M. François Baroin, ministre. M. Cahuzac est le président – socialiste – de la commission des finances de l'Assemblée nationale, un homme de grande qualité, au verbe tonique.
Nous avons eu avec lui des débats vertueux qui ont permis d'éclairer l'Assemblée nationale afin de lui permettre de se prononcer en connaissance de cause. Mais, que je sache, il ne s’engage pas pleinement aux côtés du Gouvernement à chacun de ses votes… Ou alors cela m'aurait échappé ! Car nous avons eu des désaccords manifestes, la semaine dernière, lors des jours et des nuits – qui se sont même prolongées jusqu’à sept heures du matin ! – passés dans l’hémicycle de l’assemblée à débattre de la réforme fiscale, dont nous discuterons au Sénat dans quelques jours.
Sur la question de l’initiative parlementaire, nous avons trouvé à l'Assemblée nationale un point d'équilibre, qui convient à toutes les commissions, notamment à la commission des lois et à la commission des finances. Ce point d'équilibre est inspiré d'un article de la Constitution qui permet au président de l’assemblée concernée ou au Gouvernement d’opposer l’irrecevabilité d’un amendement qui ne relève pas du domaine de la loi, c'est-à-dire qui est de nature réglementaire. On doit à la vérité de dire que cet article n’a été que rarement utilisé. De mémoire, je parle sous le contrôle du président Hyest, il ne l’a été qu’une seule fois, sous le gouvernement Raffarin lors de la grande réforme des retraites.
Je me souviens que nous avions passé des jours et des nuits à discuter de ce sujet. Le développement des nouvelles technologies avait rendu possible le dépôt de dizaines de milliers d'amendements. Le président de l’Assemblée nationale, Jean-Louis Debré, avait saisi le Conseil constitutionnel pour faire déclarer irrecevables un très grand nombre d'amendements inutiles, qui relevaient simplement de la flibusterie parlementaire traditionnelle.
Puisque nous avons réussi à trouver avec l'Assemblée nationale un point d'équilibre acceptable, alors que les débats ont été de même nature et de même intensité qu’ici et tout aussi respectables, je ne vois pas pourquoi il n’en irait pas de même avec le Sénat.
Monsieur Hyest, je tiens à saluer votre implication dans la défense légitime des intérêts de la commission des lois, particulièrement en matière constitutionnelle. Vous avez proposé une formule de compromis, à laquelle semble s’être rallié le rapporteur général de la commission des finances. Je respecte votre position, mais le Gouvernement ne peut être favorable à votre amendement, et ce pour plusieurs raisons.
Vous proposez d’instituer un rendez-vous qui, certes, correspond à notre souhait d’attribuer aux textes financiers un monopole ou une exclusivité de l’examen des mesures fiscales ou sociales, mais qui, en réalité, nous en éloignera grandement. En effet, si l’on prend le cas de figure de textes qui seraient votés, sous votre impulsion, en janvier ou en février, ils ne pourront entrer en vigueur que quatre mois plus tard, lors de l’adoption d’un texte financier.
Imaginez un instant, mesdames, messieurs les sénateurs, l'instabilité juridique, fiscale, voire sociale, engendrée par un tel dispositif ! Une telle disposition contribue-t-elle vraiment au renforcement du travail parlementaire ? Je ne le crois pas. D’autant que ce véritable trou noir de quatre mois accentuera les difficultés que nous avons justement en matière fiscale à créer un environnement durable et stable.
Vous voulez renforcer le travail parlementaire et veiller au droit d’initiative. L'histoire récente le montre, le Gouvernement a désormais un rendez-vous avec le Parlement au mois de juin pour examiner un projet de loi de finances rectificative ou un projet de loi de financement rectificative de la sécurité sociale. Nous sommes actuellement en plein dans cette période. Si nous devions être dans l'obligation de rédiger des textes pour valider ou non des dispositions votées quelques mois auparavant, je ne suis pas certain que le travail parlementaire en serait renforcé.
Quant au sous-amendement présenté par M. Emorine, il supprime le seul élément qui allait le sens du monopole, c'est-à-dire le délai de quatre mois au-delà duquel les dispositions devenaient caduques. Il faut être clair, il n'y aurait alors plus d'exclusivité des dispositifs de nature fiscale ou sociale dans les lois de finances. Je vois bien à leur mine réjouie que certains le souhaitent, y compris au sein de la majorité. Mais nous ne pouvons être d’accord avec une telle proposition, car – je le répète – nous devons poursuivre la mise en place de normes supplémentaires contraignantes.
