compte rendu intégral

Présidence de M. Bernard Frimat

vice-président

Secrétaires :

M. François Fortassin,

M. Daniel Raoul.

M. le président. La séance est ouverte.

(La séance est ouverte à neuf heures trente.)

1

Procès-verbal

M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.

Il n’y a pas d’observation ?…

Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.

2

Fin de mission d'un sénateur

M. le président. Par lettre en date du 8 juin 2011, M. le Premier ministre a annoncé la fin, à compter du 16 juin 2011, de la mission temporaire sur le décrochage à l’université, confiée à M. Christian Demuynck, sénateur de Seine-Saint-Denis, auprès de Mme Valérie Pécresse, ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche, dans le cadre des dispositions de l’article L.O. 297 du code électoral.

Acte est donné de cette communication.

3

Organisme extraparlementaire

M. le président. J’informe le Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation du sénateur appelé à siéger au sein du Conseil d’orientation de France expertise internationale, créé en application de l’article 12 du décret n° 2011-212 du 25 février 2011.

Conformément à l’article 9 du règlement, j’invite la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées à présenter une candidature.

La nomination au sein de cet organisme extraparlementaire aura lieu ultérieurement, dans les conditions prévues par l’article 9 du règlement.

4

Candidatures à une éventuelle commission mixte paritaire

M. le président. J’informe le Sénat que la commission des affaires sociales a fait connaître qu’elle a d’ores et déjà procédé à la désignation des candidats qu’elle présentera si le Gouvernement demande la réunion d’une commission mixte paritaire en vue de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la bioéthique actuellement en cours d’examen.

Ces candidatures ont été affichées pour permettre le respect du délai réglementaire.

5

Article 20 ter (interruption de la discussion)
Dossier législatif : projet de loi relatif à la bioéthique
Article 21 bis

Bioéthique

Suite de la discussion en deuxième lecture d'un projet de loi dans le texte de la commission

M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion en deuxième lecture du projet de loi, adopté avec modifications par l’Assemblée nationale, relatif à la bioéthique (projet n° 567, texte de la commission n° 572, rapport n° 571).

Nous en sommes parvenus, au sein du titre VI, à l’article 21 bis.

TITRE VI (suite)

ASSISTANCE MÉDICALE À LA PROCRÉATION

Discussion générale
Dossier législatif : projet de loi relatif à la bioéthique
Article additionnel avant l'article 22 quinquies

Article 21 bis

(Non modifié)

I et II. – (Non modifiés)

III. – (Suppression maintenue)

M. le président. Je mets aux voix l’article 21 bis.

(L’article 21 bis est adopté.)

Article 21 bis
Dossier législatif : projet de loi relatif à la bioéthique
Article 22 quinquies

Article additionnel avant l'article 22 quinquies

M. le président. L'amendement n° 15, présenté par Mmes Boumediene-Thiery et Blandin, M. Desessard et Mme Voynet, est ainsi libellé :

Avant l'article 22 quinquies, insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L’article 47 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Fait également foi l’acte de naissance établi par une autorité étrangère à la suite d’un protocole de gestation pour autrui. Il est procédé à la transcription de cet acte  au registre  français de l’état civil, où mention est faite de la filiation établie à l’égard de l’homme et/ou de la femme à l’origine du projet parental, respectivement reconnu comme père et mère, sans que l’identité de la gestatrice soit portée sur l’acte. La filiation ainsi établie n'est susceptible d'aucune contestation du ministère public. »

La parole est à M. Jean Desessard.

M. Jean Desessard. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, cet amendement, à la lumière de l’arrêt rendu le 6 avril 2011 par la Cour de cassation dans la douloureuse affaire des jumelles Mennesson, me semble fondamental pour régler la question de la transcription des actes de naissance des enfants nés d’une gestation pour autrui, ou GPA, à l’étranger.

Ces enfants fantômes, sans papiers, pâtissent en effet de l’absence de transcription de leur acte de naissance au registre français de l’état civil. Or, malheureusement, nombre d’enfants se trouvent aujourd’hui dans cette situation.

L’avocat général près la Cour de cassation avait pourtant requis, dans l’affaire Mennesson, la cassation de l’arrêt d’appel. De fait, il sollicitait la transcription à l’état civil de leurs actes de naissance étrangers.

