M. Jean-Louis Carrère. Voilà !
M. Bruno Le Maire, ministre. Certes, je connais la position de M. Henri Emmanuelli sur le sujet, mais il me semble essentiel de prévoir un transport adéquat.
Mme Évelyne Didier. Vu l’état des chemins…
M. Bruno Le Maire, ministre. Je sais que l'état des chemins et des routes départementales est un vrai sujet.
M. Jean-Louis Carrère. Et le Grenelle de l’environnement ?...
M. Bruno Le Maire, ministre. En matière d’arbitrage, ma collègue Nathalie Kosciusko-Morizet et moi-même cherchons toujours, vous le savez, à trouver une voie de passage qui soit la plus responsable possible.
Enfin, il me semble important de faire face aux aléas climatiques et sanitaires.
Nous avons mis en place, avec la loi de modernisation, un dispositif assuranciel, auquel Gérard César et Jean-Paul Emorine sont, je le sais, particulièrement attachés, afin d’améliorer la protection financière des propriétaires forestiers face aux tempêtes.
Les décrets de défiscalisation de l'assurance forêt et le compte épargne forêt seront opérationnels dans peu de temps. Ils doivent d'abord recevoir l'avis du Comité national de la gestion des risques en forêt, qui a été créé par décret au mois de mars dernier. L'arrêté de nomination paraîtra très prochainement et nous pourrons ensuite publier des décrets qui tiendront compte des propositions formulées par Jean-Louis Carrère, car elles me semblent aller tout à fait dans le sens que j’ai indiqué à propos de la mise en place du dispositif assuranciel.
Mais avant de mettre en place ce dispositif, nous devons régler immédiatement, je le dis à l’attention de Gérard César et de Jean-Louis Carrère, pour le massif des Landes, les difficultés sanitaires qui se posent depuis maintenant plusieurs années.
Nous avons une divergence d'appréciation, je ne le cache pas, sur la chenille processionnaire.
Je me suis renseigné à plusieurs reprises auprès de mes services : les dernières observations – menées en partenariat avec les professionnels, je tiens à le préciser – montrent que les défoliations de lisières ont diminué par rapport à 2009 et que les défoliations de peuplements ont quasiment disparu, avec moins de 400 hectares touchés. Tels sont les résultats dont je dispose, mais je suis prêt à en reparler avec vous, quand vous le souhaiterez, monsieur César.
M. Gérard César. D’accord !
M. Bruno Le Maire, ministre. Dès lors, en toute responsabilité, il ne me semble vraiment pas nécessaire de prévoir un traitement, sachant que le seul traitement efficace a un coût financier et qu’il présente un risque particulièrement élevé en termes de toxicité. J'estime donc que le bilan coût/avantage est négatif.
En revanche, s'agissant des scolytes, qui sont un vrai problème, les professionnels m'en ont parlé à plusieurs reprises, il n'existe qu'une seule stratégie de lutte efficace, qui se déroule en trois temps. Premièrement, je l’ai vu sur place, la priorité absolue est de procéder à la récolte et à l'éloignement des bois scolytés. Deuxièmement, il faut recourir à un traitement insecticide des piles de bois. Troisièmement, enfin, il est nécessaire de broyer les jeunes peuplements non commercialisables et les rémanents de l'exploitation forestière, de manière à s'assurer de l’éradication des scolytes.
À la suite des remarques qui m’ont été faites, notamment par les élus landais, le plan d'action contre les scolytes, élaboré avec les représentants locaux de la filière, a été lancé le 15 mars dernier, c'est-à-dire voilà quelques semaines seulement. Il représente, je le précise, un coût de 7 millions d'euros pour le budget de l'État, mais cette somme permet de financer le traitement systématique des piles de bois en bordure de route, qui a donc commencé à cette date.
Enfin, s'agissant de l’hylobe, ce charançon qui mange les jeunes plants et pose lui aussi d’importants problèmes sanitaires, nous avons réagi très rapidement : j’ai autorisé, à la demande de la profession, et quelles que soient les critiques qui m’ont été adressées, une dérogation de cent vingt jours pour le traitement au Suxon Forest.