Permettez-moi de vous faire remarquer, mesdames, messieurs les sénateurs, que si vous avez l’impression que ces contraintes vous visent, elles s’imposent en réalité d'abord et avant tout au Gouvernement puisque l'essentiel ou, en tout cas, une proportion exorbitante – 80 %, 90 %, voire 95 % – des dispositifs de nature fiscale est d’origine gouvernementale.
Ces contraintes s’imposeront donc au Gouvernement actuel et naturellement à ses successeurs puisqu’il y aura à l’avenir d'autres gouvernements, comme il y aura certainement d'autres présidents de commissions. C'est ainsi, la roue tourne…
Ce qui nous rassemble aujourd'hui, c’est la situation de nos finances publiques : elle exige que, dans l’intérêt général, nous soyons d’accord sur les trois objectifs à poursuivre en commun.
Il s’agit de fixer trois éléments : d’abord, un cadre lisible, triennal, avec des rencontres régulières pour suivre la trajectoire de réduction des déficits et atteindre l'équilibre ; ensuite, un rendez-vous au printemps pour discuter des économies envisageables pour atteindre nos objectifs en termes de déficits publics, ce qui renforcerait le rôle du Parlement ; et une méthode, car c'est bien de cela qu’il s’agit, qui confère une exclusivité aux textes financiers pour l’examen des mesures de nature fiscale.
Notre idée n’est pas d’accorder un monopole pour se débarrasser de telle ou telle proposition en toutes circonstances, mais simplement de renvoyer à l’examen des textes financiers – en juin ou à l’automne – les dispositions fiscales qu’un parlementaire aura toujours la possibilité de faire figurer dans les propositions de loi qu’il déposera.
Est-ce vraiment si grave ? Au regard de la situation de l’Europe et des finances publiques de notre pays, une telle proposition est-elle si éloignée de la conception que l’on peut se faire de l’initiative parlementaire ?
Voilà le sens de la révision de la loi fondamentale que nous proposons. À ce stade du débat, autant acter que nous sommes en désaccord. Nous reviendrons devant l'Assemblée nationale pour rediscuter de ce texte, mais le Gouvernement ne s'éloignera pas de sa position. Nous devrons de toute façon, sous une forme ou sous une autre, trouver des modalités de consensus. Nous y sommes parvenus à l'Assemblée nationale, nous devrions pouvoir y parvenir au Sénat. Mesdames, messieurs les sénateurs, j'entends votre message, je l’interprète plutôt comme un appel à un dialogue interne. Je fais confiance à votre honorable assemblée pour, après encore quelques journées de travail et de réflexion commune, trouver, le moment venu, les modalités d’un accord.
En toute logique, le Gouvernement émet un avis défavorable sur l'amendement n° 61.
Sur l'amendement n° 1 rectifié, je précise que je suis favorable à la disposition concernant les lois-cadres, qui ne pose pas de difficultés, mais défavorable à celle qui porte sur le monopole ou l’exclusivité des textes financiers. Je me permets d’ailleurs de vous indiquer que celle-ci menace de façon sous-jacente l’équilibre global des pouvoirs entre le Gouvernement et le Parlement : le Parlement est dépendant de la date de dépôt des projets de loi de finances et de loi de financement de la sécurité sociale pour l'entrée en vigueur des dispositions fiscales. Avec cet amendement, la situation serait inversée et l’on s’éloignerait de l'esprit général du rôle de l'exécutif dans la préparation des textes financiers.
Le Gouvernement est également défavorable à l’amendement n° 7 rectifié, porté par M. Vasselle et défendu par Mme Dini. En revanche, il est favorable à l'amendement n° 29, notamment sur la nouvelle formulation concernant le plancher de mesures nouvelles.
Pour finir, il est défavorable aux amendements nos 41 et 74, 58, 62 rectifié, 59, 51 rectifié, 60, 52 et 53. Emporté par mon élan, j’allais dévoiler que nous sommes également défavorables à l'amendement n° 36, ce qui est ainsi fait !
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Fourcade, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Fourcade. Monsieur le ministre, j'ai écouté avec beaucoup d'attention votre réponse. Votre argumentation est convaincante, mais vous pouvez, me semble-t-il, modifier votre position sur deux points.
