M. Jean Bizet, président de la commission des affaires européennes. Cela ne veut pas dire qu’il faut minimiser les maux dont souffre la Grèce. Ces maux sont anciens et ils sont connus : un secteur public hypertrophié et peu efficace, une fonction publique pléthorique, une mauvaise utilisation des fonds européens, une fiscalité apparemment élevée, mais très mal recouvrée. Et l’entrée dans la zone euro a eu, paradoxalement, un effet anesthésiant. La Grèce a bénéficié des taux d’intérêt relativement bas qui valaient, à l’époque, pour l’ensemble de la zone euro. Elle a fortement accru un endettement qui était, nous le savons maintenant, bien supérieur aux montants officiels.
Puis, les marchés ont commencé à différencier les dettes des États membres. Avec la crise, la situation de la Grèce est rapidement devenue intenable.
Nous voyons bien la difficulté : la Grèce a besoin, manifestement, de profondes réformes structurelles, nécessairement douloureuses. Or, par définition, les réformes structurelles n’apportent pas d’amélioration immédiate. Il faut du temps pour en recueillir les bienfaits.
Des mesures difficiles ont déjà été prises. L’âge de départ en retraite a été porté de 60 à 65 ans. Le nombre des collectivités territoriales a été divisé par trois. Parallèlement, des mesures de plus court terme ont été décidées pour réduire le déficit budgétaire : réduction des remboursements de l’assurance maladie, passage de la TVA de 21 % à 23 %, augmentation de 10 % des taxes sur les carburants et les alcools, suppression des treizième et quatorzième mois de salaire pour les fonctionnaires, gel des pensions de retraite.
Ces décisions n’ont pas suffi à desserrer l’étau. Il en résulte un sentiment d’inquiétude et d’injustice. La population a le sentiment qu’il lui est demandé sans cesse de nouveaux efforts sans qu’elle en entrevoie les bénéfices. À cela s’ajoute le sentiment d’être considéré de haut par les pays situés plus au Nord. Le désarroi est particulièrement sensible dans la jeunesse, qui va recevoir l’héritage d’années de facilité qu’elle ne connaîtra pas. Les sondages montrent qu’un jeune Grec sur trois souhaite s’expatrier.
Il est vrai que la Grèce doit aller bien plus loin dans les réformes. Toutefois, il ne faut pas que ces réformes apparaissent comme une punition. Pour paraphraser un mot célèbre, je dirai qu’il ne faut pas désespérer Athènes. Les réformes doivent apporter l’espoir, à moyen terme, d’un retour à la croissance et d’une société plus ouverte.
Là encore, les solutions sont bien identifiées : un sentiment de confiance ne peut renaître sans une profonde réforme de la gouvernance publique, incluant une lutte effective contre la fraude fiscale endémique. En outre, un vaste programme de privatisations est indispensable pour donner plus de dynamisme à l’économie et pour réduire l’encours de la dette. Ce programme est globalement évalué à 50 milliards d'euros. Nos amis grecs doivent bien prendre conscience que ces mesures sont totalement incontournables. C’est seulement dans le cadre de ces réformes préparant l’avenir que de nouvelles mesures d’austérité pourront être comprises.
En temps de paix, un gouvernement ne peut se résoudre à bousculer autant de situations acquises que s’il a le dos au mur. C’est pourquoi il est justifié d’imposer une conditionnalité stricte à la poursuite de l’aide européenne. En réalité, ni l’Union européenne ni la Grèce n’ont le choix, et rien ne serait pire que d’avoir un gouvernement grec jouant à cache-cache tandis que l’Union européenne feindrait de tergiverser sur son aide.
Quelles que soient les précautions terminologiques, une « restructuration » ou un « reprofilage » de la dette grecque apparaîtraient comme une forme de défaut de paiement, avec le risque d’une crise de confiance affectant d’autres pays européens, et la perspective d’un nouvel ébranlement des systèmes bancaires. Nous avons pris bonne note des propositions de M. le ministre, à savoir l’implication volontaire des investisseurs privés ; c’est une voie qui me semble tout à fait rationnelle et intéressante.
