M. Jacky Le Menn. Il faut sortir par le haut !
M. Bernard Cazeau. … et que nous adressions ainsi un message clair à l’Assemblée nationale quant à la détermination du Sénat sur ce dossier.
Nous mesurons la complexité et la gravité de la tâche qui nous attend. Le respect de la vie, le droit de l’enfant, la filiation, la parentèle, l’encadrement de l’activité scientifique sont autant de sujets qui méritent que nous en débattions avec le plus grand sérieux, sans a priori et avec le souci du respect mutuel.
C’est dans cet état d’esprit que nous abordons cette deuxième lecture. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Bruno Retailleau.
M. Bruno Retailleau. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, le projet de loi relatif à la bioéthique visait à construire deux équilibres fragiles. D’une part, un équilibre entre l’éthique et la science : ce qu’il est possible de faire, doit-on le faire ? D’autre part, un équilibre entre l’individuel et le collectif : jusqu’où les demandes individuelles, forcément subjectives, peuvent-elles modifier la norme collective ?
Ces équilibres ont parfois été atteints, et je citerai à cet égard le régime des dons d’organes ou encore l’avancée que constitue le rétablissement, pour l’accès à l’AMP, du double critère médical et social.
En revanche, ils ont été rompus en ce qui concerne la recherche sur l’embryon et, singulièrement, le dépistage prénatal.
Pour ce qui est de la recherche sur l’embryon, le régime d’autorisation, même encadré, est une transgression anthropologique.
C’est une transgression, d’abord, parce que passer du régime d’interdiction, fût-il assorti de dérogations, à un régime d’autorisation encadrée constitue une rupture fondamentale, car l’exception devient tout de même la règle.
M. Bruno Sido. Absolument !
M. Alain Milon, rapporteur. Elle l’est déjà !
M. Bruno Retailleau. C’est une transgression, ensuite, parce que se trouve consacré dans la loi le processus de déshumanisation et de chosification de l’embryon.
Quand devient-on un être humain ? À quel moment, en effet, fixer le seuil d’entrée dans l’humanité ?
Sur cette question, bien sûr, il n’y a pas d’évidence partagée : pour les uns, la vie commence dès sa conception, pour les autres, bien plus tard. Mais, jusqu’à présent, il y avait au moins un consensus, qui s’était exprimé en 1994, en 2004 et récemment encore à l’Assemblée nationale. Dans le doute, la sagesse, je le crois, commandait de nous abstenir de traiter l’embryon comme un simple matériau de laboratoire. En effet, dans le cas inverse, il faudrait apporter la preuve qu’un embryon n’est pas un être humain en devenir. Or qui peut aujourd’hui apporter cette preuve de façon définitive ?
C’est, enfin, une transgression qui n’est pas nécessaire sur le plan scientifique dès lors que, grâce aux cellules pluripotentes induites, dites IPS – induced pluripotent stem cells –, la science nous propose une voie plus respectueuse de l’éthique et sans doute plus prometteuse pour l’avenir.
M. Alain Milon, rapporteur. Ce n’est pas vrai !
M. Bruno Retailleau. En effet, en cinq ans seulement, une douzaine de pathologies ont déjà été modélisées grâce aux IPS, alors que les cellules souches embryonnaires n’ont permis d’en modéliser qu’une demi-douzaine depuis près de quinze ans.
J’ajoute que, si cette transgression n’a pas de justification scientifique, elle n’a pas non plus de justification juridique puisque, en particulier, l’évolution récente de la jurisprudence communautaire sur le statut de l’embryon va dans le sens d’une plus grande protection, comme l’a confirmé le 10 mars dernier l’avocat général près la Cour de justice de l’Union européenne.
Une transgression injustifiable donc, mais aussi une approche généralisée du dépistage prénatal qui pose un problème de fond.
Pourquoi la trisomie 21 justifie-t-elle une proposition de dépistage systématisée, en rupture avec les pratiques habituelles qui lient le dépistage chez une population donnée aux risques objectifs d’affection de cette population ? Va-t-on demain, selon le même principe, dépister toute la population masculine française pour le cancer colorectal ?