Le premier, c'est qu'il faut faire une distinction dans le texte entre les projets de loi déposés par le Gouvernement et les propositions de loi émanant des parlementaires. Votre texte ne permet pas suffisamment de faire la distinction, ce qui nous conduit à tout mélanger. Je vous suis lorsque vous proposez d’imposer la rigidité et la vertu financières au Gouvernement puisque, vous l'avez dit, plus de 85 % des modifications fiscales proviennent de son initiative.
La solution proposée par le président de la commission des finances, avec le synchronisme entre le dépôt d'un projet de loi et le dépôt d'un projet de loi de finances ou de loi de financement de la sécurité sociale, me semble parfaite.
En tout cas, en ce qui concerne les obligations du gouvernement, la situation me paraît claire.
Pour ce qui est des propositions de loi, je souscris au dispositif qui consiste à discuter d’une proposition de loi tout en prévoyant que les dispositions fiscales ou sociales entraînant des dépenses ou des recettes supplémentaires seront avalisées par la prochaine loi de finances, à même de bien distinguer l’initiative gouvernementale de l’initiative parlementaire.
Le deuxième point, c’est que nous avons, dans la pénultième révision de la Constitution, obtenu que les projets de loi ayant pour principal objet l’organisation des collectivités territoriales soient soumis en premier lieu au Sénat. Or le texte que vous nous proposez supprime, de fait, cette disposition.
Par conséquent, il serait souhaitable que le Gouvernement répète clairement, par référence à l’article 39, que les textes relatifs aux collectivités territoriales, avec leur volet financier, continuent d’être examinés d’abord par le Sénat.
Sur ces deux points, la distinction entre projets et propositions de loi et le maintien de la priorité d’examen du Sénat sur les textes intéressant les collectivités territoriales, nous pourrions trouver un compromis qui nous permette d’approuver votre objectif de rigueur et de retour à l’équilibre.
Il me semble que, dans ces conditions, l’amendement présenté par M. Arthuis peut, s’il reçoit quelques compléments, servir de base pour arriver à une solution satisfaisante. Monsieur le ministre, tel est en tout cas mon vœu.
M. Alain Fouché. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le ministre, en refusant jusqu’à l’amendement de la commission des lois qui tentait de remédier à un défaut du projet que nous considérons majeur, à savoir son irrecevabilité, vous avez particulièrement éclairé le problème que pose votre projet de loi.
Un projet de loi constitutionnelle peut, lui aussi, dans certaines circonstances, faire l’objet d’une irrecevabilité. Je le dis à ceux qui n’en seraient pas convaincus. Cela pose un énorme problème. Vos propos, monsieur le ministre, le confirment.
D’abord, le projet s’assoit sur le principe d’annualité budgétaire, qui est tout de même un principe issu de pratiques anciennes. C’est pour moi un motif de surprise ; mais c’est aussi, sans doute, un motif d’irrecevabilité.
Pis, vous vous asseyez sur ce qui fonde la légitimité du Parlement, de la majorité parlementaire et du Gouvernement qui en est issu, c’est-à-dire la volonté populaire.
En effet, votre projet tend à instituer, non de simples lois de programmation, mais de véritables lois-cadres, ayant donc une valeur supérieure aux lois, y compris aux lois de finances. Vous considérez par conséquent qu’il est possible de déterminer des règles contraignantes sur une période qui pourrait excéder la législature issue d’un choix populaire. Cela me paraît irrecevable.
Le peuple décide ; il élit des majorités censées répondre à la volonté populaire qu’il exprime et qui déterminent la composition des gouvernements. Il est donc impossible que le Parlement, non seulement aliène sa liberté, mais s’assoie en quelque sorte sur sa légitimité. On se retrouverait dans une situation où un changement de majorité, et donc de gouvernement, n’aurait aucune incidence parce qu’il aurait précédemment été décidé que, pendant une période donnée, on ne peut rien changer au cadre budgétaire. Cela me paraît irrecevable. Telle n’est pas, en effet, la mission des parlementaires.
Peut-être faudrait-il d’ailleurs consulter le peuple pour savoir s’il est d’accord avec le fait que des parlementaires puissent ainsi se débarrasser de la légitimité qui est la leur, c’est-à-dire la légitimité populaire.