On ne peut prendre ce risque au sortir d’une récession qui a mis à mal les finances publiques de tous les États occidentaux. C’est pourquoi il est indispensable que l’Union européenne se dote des moyens nécessaires, selon le schéma arrêté au mois de mars dernier, avec le renforcement du Fonds européen de stabilité financière et la mise en place, après 2013, du mécanisme européen de stabilité, qui disposera d’une capacité de prêt effective de 500 milliards d’euros.
On peut dire, monsieur le ministre – et c’est à l’honneur du Gouvernement –, que l’attitude de la France dans les difficultés actuelles de l’Europe est bien perçue, parce que, face au risque d’un clivage Nord-Sud, nous apparaissons plutôt comme un trait d’union. Nous devons persévérer dans cette voie d’équilibre et de synthèse.
Nous n’avons pas à entrer dans de fausses oppositions, notamment celle entre le retour à la croissance et l’assainissement des finances publiques. Contrairement aux pronostics de certains, l’Europe connaît un début de reprise alors même que tous les pays membres s’efforcent de réduire leurs déficits ; ce sont les États dont l’effort d’assainissement est le plus crédible qui enregistrent les meilleurs résultats en termes de croissance.
Il ne faut pas davantage opposer la réduction des déficits et la préparation de l’avenir. D’abord, parce qu’on ne prépare pas l’avenir en léguant une dette excessive, même avec de bonnes intentions. Ensuite, parce que la réduction des déficits doit être un élément au sein d’une stratégie globale : elle doit s’accompagner des réformes structurelles qui rendront les pays européens plus compétitifs ; elle doit s’accompagner aussi d’une réorientation de la dépense, d’une plus grande sélectivité, au profit des dépenses qui préparent l’avenir, en premier lieu le soutien à la recherche et à l’innovation. C’est bien le sens de la stratégie « Europe 2020 » comme du pacte « euro plus ».
Ce souci d’équilibre et de synthèse – je terminerai par là mon intervention –, nous en avons également besoin pour un autre sujet important que doit aborder le Conseil européen, à savoir la réforme du système Schengen. Là encore, n’opposons pas – ou ne feignons pas d’opposer – les partisans de la libre circulation des personnes et ceux qui rêveraient, au nom de la sécurité, de rétablir les contrôles aux frontières intérieures.
Nous avons besoin, au contraire, d’une approche réaliste, qui combine, d’abord et avant tout, la libre circulation des personnes, M. le ministre l’a rappelé, mais aussi le renforcement des contrôles aux frontières extérieures et, tant que ce dernier ne sera pas pleinement acquis, la possibilité de prendre des mesures de sauvegarde dans des circonstances critiques, comme celles que nous avons connues récemment. Veillons à ne pas donner des armes aux extrémistes contre ce qui constitue un des grands acquis de la construction européenne.
Voilà, monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les quelques observations que je souhaitais faire à l’approche d’un Conseil européen dont le succès est particulièrement nécessaire à l’Europe. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Blanc.
M. Jacques Blanc, en remplacement de M. Josselin de Rohan, président de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, intervenant dans ce débat au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées, je centrerai mon propos sur un point qui nous est apparu très important : l’entrée de la Croatie dans l’Union européenne. En effet, notre commission a travaillé en profondeur sur cette question, qui a donné lieu à un rapport d’information que Didier Boulaud et moi-même avons cosigné. J’évoquerai également l’Union pour la Méditerranée.
Vous constatez, mes chers collègues, qu’il y a une coordination parfaite entre la commission des affaires européennes, qui a établi un rapport sur la Grèce, et la commission des affaires étrangères, qui, de son côté, a présenté un rapport sur la Croatie.
Alors que le Conseil s’apprête à ouvrir la porte de l’Union européenne à la Croatie, vingt ans après son indépendance, quel est l’état de préparation de ce pays, qui – nous l’espérons, comme vous-même d'ailleurs, monsieur le ministre –, sera le vingt-huitième État membre de l’Union ?