En outre, le dépistage généralisé ne peut pas être la seule réponse vis-à-vis de la trisomie 21. D’ailleurs, au moment de la mise en place du DPN, ses promoteurs avaient exprimé la volonté que le dépistage s’accompagne d’un effort financier équivalent pour la recherche sur la trisomie 21 et pour la prise en charge de cette affection. J’ai redéposé un amendement dans ce sens, qui permettrait, me semble-t-il, d’avoir une approche beaucoup plus équilibrée, en tout cas moins univoque.
Pour conclure, mes chers collègues, je dirai que ce texte nous ramène à nos origines, c’est-à-dire à la conception que nous nous faisons de l’homme, mais aussi à notre avenir. L’embryon est une figure de l’altérité et le traiter comme une chose ne saurait être sans conséquence sur la représentation que l’on se fait de l’humanité. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Guy Fischer.
M. Guy Fischer. « Le Sénat a pris deux décisions avec lesquelles le Gouvernement n’est pas en accord. Nous aurons, je pense, l’occasion de revenir sur ces sujets en deuxième lecture » : c’est par ces mots, madame la secrétaire d’État, que vous avez conclu votre intervention après que notre assemblée eut adopté ce projet de loi en première lecture.
Au cours de son examen en deuxième lecture par l’Assemblée nationale, compte tenu des amendements déposés par les députés de la majorité, le Gouvernement n’a pas eu à intervenir. C’est en réalité sous une double pression que nos collègues du Palais Bourbon sont revenus sur les deux dispositions adoptées au Sénat concernant, d’une part, la recherche sur l’embryon et, d’autre part, l’accès à la procréation médicalement assistée pour les couples composés de deux femmes.
La première pression, celle du Gouvernement, a été clairement exercée par vous-même, madame la secrétaire d’État. La seconde, qui rejoint la première, l’a été, elle, par des groupes à caractère religieux, organisés et disposant de réseaux, voulant imposer leur vision de la science et de la vie. Il en résulte que ce projet de loi de révision des lois de bioéthique est totalement étanche aux évolutions de notre société ; croyez bien que je le regrette !
Pour les sénatrices et sénateurs du groupe CRC-SPG, la science et l’éthique médicale sont par nature en évolution constante. Les progrès scientifiques font naître, sur le plan technique, de « nouveaux possibles » qu’il nous revient de confronter à ce que nous considérons comme conforme à l’éthique. Mais les principes éthiques ne sont pas absolus et intangibles ; ils sont eux-mêmes mouvants, soit parce que des progrès scientifiques apportent des garanties nouvelles, soit en raison des évolutions de la société. Car, au final, la médecine, la recherche, la science en général n’ont de sens que si elles sont au service de nos concitoyens ?
En première lecture, j’affirmais devant vous : « Il s’agit de trouver ce subtil équilibre entre ce que la science peut faire techniquement et ce qu’elle peut faire philosophiquement, éthiquement ». Je ne retire rien à ces propos. Mais peut-être devrais-je ajouter qu’il convient également de nous interroger sur la manière dont les progrès techniques peuvent être utiles au quotidien pour nos concitoyens. Le domaine scientifique n’est pas un monde clos. La recherche n’est pas la propriété de ceux qui la pratiquent, et la formidable mobilisation autour des états généraux de la bioéthique en a été la preuve.
C’est pourquoi nous regrettons que l’Assemblée nationale ait supprimé une disposition adoptée par le Sénat permettant aux couples lesbiens de profiter d’une procréation médicalement assistée. Certains considèrent que la PMA n’a qu’une vocation médicale. Nous considérons, nous, qu’elle doit permettre de répondre aux cas d’infertilité sociale, le « M » de PMA devant se référer non plus à une finalité « médicale », mais aux moyens mis en œuvre pour permettre la procréation, c’est-à-dire ceux qu’offre la médecine, ce qui est souligné par l’adverbe « médicalement ».
