M. Alain Milon, rapporteur. L’idée selon laquelle il faudrait, pour encadrer la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires, une interdiction de principe assortie de dérogations permanentes repose en dernière analyse sur la nécessité supposée d’un interdit symbolique fort.
Cette formule est celle du Conseil d’État, qui en a évoqué la possibilité pour mieux l’écarter. Comme le Conseil d’État, l’Académie de médecine et l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques, l’OPECST, je pense que ce serait là préférer l’ambiguïté et la peur à la clarté et à la responsabilité. J’estime que, en adoptant un tel texte, ainsi que plusieurs de nos collègues nous le proposent par voie d’amendement, nous n’assumerions pas pleinement notre rôle de législateur.
Je souhaite souligner d’abord un point d’ordre juridique.
L’interdiction de principe n’ajoute rien à la protection juridique de l’embryon.
M. Jacky Le Menn. Oui !
M. Alain Milon, rapporteur. C’est l’article 16 du code civil qui garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie. La mise en œuvre de cette garantie réside non pas, comme on le prétend parfois, dans l’interdiction de la recherche sur l’embryon, mais dans la mise en place d’un ensemble de règles cumulatives éthiques, scientifiques et procédurales auxquelles doivent se conformer les chercheurs pour pouvoir pratiquer des recherches destinées à apporter des progrès médicaux majeurs. C’est l’encadrement spécifique de la recherche sur l’embryon, encadrement plus contraignant que pour n’importe quel autre type de recherche, qui constitue ici la vraie garantie des principes de respect de la vie, et non l’interdiction assortie de dérogations.
À cette question de droit s’ajoute une question de fond. On entend que notre société serait inquiète des recherches sur l’embryon et qu’il faudrait donc que celles-ci soient présentées comme exceptionnelles, dérogatoires. Pareille assertion aurait un sens si les dérogations prévues par le texte étaient limitées dans le temps, comme en 2004, ou restreintes à un objet spécifique. Mais telle n’est ni l’intention du Gouvernement ni celle des députés. Or une interdiction de principe qui masquerait des dérogations larges et pérennes n’aurait d’autre fonction que d’induire nos concitoyens en erreur.
À mon avis, ce que demandent les Français, dans tous les domaines, c’est la transparence des décisions publiques et la responsabilité de ceux qui les prennent.
M. Jacky Le Menn. Tout à fait !
M. Alain Milon, rapporteur. En adoptant une interdiction de principe, nous ne respecterions ni l’une ni l’autre. Plutôt que d’expliquer pourquoi les recherches sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires doivent pouvoir être envisagées par les scientifiques, plutôt que de faire comprendre l’intérêt de l’encadrement mis en place en 2004, nous voudrions éluder ce travail de pédagogie pour nous cacher derrière l’argument que ces recherches seraient exceptionnelles. Je ne pense pas que ce serait là assumer nos responsabilités de représentants de la nation : je crains que ce ne soit là faire peu de cas de l’intelligence des Français. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Raymonde Le Texier. Très bien !
M. Alain Milon, rapporteur. L’interdiction de principe avec dérogations est donc inutile et néfaste en ce qu’elle masque les choix que nous faisons. (Applaudissements sur les mêmes travées.)
En cette matière, il faut interdire complètement – je reconnais la logique de cette position que je respecte, même si je n’y adhère pas – ou autoriser de manière encadrée. Interdire avec dérogation ne serait pas un compromis, ce serait faire prévaloir l’exception sur la règle, ce qui n’est pas conforme aux principes qui sous-tendent notre démocratie.
Sur les différentes questions relatives à la bioéthique que ce projet de loi nous impose de trancher, la commission des affaires sociales a cherché à mettre en place un régime de clarté et de responsabilité. Il est essentiel que nos choix soient assumés et lisibles. C’est, il me semble, ce que réclament nos concitoyens. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées de l’UMP et du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. François Fortassin.
M. François Fortassin. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, six ans après le premier toilettage de 2004, après plusieurs rapports, débats et états généraux, la révision des lois de bioéthique que nous examinons en deuxième lecture était très attendue et indispensable pour adapter notre législation aux progrès de la recherche mais aussi aux évolutions de notre société et aux attentes de la population.