Or, la Cour de cassation, en rejetant le pourvoi formé par les époux, place ces enfants dans une situation aberrante.

En tant que législateur, il nous appartient de régler cette question que les instances judiciaires se refusent de trancher. En effet, en statuant ainsi, la Cour de cassation a implicitement renvoyé le législateur face à ses responsabilités.

Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, j’en appelle à votre sagesse pour voter cet amendement, afin que la transcription des actes de naissance des enfants nés d’une GPA à l’étranger puisse être valablement autorisée en France, sans contestation possible.

Dans l’intérêt de ces enfants, il est impossible d’en rester à la décision rendue le 6 avril dernier par la Cour de Cassation ! La France reconnaît les filiations maternelle et paternelle de ces enfants, telles qu’inscrites sur l’acte de naissance étranger, mais refuse de les transcrire ! Ce refus est juridiquement infondé.

En effet, notre code civil prévoit que, si la filiation est établie à l’égard de parents dont l’un au moins est français, l’enfant sera français par filiation. Dès lors, ces enfants français nés à l’étranger devraient voir transcrire leur acte de naissance au registre de l’état civil, comme tous les enfants de Français nés à l’étranger.

Or, si ces enfants sont nés par GPA dans un pays étranger qui ne reconnaît pas le droit du sol, ils sont apatrides. En effet, bien que nés de parents français, et n’ayant pas la possibilité d’obtenir la nationalité du pays de naissance, ils seront dépourvus de nationalité, et donc d’identité. Nous ne pouvons accepter que ces enfants restent clandestins.

Pour l’ensemble de ces raisons, il convient que cet amendement soit adopté.

M. le président. Quel est l’avis de la commission ?

M. Alain Milon, rapporteur de la commission des affaires sociales. Monsieur le président, mesdames, mesdames, messieurs les sénateurs, le Sénat et l’Assemblée nationale n’ayant pas, à mon grand regret, reconnu la gestation pour autrui, ce n’est pas pour la reconnaître à l’étranger... La commission émet donc un avis défavorable.

M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?

Mme Nora Berra, secrétaire d'État auprès du ministre du travail, de l'emploi et de la santé, chargée de la santé. Le Gouvernement est résolument défavorable à cet amendement. En effet, la disposition présentée rend vaine la prohibition de la GPA en France, alors même que vous avez choisi, voilà quelques semaines, de maintenir cette interdiction.

Faut-il interdire la GPA en France et, dans le même temps, fermer les yeux sur l’exploitation, à l’étranger, de femmes à la recherche de subsides ? Le risque de marchandisation est très grand. Ne croyez-vous pas que garantir aux parents qu’ils ne se heurteront à aucune contestation à leur retour en France risque de les encourager à recourir à la GPA à l’étranger ?

Je rappelle en outre que l’enfant né d’une GPA à l’étranger n’est nullement lésé dans ses droits. Il n’y a aucune discrimination entre lui et les autres enfants : il bénéficie de prestations sociales, du droit à être scolarisé…

Étant opposés à la GPA, nous sommes également opposés à l’inscription à l’état civil des enfants nés à l’étranger d’une telle technique.

Le Gouvernement émet donc un avis défavorable.

M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour explication de vote.

M. Jean Desessard. Les jumelles Mennesson étant nées aux États-Unis, État accordant la nationalité selon le droit du sol, elles ont pu bénéficier d’un passeport états-unien. Ce bénéfice a d’ailleurs permis à certains de soutenir qu’elles n’auraient pas « besoin » de « papiers » français.

Toutefois, cette remarque est inconséquente à plus d’un titre. D’une part, elle est contraire aux règles de notre droit de la nationalité, telles que posées par notre code civil et auxquelles j’ai fait référence précédemment. D’autre part, elle est privée de fondement s’agissant des enfants nés dans un État qui ne reconnaîtrait pas le droit du sol.

Je souhaiterais apporter quelques précisions sur l’arrêt de la Cour de cassation du 6 avril 2011, auquel j’ai fait référence tout à l’heure.

Certains opposants à la transcription des actes de naissance des enfants nés par GPA à l’étranger se sont félicités de cette décision de justice. Pourtant, cette dernière ne respecte pas les principes du droit international privé français.