De la même manière, nous regrettons que l’Assemblée nationale soit revenue sur la rédaction de l’article 23, qui traite de la recherche sur l’embryon et qui constitue le cœur de ce projet de loi. Si nous nous satisfaisons du fait que la commission des affaires sociales du Sénat ait proposé une nouvelle rédaction de cet article, permettant le basculement du régime d’interdiction avec dérogations à un régime d’autorisation contrôlée, nous demeurons inquiets. Nous redoutons en effet que cette disposition, cette avancée majeure pour la recherche, ne disparaisse à la suite de la réunion de la commission mixte paritaire ou, peut-être, au cours de nos débats.
La discussion que nous avons eue à ce sujet a été très nourrie et très intéressante. Je voudrais toutefois revenir sur certains points.
S’il est évident que la recherche en la matière est particulière, en raison même des éléments sur lesquels elle porte, nous ne devons pas perdre de vue certains principes.
Tout d’abord, la recherche ne portera que sur des embryons qui ne font plus l’objet d’un projet parental, c’est-à-dire des embryons qui ne sont voués à rien d’autre qu’à la conservation ou à la destruction.
Rappelons que, pour nous, l’embryon n’est pas un être humain, et c’est ce qui nous différencie de certains de nos collègues.
M. Bruno Sido. Il est vivant !
M. Guy Fischer. Ce n’est qu’une potentialité de vie. Or cette potentialité ne se réalisera jamais dès lors qu’il s’agit d’un embryon ne faisant plus l’objet d’un projet parental.
Certains, à l’image de M. Jean Leonetti, considèrent que le régime actuel d’interdiction avec dérogations n’a pas limité la recherche. S’il est vrai que la quasi-totalité des demandes de dérogation ont été accordées, il n’en demeure pas moins que ce régime repose sur un postulat que nous réprouvons : la recherche sur l’embryon serait, par nature, non conforme à l’éthique.
Par ailleurs, les scientifiques en conviennent, si toutes les demandes de dérogation sont satisfaites – ce qui constitue une véritable hypocrisie ! –, la constitution des dossiers entraîne des retards et des complexités dommageables pour la recherche française. Il arrive d’ailleurs que, pour les éviter, les chercheurs se censurent eux-mêmes et renoncent à certains projets.
Enfin, dernier argument développé sur ce sujet par la majorité et contre lequel je m’inscris en faux, le régime d’autorisation contrôlée servirait les intérêts des laboratoires pharmaceutiques et des grands groupes industriels. Ainsi, Jean Leonetti a récemment confié au journal La Croix : « Pour Marc Peschanski, le principe d’interdiction constitue un obstacle pour les investissements financiers des grands groupes industriels. »
Mes chers collègues, cette déclaration pourrait prêter à sourire si le sujet n’était pas si grave et, surtout, s’il n’émanait pas d’un député appartenant à la majorité parlementaire qui a autorisé l’utilisation de sang humain obtenu contre rémunération, une majorité qui a également, avec la grippe A et l’ensemble de sa politique du médicament, servi les intérêts des grands laboratoires et porté atteinte à la recherche publique comme cela n’avait jamais été fait auparavant,…
Mme Raymonde Le Texier. Très bien !
M. Guy Fischer. … notamment avec le crédit d’impôt recherche.
M. Jean Desessard. Très bien !
M. Bruno Sido. Un peu de modération, mon cher collègue !
M. Guy Fischer. Bien Évidemment, la question de la recherche publique se pose. Mais elle se pose d’abord et avant tout en termes de moyens !
Permettez-moi de revenir un instant pour conclure sur un sujet qui nous semble fondamental : l’instauration, dans notre pays, d’un registre positif des donneurs d’organes.
Il est légitime que notre droit protège la volonté de celles et ceux qui, pour des raisons personnelles, refusent de donner leurs organes. Il est, en revanche, inacceptable que ce même droit prive d’effet la volonté de celles et ceux qui se sont clairement exprimés en faveur de ce don.