M. Jean-Louis Carrère. C’est très bien !
M. Gérard César. Ça marche !
M. Bruno Le Maire, ministre. J’estime qu’il fallait répondre d’urgence à la préoccupation des professionnels et que, dès lors, il n’y avait pas d’autre solution.
Avant de conclure, je soulignerai la nécessité de relancer l’investissement en forêt, sujet sur lequel Renée Nicoux a, avec raison, beaucoup insisté. C’est en effet une nécessité absolue, car nous n’avons plus aujourd’hui les moyens de garantir le renouvellement des volumes exploités.
Le niveau des plants vendus est au plus bas depuis trente ans.
M. Jean-Louis Carrère. Exact !
M. Bruno Le Maire, ministre. Si ma mémoire est bonne, il ne représente plus aujourd’hui qu’un tiers du niveau de 1990.
M. Jean-Louis Carrère. C’est dramatique !
M. Bruno Le Maire, ministre. La situation est donc préoccupante.
Si l’on ne fait rien, non seulement notre déficit en résineux risque de se creuser, mais en outre certaines essences d’arbres, telles que le hêtre, aujourd’hui largement représenté en France – je pense à la hêtraie de Lyons-la-Forêt, dans mon département, qui est l’une des plus belles d’Europe –, pourraient avoir totalement disparu de nos forêts dans une centaine d’années.
Il y a donc urgence à réagir. On ne peut pas compter uniquement sur la résilience naturelle des forêts : il faut reboiser, et reboiser intelligemment, en augmentant la part des résineux et en assumant cette augmentation.
Investir en forêt, c’est également, je tiens à le souligner, soutenir la recherche en génétique forestière et en sylviculture.
J’ai demandé à l’l’INRA – Institut national de la recherche agronomique –, au CEMAGREF – Centre national du machinisme agricole, du génie rural, des eaux et des forêts –, au CIRAD – Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement –, et au FCBA – institut technologique forêt, cellulose, bois-construction-ameublement –, qui entretiennent des liens très forts avec l’ONF, de travailler ensemble sur ces questions majeures de recherche forestière.
C’est un élément d’excellence essentiel pour la sylviculture française ; c’est également la seule solution pour adapter nos massifs forestiers aux changements climatiques qui touchent aujourd'hui l’ensemble du territoire français.
Pour retrouver les conditions de l’investissement en forêt, il n'y a qu’une seule solution – vous l’avez tous évoquée, et je me réjouis qu’il existe un consensus sur ce sujet –, c’est la réforme de la fiscalité forestière.
La fiscalité forestière actuelle est illisible ; elle n’incite pas à la mobilisation du bois ; elle n’incite pas à l’investissement en forêt.
M. Jean-Louis Carrère. Exact !
M. Bruno Le Maire, ministre. Le Président de la République l’a redit avec force à Égletons, la réforme de la fiscalité forestière est une priorité absolue pour relancer l’investissement en forêt.
Je rappelle au passage que la plupart des dispositifs fiscaux seront de toute façon caducs en 2013. Il y a donc urgence à avancer dans ce domaine.
À la demande du Président de la République, je travaille à une remise à plat de la fiscalité forestière. Celle-ci doit être incitative et prendre en compte le temps important qui est nécessaire pour obtenir le retour économique de l’investissement en forêt.
Je tiens à vous dire, cher Gérard César, qu’il y aura donc bien une remise à plat de la fiscalité forestière et que je souhaite, avec Nathalie Kosciusko-Morizet, parvenir avant la fin de l’année à des solutions concrètes sur ce sujet. C’est une priorité absolue à mes yeux car, si rien n’est fait, toute notre action pour reboiser, pour favoriser l’industrie forestière, pour lui ouvrir des débouchés, pour relancer nos exportations, pour lutter contre les crises sanitaires dans le massif des Landes, tout cela n’aura servi à rien, faute de perspectives d’avenir pour la sylviculture française.
M. Gérard César. Très bien !
M. Bruno Le Maire, ministre. Au-delà de ces dispositifs fiscaux, nous devons aussi faire preuve d’imagination pour ce qui est du financement.
