de faire preuve de modestie.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Vous savez bien que cette réforme est irréaliste !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Être modeste n’a jamais nui à personne : j’essaie pour ma part de l’être, et je ne prétends pas tout connaître.
Je considère également que les citoyens sont toujours respectables. Depuis deux jours, j’entends dire sans arrêt qu’ils n’ont rien demandé, que les matières sont trop techniques, que de simples citoyens ne seront pas capables de rendre la justice. C’est vrai : ce sont de simples citoyens français. En participant à l’œuvre de justice, ils seront un peu plus citoyens…
M. Jean-Jacques Mirassou. Il y a d’autres moyens de mettre en valeur les citoyens !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Il est probable que les choses n’en seront pas fondamentalement changées, mais cette évolution n’est toutefois pas négligeable. Elle s’inscrit dans un mouvement de fond, qui changera la vision que les citoyens ont de la justice. Les associer au jugement de près de 40 000 affaires, et peut-être davantage dans quelques années, si l’expérimentation est concluante, c’est un véritable progrès : nous pouvons le rendre possible tous ensemble, sans nous envoyer à la figure des arguments à l’emporte-pièce…
Je reconnais qu’aujourd’hui le service public de la justice ne fonctionne pas parfaitement. J’essaie, modestement, de contribuer à son amélioration. Si chacun avait bien voulu faire le même effort dans le passé, la situation du service public de la justice serait aujourd’hui différente. Depuis 2007, en effet, le budget de la justice a augmenté chaque année : si la même tendance avait toujours existé, ce budget atteindrait peut-être aujourd’hui un niveau supérieur…
J’admets que nous avons connu, au cours des cinquante dernières années, des périodes plus fastes, mais aussi des déclins, puis des rebonds. Soutenir la justice dans ses moyens doit être un effort constant.
La justice revêt toujours un caractère un peu mystérieux pour nos concitoyens, qui lui demandent beaucoup mais n’ont pas l’habitude de lui donner suffisamment. Aussi n’est-ce pas l’une des moindres vertus de cette réforme que de permettre aux citoyens de se rendre compte de ce dont la justice a besoin.
Avec calme et modestie – car les grandes envolées ne sont guère dans mes habitudes –, je vous répète que je crois cette réforme véritablement utile. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, sur certaines travées du RDSE ainsi qu’au banc de la commission.)
M. le président. La parole est à Mme Virginie Klès, pour explication de vote.
Mme Virginie Klès. Monsieur le garde des sceaux, je n’ai ni le prestige, ni l’expérience, ni la connaissance approfondie du monde de la justice de mon collègue Robert Badinter. Néanmoins, depuis trois ans, j’écoute, j’entends, et je découvre une justice et une magistrature exsangues…
Mme Virginie Klès. … qui ne savent plus comment faire pour remplir correctement leurs missions.
Les postes manquent partout. J’ai lu – je ne sais plus où – que les moyens et les postes étaient largement suffisants pour mettre en œuvre la nouvelle réforme de la garde à vue et de l’aide juridictionnelle.
Tel n’est pas le cas en Bretagne : dans le ressort du tribunal de grande instance de Rennes, il manque aujourd’hui deux juges.
Quoi que vous puissiez dire, et quoi que l’on puisse lire dans certains journaux, les moyens et les postes de magistrats manquent aujourd’hui partout en France.
Pourquoi, dans ces conditions, vous obstinez-vous à compliquer les procédures et à lancer des expérimentations dont nous vous disons, sur les travées de la gauche et du centre, qu’elles sont inutiles et qu’elles aggraveront, à rebours de l’objectif que vous affichez, l’incompréhension des citoyens à l’égard du fonctionnement de la justice ?
Si vraiment vous disposez de moyens supplémentaires, et pouvez financer la création de cent nouveaux postes de magistrats, pourquoi ne pas en faire bénéficier les cours qui en ont besoin aujourd’hui ?
Une seule question se pose : quelle est la nécessité d’une réforme qui coûtera beaucoup d’argent, et que vous dites pouvoir financer, quand les moyens qui l’accompagnent seraient nécessaires au fonctionnement normal de la justice aujourd’hui ?
Une fois de plus, vous répondez à une commande du Président de la République, que nous avons suffisamment entendu s’exprimer sur le sujet ; reconnaissez-le au moins !
M. le président. La parole est à Mme Catherine Tasca, pour explication de vote.
Mme Catherine Tasca. Ne nous enfermez pas, monsieur le garde des sceaux, dans un dialogue de sourds, car vous avez très bien entendu ce qu’ont dit Robert Badinter et beaucoup d’entre nous depuis le début de l’examen de ce projet de loi.
Vous nous avez renvoyés à l’histoire assez sombre du service public de la justice ; soyez assuré que, sur nos territoires, nous touchons tous du doigt les manques dont souffrent l’organisation de la justice et le système pénitentiaire.
Nous vous demandons seulement de réfléchir à la simplification du travail de la justice. Or le projet que vous défendez, peut-être à votre corps défendant (M. le garde des sceaux s’en défend.), ne fait qu’aggraver le dramatique blocage actuel.
Les cours, quelles qu’elles soient, ne suffisent plus à répondre aux attentes des justiciables ; elles sont débordées. Or le seul secours que vous leur offrez est un projet de loi qui complique encore les procédures et introduit un artifice, que j’appelais hier un leurre : la présence des citoyens assesseurs.
Le jour où la justice disposera de tous les moyens qui lui sont nécessaires, il sera temps de se livrer à des expériences pédagogiques – tout un travail pourrait d’ailleurs être conçu sur ce plan, en particulier pour permettre au public scolaire de pénétrer les arcanes du fonctionnement de la justice. Mais il est auparavant nécessaire que l’appareil de la justice ait été remis à flot, et que les moyens de fonctionner lui aient été donnés.
Compliquer les procédures, monsieur le garde des sceaux, c’est rendre un mauvais service à la justice, aux professionnels qui la font vivre, aux justiciables et à l’ensemble des citoyens, qu’ils soient ou non assesseurs.
Aussi, plutôt que de nous renvoyer aux impérities des politiques publiques successives s’agissant des moyens de la justice, entendez ce que nous vous disons et posez-vous sérieusement la question de la simplification des procédures : ainsi la justice ira-t-elle plus vite et plus droit, et les attentes des justiciables seront-elles mieux satisfaites.
M. le président. La parole est à M. Alain Anziani, pour explication de vote.
M. Alain Anziani. Monsieur le garde des sceaux, nous nous trouvons à un moment clé, qui permet à un certain nombre de groupes de faire entendre leur position sur votre projet de loi.
La nôtre s’explique, au-delà du projet de loi lui-même, par un ensemble d’événements.
Vous avez déclaré tout à l’heure que vous faisiez preuve de modestie. Je vous en sais gré, car c’est une vertu précieuse ; je pense que vous la possédez en effet. Mais vous possédez aussi l’art de ne pas répondre aux questions que l’on vous pose… (Sourires.)
Robert Badinter vous a posé une question extrêmement simple, que l’on peut résumer par la métaphore suivante : il nous a expliqué, en substance, que, bien que le bateau soit en train de couler, vous continuiez à le surcharger, de telle sorte qu’il coulera encore plus vite !
Mme Catherine Tasca. Voilà !
M. Alain Anziani. Face à cette situation de détresse, que répondez-vous ? Que vous n’êtes pas responsable des avaries que le bateau subissait depuis si longtemps ! Ce n’est pas la bonne réponse ! Nous aurions voulu que vous nous expliquiez, monsieur le garde des sceaux, comment vous comptez vous y prendre pour sauver l’équipage et le bateau et que vous nous détailliez les moyens que vous allez mettre en œuvre pour permettre à celui-ci d’achever sa croisière. Là est le débat ! Au lieu de régler les vraies questions, au lieu de donner des moyens à la justice, vous la surchargez de lois inutiles et à grand spectacle. Évidemment, nous ne pouvons qu’être opposés à cette politique.
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou, pour explication de vote.
M. Jean-Jacques Mirassou. Comment peut-on prétendre promouvoir l’appareil judiciaire et œuvrer en faveur d’un meilleur fonctionnement de la justice de notre pays, quand on sait les conditions dans lesquelles a été menée la refonte de la carte judiciaire, refonte dont l’immense majorité de nos collègues ici présents ont fait la malheureuse expérience dans leurs départements respectifs ?
Allez donc expliquer à un habitant de Haute-Garonne, surtout s’il réside dans le sud du département – qui a vu la suppression d’un tribunal de grande instance – ou à la périphérie de Toulouse – dont la population réclame depuis très longtemps, en vain, la création de maisons de justice et du droit –, que la situation va s’améliorer soudainement grâce au présent projet de loi ! Vous êtes en dehors de la réalité !
En outre, il existe une formidable distorsion entre votre conception de la citoyenneté et la nôtre. Arriver à faire croire ou tenter de faire croire que l’on va promouvoir la citoyenneté dans notre République en créant, de manière artificielle et hâtive, des assesseurs citoyens, c’est vraiment, comme l’a dit à l’instant Robert Badinter, s’en tenir à des slogans et spéculer outrageusement sur des réflexes démagogiques, qui, par définition, sont à l’opposé de la conception que nous nous faisons de l’esprit critique et du rôle de citoyen.
Notre différend est réel, monsieur le garde des sceaux, et je doute fort que votre discours minimaliste et presque compassionnel nous fasse changer d’avis.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 14, 48 et 124 rectifié.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Je mets aux voix l’article 4.
(L’article 4 est adopté.)
Article 5
I. – Après l’article 510 du code de procédure pénale, il est inséré un article 510-1 ainsi rédigé :
« Art. 510-1. – Lorsque l’appel porte sur des infractions relevant des dispositions de l’article 399-2 ou 399-3, la chambre des appels correctionnels est composée, outre de son président et des deux conseillers, de deux citoyens assesseurs désignés conformément aux dispositions des articles 10-1 à 10-13.
« Les articles 399-4 et 399-5 sont alors applicables.
« Ne peuvent examiner une affaire en appel les citoyens assesseurs qui ont connu du dossier devant le tribunal correctionnel citoyen.
II. – (Non modifié) Après l’article 512 du même code, il est inséré un article 512-1 ainsi rédigé :
« Art. 512-1. – Lorsque la chambre des appels correctionnels comprend des citoyens assesseurs, les articles 461-1 à 461-5 et 486-1 à 486-4 sont applicables. »
M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.
L’amendement n° 15 est présenté par MM. Michel et Anziani, Mmes Klès et Tasca, M. Badinter, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
L’amendement n° 49 est présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du parti de gauche.
L’amendement n° 125 rectifié est présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, pour présenter l’amendement n° 15.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Cet article a pour objet d’assurer la présence de citoyens assesseurs au sein de la chambre des appels correctionnels.
Alors que la commission Léger s’était expressément prononcée contre l’introduction d’échevins en appel, compte tenu du travail d’unification du droit devant être réalisé par les juridictions du second degré, le présent projet de loi prévoit que deux citoyens assesseurs siégeront dans les chambres des appels correctionnels.
Or les dossiers qui sont examinés en appel sont souvent d’une nature beaucoup plus complexe. Ils nécessitent des connaissances juridiques solides. Les arrêts soumis au contrôle éventuel de la Cour de cassation en cas de pourvoi doivent être motivés tant en fait qu’en droit, ce qui constitue à l’évidence une tâche impossible pour des jurés populaires.
C’est pourquoi nous ne pouvons que demander la suppression de cette disposition.
M. le président. La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat, pour présenter l’amendement n° 49.
Mme Josiane Mathon-Poinat. En cohérence avec l’opposition que nous avons manifestée à la présence de citoyens dans les tribunaux correctionnels, nous nous opposons également – car vous connaissez notre constance ! – à leur présence au sein de la chambre des appels correctionnels.
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour présenter l’amendement n° 125 rectifié.
M. Jacques Mézard. Monsieur le garde des sceaux, vous voulez introduire des citoyens assesseurs non seulement dans les tribunaux correctionnels, en première instance, mais également dans les cours d’appel. Nous savons tous quelle situation connaissent, aujourd’hui, les cours d’appel : les délais d’audiencement y sont généralement longs, en raison de l’accumulation des dossiers que les moyens humains et matériels ne permettent pas de résorber comme il le faudrait.
L’introduction des citoyens assesseurs au sein des chambres des appels correctionnels allongera le délai de traitement des dossiers et la durée des audiences. Et nul n’ignore comment se déroulent les audiences devant une cour d’appel !
J’ai bien peur que cette nouvelle procédure ne soit difficile à mettre en œuvre. Là encore, les présidents des chambres des appels correctionnels devront se livrer à un exercice pédagogique particulièrement difficile, long et délicat.
Nous ne cessons de vous répéter la même chose depuis deux jours. Certains ont parlé de dialogue de sourds. Je ne vous fais pas un procès d’intention, monsieur le garde des sceaux, mais vous nous avez vous-même déclaré que les problèmes auxquels la justice est confrontée ne datent ni de cette année ni de l’année dernière, ajoutant que, en la matière, la responsabilité était collective – même si nous pensons, pour notre part, que la situation s’est aggravée, à bien des égards, ces derniers temps. Or le seul traitement que vous nous proposez est cette innovation législative qui laisse tout le monde dubitatif, y compris dans les rangs de votre majorité, où elle ne suscite pas un enthousiasme débordant.
Vous introduisez les citoyens assesseurs dans la chambre des appels correctionnels ; je ne pense pas, tout de même, que vous fassiez de même pour la Cour de cassation ! Tout le monde vous dit que cette mesure est négative, et même nocive, pour le fonctionnement de notre justice.
Tous les arguments sont respectables et recevables, monsieur le garde des sceaux, mais prétendre que l’opposition contesterait la création des citoyens assesseurs au motif que nous les considérerions comme insuffisamment formés et intelligents pour siéger dans les juridictions relève de la pure démagogie. Le problème n’est pas là ! Les citoyens assesseurs ne seront pas meilleurs que les étudiants en droit ou que les professionnels de la justice et il n’est pas sérieux d’attendre d’eux qu’ils en sachent autant, en vingt-quatre heures, sur un certain nombre de questions judiciaires et juridiques, que ceux qui y ont consacré plusieurs années.
Nous vous l’avons dit parfois avec humour, parfois avec gravité, Robert Badinter vous l’a dit avec toute la conviction et l’expérience qui sont les siennes. Pour ma part, mes trente-sept années de pratique m’autorisent, en toute humilité, à vous dire que vous faites fausse route, que vous n’allez pas dans le bon sens. La présence des citoyens assesseurs dans la chambre des appels correctionnels introduira une complexité supplémentaire et allongera les délais, elle sera extrêmement nocive. Vous rendriez service à la justice en y renonçant.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. La commission des lois a émis un avis défavorable sur ces trois amendements identiques pour des raisons que je prendrai quelques instants à détailler.
On aurait pu éventuellement imaginer que les citoyens assesseurs ne soient présents que dans les chambres des appels correctionnels, dans la mesure où les procès en appel provoquent moins de stress, moins de précipitation et sont empreints d’une plus grande sérénité. Quand bien même cette solution aurait permis de diviser par plus de dix le nombre d’hypothèses visées – on compte annuellement 600 000 décisions de première instance et entre 40 000 et 50 000 décisions d’appel –, nous n’y avons pas donné suite, estimant que limiter la présence des citoyens assesseurs aux procédures d’appel aurait très largement restreint la participation des citoyens à l’expression de la justice pénale.
Il me paraît quelque peu paradoxal que l’on puisse envisager la présence des citoyens assesseurs en première instance, et non pas en appel. Mes chers collègues, comme l’a démontré l’affaire d’Outreau, les décisions des cours d’assises peuvent désormais fort heureusement faire l’objet d’un appel. Imaginez-vous un seul instant que ne siègent que des magistrats professionnels dans les cours d’assises de second ressort ? Rien ne le justifierait. Pareillement, puisque des citoyens assesseurs siégeront en première instance, il faut absolument qu’ils siègent en appel pour connaître des mêmes affaires.
La présence des citoyens assesseurs introduit une solennité supplémentaire et il n’y aurait aucun sens à considérer que, de ce point de vue, la première instance mérite davantage de considération que l’appel.
La question de fond est la suivante : sommes-nous favorables ou défavorables à la présence des citoyens assesseurs ? L’opposition a dit et répété qu’elle y était hostile, cependant que la majorité s’y montre favorable. Nous sommes sur ce point en désaccord. Mais puisque nous avons décidé que ces citoyens assesseurs seraient présents en première instance, bien évidemment ils doivent l’être aussi en appel. Le contraire n’aurait aucun sens.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.
M. Jacques Mézard. M. le rapporteur se livre à un louable exercice pour tenter de nous convaincre, mais je tiens à lui dire que cette question ne relève pas d’un affrontement entre la droite et la gauche ; il s’agit d’une affaire de bon sens.
Monsieur le rapporteur, votre argument consiste à dire que, puisque les citoyens assesseurs vont siéger en première instance, il faut également qu’ils siègent en appel.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Sur les mêmes affaires !
M. Jacques Mézard. Certes, mais pourquoi n’appliquez-vous pas ce raisonnement aux procédures engagées devant les conseils de prud’hommes, les tribunaux de commerce ou les tribunaux paritaires des baux ruraux ? Les représentants professionnels qui siègent dans les formations de première instance siègent-ils également en appel ? Non !
Je disais tout à l’heure que vous « ramiez », mais c’était un compliment Si vous étiez logique, il faudrait engager d’autres réformes, par exemple prévoir la présence de magistrats professionnels au sein des tribunaux de commerce. Ce ne serait pas nécessairement une mauvaise chose… Force est de constater que vous ne voulez surtout pas entendre parler de certaines réformes, cependant que vous en engagez d’autres pour des raisons qui n’ont strictement rien à voir avec le bon fonctionnement de la justice.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 15, 49 et 125 rectifié.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. Je mets aux voix l’article 5.
(L’article 5 est adopté.)
Chapitre III
Participation des citoyens au jugement des crimes et amélioration de la procédure devant la cour d’assises
Section 1
Dispositions relatives au déroulement de l’audience et à la motivation des décisions
Article 6
(Non modifié)
L’article 327 du code de procédure pénale est ainsi rédigé :
« Art. 327. – Le président de la cour d’assises expose, de façon concise, les faits reprochés à l’accusé et les éléments à charge et à décharge figurant dans le dossier, tels qu’ils résultent de la décision de renvoi. Lorsque la cour d’assises statue en appel, il donne, en outre, connaissance du sens de la décision rendue en premier ressort et, le cas échéant, de la condamnation prononcée.
« Dans son rapport oral, le président ne doit pas manifester son opinion sur la culpabilité de l’accusé.
« À l’issue de son rapport, le président donne lecture de la qualification légale des faits objets de l’accusation. »
M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.
L’amendement n° 16 est présenté par MM. Michel et Anziani, Mmes Klès et Tasca, M. Badinter, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
L’amendement n° 50 est présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du parti de gauche.
L’amendement n° 126 rectifié est présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Jean-Pierre Michel, pour présenter l’amendement n° 16.
M. Jean-Pierre Michel. L’amendement n° 16 modifie profondément l’article 327 du code de procédure pénale en ce qui concerne le déroulement du procès d’assises.
L’actuel article 327 dispose que le procès d’assises s’ouvre par la lecture de la décision de renvoi – pièce objective – ainsi que, lorsque la cour d’assises statue en appel, des questions posées à la cour d’assises ayant statué en premier ressort, des réponses et de la condamnation prononcée.
Pour des raisons que je comprends mal, l’article 6 tend à remplacer la lecture d’un document objectif par la présentation – « concise », nous dit-on –, du rapport du président de la cour d’assises, rapport qui doit exposer les faits reprochés à l’accusé, les éléments à charge et à décharge tels qu’ils résultent de l’arrêt de renvoi. Lorsque la cour d’assises statue en appel, il expose également le sens de la décision rendue en premier ressort.
Il est précisé que le président ne doit pas manifester son opinion sur la culpabilité de l’accusé. Permettez-moi de souligner que lorsque la cour statue en appel, la culpabilité de l’accusé a déjà été reconnue. Est-ce une opinion ? Je n’en sais rien…
Il est vrai que la lecture de l’arrêt de renvoi, qui comprend beaucoup d’éléments à charge, place souvent l’accusé dans une position très défavorable. On lui assène, dans une lecture monocorde, toutes les charges retenues contre lui.
On peut penser que les dispositions qui nous sont présentées visent à remédier à cette situation. Il était en effet souhaitable d’engager une réflexion sur l’actuel article 327, mais je considère toutefois que cette réflexion n’est pas encore aboutie.
En effet, le président sera placé dans une position très délicate. Ce qui est vrai en correctionnelle le sera plus encore aux assises : les avocats créeront des incidents d’audience en contestant le rapport du président.
Monsieur le garde des sceaux, il ne s’agit en aucun cas de mettre en cause l’impartialité des magistrats. L’impartialité d’un magistrat s’évalue au moment où il rend sa décision. Lorsque le président rédigera son rapport, ses opinions personnelles transparaîtront – il serait difficile qu’il en aille autrement – ne serait-ce que par la présentation qu’il fera du dossier, la manière dont il le traitera, les éléments à charge ou a décharge qu’il retiendra. Il ne s’agit pas de dire que le président n’est pas impartial, il s’agit de reconnaître que son rapport va être contesté.
Nous nous opposons donc à la présentation d’un rapport du président en cour d’assises, comme nous l’avons fait tout à l’heure pour le procès en correctionnelle. Je comprends bien le souhait d’alléger les dispositions actuelles, de ne pas infliger à l’accusé et aux membres de la cour la lecture de l’arrêt de renvoi. Nous considérons toutefois que ce sujet doit donner lieu à de plus amples réflexions, et c’est pourquoi proposons la suppression de l’article 6.
M. le président. La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat, pour présenter l’amendement n° 50.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Cette procédure ne paraît pas adaptée aux assises, où siègent des magistrats professionnels mais aussi des jurés citoyens.
La lecture du rapport peut donner l’impression, voire le soupçon, d’une partialité du président, car le juge d’instruction dans son acte d’accusation, lui, prend parti et motive ses choix.
S’il est vrai que la lecture de l’arrêt de renvoi par le greffier peut placer l’accusé dans une position défavorable dès l’ouverture de l’audience, la nouvelle procédure ne résout en rien cette difficulté. Elle place le président dans une situation fort complexe et ouvre la possibilité, pour chacune des parties, de contester son impartialité dès l’ouverture de l’audience. Le rapporteur a évoqué cette question dans son rapport, qui reprend les propos du président de l’Union syndicale des magistrats mettant en garde contre les risques que comporte la solution proposée.
Monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur, je ne peux que vous inviter à revenir sur cette disposition très contestable, et qui sera sans doute très contestée.
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour présenter l’amendement n° 126 rectifié.
M. Jacques Mézard. L’actuel article 327 du code de procédure pénale dispose que, devant la cour d’assises, le président invite l’accusé et les jurés à écouter la lecture intégrale de la décision de renvoi, en d’autres termes, de l’arrêt de renvoi devant la cour d’assises.
Depuis le début de la discussion de ce projet de loi, on n’a de cesse de nous rappeler l’importance de l’oralité des débats. Tous ceux qui ont assisté à une audience de cour d’assises, ou qui ont été jurés, savent que l’oralité est une donnée fondamentale. (M. le garde des sceaux s’exclame.)
Monsieur le garde des sceaux, vous le savez mieux que personne, les jurés ne disposent pas du dossier, mais ils peuvent demander qu’une pièce leur soit lue. L’arrêt de renvoi est parfois très long, certains pouvant atteindre trois cents pages. Les jurés doivent donc faire preuve d’une grande attention.
Avec l’article 6, on propose que la lecture de l’arrêt de renvoi soit remplacée par la présentation d’un rapport oral rédigé par le président de la cour d’assises. Or, la rédaction d’un tel rapport soulève des difficultés, que M. Lecerf expose de manière très objective à la page 72 de son excellent rapport. Permettez-moi d’en citer quelques extraits : « Le rapport oral ne doit pas donner lieu à la manifestation d’une opinion sur la culpabilité de la personne. […] Plusieurs des interlocuteurs de votre rapporteur ont souligné la difficulté de l’exercice auquel devrait se livrer le président afin de ne manifester aucun présupposé sur la culpabilité de l’accusé. [Le] président de l’USM, a fait remarquer que ce rapport exposera le président aux soupçons de partialité de la même manière que l’ancien résumé avant délibération, abrogé en 1881. » Et c’est exact.
Le système actuel n’est certes pas la panacée, il est critiquable, mais le dispositif que vous nous proposez engendrera des difficultés procédurales considérables. Il donnera lieu à de multiples contestations, à juste titre d’ailleurs, de même que la formulation des questions posées au jury.
Nous sommes, ne l’oublions pas, dans le domaine de l’oralité. Les jurés, et c’est bien normal, n’ont pas accès aux pièces écrites du dossier. Dès lors, le rapport oral aura une influence fondamentale sur la première opinion des jurés.
La première chose que regarde un juré d’assises, il faut le reconnaître, c’est la tête de l’accusé, l’impression qu’il donne. Ensuite, vient la lecture de l’arrêt de renvoi. Vous la remplacez par la présentation d’un rapport oral, lequel aura une influence considérable sur la suite des débats. Je ne dis pas que cette influence sera bonne ou mauvaise, je dis simplement qu’elle sera considérable.
Monsieur le garde des sceaux, je me suis efforcé de vous présenter, simplement et objectivement, les risques que peut engendrer votre dispositif.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Ces amendements visent à supprimer l’article 6 qui prévoit que la lecture de la décision de renvoi, au début du procès en assises, est remplacée par un exposé du président présentant les éléments à charge et à décharge.
La lecture de la décision de renvoi est une formalité souvent lourde, qui ne contribue pas nécessairement à éclairer les jurés, comme nous l’ont indiqué plusieurs magistrats, lors des auditions auxquelles nous avons procédé. Certains d’entre eux ont cité le cas d’ordonnance de renvoi de trois cents pages dont la lecture peut s’étaler sur une ou deux journées. Quelle est la durée maximale d’attention d’un juré… ou d’un sénateur ? Une heure, deux heures peut-être, sans doute pas deux jours. (M. Jacques Mézard s’exclame.) Je ne suis pas persuadé, monsieur Mézard, que tout le monde ait votre capacité d’attention. (Sourires.) Les présidents de cour d’assises faisaient observer que ces lectures de deux jours provoquaient la torpeur tranquille – pour ne pas dire la douce somnolence – des magistrats, des jurés et des avocats. Ce que, d’ailleurs, aucun représentant des avocats n’a contesté.