Peuplée de 4,5 millions d’habitants, d’origine slave, de religion catholique et utilisant un alphabet de caractères latins, au carrefour des influences de la Méditerranée, de l’Europe centrale et des Balkans, la Croatie, ancienne république de la Fédération Yougoslave, a une histoire douloureuse, puisqu’elle n’a acquis son indépendance qu’au terme d’un conflit meurtrier, au début des années quatre-vingt-dix.
Sur le plan économique, La Croatie est, après la Slovénie, le pays le plus avancé de la région, avec un revenu moyen par habitant égal à 65 % de la moyenne européenne, deux fois supérieur à celui de la Roumanie, par exemple.
Le système politique croate a été rééquilibré en 2000 en faveur d’un régime parlementaire. Les élections ont amené l’alternance et le pays vit aujourd’hui une cohabitation constructive, autour de trois priorités : adhérer à l’Europe, redresser l’économie et lutter contre la corruption.
Membre de l’OTAN depuis 2009, la Croatie maintient un contingent de 350 hommes en Afghanistan et soutient les opérations en Libye. Elle est membre, depuis l’origine, de l’Union pour la Méditerranée.
La Croatie a obtenu le statut de pays candidat à l’Union européenne en juin 2004 et a entamé ses négociations d’adhésion en octobre 2005 – un processus de longue haleine, qui a connu plusieurs phases d’accélération ou de ralentissement.
Aujourd’hui, le « consensus renouvelé sur l’élargissement » de 2006 a renforcé, vous l’avez souligné, monsieur le ministre, la rigueur du processus d’adhésion. Vous avez rappelé la position de la France, qui a visé non pas à ralentir cette adhésion, mais, au contraire, à la faciliter, comme nous avons pu l’expliquer aux responsables croates, qui l’ont bien compris d’ailleurs.
Une sévérité plus grande que par le passé, c’est vrai, s’attache aux conditions d’élargissement, et il faut reconnaître que les Croates ont, à cet égard, accompli un effort considérable. Les chapitres d’adhésion qui avaient été ouverts ont créé des conditions exigeant des réformes en profondeur.
Ces différents chapitres devaient être clos. Dans le chapitre 8, « Concurrence », et dans le chapitre 23, « Justice et État de droit », un certain nombre de difficultés sont à un moment apparues, mais les autorités – gouvernement et président de la République de Croatie – ont su les maîtriser et les dépasser.
Le problème de la restructuration des chantiers navals n’était pas simple. La Croatie a su, là aussi, faire preuve d’une capacité à analyser objectivement la situation et à prendre les décisions qui s’imposaient.
Dans le chapitre 23 « Justice et État de droit », un sujet politiquement très sensible et exigeant, après qu’un rapport plutôt critique eut été établi par la Commission européenne, on peut constater que les problèmes ont été maîtrisés et que les Croates ont répondu à l’attente qui avait été exprimée.
C’est pourquoi, avec la clause de suivi renforcé, nous espérons bien, monsieur le ministre, que tout pourra être débloqué le 23 ou le 24 juin prochain, lors du sommet. Il faut comprendre l’attente de la population croate, qui risquait de se désespérer. Le signal fort, porté par le Conseil, d’une adhésion à la date du 1er juillet 2013 répondrait à l’attente de ce peuple qui a été si meurtri par le passé.
Vous rappeliez – et on l’oublie souvent – que l’Europe est facteur de paix. Ce n’est qu’au travers d’une démarche volontaire d’adhésion, à laquelle nous devons exprimer notre soutien, que la paix sera assurée dans ce secteur des Balkans.
Aujourd’hui, je peux donc dire – au nom de la commission des affaires étrangère, puisque le rapport que j’ai coécrit avec mon collègue Didier Boulaud a été adopté à l’unanimité – que nous souhaitons ardemment que la France continue de soutenir l’entrée de la Croatie dans l’Union. J’espère que notre pays sera ensuite parmi les premiers à ratifier le traité d’adhésion.