En outre, s’agissant des collectivités locales, que vous voulez faire passer sous les fourches caudines de ces lois concernant les prélèvements fiscaux et sociaux, se pose également un gros problème : comment accepter qu’une assemblée élue localement, et qui tire donc, elle aussi, sa légitimité d’une élection, renonce à sa liberté et à la représentativité qu’elle tient du peuple du fait d’une loi, décidée par une autre majorité, qui encadre son action ?
La commission des lois, et notamment son président, ont essayé de pallier, tant bien que mal, ce redoutable inconvénient. Or, monsieur le ministre, vous nous expliquez que vous ne voulez pas d’un tel aménagement !
Je le répète, j’estime que, sur ce point, votre projet est totalement irrecevable. Il serait grave que des parlementaires s’aliènent de la sorte. Ce point doit absolument être tranché. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Dominique Braye, pour explication de vote.
M. Dominique Braye. Monsieur le ministre, vous nous avez déclaré, et nous partageons votre point de vue, que nous devions nous doter de règles supplémentaires. Notre groupe est unanimement d’accord avec vous sur ce point.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Acceptez alors d’augmenter les recettes !
M. Dominique Braye. Le statu quo n’est pas possible. La situation de nos finances publiques exige une réaction. Nous en sommes tout à fait d’accord. En revanche, M. le rapporteur a déclaré, à juste titre d’ailleurs, qu’il fallait être cohérent et avoir une vision d’ensemble.
Or, c’est bien ces différents objectifs que notre groupe essaie de concilier : comment, mes chers collègues, être cohérents et avoir une vision d’ensemble si nous discutons d’une loi ordinaire sans en aborder le volet fiscal ou financier ?
Vous avez été très nombreux à démontrer qu’une loi ordinaire sans volet fiscal et financier n’aurait pas de sens. Nous pouvons en trouver d’innombrables exemples.
Si, comme nous l’avons affirmé, nous sommes d’accord sur le principe de la création des lois-cadres, nous estimons que ces dernières doivent être encadrées. Il s’agit de savoir selon quelles modalités nous pouvons nous fixer de telles contraintes.
Nous voyons bien que la solution proposée par M. Hyest dans son amendement, à savoir l’approbation, dans un délai de quatre mois, des dispositions fiscales contenues dans une loi ordinaire par une loi de finances ou de financement de la sécurité sociale, n’est pas souhaitable. Monsieur le ministre, vous l’avez vous-même reconnu, bien souvent, l’encombrement de l’ordre du jour du Parlement ne nous permettra pas de respecter ce délai.
Or, pouvons-nous accepter que des dispositions discutées pendant des heures dans notre hémicycle soient balayées d’un revers de main, sous prétexte que nous n’aurions pas le temps de les approuver, ou peut-être aussi – on peut l’imaginer – parce qu’un Gouvernement malintentionné déciderait de jouer la montre et de faire en sorte que le processus parlementaire n’aboutisse pas… Je ne parle pas, bien entendu, de l’actuel Gouvernement ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Ce n’est pas raisonnable ! Il en va du fonctionnement et de l’autorité de notre Parlement, et notamment du Sénat. Ce point est extrêmement important.
Naturellement, nous sommes favorables à la maîtrise des dépenses publiques. Nous pourrions dès lors tout à fait nous accorder autour de la solution proposée par le président Emorine, qui nous paraît la meilleure. Nous sommes un certain nombre à nous rallier, comme Jean-Pierre Fourcade, au sous-amendement n° 77 et à estimer que les dispositions prises dans le cadre de lois ordinaires devront tout simplement être validées par la première loi de finances ou de financement de la sécurité sociale dont le projet sera déposé après leur promulgation.
Une telle solution est de nature à satisfaire tout le monde. Il s’agit certes d’un recul par rapport à ce qui était souhaitable – monsieur le rapporteur pour avis, je vous prie de m’en excuser ! – mais la vie est faite de concessions, afin d’arriver au moins mauvais des chemins, à défaut d’aboutir au meilleur. C’est la logique du sous-amendement de M. Emorine, auquel nous nous rallierons.
M. le président. La parole est à M. Bruno Retailleau, pour explication de vote.
M. Bruno Retailleau. Monsieur le ministre, je soutiens totalement le Gouvernement dans sa volonté d’instituer une martingale constitutionnelle. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’exclame.)