Les délais d’audiencement en matière criminelle justifient que l’on s’attache à alléger certaines formalités, sans mettre en cause la qualité des débats devant la cour d’assises.
Cela dit, nous n’ignorons pas – M. Mézard a bien voulu lire quelques extraits de mon rapport – le risque de mise en cause de l’impartialité du président de la cour d’assises ni le risque d’incidents d’audience que ne manqueront pas de créer les avocats. Cependant, la commission des lois, dans sa majorité, a considéré que le président de la cour d’assises était un magistrat possédant l’expérience requise pour exposer l’affaire de manière équilibrée.
Nous devons éviter deux risques de nature différente : la lassitude due à la lecture d’une très longue décision de renvoi ou la mise en cause de l’impartialité du président de la cour.
Monsieur le garde des sceaux, l’une des personnalités que la commission a entendue, ancien président de cour d’assises, nous a suggéré, pour remédier à cette situation, une solution que l’on pourrait peut-être envisager dans la suite de la procédure législative, à savoir que l’exposé du président puisse être communiqué avant lecture aux parties afin de recueillir d’éventuelles observations et d’écarter ainsi toute contestation ultérieure.
La commission émet un avis défavorable sur ces trois amendements de suppression.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Michel. La proposition dont M. le rapporteur vient de se faire l’écho mérite d’être étudiée par la chancellerie, et peut-être même pourrait-elle être soumise à l’Assemblée nationale ?
Monsieur le garde des sceaux, à l’heure actuelle, même les rapports et les plans d’audience préparés par les présidents de cour d’assises sont contestés par les avocats. Souvenez-vous du premier procès Ferrara où la présidente de la cour a vu la manière dont elle dirigeait les débats contestée pendant toute la durée du procès, à commencer par le plan d’audience. Avec la présentation d’un rapport, les risques de contentieux me paraissent encore plus importants.
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.
M. Jacques Mézard. Je ne fais aucun procès d’intention aux présidents de cour d’assises et il ne s’agit pas pour moi de mettre en cause leur impartialité.
Monsieur le garde des sceaux, que va-t-il se passer ? D’abord, le président de la cour d’assises va prendre connaissance de l’arrêt de renvoi qui, dans certains cas – rares, admettons-le ! –, peut en effet comprendre trois cents pages. Ensuite, il s’efforcera d’en tirer la substantifique moelle, c’est-à-dire de présenter un résumé des faits, d’énoncer les éléments à charge et à décharge. C’est là qu’intervient l’appréciation strictement personnelle du président. Il peut, en considérant qu’il fait une bonne synthèse du dossier, l’orienter dans un sens ou dans l’autre, sans que son appréciation donne lieu au moindre contrôle a posteriori. C’est toute la différence avec la décision de renvoi qui, elle, peut donner lieu à contestation. Et c’est bien là que réside toute la difficulté. Ce n’est que dans la suite de la procédure que le rapport pourra être contesté, par la partie civile ou par la défense.
Cette disposition présente donc des avantages, mais aussi, il faut bien l’admettre, quelques inconvénients.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 16, 50 et 126 rectifié.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. L’amendement n° 51, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du parti de gauche, est ainsi libellé :
Alinéa 2, première phrase
Remplacer les mots :
reprochés à l’accusé et les éléments à charge et à décharges figurant dans le dossier, tel qu’ils résultent de la décision de renvoi
par les mots :
en veillant à ne pas entrer dans le détail des charges qui vont être discutées au cours de l’audience
La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Cet amendement vise à remédier à la situation que nous avons critiquée dans notre précédent amendement.
Afin de prémunir le président de la cour d’assises contre tout soupçon de partialité, nous prévoyons que celui-ci expose les faits en veillant à ne pas entrer dans le détail des éléments à charge et à décharge qui seront examinés au cours de l’audience.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf. La commission est défavorable à cet amendement.
Le texte du projet de loi précise que, outre la présentation des faits, le président de la cour d’assises doit indiquer les éléments à charge et à décharge. Il s’agit d’abord de garantir la meilleure information possible des jurés.
Or la présentation des éléments à charge et à décharge constitue une information utile pour ces jurés. Elle garantit aussi – dans une certaine mesure –, mieux que le seul exposé des faits, une présentation de l’affaire qui paraît équilibrée.
Je comprends l’intention de notre collègue, mais j’estime que la solution qu’elle préconise serait pire que le mal que nous nous efforçons d’éviter.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L’amendement n° 127 rectifié, présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi, est ainsi libellé :
Alinéa 2, seconde phrase
Après les mots :
en premier ressort
insérer les mots :
, de sa motivation
La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Par cet amendement, nous souhaitons anticiper sur le nouveau système de motivation des arrêts de cours d’assises mis en œuvre à l’article 7 du projet de loi. Si nous nous opposons à cette réforme, nous estimons néanmoins nécessaire que, le cas échéant, la motivation de la décision des juges du premier degré soit portée à la connaissance des juges d’appel.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. La commission a émis un avis favorable sur cet amendement. Elle estime en effet que cette information est très utile et que l’existence de l’appel est l’un des arguments principaux en faveur de la motivation des arrêts de cours d’assises.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je constate que cet amendement a été adopté à l’unanimité des présents.
Je mets aux voix l’article 6, modifié.
(L’article 6 est adopté.)
Article 7
I (nouveau). – Au deuxième alinéa de l’article 353 du même code, les mots : « La loi ne demande pas compte aux juges » sont remplacés par les mots : « Sous réserve de l’exigence de motivation de la décision, la loi ne demande pas compte à chacun des juges et jurés composant la cour d’assises. »
II. – La section 1 du chapitre VII du titre Ier du livre II du même code est complétée par un article 365-1 ainsi rédigé :
« Art. 365-1. – Le président ou l’un des magistrats assesseurs par lui désigné rédige la motivation de l’arrêt.
« En cas de condamnation, la motivation consiste dans l’énoncé des principaux éléments à charge qui, pour chacun des faits reprochés à l’accusé, ont convaincu la cour d’assises. Ces éléments sont ceux qui ont été exposés au cours des délibérations menées par la cour et le jury, conformément à l’article 356, préalablement aux votes sur les questions.
« La motivation figure sur un document annexé à la feuille des questions appelé feuille de motivation, qui est signée conformément aux dispositions de l’article 364. »
III (nouveau). – Après le premier alinéa de l’article 366 du même code, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« Le président donne lecture des mentions figurant dans la feuille de motivation. »
M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.
L’amendement n° 17 est présenté par MM. Michel et Anziani, Mmes Klès et Tasca, M. Badinter, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
L’amendement n° 52 est présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de gauche.
L’amendement n° 128 rectifié est présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Charles Gautier, pour présenter l’amendement n° 17.
M. Charles Gautier. La question de la motivation des arrêts d’assises présente de nombreuses difficultés.
En effet, en vertu de l’article 353 du code de procédure pénale, il est uniquement demandé aux jurés populaires de se prononcer selon leur intime conviction. La Cour de cassation a jugé de manière constante que notre procédure satisfaisait aux exigences légales et conventionnelles. Elle l’a encore rappelé dans un arrêt du 10 novembre 2010.
Or la Cour européenne des droits de l’homme, dans son arrêt Taxquet c/Belgique du 16 novembre 2010, a récemment condamné la Belgique pour la non-motivation de ses arrêts d’assises. Cependant, le 1er avril 2011, le Conseil constitutionnel, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité, a déclaré notre procédure actuelle conforme à la Constitution en considérant que « l’absence de motivation en la forme ne peut trouver de justification qu’à la condition que soient instituées par la loi des garanties propres à exclure l’arbitraire ». Il a rappelé, enfin, que notre procédure actuelle présentait de telles garanties.
Nous nous trouvons donc face à deux décisions qui semblent antagonistes. Mais il ne faut pas oublier que les procédures belges et françaises ne sont pas identiques ; n’interprétons pas trop hâtivement les conséquences d’un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme rendu sur la procédure d’un autre État.
Au-delà de ces différentes positions jurisprudentielles, il faut aussi comprendre que l’exigence de motivation va engendrer des complications sérieuses et parfois même inextricables. En effet, le magistrat sera contraint de matérialiser les éléments que les jurés auront pris en compte, chacun pour sa part, afin de prendre une décision en leur intime conviction.
L’hétérogénéité d’un tel groupe de personnes, de par leurs origines et leur sensibilité, est par essence contraire à l’exigence de motivation. Celle-ci alourdira considérablement la charge de travail des magistrats qui devront effectuer un numéro de funambule pour parvenir à une synthèse des différentes convictions.
Même s’ils réussissent, l’exigence de motivation va, dans un second temps, bouleverser l’équilibre entre magistrats et citoyens dans la prise de décision.
En effet, les jurés sont appelés à prendre une décision en leur intime conviction. Avec l’exigence d’une motivation, le magistrat influencera sans aucun doute les jurés en les orientant afin, je le répète, de parvenir à une synthèse.
Vouloir résumer en quelques paragraphes l’opinion d’un jury, par essence hétéroclite, reviendra naturellement à priver cet organe de ses objectifs fondamentaux : la représentation citoyenne dans toute sa diversité ainsi que la libre prise de décision des jurés en leur intime conviction.
M. le président. La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat, pour présenter l’amendement n° 52.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Nous ne sommes pas opposés à la motivation des arrêts de cours d’assises, en tant que telle, car elle peut constituer une garantie de transparence et de lisibilité bénéfique pour l’exercice des droits de la défense, notamment du droit d’appel.
Aujourd’hui, par dérogation à l’obligation de motivation des décisions de justice posée par l’article 485 du code de procédure pénale, les arrêts rendus par une cour d’assises ne sont pas motivés en France. Cette dérogation résulte du caractère très particulier de cette cour, émanation du peuple souverain, et du fait que ses décisions reposent sur une intime conviction, selon un principe affirmé sous la Révolution : leur motivation n’est donc pas nécessaire.
Le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 1er avril 2011 – ce n’était pas un poisson d’avril ! (Sourires) –, a d’ailleurs jugé que ce système est conforme aux principes et valeurs constitutionnels, en raison de l’existence de garanties légales propres à exclure l’arbitraire.
Il semble également que notre droit, comme l’a rappelé notre collègue, soit en compatibilité totale avec la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme, exprimée dans sa décision du 13 janvier 2009.
Quoi qu’il en soit, même si l’on accepte le principe de motivation des arrêts de cours d’assises, une chose est sûre : il ne doit pas être mis en œuvre selon les modalités prévues à l’article 7 du projet de loi.
En effet, en prévoyant une rédaction de la motivation par le président de la cour, alors même qu’il s’agit d’une décision rendue par les jurés, ce projet de loi en fait un exercice tout à fait factice et artificiel qui aura pourtant des conséquences réelles. Rappelons, à cet égard, que le président n’assiste pas aux délibérations du jury. Dès lors, il paraît pour le moins difficile de lui accorder la responsabilité juridique de retranscrire la motivation de l’arrêt, alors que celle-ci est censée apporter un élément de transparence pour fonder un éventuel recours.
En l’absence d’obligation, il nous semble préférable de renoncer à la motivation de ces arrêts, plutôt que d’introduire un dispositif quelque peu boiteux de motivation a posteriori.
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour présenter l’amendement n° 128 rectifié.
M. Jacques Mézard. Sur cet article 7, j’avoue avoir été partagé après les auditions – informelles, faute de temps – auxquelles nous avons procédé. Les avis des représentants d’organisations de magistrats que nous avons recueillis m’ont incité à réfléchir.
Effectivement, vous nous proposez de modifier considérablement le système actuel. (M. le garde des sceaux feint de s’étonner.) Cela peut être une bonne chose, monsieur le garde des sceaux, à condition que le résultat soit positif.
Or, mes chers collègues, j’attire votre attention sur le fait que cette modification fondamentale ne trouve pas son origine dans les décisions du Conseil constitutionnel, comme viennent de le rappeler nos collègues.
En fait, c’est vous qui avez décidé que les arrêts de cours d’assises devraient désormais être motivés. A priori, une telle décision paraît aller dans le bon sens, mais sa mise en œuvre est extrêmement difficile.
Pour ce faire, vous êtes obligés de modifier les dispositions de l’article 353 du code de procédure pénale concernant la lecture aux jurés, par le président de la cour d’assises, de la manière dont ils doivent réfléchir pour prendre leur décision : « La loi ne demande pas compte aux juges des moyens par lesquels ils se sont convaincus, elle ne leur prescrit pas de règles desquelles ils doivent faire particulièrement dépendre la plénitude et la suffisance d’une preuve […] ». Cet article se termine par la phrase suivante : « Avez-vous une intime conviction ? »
L’article 7 du projet de loi prévoit une modification considérable, en remplaçant les mots : « La loi ne demande pas compte aux juges », par les mots : « Sous réserve de l’exigence de motivation de la décision, la loi ne demande pas compte à chacun des juges et jurés composant la cour d’assises. » C’est un véritable bouleversement, qui est en fait assez antinomique avec le système de l’intime conviction !
D’un côté, l’article 353 du code de procédure pénale rappelle aux jurés que leur motivation se fonde uniquement sur leur intime conviction : ils délibèrent, ils n’ont pas à expliquer leurs décisions, ils n’ont pas à motiver chacun de leur vote sur la culpabilité ou sur la peine. De l’autre, l’article 7 dispose que le président rédige la motivation de l’arrêt. Je le répète, c’est antinomique !
Nous nous orientons, au fil des années, vers une modification considérable de ce qu’était initialement la cour d’assises, avec ses qualités et ses défauts.
Quand à la motivation, qui sera l’œuvre du président, elle donnera inéluctablement et légitimement lieu à contestation, monsieur le ministre, à moins que vous ne décidiez de modifier beaucoup plus en profondeur les dispositions de l’article 353 du code de procédure pénale.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Ces amendements identiques visent à supprimer l’article 7 du projet de loi, qui prévoit la motivation des arrêts rendus par les cours d’assises. En ce sens, ils sont totalement contradictoires avec l’amendement de notre collègue Mézard que nous venons de voter à l’unanimité voilà quelques instants. Je m’apprêtais d’ailleurs à lui manifester ma perplexité face à sa proposition, mais le caractère nuancé de celle-ci m’a dissuadé de le faire…
Certes, mes chers collègues, la motivation n’est commandée par aucune décision du Conseil constitutionnel ou de la Cour européenne des droits de l’homme. Mais sommes-nous condamnés à ne légiférer que sous leur contrainte ? Je ne le crois pas. Nous est-il interdit, en tant que législateurs, d’améliorer le droit en vigueur de notre propre initiative ? Nous avons tous la réponse à cette question. Or la motivation des arrêts de cours d’assises apparaît souhaitable à plusieurs titres.
Il peut d’abord sembler paradoxal qu’un jugement correctionnel ou contraventionnel soit motivé, alors qu’un arrêt criminel, dont le retentissement est souvent bien plus grand et les conséquences plus lourdes, ne l’est pas.
Ensuite, la motivation de première instance paraît inhérente au droit d’appel – tel est d’ailleurs le sens de notre vote unanime d’il y a quelques instants. Elle permet au condamné de connaître les raisons qui ont fondé la décision des juges et de décider en connaissance de cause s’il doit ou non exercer une voie de recours. Elle fournit également à la juridiction du second degré un cadre de référence en permettant de centrer les débats sur les questions importantes.
Par ailleurs, la motivation pourrait introduire une certaine rationalité dans un processus qui fait parfois une large part à l’émotivité. En Allemagne, en Espagne et en Suisse, où le jugement des infractions pénales les plus graves est le fait de juges professionnels et de jurés ou d’échevins, les décisions sur la culpabilité et la peine sont motivées.
La commission des lois a enfin apporté quatre séries de modifications au dispositif initialement proposé par le Gouvernement : la motivation sera exigée pour un acquittement, et pas seulement pour une condamnation, comme l’ont réclamé notamment les associations de victimes ; la référence aux éléments à charge, notion figurant déjà dans le code de procédure pénale, a été substituée à celle de « raisons », qui paraît moins s’accorder avec le principe de l’intime conviction ; la feuille de motivation devra être signée par le président et le premier juré afin de garantir le contrôle du jury sur la motivation retenue par le magistrat ; enfin, la motivation sera lue par le président immédiatement après le prononcé de l’arrêt dans la salle d’audience.
Pour toutes ces raisons, la commission est défavorable à ces trois amendements, et elle estime que la motivation des arrêts des cours d’assises est inéluctablement inscrite dans l’évolution de notre droit.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je m’arrêterai quelques instants sur cet article, qui est important et constitue à mon sens une avancée assez fondamentale pour notre droit.
J’ai bien compris qu’il nous est proposé, au travers de ces trois amendements de suppression, de ne rien faire, de ne pas bouger… Leurs auteurs nous disent, et je suis tout à fait d’accord avec eux, que cette réforme visant à la motivation des décisions des cours d’assises n’est pas une obligation constitutionnelle, comme l’a rappelé le Conseil constitutionnel le 1er avril 2011. Elle n’est pas non plus une obligation conventionnelle, la Cour européenne des droits de l’homme l’a rappelé dans son arrêt de grande chambre, Taxquet c/Belgique, du 16 novembre 2010.
Mais il me semble que, voilà quelques semaines, on me reprochait toutes les vingt-deux secondes le fait que nous légiférions parce que nous y étions obligés par le Conseil constitutionnel et la Cour de Strasbourg…
En l'occurrence, le Parlement se situe dans la plénitude de ses fonctions. (Mme Virginie Klès s’exclame.) Il est parfaitement libre de réformer, mais n'est nullement obligé de le faire. Je ne crois pas pour autant que l’immobilisme soit préférable, et j’avoue qu’un tel raisonnement me surprend. Il me semble en effet que le législateur ne doit jamais renoncer à améliorer notre droit, y compris lorsqu’il n’est nullement contraint de le faire.
Au demeurant, la réflexion sur cette question ne date pas d’hier, puisque le sujet figurait déjà au cœur des travaux d’une commission réunie, en 1982, par le garde des sceaux de l’époque, M. Robert Badinter, et présidée par le professeur Léauté. Elle a ensuite été reprise dans le projet de loi portant réforme de la procédure criminelle, présenté par Jacques Toubon en 1996.
La motivation des arrêts d'assises me semble constituer, à plusieurs égards, une avancée importante.
Elle renforcera tout d'abord la confiance dans la justice, en permettant à l'accusé, à la victime, et plus généralement au public de comprendre le pourquoi d’une décision. On nous rappelle à longueur de temps que la convention européenne des droits de l’homme de 1950 garantit le droit à un procès équitable. Mais la première exigence du procès équitable n’est-elle pas qu’une personne comprenne pourquoi elle est condamnée ? Or l’on ne peut comprendre les raisons de sa condamnation que si les décisions sont motivées.
Cette réforme me paraît donc de nature à rationaliser un processus de décision parfois trop empreint d'émotivité, en conduisant jurés et magistrats à s'appuyer sur des motivations concrètes, sans céder aux sentiments d'un instant.
Elle donnera des indications utiles à l'accusé, au parquet et à la victime pour décider ou non de faire appel.
Surtout, elle supprimera une incohérence extrême de notre droit. Aujourd’hui, les condamnations les plus graves ne sont pas motivées, alors que les moins graves le sont ! En effet, les décisions des tribunaux correctionnels sont obligatoirement motivées, tandis que les décisions criminelles des cours d'assises ne le sont pas. Comprenne qui pourra…
En tout état de cause, la réflexion des praticiens et de la doctrine progresse sur ce point. Je vous renvoie ainsi à la lecture d’un article de Michel Huyette, conseiller à la cour d’appel de Toulouse et président de cour d’assises, paru au recueil Dalloz 2011 et intitulé « Comment motiver les décisions de la cour d’assises ? » Ce magistrat conclut son texte en préconisant « l’adoption d’un mécanisme très simple de motivation succincte de l’arrêt pénal, avec un président de cour d'assises présentant en quelques paragraphes l’essentiel du raisonnement ayant conduit à la décision, le contrôle de la Cour de cassation étant alors un contrôle léger du fait de la particularité de la juridiction criminelle ».
C'est très exactement ce que le Gouvernement propose dans son projet de loi, et ce que la commission a bien voulu reprendre dans son texte.
De surcroît, comme l'observe ce magistrat, je confirme que le contrôle de la Cour de cassation portera exclusivement sur l'existence d’une motivation et sur l'absence de contradiction entre les différents éléments à charge retenus dans la motivation adoptée.
Je précise par ailleurs que le droit comparé justifie cette réforme et montre que c'est évidemment au président, et non aux jurés, de mettre en forme la motivation.
Rares sont les pays européens où la loi impose aux jurés de rédiger eux-mêmes la motivation du jugement : ainsi, au Royaume-Uni, en Espagne, en Allemagne et en Italie, pays où les décisions des jurys d’assises sont motivées, ce sont les magistrats professionnels qui rédigent la motivation, car ils ont les capacités juridiques et techniques pour mettre en forme les arguments des uns et des autres.
Bien évidemment, ce texte peut encore être perfectionné, et la commission des lois du Sénat l’a sensiblement amélioré, comme vient de le rappeler M. le rapporteur.
Je crois très honnêtement que la motivation des arrêts d’assises deviendra obligatoire. Cette évolution me semble en effet inéluctable : les justiciables ont envie de savoir pourquoi ils sont condamnés, ce qui est d’ailleurs aisément compréhensible.
C'est la raison pour laquelle je vous demande, mesdames, messieurs les sénateurs, de rejeter ces amendements de suppression et d'accepter que, enfin, les arrêts d'assises soient motivés dans notre pays.
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.
M. Jacques Mézard. Avant que je ne développe mon argumentation, vous avouerez, monsieur le garde des sceaux, que j’ai toujours cherché à faire la part des choses entre les aspects positifs et négatifs de cette réforme.
Le débat sur la motivation des arrêts d’assises n'est pas nouveau, en effet, et il ne date pas du dépôt de ce texte. Ma position initiale était de dire qu'il fallait les motiver. Je crois toujours que nous devrons un jour atteindre cet objectif. Toutefois, faute d’une concertation suffisante avec les professionnels qui suivent ces affaires d'assises, il me semble impossible d’entériner aujourd’hui le projet qui nous est soumis.
Cet après-midi, M. le rapporteur rappelait que, grâce à la présence des jurés, les arrêts d'assises étaient généralement bien acceptés par l'opinion publique, celle-ci considérant que la justice criminelle était rendue de manière satisfaisante dans notre pays. J'en ai donc conclu que, de l’avis général, ces arrêts remplissaient leur rôle. Or vous venez à l'instant de contredire cette affirmation, monsieur le garde des sceaux, en prétendant que les décisions de cours d'assises n’étaient pas comprises de nos concitoyens. Une fois de plus, il y a une contradiction manifeste dans les arguments qui nous sont présentés.
Nous devons, me semble-t-il, aller plus loin que la simple modification de l'article 353 du code de procédure pénale envisagée à cet article 7, et le dispositif mérite d’être revu.
En l’occurrence, l'objectif que vous visez me semble opportun, mais il nécessite une réforme beaucoup plus globale de la procédure criminelle.
Votre proposition, monsieur le garde des sceaux, aura pour conséquence d’accroître considérablement la responsabilité des présidents de cour d’assises.
Un arrêt de cour d'assises vise en effet à répondre à de nombreuses questions qui portent, notamment, sur la culpabilité, l'auteur principal ou les complices éventuels. Imaginons qu’une cour d'assises, à la suite d’une délibération, prenne une décision de condamnation. Si la présente réforme est adoptée, le président de la cour devra rédiger une motivation correspondant à l'ensemble de ces votes et des débats qui les ont précédés. De deux choses l’une : soit il la rédigera après que les jurés, avec l’aide des magistrats, auront pris leur décision, soit il commencera à préparer sa motivation en amont, en laissant éventuellement la porte ouverte à plusieurs possibilités. Ne nous leurrons pas, mes chers collègues : c'est bien la seconde hypothèse qui risque de se réaliser le plus souvent, et cela pose un sérieux problème.
Dans des cours d’assises où les délibérés ont déjà tendance à s’éterniser, où la pression et la tension sont palpables dans les salles d'audience, il faudra encore trouver le temps, forcément très long, nécessaire à la rédaction de la motivation de la décision.
Le dispositif proposé ne me semble pas suffisamment préparé. En vous écoutant, monsieur le garde des sceaux, je me suis dit que le problème de la rédaction de la motivation va être très préoccupant.
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures quarante, est reprise à dix-huit heures quarante-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
La parole est à Mme Virginie Klès, pour explication de vote.
Mme Virginie Klès. Monsieur le garde des sceaux, tout à l’heure, vous nous avez indiqué que nous partagions le constat suivant : la justice va mal. J’en suis d’accord. Mais un fossé d’incompréhension se creuse ensuite. Malgré vos conclusions, vous ne voulez rien entreprendre.
Permettez-moi d’utiliser une métaphore employée dans le monde médical, milieu que je connais mieux que celui de la justice. J’arriverai peut-être ainsi à vous faire comprendre ce que nous ressentons à propos du présent projet de loi.
La justice va mal, très mal même. Elle est exsangue, en état de choc.
En matière médicale, lorsqu’une personne est en état de choc, on ne fait pas rien, mais, en tout cas, on ne la bouge surtout pas. Sur place, le cas échéant, on arrête l’hémorragie, on rétablit sa volémie en lui injectant par perfusion du sang, des sérums hyperglucosés, on la met sous oxygène. Une fois son état stabilisé et passé l’état de choc, on la transporte alors à l’hôpital. Éventuellement, on tente la greffe de foie, de rein, de cœur, on met en place une thérapie expérimentale si on la pense utile.