Je voudrais dire à présent un mot de l’Union pour la Méditerranée. À l’heure où s’ouvrent de formidables perspectives démocratiques en Égypte et en Tunisie et où se produisent au Maroc les évolutions, que vous avez rappelées, monsieur le ministre, il n’est pas opportun d’abandonner le grand projet que le Président de la République a proposé à la France et à l’Europe. Au contraire, il faut renforcer les moyens qui lui sont alloués, en garantissant que la règle des « deux tiers-un tiers », qui résulte de l’accord de Barcelone, soit respectée lors de la réforme de la politique de voisinage.
Il faudrait, me semble-t-il, un véritable plan Marshall pour l’ensemble de la Méditerranée, afin que la démocratie ait une chance de s’implanter. Pour cela – je partage votre analyse, monsieur le ministre –, il faut adresser un geste fort à la jeunesse de ces pays, pour qu’elle retrouve foi en son avenir social, politique et économique.
L’énergie déployée par le Président de la République pour défendre l’Europe force notre admiration. Par son intermédiaire, par celui du Gouvernement et, plus précisément, par le vôtre, monsieur le ministre, la France porte un message très fort : ce n’est pas à cause de l’Europe que naissent les crises, c’est, au contraire, grâce à elle que nous pouvons les dépasser dans de meilleures conditions. Nous comptons sur vous pour faire avancer l’Europe ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je souscris tout à fait aux remarques des deux orateurs précédents sur la Croatie. Il y a un peu plus d’un an, j’ai eu le plaisir de me rendre dans ce pays, qui représente un enjeu important ; à Zagreb, j’ai pu observer, pour la commission des finances, combien la Croatie avait été exemplaire pendant la crise, même si cela ne signifie pas qu’elle ne connaît plus aucun problème d’adaptation de ses structures économiques.
Nous avons engagé une coopération parlementaire et reçu au Sénat, pendant deux jours, une délégation de la commission des finances de l’Assemblée de la République de Croatie. Lors de notre réunion commune de travail, nous avons constaté que nos collègues croates étaient vraiment au diapason des problématiques européennes.
Le Conseil européen qui se tiendra dans les prochains jours est bien évidemment une étape tout à fait essentielle, que nous avons évoquée lors de l’examen, qui n’est pas achevé, du projet de loi de finances rectificative. Nos collègues le savent bien, trois points de ce texte nous renvoient aux problématiques européennes.
En premier lieu, il faut approuver une nouvelle tranche d’aide à la trésorerie de la Grèce.
En second lieu, dans le cadre du Fonds européen de stabilité financière – car en français il s’agit bien d’un fonds, monsieur le ministre, et non d’une facilité –, la garantie de la France doit être portée de 115 milliards d’euros à 145 milliards d’euros environ.
En troisième lieu, nous observons avec beaucoup d’intérêt les conditions dans lesquelles sera mis en place le futur mécanisme européen de stabilité, qui nous intéresse tout particulièrement au regard de nos finances publiques. En effet, la France doit souscrire à hauteur de 18 milliards d’euros au capital de ce mécanisme, un montant qui alourdira le déficit de nos comptes publics – je pense à l’endettement de notre pays, et non à son déficit « maastrichtien ».
Il ne faut pas oublier, mes chers collègues, que la solidarité européenne repose sur le crédit des États du groupe central de la zone euro ; sans lui, rien n’est possible ! Nous avons d’ailleurs constaté que la capacité réelle d’action du Fonds européen de stabilité financière est limitée à la quote-part des emprunts que peuvent souscrire sur le marché les États qui bénéficient du fameux AAA, soit 255 milliards d’euros. C’est l’extension des garanties qui nous permet d’atteindre le niveau initialement souhaité de 440 milliards d’euros.