Si la loi reconnaît le droit aux uns de refuser ce don sur la base de l’autonomie de la volonté, elle ne peut, dans le même temps, avoir pour conséquence de nier aux personnes souhaitant participer au don de vie le droit de le faire. Nous estimons que la volonté des uns vaut celle des autres et que les proches doivent accepter de respecter la volonté qu’a exprimée une personne de son vivant, quelle que soit cette volonté. Nous considérons que la vie n’appartient à personne d’autre que soi-même,…
M. Jean-Pierre Raffarin. Ce n’est pas vrai !
M. Guy Fischer. … et que personne, ni aucune considération, ne peut faire obstacle au libre arbitre dès lors que celui-ci a été clairement exprimé et qu’il est strictement encadré. Tel est le sens d’un amendement que nous présenterons tout à l'heure.
Compte tenu du temps de parole limité qui m’a été imparti, je ne puis développer plus longuement les positions et les propositions de mon groupe. Je dirai donc simplement que, comme en première lecture, nous arrêterons notre vote sur l’ensemble du projet de loi en fonction de ce qu’il en adviendra au cours de nos travaux, et nous serons, bien entendu, particulièrement attentif au sort que connaîtra l’amendement déposé par notre collègue Jean-Claude Gaudin, président du groupe UMP. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-Thérèse Hermange. (Applaudissements sur plusieurs travées de l’UMP. – Mme Anne-Marie Payet applaudit également.)
M. Jean Desessard. Elle n’a encore rien dit !
Mme Françoise Henneron. Ce sont des applaudissements d’encouragement !
Mme Marie-Thérèse Hermange. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, madame la présidente de la commission, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, le bicamérisme nous conduit à examiner ce projet de loi en deuxième lecture. Voilà qui est, en l’espèce, bien insolite : comme si, en deux mois, nous avions, les uns et les autres, modifié notre conception de l’homme dans son rapport à la science…
Alors que j’ai toujours avancé des arguments de raison, permettez-moi aujourd'hui, m’exprimant à la tribune sur ce sujet pour une ultime fois, de faire d’abord parler mon cœur pour évoquer brièvement ce qui s’est passé ce matin en commission des affaires sociales.
Oui, j’ai une source, et elle me dit que la vie est un don et un mystère.
M. Jean-Pierre Raffarin. Bravo !
Mme Marie-Thérèse Hermange. Certes, personne n’est obligé de partager avec moi ce sentiment, et je respecte parfaitement les positions de mes contradicteurs. Mais cette source me conduit à penser que la science ne peut pas se servir d’un être humain au profit d’un autre pour élaborer une molécule, en l’occurrence un médicament, en vue de guérir un autre patient. Car je crois qu’il y a une vie cachée dans cette cellule initiale.
En fin de compte, ce qu’il est demandé au législateur, c’est de sortir du labyrinthe que nous avons construit en acceptant de congeler des embryons surnuméraires. Car ce sont aujourd'hui près de 150 000 embryons surnuméraires – l’équivalent de la population d’une ville comme Aix-en-Provence – que nous conservons dans nos congélateurs !
Au-delà des arguments de raison que je m’efforce de mettre en avant depuis sept ans, ce sont des éléments d’information que je veux apporter en abordant cette deuxième lecture.
Le travail de documentation que je mène systématiquement sur les recherches relatives aux cellules souches m’a permis de constater que, depuis la première lecture, quinze découvertes ont fait l’objet d’une publication, majoritairement aux États-Unis, à partir de cellules souches, avec des cellules aussi variées que des cellules souches embryonnaires animales, des cellules à l’origine de l’endoderme pulmonaire, des IPS obtenues à partir de cellules de peau, des cellules souches du sang de cordon – pour reprogrammer des cellules cardiaques et de la moelle osseuse –, et une seule à partir de cellules souches embryonnaires humaines. Madame la secrétaire d'État, je tiens ce tableau à votre disposition.
Cette expérience sur des cellules souches embryonnaires humaines a été menée en Corée du Sud pour reconstituer des rétines endommagées et a été suivie, moins de trois semaines après, d’une découverte similaire, réalisée à l’université Harvard, mais à partir des fameuses cellules IPS. Déjà testée sur des souris, elle pourrait permettre de traiter la cécité, notamment la dégénérescence maculaire, la rétinopathie diabétique et la rétinite pigmentaire.