Aujourd’hui, je le répète, la justice va très mal ; elle est en état de choc. Ne tentons pas une greffe sans avoir réalisé au préalable les tests nécessaires. Une telle intervention se prépare et ne se fait pas sur un sujet en état de choc. Mettons la justice sous perfusion. Donnons-lui les moyens permettant de stabiliser son état. Après, oui, monsieur le garde des sceaux, on peut envisager des réformes, mais en prenant le temps d’organiser la concertation, d’avancer avec précaution, et en s’assurant que les mesures retenues soient réellement efficaces et bénéfiques.
M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Madame Klès, je vous aime bien, mais ça commence à bien faire ! Selon vous, tout était parfait lorsque vous étiez au pouvoir,…
Mme Virginie Klès. Je n’y ai jamais été !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. … alors que maintenant, rien ne va ! Si vous aviez fait votre travail,…
Mme Virginie Klès. Je n’étais pas née ! (Sourires.)
M. Michel Mercier, garde des sceaux. … la justice ne serait pas dans cet état ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.) À force de me chercher, on me trouve !
En 1982, le nombre de magistrats s’élevait à 5 000. (Mme Virginie Klès s’exclame.) Il a fallu attendre 2002 pour qu’il soit supérieur à 7 000. Depuis lors, chaque année, il a augmenté ; il atteint aujourd’hui 8 617.
Les magistrats n’ont jamais été aussi nombreux dans notre pays qu’à ce jour. Vous pourriez au moins le reconnaître ! (Mme Michèle André s’exclame.) Cela signifierait que le débat intellectuel se déroule avec honnêteté.
Cette année, pour la première fois, le budget de la justice a dépassé 7 milliards d’euros. Vous auriez pu le porter à ce niveau-là voilà bien longtemps…
Mme Virginie Klès. Pas moi, monsieur le garde des sceaux !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. … et vous ne l’avez pas fait ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.) Si vous n’avez rien fait, vous avez raison !
Quoi qu’il en soit, tous ces efforts ont été fournis.
Depuis deux jours, vous ne cessez de me répéter que rien n’est fait, que la situation est catastrophique…
M. Alain Anziani. Les mesures sont insuffisantes !
Mme Alima Boumediene-Thiery. Nous disons que la situation n’est pas satisfaisante !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Vous êtes restés au pouvoir très longtemps. Vous n’avez pas fait, bien que personne ne vous ait empêché d’agir.
Mme Virginie Klès. Si !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Aujourd’hui, nous essayons d’avancer. Je le reconnais, nous n’allons pas assez vite.
Nous avons régulièrement droit à de grandes envolées, qui commencent à être lassantes ! Je suis capable de supporter beaucoup. Mais, à un moment donné, chacun doit reconnaître sa part de responsabilité. (Très bien ! et applaudissements sur plusieurs travées de l’UMP.)
J’ai bien compris que vous n’étiez responsables de rien. Néanmoins, la situation actuelle nous est, en quelque sorte, donnée.
Pour la première fois cette année, j’y insiste, le budget de la justice a dépassé 7 milliards d’euros. Si, en 1986, vous aviez fait voter une telle somme, il atteindrait peut-être 9 milliards d’euros aujourd’hui. Or vous ne l’avez pas fait. Vous êtes donc responsables, autant que les autres, du retard et de l’état actuel de la justice ! (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP. – Mme Virginie Klès s’exclame.)
M. François Trucy. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Michel. Monsieur le garde des sceaux, on a assez polémiqué sur cette question. Je le reconnais, nous sommes tous responsables de l’état actuel de la justice (Enfin ! sur plusieurs travées de l’UMP.), qui est totalement exsangue, comme nous l’indiquent nos différents interlocuteurs. Mais le présent projet de loi va aggraver cette situation. Et vous ne disposez pas, de surcroît, des moyens financiers nécessaires pour le mettre en œuvre. Voilà qui est dit. Vous avez répondu. Terminons-en là !
J’en viens à la motivation de la décision. En la matière, je pense que le mieux est l’ennemi du bien. Au moment du vote de l’appel des décisions des cours d’assises – point positif – à l'Assemblée nationale – à l’époque, j’étais député – s’est longuement posée la question de la motivation tant en commission des lois qu’en séance. Finalement, ce point a été abandonné, même si l’absence de motivation d’une décision de cour d’assises pose des problèmes, notamment en cas d’appel.
En réalité, la motivation n’a pas été retenue parce qu’elle fait fi de ce qui se passe au moment du délibéré et des raisons très différentes des jurés – ils ne les expriment pas forcément – qui justifient leur vote sur chacune des questions posées. Ensuite, le président de la cour devra faire la synthèse d’avis qu’il ne connaît pas nécessairement. Est-il prévu que la feuille de motivation qu’il va rédiger soit validée au moins par le premier jury ? Non !
Je le reconnais, il faudrait tendre à une motivation. Pour les personnes favorables à un tribunal criminel départemental, la question est réglée. Mais je ne pense pas que l’on soit prêt, en France, à supprimer les jurés en cour d’assises. En effet, la procédure criminelle a constitué une avancée démocratique, et même révolutionnaire, en matière de justice.
On demande aux jurés de réagir en fonction de leur intime conviction. On disait avant « en leur âme et conscience ». Tout le monde ne croyant pas à l’âme, cette référence a été supprimée. (Sourires.) Or elle avait bel et bien une signification : en réalité, les jurés réagissent avec leurs tripes – je vous prie d’excuser cette expression quelque peu familière, mes chers collègues – sans qu’il leur soit demandé de rendre compte de leurs motivations.
En l’espèce, il faudra bien que le président de la cour rende compte de motivations qu’il ne connaîtra pas forcément.
Monsieur le garde des sceaux, la mesure proposée va bien sûr dans le bon sens, mais elle mériterait d’être approfondie. C’est la raison du dépôt des amendements identiques que nous examinons. Je rejoins sur ce point mon collègue Jacques Mézard.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 17, 52 et 128 rectifié.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. L'amendement n° 53, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Alinéas 3 à 7
Remplacer ces alinéas par deux alinéas ainsi rédigés :
« Art. 365–1. – Tout au long de l’audience, le président établit une liste de questions précises et non équivoques validées par les jurés.
« Cette liste de questions prend en compte les éléments de droits et de faits et sert de fondement au verdict. »
La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Cet amendement devrait vous séduire, monsieur le garde des sceaux : je vous propose un autre mode de motivation des arrêts, qui correspond à la pratique de certaines cours d’assises étrangères.
Il s’agit de procéder à l’élaboration d’une liste de questions portant sur des éléments de fait comme de droit tout au long de l’audience. Ces questions sont validées par le jury ; elles sont assorties de réponses ; elles servent de fondement au verdict. Elles permettent de comprendre sur quels éléments repose la décision des jurés en retraçant les étapes par lesquelles la cour et le jury passent pour arriver à se forger ce que l’on appelle « l’intime conviction ».
Grâce à cet exercice, le rendu des décisions connaîtra une certaine transparence.
Cette forme de motivation semble davantage traduire la réalité de l’élaboration d’un verdict que l’exercice artificiel de rédaction a posteriori prévu à l’article 7 et qui confie au seul président de la cour la responsabilité de justifier une décision collective, dont il n’est pas le seul responsable.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Le présent débat est différent du précédent. Nous discutons non plus du principe de la motivation, mais des modes de motivation. Cet amendement, intéressant, soulève un vrai problème.
Dès lors que le principe de la motivation est admis, deux systèmes sont possibles.
Le premier d’entre eux, qui vient d’être présenté, tend à compléter la liste des questions prévues par le code de procédure pénale afin de les rattacher aux faits de l’espèce sans prévoir une motivation formalisée. Une telle solution a parfois été retenue par des cours d’assises. À titre d’exemple, le président de la cour d’assises du département du Pas-de-Calais a indiqué, lors de son audition, « que les questions préparées par lui et dont il a été donné lecture [étaient] précises de manière à permettre la compréhension du verdict, tel que l’exige l’article 6 de la Cour européenne des droits de l’homme ».
Cette formule, quoique très séduisante intellectuellement, n’a pas été retenue dans le présent projet de loi, car elle peut, en fonction des réponses apportées aux questions, conduire mécaniquement, et donc sans nuances, à une réponse sur la culpabilité qui n’est pas alors conforme à l’esprit de l’intime conviction. On se situe à la frontière entre deux objectifs.
Le Gouvernement a fait le choix d’une motivation expresse, formalisée de manière distincte, les réponses aux questions ne dispensant pas de justifier la décision finale de culpabilité au vu des faits de l’espèce.
Au nom de la commission des lois, j’émets un avis défavorable, tout en reconnaissant que se pose un problème de méthode. Peut-être le mode de motivation retenu pourra-t-il être modifié ultérieurement s’il ne donne pas toute satisfaction
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je partage l’avis de la commission.
On peut essayer de rechercher comment motiver les arrêts de cour d’assises – question que posaient MM. Michel et Mézard précédemment –, tout en respectant à la fois le système des questions, le rôle des jurés et leur intime conviction.
Je reconnais que c’est extrêmement difficile. C’est d’ailleurs peut-être l’une des raisons pour lesquelles cette question, très fréquemment abordée, n’a guère progressé.
Le Gouvernement a choisi de suivre la méthode indiquée par un praticien, M. Huyette, conseiller à la cour d’appel de Toulouse et président de cour d’assises. Pour autant, cela ne signifie pas que les autres sont mauvaises.
Comme l’a dit M. le rapporteur, si ce choix devait être remis en cause, le Gouvernement le ferait. Je n’ai pas de dogme en la matière. Je sais simplement que motiver les arrêts de cour d’assises, faire comprendre à la victime, au condamné et à l’ensemble de la population le cheminement et les raisons qui ont conduit à la condamnation ou à l’acquittement, le raisonnement du jury, constitue un réel progrès.
Comme il est impossible de faire deux choix, je reste fidèle au nôtre et je suis défavorable à l’amendement n° 53.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Michel. Nous sommes très sensibles à l’amendement du groupe CRC-SPG. Il est vrai, comme l’a dit M. le rapporteur, que cette mesure est déjà expérimentée dans certaines cours d’assises, par exemple à Douai, à Créteil dans le Val-de-Marne ou dans d’autres départements de la périphérie parisienne, et qu’elle donne plutôt de bons résultats, quoiqu’elle soit très contraignante pour les présidents d’assises.
Je souhaite simplement faire une remarque, monsieur le garde des sceaux. Un article comme celui-là justifierait à lui seul que la procédure ne soit pas accélérée. (Mme Virginie Klès opine.) En effet, la navette permettrait certainement d’arriver à une solution satisfaisante sur un point qui nous met tous d’accord, à savoir qu’il est bon, et je dirai progressiste, que les arrêts de cours d’assises soient motivés, ne serait-ce que parce que cela éviterait d’avoir à tout recommencer lorsqu’il y a appel, comme c’est le cas aujourd'hui dans la mesure où l’on ignore, en principe, les raisons qui ont motivé la décision de première instance.
Le Gouvernement peut donc à tout moment lever la procédure accélérée, et permettre ainsi que la discussion entre les deux assemblées se poursuive. Du reste, M. le rapporteur lui-même a dit que, compte tenu du temps limité dont il a disposé, il n’a peut-être pas été en mesure de saisir toutes les implications du texte ni toutes les améliorations que l’on pourrait lui apporter.
Pourquoi alors tant de précipitation ? Je ne vous demande pas de répondre, monsieur le garde des sceaux, vous l’avez déjà fait : vous avez dit ne pas être un fanatique de la procédure accélérée. (M. le garde des sceaux acquiesce.) Demandez donc au Gouvernement de lever la procédure accélérée, afin que l’examen de ce texte poursuive un cours normal, ce qui conduira certainement à des améliorations, ne serait-ce que d’un point de vue technique, quand bien même nous ne tomberions pas d’accord.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. La proposition de M. Jean-Pierre Michel est excellente, mais je souhaite plutôt réagir à la réponse faite tant par M. le rapporteur que par M. le garde des sceaux.
Vous nous dites tous deux que la proposition contenue dans cet amendement est intéressante, mais que vous avez fait un autre choix. Cela me choque, dans la mesure où cette proposition fait suite à des auditions de personnes mettant en avant ce qui est déjà expérimenté dans des cours d'assises.
Ce que vous dites est tout à fait audible, certes : cela représente en effet un travail supplémentaire. Par ailleurs, il est vrai que cela « cerne » davantage les motifs que les jurés peuvent avoir de décider ceci ou cela. Mais, en tout cas, cela met au jour les bases réelles, tangibles à partir desquelles les jurés se sont prononcés. Rien n’est parfait en ce bas monde, vous le savez, monsieur le garde des sceaux, monsieur le rapporteur.
Vous nous dites que vous avez choisi autre chose. Toutefois, cette autre chose pose énormément de problèmes. Vous voulez en effet que le président explique a posteriori l’intime conviction. Vous conviendrez que l’on peut faire plus facile et plus précis ! Non seulement c’est très complexe, mais cette interprétation de l’intime conviction pourrait s’écarter sensiblement de ce que pensent réellement les jurés.
On peut considérer qu’il n’y a pas de raison que les jugements en matière criminelle ne soient pas motivés, ne serait-ce que pour la suite éventuelle de la procédure. Toutefois, encore faut-il que l’on introduise des éléments qui puissent être reconnus par les jurés, et dont ils puissent constater qu’ils reflètent leur cheminement vers l’établissement d’une majorité. On peut imaginer un certain nombre de questions sur le déroulement du procès, qui leur permettront non seulement de se forger une opinion, mais d’exposer les motivations de cette dernière.
Je suis donc très étonnée de la réponse qui m’a été faite, car elle n’est absolument pas convaincante. Je veux bien que l’on y réfléchisse plus avant, que vous essayiez de trouver autre chose, mais il me semble que, dans la mesure où les présidents de cour d'assises ont expérimenté un système qui paraît fonctionner correctement, et qui existe également à l’étranger, il serait préférable de s’en tenir à cela plutôt que de chercher à inventer un système dans lequel le président interpréterait l’intime conviction des jurés.
M. le président. La parole est à Mme Virginie Klès, pour explication de vote sur l'article.
Mme Virginie Klès. Monsieur le garde des sceaux, j’espère ne pas vous énerver de nouveau en reprenant la parole, car tel n’est pas mon objectif.
Il me semble que je n’exprime rien d’autre que ce qu’ont également souligné mes collègues, à savoir notre incompréhension quant à cette précipitation, alors que nous ne nous opposons pas à certains principes mais ne faisons que demander pourquoi vous les appliquez de cette manière. Il nous semble en effet que ce n’est pas la bonne manière, ni le bon tempo.
Vous avez répondu sans vous énerver à mes collègues, et j’ai donc du mal à comprendre pourquoi vous vous êtes énervé contre moi, d’autant que je n’ai jamais affirmé que c’est votre Gouvernement qui est responsable de la situation actuelle.
Chacun s’accorde à reconnaître que notre justice est exsangue, que ce n’était peut-être pas le moment de se lancer dans des expérimentations et que le recours à la procédure accélérée n’était pas judicieux pour ce texte.
Je n’exprime rien de plus que cela. Je ne comprends donc pas votre énervement.
M. le président. Je mets aux voix l'article 7.
(L'article 7 est adopté.)
Section 2
Dispositions relatives à la composition de la cour d’assises
Article 8
I. – Après l’article 264 du code de procédure pénale, il est inséré un article 264–1 ainsi rédigé :
« Art. 264–1. – Par dérogation au dernier alinéa de l’article 260, aux premier et deuxième alinéas de l’article 261–1 et au premier alinéa de l’article 263, le calendrier des opérations nécessaires à l’établissement de la liste annuelle des jurés est fixé par décret en Conseil d’État. »
II. – Le premier alinéa de l’article 296 du même code est ainsi rédigé :
« Le jury de jugement est composé de six jurés lorsque la cour statue en premier ressort et de neuf jurés lorsqu’elle statue en appel. »
III. – Au troisième alinéa de l’article 297 du même code, les mots : « neuf » et « douze » sont remplacés par les mots : « six » et « neuf ».
IV. – L’article 298 du même code est ainsi rédigé :
« Art. 298. – Lorsque la cour d’assises statue en premier ressort, l’accusé ne peut récuser plus de quatre jurés et le ministère public plus de trois. Lorsqu’elle statue en appel, l’accusé ne peut récuser plus de cinq jurés et le ministère public plus de quatre. »
V. – L’article 359 du même code est ainsi rédigé :
« Art. 359. – Toute décision défavorable à l’accusé se forme à la majorité de six voix au moins lorsque la cour d’assises statue en premier ressort et à la majorité de huit voix au moins lorsque la cour d’assises statue en appel. »
VI (nouveau). – La deuxième phrase du deuxième alinéa de l’article 362 du même code est ainsi rédigée :
« Toutefois, le maximum de la peine privative de liberté encouru ne peut être prononcé qu’à la majorité de six voix au moins lorsque la cour d’assises statue en premier ressort et qu’à la majorité de huit voix au moins lorsque la cour d’assises statue en appel. »
M. le président. Je suis saisi de deux amendements identiques.
L'amendement n° 18 est présenté par MM. Michel et Anziani, Mmes Klès et Tasca, M. Badinter, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.
L'amendement n° 54 est présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Alain Anziani, pour présenter l'amendement n° 18.
M. Alain Anziani. Cet amendement vise à maintenir la composition actuelle de la cour d’assises.
Je pense que vous en comprendrez le sens, puisque vous avez vous-mêmes beaucoup hésité au sujet de cette composition. Mme Alliot-Marie avait un temps voulu supprimer, dans certaines circonstances, la cour d'assises. La Chancellerie a ensuite proposé de créer, selon l’expression de notre rapporteur, une « cour d’assises light ». Ce système a enfin été modifié par la commission des lois, qui a fait passer le nombre de jurés de neuf à six en première instance, et de douze à neuf en appel.
Il y a tout de même un paradoxe : vous présentez un texte visant à donner davantage de place aux citoyens, mais vous commencez par réduire leur nombre là où ils se trouvent...
Vous considérez sans doute que le fonctionnement de la cour d'assises n’est pas satisfaisant, que celle-ci est trop lourde, trop onéreuse. Toutefois, si telles sont les raisons de cette réduction – nous pouvons d’ailleurs les comprendre –, vous vous trouvez devant une difficulté. Il y a – je m’excuse de le souligner à nouveau – un problème de moyens, que vous espérez résoudre par un système de vases communicants, en diminuant le nombre des jurés dans les cours d'assises afin de pouvoir les augmenter ailleurs. Tout cela n’a guère à voir avec des principes, mais relève plutôt de contraintes budgétaires.
Il nous semble qu’il faudrait une meilleure évaluation des conséquences de la diminution du nombre de jurés dans les cours d'assises. Nous ne savons pas, en effet, comment elles fonctionneront avec moins de jurés. Tout cela demanderait sans doute, comme le faisait observer Jean-Pierre Michel, davantage de concertation et de réflexion. Dans l’attente d’une telle démarche, il est préférable d’en rester à la composition actuelle.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour présenter l'amendement n° 54.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je défendrai l'amendement n° 54 mais aussi l'amendement n° 55, qui constitue un amendement de « suggestion » ou de « repli » que, me semble-t-il, vous pourriez accepter.
Lorsque la réforme nous a été présentée, il était question que, en première instance, le jury ne soit conservé que pour les crimes les plus graves. Le motif fallacieux alors invoqué était que, les cours d'assises n’étant pas des juridictions permanentes – puisqu’elles siègent par session –, elles rendent la justice de manière trop lente. Il est vrai que les procédures criminelles sont bien souvent très longues, mais les raisons s’en trouvent ailleurs et les solutions à ce problème sont à rechercher dans l’augmentation du nombre d’experts et d’enquêteurs, la réduction de la durée des instructions, l’instauration de délais butoir de détention provisoire, ou encore le renforcement des effectifs des cours d'assises. Tout cela fait partie du paquet « moyens » de la justice.
Le texte établissait donc une distinction entre les crimes les plus graves et les autres, qui, au second degré, relèvent pourtant comme les premiers des cours d'assises d’appel. Ainsi, l’on en venait presque à créer une nouvelle catégorie d’infractions en plus des trois déjà existantes, les « petits crimes » étant désormais distingués des « grands crimes ». Du reste, notre rapporteur évoquait des « cours d'assises light » et des « cours d'assises hard ».
Étrangement, le projet de loi ne revenait pas sur la composition de la cour d'assises statuant en matière de criminalité organisée, dont, je vous le rappelle, les citoyens sont exclus. Voilà encore une chose sur laquelle ils ne peuvent pas se prononcer.
Cette contradiction entre l’affirmation du besoin des citoyens et leur éviction a été relevée par notre rapporteur, qui, de manière plus sage, a choisi de ne pas distinguer deux cours d'assises, une petite et une grande.
Je considère néanmoins que le passage, pour des raisons d’économie, de neuf à six jurés est absolument inacceptable. En contradiction avec les principes que vous professez, vous réduisez le nombre de citoyens dans les jurys d’assises, c'est-à-dire là où le citoyen est véritablement juge. C’est extravagant ! Dans ces jurys, le nombre et la diversité des citoyens sont précisément les garants de la qualité de la justice rendue.
Je propose donc, en guise de solution de repli, d’en rester à neuf jurés dans les cours d'assises de première instance et de ramener au même nombre les jurés des cours d'assises d’appel. En effet, il n’y a pas de justification particulière au fait que ces derniers soient douze, dans la mesure où l’appel consiste à refaire le procès devant une autre cour d’assises.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Ces deux amendements suppriment l’article du projet de loi qui vise à réduire le nombre de jurés des cours d’assises en première instance et en appel.
Cet article a été complètement modifié par la commission afin de préserver l’organisation actuelle des cours d'assises tout en allégeant les effectifs du jury. Les dispositions proposées marquent donc une avancée par rapport au texte initial du projet de loi, qui, je le rappelle, prévoyait de remplacer la cour d'assises en première instance par une formation composée des trois magistrats et de deux citoyens assesseurs.
La réduction de l’effectif du jury de neuf à six en première instance et de douze à neuf en appel permet, d’une part, de garantir la prépondérance indiscutable des jurés par rapport aux magistrats et, d’autre part, de préserver la règle de la nécessité d’une majorité qualifiée pour obtenir la condamnation de l’accusé, puisque cette dernière doit recueillir au moins six voix en première instance.
La diminution du nombre des jurés ne portera donc pas réellement à conséquence, me semble-t-il, puisque tous les principes resteront saufs.
En revanche, combinée avec l’assouplissement du régime des sessions des cours d’assises, la modification proposée par la commission devrait permettre de simplifier l’organisation de ces juridictions, afin de favoriser un meilleur audiencement, ce qui devrait réduire les durées de détention provisoire, aujourd’hui trop souvent excessives. Or un tel avantage ne me paraît pas mince.
La commission émet donc un avis défavorable sur ces deux amendements identiques.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Les dispositions de l’article 8 sont issues du travail de la commission, mais le Gouvernement s’y est rallié, car il les a trouvées bonnes. Pour ma part, quand une mesure est judicieuse, et même si je n’en suis pas l’auteur, je ne vois aucune objection à la reprendre à mon compte ! Je soutiens donc tout à fait la commission sur ce point.
L’objectif de ces dispositions est simple : réduire le nombre des correctionnalisations. En effet, trop de crimes sont aujourd'hui déqualifiés et jugés comme des délits. C’est le cas du viol, notamment, qui est un crime mais que l’on déqualifie en « agression sexuelle » pour qu’il puisse être jugé par un tribunal correctionnel, car la procédure des cours d’assises est trop lourde et trop longue.
Nous cherchons donc à gagner du temps aux assises, tout en conservant cette procédure et l’essentiel des principes qui la guident. Tel est l’objet des dispositions proposées par M. le rapporteur, et nous y souscrivons tout à fait.
L’idée de prévoir six jurés et trois magistrats professionnels en premier ressort ainsi que neuf jurés et trois magistrats professionnels en appel n’est pas nouvelle. Ceux qui craindraient que la révolution ne soit en marche doivent se rassurer, car on en est loin.
Je le répète, il s'agit d’une idée ancienne. Elle émane, notamment, de la commission Léauté. Par une circulaire en date du 8 mars 1982, le garde des sceaux de l’époque, M. Robert Badinter, proposait l’instauration de ce système de jurés dans les juridictions d’assises.
Mesdames, messieurs les sénateurs, certains d’entre vous voteront cet article parce qu’ils sont favorables aux réformes proposées. D’autres hésitent peut-être encore, parce qu’ils ont besoin de la caution des grands anciens. Tous doivent se dire que ce que Badinter a pensé…
Mme Jacqueline Gourault. … Mercier l’a fait ! (Sourires.)
M. Michel Mercier, garde des sceaux. … le Sénat et sa majorité l’ont réalisé. (Sourires sur les travées de l’UMP.)
M. Alain Anziani. Pourquoi le projet n’a-t-il pas été mis en œuvre à l’époque ?
M. Alain Anziani. Et pourquoi l’idée n’a-t-elle pas été reprise par la suite dans la loi ?
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Parce que les ministres suivants étaient moins bons ! (Sourires.)
M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, pour explication de vote.
Mme Alima Boumediene-Thiery. L’amendement n° 18 vise à supprimer l’article 8, relatif à la modification de la composition actuelle des cours d’assises, qui révèle une fois de plus l’incohérence de ce projet de loi.
En effet, monsieur le garde des sceaux, cet article serait un frein à la participation accrue des citoyens à la justice que vous affirmez viser, de manière tout à fait hypocrite d'ailleurs, au travers de ce texte. Celui-ci, en fait, n’est qu’un énième effet d’annonce, ce qui ne nous étonne pas. La véritable surprise eût été que le Gouvernement présentât un texte novateur et respectueux de la justice française et de nos droits fondamentaux.
Dorénavant, les membres du jury d’assises ne seront plus que six en premier ressort et neuf en appel, contre neuf et douze aujourd'hui. En réalité, cette disposition met donc en œuvre un net recul de la participation des citoyens à la justice criminelle.
Monsieur le garde des sceaux, nous vous félicitons de nous exposer par le biais de cet article la logique implacable qui est la vôtre. (Sourires sur les travées du groupe socialiste.) Afin d’accroître la participation des citoyens au fonctionnement de la justice, vous réduisez le nombre de ces derniers dans les cours d’assises. N’est-ce pas paradoxal ?
