M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Si !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. En effet, vous proposez au fond de supprimer le monopole des lois financières tout en conservant le maintien des lois-cadres d’équilibre dotées d’une force supérieure à celles des lois financières annuelles.
Donc, Gouvernement et Parlement ont toujours la possibilité de proposer des réformes induisant dépenses ou recettes nouvelles, mais les lois financières auront une compétence exclusive pour déterminer l’entrée en vigueur des mesures relatives aux prélèvements obligatoires, et bien entendu dans la limite des lois-cadres.
Certes, on peut apprécier que M. le rapporteur veuille rétablir ce que l’Assemblée nationale a refusé, c’est-à-dire que les institutions de la République servent encore à quelque chose ; mais il faut l’avouer, il s’agit d’un subterfuge car, en définitive, le principe même de la « norme supérieure » que le Gouvernement veut créer ex nihilo demeure, ce que nous refusons.
Mes chers collègues, le Parlement ne peut pas décider d’aliéner la souveraineté du peuple pour s’en remettre aux comptables financiers actuels de l’Europe !
Mes chers collègues, je vous invite donc à voter cette motion. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG. – M. Jacques Mézard applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Je trouve toujours extrêmement paradoxal que soit présentée, lors de l’examen d’un projet de loi tendant à réviser la Constitution, une motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité…
En revanche, on peut concevoir le dépôt d’une motion tendant à opposer la question préalable ou, éventuellement, tendant au renvoi à la commission afin que le texte soit réexaminé.
Cela dit, ce paradoxe vous a permis, madame Nicole Borvo Cohen-Seat, de développer un certain nombre d’idées.
Pour ma part, je suis surpris que vous refusiez, d’une manière générale, une vision pluriannuelle, parce que l’annualité budgétaire, c’est tout de même de la navigation à vue !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cela existait déjà !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. On avait commencé en 2008 avec les lois de programmation, mais la force conférée aux lois-cadres d’équilibre des finances publiques imposera une constance dans la gestion des finances publiques.
Monsieur le ministre, ce point est peut-être le plus important de la réforme ; cette règle qui s’impose était au centre des préoccupations de la commission.
En tout cas, je ne vois pas en quoi le présent projet de loi constitutionnelle bafoue les principes fondateurs de notre République. D’ailleurs, des pays comme l’Allemagne, dont les dispositifs tendant à assurer l’équilibre des finances publiques sont extrêmement forts, ne s’en sont pas trop mal trouvés jusqu’à présent ; elle n’a pas cessé d’être une république.
Pour tous ces motifs, vous comprendrez, mes chers collègues, que cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité ne paraisse pas fondée et que la commission des lois émette un avis défavorable.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous n’avez pas répondu à mes arguments !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix la motion n° 76, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi constitutionnelle.
La commission et le Gouvernement se sont prononcés contre.
En application de l'article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va y être procédé dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J’invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 242 :
Nombre de votants | 225 |
Nombre de suffrages exprimés | 206 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 104 |
Pour l’adoption | 24 |
Contre | 182 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par MM. Collombat et Frimat, Mme Bricq, MM. Daudigny, Yung, Marc, Frécon, Desessard, Bérit-Débat, Sergent et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, d'une motion n° 38 rectifié.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l’article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu’il n’y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi constitutionnelle, adopté par l’Assemblée nationale, relatif à l’équilibre des finances publiques (n° 499, 2010-2011).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, auteur de la motion.
M. Pierre-Yves Collombat. Le prêchi-prêcha qui accompagne ce projet de loi constitutionnelle fait penser à ces contes moraux bourgeois du XIXe siècle, illustrés de vignettes émouvantes, destinés à l’édification des prolétaires.
Sur la première vignette, on voit l’expulsion d’une famille éplorée agrippée aux basques d’un homme visiblement ivre. Dans un angle, le garde des sceaux rappelle : « Quand les parents boivent, les enfants trinquent ! »
Sur la seconde vignette, on voit la même famille, mais radieuse cette fois, dans un appartement respirant une honnête propreté. La morale de l’histoire revient au ministre du budget : « Sobriété égale prospérité ; c’est le bon sens ! »
Éprouvée, la méthode consiste à réduire toute question complexe à un unique problème et à lui trouver une solution simple, compréhensible pour les gens pressés, relevant soi-disant du bon sens. Sa pertinence importe peu, le but n’étant pas de changer l’ordre des choses, puisqu’il est parfait, mais de corriger les hommes. Pour cela, lois et prédications suffisent.