En effet, la Cour aurait dû faire application de la notion d’ordre international public atténué, dans la mesure où il s’agit d’une situation valablement constituée à l’étranger. Dès lors que la filiation envers les parents a été reconnue par l’État français, la Cour aurait dû en tirer les conséquences juridiques et admettre la transcription des actes de naissance.

Certes, la GPA n’est pas encore autorisée en France, et elle est, pour le moment, contraire à notre ordre international public direct. Mais il en va différemment des enfants nés par GPA à l’étranger, qui devraient pouvoir bénéficier de l’effet atténué de notre ordre international public.

Un raisonnement par analogie devrait d’ailleurs être opéré avec d’autres situations, interdites en France, mais à qui notre pays fait produire des effets lorsqu’elles ont été valablement constituées à l’étranger. Je pense par exemple au mariage homosexuel valablement contracté à l’étranger, qui peut produire en France des effets, notamment en matière fiscale ou successorale ; il en va de même des mariages polygamiques, qui, s’ils ne peuvent être célébrés sur notre territoire, n’en sont pas pour autant dépourvus de conséquences par le jeu de l’effet atténué de notre ordre public : possibilité pour la seconde épouse de solliciter une pension alimentaire, conséquences en matière successorale.

Quoi qu’il en soit, le droit international privé français distingue selon que les situations sont valablement constituées à l’étranger ou qu’elles se réalisent en France. Ainsi, ce n’est pas parce que la France refuse actuellement de légaliser la GPA sur son territoire qu’elle doit pour autant méconnaître les règles de son propre droit international privé.

Enfin, comme l’a rappelé à juste titre l’avocat général dans l’affaire Mennesson, l’absence de transcription des actes de naissance des fillettes au registre français de l’état civil est contraire à l’article 3-1 de la convention internationale des droits de l’enfant du 20 novembre 1989 et à l’article 8 de la convention européenne des droits de l’homme, la CEDH. Elle porte en effet atteinte à la fois à l’intérêt supérieur de l’enfant et à son droit à mener une vie familiale normale.

Telles sont les raisons pour lesquelles les sénatrices et sénateur écologistes ont déposé cet amendement, que je vous invite à adopter.

M. le président. La parole est à M. Bernard Cazeau, pour explication de vote.

M. Bernard Cazeau. Je soutiens cet amendement. Je rappelle d'ailleurs que nous avions déjà précédemment soutenu un amendement identique.

Monsieur le rapporteur, je ne comprends pas la relation que vous établissez entre le fait que, dans notre pays, le principe de la GPA ne soit pas accepté – nous avons eu cette discussion voilà quelques jours – et le fait que toute nationalité y soit refusée à des enfants parce qu’ils sont nés dans certains pays. En effet, si ceux qui sont nés aux États-Unis peuvent avoir la nationalité américaine, ceux qui ont vu le jour en Ukraine, par exemple, sont des enfants totalement apatrides.

Or j’estime, pour beaucoup de raisons, que ces enfants n’ont pas à subir tout au long de leur vie les conséquences d’une situation dont ils ne sont pas responsables. Cela me paraît logique : ce sont leurs parents qui ont pris la décision ! Comment, notamment, vivre sans carte d’identité ?

Monsieur le rapporteur, vous vous appuyez sur la non-reconnaissance de la gestation pour autrui en France pour refuser la transcription à l’état civil des actes de naissance des enfants nés d’une GPA à l’étranger : c’est une échappatoire ! Vous aviez d'ailleurs vous-même proposé de résoudre ce problème lors de la première lecture du projet de loi.

Comme l’a expliqué Jean Desessard, la Cour de cassation, dans son arrêt du 6 avril dernier, a implicitement renvoyé le législateur face à ses responsabilités.

M. le président. La parole est à M. Guy Fischer, pour explication de vote.

M. Guy Fischer. Nous apportons un soutien plein et entier à l’amendement de Jean Desessard, dont l’adoption permettrait de mettre fin à des situations qui méritent véritablement qu’on leur apporte des solutions. Il y va du bien de l’enfant. Jean-Pierre Godefroy avait d’ailleurs largement défendu ce point de vue, lors de la première lecture.