À ce titre, je me félicite du travail qui a été accompli par la Haute Assemblée en première lecture et qui a permis d’améliorer considérablement ce texte. Nous avons transformé un projet de loi relativement frileux en un texte progressiste sur bien des points. Je pense en particulier au diagnostic prénatal, à l’ouverture de l’assistance médicale à la procréation à tous les couples infertiles, qu’il s’agisse d’une infertilité médicale ou « sociale », selon l’expression adoptée, et bien sûr à la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires.
Malheureusement, l’Assemblée nationale est revenue en deuxième lecture sur plusieurs de ces avancées notables.
Les députés, du moins une majorité d’entre eux, ont rejeté l’accès à l’assistance médicale à la procréation à tous les couples. Avec cette mesure, nous acceptions enfin de reconnaître d’autres formes de parentalité. Nous permettions enfin l’exercice du droit à un projet parental quelles que soient les causes de l’infertilité. C’est la raison pour laquelle, avec plusieurs de mes collègues du RDSE, j’ai souhaité déposer un amendement tendant à rétablir cette disposition.
L’Assemblée nationale est également revenue sur l’autorisation de la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires. En première lecture, le Sénat avait supprimé l’interdiction de telles recherches au profit d’un régime d’autorisation strictement encadrée. Nous avions ainsi mis fin à une certaine hypocrisie ! Malheureusement, les députés ont choisi en deuxième lecture de rétablir cette interdiction. Aussi, je me félicite que la commission des affaires sociales ait à nouveau procédé à la réécriture de cette disposition.
L’interdiction de principe est préjudiciable tant pour les malades que pour les chercheurs.
En effet, les malades aspirent à voir les recherches progresser et développer de nouvelles thérapeutiques susceptibles de leur apporter des chances de guérison. Une telle décision serait également dommageable pour les chercheurs.
Mme Raymonde Le Texier. Absolument !
M. François Fortassin. Alors que de telles recherches sont menées activement dans douze pays de l’Union européenne ainsi qu’aux États-Unis, au Japon ou en Chine, notre législation handicape à l’évidence nos chercheurs en leur imposant des obstacles. Nous connaissons le retard pris par la France ces dernières années : hélas ! cette situation risque de s’aggraver, quoi que l’on en pense.
Mme Annie David. C’est vrai !
Mme Raymonde Le Texier. Très bien !
M. François Fortassin. Les chercheurs français seront sans doute distancés dans la compétition scientifique internationale qui est déjà marquée par de nombreuses avancées. Ainsi, au mois d’octobre dernier, une équipe américaine a annoncé le premier essai clinique visant à traiter avec des dérivés de cellules souches embryonnaires un patient victime d’un traumatisme de la moelle épinière, pour l’aider à retrouver sa motricité. La recherche embryonnaire en France ne saurait être freinée d’une manière quelconque.
Alors que nous disposons d’équipes de très grande qualité, nous risquons tout simplement de voir un certain nombre de chercheurs, parmi les meilleurs, quitter la France. Le législateur ne doit pas être un frein au travail que mènent ces derniers.
Mme Raymonde Le Texier. Très bien !
M. François Fortassin. La recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires est nécessaire et légitime. Personnellement, je réfute toute accusation de dérive eugéniste, comme certains l’avancent. Ne pouvons-nous pas faire confiance à nos chercheurs qui sont des femmes et des hommes responsables et respectueux de l’éthique et de la loi ?
Certes, les partisans d’une interdiction de principe se réfugient souvent derrière des arguments spirituels ou religieux, qui sont tout à fait louables et que je respecte, mais je tiens à rappeler que la France est une république laïque. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste.) À ce titre, en tant que législateurs, nous ne pouvons pas privilégier des convictions philosophiques ou religieuses qui peuvent être une entrave à la recherche.
Mme Raymonde Le Texier. Très bien !
M. François Fortassin. Quelle que soit notre sensibilité, nous ne devons jamais perdre de vue que nous sommes les représentants d’une république laïque. Pour moi, cette expression a un sens très profond.
Même si le Sénat confirme sa position sur l’assistance médicale à la procréation et la recherche, ce que j’appelle de tous mes vœux, il est à craindre, au travers de vos déclarations, madame la secrétaire d'État, que le Gouvernement ne fasse quelque pression pour maintenir le statu quo.
Mme Raymonde Le Texier. C’est déjà fait !
M. François Fortassin. Nous verrons bien ce qu’il en sera.
Enfin, je regrette que nous n’ayons pas franchi le pas s’agissant notamment de la gestation pour autrui. Nous aurions pu permettre l’accès à la maternité à toutes ces femmes stériles sans espoir de grossesse qui sont atteintes d’une malformation génétique ou d’une maladie et qui souffrent encore plus dans leur cœur et dans leur tête que dans leur corps.
