compte rendu intégral
Présidence de M. Roland du Luart
vice-président
Secrétaires :
Mme Anne-Marie Payet,
M. Bernard Saugey.
1
Procès-verbal
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n’y a pas d’observation ?…
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d’usage.
2
Communication relative à une commission mixte paritaire
M. le président. J’informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi relatif à la bioéthique est parvenue à l’adoption d’un texte commun.
3
Équilibre des finances publiques
Suite de la discussion et adoption d'un projet de loi constitutionnelle modifié
M. le président. L’ordre du jour appelle la suite de la discussion du projet de loi constitutionnelle, adopté par l’Assemblée nationale, relatif à l’équilibre des finances publiques (projet n° 499, rapport n° 568, avis nos 578, 591 et 595).
Nous en sommes parvenus à la discussion des articles.
Article additionnel avant l'article 1er
M. le président. L'amendement n° 68, présenté par Mme Borvo Cohen-Seat, MM. Foucaud, Fischer et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Avant l’article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Le premier alinéa de l’article premier de la Constitution est complété par une phrase ainsi rédigée :
« Elle garantit à tous les citoyens les besoins vitaux, tels que l’eau, la nourriture, le logement, la santé, l'éducation, l’énergie, les transports et les télécommunications, dont ils ne peuvent être privés. »
La parole est à M. Bernard Vera.
M. Bernard Vera. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, bien que notre pays soit considéré comme étant riche, il compterait au moins 8 millions de personnes vivant en dessous du seuil de pauvreté. L’Observatoire national de la pauvreté et de l’exclusion sociale souligne que, parmi elles, 1,8 million de Français vivent avec moins de 600 euros par mois.
La vérité, c’est que la France se paupérise. Les pauvres sont de plus en plus pauvres et les salariés qui ne parviennent plus à vivre dignement du fruit de leur travail ne cessent d’augmenter. Cela tient naturellement à l’explosion du chômage, mais aussi aux réformes imposées par la majorité en matière de droit du travail. Pour satisfaire le patronat, à commencer par le MEDEF, qui exige un marché du travail toujours plus souple, flexible, vous faites de la précarité le nouveau mode d’organisation du travail. Les travailleurs pauvres étaient 1,9 million en 2007, soit 6,7 % des salariés. En 2005, ils étaient déjà 1,7 million, soit 7 % des travailleurs. Ce taux ne cesse de croître.
Les contrats à durée déterminée, l’intérim, les stages, les emplois à temps partiel, voire très partiel, qui étaient jusqu’alors l’exception, tendent à se généraliser. Les salariés ne parviennent pas à vivre dans de telles conditions, avec des salaires beaucoup trop bas. Après tout, comme vous vous plaisez à le dire, ce qui compte, c’est qu’ils travaillent, quitte à ce qu’ils ne profitent pas des richesses qu’ils contribuent à créer…
Si nous souhaitons que cet amendement soit adopté et que les dispositions qu’il tend à introduire aient valeur constitutionnelle, c’est parce que nous considérons qu’une Constitution, c’est d’abord et avant tout la transcription en droit du modèle de société que le peuple veut se donner. À plusieurs reprises, ce dernier a fait la démonstration de son attachement au principe d’une république sociale. Or vos politiques, monsieur le ministre, en réduisent toujours la portée.
En effet, comment considérer que notre république est sociale alors que près de 1,5 million de personnes ont eu recours à l’aide du Secours catholique en 2009, soit 80 000 personnes de plus qu’en 2008 ? Comment accepter que le devenir de nos concitoyens repose, pour l’essentiel, sur le travail des associations, de leurs donateurs et de leurs bénévoles ?
À l’heure, monsieur le ministre, où vous entendez faire de la rigueur la règle normale s’imposant à tous et en tous temps, il nous paraît urgent que la nation reconnaisse enfin un certain nombre de droits fondamentaux et universels.
Tel est le sens de notre amendement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Cet amendement tend à inscrire à l’article 1er de la Constitution une nouvelle liste de droits sociaux fondamentaux que la France devrait garantir.
Je relève que cette garantie ne viserait d’ailleurs que les citoyens, alors que le préambule de la constitution de 1946 mentionne, pour les droits sociaux, les femmes et les hommes. La Déclaration de 1789 évoque quant à elle les hommes et les citoyens.