Bien sûr, l’autorisation de la gestation pour autrui suscite des avis différents, même au sein de notre groupe où le débat est très approfondi, comme je l’ai rappelé dès le début de cette discussion. C’est l’intérêt même de ce projet de loi que de permettre à chaque sénateur d’aborder ces problèmes en toute liberté et de se prononcer selon sa conscience. En effet, chacun peut éprouver le besoin d’apporter une réponse différente en fonction de ses croyances ou de sa propre histoire philosophique.

Toutefois, il me semble important de donner une réponse claire sur ce point, d’autant plus qu’elle est attendue. C’est pourquoi nous voterons l’amendement présenté par Jean Desessard.

M. Jean Desessard. Très bien !

M. le président. Je mets aux voix l’amendement n° 15.

(L’amendement n’est pas adopté.)

Article additionnel avant l'article 22 quinquies
Dossier législatif : projet de loi relatif à la bioéthique
Article 23 (réservé)

Article 22 quinquies

(Non modifié)

I et II. – (Non modifiés)

II bis. – Au quatrième alinéa de l’article L. 1121-11 du code de la santé publique, la référence : « à l’alinéa précédent » est remplacée par la référence : « au troisième alinéa ». 

III. – (Non modifié)

IV. – Le 2° de l’article L. 1541-4 du même code est ainsi modifié :

1° Au premier alinéa du b, le mot : « sixième » est remplacé par le mot : « septième » ;

2° Au premier alinéa du c, le mot : « quatrième » est remplacé par le mot : « sixième ». – (Adopté.)

TITRE VII

RECHERCHE SUR L’EMBRYON ET LES CELLULES SOUCHES EMBRYONNAIRES

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Article 22 quinquies
Dossier législatif : projet de loi relatif à la bioéthique
Article 23 bis

Article 23 (réserve)

L’article L. 2151-5 du code de la santé publique est ainsi rédigé :

« Art. L. 2151-5. – I. – Aucune recherche sur l’embryon humain ni sur les cellules souches embryonnaires ne peut être entreprise sans autorisation. Un protocole de recherche conduit sur un embryon humain ou sur des cellules souches embryonnaires issues d’un embryon humain ne peut être autorisé que si :

« – la pertinence scientifique de la recherche est établie ;

« – la recherche est susceptible de permettre des progrès médicaux majeurs ;

« – il est impossible, en l’état des connaissances scientifiques, de mener une recherche similaire sans recourir à des cellules souches embryonnaires ou à des embryons ;

« – le projet et les conditions de mise en œuvre du protocole respectent les principes éthiques relatifs à la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires.

« II. – Une recherche ne peut être menée qu’à partir d’embryons conçus in vitro dans le cadre d’une assistance médicale à la procréation et qui ne font plus l’objet d’un projet parental. La recherche ne peut être effectuée qu’avec le consentement écrit préalable du couple dont les embryons sont issus, ou du membre survivant de ce couple, par ailleurs dûment informés des possibilités d’accueil des embryons par un autre couple ou d’arrêt de leur conservation. À l’exception des situations mentionnées au dernier alinéa de l’article L. 2131-4 et au troisième alinéa de l’article L. 2141-3, le consentement doit être confirmé à l’issue d’un délai de réflexion de trois mois. Le consentement des deux membres du couple ou du membre survivant du couple est révocable sans motif tant que les recherches n’ont pas débuté.

« III. – Les protocoles de recherche sont autorisés par l’Agence de la biomédecine après vérification que les conditions posées au I et au II du présent article sont satisfaites. La décision de l’agence, assortie de l’avis du conseil d’orientation, est communiquée aux ministres chargés de la santé et de la recherche qui peuvent, lorsque la décision autorise un protocole, interdire ou suspendre la réalisation de ce protocole si une ou plusieurs des conditions posées au I du présent article ne sont pas satisfaites.

« En cas de violation des prescriptions législatives et réglementaires ou de celles fixées par l’autorisation, l’agence suspend l’autorisation de la recherche ou la retire. Les ministres chargés de la santé et de la recherche peuvent, en cas de refus d’un protocole de recherche par l’agence, demander à celle-ci, dans l’intérêt de la santé publique ou de la recherche scientifique, de procéder dans un délai de trente jours à un nouvel examen du dossier ayant servi de fondement à la décision.