En l’espèce, la question se limite à celle de l’équilibre budgétaire et de l’endettement public.
On a évacué – au moins jusqu’à tout récemment – les liens que cet endettement pourrait avoir avec l’endettement privé, la dynamique économique et l’emploi ou encore le mode de fonctionnement de l’Europe et de la zone euro. Ce débat est jugé inutile, puisqu’on connaît déjà l’origine des déséquilibres : l’électoralisme idiosyncrasique des parlementaires, qui pousse à la dépense.
Hier, l’irresponsabilité des élus locaux a justifié la réforme territoriale ; aujourd’hui, celle des parlementaires justifie qu’on leur ôte toute initiative en matière financière.
On oublie que le Gouvernement, en France, dispose déjà de tous les moyens constitutionnels de s’opposer à ces fâcheuses manies, à la différence de l’Allemagne ou du Royaume-Uni, qui ignorent les facilités du régime consulaire. « À celui qui n’a pas on lui ôtera même ce qu’il a », avait prédit Saint-Mathieu !
Personne non plus ne se fait d’illusion sur l’efficacité du dispositif. Jean-Jacques Hyest nous rappelle dans son rapport que, là où elle existe, la camisole budgétaire constitutionnelle reste dans le placard. Il précise ainsi que « cette constitution financière n’a pas suffi à garantir la vertu budgétaire en Allemagne » et que « l’emballement des déficits et de la dette consécutif à la crise financière a contraint les autorités [britanniques] à adapter leur règle budgétaire et décaler le retour à l’équilibre à l’horizon 2017-2018 ».
Quant au Gouvernement, s’il ne se sent pas capable de conduire la politique financière de la France, qu’il s’en aille !
Constatons par ailleurs que la non-application par le Gouvernement de la règle qu’il entend constitutionnaliser, c’est-à-dire une loi de règlement non conforme à une loi de programmation, n’aurait aucune conséquence.
On néglige aussi que l’origine comptable de la dette publique française n’est pas l’excès de dépenses, mais le défaut abyssal de recettes, dont l’origine structurelle, par-delà la crise, est à rechercher, premièrement, dans la chute de la part relative des revenus du travail dans le partage de la valeur ajoutée au cours de ces trente dernières années et, deuxièmement, dans les dépenses fiscales et les exonérations de cotisations sociales généreusement accordées.
Concernant ce dernier point, les chiffres auxquels parviennent Philippe Marini et Jean Arthuis dans leur récent rapport sont impressionnants. Selon les modes d’évaluation, les allégements fiscaux varient entre 148 milliards et 220 milliards d’euros, et les allégements sociaux entre 41 milliards et 80 milliards d’euros.
Au total, le manque de recettes publiques se situe entre un minimum de 190 milliard d’euros et un maximum de 300 milliards d’euros. Il faut comparer ce chiffre au déficit des comptes publics pour 2009, qui s’élevait, en pleine crise, à 145 milliards d’euros !
Si ce n’est pas organiser l’insolvabilité de l’État et la faillite des régimes sociaux, c’est bien imité ! Faire le contraire ne ferait pas de mal aux comptes publics !
Origine plus sournoise de la faiblesse des recettes publiques : la réduction de la part des revenus du travail par rapport à celle du capital ces trente dernières années. Moins de revenus du travail, compte tenu du traitement de faveur dont bénéficient les revenus du capital, c’est moins d’impôts et de cotisations.
Si cette « déformation du partage de la valeur ajoutée », comme on dit dans le jargon, n’est pas une spécialité européenne, elle a été particulièrement forte dans l’Europe des Quinze et en France : moins 12,1 points de PIB dans l’Europe des Quinze, contre moins 5 points aux États-Unis.
Ces chiffres sont ceux de l’excellent rapport d’information de nos collègues Joël Boudin et Yvon Collin relatif à la coordination des politiques économiques en Europe.
En France, en Allemagne et au Royaume-Uni, la diminution est de l’ordre de 10,2 à 10,4 points de PIB. Mais les pays actuellement dans la tourmente accusent une baisse bien plus importante : moins 13,4 points de PIB pour l’Espagne et moins 35 points de PIB pour la Grèce.