Monsieur le ministre, je pense en effet, comme vous, que notre addiction collective à la dépense publique, depuis plus de trente ans, est si profonde qu’il nous faut des règles fortes. J’avais moi-même déposé, en octobre 2010, une proposition de loi constitutionnelle visant à créer une règle d’or. Elle différait quelque peu du projet de loi dont nous discutons aujourd'hui, mais prévoyait comme lui un pilotage trisannuel des finances publiques.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Elle est restée inaperçue !
M. Bruno Retailleau. L’instauration d’une règle d’or est nécessaire pour les générations futures. La dette actuelle est, pour ces générations, une bombe à retardement.
M. François Marc. Qui l’a créée ?
M. Bruno Retailleau. Les travaux économiques les plus récents sur les liens entre la croissance et l’endettement dans quarante-quatre pays ont en outre montré assez clairement que la dette, lorsqu’elle franchit un certain seuil, étouffe la croissance. Il s’agit d’un constat objectif, et c’est la raison pour laquelle je soutiens cette partie du projet de loi constitutionnelle.
Permettez-moi néanmoins d’affirmer que les dispositions du texte en matière d’exclusivité et de monopole de l’initiative ne sont pas satisfaisantes, en tout cas dans les modalités que vous nous soumettez.
Deux points, en effet, me choquent.
Premièrement, je suis choqué par une réalité politique : à refuser les amendements des uns et des autres, et singulièrement ceux de nos présidents de commission, vous laissez penser que les parlementaires sont de dangereux démagogues. Quel déni politique ! C’est bien mal connaître la Ve République que de demander au Parlement et aux parlementaires d’endosser la responsabilité des déficits budgétaires qui se sont succédé depuis plus de trente ans.
M. Yves Daudigny. C’est vrai !
M. Bruno Retailleau. Sous la Ve République, ce sont les Gouvernements, de tous bords, qui ont créé ces déficits.
Mme Nicole Bricq. Il y a Gouvernement et Gouvernement !
M. Bruno Retailleau. Deuxièmement, je suis choqué par une réalité institutionnelle. Votre texte tend à remettre en cause rien de moins qu’une forme de bicamérisme en matière de textes relatifs à l’organisation des collectivités territoriales, et, en tout cas, la priorité qui est donnée au Sénat sur ces textes. C’est ce que rappelait M. Fourcade voilà quelques instants.
Cela revient, en effet, à donner à l’Assemblée nationale un droit de priorité systématique sur le volet financier, y compris pour les textes touchant à l’organisation des collectivités locales.
Pour ces deux raisons, qui me choquent, je suis totalement d’accord avec M. Jean-Paul Emorine, qui préside la commission dont je suis membre : je pense comme lui que l’on peut réussir à trouver une voie, entre une rigueur dans les règles, la martingale, le dispositif de rendez-vous… Je pense que l’on peut concilier les choses, à condition d’être un peu ouverts.
Le dispositif proposé par M. Emorine dans son amendement est plus favorable, pour trois raisons : d’abord, il est subtil ; ensuite, il est cohérent et équilibré ; enfin, il est très efficace.
C’est d’abord un dispositif subtil, dans la mesure où il différencie les dispositions qui tendraient à augmenter les ressources de celles qui viseraient à les baisser. Pourquoi interdire à un parlementaire d’augmenter les ressources, notamment fiscales, dans le contexte difficile où nous nous trouvons ?
C’est ensuite un dispositif équilibré, qui articule de manière satisfaisante le droit individuel des parlementaires en matière de dépôt d’amendements avec le droit de contrôle reconnu au profit tant de la commission des finances que de la commission des affaires sociales.
Enfin, il s’agit d’un dispositif plus efficace, parce qu’il est global, et, j’en suis désolé, parce que la règle des quatre mois n’est qu’un faux-semblant ! Un dispositif qu’on a chassé par la porte revient par la fenêtre. On le sait bien : il suffirait au Gouvernement de ne pas déposer de projet de loi financière rectificative pour rendre caduque toute disposition votée dans les quatre mois précédents. Mes chers collègues, c’est d’une clarté si limpide !
Je pense que l’approbation des dispositions fiscales contenues dans une loi ordinaire par la première loi de finances ou de financement de la sécurité sociale déposée après sa promulgation procède d’une vision globale et qu’elle est compatible avec votre objectif de pilotage par des lois-cadres.