Il nous faut tirer un meilleur parti de la biomasse forestière, en approfondissant les partenariats avec l’ADEME – Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie –, ou le fonds « chaleur ».
Nous devons inventer une méthode de rémunération des sylviculteurs pour leur contribution au stockage de carbone. En effet, alors qu’il existe une rémunération carbone pour les éleveurs qui, avec beaucoup de détermination et de courage, continuent à pratiquer l’élevage sur herbe, avec toutes les difficultés que cela peut comporter, notamment en zone de montagne, je ne vois pas pourquoi il n’existerait pas de rémunération des sylviculteurs au titre du stockage de carbone.
M. Jean-Louis Carrère. Très bien !
M. Bruno Le Maire, ministre. C’est une solution qui me paraît prometteuse, même si elle est difficile à mettre en place.
À cet égard, je tiens à souligner que le paquet « énergie-climat » nous offre une solution très simple et très pragmatique. À partir de 2013, les industriels devront acheter aux enchères leurs quotas d’émissions. Au moins la moitié du revenu de ces enchères devra financer des actions de lutte contre le changement climatique. Je souhaite donc que, conformément à ce que le Président de la République a déclaré à Égletons, une juste part de ce revenu des enchères soit affectée à la forêt. C’est encore la solution la plus simple pour garantir la rémunération de la contribution des forestiers au stockage de carbone.
Vous le voyez, nous ne manquons ni d’imagination, ni d’inventivité, ni surtout de détermination pour défendre l’avenir de la filière sylvicole française. Elle le mérite, et je me réjouis qu’un débat sur ce sujet ait pu avoir lieu aujourd'hui au Sénat. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et sur plusieurs travées de l’Union centriste.)
M. le président. Nous en avons terminé avec le débat sur la politique forestière et le développement de la filière bois.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt-deux heures quarante-cinq.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à vingt heures quarante-cinq, est reprise à vingt-deux heures cinquante, sous la présidence de M. Roger Romani.)
PRÉSIDENCE DE M. Roger Romani
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
11
Contractualisation dans le secteur agricole
Discussion d'une question orale avec débat
M. le président. L’ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 6 de Mme Nathalie Goulet à M. le ministre de l’agriculture, de l’alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l’aménagement du territoire sur la contractualisation dans le secteur agricole.
Cette question est ainsi libellée :
« Mme Nathalie Goulet interroge M. le ministre de l’agriculture, de l’alimentation, de la pêche, de la ruralité et de l’aménagement du territoire sur la contractualisation dans le secteur agricole.
« Les contrats entre producteurs et premiers acheteurs, obligatoires dans la filière des fruits et légumes depuis mars, et dans la filière laitière depuis le mois d’avril, constituent une mesure phare de la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, adoptée en juillet 2010.
« Face à des cours agricoles fortement volatils et à la fin annoncée des quotas laitiers en 2015, la généralisation de ces contrats vise à offrir aux producteurs une visibilité sur les débouchés de leur production, pour des volumes déterminés et une période déterminée. Si les modalités de fixation du prix sont intégrées au contrat, le prix en revanche n’y est pas garanti.
« En outre, si les contrats semblent adaptés dans une filière où les volumes peuvent être facilement prévus sur le moyen terme, et notamment dans la filière laitière, ils semblent moins l’être dans la filière des fruits et légumes. Les aléas climatiques impactant les volumes de nombreuses récoltes rendent en effet difficile pour ces exploitations un engagement contractuel sur trois ans. De surcroît, ce type de contrat ne semble pas adapté aux marchés physiques des fruits et légumes, notamment les marchés d’intérêt nationaux.
« À l’heure où le ministre souhaite étendre les contrats à l’alimentation animale, elle souhaiterait savoir, au vu de la mise en œuvre des premiers contrats, quels ajustements sont envisageables, pour permettre à ces instruments de jouer leur rôle de sécurisation du revenu des agriculteurs, tout en prenant en compte les réalités et les aléas du monde agricole. »
Mes chers collègues, compte tenu de l’heure à laquelle nous abordons ce débat, dont la durée prévue est d’environ deux heures, je demanderai à chacun des intervenants de bien vouloir respecter scrupuleusement son temps de parole, car je serais fort marri de devoir faire des rappels à l’ordre. (Sourires.)