Les droits évoqués sont déjà garantis par le préambule de la constitution de 1946 et par celui de la constitution de 1958, ainsi que par un corpus législatif très développé. La modification des grands principes visés à l’article 1er de la Constitution, qui affirme en particulier le principe d’égalité, n’est pas l’objet du projet que nous examinons, même s’il s’agit bien au fond de préserver les capacités d’action de l’État, notamment auprès des plus démunis.
La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. François Baroin, ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'État, porte-parole du Gouvernement. Avis défavorable, monsieur le président.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 68.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Article 1er
L’article 34 de la Constitution est ainsi modifié :
1° Au cinquième alinéa, les mots : « l’assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toutes natures ; » sont supprimés ;
2° Le dix-septième alinéa est ainsi rédigé :
« – du droit du travail, du droit syndical et, sous réserve du vingtième alinéa, de la sécurité sociale. » ;
3° Après le dix-neuvième alinéa, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :
« Les lois de finances et les lois de financement de la sécurité sociale fixent les règles concernant l’assiette, le taux et les modalités de recouvrement des impositions de toute nature et les lois de financement de la sécurité sociale déterminent les principes fondamentaux concernant les autres ressources de la sécurité sociale.
« Les lois-cadres d’équilibre des finances publiques déterminent, pour au moins trois années, les orientations pluriannuelles, les normes d’évolution et les règles de gestion des finances publiques, en vue d’assurer l’équilibre des comptes des administrations publiques. Ces lois-cadres fixent, pour chaque année, un objectif constitué d’un maximum de dépenses et d’un minimum de recettes qui s’impose aux lois de finances et aux lois de financement de la sécurité sociale. Les écarts constatés lors de l’exécution des lois de finances et de l’application des lois de financement de la sécurité sociale sont compensés dans les conditions prévues par une loi organique. Les lois-cadres d’équilibre des finances publiques peuvent être modifiées en cours d’exécution dans les conditions et sous les réserves prévues par une loi organique. Une loi organique précise le contenu des lois-cadres d’équilibre des finances publiques et peut fixer celles de leurs dispositions, autres que celles prévues à la deuxième phrase du présent alinéa, qui s’imposent aux lois de finances et aux lois de financement de la sécurité sociale. » ;
4° L’avant-dernier alinéa est supprimé.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission de la culture.
M. Jacques Legendre, président de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’ai souhaité intervenir sur cet article afin de faire entendre la voix de la commission de la culture. Elle ne s’est pas saisie pour avis de ce texte, mais je me fais le porte-parole de la majorité des membres de son bureau, qui craignent que l’article 1er n’instaure un monopole des lois de finances et de financement de la sécurité sociale en matière fiscale.
Nous partageons tous l’objectif de stabilité des finances publiques qui sera défini par les lois-cadres fixant les objectifs de dépenses pour trois ans, mais il nous paraît inacceptable que les membres de la commission soient privés de la possibilité de discuter de mesures fiscales dans les textes qui lui sont soumis. Il y aurait ainsi deux catégories de parlementaires. Or nous sommes nous aussi responsables et soucieux de préserver l’avenir des générations futures. Nous souhaitons donc pouvoir pleinement nous exprimer.
Une telle disposition aurait interdit, par exemple, l’examen dans toute leur globalité par la commission de la culture d’un grand nombre des propositions de loi déposées dans ses secteurs de compétences depuis la réforme constitutionnelle, que ce soit la proposition de loi relative au service civique, la proposition de loi relative au prix du livre numérique, la proposition de loi relative au patrimoine monumental de l’État ou celle visant à renforcer l’éthique du sport et les droits des sportifs.
De la même façon, la commission de la culture n’aurait pu discuter ni du montant, ni de l’assiette de la redevance, ni des taxes destinées à compenser la suppression de la publicité sur France Télévisions, alors que nos amendements visaient à trouver de nouvelles recettes. Et que dire des réformes de l’université, de l’archéologie ou du mécénat, qui comportaient évidemment de nombreuses dispositions fiscales ?