Si le credo libéral, résumé par la célèbre formule d’Helmut Schmidt – « les profits d’aujourd’hui sont les investissements de demain et les emplois d’après-demain » – avait été vérifié, cette évolution n’aurait pas eu un impact aussi négatif sur l’emploi, la consommation et les recettes de l’État. La production aurait trouvé ses débouchés dans l’investissement, l’emploi puis la consommation.
Mais, en l’occurrence, la foi n’a pas suffi à déplacer les montagnes. L’excédent de revenus du capital n’a pas été réinjecté dans l’économie réelle, mais est allé croître et se multiplier dans des bulles spéculatives récurrentes.
Le maintien du niveau de la consommation et de l’emploi a donc imposé de compenser les fuites.
Trois ingrédients ont été utilisés, dans des cocktails de composition variable selon les pays et les gouvernements : recherche d’excédents extérieurs, endettement public ou privé. En fait, deux ingrédients seulement, puisque les balances excédentaires supposent des balances déficitaires et des pays endettés. Le vrai moteur de la croissance de ces années fut donc l’endettement public ou privé. Là où l’endettement public était contenu, comme au Royaume-Uni et en Espagne, l’endettement privé a explosé.
La France, elle, a globalement opté pour le « mou » : croissance molle, en tout cas inférieure à celles du Royaume-Uni, des États-Unis, de l’Irlande, de la Grèce ou de l’Espagne ; endettement des ménages et endettement public comparativement modéré, même aujourd’hui.
Ce qui, aux yeux des libéraux français, passe pour du keynésianisme pur sucre s’est globalement limité à caler la croissance de l’emploi sur celle de la population active, sans parvenir à réduire autant qu’ailleurs un solde de chômage et de sous-emploi relativement élevé.
J’emploie le terme « globalement », car tous les gouvernements n’ont pas fait la même chose. On doit aux cinq années du gouvernement de Lionel Jospin 60 % des créations d’emplois salariés de ces vingt dernières années, période durant laquelle le niveau de la dette publique a légèrement baissé et l’endettement privé légèrement augmenté.
Entre 1989 et 1996, 726 000 emplois salariés supplémentaires ont été créés, soit une moyenne de 90 750 par an.
Entre 1997 et 2002, 2 197 000 emplois salariés supplémentaires ont été créés, soit 366 000 par an.
Entre 2003 et 2009, 466 000 emplois salariés supplémentaires ont été créés, soit 66 600 par an.
On me répondra que le gouvernement de Lionel Jospin a bénéficié d’une période de croissance. Comme si, en vingt ans, il n’y avait eu que cinq années de croissance… En réalité, ce résultat est bien le produit d’une politique.
Rappeler cela, c’est poser la question de savoir comment le Gouvernement entend nourrir la croissance, l’emploi, la consommation et les recettes fiscales sans augmenter les revenus du travail et en réduisant l’endettement public.
Songe-t-il à appliquer la recette du candidat Nicolas Sarkozy, qui, au printemps 2007, déclarait : « Les ménages français sont aujourd’hui les moins endettés d’Europe. Or, une économie qui ne s’endette pas suffisamment, c’est une économie qui ne croit pas en l’avenir, qui doute de ses atouts, qui a peur du lendemain. […] Il faut réformer le crédit hypothécaire. Si le recours à l’hypothèque était plus facile, les banques se focaliseraient moins sur la capacité personnelle de remboursement de l’emprunteur et plus sur la valeur du bien hypothéqué. »
Il est toutefois douteux, monsieur le ministre, que vous songiez à appliquer cette méthode, la crise ayant montré ses limites. À l’usage, l’endettement privé, retraité par la machine spéculative bancaire, est encore plus dangereux que l’endettement public, qu’il a par ailleurs lui-même contribué à stimuler, comme vous l’avez rappelé, monsieur le ministre.
C’est en effet pour sauver un système bancaire gavé de titres toxiques que le lapin blanc de la dette privée a été changé en lapin noir de la dette publique. Que la France se soit plutôt mieux tirée de ce numéro de cabaret financier que l’Allemagne, le Royaume-Uni et, évidemment, l’Irlande – modèle de réussite libérale brutalement ramenée au rang de pays du « Club Med » – ne signifie pas qu’elle ne pâtisse pas de la déstabilisation de l’euro qui en est résultée.