La parole est à Mme Nathalie Goulet, auteur de la question.
Mme Nathalie Goulet, auteur de la question. Monsieur le président, monsieur le ministre de l’agriculture, mes chers collègues, je regrette également que cette question orale vienne en discussion à une heure aussi tardive.
M. Didier Guillaume. Nous aussi !
Mme Nathalie Goulet. Quand, voilà un peu moins d’un an, j’ai voté la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, ce fut certes avec quelques réserves, mais les débats que nous avions eus laissaient espérer une meilleure appréhension de l’agriculture, et notamment de ses enjeux stratégiques.
Certains avaient alors marqué à l’égard de la contractualisation des suspicions qui, aujourd’hui, s’avèrent plus que légitimes. Je dirai même que la situation résultant des premiers mois de contractualisation est dramatique pour le secteur laitier et me fait pratiquement regretter d’avoir voté ces dispositions.
Monsieur le ministre, vous avez fait le pari que la contractualisation était un moyen de régulation. Or, à ce stade, on peut considérer que ce pari est perdu.
Je vous ai écrit au sujet des difficultés rencontrées par les producteurs, des clauses abusives et des pressions qu’ils subissaient. Avant le mois d’avril, je vous ai demandé un report des délais pour la mise en place de la contractualisation.
On légifère sur des principes, et leur application met en lumière certains décalages avec les réalités et les attentes des producteurs sur le terrain.
Errare humanum est, persevare diabolicum… Aujourd'hui, nous en sommes là !
Puisque rien n’est obligatoire avant l’élaboration d’une réglementation européenne en 2015, pourquoi tant de hâte ?
Monsieur le ministre, au cours des débats, vous nous aviez expliqué que vous souhaitiez que la France soit en tête de la politique de contractualisation et entraîne derrière elle les autres pays européens.
Un étudiant médiocre de première année de droit vous dirait que le contrat est fondé sur le consentement libre et éclairé et sur la détermination de la chose et du prix, pour peu que celui-ci soit au moins déterminable.
Le consentement, pièce maîtresse de notre droit des contrats, est violé en permanence par des clauses abusives dans les contrats proposés aux producteurs de lait et par la disparité entre les cocontractants. Des contrats types contiennent de multiples clauses abusives.
Certes, l’interprofession a publié un guide des bonnes pratiques contractuelles, dont la finalité est de « faciliter l’écriture des propositions de contrat », et va mettre en place une commission interprofessionnelle des pratiques qui donnera des avis sur toutes les questions relatives au contrat. Toutefois, ces structures n’ont pas une réactivité suffisante et, tout comme le médiateur institué par vos services, ne disposent d’aucun pouvoir de police.
En effet, les premiers retours du terrain relatifs à la contractualisation, un peu plus d’un mois après l’entrée en vigueur de l’obligation dont elle fait l’objet, me laissent peu enthousiaste. J’ai reçu nombre de témoignages d’agriculteurs dans le doute, soumis à la pression de coopératives, redoutant la dépendance économique vis-à-vis des entreprises laitières, d’autant que le contrat ne peut garantir le prix.
Le site de l’APLI, l’Association des producteurs de lait indépendants, recense de multiples exemples de clauses abusives. Ainsi, à l’occasion de la campagne 2010-2011, les producteurs appliquent le double quota, qui constitue un véritable scandale. De quoi s’agit-il ?
Une partie du lait – volume B – est payée en fonction des cours du beurre et de la poudre, produits industriels échangés sur le marché mondial. L’autre partie – volume A –continue d’être rémunérée selon les indicateurs des accords interprofessionnels des mois de juin 2009 et d’août 2010, dont fait partie l’indicateur de flexibilité, qui est le reflet de la stratégie de l’entreprise au regard des produits industriels. Avec un renforcement de l’alignement des prix A et B sur le marché mondial, les producteurs perdent de plus en plus de visibilité sur leur revenu et sur l’orientation de leur système de production.