M. le rapporteur a souhaité conserver les jurés dans les cours d’assises afin de respecter les principes fondamentaux de ces juridictions, notamment celui qui veut que la condamnation de l’accusé ne puisse se faire qu’à la majorité qualifiée. Bien que cette règle soit maintenue, cet article ralentira considérablement le fonctionnement des cours d'assises : avant la réforme, un accusé ne pouvait être condamné que par huit voix contre quatre en premier ressort et par neuf voix contre six en appel ; désormais, il faudra que la décision se forme par six voix contre trois en premier ressort et huit voix contre trois en appel. Dès lors, la majorité qualifiée sera vraisemblablement difficile à obtenir, ce qui risque de ralentir l’appareil judiciaire, qui se trouve déjà à la peine et qui affiche aujourd'hui beaucoup de retard.
Enfin, le Gouvernement éloigne un peu plus les citoyens de la justice, à rebours de l’objectif visé par ce texte, dont les auteurs prétendaient pourtant restituer la justice au peuple.
Pour toutes ces raisons, nous voterons en faveur de l’amendement no 18, qui vise à maintenir la composition actuelle des cours d’assises.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 18 et 54.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
M. le président. L'amendement n° 161, présenté par M. Lecerf, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Alinéa 1 et 2
Remplacer ces alinéas par huit alinéas ainsi rédigés :
I. - L’article 236 du même code est ainsi rédigé :
« Art. 236. - La date de l’ouverture des sessions de la cour d’assises est fixée chaque fois qu’il est nécessaire, sur proposition du procureur général, par le premier président de la cour d’appel ou, dans le cas prévu par l’article 235, par l’arrêt de la cour d’appel. »
I bis. - L’article 237 du même code est abrogé.
I ter. - L’article 245 du même code est ainsi rédigé :
« Art. 245. - Le président de la cour d’assises est désigné par ordonnance du premier président.
I quater. - L’article 250 du même code est ainsi rédigé :
« Art. 250. – Les assesseurs sont désignés par ordonnance du premier président.
I quinquies. - À la première phrase du premier alinéa de l’article 266 du même code, le mot : « quarante » est remplacé par le mot : « trente-cinq » et le mot : « douze » est remplacé par le mot : « dix ».
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Cet amendement vise à compléter l’article 8 afin de simplifier les modalités selon lesquelles sont fixées les sessions d’assises et de procéder à une coordination justifiée par la réduction du nombre des jurés de la cour d’assises.
De même que la diminution du nombre des jurés, ces modifications faciliteront la tenue des assises et l’adaptation du nombre de sessions aux affaires devant être jugées. Elles permettront ainsi de diminuer les correctionnalisations.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L'amendement n° 55, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de gauche, est ainsi libellé :
I. – Alinéa 4
Remplacer le mot :
six
par le mot :
neuf
II. – Alinéa 5
Après les mots :
même code,
rédiger ainsi la fin de cet alinéa :
le mot : « douze » est remplacé par le mot : « neuf »
III. – En conséquence, alinéa 7
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Art. 298. – Lorsque la cour d’assises statue, en premier ressort ou en appel, l’accusé ne peut récuser plus de cinq jurés et le ministère public plus de quatre. »
IV. – Alinéa 9
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Toute décision défavorable à l’accusé se forme à la majorité de huit voix au moins que la cour d’assises statue en premier ressort ou en appel. »
V. – Alinéa 11
Rédiger ainsi cet alinéa :
« Toutefois, le maximum de la peine privative de liberté encourue ne peut être prononcé qu’à la majorité de huit voix au moins lorsque la cour d’assises statue en premier ressort ou en appel. »
Cet amendement a déjà été défendu.
Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Avis défavorable.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. L'amendement n° 162, présenté par M. Lecerf, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 7
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
IV bis. - Au premier alinéa de l’article 289–1 du même code, le mot : « vingt-trois » est remplacé par le mot : « vingt » et le mot : « vingt-six » est remplacé par le mot : « vingt-trois ».
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Cet amendement vise à compléter l’article 8 afin de procéder à une coordination justifiée par la réduction du nombre des jurés de la cour d’assises.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'article 8, modifié.
(L'article 8 est adopté.)
Article additionnel après l'article 8
M. le président. L'amendement n° 163, présenté par M. Lecerf, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Après l’article 8, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l’article 264 du même code, il est inséré un article 264–1 ainsi rédigé :
« Art. 264–1. – Par dérogation au troisième alinéa de l’article 260, aux premier et deuxième alinéas de l’article 261-1 et au premier alinéa de l’article 263, le calendrier des opérations nécessaires à l’établissement de la liste annuelle des jurés est fixé par décret en Conseil d’État. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Cet amendement tend à insérer dans un article spécifique du projet de loi les dispositions expérimentales relatives aux dérogations aux articles du code de procédure pénale fixant le calendrier des opérations nécessaires à l’établissement de la liste annuelle des jurés.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. le président. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 8.
3
Engagement de la procédure accélérée sur un projet de loi et une proposition de loi
M. le président. En application de l’article 45, alinéa 2, de la Constitution, le Gouvernement a engagé la procédure accélérée pour l’examen :
- du projet de loi autorisant l’approbation de l’accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République italienne relatif à la restauration du patrimoine architectural de la ville de L’Aquila, déposé aujourd’hui sur le bureau du Sénat
- et de la proposition de loi pour le développement de l’alternance, la sécurisation des parcours professionnels et le partage de la valeur ajoutée, déposée sur le bureau de l’Assemblée nationale.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures vingt-cinq, est reprise à vingt et une heures trente, sous la présidence de Mme Monique Papon.)
PRÉSIDENCE DE Mme Monique Papon
vice-présidente
Mme la présidente. La séance est reprise.
4
Participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et jugement des mineurs
Suite de la discussion, en procédure accélérée, d'un projet de loi dans le texte de la commission
Mme la présidente. Nous reprenons la discussion, en procédure accélérée, du projet de loi sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs.
Dans la discussion des articles, nous en sommes parvenus à l’article 9.
Chapitre IV
Participation des citoyens aux décisions en matière d’application des peines
Article 9
I. – (Non modifié) Après l’article 712–13 du code de procédure pénale, il est inséré un article 712–13–1 ainsi rédigé :
« Art. 712–13–1. – Par dérogation au deuxième alinéa de l’article 712-13, pour l’examen de l’appel des jugements mentionnés à l’article 712–7, la chambre de l’application des peines de la cour d’appel est composée, outre du président et des deux conseillers assesseurs, de deux citoyens assesseurs, désignés conformément aux dispositions des articles 10–1 à 10-13.
« Les citoyens assesseurs peuvent, comme les conseillers assesseurs, poser des questions au condamné en demandant la parole au président.
« Ils ont le devoir de ne pas manifester leur opinion.
« Avant de délibérer, le président donne lecture des deuxième et troisième alinéas de l’article 707. »
II. – Après l’article 720–4 du même code, il est inséré un article 720–4–1 ainsi rédigé :
« Art. 720–4–1. – Pour l’application de l’article 720–4, le tribunal de l’application des peines est composé, outre du président et des deux juges assesseurs, de deux citoyens assesseurs, désignés conformément aux dispositions des articles 10–1 à 10–13.
« Les trois derniers alinéas de l’article 712–13–1 sont applicables. »
III. – Après l’article 730 du même code, il est inséré un article 730–1 ainsi rédigé :
« Art. 730–1. – Par dérogation aux deux premiers alinéas de l’article 730, lorsque la peine privative de liberté prononcée est d’une durée supérieure à cinq ans, la libération conditionnelle est accordée, selon les modalités prévues par l’article 712–7, par le tribunal de l’application des peines composé, outre du président et des deux juges assesseurs, de deux citoyens assesseurs, désignés conformément aux dispositions des articles 10–1 à 10-13.
« Le tribunal de l’application des peines ainsi composé est seul compétent pour ordonner que la peine s’exécutera sous le régime de la semi-liberté, du placement à l’extérieur ou du placement sous surveillance électronique, lorsque ces mesures sont décidées à titre probatoire préalablement à une libération conditionnelle.
« Lorsque la peine privative de liberté prononcée est d’une durée inférieure ou égale à cinq ans ou lorsqu’il reste deux ans ou moins de détention à subir, la libération conditionnelle est accordée par le juge de l’application des peines selon les modalités prévues par l’article 712–6. »
Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements identiques.
L'amendement n° 19 est présenté par MM. Michel et Anziani, Mmes Klès et Tasca, M. Badinter, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.
L'amendement n° 56 est présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche.
L'amendement n° 129 rectifié est présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Jean-Pierre Michel, pour défendre l’amendement n° 19.
M. Jean-Pierre Michel. Il s’agit d’un amendement de suppression. Ce qui est en cause, c’est la participation des jurés citoyens dans les tribunaux de l’application des peines.
Vous proposez là, comme pour d’autres dispositions du texte, une mauvaise solution. En effet, le tribunal de l’application des peines est formé du juge de l’application des peines et de deux magistrats auxquels vous voulez ajouter deux citoyens assesseurs. On ne voit pas très bien ce que cela va apporter de plus.
La solution retenue pour la cour d’appel est, selon moi, très mauvaise. En appel, il y a, en effet, deux échevins, si je puis dire : le premier est un représentant des associations de victimes. Et si le rapporteur nous dit ne pas voir ce que cette personne vient faire là, pour ma part, je le vois, car les associations de victimes ont à faire ! Le second est un représentant d’associations de probation.
Avec cet article, on élimine ces gens-là, qui sont très avertis de ce qu’est l’application des peines, matière très technique dans laquelle on doit tenir compte de la façon dont la peine est exécutée en prison. La décision ne contrevient d’ailleurs pas à la décision du tribunal, c’est une décision d’aménagement de la peine. On ne voit pas ce que de simples citoyens assesseurs viendront apporter de plus.
C’est la raison pour laquelle nous proposons la suppression de cet article.
Mme la présidente. La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat, pour présenter l'amendement n° 56.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Cet article prévoit la participation de deux citoyens assesseurs au tribunal de l’application des peines et à la chambre de l’application des peines pour les personnes condamnées à une peine privative de liberté de plus de cinq ans.
D’un point de vue pratique, il vous sera tout de même difficile d’élargir la formation collégiale à des citoyens assesseurs dans une maison centrale. Cette difficulté sera d’autant plus accrue que la réforme de la carte pénitentiaire éloigne encore certains établissements.
Par ailleurs, eu égard à la complexité de l’application des peines, car le juge de l’application des peines ne se contente pas de dire si oui ou non il doit y avoir libération, il paraît tout à fait illusoire de penser que deux citoyens assesseurs recrutés huit jours par an par le tribunal ou la chambre de l’application des peines pourront suffisamment s’investir dans cette mission pour maîtriser les rudiments de ce contentieux.
Au-delà, si vous souhaitez associer les citoyens à ce niveau de juridiction, c’est que vous espérez d’eux qu’ils s’opposent aux libérations conditionnelles.
Or s’il y a récidive, c’est précisément parce que la plus grande erreur commise en la matière ces dernières années par le législateur, ou du moins par ceux qui ont voté les textes, est d’avoir considéré que la récidive ne se traitait qu’au niveau de l’application des peines. La loi Clément de décembre 2005, dite récidive I, nous avait déjà fait bondir. Que l’on prenne en compte la récidive au niveau de la peine prononcée est, certes, compréhensible. Encore faut-il que la prise en compte soit intelligente et que l’on n’agisse pas sur un mode automatique, à coups de peines planchers !
Le renouvellement d’un comportement ayant déjà conduit à une condamnation appelle à une plus grande sévérité. Certes, pourquoi pas ? Mais limiter les possibilités d’aménagement des peines pour les récidivistes, comme l’a fait cette loi Clément, en augmentant les délais avant de bénéficier d’une telle mesure, voire en interdisant purement et simplement les libérations conditionnelles parentales, d’ailleurs assorties de conditions de délais, pour les récidivistes, était une erreur des plus graves. Les récidivistes sont précisément ceux qui ont le plus besoin des aménagements de peine permettant un retour à la liberté progressive et encadré par une insertion définitive.
L’expérience que vous nous proposez est tout de même fort dangereuse. Les chances de réinsertion risquent d’être gâchées par un jury peut-être trop prudent, peut-être influencé par les médias ou par les politiques. La conséquence, ce sera une forte augmentation de la récidive, ce qui n’est pas l’effet recherché, du moins puis-je le supposer, car j’imagine que nous sommes d’accord sur ce point.
C’est pourquoi nous demandons la suppression de cet article.
Mme la présidente. L’amendement n° 129 rectifié n’est pas défendu.
Quel est l’avis de la commission sur les amendements nos 19 et 56 ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Ces amendements visent à supprimer l’article 9, qui prévoit la présence de citoyens assesseurs dans les juridictions de l’application des peines.
Votre commission est très attachée au principe de l’aménagement des peines et, en particulier, à la libération conditionnelle, qui permet d’éviter les sorties « sèches » de prison et favorise la réinsertion. Je pense qu’elle l’a d’ailleurs largement démontré lors du vote de la loi pénitentiaire et par la suite.
Elle n’en considère pas moins que les décisions prises par les juridictions de l’application des peines sont susceptibles de modifier substantiellement l’exécution d’une peine prononcée par la juridiction de jugement. De telles décisions appellent, a fortiori lorsque la condamnation a été prononcée par une cour d’assises, un droit de regard des représentants du peuple.
La présence de citoyens assesseurs contribuera, par ailleurs, à éviter la stigmatisation dont les décisions des juges de l’application des peines sont trop souvent l’objet de manière injustifiée.
Aussi, j’émets, au nom de la commission, un avis défavorable sur ces deux amendements.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 19 et 56.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 9.
(L'article 9 est adopté.)
Article 9 bis (nouveau)
I. – Après l’article 730–1 du même code, il est inséré un article 730–2 ainsi rédigé :
« Art. 730–2. – Lorsque la personne a été condamnée à une peine d’emprisonnement ou de réclusion criminelle égale ou supérieure à dix ans, la libération conditionnelle ne peut alors être accordée :
« 1° Que par le tribunal de l’application des peines, quelle que soit la durée de la détention restant à subir ;
« 2° Qu’après avis de la commission pluridisciplinaire des mesures de sûreté, rendu à la suite d’une évaluation pluridisciplinaire de dangerosité réalisée dans un service spécialisé chargé de l’observation des personnes détenues et assortie d’une expertise médicale ; s’il s’agit d’un crime pour lequel le suivi socio-judiciaire est encouru, cette expertise est réalisée par deux experts et se prononce sur l’opportunité, dans le cadre d’une injonction de soins, du recours à un traitement utilisant des médicaments inhibiteurs de libido, mentionné à l’article L. 3711–3 du code de la santé publique.
« Lorsque la libération conditionnelle n’est pas assortie d’un placement sous surveillance électronique mobile, elle ne peut également être accordée qu’après l’exécution, à titre probatoire, d’une mesure de semi-liberté ou de placement sous surveillance électronique pendant une période d’un an à trois ans. Cette mesure ne peut être exécutée avant la fin du temps d’épreuve prévu à l’article 729.
« Un décret précise les conditions d’application de cet article. »
II. – L’article 720–5 et la dernière phrase du dixième alinéa de l’article 729 du même code sont supprimés.
Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.
L'amendement n° 20 est présenté par MM. Michel et Anziani, Mmes Klès et Tasca, M. Badinter, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.
L'amendement n° 57 est présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Catherine Tasca, pour présenter l’amendement n° 20.
Mme Catherine Tasca. Il s’agit d’un amendement de suppression.
L’article 9 bis, introduit par le rapporteur, tend à renforcer la progression de la libération conditionnelle pour les condamnés à une peine d’emprisonnement ou de réclusion criminelle d’une durée supérieure ou égale à dix ans, quelle que soit la durée de la détention à subir.
Les évaluations pluridisciplinaires de dangerosité préalables à une libération, menées par le Centre national d’évaluation de Fresnes, ont été introduites par la loi du 25 février 2008 relative à la rétention de sûreté pour les condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité.
Par ailleurs, toute libération conditionnelle d’un condamné à une peine d’emprisonnement ou de réclusion criminelle d’une durée égale ou supérieure à dix ans devra être assortie d’un placement sous surveillance électronique mobile. À défaut, la libération conditionnelle ne pourra être accordée qu’après l’exécution à titre probatoire d’une mesure de semi-liberté ou de placement sous surveillance électronique.
Enfin, quel que soit le reliquat de la peine à exécuter par le condamné, cette mesure ne pourra être accordée que par le tribunal de l’application des peines dans sa nouvelle composition.
Le présent article abaisse considérablement le seuil de ces mesures puisque d’une condamnation à la réclusion criminelle, on passe sans transition à une peine de dix ans d’emprisonnement ou de réclusion criminelle !
Nous sommes opposés à cette mesure, qui revient à nier le sens de ces mesures de libération conditionnelle, lesquelles sont, on le sait, une motivation indispensable pour les condamnés. Nous refusons de nous engager dans cette voie et nous vous demandons par conséquent la suppression de cet article.
Mme la présidente. La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat, pour présenter l'amendement n° 57.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Nous sommes opposés à cet article, qui tend à limiter les libérations conditionnelles pour les personnes condamnées à une peine supérieure ou égale à dix ans.
Les praticiens de la matière savent que l’aménagement des peines, notamment la libération conditionnelle, préparée et encadrée, est le meilleur moyen de lutter contre la récidive. En effet, le taux de récidive est bien plus élevé pour les libérations « sèches » et en fin de peine que pour les libérations conditionnelles qui sont suivies et encadrées par les services pénitentiaires d’insertion et de probation, les SPIP, sous la surveillance des juges de l’application des peines.
Il y a, en effet, pour chaque condamné un moment qui est peut-être le moment optimal où le détenu est prêt pour se réinsérer.
Rater ce moment en refusant une mesure adaptée peut tout gâcher, car la détention sera, dès lors, vécue comme injuste et disproportionnée.
Or une société injuste ne donne guère envie de s’y insérer. Convaincre un jury que ce moment est l’instant propice suppose de lui transmettre une connaissance ou une expérience qu’il n’aura pas.
C’est pourquoi nous demandons la suppression de cet article.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Ces amendements tendent à supprimer l’article 9 bis qui a été introduit par votre commission.
L’article 9 bis étend l’obligation d’une évaluation pluridisciplinaire de dangerosité avant toute libération conditionnelle d’une personne condamnée à une peine d’emprisonnement ou de réclusion criminelle d’une durée égale ou supérieure à dix ans. Cette obligation ne s’impose aujourd’hui que pour la libération conditionnelle des personnes condamnées à la réclusion criminelle à perpétuité.
Ces évaluations, actuellement menées dans le Centre national d’évaluation de Fresnes, sont particulièrement utiles pour les magistrats, car elles sont fondées sur une longue période d’observation, de six semaines, en général, et associent des professionnels de plusieurs horizons – psychiatres, médecins, surveillants pénitentiaires et travailleurs sociaux.
Un deuxième centre national d’évaluation sera implanté dans les semaines qui viennent au sein du centre pénitentiaire de Réau en Seine-et-Marne et des structures comparables sont prévues dans le cadre du nouveau programme de construction d’établissements pénitentiaires. On reparle, d’ailleurs, d’une régionalisation des centres d’observation.
Le principe d’une évaluation est extrêmement utile pour éviter une récidive. Loin de décourager les libérations conditionnelles, il peut, au contraire, les favoriser en levant les craintes inspirées du principe de précaution qui conduit très souvent à rejeter a priori de telles mesures d’aménagement.
Je me permets de citer un exemple qui me tient particulièrement à cœur. Dans la ville dont j’étais maire, Marcq-en-Barœul, un crime odieux a été commis voilà quelques mois. Une jeune joggeuse a été assassinée par un délinquant sexuel récidiviste qui avait été condamné à dix ans de prison. La décision de libération avait été prise sur la base de simples avis contenus dans des expertises psychiatriques. Cette personne était un manipulateur. Si elle avait fait l’objet d’une évaluation pluridisciplinaire, nous en sommes tous entièrement convaincus, ce crime n’aurait pas eu lieu.
Je pense qu’il s’agit d’une très très bonne réforme. Elle permettra, à mon sens, de favoriser la libération conditionnelle, qui, nous le savons, est une chance pour la réinsertion.
Sur tous les amendements de ce texte, c’est donc vraiment le plus défavorable des avis que je suis conduit à émettre.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Je suis tout à fait défavorable à ces amendements pour les raisons que vient d’évoquer M. le rapporteur.
J’ai eu l’occasion, voilà quelques jours, d’aller à Fresnes et de voir le travail qui se fait dans ce centre national d’évaluation. C’est un travail remarquable !
On y trouve des professionnels qui sont des gardiens, des psychologues, des psychiatres, des conseillers d’insertion et de probation, des travailleurs sociaux… On y analyse la situation de chacun des détenus qui va arriver en fin de peine. Cela prend, suivant les cas, entre six et sept semaines. Cette analyse est faite sur un mode à la fois global et transversal. Et il y a, surtout, une observation permanente des détenus. Chaque professionnel, dans sa spécialité, regarde vivre le détenu et donne finalement un avis qui figure dans l’étude de synthèse.
Je considère que c'est ce qu'il y a de mieux pour éviter la récidive. Voilà pourquoi, dans quelques jours, à Réau, près de Melun, sera ouvert un deuxième centre d'évaluation. Je souhaite pouvoir ouvrir au moins deux autres établissements de ce type en métropole afin d’analyser la situation de ces détenus, de déterminer si des aménagements de peine sont envisageables et lesquels.
Je partage tout à fait l'avis du rapporteur : cet article constitue l’un des points essentiels du projet de loi. C’est pourquoi, à mon sens, les auteurs de ces amendements de suppression devraient les retirer, car nous avons tous intérêt à ce que cette évaluation soit réalisée dans de bonnes conditions.
Retirer deux amendements de suppression ne signifie pas dire oui au texte : c'est dire oui à un bon système pour éviter la récidive. Je pense que nous pouvons tous être d'accord sur ce point.
Mme la présidente. Monsieur Michel, l'amendement n° 20 est-il maintenu ?
M. Jean-Pierre Michel. Oui, madame la présidente, je le maintiens.
Mme la présidente. Madame Mathon-Poinat, l'amendement n° 57 est-il maintenu ?
Mme Josiane Mathon-Poinat. Je le maintiens, madame la présidente.
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 20 et 57.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. L'amendement n° 169, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 2
Remplacer les mots :
une peine d’emprisonnement ou de réclusion criminelle égale ou supérieure à dix ans
par les mots :
la réclusion criminelle à perpétuité ou lorsqu’elle a été condamnée à une peine d’emprisonnement ou de réclusion criminelle égale ou supérieure à dix ans pour une infraction pour laquelle le suivi socio-judiciaire est encouru
L'amendement n° 170, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Alinéa 4
Remplacer les mots :
pour lequel le suivi socio-judiciaire est encouru
par les mots :
mentionné à l’article 706-53-13
La parole est à M. le garde des sceaux, pour présenter ces deux amendements.
M. Michel Mercier, garde des sceaux. L’amendement n° 169 est un amendement de précision. Quant à l’amendement n° 170, il s'agit d'un amendement de coordination.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. La commission n'a pas eu l'occasion d'examiner ces amendements mais, à titre personnel, j'y suis favorable.
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 9 bis, modifié.
(L'article 9 bis est adopté.)
Article 9 ter (nouveau)
Le deuxième alinéa de l’article 731–1 du même code est ainsi rédigé :
« La personne condamnée à une peine d’au moins sept ans d’emprisonnement concernant une infraction pour laquelle le suivi socio- judiciaire est encouru peut être placée sous surveillance électronique mobile selon les modalités prévues par les articles 763–12 et 763–13. Le tribunal de l’application des peines ou le juge de l’application des peines, suivant les distinctions des articles 730 et 730–2, détermine la durée pendant laquelle le condamné sera effectivement placé sous surveillance électronique mobile. Cette durée ne peut excéder deux ans, renouvelable une fois en matière délictuelle et deux fois en matière criminelle. »
Mme la présidente. L'amendement n° 58, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Cet article prévoit d’assouplir les modalités de placement sous surveillance électronique mobile. On assiste à une véritable banalisation de l’utilisation de ce procédé, qui n’est pourtant pas dénué d’importance et de gravité, au point que le présent texte entend même étendre son utilisation aux mineurs. Ainsi, l’examen de dangerosité ne sera plus nécessaire et le juge de l’application des peines sera neutralisé par une position populaire. Tout se coordonne très bien, finalement, dans votre schéma.
Nous sommes opposés à cette généralisation du bracelet électronique sans conditions. C’est la raison pour laquelle nous demandons la suppression de cet article.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Le bracelet électronique est actuellement très peu développé. Nous souhaitons qu'il le soit beaucoup plus.
Cet amendement tend à supprimer l’article 9 ter introduit dans le projet de loi par la commission sur l’initiative du Gouvernement. Cet article assouplit les conditions de mise en œuvre du bracelet électronique, en supprimant l’exigence préalable d’un examen de dangerosité lorsque le placement sous surveillance électronique mobile, le PSEM, est mis en œuvre dans le cadre d’une libération conditionnelle. Cette disposition qui ne peut que faciliter les libérations conditionnelles devrait pourtant aller dans le sens souhaité par les auteurs de l’amendement.
C'est la raison pour laquelle la commission émet un avis défavorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 9 ter.
(L'article 9 ter est adopté.)
Article additionnel après l'article 9 ter
Mme la présidente. L'amendement n° 164, présenté par M. Lecerf, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Après l’article 9 ter, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° La seconde phrase du dernier alinéa de l’article 474 est complétée par les mots : « qui se trouve ainsi saisi de la mesure ».
2° L'article 741–1 est rétabli dans la rédaction suivante :
« Art. 741–1. - En cas d’incarcération pour une condamnation à une peine d’emprisonnement assortie pour partie du sursis avec mise à l’épreuve, il est remis au condamné avant sa libération un avis de convocation à comparaître devant le service pénitentiaire d’insertion et de probation dans un délai qui ne saurait être supérieur à trente jours. Le service d’insertion et de probation est alors saisi de la mesure de sursis avec mise à l’épreuve. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Cet amendement a pour objet de garantir la continuité de l’exécution des décisions de justice en clarifiant les conditions de la saisine du service pénitentiaire d’insertion et de probation en cas de condamnation à un travail d’intérêt général ou à une peine d’emprisonnement assortie du sursis avec mise à l’épreuve ou de l’obligation d’accomplir un travail d’intérêt général.