Il faut d’ailleurs noter que, dans le domaine de la modélisation de pathologies et du criblage, ces nouvelles molécules, les cellules IPS, qui n’ont pas, j’en conviens, monsieur le rapporteur, de vertus thérapeutiques, se révèlent plus efficaces que les cellules embryonnaires. En l’espace de trois ans seulement, les cellules IPS ont permis de modéliser plus d’une dizaine de maladies.
Où est donc, par rapport à cela, la valeur ajoutée de la recherche sur l’embryon ?
De fait, à l’inverse, les Britanniques, qui jouissent depuis vingt ans d’une autorisation absolue en matière de recherches sur l’embryon, n’ont obtenu – les chercheurs présents dans cette enceinte le savent bien – aucun résultat dans ce domaine.
Voilà un premier ensemble de faits, mes chers collègues. Mais ce n’est pas tout !
La révolution scientifique opérée grâce à la découverte, en 2007, du professeur Yamanaka sur les cellules IPS a été récemment suivie par une révolution juridique, et c’est le second élément d’information que je tiens à porter à votre connaissance.
Ainsi, le procureur près la Cour de justice de l’Union européenne a rendu, en mars dernier, un avis sur la brevetabilité et l’utilisation à des fins industrielles ou commerciales de l’embryon humain.
Il a ainsi précisé qu’« une invention doit être exclue de la brevetabilité lorsque la mise en œuvre du procédé technique soumis au brevet utilise des cellules souches embryonnaires dont le prélèvement a impliqué la destruction ou même l’altération de l’embryon ». Selon lui, « donner une application industrielle à une invention utilisant des cellules souches embryonnaires reviendrait à utiliser les embryons humains comme un banal matériau de départ ».
Il a ajouté que « l’exception à l’interdiction de brevetabilité des utilisations d’embryons humains à des fins industrielles ou commerciales concerne les seules inventions ayant un objectif thérapeutique ou de diagnostic qui s’appliquent à l’embryon humain et lui sont utiles ». C’est pourquoi j’ai déposé un sous-amendement à l’amendement de notre collègue Jean-Claude Gaudin pour remplacer : « médicaux » par « thérapeutiques. »
En d’autres termes, si l’embryon est un patient, alors oui, on peut effectuer une recherche sur lui à condition que cela soit à son profit direct. Mais dès lors qu’il devient matériau, on a franchi la limite éthique acceptable pour notre société.
À cet égard, j’ai étudié l’ensemble des protocoles qui ont été autorisés en France par l’Agence de la biomédecine – je tiens d’ailleurs à remercier ici sa directrice de nous les avoir transmis –, et je puis vous dire que je n’en ai pas trouvé un seul qui porte sur des cellules embryonnaires provenant d’un embryon dont il aurait impliqué la destruction, ou qui travaille sur des lignées provenant de la destruction d’un embryon.
C'est la raison pour laquelle, me fondant sur ces arguments à la fois juridiques et scientifiques, j’ai déposé un amendement visant à interdire la recherche sur l’embryon lorsque celle-ci porte atteinte à l’intégrité ou à la viabilité de l’embryon.
Avant de conclure, je voudrais vous soumettre une question, mes chers collègues.
Dans le domaine de l’amélioration des techniques de fécondation in vitro, la recherche sur les embryons de mammifères est, elle aussi, une véritable solution alternative puisque les mécanismes du développement embryonnaire sont communs à tous les mammifères. Encore faudrait-il que l’Union européenne permette aux chercheurs de travailler sur l’embryon animal !
En effet, le projet de révision de la directive 86/609/CEE relative à la protection des animaux utilisés à des fins expérimentales ou à d’autres fins scientifiques exclut désormais les animaux vertébrés non humains vivants, y compris les formes larvaires ou fœtales d’espèces de mammifères. Nous aurons à transposer cette nouvelle directive dans notre droit interne, mes chers collègues. Allons-nous, demain, interdire, avec cette directive européenne, toute expérimentation sur l’embryon animal, mais l’autoriser, aujourd'hui, sur l’embryon humain ?