De plus, comment être sûr que des entreprises ne s’autoriseront pas à « ajuster » le prix du volume B à la baisse en cas de progression des cours mondiaux ?
Nous devons exiger une maîtrise publique et collective des volumes pour garantir stabilité et pérennité des systèmes de production laitière en Europe.
Il faut aussi empêcher que la filière laitière devienne une filière intégrée, dans laquelle le producteur n’aurait plus le choix de son collecteur. À cette fin, il convient de porter une attention particulière aux clauses qui pourraient représenter une forme d’intégration, faisant des éleveurs les salariés pauvres d’une industrie riche, alors même que c’est d’eux que dépend la qualité du lait.
La coopérative ne saurait, par ailleurs, être reconnue comme une organisation de producteurs.
Prenons l’exemple d’un grand industriel du lait. Pour lui, le contrat constitue un enjeu de pouvoir. Les producteurs sont invités à se rassembler au sein de groupements de producteurs, héritiers des actuels groupements de livreurs, et à signer un contrat. Ces groupements de producteurs réfléchissent à une fusion à l’échelle de l’Ouest pour évoluer vers une organisation de producteurs. Cette dernière sera garante du contrat collectif passé entre les producteurs et l’entreprise, contrat qui sera validé dans les prochains mois.
L’industriel dissuade les éleveurs de se rassembler en organisation de producteurs à vocation commerciale. Un leader européen du fromage ne cache pas son intention, si un tel cas de figure se présentait, de se montrer implacable dans les négociations commerciales et de fermer le robinet des achats de lait quand bon lui semble.
Il s’agit bien, monsieur le ministre, d’un abus de position dominante !
Comme un certain nombre de mes collègues, je formulerai des propositions, tendant par exemple à prévoir une clause de résiliation et de non-renouvellement des contrats. À cet égard, nous suggérerons d’instaurer notamment une « dissymétrie » en faveur du plus faible, le respect de la liberté d’initiative du producteur de s’associer ou de sortir d’une association, de transmettre son exploitation ou d’en changer la nature juridique.
La capacité de celui qui s’engage aujourd’hui est aussi importante.
La branche laitière de la FNSEA – fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles – prône une organisation collective et économique des producteurs au motif que la massification de l’offre est un élément stratégique du rééquilibrage du rapport de force entre les producteurs et les transformateurs. En effet, aujourd'hui on compte en France 85 000 producteurs de lait pour 540 entreprises de collecte.
Seulement, il se trouve que l’obligation de contractualisation a précédé, dans le calendrier, les dispositions réglementaires relatives aux organisations de producteurs. Or les producteurs de lait se voient fortement incités, voire contraints à signer des contrats avec des coopératives alors même que les organisations de producteurs ne sont pas encore concrétisées.
Nous avons mis, monsieur le ministre, la charrue avant les bœufs !
Inutile de vous décrire les chantages ou les pressions exercés par les coopératives, qui ne voient pas d’un bon œil se regrouper les producteurs !
Ce décalage est d’autant plus préjudiciable que la durée des contrats, qui n’est pas négligeable – cinq ans –, lie le producteur et l’empêche d’adhérer à une organisation de producteurs concurrente.
Il existe donc un problème manifeste de calendrier dans la mise en œuvre de ces contrats qui rend plus compliqué la tâche de l’interprofession pour mener ces deux actions de structuration de front.
Il faut laisser le temps aux producteurs de s’organiser avant de contracter. Toutes les organisations doivent être consultées : l’APLI, la Confédération paysanne, la Coordination rurale...
J’espère, monsieur le ministre, que vous saurez être vigilant et vous montrer ferme à l’égard des acheteurs qui exercent des pressions pour que les producteurs signent des contrats qui sont manifestement déséquilibrés. Il convient de protéger ces professionnels.
De même, j’espère que vous entendrez l’appel des nombreux représentants des producteurs qui appellent à ne pas signer individuellement des contrats avant que la sécurité juridique – car c’est bien de cela qu’il s’agit – et l’équité des relations soient établies.
Vous le savez, la vente est parfaite entre les parties, et la propriété est acquise de droit à l’acheteur à l’égard du vendeur dès que l’on est convenu de la chose et du prix. Or, dans les contrats actuels, ni le prix ni les volumes ne sont garantis.