M. le président. Veuillez conclure, monsieur Retailleau.
M. Bruno Retailleau. Pour conclure, monsieur le ministre, je pense que seul un recul suffisant permettra le pilotage efficace de nos finances publiques, et que vos desseins peuvent être conciliés avec la priorité des parlementaires, qui est de préserver leurs droits. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et sur certaines travées de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Hervé Maurey, pour explication de vote.
M. Hervé Maurey. Les présidents de commission ont déposé des amendements, ce dont je me réjouis. Comme je l’ai dit hier, autant nous devons mener un combat sans merci pour réduire les déficits publics, autant j’admets la nécessité de lois-cadres pour encadrer les lois de finances sur un minimum de trois exercices, autant je considère qu’il est impossible que les parlementaires, de droite, de gauche ou du centre, se fassent hara-kiri au nom de déficits budgétaires dont ils ne sont pas responsables puisque, chacun l’a reconnu – et même M. le ministre –, la situation financière du pays résulte de la gestion des divers gouvernements passés, qu’ils soient de droite ou de gauche. Je suis donc très heureux que des parlementaires éminents, présidents de commission, conscients de cette situation, aient déposé un certain nombre d’amendements pour trouver une solution.
L’amendement présenté par le président Hyest me paraît aller dans la bonne direction puisque, s’il était adopté, nous pourrions continuer d’adopter des propositions de loi comportant des dispositions financières, de déposer des amendements de caractère financier sur des projets de loi ordinaires, comme nous l’avons fait lors de la discussion de la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche ou de la loi portant nouvelle organisation du marché de l’électricité. Nous pourrions ainsi continuer de mener des débats cohérents sur les grandes politiques publiques.
Cependant, un aspect me paraît peu satisfaisant, comme d’autres collègues l’ont déjà souligné : si les dispositions ainsi adoptées ne sont pas « ratifiées » dans les quatre mois qui suivent par un projet de loi de finances, elles deviennent caduques. J’y vois une sorte de leurre, qui risque de nous faire déchanter. Nous savons tous parfaitement que les projets de loi de finances, par définition, relèvent exclusivement de l’initiative du Gouvernement. L’adoption d’un tel dispositif reviendrait ipso facto à accorder au Gouvernement un droit de veto tacite. Les gouvernements sont déjà responsables de la situation de nos finances publiques et nous devrions, en plus, leur reconnaître un droit de veto sur les initiatives des parlementaires !
Une telle solution me paraît difficilement acceptable, d’autant plus que, même si le Gouvernement dépose à temps des projets de loi de finances rectificative, il faudrait qu’il ait véritablement la volonté de les faire aboutir dans un délai de quatre mois ! Quatre mois pour rédiger un projet de loi de finances, le soumettre au Conseil d’État, le présenter en conseil des ministres et le faire adopter par les deux assemblées : il faudrait vraiment que le Gouvernement soit extrêmement motivé pour faire aboutir une initiative parlementaire ! Je ne suis qu’un jeune parlementaire, mais il me semble que très peu de gouvernements seraient prêts le faire… Il est donc évident que ce dispositif recèle, en l’état, un réel danger.
Par ailleurs, même si un gouvernement faisait preuve d’une telle bonne volonté, les impératifs de calendrier ne lui permettraient pas d’aboutir. Que se passerait-il si le Parlement adoptait au mois de juillet des dispositions emportant des conséquences financières ? Comment voulez-vous qu’elles soient ratifiées dans les quatre mois par un projet de loi de finances ? C’est tout simplement impossible !
Nous ne devons donc pas nous laisser leurrer par cet amendement : même si sa rédaction est meilleure que celle qu’a adoptée l’Assemblée nationale, il me semble tout à fait insuffisant. C’est pourquoi je soutiens pleinement le sous-amendement déposé par le président Emorine qui tend à préciser que les dispositions à caractère financier sont ratifiées par la première loi de finances soumise au Parlement après leur adoption. M. le ministre nous objecte que cette solution pourrait entraîner des retards : il appartiendra au Gouvernement de déposer dans de brefs délais des projets de loi de finances rectificative pour faire en sorte que ces dispositions prennent leur plein effet.
Pour conclure, j’exprimerai plusieurs regrets. Tout d’abord, je regrette que tous les dispositifs présentés portent atteinte au droit d’initiative parlementaire alors que, nous l’avons dit, ce sont les gouvernements qui sont à l’origine de la situation de nos finances publiques. Sur ce point, je souscris à la suggestion de Jean-Pierre Fourcade : il faudrait dissocier les projets de loi des propositions de loi, puisqu’un projet de loi peut être accompagné d’un projet de loi de finances rectificative, ce qui n’est pas le cas d’une proposition de loi.