M. Bruno Sido. Très bonne question !
Mme Marie-Thérèse Hermange. On nous répète que, de toute façon, ces embryons dépourvus de tout projet parental sont destinés à être détruits. Ce constat, me semble-t-il, appelle deux interrogations essentielles.
D’une part, pourquoi en sommes-nous arrivés à disposer de ces milliers d’embryons surnuméraires ? Que faisons-nous pour enrayer cette grave dérive de nos pratiques médicales ? À cet égard, je tiens à rendre hommage au vote de la commission des affaires sociales, qui a choisi, ce matin, de les limiter.
D’autre part, est-ce parce qu’un être est voué à disparaître qu’il faut l’instrumentaliser ?
Finalement, d’un certain point de vue, la destruction est notre lot commun à tous. Pour autant, céder à l’argumentation instrumentaliste ne fait pas honneur à notre conception de la dignité humaine. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Louis Lorrain.
M. Jean-Louis Lorrain. Madame la présidente, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la commission des affaires sociales semblait faire preuve jusqu’à ce matin d’une constance en matière de bioéthique, de sorte que je ne me permettais pas de juger ses décisions, mais seulement de les refuser ; jusqu’à ce que nous acceptions le fameux amendement.
Le choix de mon groupe de soutenir la position du Gouvernement relève non pas d’un aveuglement ou de la soumission, mais de la convergence d’une réflexion engagée bien en amont et fondée sur le respect et la dignité du vivant.
Une loi de bioéthique ne devrait pas seulement être une réponse à des attentes utilitaires d’usagers, de chercheurs. Elle doit fixer un cadre. Il ne peut s’agir du fruit d’un consensus, d’un compromis, dont les règles auraient été élaborées par les utilisateurs.
La vision biomédicale est souvent sacrifiée au profit d’une vision sociétale fondée sur la transparence, le jugement moral d’authenticité et la compréhension par tous.
À droite, nos difficultés de compréhension se manifestent, il faut bien le dire, par une hésitation, voire une confusion ; à gauche, c’est par une cohérence libertaire et la recherche d’une neutralité éthique.
Le but de l’action politique est le service du bien commun, y compris par la fixation d’interdits.
Nous pouvons soutenir que les autorisations encadrées correspondent seulement au respect de procédures et nous affirmons que la matérialisation de l’humain peut être l’enjeu de projets industriels et économiques.
À l’origine de nos difficultés, il y a une conscientisation superficielle, qu’on trouve dans des déclarations de cet ordre : « l’avenir de la médecine est en danger », « la médecine française se prive de possibilités dans un environnement concurrentiel », « l’homme est maître de son destin »…
Assurément, certaines valeurs doivent être défendues, par un personnalisme attentif, par exemple. Mais l’observation quotidienne de notre société n’est pas suffisante pour comprendre les enjeux de la bioéthique.
Les déclarations des grands thuriféraires alimentent des discours opposés. Il en va de même des résultats scientifiques lorsqu’ils sont extraits de leur contexte, d’autant qu’ils font souvent l’objet dans l’instant d’une surutilisation.
Gilles Lebreton nous invite à une réflexion sur l’identité de l’homme : au fond, le véritable objectif de la loi relative à la bioéthique est de cerner le concept de personne humaine. Celui-ci est la synthèse d’une identité psychologique, d’une identité sociale et d’une identité civile. En droit, cette unité autour du sujet le rend détenteur de droits fondamentaux destinés à le protéger.
La confusion qui s’attache à nos débats, et qui laisse les non-initiés indécis, peut s’expliquer par un manque d’accord sur la définition de l’embryon, c’est-à-dire sur son identité. C’est ainsi que la notion de conflit d’intérêts s’invite dans nos débats, alors que ceux-ci devraient seulement porter sur des idées, des convictions et des engagements.
Dans l’esprit de nos concitoyens, l’inacceptable d’hier devient l’interdit d’aujourd’hui, avant d’être l’autorisé de demain. Alors, nous ne comprenons plus : nos valeurs seraient à géométrie variable, fluctuant en fonction des évolutions technologiques et de la pression sociétale.