L’actualité nous rappelle régulièrement que la grossesse n’est pas nécessaire pour se sentir mère, et l’expérience des parents par gestation pour autrui montre que l’on peut devenir parents même en absence de grossesse. Par ailleurs, les progrès de la génétique permettent à une femme de porter un enfant conçu avec les ovocytes d’une autre femme. Plusieurs pays ont d’ailleurs fait évoluer leur législation en la matière. De ce fait, de nombreux couples n’hésitent pas à se rendre dans ces pays pour avoir accès à cette possibilité. Interdire la gestation pour autrui n’empêchera pas sa mise en œuvre clandestine. Certes, une grossesse pour autrui n’est pas une grossesse classique et il n’est pas question de la banaliser ; il s’agit de l’encadrer juridiquement pour éviter toute dérive.
Mme Annie David. Voilà !
M. François Fortassin. Autoriser cette pratique aurait apaisé les souffrances de toutes les femmes qui ne peuvent pas porter d’enfant en leur permettant de devenir mères.
Madame la secrétaire d’État, si ce texte a été réellement amélioré en première lecture par notre assemblée, je crains que les modifications apportées par les députés, avec votre assentiment, n’aboutissent à un texte frileux qui ne réponde pas forcément aux attentes des Français. J’ai peur que, dans les années à venir, n’apparaisse le sentiment d’un rendez-vous manqué.
Toutefois, étant par nature optimiste, j’espère que le débat qui s’est ouvert aujourd’hui sera riche. Les conclusions qui en ressortiront détermineront le vote de la majorité du groupe RDSE. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Marie Payet.
Mme Anne-Marie Payet. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, les lois de bioéthique ne sont pas des textes ordinaires. Elles transcendent les clivages et nous parlent de ce que nous avons de plus précieux : l’humain.
Nous voici très avancés dans la discussion de ce projet de loi, une discussion qui a soulevé de nombreux et très importants problèmes éthiques. Sur quelques sujets, le débat est parvenu à des solutions équilibrées.
Ainsi, grâce à l’adoption d’un amendement de notre collègue Valérie Létard, le dispositif d’information de la parentèle a été amélioré pour y inclure les personnes ayant fait un don de gamètes.
Par ailleurs, alors que nous n’étions pas favorables au transfert d’embryons post mortem, celui-ci est aujourd’hui écarté du texte.
Un modus vivendi a également été trouvé pour ce qui concerne le double diagnostic préimplantatoire, désigné sous le terme de « bébé médicament ».
Mes chers collègues, vous savez à quel point je suis opposée à cette technique. Mon sentiment profond est que nous aurions dû l’interdire purement et simplement. Cependant, l’adoption de mon amendement de repli, qui précise que le double diagnostic préimplantatoire ne peut être qu’un ultime recours, est déjà un moindre mal.
Je regrette aussi que nous n’ayons pas, lors de la première lecture, levé l’anonymat du don de gamètes afin de garantir à chaque enfant le droit à connaître ses origines, car l’adoption conforme par l’Assemblée nationale de l’article correspondant a exclu la question de la seconde lecture.
En revanche, restent en débat des questions fondamentales. La plus importante d’entre elles concerne la recherche sur l’embryon, le fragile embryon humain.
La commission des affaires sociales a voté, ce matin, en faveur du régime d’interdiction avec dérogations. Cette position est en harmonie avec le choix de la France de respecter la vie et la dignité de l’embryon humain dès le commencement de son développement.
L’article 16 du code civil dispose ainsi que « la loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie ». Pourtant, depuis 1994, le législateur ne s’est pas départi d’une conception utilitariste de l’embryon humain, qui conduit à distinguer entre les embryons qui répondent à un projet parental et ceux que n’accompagne pas un tel projet, vulgairement appelés « embryons surnuméraires », comme s’ils étaient « en trop » pour l’humanité.
Les uns, destinés à voix le jour, sont considérés comme des êtres humains, alors que les autres vont devenir, demain plus encore qu’en 2004, des matériaux de recherche pour les scientifiques. Le critère de distinction entre ces deux catégories d’embryons est purement subjectif et tient au projet que leurs parents conçoivent pour eux.
La grandeur de la civilisation ne consiste-t-elle pas à reconnaître la dignité inaliénable et intangible de chaque être humain, quel que soit le projet que d’autres ont formé pour lui ?