Lorsqu'une telle peine est prononcée à l'encontre d'une personne non incarcérée, il est remis au condamné, à l'issue de l'audience, une convocation à comparaître devant le service pénitentiaire d'insertion et de probation, ou SPIP.
Afin de permettre immédiatement la prise en charge de la mesure par ce service, le 1° de l'amendement précise que la convocation délivrée entraîne la saisine de ce service.
De la même manière, en cas de peines d'emprisonnement assorties en partie du sursis avec mise à l'épreuve, il est important qu'il n'y ait pas d'interruption dans le suivi du condamné au moment de sa libération. Le 2° de l'amendement prévoit donc qu’il devra être remis au condamné avant sa libération une convocation à comparaître devant le SPIP, convocation qui entraînera saisine de ce service.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Le Gouvernement est tout à fait favorable à cet amendement qui répond à une demande des praticiens.
Mme la présidente. En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans le projet de loi, après l'article 9 ter.
Titre II
DISPOSITIONS RELATIVES AU JUGEMENT DES MINEURS
Mme la présidente. Nous allons maintenant examiner les articles 17 et 29, appelés par priorité.
Article 17 (priorité)
I. – (Non modifié) L’article 8–1 de la même ordonnance est abrogé.
II. – (Non modifié) À la première phrase de l’article 8–2 de la même ordonnance, après les mots : « soit devant le tribunal pour enfants, » sont insérés les mots : « soit devant le tribunal correctionnel pour mineurs, ».
III. – Après l’article 8–2 de la même ordonnance, il est rétabli un article 8–3 ainsi rédigé :
« Art. 8–3. – Le procureur de la République peut poursuivre devant le tribunal pour enfants dans les formes de l’article 390–1 du code de procédure pénale soit un mineur âgé d’au moins treize ans lorsqu’il lui est reproché d’avoir commis un délit puni d’au moins cinq ans d’emprisonnement, soit un mineur d’au moins seize ans lorsqu’il lui est reproché d’avoir commis un délit puni d’au moins trois ans d’emprisonnement.
« La convocation en justice ne peut être délivrée que si des investigations sur les faits ne sont pas nécessaires et si des investigations sur la personnalité du mineur ont été accomplies au cours des douze mois précédents sur le fondement de l’article 8 ou, le cas échéant, à la demande du juge des enfants statuant en matière d’assistance éducative.
« La convocation précise que le mineur doit être assisté d’un avocat et qu’à défaut de choix d’un avocat par le mineur ou ses représentants légaux, le procureur de la République ou le juge des enfants font désigner par le bâtonnier un avocat d’office.
« La convocation est également notifiée dans les meilleurs délais aux parents, au tuteur, à la personne ou au service auquel le mineur est confié.
« Elle est constatée par procès-verbal signé par le mineur et la personne à laquelle elle a été notifiée, qui en reçoivent copie.
« L’audience doit se tenir dans un délai qui ne peut être inférieur à dix jours et supérieur à deux mois. »
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Michel, sur l'article.
M. Jean-Pierre Michel. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, mon intervention porte sur l'ensemble du titre II, qui concerne la justice des mineurs, même si la commission a souhaité que les articles 17 et 29 soient appelés par priorité pour des questions de cohérence.
Selon nous, si ces dispositions étaient adoptées par le Parlement et validées par le Conseil constitutionnel, elles signifieraient la démolition de l'ordonnance de 1945.
M. Charles Gautier. C’est sûr !
M. Jean-Pierre Michel. Or cette ordonnance a été promulguée par le général de Gaulle qui proclamait solennellement : « Il est peu de problèmes aussi graves que ceux qui concernent la protection de l’enfance, et parmi eux, ceux qui ont trait au sort de l’enfance traduite en justice. » Certes, il faut replacer cette phrase dans son contexte historique et tenir compte de la personnalité de celui qui l’a prononcée – peut-être avait-il d'autres idées en tête à ce moment-là –, mais ce sont tout de même ses propos.
Depuis, la Convention internationale des droits de l'enfant, ratifiée par la France, prescrit également dans son article 40 qu'il faut tenir compte de l’âge de l'enfant pour faciliter sa réintégration dans la société. En France, la minorité est déterminée par l'article 388 du code civil : « Le mineur est l’individu de l’un ou l’autre sexe qui n’a point encore l’âge de dix-huit ans accomplis. » De fait, tout essai pour abaisser l’âge de la majorité, par exemple à seize ans, est, à notre avis, inconstitutionnel. Plus récemment, le Comité des droits de l'enfant des Nations unies a préconisé le changement des lois qui traitent les mineurs comme les majeurs, en réaffirmant l'intérêt supérieur de l'enfant, qui doit être une considération primordiale.
Or, monsieur le garde des sceaux, le projet de loi qui nous est soumis s’écarte des principes fondamentaux posés par le Conseil constitutionnel et, surtout, s'éloigne de la philosophie qui a inspiré la France depuis 1945.
M. Charles Gautier. Eh oui !
M. Jean-Pierre Michel. En effet, qui a été à l’origine de cette ordonnance, sinon ceux que nous appelions les démocrates-chrétiens ? Voilà qui ne peut manquer de nous étonner venant de vous, personnellement, Michel Mercier.
Le garde des sceaux d’alors était l'un de vos illustres ancêtres. Pierre Ancel était magistrat. Pierre Martaguet à Bordeaux, Pierre Savigneau, Henri Gaillac, alors juges des enfants, ont construit le droit des mineurs par leurs pratiques : ils ont passé toute leur vie dans la magistrature, pratiquement sans bénéficier d’avancement, à défendre l'ordonnance de 1945, puis celle du 23 décembre 1958, c'est-à-dire la protection des enfants et les mesures d'assistance éducative.
Aujourd'hui, vous faites litière de tout cela et vous vous rapprochez ostensiblement du droit des majeurs.
D'abord, vous prévoyez une espèce de comparution immédiate des mineurs devant un tribunal correctionnel nouveau. Actuellement, avant d'être traduits pénalement, les mineurs sont suivis par des éducateurs ; un rapport est remis au juge des enfants, dans son cabinet ou devant le tribunal, sur ce qu'ils ont fait depuis qu'ils ont commis l’acte de délinquance qui leur est reproché. Tout cela est balayé.
Ensuite, vous instituez un nouveau tribunal pour les mineurs âgés de seize ans à dix-huit ans.
Enfin, vous remplacez un certain nombre de mesures éducatives par des peines.
Monsieur le garde des sceaux, tout cela nous paraît totalement contraire à l’esprit et aux dispositions de l'ordonnance de 1945 et aux dernières décisions du Conseil constitutionnel, même si vous prétendez le contraire ! En effet, dans sa décision du 29 août 2002 relative à la loi d’orientation et de programmation pour la justice, dite « loi Perben I », le Conseil constitutionnel a reconnu le principe fondamental de la justice pénale des mineurs, sur le fondement de la loi du 12 avril 1906 sur la majorité pénale des mineurs, de la loi du 22 juillet 1912 sur les tribunaux pour enfants et de l'ordonnance du 2 février 1945 sur l’enfance délinquante. Pour le Conseil constitutionnel, ces textes sont intangibles dans leur philosophie. Or vous les bousculez allégrement !
Tout récemment encore, le Conseil constitutionnel a affirmé qu'un essai de comparution immédiate des mineurs était inconstitutionnel. Vous reprenez cette mesure en la présentant autrement, mais personne n’est dupe. Monsieur le garde des sceaux, vous êtes en dehors des règles et, surtout, en dehors de la philosophie qui a inspiré les principes de l'ordonnance du 2 février 1945. Au nombre de ceux-ci, on compte la primauté de l’éducation, car il s'agit d'éviter non pas la récidive des mineurs, mais que les mineurs ne tombent dans la délinquance ; c’est tout de même de cela qu'il faudrait parler d'abord. On compte également l’intervention de professionnels spécialisés de l'enfant. Or ce texte n’en parle absolument plus, puisqu’il prévoit que la comparution immédiate sera décidée par un officier de police judiciaire. Il est par ailleurs question d’un traitement personnalisé du suivi de l'enfant, ce qui disparaît totalement dans la nouvelle juridiction que vous instituez. Enfin, alors que le recours à la détention doit être exceptionnel et limité, ce texte prévoit le contraire.
Tout cela nous éloigne considérablement des principes qui ont jusqu'à présent régi la justice des mineurs et nous rapproche, malheureusement, de la justice des mineurs qui s’applique notamment aux États-Unis. Ce pays est peut-être une grande démocratie, mais, en matière de justice, il lui reste encore beaucoup de progrès à accomplir. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Charles Gautier. Bravo !
Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements identiques.
L'amendement n° 31 est présenté par MM. Michel et Anziani, Mmes Klès et Tasca, M. Badinter, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.
L'amendement n° 71 est présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche.
L'amendement n° 137 rectifié est présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, pour présenter l’amendement n° 31.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Mon collègue vient de le souligner, nous parvenons ici à un volet important du projet de loi, celui du jugement des mineurs, d'autant plus qu'il est resté assez ignoré, notamment des médias, ce que nous regrettons.
L’article 41 de la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, dite « LOPPSI 2 », a introduit un article 8–3 au sein de l’ordonnance de 1945 prévoyant que « le procureur de la République peut poursuivre un mineur devant le tribunal pour enfants selon la procédure prévue à l’article 390–1 du code de procédure pénale » – citation à personne par greffier ou officier de police judiciaire sur instruction du procureur de la République – « si des investigations supplémentaires sur les faits ne sont pas nécessaires et que des investigations sur la personnalité du mineur ont été accomplies, le cas échéant à l’occasion d’une procédure engagée dans les six mois précédents ou d’une procédure ayant donné lieu à une condamnation dans les six mois précédents. »
Le Conseil constitutionnel a considéré, dans sa décision du 10 mars 2011, que « ces dispositions sont applicables à tout mineur quels que soient son âge, l’état de son casier judiciaire et la gravité des infractions poursuivies ; qu’elles ne garantissent pas que le tribunal disposera d’informations récentes sur la personnalité du mineur lui permettant de rechercher son relèvement éducatif et moral ; que, par suite, elles méconnaissent les exigences constitutionnelles en matière de justice pénale des mineurs ; que l’article 41 doit être déclaré contraire à la Constitution ».
Le présent article propose une nouvelle procédure censée tenir compte des observations de la décision du Conseil constitutionnel. Elle prévoit que le procureur de la République peut poursuivre devant le tribunal pour enfants, toujours selon les formes de l’article 390–1 du code de procédure pénale, des mineurs âgés d’au moins treize ans lorsqu’il leur est reproché d’avoir commis des délits punis de cinq ans d’emprisonnement et des mineurs d’au moins seize ans quand il leur est reproché d’avoir commis des délits punis de trois ans d’emprisonnement.
La convocation est délivrée au mineur par un officier de police judiciaire dans les locaux du commissariat, soit directement après une période de garde à vue, soit après que le mineur a été invité à s’y présenter pour la recevoir.
La convocation ne peut être délivrée que si des investigations sur les faits ne sont pas nécessaires et que des investigations sur la personnalité du mineur ont été accomplies à l’occasion de la procédure en cours ou d’une procédure antérieure à un an, le cas échéant en application de l’article 12 de l’ordonnance de 1945, aux termes duquel le « service de la protection judiciaire de la jeunesse compétent établit, à la demande du procureur de la République, du juge des enfants ou de la juridiction d’instruction, un rapport écrit contenant tous renseignements utiles sur la situation du mineur ainsi qu’une proposition éducative ».
Le mineur doit être assisté d’un avocat désigné par lui ou commis d’office. La convocation est adressée au mineur et aux parents, au tuteur, à la personne ou au service auquel le mineur est confié. Quant à l’audience, elle doit se tenir dans un délai qui ne peut être inférieur à dix jours et supérieur à deux mois.
Cette procédure, qui existe pour les majeurs, consiste, pour le parquet, à faire convoquer en justice un mineur âgé d’au moins treize ans lorsqu’il lui est reproché d’avoir commis un délit puni de cinq ans d’emprisonnement. Si le procureur choisit ce mode de saisine du tribunal, c’est dans le but de favoriser une comparution immédiate du mineur, puisque, je le répète, l’audience doit se tenir dans un délai qui ne peut être inférieur à dix jours et supérieur à deux mois.
Le dispositif se calque donc sur la procédure pénale applicable aux majeurs : à l’évidence, l’excuse de minorité n’existe plus.
Par ailleurs, le recueil de renseignements prévu à l’article 12 de l’ordonnance de 1945 est le fruit non pas d’une investigation, mais d’une simple enquête rapide, se résumant à un entretien sommaire avec le mineur au dépôt et à une rencontre avec ses parents. Très « judicieusement », monsieur le rapporteur, vous avez préféré au recueil de renseignements de l’article 12 celui de l’article 8 de la même ordonnance, plus complet. Nous ne pouvons que le regretter.
Mme la présidente. La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat, pour présenter l'amendement n° 71.
Mme Josiane Mathon-Poinat. L’article 17 entend généraliser la convocation des mineurs par officier de police judiciaire devant le tribunal pour enfants, en lieu et place d’une procédure de convocation devant le juge des enfants.
Il supprime donc la phase d’instruction du juge afin de favoriser une convocation rapide. À l’instar du Conseil constitutionnel, nous sommes fermement opposés à une telle mesure.
La LOPPSI 2 prévoyait déjà qu’une procédure de citation directe, proche de la comparution immédiate, pourrait être utilisée à l’encontre des mineurs.
Jusqu’alors, le droit pénal des mineurs écartait toute procédure immédiate, même si deux réformes, intervenues en 2002 puis en 2007, permettaient de juger dans un délai déjà réduit à dix jours sous certaines conditions, dès lors que les auteurs étaient connus et les faits établis.
Pour autant, le Conseil constitutionnel s’est opposé à ce volet de la LOPPSI 2 et à une justice expéditive ne prenant pas en compte le contexte, notamment éducatif, dans lequel évolue le mineur. Malgré cette défaite constitutionnelle, le Gouvernement a décidé de passer outre et de trouver de nouvelles pistes d’accélération de la justice des mineurs.
Dans le même souci d’accélérer les procédures, le texte prévoit d’insérer, dans l’ordonnance de 1945, un article 8-3 aux fins de permettre la convocation par officier de police judiciaire devant le tribunal pour enfants.
Seront donc concernés le mineur âgé d’au moins treize ans lorsqu’il lui est reproché d’avoir commis un délit puni de cinq ans d’emprisonnement ainsi que le mineur âgé d’au moins seize ans quand il lui est reproché d’avoir commis un délit puni de trois ans d’emprisonnement. Si les faits sont établis et que des investigations sur la personnalité du mineur ont été accomplies à l’occasion de la procédure en cours ou d’une procédure antérieure de moins d’un an, l’audience se tiendra dans un délai qui ne peut être inférieur à dix jours et supérieur à deux mois.
A contrario, le projet prévoit de supprimer une procédure rapide datant de 1995 : la convocation par officier de police judiciaire aux fins de jugement devant le juge des enfants. Il faut dire que celle-ci ne présente pas l’intérêt espéré par le Gouvernement puisque le juge des enfants ainsi saisi ne peut prononcer que des mesures éducatives, sans pouvoir condamner à aucune peine.
Bref, en supprimant la possibilité d’avoir recours à cette procédure, vous voulez frapper un peu plus vite, voire un peu plus fort. Nous ne voulons pas de cette justice expéditive, et ce d’autant moins qu’elle s’adresse aux mineurs.
C’est la raison pour laquelle nous demandons la suppression de cet article.
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard, pour présenter l'amendement n° 137 rectifié.
M. Jacques Mézard. Nous proposons également de supprimer l'article 17, avec lequel nous entamons l'examen des dispositions relatives à la justice des mineurs en général et de la trente-cinquième modification de l’ordonnance du 2 février 1945 en particulier.
Nous savons tous, ici, que le droit pénal des mineurs est strictement encadré par le Conseil constitutionnel, qui, récemment encore, en a rappelé les trois grands principes : priorité donnée à l’éducatif avant tout jugement, spécialisation des juridictions et mise en œuvre plus protectrice de la loi et de la procédure pénales.
Or cet article 17 donne un aperçu tout à fait contestable de l’application de ces principes. Par exemple, il est inopportun de supprimer la convocation par officier de police judiciaire devant le juge des enfants pour l’instituer devant le tribunal pour enfants.
Ajouté à la procédure de présentation immédiate, ce système confère de fait au parquet la maîtrise de l’audiencement devant les juridictions pour mineurs, à savoir le tribunal pour enfants et le nouveau tribunal correctionnel pour mineurs
Le juge des enfants perd ainsi toute prérogative lui permettant d’audiencer au tribunal pour enfants en fonction des priorités, alors que c’est tout de même lui qui connaît le mieux chaque dossier, parce qu’il suit les enfants soit au pénal, soit dans le cadre de l’assistance éducative. Les décisions seront prises en opportunité et elles n’auront, malheureusement, aucune cohérence globale.
Par votre choix, et j’y reviendrai en explication de vote, il s’agit de dire qu’il y a une grande augmentation de la délinquance des mineurs. Or c’est inexact au vu des chiffres de la délinquance générale.
Au moment où nous devrions avoir un débat d’ensemble sur le statut du parquet, vous faites le choix de l’opportunité. Certes, on le dit souvent, le parquet est juge de l’opportunité des poursuites ; c’est une tradition de notre droit pénal. En l’occurrence, vous allez plus loin, et je ne pense pas que ce soit une bonne chose.
Qui plus est, l’article 17 vise tous les mineurs âgés de plus de treize ans à l’encontre desquels une peine peut être prononcée, sans qu’il y ait aucune différence selon la gravité de l’infraction : la COPJ pourra être mise en œuvre à l’encontre du multirécidiviste comme du primo-délinquant, sans gradation ni distinction.
Là encore, il s’agit à nos yeux d’une mauvaise innovation, contraire d’ailleurs à la tradition de notre droit. Monsieur le garde des sceaux, être soucieux des traditions et des grands principes de notre droit, c’est faire la preuve d’un bon conservatisme : oui, cela peut exister, et vous-même en êtes souvent l’illustration.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. L’article 17 du projet de loi tend, d’une part, à supprimer la procédure de convocation par officier de police judicaire devant le juge des enfants aux fins de jugement et, d’autre part, à créer une procédure de COPJ devant le tribunal pour enfants.
La suppression de la procédure de COPJ aux fins de jugement, introduite en 1996, se justifie par le fait qu’elle est peu utilisée. En outre, le juge des enfants a la possibilité, lorsqu’il met le mineur en examen, de le juger en cours de procédure et de prononcer à son encontre une ou plusieurs mesures éducatives. Il y avait donc redondance : le texte clarifie les choses.
La création d’une procédure de COPJ devant le tribunal pour enfants permettra, quant à elle, d’accélérer le jugement de mineurs déjà bien connus de l’autorité judiciaire. Je précise que, à la différence de la procédure de présentation immédiate, il n’est pas prévu de pouvoir placer le mineur sous contrôle judiciaire ou en détention provisoire en attendant l’audience de jugement.
Enfin, la commission a bien souligné que cette procédure ne pourrait être mise en œuvre que lorsque la juridiction dispose d’investigations approfondies et récentes sur la personnalité du mineur, et non d’un seul recueil de renseignements socio-éducatifs, ou RRSE.
Il semble à la commission que, ainsi définies, ces dispositions permettent de garantir un équilibre satisfaisant entre l’exigence de célérité de la réponse pénale et le respect des principes constitutionnels applicables au droit pénal des mineurs.
La commission émet donc un avis défavorable sur les trois amendements identiques nos 31, 71 et 137 rectifié de suppression de l'article.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. La parole est à Mme Virginie Klès, pour explication de vote.
Mme Virginie Klès. Je voudrais faire trois remarques et verser au débat quelques données chiffrées.
Premièrement, si la mesure qui nous est présentée avait existé en 1996, elle aurait été beaucoup moins appliquée. En effet, par le jeu de l’accumulation des réformes et du durcissement du code de procédure pénale auquel nous avons assisté au cours des dernières années, ce sont 75 % des mineurs délinquants qui sont concernés aujourd'hui. Voilà un pourcentage qui est loin d’être anecdotique.
Deuxièmement, rappelons-nous que les mineurs sont avant tout des enfants, des adultes en devenir. De ce point de vue, il n’est pas anormal qu’ils se construisent par des tentatives de transgression de l’interdit. Il est donc tout à fait logique d’y répondre, d’abord, par l’intermédiaire des parents, puis, en cas de défaillance ou de besoin d’une aide supplémentaire, par l’intermédiaire de la société.
Cependant, la réponse se doit d’être adaptée aux faits réels et à visée éducative. Or cela commence à être un petit peu moins le cas dans le projet de loi qui nous est soumis.
Troisièmement, la présentation de ce texte traduit une méconnaissance manifeste des caractéristiques de la récidive des mineurs.
En réalité, 75 % des mineurs délinquants ne sont vus qu’une fois par les services de la justice ; 5 % seulement des mineurs délinquants deviennent des majeurs délinquants.
Par conséquent, pour 5 % des enfants délinquants pour lesquels le dispositif aujourd'hui en place se révèle défaillant, on est en train de mettre en œuvre un système qui concernera, demain, 75 % des enfants délinquants.
J’y vois pour ma part une incohérence et, en tout cas, un risque fort d’inutilité et d’inefficacité, indépendamment du fait que l’on bafoue le droit des enfants et la nécessaire prévalence de l’éducatif sur le répressif.
Au final, on va englober 75 % des enfants délinquants dans un système calqué sur celui qui est réservé aux adultes, lequel a fait la preuve de son efficacité puisque 75 % des adultes, eux, récidivent ! (M. Charles Gautier applaudit.)
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ce n’est pas vrai !
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Les dispositifs que vous préconisez, qui rapprochent les procédures pour mineurs de celles qui sont applicables aux majeurs, sont sous-tendus par cette idée qui a cheminé dans votre esprit : la justice des mineurs est trop indulgente, les juges des enfants ont de la jeunesse une vision archaïque, et l’on connaît d’ailleurs les qualificatifs que certains – pas forcément vous, monsieur le garde des sceaux – aiment employer à leur sujet ; il vous faut donc absolument pousser le législateur à faire en sorte que les mineurs soient jugés et sanctionnés pénalement le plus rapidement possible.
Évidemment, monsieur le rapporteur, une telle logique pourrait être retenue si l’on pensait qu’elle avait une quelconque efficacité. Pour connaître suffisamment les professionnels – vous les avez, comme moi, entendus, ou, pour le moins, écoutés –, vous savez qu’ils disent tout le contraire.
Il est déjà permis de considérer qu’un mineur entré, à un moment donné, dans la délinquance n’a pas vocation à y rester pour toujours. S’est tout de même répandue l’idée que, dès lors que l’on est entré dans la délinquance, on n’en sort plus. Du coup, se pose la question : que faire après ?
Au fond, des mineurs qui sont entrés en délinquance préfèrent être jugés très rapidement, éventuellement aller à la case « prison », dont ils ne mesurent sans doute pas la portée, plutôt que d’être pris en charge sur la durée dans la perspective de sortir de la délinquance.
Les observations des professionnels me semblent pertinentes et méritent d’être entendues.
Ceux qui ont vu des mineurs délinquants enfermés, soit en centre éducatif fermé, soit en prison, devraient réfléchir.
Voilà quelques décennies, nous avons fermé les centres de rééducation des jeunes délinquants pour des raisons qui peuvent se répéter aujourd’hui et qui se reproduisent d’ailleurs souvent dans les lieux fermés pour les mineurs. Chacun sait que la prison peut être « éducatrice » dans le mauvais sens du terme pour les mineurs.
Si l’on cherche vraiment à prendre en charge les jeunes qui ont commis à un moment donné des actes délictueux, même graves, et à leur donner une possibilité de sortir de la délinquance pour devenir un jour des adultes insérés dans la société, il faut prendre le temps de la réflexion, au lieu de proclamer bien haut, par volonté d’affichage encore une fois, que l’on va voir ce que l’on va voir, que l’on va les punir et les envoyer à la case « prison » le plus rapidement possible.
Mme la présidente. La parole est à Mme Catherine Tasca, pour explication de vote.
Mme Catherine Tasca. Beaucoup de raisons juridiques, constitutionnelles et historiques nous conduisent à récuser l’article 17 et votre conception nouvelle de la justice des mineurs.
À ces raisons, j’ajouterai notre refus de la vision que ce texte propose de l’enfance et de l’adolescence, vision à la fois de peur, comme si notre société était en défense totale à l’égard de ces enfants délinquants, et d’abandon.
À partir du moment où vous alignez la justice pour mineurs sur la justice pour adultes, vous gommez toutes les chances de ces jeunes au cours de cette période de la vie de se rattraper, d’évoluer, de changer, et Dieu sait si leur personnalité bouge d’un mois à l’autre, d’une année à l’autre ; tous ceux, dans cette enceinte, qui ont des enfants savent à quel point c’est vrai.
Vous nous proposez une vision totalement fermée et sans espoir.
Je veux vous dire la contradiction que je vois entre une telle démarche d’alignement sur la justice des majeurs et le comportement général de notre société qui, en raison de ses difficultés économiques et sociales, reporte aujourd’hui de plus en plus tard l’entrée de nos enfants dans l’autonomie (Mme Virginie Klès opine.), la responsabilité, la vie active. Mineurs, ils le restent dans les faits bien au-delà de l’âge de dix-huit ans, et ce contre leur propre volonté.
Au travers de ce texte, on leur dit : mineurs, vous pouvez le rester jusqu’à vingt, vingt-cinq ans ; vous découvrirez les minima sociaux avant d’avoir eu une quelconque insertion véritable dans la société. En même temps, on leur dit : mineurs, vous pouvez cesser de l’être à treize ans ou seize ans, parce que notre société a peur de vous et qu’elle est incapable d’assumer le devoir de protection et d’éducation, qui est à la base de l’ordonnance de 1945, mais qui aujourd’hui devrait être encore plus présent dans notre vision de l’enfance et de l’adolescence.