Il n’est pas question de sacraliser, de figer des concepts immuables. Il s’agit en revanche de se confronter à de nouvelles interrogations. Nous devons tenter de les éclairer et de trouver des réponses, dans le souci du plus grand bien.
À propos de l’identité de l’embryon, faut-il retenir la « personne humaine en devenir » ou la « personne humaine potentielle » ? La question n’est pas hors de propos, car elle conditionne notre choix face à l’interdit.
Dans son avis n° 8 du 15 décembre 1986, le Comité consultatif national d’ethnique a estimé que l’embryon appartenait à l’ordre de l’être, non à celui de l’avoir. La notion de « projet parental » nous est apparue trop faible pour garantir une protection à l’embryon, voire pour le faire accéder à un statut juridique.
Le concept de « personne humaine en devenir » semble plus compatible avec le principe d’autorisation de la recherche sur l’embryon. Nous lui préférons néanmoins le concept de « personne humaine potentielle », compatible pour sa part avec le principe d’interdiction assorti de dérogations : il ne s’agit assurément pas d’un acquis, mais d’un choix.
Je souscris à l’amendement déposé par mon groupe, qui est conforme au dispositif adopté par l’Assemblée nationale ; celui-ci, il est vrai contraignant pour la recherche, se veut protecteur pour l’embryon.
Non identifié, l’embryon n’est ni une personne ni un objet ; au nom du respect du vivant, il doit cependant bénéficier d’une protection.
Aujourd’hui, il nous faut renouer avec les grands principes qui fondent l’identité de la bioéthique : parmi eux, je veux citer la dignité de la personne humaine, l’indisponibilité du corps humain, la gratuité et l’anonymat du don, ainsi que l’intégrité de l’espèce humaine.
La contrainte imposée à la recherche ne procède pas d’un déni de la raison scientifique ni d’un refus du progrès. Il s’agit d’une mise en garde contre la fascination exercée par les nouvelles technologies. Il s’agit aussi d’un refus de remettre au secteur industriel ou plus généralement au champ économique la maîtrise de la santé publique.
Le projet de loi mentionne des « progrès médicaux majeurs », notion vague qui concernerait les recherches à visée diagnostique et préventive. Si les cellules souches embryonnaires servent au criblage et à la modélisation des maladies, elles constituent des outils : elles permettent de tester des molécules nouvelles en diminuant le coût des essais.
J’observe que le modèle animal – cela a été dit – fait l’objet de réserves énoncées par les directives européennes. On comprend mal, en regard, les résistances qui se manifestent au sujet de l’utilisation des cellules pluripotentes.
Le 31 mars 2011, l’Agence de biomédecine a estimé : « L’utilisation des IPS ne fait aucun doute dans le domaine de la modélisation de maladies, en particulier initialement d’origine génétique, la preuve du concept étant déjà obtenue dans certaines pathologies humaines. »
Il est de bon ton de parler de pragmatisme, d’utilitarisme et de refus de l’obscurantisme. Pour ma part, je me refuse à envisager la science du seul point de vue de son potentiel économique et industriel.
L’application de nos valeurs visant à la protection du corps humain peut être entravée par des choix qui se veulent progressistes et éthiquement neutres.
La sanction viendra de l’Europe, et l’on peut le regretter. Quand, le 10 mars 2011, la Cour de justice de l’Union européenne a rendu un avis relatif à la brevetabilité de l’embryon humain et à son utilisation à des fins industrielles et commerciales, ce fut pour les refuser.
J’ai le plus grand respect pour notre rapporteur, il le sait. Cependant, lorsqu’il parle d’un « interdit symbolique », il vise seulement l’écume et la dimension superficielle du symbole ; il en ignore la signification profonde : l’aide à la compréhension. Il fait valoir que le respect de l’être humain est garanti par l’article 16 du code civil ; je lui réponds que l’encadrement éthique y est insuffisant. L’éthique est reléguée à un système de normes qui doivent être respectées. Il s’agit donc d’un système libertaire qui n’est pas le nôtre.
L’inquiétude de nos concitoyens se porterait sur la bioéthique. Je refuse de me réfugier derrière une transparence qui rend invisible : je lui préfère l’information et la formation sur les sujets de société.