La réponse à cette question ne fait pour moi aucun doute. Je soutiendrai donc l’amendement de M. Gaudin. Si l’on veut prendre les problèmes à leur source, il faut réduire le nombre d’embryons surnuméraires, n’effectuer aucune congélation et réimplanter immédiatement les embryons artificiellement fécondés. Cela me paraît être la solution la plus sage.
Je crois que nous pouvons encore améliorer d’autres aspects non négligeables du texte. C’est le cas en matière d’aide médicale à la procréation. Sur ce thème, le texte a déjà beaucoup progressé. Je ne peux que me réjouir de la suppression par l’Assemblée nationale de l’ouverture de l’AMP aux couples homosexuels, qui avait été introduite par manque de vigilance au Sénat.
Mme Raymonde Le Texier. C’est incroyable ! Des sénateurs l’ont voté en conscience !
Mme Anne-Marie Payet. Le texte issu des travaux de la commission des affaires sociales a supprimé, d’une part, la limitation de la participation des établissements privés aux procédures d’AMP et, d’autre part, l’autoconservation.
Mais nous pouvons et devons faire plus. L’assistance médicale à la procréation ne doit être réservée qu’à des couples stables et solides. C’est pourquoi je vous proposerai un amendement visant à préciser que les couples candidats à l’assistance médicale à la procréation devront justifier d’une vie commune d’au moins deux ans. Cela me semble être un minimum et un gage éthique fondamental.
Nous devons aussi améliorer le dispositif du diagnostic prénatal. La réécriture incessante du texte, depuis que le Sénat a choisi de supprimer la mention selon laquelle le DPN serait proposé aux femmes enceintes lorsque les conditions médicales le nécessitent, masque mal l’embarras du législateur, un embarras bien justifié puisque, de fait, c’est un eugénisme d’État que l’on instaure
En effet, le texte, dans la mouture qui nous vient de l’Assemblée nationale, tend à inscrire dans la loi un élément de contrainte qui s’imposera aux médecins à une étape déterminante du dispositif.
Je ne peux que me répéter : il est important d’avoir à l’esprit que 96 % des fœtus diagnostiqués porteurs de trisomie 21 donnent lieu à une interruption médicale de grossesse et que le prélèvement du liquide amniotique à travers l’abdomen provoque deux fausses couches d’enfants « normaux » pour une trisomie dépistée.
L’obligation pour les médecins d’organiser un dépistage prénatal induit une problématique d’eugénisme particulièrement aiguë. Ce constat s’impose aujourd’hui, après quinze ans de dépistage de la trisomie, en raison tant de la mise au point permanente de nouveaux tests que de la volonté de prévenir tout risque.
La trisomie 21 est particulièrement visée par ce dépistage. On signifie ainsi aux futures mères et à toute la société qu’il serait insupportable d’assumer la maternité d’un enfant atteint de trisomie 21. Quel signal envoyons-nous alors aux familles qui ont fait le choix d’accueillir un enfant trisomique ? Cette évolution pourrait être la source d’une tragique stigmatisation de ces personnes.
Mme Raymonde Le Texier. C’est vous qui le dites !
Mme Anne-Marie Payet. Je ne peux que vous renvoyer à l’article 16-4 du code civil, aux termes duquel « toute pratique eugénique tendant à l’organisation de la sélection des personnes est interdite ».
C’est pourquoi je vous proposerai d’adopter une série d’amendements visant à rétablir un équilibre dans le dialogue médical entre la place du médecin et celle de la femme enceinte dont nous souhaitons renforcer la liberté, sans tout de même trop présumer de son autonomie.
Reste la question des clauses de revoyure. Sur ce point également, nous soutenons pleinement la position du rapporteur, qui a rétabli la révision quinquennale et l’organisation obligatoire d’un débat public avant toute réforme d’envergure.
Il ne me reste plus qu’à féliciter la commission des affaires sociales, sa présidente, Muguette Dini, et son rapporteur, Alain Milon, pour la qualité de leur travail et à vous remercier, mes chers collègues, de votre attention. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Cazeau.
M. Bernard Cazeau. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, en abordant ce second volet de l’examen du texte de révision des lois bioéthiques, nous avons un peu le sentiment que l’histoire se répète, ou plus exactement que, sur ce dossier, la majorité bégaye quelque peu.