Monsieur le ministre, vous avez eu mille fois raison de le souligner, nous sommes réellement en grand péril si nous ne savons pas unir nos forces pour éviter ce grave événement de crédit que serait le défaut de la Grèce. Ce que nous craignons, ce ne sont pas les pertes qui toucheraient directement les établissements financiers sous régulation française, car, somme toute, la taille de l’économie grecque rendrait ces pertes supportables, mais bien l’amplification qui ne manquerait pas de se produire sur l’ensemble des marchés internationaux, notamment par l’intermédiaire d’un instrument redoutable, les credit default swaps.
Les analystes le confirment tous, cette amplification pourrait placer les autorités européennes dans une situation extrêmement difficile à anticiper et à contrôler, qui pourrait même devenir complètement ingérable durant une certaine période.
Nous devons donc trouver un compromis, ce qui est extrêmement difficile. On peut comprendre l’approche, en particulier politique, qui fut celle de la chancelière allemande lors des derniers mois, jusqu’à ce que l’on aboutisse, semble-t-il, il y a quelques jours, à un rapprochement de nos points de vue. On peut également comprendre que le peuple allemand renâcle, compte tenu des efforts considérables de rigueur qu’il a fournis pour assainir ses finances, et qui venaient après les sacrifices exigés par la réunification. On peut tout à fait concevoir que, en Allemagne, eu égard à la situation politique intérieure, la question de la solidarité financière au sein de la zone euro soit un sujet extrêmement difficile, voire douloureux.
Pour autant, je le répète, nous devons trouver un compromis. Nous devons, d’une part, éviter le défaut de la Grèce, et, d’autre part, faire prendre sa part au secteur privé, mais volontairement, dans le cadre de ce renouvellement, de cette rotation, de ce roll over volontaire auquel vous avez fait allusion, monsieur le ministre, et qui est assurément une notion nouvelle.
Nous savons que l’imagination des négociateurs européens – les meilleurs du monde, sinon l’Europe ne serait pas ce qu’elle est aujourd'hui ! – est presque sans limites. L’Union européenne, il est vrai, s’est toujours forgée dans les difficultés, en côtoyant le péril, même le plus imminent.
Monsieur le ministre, je voudrais vous poser quelques questions.
Nous n’avons pas forcément compris en quoi consistera le chaînage entre les programmes de stabilité et la mise en œuvre des volets préventif et répressif du pacte.
Nous nous interrogeons également sur la logique des sanctions : sont-elles, ou non, automatiques ? Selon les interlocuteurs, les réponses sont différentes… Néanmoins, chacun le sait, les sanctions, dont l’application entraînerait un alourdissement considérable des difficultés budgétaires des États déjà les plus mal en point, sont essentiellement un outil de dissuasion. En tant que tel, elles doivent être maniées avec d’extrêmes précautions.
Nous attendons beaucoup de ce conseil européen, de cette fixation des règles du jeu du mécanisme européen de stabilité, car, même si cet instrument ne verra le jour qu’au milieu de l’année 2013, il est absolument essentiel aux yeux des acteurs extérieurs, pour les investisseurs et pour les marchés. Il faut que l’objectif soit clairement défini : nous aurions en particulier besoin de savoir quelle place accorder aux clauses d’action collective dans le dispositif des emprunts qui seront souscrits par le mécanisme européen comme par les États membres.
Je ne prolonge pas mon propos, monsieur le ministre. Nous sommes tous convaincus tant du caractère historique de la situation que nous vivons que de la grande responsabilité qui est la nôtre. Nous avons interrompu la discussion du projet de loi de finances rectificative pour ce débat qui élargit heureusement nos horizons. Notre responsabilité, c’est de tenir le cap des finances publiques, car notre crédibilité dépend des efforts, certainement douloureux, que nous serons en mesure de faire. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la présidence hongroise a choisi comme devise : « Une Europe forte avec une dimension humaine ». Cette dimension humaine pourra et devra se manifester face à deux crises majeures, une crise financière et une crise migratoire.
Le tsunami économique et financier fait encore sentir ses effets dramatiques sur les économies des États membres, mais c’est dans les situations de crise, voire de rupture, que l’Europe prend toujours le dessus. L’Union fait face à la tragédie grecque et à la dégradation des finances publiques de ses membres en créant une gouvernance économique inédite.