Il faudrait également établir une distinction, au sein des mesures fiscales, entre celles qui créent des dépenses et celles qui créent des recettes. Quand on crée des recettes supplémentaires, comme nous l’avons fait dans le cadre de la loi portant nouvelle organisation du marché de l’électricité et de la loi de modernisation de l’agriculture et de la pêche, je ne vois pas en quoi la situation de nos finances publiques serait aggravée ! Il est vrai que je n’ai pas la chance d’être membre de la commission des finances, mais quelque chose m’échappe dans ce raisonnement !
Enfin, je regrette l’absence totale d’ouverture du Gouvernement. M. le ministre nous dit, une fois de plus : « Circulez ! Il n’y a rien à voir ! » Ses propositions sont intangibles, nous n’avons qu’à les voter ou à nous taire ! Cette attitude ne me paraît pas convenable ! (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Marini, rapporteur pour avis.
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Où en sommes-nous, à cet instant du débat ?
À l’origine, le Gouvernement a présenté un projet de loi de révision constitutionnelle qui donne compétence exclusive, dans certaines conditions, aux lois de finances et aux lois de financement de la sécurité sociale. Si ce texte était parvenu à notre assemblée dans sa rédaction initiale, j’aurais préconisé un vote conforme.
L’Assemblée nationale, où s’est déroulé, mutatis mutandis, le même débat que dans cet hémicycle, a préféré substituer à la version initiale du Gouvernement, qui était claire, un autre dispositif, lequel a fait l’objet des critiques tout à fait fondées, en droit et en procédure, de notre commission des lois. Je souscris à ces critiques.
Lors de mon intervention dans la discussion générale, j’ai renvoyé dos à dos la solution peu élégante consistant à adopter deux articles se répondant et créant une irrecevabilité qui serait une inconstitutionnalité – solution que le président Hyest a qualifiée comme il convient –…
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est une solution barbare !
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis de la commission des finances. … et celle que j’ai qualifiée de « voiture-balai ». Il s’agit, dans ce dernier cas, d’une loi financière soumise au Parlement après l’adoption de divers textes, d’origine gouvernementale ou parlementaire, et chargée d’en tirer les conséquences financières dans le tableau d’équilibre des finances publiques. Telle est la solution que nous proposent le président de la commission de l’économie et ses collègues.
Je répète qu’il n’est pas possible à une commission des finances, raisonnant normalement en tant que commission des finances, de souscrire à une telle solution. En effet, il serait ainsi possible, sur l’initiative du Gouvernement ou de parlementaires, de créer des exonérations fiscales, des dépenses fiscales supplémentaires ou des allégements de charges sociales, agréables bien entendu aux catégories ou aux intérêts qui en bénéficieraient, et de ne régler la note, dans le cadre de l’équilibre d’ensemble des finances publiques, que plusieurs mois plus tard, lors de la discussion d’une loi de finances ou d’une loi de financement de la sécurité sociale.
La commission des finances a la culture de la négociation et du compromis : nous nous efforçons de ne jamais pratiquer la politique du pire – c’est bien ainsi que vous dirigez notre commission, monsieur le président Arthuis ! Quand nous sentons des contradictions fortes, nous nous efforçons d’en tenir compte et d’aller à la rencontre de nos collègues qui défendent d’autres positions. C’est ce que nous avons fait hier au cours de la réunion de la commission des lois : nous avons accepté de retirer l’amendement préparé par la commission des finances, qui créait une simultanéité entre la discussion d’une loi ordinaire et d’un texte financier, ce qui eût permis aux rapporteurs de travailler ensemble, de créer plus de transversalité entre nos commissions qui, sans doute, auraient intérêt à communiquer davantage plutôt que de s’opposer de manière factice dans l’hémicycle et de donner ainsi une image qui n’est pas conforme à la réalité !
François Baroin connaît bien notre situation car, mutatis mutandis et de manière bien plus éminente, sa position est actuellement la même au sein du Gouvernement : la commission des finances est toute seule ! Elle a très peu de pouvoirs et beaucoup de devoirs (Exclamations amusées sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.), elle a en particulier le devoir de vous dire ce qu’elle estime être la vérité sur les responsabilités que nous prenons et sur la situation de notre pays !