En première lecture, en effet, le Sénat, grâce à un vrai dialogue entre la majorité et l’opposition, était parvenu à apporter de substantielles améliorations au texte issu des travaux de l’Assemblée nationale.
En commission comme en séance, le groupe socialiste avait défini une ligne claire : ni surenchère ni outrance, mais volonté réelle de construire un texte en prise avec les évolutions du monde, les enjeux contemporains autour de la bioéthique et les aspirations profondes d’une société qui change et qui se pose des questions qu’elle ne se posait pas encore il y a seulement dix ou quinze ans.
Nous ne voulions pas provoquer ou cliver inutilement, mais nous ne voulions pas non plus d’un texte qui se serait contenté de dépoussiérer à la marge la législation existante. Nous souhaitions introduire une inspiration progressiste dans un texte qui paraissait, au premier abord, empreint d’une certaine timidité.
Nous avions d’ailleurs conditionné notre vote à l’adoption d’amendements ou de positions que nous défendions, sur des sujets tels que l’autorisation de la recherche sur l’embryon, l’ouverture de l’assistance médicale à la procréation à tous les couples, la promotion du don d’organe, le développement des techniques d’assistance médicale à la procréation ou encore la clause de révision des lois bioéthiques, qui était pour nous garante de progrès pour l’avenir et d’une certaine concordance entre l’évolution du droit et celle des techniques.
À l’arrivée, estimant avoir été assez correctement écoutés et globalement entendus, nous avions voté un texte qui, par bien des aspects, favorisait une certaine forme de consensus.
Puis vint l’examen du texte par l’Assemblée nationale.
M. Jean Desessard. Catastrophe !
M. Bernard Cazeau. Je le résumerai en trois mots : incompréhension, déception et soumission.
Mme Raymonde Le Texier. Soumission… pas forcément !
M. Bernard Cazeau. Incompréhension, car il a été fait assez peu de cas du travail des sénateurs, du moins dans les domaines majeurs. Et cela vaut pour tout le monde !
Déception, car nous voyons bien que les principaux changements que nous espérions ont été soigneusement écartés.
Soumission, car il est clair que, derrière l’apparente discipline des députés, ce sont les pesanteurs idéologiques et philosophiques – je n’irai pas plus loin – qui risquent, une fois encore, d’emporter la décision finale.
Le surplus d’ambition que nous avions ajouté au texte a tout simplement été gommé. Une certaine partie de la majorité a donc privilégié la voie de la stagnation, je dirais même la voie de la régression.
M. Jacky Le Menn. De la réaction !
M. Charles Gautier. Obscurantisme !
M. Bernard Cazeau. Jugez plutôt : suppression de l’ouverture de l’assistance médicale à la procréation à tous les couples, suppression de la clause quinquennale de révision des lois bioéthiques, mais aussi malheureux rétablissement du principe d’interdiction a priori de la recherche sur les embryons et les cellules souches embryonnaires.
Sur ce dernier point, nous ne pouvons que faire part de notre abattement et de notre désarroi. Le manque de confiance en la science et la recherche génétique, ainsi que dans les espoirs qu’elle fait naître, est tout simplement désespérant.
Mme Raymonde Le Texier. Absolument !
M. Bernard Cazeau. La rupture est aujourd’hui consommée, il faut bien le dire, entre, d’un côté, l’univers médical de la recherche et des associations de malades qui promeuvent la thérapie cellulaire, sous la forme d’une recherche permissive mais encadrée, comme nous l’avions préconisé, et, d’un autre côté, une sphère politique conservatrice, intraitable – j’ai envie de dire crispée –, pour qui la recherche sur l’embryon et les cellules embryonnaires – appelées à être détruite d’ailleurs, vous le savez bien –, entrerait en contradiction avec la vie elle-même. Je crois qu’il faudra rechercher où est la contradiction dans ce domaine.
M. Charles Gautier. Aveuglement !
M. Bernard Cazeau. Le professeur René Frydman, père du « bébé du double espoir », qui s’apprête à prendre une retraite bien méritée après des années de recherche et d’activité, l’exprimait en des termes tout à fait éloquents dans un grand quotidien national, il y a quelques jours, au travers d’un exemple vécu dans un autre domaine que celui de l’embryon : « Prenons l’exemple de la congélation d’ovocytes, voilà trois ans que l’on est bloqué sur certaines innovations, comme la vitrification, une technique de congélation très performante. Tous les pays voisins la pratiquent. La France a d’ores et déjà cinq ans de retard sur cette méthode. Sans compter le manque de personnel et de matériel … ». C’est M. Frydman qui s’exprime ici, mais la plupart des chercheurs disent la même chose. Ne nous racontez pas que, avec la procédure de recherche que vous préconisez, les chercheurs français sont à égalité avec les autres ! Ils croulent sous la paperasse et toute une série d’obligations. À l’étranger, personne ne comprend plus rien !