Si la France n’était pas devenue la cible de la spéculation, nous ne serions pas là aujourd’hui. Vous l’avez d’ailleurs avoué candidement dès mai 2010, monsieur le ministre, en affirmant : « Nous devons maintenir notre AAA, réduire notre endettement pour éviter d’être trop dépendant des marchés, et nous devons le faire dans la durée, d’où l’idée de révision constitutionnelle, pour bien montrer que ce n’est pas simplement un coup pour rien pour faire plaisir à des marchés, mais vraiment une nouvelle inflexion, une nouvelle tendance, une nouvelle discipline budgétaire française. »
« La politique de la France ne se fait pas à la corbeille ! », disait le général de Gaulle. Autres temps, autres mœurs, autres hommes…Grandeur et décadence !
Pourquoi d’ailleurs les marchés ne dicteraient-ils pas leur loi puisqu’on les a placés en situation de le faire ? Une promesse d’équilibre budgétaire, voire un excédent budgétaire réel suffiront-ils à changer leur comportement ?
M. Jean Desessard. Non !
M. Pierre-Yves Collombat. Non, bien évidemment !
Quand les marchés ne craindront plus le délabrement des finances publiques, ils spéculeront sur les conséquences de leur restauration.
D’ailleurs, quelque temps après cette déclaration dont je viens de rappeler la teneur, monsieur le ministre, et après les engagements européens de sauvetage de la Grèce, Moody’s se fendait du communiqué suivant : « Compte tenu de la nécessité de se tenir à des mesures d’économie strictes pour plusieurs années, Moody’s estime que les craintes sur la croissance économique constituent un risque pour la notation des États. Cela est particulièrement vrai en Europe, où la croissance devrait être moins élevée que dans le reste du monde. »
On ne « rassure » pas les marchés. On leur retire le quasi-monopole du crédit assorti d’une assurance tous risques quand tout s’effondre qui leur a été imprudemment octroyée.
La monétisation de la dette publique, comme aux États-Unis et au Royaume-Uni, aurait l’avantage de desserrer l’étau ou, plus exactement, de permettre au système européen de banques centrales de faire directement ce qu’il fait déjà par des moyens détournés et continuera à faire avec le mécanisme de stabilité européen.
« Au total, écrit Patrick Artus, qui n’est pas connu pour être gauchiste, la monétisation indirecte par les banques nous paraît beaucoup plus dangereuse que la monétisation directe par les banques centrales, ce qui est évidemment l’opposé de l’opinion de la BCE ».
La monétisation directe de la dette souveraine limiterait son coût et donnerait aux États les marges de manœuvre d’une politique de croissance génératrice d’emplois et de revenus fiscaux, facilitant ainsi le retour à l’équilibre budgétaire.
Elle ne serait pas plus génératrice d’inflation que les émissions monétaires d’origine bancaire actuelles, à tout le moins aussi longtemps que l’appareil productif tournera au ralenti.
Et si plus d’inflation il y avait, faudrait-il s’en plaindre ? Quelques malappris, tel Olivier Blanchard, l’économiste en chef du FMI – un autre gauchiste ! (Sourires.) – préconisent même de relever de 2 % à 4 % la cible d’inflation des banques centrales. Il en résulterait selon lui un allégement global du poids réel de la dette estimé à deux points de PIB par an.
Vous aurez compris que le fond du problème n’est pas l’irresponsabilité des parlementaires, mais l’euro, son mode de construction et, désormais, de régulation.
L’euro est la tentative inouïe, c’est-à-dire jamais vue, de créer une monnaie sans référence à l’étalon-or, sans pouvoir souverain pour l’administrer, sans possibilité d’assistance financière directe entre États. Le rôle du système des banques centrales y est réduit au minimum, celui-ci étant chargé d’éviter que les banques, dotées de l’essentiel du pouvoir de création monétaire à travers le crédit, ne fassent faillite, de lutter contre l’inflation, existante ou probable, et de regarder l’euro s’apprécier quand nos concurrents laissent filer leur monnaie pour gagner nos marchés.
M. Jean Desessard. Eh oui !
M. Pierre-Yves Collombat. Garant de cet ordre : le respect de quelques règles budgétaires simples par les États sous la surveillance du haut clergé financier central.
L’euro actuel est la concrétisation du rêve libéral d’un ordre économique et financier autonome, fonctionnant selon ses lois propres pour l’enrichissement et le bonheur de l’humanité.