« IV. – Les embryons sur lesquels une recherche a été conduite ne peuvent être transférés à des fins de gestation.

« V. – Les études sur les embryons ne leur portant pas atteinte peuvent être conduites avant et après leur transfert à fin de gestation, si le couple y consent, dans les conditions fixées au III du présent article. »

M. le président. La parole est à M. Guy Fischer, sur l’article.

M. Guy Fischer. L’examen de cet article 23 représente quasiment le point central de la discussion de ce projet de loi, avec l’ouverture de l’aide médicale à la procréation aux couples homosexuels, sujet sur lequel nous regrettons de n’avoir pu enregistrer de progrès, à la différence de ce qui s’est fait dans d’autres pays de l’Union européenne.

En ce qui concerne l’article 23, je souhaiterais, au nom de mon groupe et en respectant nos convictions respectives, affirmer notre volonté quant à un certain nombre de principes.

En matière de recherche sur l’embryon, la philosophie initiale de ce projet de loi était fondée sur l’interdiction de principe, assortie de dérogations. Cette philosophie a été également adoptée par l’Assemblée nationale qui a supprimé les améliorations introduites en première lecture au Sénat. À cette occasion, nous avions d’ailleurs salué l’ouverture d’esprit de notre rapporteur et de la présidente de la commission des affaires sociales sur ce sujet très délicat.

Je me félicite, une fois de plus, que notre commission ait rétabli la rédaction que la Haute Assemblée avait adoptée en première lecture, fondée sur le principe de l’autorisation encadrée. Pour notre part, nous sommes favorables à cet article qui supprime l’interdiction de principe et l’accompagne de conditions d’autorisation, ce qui nous semble bénéfique pour la recherche.

En effet, ne pas modifier le statut actuel de cette recherche nous semblerait fortement dommageable, car l’interdiction dérogatoire fait peser un soupçon d’illégitimité sur cette recherche qui est pourtant largement encadrée. Permettez-moi de rappeler brièvement ces quatre critères d’encadrement : limitation de la recherche aux embryons conçus dans le cadre d’une assistance médicale à la procréation qui ne font plus l’objet d’un projet parental et qui seront, de toute manière, destinés à être détruits ; interdiction de la création d’embryons aux seules fins de recherches ; recueil du consentement exprès des « parents » ; recherche menée dans un but exclusivement médical.

De manière constructive, la recherche sur les embryons est ainsi autorisée, mettant fin à un régime d’interdiction parfaitement hypocrite. En effet, le passage du régime d’interdiction dérogatoire à celui de l’autorisation limitative ne constitue ni un glissement éthique ni une extension des possibilités réelles de recherche, car les critères retenus sont strictement les mêmes !

Ce changement permet simplement d’envoyer un signal positif pour cette recherche que, dans ces conditions, rien ne permet d’interdire davantage qu’une autre. Les chercheurs de notre pays sont en effet l’objet d’une attention particulière de la part des chercheurs des autres pays de l’Union européenne et du reste du monde. Il s’agit donc de clarifier le statut de cette recherche et de consacrer cette dernière dans le droit.

Les querelles législatives sur cet article sont donc, selon moi, dépourvues de sens. Ou plutôt, elles en ont un, mais il ne saurait guider ni le législateur ni le droit. L’interdiction de la recherche sur l’embryon repose sur un argument intolérable, fondé essentiellement sur une conception philosophique, religieuse, et non scientifique, de la vie humaine, qui débouche sur la sacralisation de l’embryon humain. Cette vision est sous-tendue par un amalgame entre embryon et être humain, qui conduit à penser que la destruction de cet embryon est assimilable à la destruction d’une « vie ».

Cette assimilation n’a pas lieu d’être. En effet, comme l’a expliqué très clairement M. le rapporteur, il ne s’agit, à ce stade, que de cellules qui constituent éventuellement une personne en devenir, mais qui, dans le cas visé par la loi, seront de toute manière détruites ! Tel est en effet le sort réservé aux embryons conçus dans le cadre de l’aide médicale à la procréation qui ne font plus l’objet d’un projet parental, et personne, fort heureusement, ne s’en est ému jusqu’alors.