Monsieur le garde des sceaux, nous n’avons pas le droit d’opérer un tel glissement insidieux vers la justice des majeurs.
Nous ne nions pas que la délinquance des mineurs soit une vraie préoccupation dans notre société. Nous connaissons et reconnaissons tous la nécessité de la sanction et des mesures éducatives.
En revanche, ce que nous refusons en récusant l’article 17, comme nous le ferons d’ailleurs pour d’autres articles du titre II, c’est de fermer la porte et de quitter une justice spécialisée pour se rapprocher de la justice des adultes.
Les enfants ont droit à ce temps de la vie ; ils ont droit à cet âge d’être traités comme des mineurs, et non comme des majeurs. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – Mmes Josiane Mathon-Poinat et Anne-Marie Escoffier applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Sueur, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Sueur. Je ne serais pas intervenu si M. le garde des sceaux n’avait fait preuve, à l’instant, de laconisme, puisqu’il n’a apporté aucun argument en réponse aux interventions de mes collègues, et tout particulièrement à celle de Jean-Pierre Michel, qui a insisté sur la tradition humaniste à l’origine de cette ordonnance de 1945.
Monsieur le garde des sceaux, il existait, aux XVIIe et XVIIIe siècles, à côté du jardin du Luxembourg, une rue qui était dénommée rue d’Enfer – devenue Denfert-Rochereau –, car c’était un lieu de banditisme, de guets-apens et même de délinquance juvénile.
C’est un sujet de préoccupation ancien, car cette dernière a toujours existé. La question, au fond, est de définir l’idée que l’on se fait de l’enfant.
À cet égard, on pourrait citer en particulier Jean-Jacques Rousseau. L’enfant est-il une sorte de sauvage susceptible de commettre des actes irréfléchis et qu’il faudrait sanctionner sans pour autant se préoccuper d’éducation ?
On voit bien la philosophie de ce texte, monsieur le garde des sceaux, et je m’étonne que vous le défendiez.
Avec son dispositif de comparution immédiate – appelons les choses par leur nom –, de substitution du parquet au juge des enfants – là encore, appelons les choses par leur nom –, son refus de la spécialisation de la justice des mineurs en calquant celle-ci sur la justice des majeurs, vous tournez complètement le dos à l’ordonnance de 1945.
Lors d’une visite à la maison d’arrêt de ma ville, j’ai rencontré les représentants des juges des enfants de mon département. Monsieur le garde des sceaux, avez-vous procédé à une concertation avec les juges des enfants ? Lorsqu’on voit le travail extraordinaire qu’ils assument malgré la faiblesse des moyens, il y a de quoi s’étonner vivement de ce que vous nous assénez. Peut-être êtes-vous en service commandé ? (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
M. Charles Gautier. Toujours ! (Nouveaux sourires.)
M. Jean-Pierre Sueur. Sincèrement, il est des moments où vous devriez dire non !
Permettez-moi de vous expliquer encore quelque chose. L’ordonnance de 1945 n’est pas contre la sanction : la sanction fait partie de l’éducation, vous le savez. (M. le ministre acquiesce.) Pour autant, elle considère le mineur comme un être en devenir.
Ou bien l’on accepte ce principe et l’on en tire toute une série de conséquences – comme l’a d’ailleurs très bien dit le Conseil constitutionnel le 10 mars 2011 à propos de l’article 41 de la loi d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, la LOPPSI –, et vous essayez de manière quelque peu besogneuse de contourner cette disposition, même si vous ne pouvez en méconnaître la lettre ni l’esprit.
Ou bien l’on considère qu’il n’y a plus de spécificité de la justice pour mineurs. C’est le terrain sur lequel vous êtes : vous voulez préserver la société contre ces sauvages, ces monstres, en les jugeant et les enfermant vite, afin de s’en protéger rapidement comme s’ils étaient un poison pour le corps social. Or ce « poison », ce sont nos enfants !
Par conséquent, l’article 17 reflète une conception de l’humanisme et de la société. Tout est difficile, et la tâche des juges des enfants l’est particulièrement, tout comme celle des éducateurs.
De même que je n’ai pas accepté dans cet hémicycle que l’on renonce à des exigences en matière d’éducation quand, par exemple, on a cédé à la décision véritablement démagogique de supprimer l’école le samedi, il faut aussi, selon moi, de l’effort, du travail, énormément de ténacité, beaucoup d’œuvre humaine pour éduquer ces enfants qui vont mal et qui commettent des délits.
Monsieur le garde des sceaux, c’est toute une philosophie qui est en cause. Vous ne pouvez pas vous réfugier dans le laconisme ! Vous devez nous répondre sur le fond et nous dire comment vous argumentez ce changement de philosophie, car c’est bien de cela qu’il s’agit ! (Mme Virginie Klès et M. Jean-Pierre Michel applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Pignard, pour explication de vote.
M. Jean-Jacques Pignard. Madame la présidente, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, n’étant pas membre de la commission des lois, je ne pensais pas intervenir ce soir, mais j’y suis incité par les arguments qui ont été développés tant par Mme Catherine Tasca que par MM. Jean-Pierre Michel et Jean-Pierre Sueur. Je pense notamment à l’argument qui consiste à s’écarter de la loi pour évoquer la philosophie.
J’ai bien entendu tout ce qui a été dit sur la démocratie chrétienne en 1945. Comme je me flatte d’être aussi, dans cet hémicycle, un de ses représentants, je souhaite répondre sur certains points concernant la philosophie de ce texte.
C’est une évidence pour tous, nous ne sommes plus en 1945.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est un scoop !
M. Charles Gautier. On s’en était rendu compte !
M. Jean-Jacques Pignard. J’adhère aux propos tenus par Mme Tasca. On n’est pas mineur de deux façons.
Aujourd’hui, du point de vue de leur mode de vie et sur le plan physique, les jeunes de dix-huit ans ne sont plus des enfants. Mais, si on les compare à ceux de 1945, ils sont plus enfants…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Pas de travail !
M. Jean-Jacques Pignard. … pour nombre de raisons, en particulier parce qu’à l’époque 80 % de la classe d’âge travaillait dès 14 ou 15 ans. (Exclamations sur les travées du groupe CRC-SPG.) Ceux qui étaient des délinquants se situaient précisément hors de ce système, que nous avons changé du tout au tout.
Nous avons eu aussi ce débat à propos de la réforme des retraites. Je veux bien que l’on évoque à tout moment le Conseil national de la Résistance, et j’ai beaucoup de respect pour les décisions qu’il a prises, d’autant qu’y siégeaient également des démocrates-chrétiens. L’ordonnance de 1945 est de cette époque.
Nous avions deux façons de procéder, la première étant de faire comme si nous étions toujours en 1945 et de ne rien changer. L’autre façon, que je qualifierais de sécuritaire, était de dire qu’on allait s’occuper uniquement de la société, et non des jeunes. Pour cela, il fallait tout simplement baisser l’âge de la majorité. C’est précisément – cela a été exposé au début du débat – ce que le Gouvernement n’a pas voulu.
Entre ne rien faire et faire comme si rien n’avait changé, il existe une voie médiane, peut-être démocrate-chrétienne, peut-être centriste (M. Charles Gautier s’exclame.), que sais-je ? Quoi qu’il en soit, nous ne pouvons nier cette réalité.
Monsieur Sueur, vous dites que le tout-répressif remplace le tout-éducatif. Permettez-moi de vous dire qu’une chose a changé depuis 1945 : je ne pense pas que les conseils généraux – je ne sais si vous êtes ou si vous avez été membre d’un conseil général – dépensaient des sommes aussi élevées en 1945 qu’aujourd’hui en faveur de la protection de l’enfance.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. La prévention !
M. Jean-Jacques Pignard. Je peux témoigner – et je reprends votre expression, je ne suis pas « en service commandé » –, pour être vice-président du conseil général du Rhône depuis vingt ans aux côtés de Michel Mercier, que le département consacre un budget énorme à la protection de l’enfance. Je ne peux donc laisser dire ce soir que le tout-répressif s’est substitué au tout-éducatif.
Pour autant, je suis navré de le dire, il est un moment où le tout-éducatif a une limite. Lorsqu’elle a été franchie, que la société a investi tout l’argent et tout le talent qu’elle possédait pour essayer de faire quelque chose, la justice doit dire son mot. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Charles Gautier, pour explication de vote.
M. Charles Gautier. Je suis heureux que le hasard de la discussion me permette d’intervenir après avoir pu entendre les arguments de ceux qui se sont exprimés avant moi.
Lorsqu’il est question de l’ordonnance de 1945, il y a toujours deux sortes de réactions.
Certains, en invoquant 1945, ont à l’esprit la volonté des décideurs de l’époque d’apporter une réponse à un problème précis, qui existait déjà ; je le dis pour ceux qui considèrent que la jeunesse d’aujourd’hui à tous les défauts et que, dans le passé, tout se passait très bien. Pourquoi prendre cette ordonnance en 1945 sinon parce que le besoin s’en faisait sentir et parce que de vrais problèmes se posaient ? Depuis 1945 et jusqu’à aujourd’hui, à chaque génération, il s’est toujours trouvé certains jeunes pour venir troubler l’équilibre de la société.
En 1945, avec la volonté généreuse qui inspirait alors toutes les initiatives, on a décidé de ne pas rejeter les jeunes au moment même où se mettaient en place de nombreuses institutions.
D’autres, à propos de la même ordonnance, disent que les jeunes d’aujourd’hui ne sont pas ceux d’hier, et que 1945, c’était il y a plus de soixante ans. Évidemment !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Beaucoup de choses ont changé !
M. Charles Gautier. Il est vrai que les jeunes et la société ont changé. Mais faut-il tout changer pour autant ?
Mes chers collègues, que s’est-il passé depuis 1945 s’agissant de ce texte ?
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. On a modifié vingt-cinq fois l’ordonnance !
M. Charles Gautier. Il a subi près d’une quarantaine de modifications. Pas une ligne n’est d’origine, et il n’en reste que le titre !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. On est d’accord !
M. Charles Gautier. Vous le voyez, on fait référence à 1945 soit pour invoquer un idéal, soit pour se camoufler derrière de bien mauvaises arrière-pensées.
Nous ne partageons pas ces arrière-pensées, car la jeunesse d’aujourd’hui ne mérite pas cela.
Certes, et je l’ai dit dans une précédente intervention, peut-être avec moins de solennité, nous constatons tous que les jeunes sont sans doute adolescents plus tôt.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Et ils le restent !
M. Charles Gautier. Mais après, que de difficultés, que d’obstacles à surmonter !
De nos jours, on devient adulte peut-être un peu plus tard, même si la société reconnaît un certain nombre de droits aux jeunes à l’âge de la majorité.
Il se trouve que j’ai présenté, cet après-midi, l’un des rares amendements que la majorité a bien voulu accepter. Il tendait justement à maintenir la condition d’âge minimal pour devenir citoyen assesseur à vingt-trois ans, et non à dix-huit ans. Cette proposition a fait l’objet d’un consensus au sein de notre assemblée, et j’en tire une grande satisfaction.
Dans le même sens, j’estime qu’en cherchant à appliquer aux jeunes les mêmes sanctions qu’aux adultes, nous faisons fausse route. Nous sommes d’ailleurs les seuls à faire ce choix ! D’autres démocraties européennes, comme l’Espagne ou l’Allemagne, se préparent à adopter un certain nombre de textes prévoyant notamment de porter à vingt et un ans l’âge retenu pour le statut pénal des mineurs.
Allons-nous continuer à nous aveugler, au cours de cette nuit printanière, pour répondre à celles et ceux qui attendent des preuves que notre société est capable de se « muscler » ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.
M. Jacques Mézard. Il s’agit d’un débat de fond et de principe.
J’ai entendu la référence à la démocratie chrétienne, chère à notre garde des sceaux. Les principes qui ont conduit le législateur, et surtout l’exécutif, à prendre cette ordonnance en 1945, sont au sens propre fondateurs, même s’il est exact qu’il ne reste littéralement plus grand-chose du texte initial. Même son article 1er a été modifié dès 1951.
Il existe donc dans notre République, et c’est heureux, des principes fondateurs. Qui remettrait en cause les principes contenus dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ? Chacun considère ici qu’ils sont toujours modernes et fondamentaux. Nous y sommes tous attachés et pensons qu’il convient non seulement de les défendre, mais aussi de les faire vivre et prospérer.
Ce débat est très important. M. Pignard nous a dit que les choses avaient changé et que l’on n’était plus en 1945. Certes ! J’ai pourtant entendu qu’un président de la République, il n’y a pas si longtemps, voulait qu’on lût dans toutes les écoles la lettre de Guy Môquet…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Mal à propos !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. D’autres ont fait pareil !
M. Jacques Mézard. Peut-on ainsi reprocher la référence à 1945 en disant que le temps a passé et, quand cela arrange, se référer au contraire à la dernière guerre ?
Nous devons donc préserver nos principes fondamentaux.
Les mineurs sont différents des adultes. Les mineurs, ce sont nos jeunes, qui évoluent, et de façon parfois considérable, dans un sens qui peut être bon ou mauvais, selon les cas.
Il faut une justice pénale. Lorsque notre collègue Jean-Pierre Chevènement parlait des « sauvageons », on ne peut pas dire qu’il était laxiste. Il tenait un discours sage, à la fois ferme – la fermeté est parfois nécessaire ! –, compréhensif et généreux. En effet, les enfants grandissent, ils évoluent, et nous avons besoin de procédures adaptées, singulièrement de solutions éducatives.
J’entends dire qu’il faut aller vite et frapper vite ; certains ajoutent – pas tous, comme nous le verrons en examinant les prochains amendements – qu’il faut frapper fort. Or les audiences de mineurs auxquelles j’ai assisté, devant le juge des enfants ou le tribunal pour enfants, étaient tout entières guidées par l’idée inverse, le magistrat n’hésitant pas à dire au jeune comparant qu’il s’agissait désormais de voir comment il allait évoluer, qu’il reviendrait devant la juridiction dans trois mois, six mois ou même un an, et que, si l’évolution avait été favorable, le juge en tiendrait compte au moment de décider des mesures à prendre. Voilà la véritable sagesse !
Plus vous chercherez à aligner la justice des mineurs sur celle des adultes, plus vous ferez fausse route et plus le résultat sera négatif.
Au surplus, nous le savons tous : pour que les principes soient bien appliqués, il faut des moyens satisfaisants. Nous y reviendrons quand il s’agira de la protection judiciaire de la jeunesse.
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Ce débat, tout à fait intéressant, n’est pas médiocre, même s’il est parfois un peu manichéen...
Je ferai trois remarques.
Tout d’abord, je ne suis pas convaincu que l’extrême lenteur de la justice pénale des mineurs soit systématiquement favorable aux jeunes délinquants. Souvenez-vous des chiffres que nous citions hier : dix-huit mois en moyenne, en matière de délits, entre l’infraction et la réponse pénale. Cela mérite que l’on y réfléchisse, ne serait-ce que sur le plan de la pédagogie.
Ensuite, la réponse pénale aux délits commis par les mineurs est, dans la majorité des cas, une alternative aux poursuites. C’est également, dans un grand nombre d’autres cas, l’intervention du juge des enfants statuant en audience de cabinet. Le tribunal pour enfants n’est immédiatement compétent que dans un nombre de cas limité.
Enfin, il est excessif de dire que l’on aligne le droit des mineurs sur celui des majeurs. Le tribunal pour enfants applique le droit pénal des mineurs et fait respecter la primauté de l’éducation sur la sanction. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 31, 71 et 137 rectifié.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. L’amendement n° 151 rectifié, présenté par MM. Détraigne, Maurey et Zocchetto, Mmes Gourault et Morin-Desailly, MM. Merceron, Amoudry et Biwer et Mme Férat, est ainsi libellé :
Alinéa 4
1° Après les mots :
cinq ans d’emprisonnement
insérer les mots :
et qu’il a déjà été condamné au moins une fois pour des infractions similaires ou assimilées
2° Compléter cet alinéa par les mots :
et qu’il a déjà été condamné au moins une fois pour des infractions similaires ou assimilées
La parole est à M. Yves Détraigne.
M. Yves Détraigne. Nous n’avons pas voté les amendements de suppression, mais nous ne trouvons pas l’article 17 parfait pour autant.
Le présent amendement vise à ce que la convocation par officier de police judiciaire devant le tribunal pour enfants ne soit pas applicable à un mineur primo-délinquant. Pour ce faire, le dispositif reprend une formulation identique à celle votée par le Sénat lors de l’examen de la loi d’orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure, dite « LOPPSI 2 ».
Comme je l’ai rappelé hier dans la discussion générale, je reste convaincu que le mécanisme qui nous est présenté n’est pas satisfaisant sur le fond, notamment au regard du principe du respect de la spécificité de la procédure pénale applicable aux mineurs, spécificité dont chacun convient qu’elle est nécessaire.
Cet amendement ne remet pas en cause le principe de la convocation du mineur par officier de police judiciaire. Il tend simplement à limiter son application à des mineurs qui ont déjà été condamnés au moins une fois pour des infractions « similaires ou assimilées ». Les autres, les primo-délinquants, doivent d’abord être déférés devant le juge des enfants, comme le prévoit la procédure actuelle. En effet, un mineur n’est pas un adulte en réduction, et il convient de le considérer différemment d’un adulte, surtout lors d’une première infraction.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Les auteurs de l’amendement souhaitent restreindre la possibilité de convoquer un mineur devant le tribunal pour enfants aux mineurs récidivistes.
Cet amendement va probablement trop loin. En effet, s’il n’est pas opportun d’utiliser cette procédure lorsque le mineur n’a jamais fait l’objet d’investigations approfondies sur sa personnalité, et le texte de la commission a clarifié les choses sur ce point, l’amendement interdirait d’y recourir, par exemple, lorsque le mineur a déjà fait l’objet de mesures éducatives ou qu’il a précédemment été condamné pour une infraction d’une autre nature.
Il nous semble que le critère essentiel permettant d’envisager le renvoi du mineur directement devant le tribunal pour enfants, sans passer par une phase d’instruction préalable devant le juge des enfants, est le caractère complet des informations dont la juridiction disposera, qui lui permettra de statuer en pleine connaissance de cause.
Je rappelle que seulement 1,5 % des infractions commises par des mineurs le sont en état de récidive légale stricto sensu.
Pour cette raison, la commission a émis, dans sa majorité, un avis défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Si, sur d’autres amendements, l’avis du Gouvernement peut diverger de celui de la commission, sur cet amendement n° 151 rectifié, je dois suivre M. le rapporteur.
En exigeant que les mineurs aient déjà été condamnés pour des infractions « similaires ou assimilées », cet amendement réduit en effet considérablement le champ de la convocation par OPJ et ne prend pas en considération un phénomène que les praticiens connaissent bien, celui de ces adolescents qui, dans un bref laps de temps – quelques semaines, parfois deux ou trois mois –, commettent une série d’infractions souvent de plus en plus graves. Dans ces hypothèses, le recours à la convocation par OPJ est tout à fait pertinent, parce qu’il permet d’obtenir un jugement rapide en mesure de mettre fin à cette spirale de la délinquance avant qu’il ne soit trop tard.
Je demande donc à M. Yves Détraigne de bien vouloir retirer son amendement, au bénéfice des suivants.
Mme la présidente. Monsieur Détraigne, l'amendement n° 151 rectifié est-il maintenu ?
M. Yves Détraigne. J’ai attentivement écouté la commission et le Gouvernement, et je suis prêt à retirer cet amendement, mais je n’oublierai pas que M. le ministre m’a invité à le faire « au bénéfice des suivants »… (Sourires.)
Mme la présidente. L'amendement n° 151 rectifié est retiré.
L'amendement n° 154 rectifié, présenté par MM. Détraigne, Maurey, Zocchetto et Merceron, Mmes Gourault et Morin-Desailly, M. Amoudry, Mme Férat, M. Biwer et les membres du groupe Union centriste, est ainsi libellé :
Après l'alinéa 4
Insérer un alinéa ainsi rédigé :
« La procédure prévue à l'alinéa précédent ne peut être mise en œuvre que si le mineur a déjà fait l'objet d’une ou plusieurs procédures en application des dispositions de la présente ordonnance.
La parole est à M. Yves Détraigne.
M. Yves Détraigne. Cet amendement, qui tend à prévoir que la procédure de convocation par officier de police judiciaire ne pourra être mise en œuvre que si le mineur a déjà fait l’objet d’une ou plusieurs procédures en application des dispositions de l’ordonnance de 1945, introduit un critère d’application sensiblement différent de celui que je proposais à l’amendement précédent, puisqu’il ne pose plus comme condition exclusive que le mineur ait « été déjà condamné au moins une fois pour des infractions similaires ou assimilées ».
Les délais de jugement étant malheureusement assez longs – ce ne sera peut-être plus le cas demain, monsieur le ministre, le raccourcissement de ces délais étant un des buts de la réforme –, il peut en effet arriver qu’un mineur soit déjà bien connu de la justice sans pour autant avoir encore été condamné.
Le critère proposé dans le présent amendement est donc plus large que celui de la condamnation, mais l’objectif est atteint, puisqu’il s’agit d’exclure de cette procédure un mineur qui ne serait pas encore connu par la justice.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. La commission a souhaité, sur cet amendement, s’en remettre à l’avis du Gouvernement.
Mme la présidente. Quel est donc l’avis du Gouvernement ?
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Sur cet amendement n° 154 rectifié, le Gouvernement émet un avis favorable. (Exclamations.)
Il apporte en effet une précision qui complète utilement le texte de la commission en même temps qu’une correction nécessaire dans le texte initial du Gouvernement, ce qui démontre, mesdames, messieurs les sénateurs, que je suis toujours réceptif aux débats constructifs menés avec votre assemblée. (Sourires.)
Grâce à cet amendement, la convocation par officier de police judiciaire ne sera jamais délivrée à un primo-délinquant. Pour autant, il sera possible de recourir à cette procédure à l’encontre de mineurs qui commettent des faits à répétition dans un bref laps de temps.
Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 156, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
I. - Alinéa 5
Remplacer cet alinéa par quatre alinéas ainsi rédigés :
« La convocation en justice ne peut être délivrée que si les conditions suivantes sont remplies :
« 1° Des investigations sur les faits ne sont pas nécessaires ;
« 2° Le mineur fait l’objet ou a déjà fait l’objet d’une ou plusieurs procédures en application des dispositions de la présente ordonnance ;
« 3° Des investigations suffisantes sur la personnalité du mineur ont été accomplies ; ces investigations ne doivent pas dater de plus de douze mois ; elles peuvent avoir été réalisées soit sur le fondement de l’article 8, soit sur le fondement de l’article 12, y compris à l’occasion de la procédure en cours, soit, le cas échéant, à la demande du juge des enfants statuant en matière d’assistance éducative ;
II. – Compléter cet article par un alinéa ainsi rédigé :
« Le tribunal pour enfants peut, d’office ou à la demande d’une des parties, s’il estime que des investigations sur les faits sont nécessaires ou que les renseignements de personnalité recueillis ne sont pas suffisants, renvoyer à une prochaine audience dans un délai qui ne peut être supérieur à deux mois, en décidant de commettre le juge des enfants pour procéder à un supplément d’information ou d’ordonner une des mesures prévues aux articles 8 et 10. »
La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Du fait de l’adoption de l’amendement n° 154 rectifié, la première partie l’amendement n° 156 est satisfaite.
La seconde partie est, quant à elle, relative au recueil de renseignements socio-éducatifs.
En l’état de la discussion, il me semble préférable de retirer cet amendement.
Mme la présidente. L'amendement n° 156 est retiré.
L'amendement n° 150 rectifié, présenté par MM. Détraigne, Maurey et Zocchetto, Mmes Gourault et Morin-Desailly, MM. Merceron, Amoudry et Biwer et Mme Férat, est ainsi libellé :
Alinéa 5
remplacer les mots :
douze mois
par les mots :
six mois
La parole est à M. Yves Détraigne.
M. Yves Détraigne. L’article 17 du projet de loi prévoit que la convocation par OPJ « ne peut être délivrée que si des investigations sur les faits ne sont pas nécessaires et si des investigations sur la personnalité du mineur ont été accomplies au cours des douze mois précédents ».
L’amendement n° 150 rectifié s’attache à cette condition des « douze mois précédents ». Il a pour objet d’assurer le caractère suffisamment récent des informations relatives à la personnalité du mineur, laquelle peut être très évolutive. Rappelons que c’est précisément ce qui justifie l’usage de cette procédure, qui reste dérogatoire s’agissant de mineurs.
Le projet de loi ouvre la possibilité de prendre en compte des informations sur le mineur qui peuvent remonter à près d’un an, alors que la situation du jeune aura pu largement évoluer dans un tel délai, négativement aussi bien que positivement.
Aussi le présent amendement vise-t-il à réduire le délai de douze mois à six mois. Il nous semble en effet normal et efficace que le tribunal puisse être en mesure d’utiliser les informations réunies sur le mineur au cours des procédures précédentes, surtout avec le dossier unique de personnalité, qui donnera une vision plus complète de cette dernière, mais il est indispensable que les informations trop anciennes et potentiellement obsolètes parce que ne prenant pas en considération les évolutions récentes soient écartées.
Exiger que les informations sur le mineur soient récentes permet justement de s’assurer d’un passage devant le juge des enfants lorsque ce sera nécessaire.
Mme la présidente. L'amendement n° 153 rectifié, présenté par MM. Détraigne, Maurey et Zocchetto, Mmes Gourault et Morin-Desailly, MM. Amoudry, Merceron et Biwer, Mme Férat et les membres du groupe Union centriste, est ainsi libellé :
Alinéa 5
Après les mots :
de l'article 8
supprimer la fin de cet alinéa.
La parole est à M. Yves Détraigne.
M. Yves Détraigne. Dans le même ordre d’idées, cet amendement vise à garantir que les informations relatives à la personnalité du mineur sont limitées à celles qui proviennent de la sphère pénale.