Le président Van Rompuy a souligné dans son discours sur l’état de l’Union que « la grande leçon de 2010 a été le constat que l’intégration monétaire et financière a été beaucoup plus rapide que l’intégration de nos politiques économiques et de la supervision bancaire ».
Des enseignements en ont été tirés et le Pacte pour l’euro plus, décidant une coordination renforcée des politiques économiques pour la compétitivité et la convergence, a été adopté en mars dernier. Le défi du prochain Conseil, qui conclut le semestre européen, nouvellement mis en place, est clair : adopter le « paquet » de législations renforçant la gouvernance économique élaboré par le groupe de travail présidé par Herman Van Rompuy. La présidence hongroise participe bien sûr très activement à ces négociations avec le Parlement européen et la Commission. Monsieur le ministre, sommes-nous parvenus à un texte de compromis ?
La crise de l’euro a été gérée au mieux par l’Union européenne, qui a mis en place des mécanismes de défense de sa monnaie. La France a joué un rôle majeur à cet égard.
Monsieur le ministre, comme vous l’avez justement souligné le 22 mars dernier dans cet hémicycle, « une monnaie ne peut exister en apesanteur, sans être fondée sur une convergence économique et sociale entre les différents États concernés ».
L’Union européenne sortira vraisemblablement renforcée de cette crise – c’est sa façon de se construire –… ou se délitera.
Au mois de mars, les États membres se sont engagés à respecter un certain nombre de critères ; je m’interroge sur la réalité de ce respect. Le Conseil européen de demain évaluera les engagements pris par les États dans leurs programmes nationaux de réformes. Sur cette base, il formulera ses avis et recommandations, pays par pays.
Avec un déficit himalayen, une dette abyssale, sans parler d’un projet de loi constitutionnelle relatif à l’équilibre des finances publiques dont l’inscription du dispositif dans la Constitution reste très incertaine, notre pays est à mes yeux semblable à un élève qui a très mal préparé ses devoirs et risque fort d’encourir une punition.
Les recommandations de la Commission européenne sur le programme de stabilité actualisé de la France ont été examinées par la commission des finances la semaine dernière. À cet égard, je voudrais soulever plusieurs points, dont nous avons déjà débattu à l’occasion de l’examen des deux précédents textes à caractère financier.
Tout d’abord, la France est une fois encore stigmatisée pour ses hypothèses économiques trop optimistes. Je le demande pour la deuxième fois cette semaine : quand le Gouvernement se décidera-t-il à se fonder sur des estimations réalistes ?
Ensuite, la charge fiscale pesant sur le travail devrait être davantage reportée sur l’environnement et, surtout, sur la consommation, via la TVA anti-délocalisations prônée par notre commission des finances. Monsieur le ministre, quelle est votre position sur ce sujet essentiel ?
Enfin, que proposerez-vous pour réduire les allégements de prélèvements obligatoires engendrés par nos trop fameuses niches fiscales ?
Avec l’enthousiasme et l’allant qui vous caractérisent, monsieur le ministre, vous avez affirmé ici même, en mars dernier, que « l’Europe est de retour ; elle repasse à l’offensive et assure une vraie protection de son économie et de sa monnaie commune ». Dès lors, quel sera le message de la France au Conseil européen ? Quand lancerez-vous la procédure d’approbation de la modification du traité de Lisbonne pour instituer le mécanisme européen de stabilité ?
Outre le couple franco-allemand, deux acteurs ont joué un rôle déterminant : la présidence hongroise et le président Van Rompuy. Cet homme de dialogue, rôdé à la gestion de crises dans son pays, a su, selon sa méthode du « pas à pas », faire avancer dans la concertation un projet fondamental pour l’Union, exprimant la solidarité voulue par la majorité de ses membres. Le « tous pour un, un pour tous » des mousquetaires est toujours d’actualité !
Quand il s’agit de l’Europe, le moindre problème devient un drame, voire une crise existentielle remettant en cause ses acquis les plus fondamentaux.