Nous le disons et nous le réaffirmons : la seule potentialité de vie humaine ne suffit pas à constituer l’humain, et l’interdiction de la recherche sur l’embryon n’est en aucun cas la mise en œuvre du respect du principe de la vie !

On voit trop où nous mèneraient ces idées prétendument généreuses, car ce sont elles qui permettent encore aujourd’hui à certains de s’opposer honteusement à l’avortement, en prétendant « défendre la vie » là où il n’y en a pas ou plutôt là où il n’y en a encore qu’une seule, celle de la femme.

Je vous mets donc en garde, mes chers collègues, contre cette vision conservatrice qui pourrait prédominer en matière de recherche sur l’embryon. Je réaffirme encore une fois, avec mon groupe, la nécessité d’autoriser cette recherche, en l’accompagnant évidemment des conditions et des restrictions nécessaires, car elle ne peut que produire des améliorations médicales dont l’humanité pourra peut-être bénéficier dans le futur.

M. le président. Je suis saisi de sept amendements faisant l’objet d’une discussion commune.

L’amendement n° 36 rectifié ter, présenté par Mme Hermange, M. de Legge, Mme Payet, MM. Gilles et Leleux, Mme B. Dupont, MM. Vial, Lardeux, Vasselle, Bailly, Bécot, Falco, Cazalet et de Montgolfier, Mme Des Esgaulx, M. Revet, Mme Rozier, MM. del Picchia, B. Fournier, Lorrain, Darniche, Marini, Pozzo di Borgo, Laménie et Huré, Mmes Henneron et Mélot, MM. Retailleau et Badré, Mme Hummel et M. P. Blanc, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

L’article L. 2151-5 est ainsi rédigé :

« Art. L. 2151-5. - Toute recherche sur l’embryon humain et les cellules souches embryonnaires humaines est interdite lorsqu’elle porte atteinte à l’intégrité ou la viabilité de l’embryon. »

La parole est à Mme Marie-Thérèse Hermange.

Mme Marie-Thérèse Hermange. J’ai déjà eu l’occasion d’expliquer l’objet de cet amendement lors de la discussion générale : il tend à interdire la recherche sur l’embryon humain lorsqu’elle porte atteinte à l’intégrité ou à la viabilité de l’embryon.

Il ne s’agit pas de s’opposer à la recherche en tant que telle, mais il convient de ne pas oublier non plus que le coût de cette politique est la destruction d’un début de vie humaine. J’observe d’ailleurs que le début de la vie humaine intéresse les chercheurs dans les cinq premiers jours, c’est-à-dire au moment où les cellules sont « totipotentes », selon le terme technique employé, ce qui illustre bien le fait que cette « toute-puissance » initiale joue un rôle majeur dans le développement futur de l’être humain. Il me semble donc important d’utiliser au maximum les solutions de rechange existantes qui sont bien plus efficaces.

Je regrette d’ailleurs que notre pays, dont on déplore souvent le fait qu’il « prenne du retard » alors qu’il a réalisé des « premières » mondiales, n’ait pas développé plus massivement la politique de recherche en matière de cellules souches provenant du cordon ombilical, de cellules souches adultes ou de cellules souches multipotentes présentant des potentialités intermédiaires entre celles de l’embryon et de l’adulte. En effet, certains de ces sujets de recherche représentent aujourd’hui un potentiel thérapeutique avéré, contrairement aux recherches sur les cellules souches embryonnaires qui n’ont donné aucun résultat thérapeutique à ce jour.

En outre, si faire de la recherche sur l’embryon humain sans le détruire limite les possibilités, ce type de recherche – je tiens à le préciser – n’est cependant pas impossible. Ainsi, on effectue déjà une telle recherche lors d’un diagnostic préimplantatoire.

La recherche sur l’embryon humain sans le détruire peut se faire sur un embryon rejeté par le diagnostic préimplantatoire comme ayant un avenir compromis. Elle peut aussi se faire sur des embryons in vitro durant les heures précédant leur implantation, avec des analyses ultrafines électriques ou des analyses portant sur l’ADN et les transformations épigénétiques, bien évidemment avec l’accord des parents. De telles microanalyses, délicates au niveau cellulaire, sont possibles aujourd’hui.

Dans de telles conditions, il ne serait porté atteinte ni à l’intégrité ni à la viabilité de l’embryon.