L’annonciateur de mauvaises nouvelles doit être cloué au pilori, car il est jugé coupable de ce qu’il annonce !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. On croit rêver !
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis de la commission des finances. Ce rôle de bouc émissaire, nous le jouons en victimes consentantes, puisque telle est notre fonction au sein de cette assemblée et puisque d’autres jouent des rôles beaucoup plus valorisants, beaucoup plus brillants, dans toutes sortes de domaines de l’action publique.
Monsieur le ministre, j’exprime le regret que le Gouvernement n’ait pas accepté de faire un pas en direction de notre compromis, car cette décision n’a pas été facile à prendre. Nous avons recherché une formule juridiquement correcte qui apporte le plus possible de garanties ; certes, elle est moins bonne et moins efficace que le texte initial du Gouvernement, mais elle s’expose à beaucoup moins de reproches que la rédaction adoptée par l’Assemblée nationale. C’est donc avec un immense regret que je me tourne vers vous, monsieur le ministre, car j’ai été surpris, et désolé, que le Gouvernement ne vienne pas conforter notre accord.
Que faire dans ces conditions, mes chers collègues ? J’appelle bien entendu au rejet des amendements et sous-amendements déposés par MM. Emorine et Legendre, au profit de l’amendement déposé par M. Hyest, qui est parfaitement fidèle à l’analyse que nous avons menée en commun. Ce vote sera particulièrement important : en fonction de son issue, je crois que nous pourrons porter un jugement différent sur le cheminement de ce texte de révision constitutionnelle et, en d’autres termes, sur le succès de l’initiative excellente qui avait été prise en soumettant cette réforme au Parlement.
M. le président. La parole est à M. Charles Guené, pour explication de vote.
M. Charles Guené. Je souscris entièrement à l’articulation du projet de loi constitutionnelle relatif à l’équilibre des finances publiques. Par ailleurs, le principe des lois-cadres ne m’inspire aucune angoisse métaphysique.
En tant que membre de la commission des finances, je sens que la question du monopole pose un problème : je crois donc que nous devons crever l’abcès. Permettez-moi de vous le dire tout de go : au départ, j’ai rêvé que nous acceptions que lorsque le Parlement discute un texte au fond, il discute en même temps de son volet financier. La plus petite commune de France peut le faire : cela s’appelle une délibération modificative, ou DM, et n’a rien d’extravagant ! Je pensais que nous aurions pu trouver un accord sur ce point, mais, puisque des questions de susceptibilité sont visiblement en jeu, nous n’y parviendrons sans doute pas !
Je souhaite cependant rappeler à mes collègues que l’ordre du jour du Parlement est relativement encombré. Or l’adoption du compromis qui nous est proposé nous obligera à tenir deux débats sur une question identique, ce qui me paraît regrettable. Si nous acceptions que les deux débats, sur les aspects financiers et sur le fond, puissent se tenir en même temps, nous permettrions aux honorables parlementaires que nous sommes d’assumer leurs responsabilités en toute connaissance de cause, car le travail des parlementaires consiste non pas seulement à décider, mais à le faire en connaissance de cause.
À ce stade du débat, il convient de sortir de la nasse où nous nous sommes enfermés. M. Fourcade nous a indiqué une voie intéressante, qui représente un juste milieu entre les amendements déposés par les présidents de commissions et la commission des finances. Il a suggéré de distinguer les projets de loi des propositions de loi, car le Gouvernement peut toujours ajouter un volet financier à ses projets de loi, de préserver la priorité du Sénat dans l’examen des textes relatifs aux collectivités locales et de retenir les délais actuellement observés entre la discussion du projet de loi de finances initial et des projets de loi de finances rectificative, soit six mois. Cette solution médiane me paraît digne d’intérêt.
Dans ces conditions, peut-être faudrait-il que les présidents de commission et, éventuellement, le rapporteur général de la commission des finances s’accordent pour demander une suspension de séance, afin d’établir un texte que nous pourrions tous voter. Cela permettrait sans doute de ménager l’ensemble des susceptibilités. De fait, je ne suis pas certain que, en l’état, le vote que nous nous préparons à émettre nous grandira.
M. Alain Fouché. Il a raison !
M. le président. La parole est à M. Jean Arthuis, rapporteur pour avis.