La jurisprudence et la loi n’ont cessé de prôner la défense du plus faible des cocontractants ; aujourd'hui, ce n’est pas le cas.
La question du prix, parce que celui-ci détermine la rémunération du producteur, reste un élément central du contrat. Là encore, sur le papier, l’intention est bonne, mais, dans la réalité, l’effet de la contractualisation sur les prix est plus modéré : à partir du moment où le contrat est obligatoire, les laiteries conservent une position dominante dans les relations contractuelles et sont donc mieux armées pour fixer le prix d’achat du lait.
Aujourd'hui, la problématique à laquelle sont confrontés les producteurs concerne la défense du niveau du prix du lait. Je suis sûre que de nombreux autres orateurs évoqueront ce sujet.
Il est nécessaire que le prix du lait ne soit pas seulement aligné sur des cours ou déterminé en fonction des quotas, mais qu’il soit aussi fixé en fonction du prix de revient.
Hier, les producteurs recevaient 50 % du prix du lait le mois de la traite et, ensuite, le reste. Aujourd’hui, rien ne leur est remis le mois de la traite et le montant qui leur est versé l’est en deux fois le mois suivant ! Combien de temps les agriculteurs vont-ils continuer à être les banquiers des transformateurs ?
Le texte en vigueur conduit à ce que le niveau du prix dépende de la capacité des producteurs de lait à s’organiser. Or, à ce jour, ils ne sont pas organisés.
Le contrat n’apporte de garantie ni sur les volumes ni sur les prix.
Un système dans lequel les producteurs gèrent la production avant la transformation : là est la solution. Or nous en sommes loin ! Je sais, monsieur le ministre, que vous n’approuvez pas un tel mécanisme. C’est pourtant celui qui, comme j’ai pu le constater sur le terrain, correspond aux souhaits formulés.
Mme Nathalie Goulet. Notamment, mais pas seulement !
Je n’ai pas de liens privilégiés avec l’APLI, monsieur le ministre ! Il y a des producteurs de lait dans mon département, comme il y en a dans le vôtre ! Tous ont besoin d’explications et je ne crois pas qu’il faille fermer la porte à la discussion avec les uns ou les autres. Mieux vaut tenter de trouver la solution la meilleure pour permettre à la France de garder une stratégie en matière de production laitière.
Mme Nathalie Goulet. Sans doute, monsieur le ministre, et c’est la raison pour laquelle j’ai sollicité ce débat dans le cadre de la politique de contrôle parlementaire que nous menons dans cette assemblée. Je crois qu’il est bon, en effet, de pouvoir expliciter les dispositions légales quelques mois après qu’elles ont été votées.
J’en ai pratiquement fini avec l’exposé de ma question. Vous le voyez, monsieur le président, j’ai été aussi brève que possible, pour permettre à chacun de s’exprimer et pour laisser au ministre le temps de nous donner les explications que nous attendons.
Je voudrais précisément vous entendre, monsieur le ministre, à propos de la sécheresse puisque, cet après-midi même, vous vous êtes longuement exprimé sur cette question à l’Assemblée nationale et que vous avez rencontré les professionnels à ce sujet.
Je tiens à attirer votre attention sur le problème de l’interdiction du broyage des céréales, qui devient absolument crucial dans nos départements.
En tout cas, j’aimerais que, à l’issue de ce débat, vous puissiez rassurer les producteurs de lait qui souhaitent temporiser en ce qui concerne la conclusion des contrats.
Comment comptez-vous renforcer le niveau du revenu des producteurs pour assurer une répartition équitable du prix final du lait ?
Quelles adaptations réglementaires pensez-vous apporter, au vu des difficultés d’application qui commencent à émerger, quelques semaines seulement après la publication du décret ?
Surtout, monsieur le ministre, comment entendez-vous sanctionner les clauses abusives et dans quels délais ? L’enjeu est la préservation d’une production laitière dont la France est fière et le maintien de producteurs de lait qui, dans les deux régions normandes comme ailleurs dans notre pays, sont fiers de leur métier ? (MM. Gérard Le Cam et Martial Bourquin applaudissent.)