M. le président. L’amendement n° 27 rectifié, présenté par MM. Retailleau et Darniche, est ainsi libellé :

Rédiger ainsi cet article :

Au premier alinéa de l’article L. 2151-5 du code de la santé publique, après le mot : « humain », sont insérés les mots : «, les cellules souches embryonnaires et les lignées de cellules souches ».

La parole est à M. Bruno Retailleau.

M. Bruno Retailleau. Comme l’a dit M. Guy Fischer, nous abordons la discussion d’un des sujets centraux de ce projet de loi et qui reste très contesté.

Mon amendement n’a pas d’autre objet que de rétablir le régime d’interdiction assorti de dérogations, parce que l’adoption du régime nouveau d’autorisation encadrée, en rupture totale avec le précédent régime, représenterait à mon avis une triple régression.

Tout d’abord, la régression est évidente sur le plan symbolique dans la mesure où, en passant d’un régime d’interdiction à un régime d’autorisation, on érige en règle ce qui constituait l’exception.

J’ai entendu dire, dans cet hémicycle, que les symboles étaient sans importance ; or l’ordre symbolique, mes chers collègues, joue un rôle capital, ne serait-ce que du fait de ses implications pour l’ordre politique. Le symbole donne du sens, il montre la direction ; le symbole est aussi ce qui relie. Si je disposais de quelques minutes supplémentaires, je vous expliquerais le poids des symboles dans l’histoire de France et comment ils ont contribué à changer le cours des choses.

L’ordre symbolique est donc un ordre politique et on ne peut le passer par pertes et profits.

Ce changement de régime juridique représente également une régression anthropologique. Je sais qu’il n’y a pas d’accord entre nous sur le moment où l’on franchit le seuil de la vie. Qui peut dire quand commence la vie ? Pourtant, nous voyons bien qu’il existe un continuum entre ces cellules qui se multiplient dans les premiers jours et ce qui deviendra vraiment une personne humaine, un sujet de droit. Or ce continuum, qui résulte du fait que chaque étape du développement de l’embryon contient la précédente, rend impossible la détermination précise du seuil d’entrée des cellules dans le champ de la vie humaine.

Si l’on autorise le principe de la recherche, on considère que l’embryon est un matériau de laboratoire : qui peut, aujourd’hui, affirmer définitivement, avec certitude, qu’à un moment de leur développement ces cellules constituent effectivement un matériau de laboratoire et non pas une personne en devenir ?

Si nous éprouvons un doute, nous devons nous abstenir : tel est le seul objet du rétablissement du régime d’interdiction. Soit nous sommes certains que ces cellules ne représentent aucune vie en devenir – et alors, pourquoi ne pas autoriser la recherche ? –, soit nous éprouvons un doute, même infime, et nous devons nous abstenir. Tel est le consensus qui a prévalu en 1994, en 2004 et, plus récemment, à l’Assemblée nationale.

Enfin, je tiens à souligner une dernière régression, sur le plan scientifique : la recherche sur l’embryon humain ne répond à aucune nécessité, comme Marie-Thérèse Hermange vient de l’expliquer. En effet, depuis plus de quinze ans que les recherches sur l’embryon humain sont autorisées, une demi-douzaine de pathologies seulement ont pu être modélisées.

Les cellules souches pluripotentes induites, ou cellules IPS, font l’objet de recherches depuis cinq ans et elles ont déjà permis moitié plus de « trouvailles » que les recherches sur les cellules embryonnaires en quinze ans ! Par conséquent, la recherche sur l’embryon ne présente pas de nécessité scientifique.

J’ajoute que le droit nous emmène sur le même chemin. Plusieurs d’entre nous ont cité l’avis rendu le 10 mars dernier par le procureur près la Cour de justice de l’Union européenne : la jurisprudence européenne est de plus en plus protectrice à l’égard de l’embryon humain. Il n’y a donc pas non plus de justification juridique.

De façon consensuelle, en l’absence de certitude et en cas de doute, il convient d’en rester au régime de l’interdiction et surtout, dans un ordre aussi symbolique et politique, de ne pas autoriser un régime débridé d’ouverture à tous vents. (Applaudissements sur de nombreuses travées de lUMP. –Mme Anne-Marie Payet applaudit également.)