Le rêve ne s’étant pas réalisé, le mal ne pouvait venir que du vestige de souveraineté laissé aux États : la politique budgétaire. L’objet de ce texte est précisément de les en priver.
En guise de conclusion, je vous livre ce diagnostic de Paul Krugman : « Non, la véritable origine de la crise de la zone euro ne réside pas dans la prodigalité des hommes politiques mais dans l’arrogance des élites […] qui ont poussé l’Europe à adopter une monnaie unique bien avant que le continent ne soit prêt pour une telle expérience. […]
« Bien avant la naissance de l’euro, les économistes avaient prévenu que l’Europe n’était pas prête pour une monnaie unique. Mais ces mises en garde ont été ignorées, et la crise est arrivée.
« Et maintenant ? Sortir de la zone euro est quasiment impensable […] La seule solution est donc la marche en avant : pour faire fonctionner l’euro, l’Europe doit aller bien plus loin en matière d’union politique, de manière à ce que les pays européens commencent à fonctionner davantage comme des États américains.
M. Jean Arthuis, rapporteur pour avis. Très bien !
M. Pierre-Yves Collombat. « Mais ce n’est pas près d’arriver. Nous assisterons sans doute dans les années à venir à un douloureux processus de sortie de crise : des renflouages accompagnés d’exigence de violente austérité, tout cela sur fond de chômage très élevé, perpétué par [une] déflation éprouvante. »
Nous sommes toujours aux temps des palinodies et des cataplasmes. Pour vous, monsieur le ministre, voter ce texte est d’abord un devoir moral et se préoccuper des générations futures ; poser la question préalable, c’est pour le groupe socialiste une manière de vous rappeler de penser aux jeunes générations d’aujourd'hui et à la « galère » que vous leur préparez en faisant le choix de la déflation. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Yvon Collin applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. M. Collombat a fait beaucoup de citations, quelquefois un peu sorties de leur contexte, mais cela n’a aucune importance.
Il a fortement critiqué l’euro, ce qui me conduit à rappeler que certains de ses amis, pour ne pas dire tous, soutenaient comme nous le traité de Maastricht…
M. Pierre-Yves Collombat. La repentance n’est pas impossible, cher monsieur Hyest : perseverare diabolicum !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Je crois que là n’est pas la question, monsieur Collombat !
M. Pierre-Yves Collombat. Si, puisque l’on continue !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est votre point de vue, mais il faut précisément une convergence pour que l’euro soit fort et bénéficie à tous les pays de la zone euro. Pour ce faire, il faut une discipline respectée par tous, discipline dont notre pays aussi a besoin.
M. Pierre-Yves Collombat. Pas seulement !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Monsieur Collombat, je vous ai écouté religieusement. Ne m’interrompez pas sans cesse !
M. Pierre-Yves Collombat. Mais vous ne répondez pas, monsieur Hyest, ou vous répondez à côté ! Vous ne répondez d’ailleurs jamais.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Je réponds, monsieur Collombat !
Le présent texte est justement conçu pour avoir des conséquences positives sur la gestion de nos finances publiques et nous permettre de retrouver des marges de manœuvre après tant d’années de déficit. Toutes les majorités au pouvoir depuis trente-cinq ans ont d’ailleurs leur part de responsabilité dans ce déficit. Il faut réagir aujourd'hui, tant qu’il est encore temps, en ayant le courage de définir des règles contraignantes.
J’ajoute que je me suis toujours employé au maximum à la préservation des droits du Parlement et, de ce point de vue, vous constaterez que le texte peut, grâce à nos amendements, sortir grandement amélioré du Sénat, tout en continuant, bien entendu, à assurer le nécessaire respect des principes d’équilibre des finances publiques et la conformité des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale aux lois-cadres d’équilibre des finances publiques.
En conséquence, j’estime qu’il y a lieu de poursuivre la discussion du projet de loi constitutionnel et j’émets un avis défavorable sur la motion tendant à opposer la question préalable.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. le président. Personne ne demande la parole ?...
Je mets aux voix la motion n° 38 rectifié, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi constitutionnelle.
La commission et le Gouvernement se sont prononcés contre.
En application de l'article 59 du règlement, le scrutin public ordinaire est de droit.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
Le scrutin est ouvert.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
J'invite Mmes et MM. les secrétaires à procéder au dépouillement du scrutin.
(Il est procédé au dépouillement du scrutin.)