On nous objectera sans doute qu’il nous est possible de nous saisir pour avis de toutes les lois à caractère financier. Nous le faisons déjà bien souvent. Mais l’expérience prouve que les dispositions que nous faisons adopter au Sénat sont la plupart du temps balayées en commission mixte paritaire, où nous ne sommes, hélas, pas représentés ! J’ai encore en mémoire l’amendement de la commission de la culture sur le financement des écoles numériques en zone rurale, adopté dans le projet de loi de finances, mais qui n’a pas survécu au cours de la navette.
La commission des lois, saisie au fond, et la commission des affaires sociales ont adopté un amendement visant à supprimer ce monopole et je m’en réjouis ; mais elles proposent une validation obligatoire en loi de finances. La commission des finances a adopté un amendement tendant à prévoir que lorsqu’une loi comporte des mesures financières, le Gouvernement dépose simultanément un projet de loi de finances ou de financement de la sécurité sociale. Toutes ces solutions vont dans le sens d’une multiplication des débats, alors que le calendrier parlementaire est déjà restreint.
Telle est la raison pour laquelle j’ai déposé un amendement identique à celui qu’a présenté la commission de l’économie. Il tend à permettre l’application, au 1er janvier de l’année suivante, de toute disposition votée ayant une incidence financière, afin de permettre à tous les parlementaires de conserver leur pouvoir d’initiative, tout en donnant aux commissions des finances et des affaires sociales la possibilité de contrôler chaque année le cadrage financier général des évolutions législatives. Ces commissions auraient ainsi la possibilité d’intervenir pour prendre les mesures d’économie nécessaires pour rester dans l’équilibre défini par la loi-cadre ou, le cas échéant, pour revenir sur une mesure jugée trop coûteuse.
Une telle disposition permettrait de conserver la cohérence des réformes introduites dans des lois ordinaires en ne dissociant pas systématiquement l’examen d’une politique de la discussion sur les moyens qu’elle suppose et sur les coûts ou les économies qu’elle induit.
L’enjeu est de taille : il y va ni plus ni moins de l’exercice du droit d’amendement par chaque parlementaire. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. Hervé Maurey. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny, sur l'article.
M. Yves Daudigny. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voici, avec cet article 1er, au cœur des problématiques évoquées hier au cours de la discussion générale.
À cet instant, monsieur le ministre, je voudrais vous remercier. Dans la réponse que vous avez bien voulu adresser aux orateurs hier soir à l’issue de la discussion générale, enfin à ceux d’entre eux qui appartiennent à la majorité, vous avez largement confirmé ce que j’ai démontré avant vous à cette même tribune.
J’ai en effet dit au préalable ma volonté, vous vous en souvenez, de ne pas user dans mon argumentation de la facilité consistant à caricaturer les positions des uns et des autres, à opposer ceux qui seraient pour les déficits à ceux qui seraient contre. J’ai regretté que cette méthode archaïque de débattre ait encore des adeptes sur certaines travées. Il semble malheureusement, monsieur le ministre, que vous en fassiez partie.
J’ai procédé hier à une analyse de fond du dispositif proposé et de ses conséquences pour en conclure qu’il posait de nombreux problèmes de mise en œuvre, qu’il recelait le danger majeur de réduire l’initiative parlementaire à presque rien, enfin qu’il ne pouvait suffire, à lui seul, à atteindre l’équilibre recherché.
Votre réponse sur tous ces points a été très claire. Vous l’avez même dit et répété, pour être bien compris et pour convaincre : « Il faut réduire les déficits ». Dommage que le système ne marche pas à l’incantation !
Ajoutons à cela que, la plus grande incertitude régnant sur l’avenir de ce texte, qui sera vraisemblablement abandonné, ici ou à Versailles, il est aisé de conclure que ce projet de loi constitutionnelle n’a d’autre utilité que de vous fournir des arguments de campagne. Je prends ici les paris que, d’ici peu, tout un chacun pourra entendre sur la place publique que, décidément, la gauche en tient pour les déficits alors que la droite était toute prête à agir.
Non, monsieur le ministre, non, mes chers collègues, les clivages ne sont pas ceux-là, même s’il est vrai que, des clivages, il y en a.