En effet, la fin de l’alinéa 5 de l’article 17 prévoit la possibilité de prendre en compte des investigations réalisées par un juge des enfants statuant en matière d’assistance éducative. Or cette dernière mission relève du domaine civil, et non du domaine pénal, raison pour laquelle nous proposons la suppression de la fin de l’alinéa.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. En exigeant des investigations réalisées au cours des six mois précédents, au lieu des douze mois actuellement prévus par le projet de loi, nos collègues proposent d’introduire une condition plus restrictive pour recourir à la convocation par OPJ devant le tribunal pour enfants que pour recourir à la procédure de présentation immédiate, alors que la première, qui ne prévoit ni le placement sous contrôle judiciaire ni le placement en détention provisoire du mineur en attendant l’audience de jugement, est une procédure moins restrictive de liberté que la seconde.
La distorsion ne paraît pas justifiée à la commission, d’autant que, s’agissant de la présentation immédiate, le Conseil constitutionnel a validé le délai d’un an.
La commission a donc émis un avis défavorable sur l’amendement n° 150 rectifié.
Sur l’amendement n° 153 rectifié, elle s’en remettra à l’avis du Gouvernement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Michel Mercier, garde des sceaux. S’agissant de l’amendement n° 150 rectifié, le Gouvernement partage l’avis de la commission.
Un délai de six mois serait trop court au regard du temps judiciaire et le Conseil constitutionnel vient en effet de valider le délai d’un an dans le cadre de la procédure de présentation immédiate. De plus, le recueil des renseignements socio-éducatifs, qui est actualisé en permanence, fournira si nécessaire les derniers renseignements sur les éléments de personnalité du mineur. J’invite donc M. Détraigne à retirer cet amendement.
Le Gouvernement est en revanche favorable à l’amendement n° 153 rectifié.
Mme la présidente. Monsieur Détraigne, l'amendement n° 150 rectifié est-il maintenu ?
M. Yves Détraigne. Compte tenu des indications qui viennent d’être données et de la position du Conseil constitutionnel, je le retire, madame la présidente.
Mme la présidente. L'amendement n° 150 rectifié est retiré.
Je mets aux voix l'amendement n° 153 rectifié.
(L'amendement est adopté.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 17, modifié.
(L'article 17 est adopté.)
Article 29 (priorité)
Après l’article 24 de la même ordonnance, il est inséré un chapitre III bis ainsi rédigé :
« CHAPITRE III BIS
« Du tribunal correctionnel pour mineurs
« Art. 24-1. – Les mineurs âgés de plus de seize ans sont jugés par le tribunal correctionnel pour mineurs lorsqu’ils sont poursuivis pour un ou plusieurs délits punis d’une peine d’emprisonnement égale ou supérieure à trois ans et commis en état de récidive légale.
« Le tribunal correctionnel pour mineurs est composé selon les modalités prévues à l’article 398 du code de procédure pénale, à l’exception des troisième à cinquième alinéas. Il est présidé par un juge des enfants.
« Les dispositions du chapitre III relatives au tribunal pour enfants s’appliquent au tribunal correctionnel pour mineurs, à l’exception de l’article 22. Toutefois, en ce qui concerne l’article 14, la personne poursuivie, mineure au moment des faits et devenue majeure au jour de l’ouverture des débats, peut demander la publicité des débats dans les conditions prévues au dernier alinéa de l’article 400 du code de procédure pénale.
« Le tribunal correctionnel pour mineurs est également compétent pour le jugement des délits et contraventions connexes aux délits reprochés aux mineurs, notamment pour le jugement des coauteurs ou complices majeurs de ceux-ci.
« Art. 24-2. – (Non modifié) Le tribunal correctionnel pour mineurs peut être saisi :
« 1° Par ordonnance de renvoi du juge des enfants ou du juge d’instruction en application des articles 8 et 9 ;
« 2° Dans les conditions et selon les modalités prévues à l’article 8-3 ;
« 3° Dans les conditions et selon les modalités prévues à l’article 14-2, à l’exception du VI. Les attributions confiées au tribunal des enfants sont confiées au tribunal correctionnel pour mineurs.
« Art. 24-3. – (Non modifié) Le service de la protection judiciaire de la jeunesse est consulté, dans les conditions et selon les modalités prévues à l’article 12, avant toute décision du tribunal correctionnel pour mineurs saisi selon les modalités prévues à l’article 24-2.
« Art. 24-4. – (Non modifié) Si la prévention est établie à l’égard d’un mineur âgé de plus de seize ans, le tribunal correctionnel pour mineurs peut prononcer les mesures et sanctions éducatives prévues aux articles 15-1 à 17 et 19.
« Il peut également prononcer une peine dans les conditions prévues aux articles 20-2 à 20-8.
« Art. 24-5. – (Non modifié) Pour les délits mentionnés à l’article 399-2 du code de procédure pénale le tribunal correctionnel pour mineurs est composé selon les modalités prévues à l’article 399-1 du même code. »
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, sur l'article.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cet article 29 signe la volonté de déstructuration de la justice des mineurs.
Étant déjà intervenue, je n’ai pas pu leur répondre tout à l’heure, mais d’aucuns se sont référés à l’ordonnance de 1945 d’une façon que je ne peux pas approuver et qui prêterait à rire si ce n’était à pleurer.
Certes, tout a changé depuis – notamment la taille des jeunes – et, nous-mêmes, législateurs, nous ne sommes pas les législateurs d’alors, mais ceux qui insistent sur le fait que nous ne sommes plus en 1945 devraient s’interroger : peut-être la France était-elle alors en avance par rapport à d’autres pays ? Depuis lors, en effet, et souvent bien après 1945, de nombreuses recommandations ou dispositions allant dans le même sens que cette ordonnance ont été arrêtées à l’échelle internationale, par exemple la convention relative aux droits de l’enfant ou encore les règles de Pékin.
L’année 2011 est décidément bien mauvaise pour la protection des mineurs en France ! Nous avions déjà trouvé le moyen de supprimer le Défenseur des enfants, institution dont la convention relative aux droits de l’enfant, justement, recommande la mise en place et qui se développe dans de nombreux pays. Aujourd'hui, c’est à la « casse » de la justice des mineurs et à la disparition de ses spécificités que l’on s’attelle, à rebours de ceux que font nos voisins, puisque la tendance chez certains, pourtant confrontés à des problèmes comparables, est plutôt à l’élargissement aux jeunes majeurs des procédures propres aux mineurs.
L’UNICEF, on le sait, a manifesté son opposition au présent projet de loi. Vérifions, mes chers collègues, si les recommandations de cette organisation, que l’on ne peut qualifier de politique, ont été suivies.
« Éviter une stigmatisation des jeunes » ?... Raté !
M. Charles Gautier. Effectivement !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il faut dire que, depuis cinq ans, le Gouvernement et sa majorité ne cessent de montrer du doigt les jeunes, et même les tout jeunes, dès l’âge de trois ans !
« Préférer le terme “enfant” à celui de “mineur” » ?... Raté !
« Considérer les mineurs “dangereux” d’abord comme des enfants en danger » ?... Raté !
« Défendre les grands principes de l’ordonnance » et, surtout, « préserver son esprit » ?... Raté !
Même si vous prétendez conserver à la justice des mineurs ses spécificités, monsieur le ministre, comment pouvez-vous en préserver l’esprit dès lors que vous vous éloignez des principes qui la fondent en cassant l’unité entre le juge des enfants et le tribunal pour enfants et en créant, en plus, un tribunal correctionnel pour mineurs semblable au tribunal correctionnel des majeurs ?
« Fixer l’âge de la responsabilité pénale au-dessus du seuil de l’inacceptable » ?... Raté ! La majorité des pays européens ont fixé l’âge de la responsabilité pénale à quatorze ans ou plus.
« Défendre une justice spécialisée jusqu’à 18 ans » ?... Raté ! Vous vous apprêtez à retourner au droit commun, donc non spécifique, à partir de l’âge de seize ans.
« Déployer les moyens nécessaires » ?... Raté ! Il suffit de voir la misère à laquelle est confrontée la PJJ, par exemple, mais nous aurons l’occasion de reparler de cette question.
« Soutenir les parents plutôt que les accabler » ? … Raté ! Vous faites même tout le contraire ! On n’arrête pas de les culpabiliser ! Et certains s’insurgent même contre ceux qui vivent de l’assistance…
« Enfin, instaurer une politique volontaire de prévention de la jeunesse » ?... Raté ! La prévention, ça suffit, nous répondez-vous, il est temps de passer à la sanction !
Tout cela est bien dommage, d’autant que la France a été l’initiatrice, en quelque sorte, de principes ô combien généreux pour la jeunesse, qui ont été, au fil du temps, repris au niveau international, et il reste encore beaucoup à faire en la matière. Mais nous, enfin, vous, devrais-je dire, vous faites marche arrière !
Vous avez voulu une fois encore nous prouver que vous étiez « dans les clous ». Mais non ! Le Conseil constitutionnel s’est prononcé tant sur la procédure que sur les tribunaux, et vous modifiez la procédure s’agissant de la justice des mineurs, en la rapprochant de celle des majeurs ; si vous gardez le tribunal pour enfants – vous ne pouviez tout de même pas le rayer de la carte des tribunaux ! –, vous lui ajoutez un tribunal correctionnel pour mineurs, compétent pour juger les infractions commises par les mineurs récidivistes âgés de plus de seize ans.
Ce tribunal correctionnel pour mineurs sera donc amené à juger de très nombreux jeunes, mais cette justice des mineurs-là ressemblera à s’y méprendre à la justice des majeurs !
Mme la présidente. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, sur l'article.
Mme Alima Boumediene-Thiery. L’article 29 prévoit de créer une nouvelle juridiction spécialisée, compétente pour juger les mineurs récidivistes de plus de seize ans. Juridiction spécialisée ? On devrait bien plutôt parler de juridiction d’exception !
Vous reprenez ici, une nouvelle fois, l’une des propositions issues du rapport Varinard. Cette nouvelle juridiction, réservée aux jeunes récidivistes âgés de seize à dix-huit ans, place le juge des enfants en minorité dans cette nouvelle formation où les juges issus du tribunal correctionnel seront dès lors majoritaires !
Cet article constitue, à nos yeux, une nouvelle manifestation de défiance du Gouvernement à l’encontre du juge des enfants, soupçonné, à tort, de laxisme dans le traitement de ses dossiers ! Ces mesures accablent évidemment également les assesseurs qui accompagnent le juge des enfants…
Le fait que le juge des enfants préside cette nouvelle formation n’est qu’un leurre et ne suffit pas à remédier aux lacunes évidentes ni à la dangerosité d’une telle disposition.
Il s’agit là d’une atteinte inconstitutionnelle au principe de la juridiction spécialisée et, par ailleurs, d’une dévalorisation du travail pédagogique réalisé par le juge des enfants.
Une fois de plus, on tend ici à traiter les mineurs comme des adultes délinquants, en les faisant passer devant une juridiction semblable à celle des majeurs, comme si cela allait suffire à les dissuader, à terme, de récidiver encore ! Il n’en sera rien ! Cette disposition ne tient absolument pas compte de la complexité des situations de délinquance juvénile.
À cet égard, je rappelle les exigences de l’article 1er de l’ordonnance de 1945 : « Les mineurs auxquels est imputée une infraction qualifiée de crime ou délit ne seront pas déférés aux juridictions pénales de droit commun, et ne seront justiciables que des tribunaux pour enfants ou des cours d’assises des mineurs. »
La composition de ces nouveaux tribunaux correctionnels pour mineurs, dont vous tentez en vain de nous chanter les louanges, monsieur le garde des sceaux, ne garantit donc en rien la spécialisation de la justice des mineurs, puisqu’un seul juge des enfants est appelé à y siéger aux côtés de deux magistrats qui, eux, ne seront pas spécialisés. Mais il y a pire encore, avec l’expérimentation qui sera faite, dès le 1er janvier 2012, dans des cours d’appel, où deux citoyens assesseurs accompagneront les trois magistrats dans ces tribunaux correctionnels pour mineurs, à l’instar du tribunal correctionnel pour majeurs !
Monsieur le garde des sceaux, aux assesseurs choisis pour « l’intérêt qu’ils portent aux questions de l’enfance et pour leurs compétences », vous préférez deux jurés populaires formés à la va-vite et dont on n’exige pas qu’ils portent un quelconque intérêt à la problématique spécifique des mineurs !
L’article 29 est malheureusement une nouvelle illustration de l’idée reçue, sans cesse rebattue par le Gouvernement, mais dénoncée à maintes reprises au cours de la discussion générale, selon laquelle les mineurs d’aujourd’hui ne seraient pas ceux d’hier.
Il est éminemment regrettable que ce poncif erroné ait guidé la rédaction de cet article, ainsi d’ailleurs que celle de l’ensemble du titre II de ce projet de loi.
Pour toutes ces raisons, nous voterons massivement contre l’article 29.
Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements identiques.
L'amendement n° 41 est présenté par MM. Michel et Anziani, Mmes Klès et Tasca, M. Badinter, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
L'amendement n° 88 est présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de gauche.
L'amendement n° 147 rectifié est présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Alain Anziani, pour présenter l’amendement n° 41.
M. Alain Anziani. L’article 29 est important en ce qu’il vise à créer les fameux tribunaux correctionnels pour mineurs, auxquels nous sommes opposés.
Tout d’abord, permettez-moi de revenir à la raison pour laquelle ces tribunaux ont été créés.
J’ai lu le rapport de notre collègue Jean-René Lecerf, ainsi que l’étude d’impact du Gouvernement. Comme l’a indiqué tout à l'heure notre collègue Virginie Klès, aucun élément statistique ne nous permet de considérer que l’évolution de la délinquance des mineurs est aujourd'hui telle que nous devons prendre des mesures nouvelles pour l’enrayer. Nous savons – il n’y a là aucune originalité ! – que la délinquance des mineurs progresse à un niveau sensiblement identique à celle des majeurs.
Selon nous, ce tribunal présente trois défauts majeurs.
Tout d’abord, le tribunal correctionnel pour mineurs est la négation de la spécificité du mineur dans l’essentiel de ses caractéristiques. En effet, les assesseurs devaient avoir, hier, une qualification et manifester un intérêt précis pour les questions relatives à la jeunesse. Or tel ne sera plus du tout le cas demain ! Vous faites donc disparaître cette spécificité.
Certains, sur d’autres travées, reprennent toujours la même antienne : les jeunes d’aujourd'hui ne sont plus comme ceux d’hier ! Permettez-moi de vous faire observer, chers collègues, que vous êtes peut-être les seuls en Europe à le penser !
Pour avoir lu l’intéressante note de synthèse disponible sur le site du Sénat relative à la législation européenne en la matière, je puis vous dire que le droit des mineurs est applicable en Allemagne aux jeunes âgés de dix-huit à vingt et un ans, et que ce pays n’est pas le seul à avoir opté pour cette solution. Il en va de même au Portugal, aux Pays-Bas et même en Espagne, qui souhaite relever de seize ans actuellement à dix-huit ans le seuil pour certain régime applicable aux mineurs.
On le voit donc, la plupart des pays européens considèrent, certes, que le jeune d’aujourd'hui n’est pas le même que celui de 1945, mais qu’il faut justement conserver les prérogatives que l’on accorde en quelque sorte à la jeunesse au-delà de l’âge de dix-huit ans, jusqu’à vingt et un ans.
Ne sommes-nous pas tous européens, monsieur le garde des sceaux ?... Eh bien, tirons-en les enseignements et essayons d’aligner notre législation sur celle des autres pays européens !
Ensuite, nous déplorons l’automaticité du renvoi des mineurs récidivistes.
La notion de récidive fait évidemment peur, mais que veut-elle dire ? Le mineur qui a, un jour, volé des bonbons à l’étal d’un commerçant et qui, demain, sera convaincu de recel de DVD, par exemple, sera en état de récidive et comparaîtra, de ce fait, directement devant le tribunal correctionnel pour mineurs….
Enfin, avec ce texte, on ne change pas simplement de tribunal, non, on change complètement d’approche, pour s’orienter vers une justice des mineurs conforme à celle des majeurs.
Rien de tout cela ne saurait nous convenir, monsieur le garde des sceaux.
M. Charles Gautier. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour présenter l'amendement n° 88.
Mme Éliane Assassi. Cet article est certes important, mais il est surtout redoutable. En effet, n’en déplaise à certains de nos collègues, il réduit à néant les principes essentiels de l’ordonnance de 1945 relative à l’enfance délinquante.
Aujourd'hui, le Gouvernement fait fi du principe constitutionnel de spécialisation de la justice des mineurs dans la mesure où le tribunal correctionnel pour mineurs est, en réalité, en tout point identique à celui des majeurs.
Or le principe de spécialisation de la justice des mineurs n’est pas seulement garanti par la Constitution, il l’est aussi, comme l’a rappelé notre collègue Nicole Borvo Cohen-Seat, par un certain nombre de textes internationaux. Il faut citer l’article 40 de la convention relative aux droits de l’enfant, ainsi que par les règles de Pékin sur le traitement des mineurs délinquants, qui garantissent les droits de l’enfant et qui ont été adoptées par les Nations unies.
Pour avoir beaucoup travaillé sur cette question, je rappelle que le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 10 mars 2011, a invalidé plusieurs dispositions relatives à la justice des mineurs insérées dans la LOPPSI 2, rappelant la nécessité de respecter la spécialisation de la justice des mineurs.
Tentant de vous prémunir contre les critiques d’inconstitutionnalité que l’on ne manquera de formuler contre votre texte, et pour cause, vous prévoyez ici une prétendue procédure spécifique qui se résume, en fait, à la seule présidence de ce tribunal par le juge des enfants, aux côtés de deux magistrats non spécialisés, alors que l’on sait parfaitement que le président ne dispose d’aucun pouvoir particulier.
Cette disposition témoigne d’une ignorance totale : la spécificité de la justice des mineurs ne tient pas à la seule présence du juge des enfants. Elle n’est spécialisée que si le mineur est soumis, dès sa prise en charge, durant le jugement et jusqu’au prononcé de la peine, à une procédure spécifique, par une institution consacrée, et avec des mesures adaptées. C’est seulement ainsi que tout le processus fait sens !
Cet article nie donc le travail pédagogique du juge des enfants, et dénigre la phase présentencielle, dont l’importance est primordiale pour l’appréhension et la compréhension par le mineur du jugement et de la peine. Il porte en lui la fin de la justice pour des mineurs qui « ne sont plus les mêmes qu’hier » ; il instaure une marginalisation des tribunaux pour enfants.
Enfin, ce tribunal correctionnel pour mineurs est d’une incohérence totale : il pourra être composé de citoyens assesseurs non spécialisés, alors que siègent aujourd’hui, au sein du tribunal pour enfants, deux assesseurs choisis pour l’intérêt qu’ils portent aux questions de l’enfance et pour leurs compétences en la matière !
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard, pour présenter l'amendement n° 147 rectifié.
M. Jacques Mézard. L’article 29 constitue l’un des points forts de ce texte, avec la création du tribunal correctionnel pour mineurs.
Si l’on en croit l’exposé des motifs, cette création est justifiée par la volonté de « faire comprendre aux intéressés la nécessité de sortir de l’engrenage de la délinquance ».
Passons sur l’angélisme et voyons le postulat : il faut réprimer !
Pour notre part, nous estimons que cet article ouvre une nouvelle brèche dans la spécificité du droit pénal des mineurs. L’oralité des débats, y compris en séance publique dans cette enceinte, c’est bien, mais il est toujours fort intéressant de lire, et de lire en particulier l’étude d’impact d’un projet de loi, où figure, très objectivement exposé, ce que le Gouvernement entend faire.
Or à la page 83 de l’étude d’impact du présent texte, on peut lire, monsieur le garde des sceaux, que la création d’un tribunal correctionnel pour mineurs « résulte d’une préconisation de la commission de réforme de l’ordonnance du 2 février 1945 présidée par le recteur Varinard ». Pour expliquer votre objectif, vous poursuivez en ces termes : « à la progressivité des sanctions doit correspondre une même progression dans les formations de jugement compétentes pour connaître des mineurs jusqu’à afficher une plus grande sévérité avec la comparution du mineur devant un tribunal correctionnel, dont la charge symbolique et la solennité apparaissent nécessairement plus fortes. »
Selon vous, cette option est la seule envisageable au regard du principe de spécialisation des juridictions des mineurs. « Aussi […], la composition de la juridiction de droit commun a été adaptée afin de prévoir la présence d’au moins un juge des enfants. »
« Le renvoi de certains mineurs devant cette juridiction présente l’avantage de permettre dans ces cas de juger également les coauteurs et complices majeurs. ». Là encore, c’est tout à fait révélateur !
Le dernier paragraphe se termine de la façon suivante : « Il paraissait donc assez justifié que ces mineurs, qui peuvent se voir infliger des peines suivant le régime applicable aux majeurs, comparaissent également devant une juridiction propre aux majeurs. ».
Les mineurs de plus de seize ans ont une situation particulière dans notre ordre juridique. En effet, pour eux, l’excuse de minorité peut être écartée à titre exceptionnel. Mais on vous fait confiance pour que, dérive aidant, l’exceptionnel devienne l’habituel !
Aux pages 83 et 84 de l’étude d’impact, on trouve donc la caractérisation des objectifs réels qui sont les vôtres, puisque c’est vous qui les avez écrites.
Voilà la réalité !
Le tribunal correctionnel pour mineurs ne comptera donc qu’un seul juge des enfants, les deux juges qui étaient des personnes d’expérience dans le domaine des enfants étant remplacés par deux juges professionnels. Mais on comprend mal l’objectif. Dans certains cas, vous ajoutez deux citoyens assesseurs qui, eux, sauf cas exceptionnel, n’auront bien évidemment strictement aucune compétence particulière dans ce domaine particulier !
Pour couronner le tout, le douzième alinéa de l’article 29 précise : « Le service de la protection judiciaire de la jeunesse est consulté ». Malheureusement, nous connaissons l’état de la protection judiciaire de la jeunesse et le grand manque de moyens qui la caractérise aujourd’hui !
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. L’article 29 crée une nouvelle juridiction spécialisée, le tribunal correctionnel pour mineurs, compétente pour juger les mineurs récidivistes âgés de plus de seize ans.
L’objectif est de montrer de façon plus solennelle à des mineurs ancrés dans la délinquance la nécessité de sortir de cette spirale et d’engager une démarche de réinsertion.
Quels sont-ils, ces mineurs ancrés dans la délinquance ?
Même si les chiffres ne sont pas parfaitement exacts, il est néanmoins intéressant d’en citer quelques-uns.
Actuellement, 200 000 mineurs sont mis en cause chaque année par les services de police et de gendarmerie. Plus de la moitié d’entre eux, vraisemblablement entre 54 % et 55 %, font l’objet de mesures alternatives aux poursuites ; 75 000 sont renvoyés devant la justice des mineurs, qu’il s’agisse du juge des enfants, du tribunal pour enfants ou, pour un petit nombre d’entre eux, de la cour d’assises des mineurs. Enfin, 30 000 font l’objet de condamnations par le tribunal pour enfants ou, encore une fois pour un petit nombre d’entre eux, par la cour d’assises des mineurs.
Sont donc susceptibles d’être concernés par la création de ce tribunal correctionnel pour mineurs entre 600 et 700 mineurs, soit une petite partie des 5 % de mineurs délinquants qui, à eux seuls, réalisent plus de 50 % des infractions commises par les mineurs.
Les dispositions créant cette nouvelle juridiction respectent pleinement les principes constitutionnels qui fondent le droit pénal des mineurs : publicité restreinte des débats, primauté des mesures éducatives sur les sanctions et les peines, présidence de la juridiction par un juge des enfants, ainsi que l’a souhaité la commission des lois.
J’attire votre attention sur le fait que, comme la cour d’assises des mineurs, et à la différence du tribunal pour enfants, cette nouvelle juridiction sera compétente pour juger les coauteurs ou complices majeurs du mineur poursuivi pour des faits commis en état de récidive légale.
Cette possibilité pourrait notamment être utile dans le jugement de délits impliquant des « bandes » composées à la fois de mineurs et de majeurs. Dans ce cas, en effet, l’ensemble de l’affaire pourrait être jugée par la même juridiction, sans qu’il soit nécessaire de disjoindre les procédures. Cette disposition constitue incontestablement une mesure de bonne administration de la justice.
Aussi la commission est-elle défavorable à ces amendements identiques de suppression.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Très naturellement, je suis, comme le rapporteur, défavorable aux amendements de suppression. Mais permettez-moi de compléter son propos.
Puisque chacun se réfère, pour ses citations, à des ouvrages particuliers, mon texte de référence sera l’ordonnance du 2 février 1945. Il faut bien que j’en aie un moi aussi ! (Sourires.) Sans en faire un étendard, je suis, comme vous, mesdames, messieurs les sénateurs, attaché à ce texte qui marque un moment important de notre histoire et qui est signé du garde des sceaux, ministre de la justice du général de Gaulle, Francois de Menthon. Ce dernier a travaillé à l’élaboration de cette ordonnance avec le comité juridique de la France combattante, lequel faisait alors office de Conseil d’État et était présidé par René Cassin.
Un certain nombre de mesures paraîtraient un peu sévères aujourd’hui ; c’est normal, car on n’est plus en 1945 et les choses ont changé. Mais la question est de savoir si mes propositions sont ou non en contradiction avec les principes contenus dans ce texte et qui ont été rappelés par le Conseil constitutionnel dans les deux décisions déjà citées à plusieurs reprises.
Voyons ce qu’il en est de ce tribunal correctionnel pour mineurs que vous avez couvert d’opprobre.
Je vous rappelle l’article 1er de l’ordonnance de 1945 : « Les mineurs auxquels est imputée une infraction qualifiée crime ou délit [...] ne seront justiciables que des tribunaux pour enfants ou des cours d’assises des mineurs. » Vous remarquerez qu’il est question non du tribunal pour enfants mais des tribunaux pour enfants, c'est-à-dire de tribunaux spécialement composés pour juger des enfants, ce qu’a rappelé le Conseil constitutionnel dans sa décision de 2002.
Or le tribunal correctionnel pour mineurs est un tribunal spécialement constitué pour juger les enfants ; il faut en avoir pleinement conscience. Le texte qui vous est proposé répond donc parfaitement à la définition de l’ordonnance de 1945.