M. le président. Voici le résultat du scrutin n° 243 :
Nombre de votants | 316 |
Nombre de suffrages exprimés | 314 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 158 |
Pour l’adoption | 128 |
Contre | 186 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Demande de renvoi à la commission
M. le président. Je suis saisi, par MM. Collin, Alfonsi, Baylet et Chevènement, Mmes Escoffier et Laborde et MM. Mézard, Plancade et Tropeano, d'une motion n° 45.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, le projet de loi constitutionnelle relatif à l'équilibre des finances publiques (n° 499, 2010-2011).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
Aucune explication de vote n’est admise.
La parole est à M. Yvon Collin, auteur de la motion. (MM. Jean-Pierre Bel et Bernard Frimat applaudissent.)
M. Yvon Collin. Mes collègues du RDSE signataires de cette motion de renvoi à la commission et moi-même voulons éviter au Sénat d’adopter une disposition constitutionnelle que nous jugeons tout à la fois inutile, inopérante et dangereuse.
M. Jean Desessard. Très bien !
M. Yvon Collin. Mais, en préambule, je veux indiquer combien je regrette l’opération de transfert de responsabilité sous laquelle vous placez nos débats, monsieur le ministre, lorsque, vous faisant le porte-voix d’un prétendu jugement des marchés financiers, vous jouez avec la réputation de la représentation nationale, sommée d’adopter votre projet de loi constitutionnelle sous peine d’attenter à l’intérêt de la nation. Que n’avez-vous appliqué à vos actes les sommations que vous nous adressez ?
M. Bernard Frimat. Très bien !
M. Yvon Collin. Le sens de la démocratie, c’est aussi d’assumer ses responsabilités. Votre majorité exerce le Gouvernement de la France depuis 2002. Ainsi, c’est elle qui doit assumer la responsabilité des finances publiques depuis cette date. Or voici son bilan.
À la fin de 2001, le déficit public s’élevait à 1,5 point de produit intérieur brut, en nette amélioration par rapport à 1997. Il se trouvait à un niveau permettant de réduire le poids de la dette publique dans le PIB. De fait, ce poids avait été sensiblement allégé par rapport à 1997.
En 2007, le déficit public était passé à 2,7 % du PIB, soit un niveau supérieur au solde stabilisant le niveau de la dette publique dans le PIB. La France s’est alors installée sur une trajectoire d’insoutenabilité de la dette publique.
Celle-ci a été considérablement amplifiée par la suite. À la fin de 2010, le déficit public s’élève à 7 points de PIB. Inutile de préciser que ce déficit insoutenable expose le pays à une seconde insoutenabilité, celle de sa dette publique.
Celle-ci s’élevait à 56,9 % du PIB en 2001, soit un niveau compatible avec le plafond du pacte de stabilité et de croissance. Cinq ans plus tard, la dette publique dépassait ce plafond, atteignant 63,9% du PIB.
Depuis, le poids de la dette publique a été alourdi de près de 20 points de PIB : à 81,7 % de celui-ci, il est plus élevé de 30,2 points de PIB par rapport à 2001, soit une progression de plus de 40 % en neuf années.
Le Gouvernement est responsable, monsieur le ministre, d’une dégradation historique des finances publiques telle que les exigences de redressement des comptes publics pèseront sur le destin de la France et des Français pendant des années.
Contrairement à ce que vous indiquez souvent, c’est à une véritable rupture par rapport aux années 1997 à 2001 que vous avez soumis le pays. Cette période montre qu’il est faux de prétendre que la France est abonnée au déficit et à la dette ; c’est votre majorité qui a souscrit cet abonnement.
Vous vous abritez derrière la crise pour expliquer cette dérive. Faible abri !
Avant tout, la crise est celle de vos choix économiques : crise du néolibéralisme dérégulé des prétendus « marchés efficients » ; crise de l’« exubérance rationnelle » de M. Greespan ; crise liée à la perte de tous les repères économiques et sociaux nécessaires à une croissance forte et équilibrée ; crise de l’État aussi, et non pas du « trop d’État », comme avait réussi à nous en persuader, voilà quelques années, un banquier de renom vilipendant la dépense publique et tançant notre État pour sa coupable imprévoyance…
Eh oui ! Vous avez cru aux leçons des petits génies de l’école de Chicago, tout occupés à produire une science économique de pacotille propre à les faire accéder au prix, dit « Nobel de l’économie », de la banque de Suède.