M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou. « Rien n’étonne plus les hommes que le bon sens », écrivait Ralph Waldo Emerson. Il semblerait néanmoins, monsieur le ministre, que vous ayez choisi ce bon sens comme socle des nouvelles relations entre les producteurs et les acheteurs.
En réponse à la crise sans précédent de 2009, vous avez conçu la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, la LMAP, comme une boîte à outils répondant aux besoins de l’agriculture et des agriculteurs pour tendre vers l’efficacité, le pragmatisme et l’équité. L’un de ses outils principaux est le contrat entre les producteurs et les acheteurs.
La question de Mme Goulet permet au Parlement d’exercer pleinement son contrôle en vous interrogeant sur le bilan des premiers contrats entrés en vigueur pour la filière des fruits et légumes et pour la filière laitière.
La garantie de revenus stables et décents aux agriculteurs par le biais de la contractualisation, bien qu’elle relève du simple bon sens, constitue une révolution dans la réorganisation de l’agriculture française.
Quels enseignements peut-on tirer des contrats conclus dans la filière des fruits et légumes depuis le 1er mars et dans la filière laitière depuis le 1er avril ? Certains contrats ont été qualifiés d’inacceptables par les producteurs et par vous-même. Les industriels ont-ils révisé leurs positions ou campent-ils sur celles-ci, alors qu’elles ont été rejetées par les autres protagonistes ?
Où en est la contractualisation prévue entre éleveurs et céréaliers pour l’alimentation animale ? Qu’en est-il du secteur ovin ? Quels seront les ajustements pour les autres filières ?
Vous avez voulu des contrats révisables, sous l’autorité des pouvoirs publics et du médiateur des contrats. Quel est le bilan de l’activité du médiateur à ce jour ?
Vous l’avez souligné, les producteurs ne peuvent plus attendre encore. Il faut donc avancer rapidement dans toutes les filières. Ainsi, vous avez commandé un audit des abattoirs, dont les premiers résultats devraient être connus en juillet. Quelles autres mesures avez-vous mises en place ? Quel est leur calendrier ?
Si les investissements des agriculteurs s’amortissent sur douze ans en moyenne, on peut néanmoins considérer comme une première avancée le fait que les contrats prévoient une durée allant jusqu’à cinq ans. Ainsi, se trouvent assurées une meilleure lisibilité et plus grande pérennité, dans la relation entre les parties, des modalités de détermination des prix par la définition des conditions d’évolution et d’adaptation des prix et de la périodicité.
Êtes-vous favorable à la généralisation de la contractualisation de tous les maillons d’une filière, en la rendant optionnelle pour les agriculteurs, comme ceux-ci le demandent avec insistance, et obligatoire pour les industriels ?
La contractualisation, outil sécurisant pour le producteur et pour la filière, ne règle toutefois pas le problème central de la volatilité des prix. La libéralisation totale de l’agriculture constitue une erreur majeure, une erreur stratégique, selon vos propres termes. Une régulation des marchés agricoles eux-mêmes est donc indispensable.
Pour que les contrats soient équitables, des indicateurs de tendance de marchés nationaux et internationaux sont indispensables. L’Observatoire des prix et des marges, installé en novembre, a déjà rendu ses travaux préliminaires sur la viande bovine. Il en est ressorti que les éleveurs étaient les seuls à ne pas pouvoir répercuter sur leurs prix la hausse de leurs coûts de production. Quelles mesures allez-vous prendre en conséquence ? L’Observatoire a-t-il formulé des remarques concernant d’autres filières ?
La gestion des risques est un facteur essentiel de sécurité des revenus. La contractualisation doit mentionner les volumes et les caractéristiques des produits fournis. Elle offre ainsi au producteur une meilleure visibilité sur ses débouchés, mais elle peut aussi le fragiliser, les aléas climatiques n’étant pas susceptibles d’être contractualisés.
C’est pourquoi le groupe du RDSE a toujours plaidé pour la mise en place d’une assurance récolte obligatoire, interrégionale et interfilières.