Il y a celles et ceux qui pensent que l’action publique est un pilier du renforcement et du maintien de notre pacte social. Il y a celles et ceux qui pensent que les valeurs de solidarité issues du Conseil national de la Résistance ne sont pas aujourd'hui obsolètes. Il y en a d’autres qui pensent que le dieu « concurrence » commande absolument le transfert de la totalité, ou presque, de nos services vers le secteur marchand.
Telles sont, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les raisons pour lesquelles nous soutiendrons l’amendement de suppression de l’article 1er. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Dominique Braye, sur l'article.
M. Dominique Braye. L’article 1er me pose problème car ses deux dispositions fondamentales tendent à rendre quelque peu schizophrène le parlementaire que je suis !
La première concerne les lois-cadres d’équilibre des finances publiques, auxquelles je suis profondément attaché et qu’il est essentiel que nous adoptions au plus vite. La deuxième a trait au monopole des lois de finances et des lois de financement de la sécurité sociale sur les principales dispositions relatives aux prélèvements obligatoires, auquel je suis très opposé et qu’il est impératif que le Sénat n’adopte pas.
J’estime en effet qu’il est essentiel – et urgent – de lutter contre les déficits, mais je ne vois pas le rapport entre cette lutte et le monopole institué par le projet de loi constitutionnelle. Pourquoi retirer au législateur ordinaire le droit de toucher à la fiscalité, alors qu’il n’est à l’origine que de 16 % des pertes de recettes sur les dix dernières années ? Pourquoi lui supprimer la possibilité d’augmenter ou de créer des taxes qui iraient dans le sens de ce que souhaite le Gouvernement ?
Par ailleurs, le monopole vide la réforme constitutionnelle que nous avons adoptée il y a moins de trois ans d’une grande partie de ses acquis. Que signifie encore le droit d’initiative s’il ne peut plus du tout s’exercer en matière fiscale ?
Enfin, le monopole affaiblit considérablement – vous le savez – la place du Sénat, en remettant en cause sa priorité d’examen pour les textes concernant l’organisation des collectivités territoriales puisque les dispositions sur les compensations du transfert de charges devront être renvoyées dans un projet de loi de finances, examiné en premier lieu par l’Assemblée nationale.
Je ne veux pas entrer dès maintenant dans le détail des amendements qui nous seront proposés, mais il me semble, d’ores et déjà, que deux positions assez proches sont en présence. Les amendements proposés par nos commissions permettent en effet de lever les préoccupations des uns et des autres en maintenant les droits du Parlement, tout en renforçant le contrôle des mesures fiscales par les lois financières.
L’amendement n° 41 présenté par M. Emorine au nom de la commission de l’économie, du développement durable et de l’aménagement du territoire et l’amendement n° 74 présenté par M. Legendre prévoient que les dépenses fiscales ne pourront entrer en vigueur qu’au 1er janvier, c'est-à-dire après l’examen de la loi de finances. Le législateur financier pourra donc les supprimer ou les modifier, ce qui satisfait totalement à l’exigence de la lutte contre les déficits par le respect des lois-cadres que nous souhaitons tous voir entrer en vigueur.
Les amendements nos 1 rectifié et 7 rectifié, présentés respectivement par la commission des lois et la commission des affaires sociales, inversent la charge de la preuve en prévoyant une validation systématique en loi de finances. De plus, ils s’appliquent à toutes les mesures fiscales, y compris à celles qui créent des recettes. L’inconvénient de ce dispositif, me semble-t-il, est qu’il oblige le Parlement à voter deux fois les mêmes dispositifs dans l’année, ce qui est de nature à affaiblir la portée de son vote. On voterait une fois pour de faux, une deuxième fois pour de vrai, si j’ose dire !
Je suis néanmoins persuadé qu’il existe un point d’accord possible. Toutefois, ce point d’accord est rendu plus difficile par la rectification adoptée hier, qui aboutit à inscrire un délai obligatoire de quatre mois. Autrement dit, toutes les dispositions fiscales qui seront adoptées début juillet – et vous savez qu’elles sont nombreuses – tomberont automatiquement, puisque le projet de loi de finances n’est adopté définitivement qu’au 31 décembre, soit plus de quatre mois après leur vote.