M. Aymeri de Montesquiou. Ainsi, l’immigration sauvage et massive de réfugiés venant de l’autre rive de la Méditerranée a réveillé la tentation du repli sur soi, du contrôle aux frontières nationales, mettant en péril la liberté de circulation au sein de l’espace Schengen. Nous avons paré au plus pressé, mais quelle sera la position de la France sur le long terme ?
« Une politique de migration réussie commence à l'extérieur de nos frontières. » La mise en œuvre de ce principe posé par le président Van Rompuy a été rendue urgente par le printemps arabe. Il nous appartient d’aider nos voisins méditerranéens, de conclure un partenariat intégrant, au même titre que le développement économique et démocratique, la politique migratoire et la sécurité.
Monsieur le ministre, comment faire jouer son plein rôle à l’Union pour la Méditerranée dans ce nouveau contexte ? Quelle politique européenne conduire à l’égard de l’Égypte, de la Tunisie, de la Libye, de la Syrie ou du Yémen pour que, grâce à l’Europe, le printemps arabe soit suivi d’un été ? Je paraphrase, une nouvelle fois, le président du Conseil.
Il est évident que l’espace Schengen doit être mieux organisé, tant à ses frontières extérieures qu’en son sein, son élargissement à d’autres membres étant en discussion. Les États ayant une frontière avec des pays extérieurs à l’espace Schengen ont en la matière une responsabilité plus forte et, comme l’a dit M. le ministre d’État Alain Juppé, « une confiance mutuelle est nécessaire au bon fonctionnement » de cet espace.
Monsieur le ministre, quelles mesures peut-on proposer pour asseoir cette confiance ? Quelles clauses de sauvegarde devront être adoptées ? Enfin, quels enseignements ont été tirés des dysfonctionnements de l’espace Schengen, en vue de le rendre plus sûr et plus humain ?
Vous avez évoqué ici, lors du débat préalable au Conseil européen de mars dernier, une « portée historique », une « rupture totale avec la situation antérieure » et une « affirmation de la volonté de progresser sur la voie de l’intégration communautaire ». Vous avez affirmé être confiant pour le Conseil de juin, qui, espérons-le, validera l’adhésion de la Croatie à l’Union européenne.
Tous les chefs d’État de l’Union doivent redonner à nos concitoyens européens la conviction qu’ils ont un avenir commun. Ils ont le devoir de redonner à l’Europe le souffle qui animait ses pères fondateurs. L’Europe peut et doit être forte ; forte, elle sera belle, elle restera humaine ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. Jacques Blanc. Très bien !
M. le président. La parole est à Mme Annie David.
Mme Annie David. Monsieur le ministre, à la veille du Conseil européen qui se tiendra demain et vendredi à Bruxelles, vous nous avez exposé les grandes lignes des positions qu’y défendra le Président de la République.
Trois points principaux, ayant déjà fait l’objet d’âpres discussions entre les États membres, retiennent toute l’attention des sénatrices et sénateurs du groupe CRC-SPG : la gouvernance de la politique économique, avec l’évaluation des engagements pris par les États membres dans leurs programmes de stabilité et de convergence, à savoir le pacte « euro plus » et le plan de sauvetage de la Grèce ; les politiques d’asile et de migration, avec la révision probable des accords de Schengen ; la nécessaire évolution de la politique de voisinage à la suite des bouleversements entraînés par les printemps des pays arabes.
Concernant le premier point, monsieur le ministre, vos propos me confirment dans l’idée que le Gouvernement persiste à proposer et à soutenir les mêmes mauvaises solutions que lors du précédent Conseil européen.
Alors que l’heure devrait être à la solidarité économique entre les États membres, à la responsabilité et à la réactivité pour surmonter la crise, sauver la zone euro, relancer la croissance et sauvegarder les acquis sociaux dans chaque pays, nous assistons au contraire à des réactions tardives, désordonnées, traduisant la défense d’intérêts étroitement nationaux au seul profit de quelques grands groupes économiques et financiers. Tout cela s’inscrit dans la logique du pacte de stabilité auquel le Gouvernement a souscrit et dont l’objectif premier est de contraindre chaque État à rationner les dépenses publiques.