Voyons maintenant le dispositif sous l’angle de la présence de magistrats professionnels.
Il n’est visiblement pas facile de rester toujours sur la même ligne, mesdames, messieurs les sénateurs ! Depuis deux jours, en effet, on m’explique que la présence de magistrats professionnels est absolument indispensable et qu’elle conditionne la bonne marche de la justice.
Le tribunal pour enfants de 1945 comportait un seul magistrat professionnel : le président. La commission propose que le tribunal correctionnel pour mineurs soit présidé par un juge des enfants.
Au sein du tribunal de 1945 siégeaient deux assesseurs nommés par le ministre de la justice. On vous propose aujourd’hui qu’il y ait deux magistrats professionnels aux côtés du juge des enfants.
Vous ne cessez de m’expliquer que ce tribunal correctionnel pour mineurs est une affreuse régression et que je mets à bas les grands principes. C’est totalement faux, car là où il n’y avait qu’un magistrat professionnel, il y en aura désormais trois. La vérité est donc que nous renforçons la présence des magistrats professionnels au sein du tribunal correctionnel pour mineurs.
Il est tout à fait normal que vous ne soyez pas d’accord et je ne critiquerai personne de ce point de vue, mais soyez cohérents ! Si vous pensez qu’il ne faut pas trop de magistrats professionnels pour juger les enfants, c’est le moment de le dire. Nous, nous pensons qu’il en faut. Je comprends parfaitement la position contraire de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est son choix et il est différent du nôtre. (Exclamations sur les travées du groupe CRC-SPG.)
Le tribunal correctionnel pour mineurs est parfaitement conforme non seulement à l’article 1er de l’ordonnance de 1945, car il est spécifique, mais aussi à la décision du Conseil constitutionnel de 2002.
De plus, nous ne changeons pas la procédure d’un iota !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Absolument !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Encore une fois, j’admets tout à fait que l’on soit contre, mais je n’accepte pas que l’on tente d’accréditer le contraire de ce qui est la réalité. La procédure spéciale, celle du tribunal pour enfants, est maintenue. Là encore, nous sommes en conformité avec les principes de l’ordonnance de 1945 et la décision du Conseil constitutionnel.
Je tiens d’ailleurs à la disposition de tout un chacun cet exemplaire du texte initial de l’ordonnance que j’ai fait chercher, car il est toujours intéressant de se référer au texte lui-même plutôt qu’à l’idée que l’on s’en fait !
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard, pour explication de vote.
M. Jacques Mézard. Monsieur le ministre, je me référais au projet de loi. C’est également une excellente lecture !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Vous aviez tout à l’heure une lecture d’un texte datant de 1809 qui n’était pas mal…
M. Jacques Mézard. Je crois que vous feriez bien de vous en inspirer plus souvent ! Il y aurait là une vraie cohérence, monsieur le ministre !
Vous ne nous expliquez pas en quoi vos propositions constituent un progrès. Peut-être n’avons-nous pas les mêmes capacités intellectuelles que vous,...
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je crois que c’est cela !
M. Jacques Mézard. ... mais je vous avoue que nous n’avons pas encore compris l’intérêt de ce changement.
Le tribunal pour enfants était composé d’un magistrat professionnel, juge des enfants, assisté de deux assesseurs choisis en fonction de leurs compétences et de leur intérêt particulier pour les questions de l’enfance.
Vous ne nous avez pas dit que le système fonctionnait mal et qu’il convenait donc d’en changer. C’est un discours que nous aurions pu entendre s’il était véritablement fondé sur des éléments concrets démontrant que, effectivement, ces juridictions ne donnaient pas de bons résultats, qu’elles étaient trop lentes, que les jugements n’étaient pas assez sévères.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Le problème est bien là : ce n’était pas assez sévère !
M. Jacques Mézard. Je reprends le rapport. Il ne date pas de 1809, monsieur le garde des sceaux,…
M. Jacques Mézard. … et sa rédaction est bien plus lourde !
On lit ceci à la page 130 : « Elles s’inscrivent par ailleurs dans le prolongement de l’adoption d’une série de dispositions tendant à rapprocher le droit pénal applicable aux mineurs âgés de seize à dix-huit ans de celui applicable aux majeurs : placement sous contrôle judiciaire dans les mêmes conditions que les majeurs, possibilité – dans certains cas – de faire l’objet de gardes à vue dans le cadre des régimes dérogatoires, possibilité de déroger à la règle de l’atténuation de responsabilité ».
Je m’arrête là, mais voilà la vérité, monsieur le garde des sceaux ! (M. le garde des sceaux proteste.) C’est bien écrit dans le rapport et je fais confiance au rapporteur.
Mme la présidente. La parole est à Mme Virginie Klès, pour explication de vote.
Mme Virginie Klès. Permettez-moi de revenir sur un argument que nous avons souvent entendu depuis le début du débat : les enfants d’aujourd’hui ne sont pas les mêmes que ceux de 1945. Certes, ils ne sont pas les mêmes, et heureusement ! Ils ne vivent pas dans le même milieu, ni dans le même environnement.
En 1945, on sortait de la guerre. Aujourd’hui, on vit dans la société de consommation, dans la culture de l’immédiateté. Alors, évidemment, les enfants d’aujourd’hui sont différents de ceux d’hier !
Pour autant, ils se construisent de la même façon, avec les valeurs d’exemplarité que leur donnent leur famille et la société. Ils passent toujours de l’enfance à une longue période d’adolescence. Ils ne sont pas, d’un seul coup, par miracle ou par je ne sais quelle mutation génétique, devenus des espèces de zombies, enfants jusqu’à treize ans et tout à coup adultes à seize ans, en tout cas adultes responsables de leurs actes devant la loi et devant la justice.
Un autre argument m’a fait sursauter : aujourd’hui, les enfants seraient adultes beaucoup plus tôt du fait que, sur le plan physique, ils sont aussi formés plus tôt. Je crois rêver ! On n’est pas adulte uniquement en raison de sa maturité physique. Il faut aussi l’être dans sa tête, dans ses actes, avoir atteint une certaine maturité intellectuelle pour devenir responsable !
Je conclus de ce raisonnement qu’une gamine réglée à dix ans, et donc capable de devenir mère, est adulte à cet âge ! Il y a bien là un critère physique, et il est vrai qu’aujourd’hui les jeunes filles sont, en moyenne, réglées de plus en plus tôt.
Eh bien, non ! Les enfants ne sont pas adultes plus tôt. Au contraire, ils sont adultes beaucoup plus tard qu’en 1945, en raison de l’environnement qui est le leur et de la société dans laquelle ils vivent aujourd’hui.
Outre l’argumentation de notre collègue Mézard, je constate aussi que le tribunal correctionnel pour mineurs est destiné aux cas un peu plus difficiles,...
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. C’est sûr !
Mme Virginie Klès. ... à savoir les enfants qui ont causé des soucis...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Un peu plus que des soucis !
Mme Virginie Klès. ... et pour lesquels on n’est pas parvenu à trouver de bonne réponse.
Et que fait-on pour améliorer la situation ? On remplace les assesseurs qui, sur le plan professionnel, exerçaient des responsabilités dans le monde de l’enfance, dans le monde de l’éducation, bref des personnes qui connaissaient ces milieux-là, par des assesseurs tirés au sort qui n’ont absolument aucune compétence en la matière !
On affaiblit donc la structure qui, placée en face de l’enfant, est destinée à le juger et à l’amener à prendre ses responsabilités.
On a évoqué une plus grande solennité du jugement. Pour ma part, je ne vois pas ce que ce tribunal correctionnel pour mineurs apportera en termes de « solennité » ou de « mieux », pour reprendre les termes de notre collègue Jacques Mézard.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le garde des sceaux, vos propos soulèvent un certain nombre de questions. Vous nous dites en effet que vous n’aviez aucune raison, au fond, de créer ce tribunal correctionnel pour mineurs, qui serait, selon vous, en tout point conforme au tribunal pour enfants.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. À moins d’être atteints de surdité, nous ne pouvons pas faire abstraction de toutes les raisons invoquées pour justifier les coups de canif qui ont déjà été portés à la justice des mineurs. Je pense notamment aux comparutions de plus en plus rapides et à l’assimilation des récidivistes mineurs aux récidivistes majeurs.
Nous avons tous compris que vous vouliez rapprocher la justice des mineurs de celle des majeurs, les raisons invoquées tenant notamment à la lenteur de la première. Mais n’est-ce pas la conséquence nécessaire de la spécificité de la justice des mineurs ? Et certaines procédures concernant des majeurs peuvent être fort longues aussi…
Il faudrait en outre poser le problème des moyens consacrés à la mise en œuvre de la palette des mesures disponibles. Je rappelle en effet que la réponse pénale est sinon toujours plus rapide en tout cas plus nombreuse s’agissant des mineurs.
Nous avons même entendu des propos fort peu agréables concernant les magistrats spécialisés dans la justice des mineurs. Il avait même été dit que l’un des juges des enfants de Bobigny – tout le monde le connaît - était appelé « le père Noël » par les délinquants eux-mêmes !
M. Michel Mercier, garde des sceaux. Il s’agit d’un très bon magistrat, qui fait un excellent travail !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Certes ! Quoi qu’il en soit, cela fait dix ans que nous entendons en permanence ce discours.
Vous essayez, au fond, de disqualifier les juges des enfants. Pourtant, leur mission est loin d’être aisée, compte tenu des moyens dont ils disposent, non seulement pour prendre des mesures, mais surtout pour que celles-ci soient suivies d’effet.
Telle est donc votre position sur ce sujet. Pour notre part, nous pensons que vous avez tort. Et n’essayez pas de nous faire admettre – ce serait d’ailleurs illogique – que vous voulez améliorer la justice pour mineurs en cassant son unité et en essayant de la rapprocher un peu plus de celle des majeurs. Dites-nous la vérité sur vos intentions ! Ne nous prenez pas pour des amnésiques ou, pire encore, pour des idiots !
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 41, 88 et 147 rectifié.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 29.
(L'article 29 est adopté.)
Chapitre Ier
Dispositions générales
Article 10
(Non modifié)
Au premier alinéa de l’article 1er de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante, après les mots : « tribunaux pour enfants », sont insérés les mots : «, des tribunaux correctionnels pour mineurs ».
Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements identiques.
L'amendement n° 21 est présenté par MM. Michel et Anziani, Mmes Klès et Tasca, M. Badinter, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
L'amendement n° 59 est présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de gauche.
L'amendement n° 130 rectifié est présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Charles Gautier, pour présenter l’amendement n° 21.
M. Charles Gautier. « Il est peu de problèmes aussi graves que ceux qui concernent la protection de l’enfance, et parmi eux, ceux qui ont trait au sort de l’enfance traduite en justice. » Ainsi commence l’exposé des motifs de l’ordonnance du 2 février 1945.
Avec ce projet de loi, nous sommes très loin de cette préoccupation et de cette volonté de protection des mineurs, ce qui soulève bien entendu de nombreuses questions de notre part : quel est le sens de ce nouveau texte relatif à la justice des mineurs ? À quelle urgence répond-il ? Pourquoi ne pas attendre le projet de code de la justice pénale des mineurs ?
Sur la forme, rien ne justifie une telle précipitation, alors qu’un code de la justice pénale des mineurs est en cours d’élaboration à la Chancellerie. Cette surenchère législative résonne comme un aveu d’impuissance des pouvoirs publics à apporter des réponses adaptées à la délinquance juvénile et remet en cause l’efficacité des dernières réformes. Ce texte tend à introduire un certain désordre au sein de l’ordonnance du 2 février 1945, toujours en vigueur et retouchée à maintes reprises, je le disais tout à l’heure.
Sur le fond, il porte atteinte à cette ordonnance, témoigne d’un dangereux glissement de la justice des mineurs vers celle des adultes et stigmatise le juge des enfants, considéré comme trop laxiste, alors que le taux de réponse pénale de la justice des mineurs est de 92,9 %, donc supérieur à celui qui concerne les majeurs, qui n’atteint que 87,7 %.
Pour autant, la délinquance des mineurs semble s’intensifier depuis 2002, en dépit du durcissement des mesures provisoires et des peines pouvant être prononcées à l’encontre des mineurs. Elle a connu une hausse de 7,94 %, alors que celle des majeurs a augmenté de 12,04 %. Plusieurs fois, ce différentiel a été évoqué au cours de la discussion : il était important de citer les chiffres exacts !
Alors que nous nous écartons de la philosophie de l’ordonnance de 1945, les autres pays européens, eux – je le disais tout à l’heure –, s’en inspirent. L’Espagne comme l’Allemagne prévoient même de juger les 18-21 ans selon les règles de la justice des mineurs ! Notre collègue Alain Anziani a tout à l’heure fait référence à d’autres pays qui s’engagent sur la même voie.
Le projet de loi reprend, en les toilettant superficiellement, certaines des dispositions de la loi dite « LOPPSI 2 » qui ont été censurées par le Conseil constitutionnel. Il vise à instaurer un tribunal correctionnel pour mineurs, pourtant écarté, après arbitrage du Gouvernement, du projet de nouveau code de justice pénale des mineurs. D’autres mesures relèvent d’a priori non vérifiés et ne reposent sur aucune analyse des besoins, aucune évaluation des dernières réformes adoptées.
En vidant de leur sens les principes de priorité éducative et de spécialisation de la procédure applicable aux mineurs, ce projet de loi achève la déconstruction de l’ordonnance de 1945 et la consécration d’une justice des mineurs ne s’intéressant plus qu’aux actes commis et non à l’évolution d’une personnalité en construction.
Une fois de plus, la réforme de la justice des mineurs est utilisée comme un moyen de communication politique partisan, sans aucune volonté de dessiner un projet ambitieux pour l’enfance en difficulté.
Mme la présidente. La parole est à Mme Éliane Assassi, pour présenter l'amendement n° 59.
Mme Éliane Assassi. Nous estimons, et ce pour plusieurs raisons, que la présence du juge des enfants au sein de la formation du nouveau tribunal correctionnel pour mineurs n’est qu’un écran de fumée.
Tout d’abord, la spécialisation du juge des enfants tient à la spécificité de son mode d’intervention. Dès lors, sa seule présence ne garantit absolument pas la spécialisation du tribunal. Par ailleurs, le fait qu’il soit président de la formation de jugement ne constitue nullement une garantie, puisqu’il ne disposera pas d’une voix prépondérante.
De plus, les magistrats effectuent un roulement dans le cadre d’un tour de service. Un juge des enfants peut, en tout état de cause, se retrouver, s’il est sollicité, dans n’importe quelle formation de jugement, ce qui n’a jamais suffi à emporter spécialisation du tribunal.
Le tribunal correctionnel pour mineurs ne répond donc pas à l’exigence constitutionnelle de composition spécifique du tribunal en matière de justice des mineurs.
De plus, l’article 3 de la convention relative aux droits de l’enfant, dont notre pays, je vous le rappelle, mes chers collègues, est signataire, précise que, « dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale. »
Cet intérêt supérieur de l’enfant, le Conseil constitutionnel l’a pris en compte pour rendre sa décision du 10 mars 2011, dans laquelle il s’est opposé, entre autres choses, à l’application aux mineurs de peines planchers, « considérant que l’atténuation de la responsabilité pénale des mineurs en fonction de l’âge, comme la nécessité de rechercher le relèvement éducatif et moral des enfants délinquants par des mesures adaptées à leur âge et à leur personnalité, prononcées par une juridiction spécialisée ou selon des procédures appropriées, ont été constamment reconnues par les lois de la République depuis le début du XXe siècle. »
Par ailleurs, le Conseil d’État a récemment admis l’application directe des dispositions ne nécessitant aucun aménagement de notre droit, ce qu’il a confirmé dans un arrêt du 26 juin 2008, Mme Fatima E. contre le ministère des affaires étrangères et européennes.
Compte tenu de l’ensemble de ces éléments, nous voyons que l’institution de ce tribunal correctionnel pour mineurs contrevient non seulement à la Constitution, mais aussi à nos engagements internationaux. C’est la raison pour laquelle nous demandons la suppression de cet article.
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard, pour présenter l'amendement n° 130 rectifié.
M. Jacques Mézard. Je considère que cet amendement a été défendu, après les très pertinentes observations que j’ai eu l’honneur de développer devant le Sénat sur l’article 29 !
Mme la présidente. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Nous avions demandé à examiner par priorité les articles 17 et 29 pour que la discussion suive une certaine logique. En adoptant l’article 29, nous venons de créer les tribunaux correctionnels pour mineurs. Par coordination, il convient désormais d’ajouter, au sein de l’ordonnance du 2 février 1945, la mention de ce nouveau tribunal à la liste des juridictions pénales compétentes pour juger des infractions commises par des mineurs. Il ne s’agit que de coordination.
Mes chers collègues, ces amendements identiques ne « tombent » pas, au sens strict, et vous avez bien sûr tout loisir de développer indéfiniment les mêmes arguments !
M. Jean-Pierre Michel. Ils pourraient tomber !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Mais le débat de fond a déjà eu lieu C’est d’ailleurs la raison pour laquelle j’avais demandé que ces deux articles soient examinés par priorité. Pourrions-nous dans ces conditions, si cela vous convient, limiter les propos répétitifs ?
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 21, 59 et 130 rectifié.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. Je mets aux voix l'article 10.
(L'article 10 est adopté.)
Articles additionnels après l'article 10
Mme la présidente. L'amendement n° 61, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de gauche, est ainsi libellé :
Après l’article 10, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I. - L’article 7-2 de l’ordonnance n° 45-174 du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante est abrogé.
II. - En conséquence, la seconde phrase du vingt-neuvième alinéa de l’article 41-2 du code de procédure pénale est supprimée.
La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Par cet amendement, nous souhaitons supprimer l’application aux mineurs de la procédure de composition pénale, laquelle tend à aligner la procédure de jugement des mineurs sur celle des majeurs et n’assure pas les garanties nécessaires aux droits de la défense.
En 2002 déjà, lors de l’examen du projet de loi d’orientation et de programmation pour la justice, nous nous étions vigoureusement opposés à l’adoption de la composition pénale pour les majeurs. Aujourd’hui, nous nous y opposons a fortiori pour les mineurs.
Lorsque, en 2007, la loi relative à la prévention de la délinquance a rendu la composition pénale applicable aux mineurs, rien n’était prévu pour garantir que leur âge serait pris en compte, ni pour associer les professionnels de la protection judiciaire de la jeunesse à l’éventuelle enquête de personnalité.
En outre, le juge des enfants commençait déjà d’être déconsidéré, déprécié, et son rôle singulièrement réduit : en effet seule lui demeurait la mission de valider ou non, par ordonnance, la composition pénale.
Cette procédure n’est pas stricto sensu une privation de liberté, mais elle ne constitue pas une véritable alternative aux poursuites. De plus, elle emporte inscription au casier judiciaire. C’est pourquoi nous souhaitons sa suppression.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. La commission se déclare surprise par cet amendement, qui tend à interdire au parquet de proposer au mineur auteur d’une infraction une composition pénale.
Cette mesure alternative aux poursuites offre en effet de bons résultats.
S’agissant d’un mineur, elle peut seulement être mise en œuvre avec l’accord des représentants légaux de celui-ci, et en présence d’un avocat. L’intervention éventuelle du juge des enfants est également prévue.
La composition pénale possède une réelle vertu éducative, puisqu’elle ne peut être mise en œuvre que lorsque le mineur a reconnu les faits et qu’il s’engage à accomplir un certain nombre de démarches.
Aussi ne paraît-il pas opportun à la commission de supprimer la possibilité d’y recourir.
L’avis est donc défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. L'amendement n° 60, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de gauche, est ainsi libellé :
Après l’article 10, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L’article 11 de l’ordonnance du 2 février 1945 relative à l’enfance délinquante est ainsi modifié :
1° Les quatrième, onzième et douzième alinéas sont supprimés ;
2° Les treizième et quatorzième alinéas sont ainsi rédigés :
« En matière criminelle, la détention provisoire des mineurs de treize ans à seize ans ne peut excéder un mois.
« La détention provisoire des mineurs de seize à dix-huit ans ne peut excéder trois mois. Toutefois, à l’expiration de ce délai, la détention peut être prolongée, à titre exceptionnel, pour une durée n’excédant pas trois mois, par une ordonnance rendue conformément aux dispositions du sixième alinéa de l’article 145 du code de procédure pénale et comportant, par référence aux 1° et 2° de l’article 144 du même code, l’énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision ; la prolongation ne peut être ordonnée qu’une seule fois. »
La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Cet amendement vise à interdire la détention provisoire pour les mineurs âgés de treize à dix-huit ans en matière correctionnelle, ainsi qu’à limiter la durée de la détention provisoire pour les mineurs en matière criminelle.
Le placement en détention ruine toutes les perspectives d’avenir. La socialisation et l’éducation à la vie en société dans le respect des règles sont incompatibles avec l’enfermement, souvent vécu comme arbitraire et injuste par les plus jeunes. C’est d’autant plus le cas que la plupart des mineurs emprisonnés le sont en qualité de prévenus.
Pour que les jeunes puissent se projeter dans leur avenir, il faut cesser de les stigmatiser en les considérant comme des éléments négatifs !
Nous avons l’obligation morale de prévoir des réponses dont l’objectif soit non pas de les exclure le plus vite possible, notamment en les plaçant en détention, mais de les aider et de soigner leur souffrance.
Le choix de l’enfermement est un choix d’exclusion. C’est la voie que vous avez choisie ; ce n’est pas la nôtre et, par notre amendement, nous proposons une alternative.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Il convient de rappeler que les conditions permettant de placer un mineur en détention provisoire sont d’ores et déjà restrictives.
En particulier, il faut que la mesure soit indispensable et qu’il soit impossible de prendre toute autre disposition moins privative de liberté.
La détention provisoire des mineurs âgés de treize à seize ans n’est pas possible en matière délictuelle, sauf si le mineur s’est volontairement soustrait aux obligations d’un contrôle judiciaire ou d’une assignation à résidence sous surveillance électronique.
Des garanties existent donc. La commission craint que l’amendement de nos collègues n’aille à l’inverse trop loin, en rendant, par exemple, impossible la détention provisoire de mineurs poursuivis pour des agressions sexuelles ou des violences graves, ce qui, dans certains cas, pourrait représenter un réel danger pour les victimes.
L’avis est donc défavorable.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Michel Mercier, garde des sceaux. En complément des arguments présentés par le rapporteur, et puisque chacun invoque à son tour l’ordonnance de 1945, je veux rappeler que son article 11 prévoyait la possibilité de placer un mineur âgé de plus de treize ans à titre provisoire dans une maison d’arrêt !
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 60.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 11
(Non modifié)
L’article 2 de la même ordonnance est ainsi modifié :
1° Au premier alinéa, après les mots : « le tribunal pour enfants », sont insérés les mots : «, le tribunal correctionnel pour mineurs » ;
2° Le deuxième alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Dans ce second cas, s’il est prononcé une peine d’amende, de travail d’intérêt général ou d’emprisonnement avec sursis, ils pourront également prononcer une sanction éducative ; »
3° Au dernier alinéa, les mots : « ne peut » sont remplacés par les mots : « et le tribunal correctionnel pour mineurs ne peuvent ».
Mme la présidente. Je suis saisie de trois amendements identiques.
L'amendement n° 22 est présenté par MM. Michel et Anziani, Mmes Klès et Tasca, M. Badinter, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés.
L'amendement n° 62 est présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Assassi, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du Parti de gauche.
L'amendement n° 131 rectifié est présenté par MM. Mézard, Collin, Alfonsi et Baylet, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall et Vendasi.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Alain Anziani, pour présenter l'amendement n° 22, étant rappelé, mes chers collègues, qu’il nous faut terminer l’examen de cet article avant minuit.
M. Alain Anziani. Madame la présidente, je serai très bref.
L’article 11 permet de prononcer cumulativement une peine et une sanction éducative. Il me semble que nous passons ainsi de la subsidiarité prévue par l’ordonnance de 1945 à un cumul, contraire à la fois à l’ordonnance et aux différentes conventions internationales.
Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour présenter l'amendement n° 62.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. L’article 11 vise en effet à ôter à la peine son caractère subsidiaire, et à faire en sorte que le répressif l’emporte sur l’éducatif.
Vous souhaitez en réalité élargir cette possibilité de cumul, afin qu’elle ne soit plus une exception mais devienne une pratique habituelle.
Si la détention provisoire est bien entendu toujours possible, en particulier dans les cas de crimes et lorsqu’un danger existe pour les victimes, monsieur le garde des sceaux, nous sommes totalement opposés à son extension.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est vrai !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. En effet, vous ne l’étendez pas, mais vous savez qu’elle sera étendue.
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard, pour présenter l'amendement n° 131 rectifié.
M. Jacques Mézard. Cet amendement est défendu, madame la présidente.
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-René Lecerf, rapporteur. Les dispositions de l’article 11 du projet de loi élargissent la palette des sanctions susceptibles d’être prononcées à l’encontre d’un mineur délinquant, sans pour autant renoncer, même lorsqu’une peine est prononcée, à la dimension éducative de la réponse pénale.
Elles permettront à la juridiction saisie de prononcer simultanément, par exemple, une peine d’emprisonnement avec sursis et un stage de formation civique ou un placement en internat.
Cette mesure paraissant plutôt utile, l’avis de la commission est défavorable sur ces trois amendements identiques de suppression.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. Je mets aux voix les amendements identiques nos 22, 62 et 131 rectifié.
(Les amendements ne sont pas adoptés.)
Mme la présidente. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.
5
Ordre du jour
Mme la présidente. Voici quel sera l’ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au jeudi 19 mai 2011, à neuf heures trente, à quatorze heures trente et le soir :
- Suite du projet de loi sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs (Procédure accélérée) (n° 438, 2010-2011).
Rapport de M. Jean-René Lecerf, fait au nom de la commission des lois (n° 489, 2010-2011).
Texte de la commission (n° 490, 2010-2011).
Personne ne demande la parole ?…
La séance est levée.
(La séance est levée à vingt-trois heures cinquante-cinq.)
Le Directeur du Compte rendu intégral
FRANÇOISE WIART