M. Hervé Maurey. Tout à fait !
M. Dominique Braye. C’est pourquoi il me semble essentiel que nous trouvions un autre système que ce délai de quatre mois. Je comprends la volonté d’aller vite, mais dans ce cas, il suffirait de prévoir que l’entrée en vigueur se fasse dès la prochaine loi de finances, le Gouvernement et le Parlement ayant tout pouvoir pour programmer une loi de finances aussi rapidement qu’ils le jugent utile afin de rendre les mesures fiscales votées effectives.
Mes chers collègues, j’en appelle à votre sens du respect des pouvoirs du Parlement. L’enjeu est fondamental pour la conservation du droit de tous les parlementaires, même si nous acceptons, compte tenu de la situation de notre pays, que notre pouvoir soit encadré par des lois-cadres.
Il faudra donc soutenir les amendements que je viens de mentionner. (Applaudissements sur certaines travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. Hervé Maurey. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, sur l'article.
M. Pierre-Yves Collombat. Ce qui me révulse dans les débats d’hier et, je le crains, d’aujourd'hui, ce n’est pas tant le mépris avec lequel vous traitez nos arguments, monsieur Baroin – nous connaissons les mœurs de la société de cour –, que la légèreté drapée dans une fausse rigueur avec laquelle vous abordez cette question du déficit budgétaire et de la dette publique.
Vous la limitez à la seule question du courage politique et de la morale. Soyons rigoureux, et le déficit budgétaire et la dette, qui atteignent effectivement des niveaux préoccupants, s’évanouiront !
Vous vous refusez obstinément à envisager ce que seront les conséquences inévitables de cette politique sur l’endettement privé, sur la croissance économique et l’emploi, et donc sur les recettes fiscales ou les cotisations des organismes sociaux, ainsi que sur les dépenses en matière de prestations sociales compensatoires.
Vous ne voulez pas voir que l’endettement public ou privé n’est pas qu’une facilité à laquelle s’abandonnent les parlementaires et les gouvernements, mais aussi, fondamentalement, le moyen de soutenir la consommation et l’investissement, autant dire les débouchés de la production nationale quand le niveau de l’emploi et des revenus du travail, au nom de la compétitivité, ne le permettent plus.
Je ne dis pas – et personne ne dit ici – que l’endettement public est une bonne chose. Nous disons que s’en passer a des conséquences sur le niveau d’activité économique, sur l’emploi et indirectement sur les recettes et les dépenses de l’État comme des organismes sociaux, ce qui en retour a un impact sur l’équilibre budgétaire.
Par quoi remplacerez-vous le déficit pour maintenir un niveau suffisant d’activité économique et d’emploi ? Cette question ne mérite pas votre silence, monsieur le ministre.
Pour être cornélien, le dilemme n’en est pas moins simple. Soit l’on compense la baisse, voire la suppression du déficit public par de l’endettement privé, une augmentation des revenus du travail ou un excédent extérieur, et les niveaux d’activité et d’emploi se maintiendront. Soit l’on se résigne à voir ces niveaux baisser.
Ce que nous aimerions savoir, ce sont vos choix !
Ce qui me navre aussi, c’est que vous refusiez de voir que le mode de gouvernance de l’Europe et plus encore de la zone euro n’est plus tenable en l’état, ou en tout cas ne le sera pas bien longtemps. Si vous en doutez, observez les résultats électoraux depuis quelques années : échec du traité constitutionnel en 2005, montée de l’extrême droite partout en Europe, raclée administrée aux formations sortantes, quelle que soit leur couleur. Et je ne parle pas des manifestations diverses, ni des rebellions d’État comme en Islande ou en Hongrie !
L’Europe qui devait unir les peuples et les économies est en train de les désunir. Si on avait plus de temps, on pourrait s’attarder en particulier sur la politique de l’Allemagne, grand donneur de leçons mais grand bénéficiaire des déficits commerciaux ou sociaux des autres pays.
Je ne dis pas qu’il faut abandonner l’euro, bien sûr. Au point où nous en sommes, le remède serait pire que le mal. Je dis simplement qu’on ne peut plus le laisser sous la surveillance d’une Banque centrale européenne, ou BCE, dont la seule phobie est l’inflation, qui ne se soucie pas de l’emploi et que l’on oblige à des contorsions pour faire le travail des banques centrales des pays souverains. Je pense notamment – je l’avais évoqué lors de mon intervention d’hier – à la monétisation de la dette souveraine, à laquelle elle ne peut avoir recours que sous le manteau !