C’est ce cadre que vous rendrez encore plus contraignant en approuvant sans doute demain les six directives actuellement en cours de discussion au Parlement européen, visant à renforcer le pacte de stabilité, le pacte pour l’euro et la mise sous tutelle des pays très endettés.
Tous ces « pactes » sont présentés comme étant la seule solution pour faire face à la crise financière dont les salariés et les retraités font les frais. C’est pourtant la financiarisation de l’économie qui en est responsable !
Ces questions sont précisément au cœur des discussions actuelles sur la nécessité et les modalités d’un second plan de sauvetage de la Grèce. Pourtant, la démonstration a été faite il y a dix-huit mois que les remèdes préconisés par l’Union européenne et le FMI, loin d’apporter de l’oxygène au malade, l’ont au contraire asphyxié.
La Grèce est dans l’incapacité de rembourser une première dette, mais vous acceptez de conditionner un second plan de sauvetage à des mesures qui assècheront l’économie, tueront la croissance et mèneront tout droit à une explosion sociale. Malgré tout, vous pressez le premier ministre grec d’accélérer le processus.
Une nouvelle fois, ceux auxquels on demande en priorité de faire des sacrifices sont non pas les banques, les compagnies d’assurances, les fonds de pension – sinon de manière bénévole ! –, mais les salariés, les retraités et les contribuables : eux n’auront pas le choix ! On peut même s’interroger, monsieur le ministre, sur le comportement que vous adopterez dans l’avenir à l’égard des banques françaises impliquées dans ce dossier…
Vendredi dernier, le Président de la République et la Chancelière allemande paraissaient être parvenus à un accord, propre à rassurer les marchés, sur une participation des banques créancières de la Grèce fondée sur leur bon vouloir. Toutefois, aucune confirmation claire n’a depuis été apportée par les ministres de l’Eurogroupe.
Au milieu de cette confusion, pour éviter une faillite de la Grèce, une contagion à d’autres pays et un effondrement de l’euro, il faudra bien en passer par une restructuration de la dette grecque selon d’autres modalités. Soyons lucides : les bailleurs de fonds privés ne sont disposés à renoncer à une partie de leur mise qu’à condition de pouvoir la récupérer d’une autre façon.
Ce nouveau plan imposé par l’Union européenne et le FMI n’est donc qu’une erreur, une fuite en avant, et le peuple grec a bien compris qu’il servira à alimenter le tonneau des Danaïdes au seul profit des banques. Le gouvernement grec tente d’imposer de nouvelles mesures d’austérité sociale, encore plus dures que les précédentes, et brade à des intérêts privés étrangers, en particulier chinois, un patrimoine d’activités assurées par le secteur public.
Mais l’histoire n’est pas écrite d’avance. Il se pourrait bien que la résistance du peuple grec à la mise en place de ces mesures économiquement inefficaces et socialement injustes ouvre la voie, en Europe, à des solutions autres qui consisteraient à faire payer les vrais responsables de la crise financière ayant frappé la zone euro. Il ne serait que temps !
Concernant les politiques d’asile et de migrations, nous estimons qu’elles ne devraient en aucun cas remettre en cause les acquis fondamentaux des accords de Schengen que sont le principe de la liberté de circulation des personnes et l’instauration d’un espace sans frontières.
Or, les gouvernements français et italien, pour des raisons électorales internes qui leurs sont communes, ont pris prétexte d’un afflux temporaire, et somme toute relativement limité, de migrants en provenance de Tunisie pour proposer un élargissement des clauses de sauvegarde permettant aux États membres de rétablir les contrôles aux frontières intérieures. Cette politique flatte des sentiments malsains. Elle vise cyniquement à utiliser des situations humainement dramatiques pour tenter de répondre à l’influence grandissante de partis populistes et xénophobes.
Mme Nicole Bricq. C’est exact !