Ce témoignage est pour le moins révélateur de ce qu’est la situation des chercheurs en technologies génétiques dans notre pays, et il émane de quelqu’un qui ne passe pas pour être un scientiste débridé, mais qui, au contraire, a toujours su être pondéré.
Je crois que, aujourd’hui, la recherche française a de quoi se sentir flouée.
Déjà en 2004, on lui avait promis que le maintien des principes d’interdiction de la recherche en embryologie n’était que temporaire, qu’il ne s’agissait que d’un moratoire appelé à disparaître, un « moratoire positif », disait-on alors, qui laissait augurer une véritable ouverture à terme. Sept ans plus tard, il apparaît que la parenthèse est encore loin d’être refermée...
À nos yeux, il s’agit là d’une trahison des espoirs thérapeutiques pour les patients porteurs de maladies génétiques et pour leurs soignants.
Vous comprendrez que, dans ces conditions, devant tant d’inconséquence, devant tant d’obstination, devant tant de rigidité doctrinale, la tentation soit grande parmi nous de voter contre le texte qui nous est soumis. D’autant que nous avons vu ce qui s’est passé en commission, lors des travaux de préparation de cette deuxième lecture : ce matin, nous avons tout de même vécu une réunion assez particulière !
Nous prenons acte, monsieur le rapporteur, de votre bonne foi et de votre volonté de revenir à une rédaction fidèle au texte que nous avions élaboré ensemble en première lecture ; nous vous avons même applaudi, ce qui, d’ailleurs, ne vous a sans doute pas aidé ! Votre attitude conciliante en est l’illustration.
Malheureusement, nous prenons aussi acte du nombre significatif d’amendements déposés par des sénateurs de la majorité, laquelle, malgré les réticences de quelques-uns, s’apprête à revenir sur des évolutions adoptées en première lecture, et à approuver des dispositions encore plus régressives en ce qui concerne la recherche sur l’embryon.
M. Jacky Le Menn. Eh oui !
M. Bernard Cazeau. L’amendement de M. Jean-Claude Gaudin est en effet plus régressif que le texte qui nous vient de l’Assemblée nationale.
M. Bruno Sido. Absolument pas !
M. Bernard Cazeau. Je note du reste qu’il contient une erreur, mais celle-ci sera certainement rectifiée.
Aussi entrons-nous dans ce débat avec une inquiétude, mais aussi avec une volonté.
À quoi tient notre inquiétude ? À ce que, sous la pression conjointe, et non dissimulée, du Gouvernement – nous savons où cela s’est passé, madame la secrétaire d’État – et de lobbies intégristes…
Mme Raymonde Le Texier. Absolument !
M. Bernard Cazeau. … qui n’ont pas hésité, sur Internet, à se montrer menaçants, à la limite diffamants à l’encontre de certains d’entre nous,…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Absolument !
M. Bernard Cazeau. … il y a eu des revirements sur des points centraux du texte.
Notre volonté est de parvenir à ce que les conditions d’un vote unanime du texte soient réunies. Cela signifie que les « points durs » de la discussion doivent faire l’objet d’une issue respectueuse des conclusions auxquelles nous étions arrivés en première lecture ; nous y serons attentifs.
Nous tiendrons donc avant tout compte des conclusions du débat sur trois sujets essentiels à nos yeux.
Le premier est relatif au périmètre des bénéficiaires potentiels d’une procédure d’assistance médicale à la procréation, que nous souhaitons voir étendu aux couples de femmes, afin de ne pas ajouter, madame Payet, à l’infertilité biologique une forme passéiste d’infertilité sociale. Quelqu’un a d’ailleurs évoqué ce point ce matin sur France Inter, depuis la Réunion.
Le deuxième sujet a trait au maintien d’une clause de révision figurant explicitement dans le texte.
Le troisième concerne la garantie du maintien du principe d’autorisation de la recherche sur les embryons et les cellules souches embryonnaires
Vous le voyez, monsieur le rapporteur, madame la secrétaire d’État, il est tout à fait envisageable que nous sortions par le haut de cette discussion…