La moindre des choses, monsieur le ministre, serait que vous essayiez au moins de répondre à ces questions autrement que par le silence ou en essayant de nous faire croire qu’il suffira d’une loi pour régler ce problème complexe pour lequel personne, effectivement, n’a de solutions, mais qui mérite que nous en cherchions. On ne peut pas se contenter de solutions simplistes comme celle que vous nous proposez. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme Nicole Bricq. Tout à fait !
M. le président. Je suis saisi de trois amendements identiques.
L'amendement n° 13 rectifié est présenté par MM. Frimat, Collombat et Yung, Mme Bricq, MM. Daudigny, Marc, Frécon, Desessard, Bérit-Débat, Sergent et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés.
L'amendement n° 46 rectifié est présenté par MM. Collin et Alfonsi, Mme Escoffier, M. Fortassin, Mme Laborde et MM. Milhau, Plancade, Tropeano, Vall, Vendasi et Mézard.
L'amendement n° 57 est présenté par Mme Borvo Cohen-Seat, MM. Foucaud, Fischer et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche.
Ces trois amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à M. Bernard Frimat, pour présenter l'amendement n° 13 rectifié.
M. Bernard Frimat. Comme nous l’avons expliqué depuis que le débat a commencé hier, au travers des interventions d’Yves Daudigny, de Pierre-Yves Collombat ou de Nicole Bricq, nous sommes en désaccord complet avec cet article. Nous le sommes même avec cette révision constitutionnelle en carton qui veut opposer des arguments juridiques à un problème économique et qui prétend régler ce problème par l’invention des lois-cadres !
L’article 1er est le cœur du débat. Il contient tous les défauts.
Le premier défaut tient à ce que la loi-cadre dont il est fait mention renvoie à une loi organique dont nous ne savons rien et qui pourra donc, une fois franchi l’obstacle de la majorité des trois cinquièmes, permettre à la majorité d’organiser en interne sa petite « tambouille », même si l’on s’aperçoit qu’elle est déjà difficile à mettre en place aujourd'hui au sein de la majorité !
Le deuxième défaut a trait au monopole que la révision instituerait. Relisons le rapport de Jean-Jacques Hyest, écoutons les différents présidents de commission : tout le monde dans cet hémicycle est contre le monopole ! Seulement, le groupe socialiste sera contre le monopole jusqu’au bout, alors que les groupes de la majorité, dans le courant de l’après-midi, vont se féliciter d’avoir en quelque sorte inventé le fil à couper le beurre en trouvant – et en sanctifiant ! – une rédaction qui ne réglera rien et qui maintiendra, de facto, ce monopole !
J’ai expliqué hier en quoi le constituant n’avait pas à abandonner son pouvoir. Il n’a pas à l’abandonner à une majorité qui adopterait une loi organique et à laisser le Conseil constitutionnel en juger. Nous ne multiplierons pas une nouvelle fois les exemples qui montrent que le Conseil constitutionnel a déjà, par le passé, avalisé des lois organiques qui contredisaient l’esprit du constituant. Nous ne voulons donc pas prendre ce risque de nouveau.
La raison pour laquelle nous demandons la suppression de l’article 1er est que vous êtes, mes chers collègues, dans une position de dévotion.
La semaine dernière, dans cet hémicycle, vous faisiez vos dévotions à vos convictions personnelles et détruisiez la recherche sur l’embryon, infligeant ainsi un gigantesque camouflet à la totalité des chercheurs et revenant même sur les lois précédentes !
Aujourd'hui, vous avez changé, non pas de religion, mais d’objet de dévotion ! Aujourd'hui, vous faites vos dévotions à sainte Constitution ! De la Constitution viendra le salut ! La Constitution nous préservera du déficit. Vivement que nous l’inscrivions dans la Constitution ! Nous sommes tous d’accord !
Non ! Nous ne sommes pas tous d’accord ! Ce n’est pas la fonction de la Constitution !
La politique d’un Gouvernement est de définir une stratégie précise de maîtrise des finances publiques, ce n’est pas de faire du cirque en demandant à la Constitution de régler ce problème. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)